Le Délit - 14 janvier 2020

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Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

Mardi 14 janvier 2020 | Volume 109 Numéro 13

On trouve tout sur Google de nos jours depuis 1977


Éditorial rec@delitfrancais.com

Volume 109 Numéro 13

Le seul journal francophone de l’Université McGill RÉDACTION 380 Rue Sherbrooke Ouest, bureau 724 Montréal (Québec) H3A 1B5 Téléphone : +1 514 398-6790 Rédacteur en chef rec@delitfrancais.com Grégoire Collet

Qui décide de l’objectivité? Juliette de lamberterie & JÉRÉMIE-CLÉMENT PALLUD Que veut dire être « neutre » lorsque l’on rapporte les nouvelles? Qu’implique être « objectif » dans notre travail, en tant que publication étudiante? En plus d’être membres du conseil de rédaction du Délit, nous existons tous·tes, à part, dans le contexte mcgillois. Les grands mouvements étudiants et les décisions de l’administration rythment nos semaines et alimentent nos discussions. L’objectivité est supposément la vertu la plus importante d’un·e bon·ne journaliste : elle est évidemment cruciale, mais jusqu’où doit-elle s’étendre? Pendant la campagne du changement de nom des équipes sportives, il y a un an, plusieurs des publications étudiantes de McGill ont choisi de ne plus citer celui-ci puisqu’il était raciste et heurtait les étudiant·e·s autochtones. Était-ce un clair parti pris? Ne pas le faire l’aurait-il évité? Que veut-on dire lorsque l’on parle « d’objectivité journalistique »? Et peut-on y prétendre? Même dans le domaine des sciences, pourtant jugé comme on-ne-peut-plus objectif, le savoir soidisant neutre ou sans biais semble finalement être un produit de son contexte social (voir « Diversité et sciences », page 8). Ce que l’on considère « objectif » ne dépendrait-il pas de la crédibilité que l’on accorde à certains groupes d’une société? Ainsi, dans un système colonial, patriarcal et blanc, les discours considérés comme objectifs sont, en réalité, souvent gangrénés par les biais des groupes dominants. Il semblerait donc que

l’unique façon de réellement tendre vers l’« objectif » non-oppressif serait d’inclure équitablement toutes les voix dans la production de l’information, et ce, en sciences comme en journalisme. Toutefois, les tentatives de représentation de voix minoritaires se font souvent par l’élévation en symbole d’une unique voix d’un groupe marginalisé sans prise en compte de la multiplicité de vécus et d’opinions existant au sein de ces groupes. D’autre part, lorsqu’est finalement initié l’effort de faire entendre des voix minoritaires, même avec souci d’objectivité, les expériences de ces dernières tendent à être rapportées à de plus larges cadres socio-politiques d’analyses. Il faut alors faire attention à ne pas conceptualiser ces cadres de façon radicalement disjointes, sans jamais les croiser. Sans lecture transverse des mécanismes de domination qui existent dans nos sociétés, nous perpétuons la marginalisation de ceux·celles qui vivent aux intersections de multiples oppressions. La nécessité d’adopter un prisme intersectionnel et de ne pas céder à la facilité de la tokénisation est particulièrement urgente dans les milieux de création et de partage de l’information, en sciences comme en journalisme. D’autant plus, nous devons tous·tes dans nos discussions quotidiennes nous efforcer de prendre en compte ces réalités transverses et multiples pour tenter de saisir les parcours de vie de nos pair·e·s (voir « Toi et moi, la même chose », page 6). x

Actualités actualites@delitfrancais.com Hadrien Brachet Vacant Vacant Culture artsculture@delitfrancais.com Violette Drouin Niels Ulrich Société societe@delitfrancais.com Opinion - Jérémie-Clément Pallud Enquêtes - Juliette de Lamberterie Philosophie philosophie@delitfrancais.com Audrey Bourdon Coordonnatrice de la production production@delitfrancais.com Margaux Alfare Coordonnatrices visuel visuel@delitfrancais.com Katarina Mladenovicova Vacant Multimédias multimedias@delitfrancais.com Vacant Coordonnatrice de la correction correction@delitfrancais.com Florence Lavoie Vacant Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Coordonnateur·rice·s réseaux sociaux reso@delitfrancais.com Vacant Vacant Contributeurs·rices Hamza Bensouda, Jeanne Leblay, Antoine Milette-Gagnon, Olivier Turcotte Couverture Katarina Mladenovicova

BUREAU PUBLICITAIRE 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 0E7 Téléphone : +1 514 398-6790 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Représentante en ventes Letty Matteo Photocomposition Mathieu Ménard The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Eloïse Albaret Conseil d’administration de la SPD Johnathon Cruickshank, Éloïse Albaret,Grégoire Collet, Nelly Wat et Sébastien Oudin-Filipecki (chair)

Les opinions exprimées dans les pages du Délit sont celles de leurs auteur·e·s et ne reflètent pas les politiques ou les positions officielles de l’Université McGill. Le Délit n’est pas affilié à l’Université McGill.

2 Éditorial

L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavant réservés). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans le journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).

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Actualités actualites@delitfrancais.com

campus

Un voyage controversé

Retour sur les événements entourant les voyages gratuits en Israël. Antoine milette-gagnon

Contributeur

U

n voyage organisé par Hillel Montréal consistant en un séjour gratuit en Israël a causé beaucoup de débat à l’Université McGill le semestre dernier. Après une motion du conseil législatif de l’AÉUM (Association étudiante de l’Université McGill, SSMU en anglais) appelant à la démission d’une conseillère si elle participait au voyage, une intervention de l’administration mcgilloise et la non-ratification de la motion par le comité d’administration de l’AÉUM, Le Délit fait retour sur les événements ayant marqué l’actualité des dernières semaines. Voyages gratuits Début octobre, les membres de l’exécutif de l’AÉUM Sam Haward (vice-président aux Finances) et Sanchi Bhalla (vice-présidente aux Affaires internes) ainsi que d’autres acteurs étudiants à McGill ont reçu une offre d’une participation gratuite à un voyage en Israël de la part de Hillel Montréal, un groupe ayant pour but de favoriser l’engagement des étudiants juifs sur les campus montréalais, dont McGill. Les deux représentant·e·s ont refusé l’offre de Hillel Montréal. Parmi les autres acteurs ayant refusé l’offre se trouvent Tomas Jirousek, commissaire aux Affaires autochtones de l’AÉUM, ainsi que deux membres exécutifs du Black Student Network (BSN). L’affaire a été révélée par le McGill Daily dans un article coécrit par le McGill Students’ Chapter of Independent Jewish Voices ainsi que par Students in Solidarity for Palestinian Human Rights at McGill. Certains membres d’autres associations étudiantes comme l’AÉFA (Association étudiante de la Faculté des Arts, AUS en anglais) et de la SUS (Association étudiante de la Faculté des Sciences, SUS en anglais) ont également reçu une offre afin de participer à ce voyage. Dans l’invitation formelle offerte à Sam Haward et obtenue par le McGill Daily, Hillel Montréal décrit le voyage comme étant « un séminaire allant explorer l’histoire ancienne de la région et aborder des réalités politiques et religieuses nuancées sous des angles variés ». Conflit d’intérêts? L’offre de Hillel Montréal a été critiquée parmi les différentes associations étudiantes. En effet,

