Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill
Le Délit est situé en territoire Kanien’kehá:ka non-cédé. Mardi 4 février 2020 | Volume 109 Numéro 16
Enceinte des yeux depuis 1977
Éditorial rec@delitfrancais.com
Volume 109 Numéro 16
Le seul journal francophone de l’Université McGill RÉDACTION 380 Rue Sherbrooke Ouest, bureau 724 Montréal (Québec) H3A 1B5 Téléphone : +1 514 398-6790 Rédacteur en chef rec@delitfrancais.com Grégoire Collet
Mois de l’Histoire des Noir·e·s : prendre un moment de répit
Actualités actualites@delitfrancais.com Hadrien Brachet Marco-Antonio Hauwert Rueda Vacant Culture artsculture@delitfrancais.com Violette Drouin Niels Ulrich Société societe@delitfrancais.com Opinion - Jérémie-Clément Pallud Enquêtes - Juliette de Lamberterie Philosophie philosophie@delitfrancais.com Audrey Bourdon Coordonnatrice de la production production@delitfrancais.com Margaux Alfare
KHADIJA SARR & JéRémie-Clément pallud
«F
aites de l’excellence votre marque de fabrique » disait Oprah Winfrey, mais nous sommes épuisé·e·s.
Oui, nous sommes exténué·e·s. Fatigué·e·s de devoir constamment redoubler d’efforts, éreinté·e·s par les impératifs de perfection d’un monde qui ne daigne nous accorder une once d’humanité qu’à condition d’être excellent·e·s. Nous, étudiant·e·s noir·e·s de McGill, naviguant les eaux tourmentées d’une culture académique qui nous veut performant·e·s, qui nous veut impliqué·e·s, qui nous veut exemplaires, qui nous exige modèles de la Black Excellence et nous refuse tout droit à la médiocrité : nous sommes fatigué·e·s. En ce mois le plus court de l’année qui nous a été accordé, nous décidons donc de nous reposer ; nous avons besoin de guérir, individuellement et communautairement. De ces 29 jours, nous voulons tirer le meilleur parti et nous remettre sur pied par étapes. Un bon point de départ nous semble être le partage de nos expériences communes. Dire nos quotidiens pour réaliser ensemble que nous ne sommes pas la source du problème mais bien les victimes d’un système suprémaciste blanc. Nous voulons nous autoriser à ressentir toutes les émotions qu’une conjoncture coloniale et raciste nous fait traverser mais nous condamne à refouler. Nos douleurs, nos peines, nos deuils, nos colères, nos sanglots. Dans un monde qui nous exhorte à
encaisser, qui prête aux corps noirs — même en situation médicale, surtout en situation médicale — une capacité fantasmagorique à encaisser, nous voulons dire stop et reconnaître les signes de notre épuisement. Ainsi faisant, nous souhaitons briser le tabou de la santé mentale qui gangrène nos communautés ; accepter que nous puissions demander de l’aide professionnelle, réaliser que nous devons le faire avant que ne deviennent irréversibles les dommages sur nos êtres d’un monde qui définit son humanité par sa distance à la négritude. Réalisant cela, nous voulons reconnaître que le repos sera notre salut et notre arme. La réappropriation de nos corps est notre acte de résistance face à un système capitaliste et suprémaciste blanc qui a bâti ses richesses sur l’exploitation monstrueuse