à l’AÉUM, l’offre a été mentionnée une première fois pendant le conseil législatif du 14 novembre 2019, soit le lendemain de la publication de l’article du McGill Daily. Un représentant du comité sénatorial, André Lametti, a d’abord soulevé la question à savoir si accepter l’offre de participer à ce voyage consistait en un conflit d’intérêts selon les politiques de l’AÉUM, questionnement également partagé par le vice-président aux Affaires externes Adam Gwiazda-Amsel, compte tenu de la nature politisée du débat entourant le conflit israélo-palestinien sur le campus. Le 28 novembre, au conseil législatif suivant, une motion présentée par le conseiller Jérémy Garneau appelait d’une part les participants au voyage à décliner l’offre, et d’autre part demandait la démission des membres du conseil d’administration (CA)de l’AÉUM désirant participer tout de

Mahaut engérant

« [la] motion appelait […] les participant·e·s au voyage à décliner l’offre et […] demandait la démission des membres du CA de l’AÉUM désirant participer tout de même au voyage » même au voyage. La motion indique que le voyage constitue un cadeau « d’une valeur plus que négligeable » et que les membres du conseil d’administration devraient le refuser pour éviter toute apparence de conflit d’intérêts. Toutefois, Bryan Buraga, le président de l’AÉUM, a expliqué que le CA, suite au conseil législatif du 14 novembre, avait établi que la participation au voyage n’était pas un conflit d’intérêt réel ou apparent selon les critères de la politique actuelle. S’en est suivi un très long débat sur la motion, qui a finalement été approuvée au conseil législatif. Seul le nom de Jordyn Wright, conseillère de la Faculté des sciences et membre du CA prévoyant participer au voyage, figurait sur la motion. Adin Chan, un autre étudiant membre du conseil législatif et du conseil d’administration prévoyant participer au voyage avait finalement décliné l’offre d’Hillel Montréal au moment du débat. Contacté par Le Délit, Chan a expliqué avoir d’abord annoncé à Hillel Montréal en privé qu’il déclinait l’offre le 15 novembre, avant d’annoncer à sa décision à l’AÉFA le 20 novembre, puis au CA le 21 novembre.

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Polarisation L’approbation de la motion a fait grand bruit sur le campus et au-dehors. En effet, Jordyn Wright, de confession juive, a dénoncé dans une publication sur Facebook ce qu’elle conçoit comme étant une attaque envers son identité juive et pro-Israël : « Le président de l’AÉUM m’a isolée et a encouragé d’autres à m’attaquer. Je suis la seule conseillère ciblée, malgré le fait qu’un autre conseiller non juif sera également du voyage. […] Ce n’est pas la première fois que des étudiants juifs à McGill sont intimidés au sein des gouvernements étudiants. » La conseillère a également dénoncé l’attitude de la SUS à son égard. « Le comité exécutif de l’Association étudiante de la Faculté des Sciences m’a lancé un ultimatum : ou bien je renonce au voyage, ou bien je renonce à ma position au sein du comité exécutif. Il y a une menace implicite de destitution au cas où je ne démissionnerais pas.» Le 1er décembre, une lettre ouverte publiée au sein du Bull and Bear signée par des conseillers de l’AÉUM dénonçait également la motion du conseil législatif et sa tentative « de retourner une décision du comité

Le harcèlement sexuel et la discrimination surviennent à McGill. Plaintes, questions, information. Nous vous croyons. Pour un soutien confidentiel, contactez-nous: Sexual Assault Center of McGill Students’ Society (Centre d’intervention en matière d’agression sexuelle)

680 rue Sherbrooke Ouest, bureau 150 (tout droit, aux portes vitrées) main@sacomss.org 514-398-8500 www.sacomss.org

SACOMSS Sexual Assault Center of the McGill Students’Society

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Actualités

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campus Suite de la page 3

Réunion d’urgence

d’administration déclarant qu’il n’y avait pas de conflit d’intérêts ».

Suivant le courriel, une réunion d’urgence du conseil d’administration de l’AÉUM a eu lieu le lundi 2 décembre. Le comité d’administration a pour tâche de ratifier les motions du conseil législatif pour leur donner valeur légale. Devant une galerie d’assistance exceptionnellement bondée, le conseil d’administration a essentiellement continué le débat du conseil législatif, à savoir si le conseil pouvait voter une motion de ce genre. Bryan Buraga a déclaré qu’il ne voyait pas comment ses commentaires ont pu être perçus comme des attaques personnelles à l’égard de la conseillère Wright. Il a par ailleurs qualifié le courriel de l’administration de « menace » et a dénoncé l’attitude d’ingérence de McGill dans le dossier.

L’administration de l’Université McGill a également pris part au débat. Dans un courriel envoyé à tous les étudiants le 2 décembre, Fabrice Labeau, premier vice-principal exécutif adjoint (études et vie étudiante), indique que « le

« Après deux heures de débat, le conseil d’administration a finalement décidé de ne pas ratifier la motion [du Conseil législatif]. » vote qui a eu lieu le 28 novembre dernier au sein du conseil législatif de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) nous [l’administration, ndlr] inquiète au plus haut point ». Critiquant la décision de l’AÉUM sur le sujet, Labeau a également déclaré que « la direction de l’Université McGill continue de suivre la situation de près et fera le nécessaire pour que ses étudiants se sentent en sécurité et exempts de harcèlement et, à cette fin, elle n’hésitera pas à tenir l’AÉUM responsable du respect des principes et des valeurs de sa propre constitution ».

Parmi l’assistance, un membre de Hillel Montréal a lu une déclaration écrite d’avance pour « dénoncer l’antisémitisme » de la motion et le fait de comparer Hillel Montréal « à un lobby ». Cette intervention a suscité de vives réactions au sein de la réunion, notamment dans l’assistance. Parmi celle-ci se trouvaient des étudiant·e·s solidaires envers les Palestiniens qui ont critiqué l’appel à l’antisémitisme, et ont déclaré qu’il est trop facile « d’utiliser l’antisémitisme comme un bouc émissaire ». Par ailleurs, ils ont également dénoncé l’attitude de McGill dans le dossier. Bien qu’ils soient d’accord avec le fait

de dénoncer l’intimidation et l’antisémitisme réellement présents pour les étudiants juifs, ils ont décrié le fait que l’expérience vécue et les difficultés des étudiants palestiniens et arabes ne soient pas entendues de la même façon.

clarifier que la motion ne visait pas Israël ou les étudiants juifs en particulier, mais que les voyages constituaient un cadeau dont la valeur dépasse 50 dollars, et qu’ils étaient donc soumis à la Conflict of Interest Policy. L’AÉUM explique

mahaut engérant Après deux heures de débat, le comité d’administration a finalement décidé de ne pas ratifier la motion. Le directeur Gwiazda-Amsel a expliqué qu’il n’était pas du ressort du conseil législatif de voter sur les conflits d’intérêts et que le comité se devait de ne pas ratifier la motion. Réactions Après le vote du comité d’administration, l’AÉUM a publié un communiqué expliquant le raisonnement derrière la décision. D’entrée de jeu, l’AÉUM a tenu à

également que « le comité d’administration, dans sa décision de ne pas ratifier la motion du conseil, reconnaît que bien que les membres du conseil ne soient pas satisfaits avec la présente portée de la politique de conflit d’intérêts, le conseil n’est pas le forum approprié pour aborder des enjeux de ressources humaines ». De plus, l’Association étudiante a tenu à exprimer son soutien auprès de la conseillère Jordyn Wright et a rappelé l’importance de la sécurité pour tous sur le campus. L’AÉUM a également critiqué le courriel de Labeau : « Bien que nous appréciions le soutien pour la sécurité des

étudiants juifs et pro-Israël sur le campus, un tel soutien n’a pas été démontré envers les étudiants palestiniens et arabes. » De son côté, l’AÉFA, dans un courriel envoyé aux étudiants le 3 décembre, a exprimé sa « profonde déception » de voir deux de ses membres, le représentant des arts Andrew Chase, et le vice-président aux finances Stefan Sujavac, participer au voyage en Israël. L’AÉFA a tenu « rappeler » que les actions des membres exécutifs « étaient dommageables pour les étudiants palestiniens sur le campus ». Enfin, le 19 décembre, un groupe de leaders étudiants de confession juive, dont les v.-p. Madeline Wilson et Adam Gwiazda-Amsel, a publié une lettre ouverte dans le McGill Tribune. Dans cette lettre, le groupe soutient que « bien que l’antisémitisme soit abject, les critiques entourant le voyage et ses conséquences ne constituent pas de l’antisémitisme ». Le groupe exprime également son inquiétude quant au financement du voyage par le Maccabbee Task Force, un organisme décrit par le groupe comme étant « explicitement Anti-BDS (Boycott, Divestement and Sanctions) », et aussi quant à la façon dont les « leaders étudiants » ont été ciblés par Hillel Montréal. Contacté par Le Délit, Hillel Montréal a indiqué que 20 étudiants mcgillois avaient finalement participé au voyage ayant eu lieu du 29 décembre 2019 au 8 janvier 2020. x

campus

Mi-mandat : Adam Gwiazda-Amsel Le Délit s’entretient avec le v.-p. externe de l’AÉUM.

hadrien brachet

Éditeur Actualités

L

courtoisie de l’AÉUM

e Délit a rencontré Adam Gwiazda-Amsel pour faire le point sur ses actions passées et futures en tant que vice-président externe. Il est responsable de la gestion des campagnes politiques et de la coordination des relations de l’AÉUM (Association étudiante de l’Université McGill) avec les associations étudiantes, les groupes communautaires et les syndicats d’ouvriers du campus. Le Délit (LD) : Lors de ton élection, tu t’étais engagé à développer des ressources pour que les francophones puissent plus facilement participer

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Actualités

à la vie étudiante, quelles sont tes actions en ce sens? Adam Gwiazda-Amsel (AG) : Le commissaire aux Affaires francophones joue un rôle important pour cela. Nous essayons de donner beaucoup plus de pouvoir à nos commissaires. L’un des objectifs principaux pour les étudiantes et étudiants francophones est la révision de nos processus de traduction. Il va aussi y avoir une représentation francophone au conseil législatif. D’autre part, cette année, nous travaillons beaucoup plus avec les associations francophones. Par exemple, presque toute la manifestation contre la loi 21 (qui aura lieu le vendredi 17 janvier à midi, ndlr) va se dérouler en français, ce qui permet aux francophones de s’impliquer plus. LD : Un autre de tes objectifs lors de ton élection était de permettre à toutes les voix d’être entendues sur le campus. Comment agis-tu pour cela? AG : Encore une fois, cela passe d’abord par l’accroissement du pou-

voir des commissions de l’AÉUM qui regroupent différents acteurs sur les campus en leur donnant un pouvoir budgétaire et en leur permettant d’utiliser les plateformes de l’AÉUM pour élever ces voix. Il faut bien sûr parler de la question de l’accessibilité, car tout le monde ne se sent pas confortable de s’introduire dans ces espaces. Je suis vraiment à l’écoute des suggestions des commissaires et des équipes qui travaillent avec les étudiantes et étudiants, notamment la commission d’équité. Enfin, j’ai fait le tour de différentes associations facultaires pour leur demander ce sur quoi elles souhaitaient que je mobilise : il s’agit surtout de l’environnement et de la loi 21. LD : En parlant d’environnement, en octobre dernier, l’AÉUM a approuvé un moratoire bloquant tout nouveau frais institutionnel obligatoire jusqu’à ce que l’Université McGill retire les actions de son fonds de dotation des 200 plus importantes compagnies d’énergies fossiles. Quel a été l’impact du moratoire?

AG : On observe déjà que l’Université repense sérieusement sa capacité à prendre de l’argent aux étudiantes et étudiants des différentes communautés sans le justifier. Cela a créé des inquiétudes au niveau de l’administration, par rapport au nouveau projet d’e-counselling et au projet Fiat Lux concernant la rénovation de la bibliothèque McLennan Redpath. Cela crée des pressions. LD : La loi 21 est au cœur de l’actualité étudiante. Comment te positionnes-tu en tant que v.-p. face à cela? AG : En les consultant, les différentes associations et groupes communautaires m’ont indiqué vouloir être inclus à la conversation et pouvoir relayer certains messages. Cela montre au gouvernement que les jeunes ne partagent pas la même vision du Québec. Nous ne voulons pas d’un Québec discriminatoire et anti-migratoire. Une grande manifestation contre la loi 21 va avoir lieu [ce vendredi] à 12h, de McTavish jusqu’au ministère de l’Immigration.

LD : Pour terminer, y a-t-il d’autres projets à venir ce semestre dont tu souhaiterais parler? AG : Oui! D’abord, nous travaillons sur le logement abordable. Les étudiantes et étudiants du Québec et du Canada paient plus pour leur logement que pour leurs frais de scolarité. Un comité de logement abordable a été mis en place en octobre. Des consultations et des travaux ont déjà débuté. Une assemblée publique aura lieu le 27 janvier à 17h au 3590 rue Jeanne-Mance dans un espace utilisé par la communauté Milton-Parc pour promouvoir les différentes approches au logement abordable. Un autre projet vise à reprendre les conversations autour du plan stratégique académique de McGill. C’est un document de quatre pages qui dicte où va le budget de l’Université. L’objectif est d’améliorer l’ouverture de McGill à la communauté de Montréal, en intégrant cette approche communautaire dans les cours. x

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photoreportage

Opposition aux pipelines La communauté mcgilloise affiche son soutien à la nation Wet’suwet’en. Katarina Mladenovicova

Coordonnatrice visuel

L

e vendredi 10 janvier dernier, plusieurs dizaines d’étudiant·e·s se sont rassemblé·e·s au cœur du campus pour montrer leur soutien aux camps de Unist’ot’en et aux chefs héréditaires des cinq clans Wet’suwet’en. Le rassemblement, organisé par l’Alliance des étudiant·e·s autochtones (Indigenous Students Alliance en anglais), a dénoncé une incursion illégale du gazoduc de Coastal

GasLink, fracturé dans le nord de la Colombie Britannique. L’évènement a été ouvert par un chant traditionnel, suivi par l’arrivée de Marlene Hale, une activiste de la nation Wet’suwet’en dont le discours a non seulement exprimé la violation des droits de l’Homme en cours en Colombie-Britannique, mais également appelé à une solidarité face à toute autre violation de ces droits dans le monde.

Un territoire en danger Le 31 décembre 2019, la juge Marguerite Church de la Cour suprême de la Colombie-Britannique a délivré une injonction contre les membres de la nation Wet’suwet’en qui ont assuré l’intendance et la protection des territoires traditionnels autochtones contre la destruction occasionnée par de multiples

pipelines, y compris le pipeline de gaz naturel liquéfié (GNL) de Coastal GasLink (CGL). Selon les chefs héréditaires des cinq clans Wet’suwet’en, la décision de l’État va à l’encontre des Anuk ‘nu’at’en, les lois Wet’suwet’en. Les chefs héréditaires ont émis et appliqué une ordonnance d’expulsion des travailleur·euse·s de CGL du territoire en conformité avec leur loi. Le dernier

entrepreneur de CGL a été escorté hors du territoire par les chefs Wet’suwet’en le samedi 4 janvier. Les évènements ont donné lieu à des mobilisations dans tout le Canada, dénonçant des violences injustes exercées sur les communautés autochtones par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) sur leurs terres. x

Photos par Katarina Mladenovicova

Coordonnatrice visuel

McGill en deuil

Campus

Une étudiante et deux diplômés figurent parmi les victimes de l’écrasement en Iran. Éditeur Actualités

comptaient rallier le Canada via une escale à Kiev.

e 8 janvier, le vol PS752, un Boeing de la compagnie Ukraine International Airlines, s’écrasait à Téhéran, ôtant la vie à 176 personnes. Si 63 étaient de nationalité canadienne, au total, 138

Parmi les victimes figurent une étudiante ainsi que deux diplômés de McGill. Le drapeau de l’Université a été mis en berne et, dans un courriel envoyé à la communauté mcgilloise, la principale Suzanne Fortier adressait

hadrien brachet

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les « plus sincères condoléances aux parents et amis des personnes décédées, à la communauté irano-canadienne ainsi qu’aux autres universités ayant perdu des leurs dans cet écrasement ». Une veillée s’est tenue le 9 janvier près de l’Université Concordia en hommage aux 176 personnes dis-

parues. Une foule compacte s’est rassemblée pour se recueillir, déposer bougies et roses blanches et écouter les témoignages de proches des victimes. Si les circonstances de l’écrasement demeurent encore incertaines, Justin Trudeau a affirmé disposer d’informations indiquant

que le Boeing 737 avait été « abattu par un missile sol-air iranien ». Après avoir rejeté l’hypothèse d’un tir de missile, l’Iran a finalement reconnu le 11 janvier avoir abattu l’avion par erreur. Les universités canadiennes observeront un moment de silence le 15 janvier à 13h. x

Actualités

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Société Point de vue

societe@delitfrancais.com

Toi et moi, la même chose?

Apprenons à intégrer l’intersectionnalité dans nos conversations quotidiennes. hamza bensouda

Contributeur

L

es discussions s’enchaînaient depuis quelques minutes déjà sans que je ne prête de réelle attention aux dires des uns et des autres, alors que le cours semblait prendre fin. C’est d’ailleurs intéressant de tendre l’oreille à la sortie d’une conférence pour tenter d’attraper les mots des étudiant·e·s fatigué·e·s ou à la curiosité excitée après les deux longues heures de présentation. Celui·celle qui se prêterait à l’exercice pourrait entendre toutes sortes d’anecdotes, allant de lamentations face à la cinquantaine de pages à lire pour la semaine prochaine à des complaintes sur l’écrasante froideur de ce début d’année. Ou encore, l’on pourrait se confronter à des sujets un peu plus irritants, à des déclarations à demi-mot qui vous frôlent et qui, dans mon cas, vous glacent bien plus le sang que les températures affreusement basses, pour un étudiant marocain en échange. Parmi ces déclarations, des polémiques sur le désinvestissement des énergies fossiles à McGill ou encore les derniers souffles des troubles autour de l’affaire Hillel. En sortant du cours, une autre discussion me surprit : « Ce n’est pas parce que je suis blanc que je ne ressens rien comme les autres, je suis blanc et gay. Donc, toi, mon pote noir et gay, je peux te comprendre », ce à quoi l’autre répond : « On n’a pas le même parcours. Ce n’est pas parce que tu es gay que tu peux tout comprendre. » Dans le cas de cette phrase, c’est peut-être le manque de recul avant de la prononcer qui releva mon attention, une absence de considération que l’on peut résumer par : « Je ne suis pas que blanc, je suis aussi gay, et de ce fait je peux comprendre la perspective d’une personne noire gay. » Les implications et les conséquences de ces idées m’ont semblé former un sujet parfait à étudier et à déconstruire, ce à quoi je veux m’appliquer ici. Redéfinir le pouvoir La discussion n’était pas achevée et, tel un stalker qui n’avait rien de mieux à faire (ou un étudiant en échange dont les notes ne comptent pas), j’avais décidé de continuer mon examen de la discussion où d’autres arguments suivirent sous les paroles du jeune homme : « D’accord, je suis blanc mais je suis gay. Tu vois bien que je peux mieux te comprendre qu’un autre qui est [seulement] noir puisque tu es gay ».

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Société

Ce qui dérange dans cette phrase, mise à part l’évidente poussée d’égo chez cet étudiant prétendant « mieux » comprendre, c’est évidemment l’idée de hiérarchisation. La démarche peut être analysée aisément. En effet, en agrégeant « blanc » et « gay », l’étudiant tente de montrer la complexité de sa personne et de s’insérer dans une identité plurielle et multiple où il est positionné comme dominant de fait d’être « blanc » et dominé au regard de son identité sexuelle opposée à la norme hétérosexuelle environnante. Cette démarche n’est pas étrangère à la sociologie puisqu’elle fait écho à la théorie de l’intersectionnalité de Kimberlé

n’appelle pas dans sa vision à créer une hiérarchie où une identité comprend « mieux » une autre. Au contraire, elle appelle à une réflexion globale et plus profonde de la personne comme porteuse d’identités multiples, connectées, soumises à des schémas de domination ou en faisant partie. Ainsi, l’étudiant peut certes comprendre, ou de manière plus juste, identifier certains des maux d’un·e autre qui porte une identité sexuelle semblable, mais celui-ci doit aussi considérer le reste des identités de son·sa interlocuteur·rice, qui altèrent justement la perfection de sa compréhension : sa couleur de peau, son milieu socioprofes-

Leclerc, 2013, ndlr): « Le Blanc ne sait pas qu’il est blanc, puisqu’il représente la norme. Or, pour détruire la couleur, il faut la nommer. » Les auteurs poursuivent dans une mise en abyme de l’expression « blanc » : parle-t-on de la couleur au sens strict, par rapport aux autres? Parle-t-on de l’hégémonie d’une culture européenne ou nord-américaine sur d’autres? S’adresse-t-on à l’idée du privilège blanc ? La sociologie politique, la philosophie et, bien sûr, les domaines de l’identité tentent de différencier les manières d’interprétation de cette phrase. Généralement, dans le langage courant, « Je suis blanc » semble souvent noter, dans le milieu uni-

Béatrice malleret Crenshaw. Celle-ci désigne ainsi l’interconnectivité d’identités multiples s’agrégeant pour expliquer les effets de schémas de domination sur des individus différemment positionnés. En somme, si l’on venait à appliquer cet exposé au discours présenté, l’étudiant en question se présente comme « blanc » mais aussi comme « gay », ce qui peut, selon lui, expliquer la compréhension des maux de l’autre parce qu’ils sont tous deux soumis à la norme hétérocentrée de la société. Pourtant, cet argumentaire a une limite très claire : appliquer la théorie, c’est appliquer l’esprit de celle-ci, ses contingences et ses altérités. L’intersectionnalité

« La hiérarchisation des peines est inutile, la compréhension des histoires personnelles variantes est capitale » sionnel, son niveau d’éducation, ses origines, sa religion, son espace d’évolution…

versitaire, à la compréhension d’un modèle de pouvoir ou de privilèges sur d’autres identités.

De la blancheur floue

Alors, comme je ne savais pas trop ce qu’il voulait dire, j’ai décidé de lui poser la question, ce à quoi il répondit : « [Être blanc], c’est être privilégié par les constructions sociales et politiques dans les pays où les autres sont immigrés ou non majoritaires. » Une définition complexe, miroir de l’étudiant en science politique. Ce qui est intéressant, c’est

Une autre remarque frappe l’esprit de quiconque tente de comprendre les implications de ces élocutions : le mot « blanc » dont les lignes de définition sont floues et variables. Justement amené dans Quand je suis devenu blanc (Magyd Cherfi, entretien avec Thierry

évidemment le paradoxe posé par ses propos : s’il comprend l’esprit de domination qui peut s’allier avec son milieu et qui lui donne plus de chances que les Noirs, les Arabes (catégories stéréotypées qu’il m’énonçait quelques instants plus tard), il doit donc comprendre que même en étant gay, il est différent d’être gay et noir que d’être gay et blanc. Une lecture intersectionnelle se fonde sur la reconnaissance de récits individuels divergents. La hiérarchisation des peines est inutile, la compréhension des histoires personnelles variantes est capitale. Des histoires pour saisir le monde Dans ces discussions, il faut se poser la question de l’intention, de l’utilité et du rapport de la personne à la question. Il est certain que cet étudiant est dans l’exercice d’une stratégie négligée et imparfaite de rapprochement avec l’autre. Ses premiers cheminements peuvent apparaître ballants et maladroits car il semble omettre l’histoire personnelle de l’autre. En soi, il est important, dans une vision intersectionnelle, de pouvoir s’identifier aux autres identités portées par un individu, surtout quand vient le moment de défendre des droits et libertés remis en cause par le pouvoir injustifiable d’autres tendances dominatrices (machisme, hétérocentrisme, racisme…). Dans tous les cas, il est nécessaire de comprendre que c’est par cette discussion que l’on nuance une interprétation stricte et involontairement ignorante de l’histoire de l’autre, de la complexité des identités humaines et des racines historiques, sociales ou politiques qu’elles peuvent porter. Par la discussion intéressée et ouverte dans une idée d’échange, de compréhension et de respect, les esprits éclairent de nouveaux compartiments de pensée. Ils créent de nouvelles liaisons avec les modèles auxquels ils sont confrontés chaque jour et peuvent alors saisir une partie des implications d’un mot, d’une idée ou d’une simple phrase, aussi banale qu’elle soit, ainsi prononcée à la fin d’un cours, habituelle qu’elle soit pour un·e étudiant·e universitaire. « Je ne vivrai jamais aussi sensiblement ce que tu as vécu, je peux comprendre les schémas qui nous réunissent et je peux respecter la différence qui nous enrichit tout en la reconnaissant », lui répondait alors l’étudiant après avoir passé une vingtaine de minutes à échanger. x

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point de vue

Gueule de bois à durée indéterminée À la recherche d’un discours de gauche.

O

lympe de Gouges écrivait sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne il y a trois siècles. Pourtant, on n’est toujours pas foutu d’atteindre l’égalité des genres, le racisme est comme une veille photo de famille qu’on dépoussière tous les ans, et l’Histoire un livre qu’on a acheté, mais qu’on s’est secrètement promis de ne jamais lire.

« Qui s’informe? Qui doute? Qui ose penser? »

Et pourtant…

Gueule de bois À quoi bon se battre quand on voit que les discours dominants ne remettent pas en question des préjugés datant de l’Antiquité? Quand les deux campagnes Brexit et Bremain n’ont jamais remis en question l’idée que plus d’immigration équivaut à plus de problèmes, quand jamais la Turquie n’a été décrite comme autre chose qu’une bande de barbares prêts à envahir les pauvres Britanniques? Quand on voit que la première revendication de Cameron après le Brexit est d’exiger une baisse de l’immigration à Bruxelles? À quoi bon quand on sait que la Grande-Bretagne a toujours été une terre hostile à l’immigration, même à l’intérieur de l’Europe? Qui s’informe? Qui doute? Qui ose penser?

Quelle gauche mondiale? À quoi bon quand la gauche française se métamorphose en gelée au discours vide, à quoi bon quand elle ne parle plus d’égalité, de solidarité, d’anti-racisme, d’antisexisme, d’anti-austérité, ou de préserver l’environnement? À quoi bon quand les seuls mouvements de contestation intéressants, qui ne reposent pas sur une xénophobie exacerbée, se trouvent dans des pays auxquels on ne daigne plus porter attention et dont on jugule l’économie, avec une monnaie dont l’utilité n’est plus remise en question que par les extrêmes comme en Espagne ou en Grèce? À quoi bon quand les migrants crèvent aux frontières et qu’on ne trouve pas mieux que de les « renvoyer» à l’indifférence générale, comme s’ils allaient magiquement voler vers d’autres contrées et non pas se faire passer à tabac puis pousser dans des embarcations, direction Turquie? Dans ce pays « sûr» les attend une nouvelle guerre avec les populations kurdes, les mêmes bouchers islamiques, et un président aux airs se confirmant chaque jour autoritaires. À quoi bon quand l’Australie transforme ses îles au large en camps limbesques pour demandeurs d’exil, les poussant à se suicider de façon toujours plus ignoble, à l’indifférence internationale totale? Où est passée toute compassion? Où est passée toute réflexion? À quoi bon quand on sait que le génocide des populations américaines autochtones n’a jamais été source de grande culpabilité? À quoi bon quand on sait que l’Holocauste a plus été arrêté par intérêt économique américain en Europe que par réel souci éthique? Quelle éthique créons-nous? Quelle éthique nous intéresse?

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Et pourtant si la force éthique du devoir d’assistance à personnes cherchant l’asile depuis des pays en ruines ne convainc pas, l’Europe pourrait se trouver des intérêts économiques et idéologiques qui lui parlent. Le projet européen perd du souffle parce qu’il a perdu son temps à se vendre en tant que continent blanc, chrétien, aux supposés antipodes de la Turquie pour mieux l’empêcher d’y entrer, pour mieux s’empêcher de se demander quels ont toujours été nos échanges avec l’Afrique du Nord et le MoyenOrient, pour mieux oublier que l’Europe a un temps été le bassin méditerranéen sous les Romains, que les Arabes ont envahi une partie pour ensuite être envahis par l’Europe. Ouvrir les frontières de l’Europe est probablement le seul espoir d’en faire un continent enfin adapté à la mondialisation, et de rajeunir une population vieillissante. Au lieu de quoi, on se terre dans nos idées de la « nation » et de nos concepts de souveraineté aux relents nauséabonds.

« Où est passée toute compassion? Où est passée toute réflexion? »

« Quelle éthique créons-nous? Quelle éthique nous intéresse? »

Pourquoi écrire encore? En attendant, on déroule partout le tapis rouge pour les xénophobes, les oligarques, les radicalismes les plus glaçants. Pourquoi se fatiguer? Des millions de penseurs ont écrit avant, des millions écriront dans le futur, des conneries, des choses mille fois mieux écrites, des argumentaires plus brodés, des recherches plus approfondies… Quel est l’intérêt? Écrire, toujours écrire, mais pour qui? Pour quoi? Je sais que mes amis Facebook lisent les mêmes articles, partagent les mêmes opinions, sont des mêmes milieux sociaux que moi, qui est-ce que je touche? Qui est-ce que je change? La vérité est vieille des siècles qui l’ont rabrouée, les gens n’ont juste pas voulu lire, pas voulu s’informer, pas voulu faire attention. En même temps, pourquoi les blâmerais-je? C’est tellement plus simple, tellement plus agréable, après tout on crèvera probablement tranquilles dans notre lit coulés sous nos mythes et on n’en sera pas moins malheureux. Lire, s’informer, douter, à quoi bon quand on atteint un niveau de vie suffisant pour ne plus à avoir à se préoccuper de grand-chose en dehors du prix de la bouffe locale et de l’Euro 2016? Au final, toute cette misère, elle nous donnera une petite frousse, comme un feuilleton des Kardashian avec un peu plus de piquant, une sorte de Hunger Games version mondiale. Quelle éclate!

Texte

Arno pedram

Visuel

Évangéline durand-allizé

société

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Philosophie portrait de philosophes

philosophie@delitfrancais.com

« La vérification ressemble à la sélection naturelle : elle choisit la plus viable parmi les possibilités de fait existant dans une situation historique particulière. » Thomas S. Kuhn

Diversité et sciences Favoriser l’objectivité scientifique par l’inclusion.

audrey bourdon

Éditrice philosophie

P

ourquoi l’évolution des espèces expliquée par Darwin ne prend-elle en compte que les mâles de chaque espèce? Pourquoi les médicaments ne sont-ils testés que sur des souris mâles et ensuite prescrits à des femmes? Ces questions ont intéressé la philosophie des sciences, qui constate que ce n’est qu’avec l’apparition de points de vue féminins (et bien souvent féministes) que les biais de ces manières de penser ont été enfin exposés au sein des communautés scientifiques. S’il semble que la tenue des sciences modernes abrite un sexisme insidieux, celui-ci ne se dévoilerait que lorsque les points de vue divergeant de ceux de la majorité des scientifiques se feraient entendre. C’est du moins la thèse défendue par Helen Longino et Kathleen Okruhlik, deux philosophes s’étant intéressées à la place de la subjectivité dans la conduite objective des sciences. L’objectivité scientifique prend toute son importance dans les sciences en vertu de la crédibilité que l’on accorde aux scientifiques d’une communauté. Toutefois, il semblerait que le critère de l’objectivité — ce que défendent les deux philosophes — en serait un communautaire et non individuel. En ce sens, comment pourrions-nous atteindre cette fameuse objectivité scientifique? Leur proposition est simple : ce processus passe par l’inclusion de points de vue différents qui permettent de tendre vers une science dépourvue de biais. La communauté Afin de comprendre la solution de Longino et Okrhulik, commençons par voir en quoi la science peut être un phénomène social. Longtemps a-t-il été pensé — et encore aujourd’hui — que la science consiste en une accumulation des savoirs. Toutefois, nous savons depuis les travaux de Gaston Bachelard et de Thomas Kuhn que la connaissance scientifique se déploie plutôt selon des logiques de rupture alimentées par des éléments communautaires. Subséquemment, Longino nous rappelle quant à elle que c’est l’aspect social qui mène au savoir scientifique : la démarche scientifique est une combinaison d’interactions entre modèles et nature et la production de

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Philosophie

théories. Le savoir scientifique est produit, non pas en additionnant les savoirs individuels de tous, mais à travers un processus critique menant à des modifications par le reste de la communauté. Ainsi, toute tentative de rendre objective la science devra se faire au niveau de cette même communauté. Voyons l’exemple de la vérification par les pairs. Cette étape du processus de publication scientifique consiste en la relecture de recherches par les pairs avant leur publication, ceci afin d’émettre leurs critiques et commentaires. Ce processus mène ainsi à la production d’un savoir scientifique de manière sociale, cela alors que les différents points de vue se mélangent et se confrontent. C’est donc que la critique contribue à l’objectivité. Toutefois, pour cela, encore faut-il que les scientifiques démontrent une ouverture à cette critique et que s’engage une transformation de la science en réponse à celle-ci. Ainsi Longino parvient-elle à sa conclusion : plus le nombre de points de vue différents est grand au sein d’une communauté, plus objective cette dernière sera-t-elle. Présence du féminin Nous voyons bien que les présuppositions sexistes en science guident les questions que l’on pose, les hypothèses que l’on étudie et les données que l’on ignore pour cause « d’insignifiance ». Okruhlik soutient que les standards scientifiques sont tachés par des biais androcentriques. Cela expliquerait pourquoi certaines hypothèses semblent survivre à toute tentative de falsification : les présuppositions contre les femmes guident les scientifiques à rejeter les données n’allant pas dans la direction favorisant les hommes. Il a par exemple été assumé depuis longtemps que les hommes avaient une meilleure conception spatiale et mathématique ; les explications proposées qui avantageaient plutôt les femmes ont été rejetées rapidement. C’est le pouvoir de l’idéologie que l’on voit à l’œuvre. La philosophe y voit les dessous des biais androcentriques ayant empêché des applications scientifiques rigoureuses ; en effet, ce n’est qu’avec l’inclusion des points de vue féministes que les biais se révèlent à nous. Ce n’est qu’ensuite qu’il nous sera possible de les éliminer.

Une question de méthode Il serait possible d’envisager que l’objectivité de la méthode scientifique se suffirait à ellemême. Okruhlik pense autrement. Elle argumente que rien ne protège le contenu scientifique des influences sociologiques à partir du moment où l’on reconnaît que celles-ci affectent la création même des théories. En effet, nous pourrions concéder que le choix d’une théorie signifierait sa supériorité épistémologique sur les autres théories disponibles. Or, tous ces choix ont été marqués par des facteurs sociologiques et rien dans le mécanisme entourant le choix d’une théorie ne pourrait « purifier » une théorie choisie. C’est peut-être le tragique de la méthode scientifique, pour autant qu’elle comporte des humains et leurs propres biais. Par exemple, avec le sexisme en science, la théorie choisie sera la meilleure parmi les choix sexistes ; le contenu même de la science sera sexiste, les hypothèses rivales — non-sexistes dans ce cas — ne seront même pas générées. Ces biais en vont de la génération même de nouvelles théories. En bref, même en assurant la transcendance de la méthode, le savoir scientifique ne pourra qu’être radicalement lié à la culture, cela même parce que la méthode scientifique se développe autour d’individus liés à la culture. Aucune rééducation individuelle ne pourrait se faire à l’avance et cette problématique ne peut être adressée qu’au niveau communautaire, avec l’inclusion des points de vue différents. Légitimité épistémologique Il est certain que, en ce qui concerne la critique par les pairs, l’on peut rencontrer un problème : si les révisions ne sont apportées que par des collègues appartenant au même « mouvement de pensée », ou au même « cercle », il en va de soi que les commentaires iront plutôt dans la même direction que l’article en voie de publication, et que peu de « transformation » en résultera. On voit alors que la subjectivité d’un individu peut s’étendre à la grandeur de la communauté scientifique. En effet, l’absence de critères clairs ne permet pas de déterminer lorsqu’une communauté n’a plus de légitimité épistémologique. Il n’est pas évident de dire à quel moment une communauté entière est biaisée, en cela que tous

Héraclite, dans « l’École d’athènes » (Raphaël) les points de vue « différents » ont quand même une ou plusieurs présuppositions « voilées » qui affectent toute la démarche scientifique. Nous pourrions reprendre les exemples brièvement mentionnés par Longino à propos des sciences nazie et soviétique sous Staline. Ces communautés avaient un degré d’objectivité moindre en raison des biais les composant. Pourtant, aucun critère n’a permis de déterminer à quel moment leur science cessa d’être objective. Il en est de même du sexisme dans les sciences contemporaines. Aucune ouverture ne permettait alors de remarquer que toute la science était biaisée ; les scientifiques s’éperdaient à démontrer la supériorité intellectuelle des hommes sur la simple base de leur sexisme. Il faut comprendre que le critère philosophique de l’objectivité repose sur un processus et non sur un seuil. Les communautés scientifiques tendent toujours vers l’objectivité ; il n’y a pas d’atteinte de cette objectivité en soi. Il faut donc considérer les communautés qui auraient

perdu leur légitimité épistémologique comme étant toujours en processus vers l’objectivité. Si l’on revient au cas du sexisme, c’est lorsque, enfin, des voix féminines ont pu être écoutées par la communauté que les théories sexistes ont pu être vues comme telles. Fondamentalement, des hypothèses sont falsifiées par l’entrée en jeu de nouveaux points de vue et ces points de vue ajoutent une complémentarité à la méthode. Ainsi, l’objectivité se révèle être un travail constant, et non un but. Nous pouvons conclure que les communautés scientifiques bénéficieraient à écouter davantage les voix marginalisées, les points de vue divergeant des opinions majoritaires. Moyennant une éducation et/ou une formation équivalente aux autres membres de la communauté lui valant une légitimité scientifique, toute voix devrait se voir accorder une égalité intellectuelle. Ce n’est qu’en tentant d’inclure le plus de diversité possible que les communautés scientifiques pourront prétendre à l’objectivité. x

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Culture artsculture@delitfrancais.com

violette drouin Niels ulrich

Éditeur·rice·s Culture

cinéma

BOW’T TRAIL Retrospek

Espace Libre Assistez à une chorégraphie documentaire inspirée de plusieurs cultures afrodescendantes, présentée avec projections numériquesréception qu'elle aura reçue en 2002. x

Les Hirondelles de Kaboul

Maison 4 :3 Le film d’animation de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec dépeint l’histoire de Mohsen et Zunaira durant l’été 1998 à Kaboul, alors occupée par les talibans. x

cinéma

Du 27 janvier au 4 février

Société des arts technologiques Dansez au son de la musique électronique et sous les projections 360 degrés sur le dôme de la Société des arts technologiques. x

À partir du 16 janvier

DÔMESICLE 2020

Du 22 au 25 janvier

évènements danse À partir du 17 janvier

Du 11 janvier au 22 février

Calendrier culturel

poésie Si je reste

La Chapelle Assistez à une fusion de musique et poésie portant sur le chaos et le désenchantement que ressent l’artiste Queen Ka. x

A.L.M.A

Occurence Espace d’art et d’essai contemporain A.L.M.A est une exposition de Jean Maxime Dufresne mettant en scène les excès et les défaillances de l’usage des ressources par les sphères de pouvoir d’une ville. L'artiste, diplômé en architecture à McGill utilise une large variété de techniques, allant de la photographie à l'installation. x

exposition

Le fantastique renouvelé

Le Prince des Dragons se démarque par sa beauté et ses personnages. niels ulrich

Éditeur Culture

L

a saison trois du Prince des Dragons est sortie en novembre 2019 sur la plateforme de vidéos à la demande Netflix. Le dessin animé, dont la première saison a été mise en ligne en septembre 2018, est créé par Aaron Ehasz et Justin Richmond. Le premier a d’ailleurs participé à l’écriture et la production du dessin animé Avatar, le dernier maître de l’air, ce qui se ressent clairement dans l’animation du Prince des Dragons. Un jeu vidéo s’inspirant de l’univers de la série serait également en cours de développement. Un récit fantastique Les spectateur·rice·s suivent l’évolution des princes Ezran et son demi-frère Callum dans l’univers fantastique de Xadia, entre les royaumes humains et les terres magiques. Les humains n’ont pas accès naturellement à la magie, mais ont réussi à détourner une autre source de pouvoir : la magie noire, qui tire sa puissance de l’essence vitale d’êtres vivants. Suite à cette découverte, les elfes et les dragons ont divisé le continent en deux, isolant les humains. La frontière entre les deux parties du continent est gardée par le roi des dragons Avizandum. Ce dernier est alors tué par le père des deux protagonistes et son conseiller Viren. L’œuf du roi des dragons est également déclaré détruit. Ainsi, une mission de vengeance est lancée par les elfes pour assassiner le roi Harrow et son fils Ezran. Cependant, au cours de cette

mission, l’une des elfes envoyées pour venger Avizandum, Rayla, ainsi que les deux princes, découvrent que l’œuf de dragon n’a pas été détruit, mais plutôt volé par Viren, le conseiller du roi. Ils et elle décident alors de ramener cet œuf à sa mère, la reine des dragons, afin de restaurer la paix sur le continent.

qu’une personne sourde, parlant le langage des signes. Ces personnages occupent d’ailleurs des rôles importants dans la narration et ne sont pas relégués à des occupations hiérarchiques inférieures ou des rôles stéréotypés. Au contraire, ces personnages sont des reines, des rois, des commandant·e·s.

Si l’intrigue regroupe de nombreux éléments classiques du genre fantastique, le Prince des Dragons se démarque tout de même sur plusieurs aspects, tout d’abord du point de vue des images et de la réalisation. Les paysages et les personnages sont remarquablement réalisés et la série présente une véritable cohérence esthétique. La série utilise une animation tridimensionnelle pour les personnages, ainsi qu’un mélange entre de la modélisation 3D et de la peinture. Si l’animation paraît quelque peu hachée dans la première saison à cause d’une fréquence d’image faible, cela est ensuite corrigé dans les saisons suivantes.

Dans de nombreux cas, les humains montrés dans les univers fantastiques sont des personnes blanches, cisgenres, hétérosexuelles. Ces personnes représentent alors de manière universelle les « humains », en opposition aux personnages et créatures fantastiques. Ces derniers témoignent d’ailleurs souvent des caractéristiques associées à des groupes minoritaires, utilisées afin de faire ressortir les traits négatifs ou « étrangers » de ces personnages non-humains. Le Prince des Dragons, au contraire, présente une réflexion sur la place et la nature des humains, vus comme intrinsèquement mauvais par les autres personnages, en raison de leur usage de la magie noire et des conséquences de cette dernière. Le rapport de force traditionnellement observé dans ce genre de récit est ainsi remis en cause, la « norme » humaine n’étant pas considérée comme naturellement bonne, à l’opposé de ceux qui n’y correspondent pas.

Représentations Un autre aspect remarquable du Prince des Dragons est la diversité des personnages. C’est d’ailleurs l’un des objectifs principaux de la série selon Aaron Ehasz : « créer un monde fantastique qui paraît plus divers et représentatif que les autres mondes fantastiques et les histoires vues dans le passé », le but étant de permettre à « plus de personnes de se voir représentées à l’écran et s’identifier aux personnages. » Le dessin animé présente ainsi des personnages racisés, LGBTQ+ ainsi

le délit · mardi 14 janvier 2020 · delitfrancais.com

L’idée de représentation dans un dessin animé est importante de par la portée qu’il peut avoir : le Prince des Dragons reste accessible et destiné à un public jeune. Les épisodes courts de vingt-cinq minutes apportent de la clarté

Wonderstorm/Netflix

à l’histoire, mais cette dernière reste tout de même assez complète

pour s’adresser également à une audience plus adulte. x

culture

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cinéma

Chronique de la misère

Avec Les Misérables, Ladj Ly dépeint le quotidien d’une banlieue populaire. nopole de la violence légitime », les forces de l’ordre n’étant qu’une source d’autorité parmi d’autres. Dès lors, comment des enfants peuvent-ils grandir autrement qu’en développant une défiance généralisée et une haine de l’État ?

jeanne leblay

Contributrice

P

remier long métrage de fiction du réalisateur français Ladj Ly, Les Misérables est un drame social qui relate le quotidien violent d’une cité de banlieue. La référence à Victor Hugo est triple : dans le titre, dans le thème et dans le cadre spatial. Montfermeil, et plus particulièrement sa cité des Bosquets, représente en effet la banlieue populaire du nord de Paris. Ladj Ly y a lui-même grandi et souhaite traduire à nouveau la misère sociale et le sentiment d’enfermement qui caractérisent ce quartier. Une histoire de bavure policière La caméra suit l’histoire de Stéphane, un policier de région qui intègre la brigade anticriminalité (BAC) de Montfermeil. Il y rencontre ses coéquipiers Chris et Gwada dont les personnalités hésitent entre tête à claques et médiateurs. L’équipe est contactée lors d’un accrochage entre les gitans d’un cirque et les habitants de la cité, les premiers accusant les seconds d’avoir volé un lionceau. Chris promet de s’occuper de l’af-

Une chronique sociale maîtrisée

Courtoisie de le pacte faire pour éviter une altercation entre les deux groupes, mais tout dérape lorsque, au cours d’une course poursuite avec des enfants de la cité soupçonnés d’être responsables du vol, Gwada tire à bout portant sur l’un d’eux au lanceur de balles de défense. La tension grandit quand le trio s’aperçoit que cette bavure policière est filmée au drone, compromettant ainsi leurs carrières. Alors qu’après plusieurs négociations avec les adultes de la cité, les trois policiers réussissent à récupérer la vidéo, les enfants refusent quant à eux toute négociation et n’ont qu’une idée en tête : la vengeance. Le film tire sa révérence au milieu d’une véritable scène de guerre, et s’achève en citant Victor

Hugo : « Mes amis, retenez ceci : il n’y a ni mauvaises herbes, ni mauvais hommes, il n’y a que de mauvais cultivateurs. » Paupérisation et violences Le spectateur se prend une claque en visionnant ce film, touché par le réalisme qui y est traduit, puisque Montfermeil (et plus particulièrement, la cité des Bosquets) est caractéristique de la banlieue populaire parisienne. Ayant accueilli une population issue de l’immigration dans les années 1960, la paupérisation qui a suivi fut la source d’insalubrité, de détérioration de l’équipement urbain et de la montée des violences. La cité des Bosquets

compte 7000 habitants et un taux de chômage de 27%, dont 38% chez les 15-25 ans et 41% chez les non-diplômés. Le réalisateur questionne : dans ces conditions, quel modèle d’intégration l’État français prône-t-il ? Insécurité et défiance Ladj Ly témoigne d’un climat d’insécurité et de défiance, dans lequel aucune ascension sociale n’est possible puisque l’idéal républicain méritocratique n’y trouve pas d’écho pratique. La jeunesse se réfugie alors dans des activités rémunératrices souterraines, telles que la prostitution, le trafic de drogues ou encore d’armes. L’État perd alors progressivement son « mo-

Inspirée par ses documentaires précédents, cette chronique sociale de Ladj Ly fait preuve d’un grand réalisme et présente de nombreux points de crispation sans manichéisme. Ce n’est ni un film anti-flics, ni un film anti-immigration, ni un film anti-islam… Il s’agit plutôt d’une œuvre maîtrisée, dans laquelle la tension grandissante absorbe le spectateur au sein de ce tourbillon de l’horreur. Ladj Ly parvient à restituer l’écartèlement de ces personnages, pris entre la misère de leurs conditions matérielles et la bonté de leurs idéaux moraux. Cette chronique remet entre nos mains un chantier fondamental visant à lutter contre la paupérisation des banlieues et à retisser la confiance entre les habitants, pour que plus jamais certains ne se fassent appeler des « misérables ». x

cinÉma

Deux soldats, une longue prise 1917 propose une approche rafraîchissante aux films de guerre. paritions au cours du film (sans aller jusqu’à voler la vedette aux acteurs principaux).

olivier turcotte

Contributeur

A

près avoir été acclamé à la cérémonie des Golden Globes le dimanche 5 janvier, où il a reçu le prix du meilleur réalisateur ainsi que celui du meilleur long métrage dramatique, le film 1917 a dominé le box-office le jour de sa sortie globale ce vendredi. Ce long-métrage de deux heures raconte l’histoire, inspirée d’événements réels de la Première Guerre mondiale, de deux soldats anglais ayant pour mission d’entrer en territoire allemand pour livrer un message. Son succès s’explique par l’application d’une approche originale et rafraîchissante à un genre déjà établi dans les esprits : l’intrigue est racontée au court d’une seule longue prise d’une durée de deux heures! Innovation réussie Cette prouesse cinématographique déjà observée dans quelques rares métrages (par exemple Birdman de Alejandro G. Iñárritu) devient

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culture

FRANCOIS DUHAMEL/UNIVERSAL PICTURES/DREAMWORKS PICTURES possible pour le réalisateur Sam Mendes grâce à des mois de préparations, à une planification précise des déplacements de la caméra et à plusieurs effets de montage stratégiquement placés. Le résultat est prodigieux : aux yeux du·de la spectateur·rice, le tout semble être une seule longue prise. Ce point de vue audacieux permet de saisir la géographie et la temporalité du périple des deux jeunes hommes

et pousse l’auditoire à se connecter avec eux, avec une efficacité très rare au cinéma. L’absence de coupures de montage force le·la spectateur·rice à vivre avec les personnages l’entièreté de leurs expériences, ce qui rend leurs émotions plus puissantes et leur héroïsme plus impressionnant. Distribution efficace Les deux acteurs principaux, Dean-Charles Chapman et George

Mackay, tous deux peu connus à Hollywood (et c’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils ont été sélectionnés, selon le réalisateur), arrivent à incarner avec succès les deux jeunes Anglais lancés dans des situations plus grandes qu’eux auxquelles le film nous pousse à nous intéresser. Plusieurs grands noms tels que Colin Firth, Andrew Scott, Mark Strong, Benedict Cumberbatch et Richard Madden font tout de même de courtes ap-

À une époque où le genre des films de guerre semble avoir atteint un point de sursaturation, le réalisateur Sam Mendes parvient, avec 1917, à prouver qu’il est toujours possible d’approcher ces œuvres héroïques de façon surprenante et nouvelle. Ce long-métrage, à la fois léger dans ses dialogues entre les deux protagonistes et lourd dans son approche de la brutalité de la guerre, réussit à mettre l’auditoire dans les bottes de deux soldats contraints à mener à exécution une mission désespérée, et à vivre avec eux chaque moment de son déroulement. Avec un rythme engageant et équilibré, une cinématographie méritant d’être vécue en IMAX et des performances sans défaut, ce film vaut l’attention du public et risque de se mériter plusieurs prix aux Oscars, où il a été sélectionné dans 10 catégories, dont meilleur film et meilleur réalisateur. x

le délit · mardi 14 janvier 2020 · delitfrancais.com


Ligne de fuite abitibi c’est un peu comme du vent entre mes doigts ou le ressac entre mes genoux je deviens petite

et je vomis tout doucement

ses forêts je m’espace entre les odeurs mauve jaune bleu

il s’envole en silence j’invente son dos m’y creuse un désert puis j’efface les arbres le ciel pâle de mes mains le rouge foncé gravé dans la souplesse de mes coudes j’efface les souvenirs sur nos bras les fleurs ruinées les rosiers sur ses épaules

j’efface sa chair secret je deviens écume et sous les mots je disparais

Texte:

Visuel:

Coordonnatrice de la correction

Éditrice Culture

florence lavoie

le délit · mardi 14 janvier 2020 · delitfrancais.com

Violette drouin

culture

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LE DÉLIT RECRUTE!

Le conseil de rédaction tient des élections! Pour postuler il faut avoir 3 participations et envoyer une lettre de motivation avant le vendredi 17 janvier minuit à rec@delitfrancais.com

2 Éditeur·rice·s Actualités 1 Coordonnateur·rice Illustrations 2 Coordonnateurs·rices Réseaux sociaux

ELECTIONS

1 Éditeur·rice Multimédias 1 Coordonnateur·rice de la Correction Pour toute question, nous sommes disponibles sur Facebook ou par courriel : rec@delitfrancais.com !

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Culture

IYAD KAGHAD

leledélit délit··mardi mardi14 14janvier janvier2020 2020·· delitfrancais.com


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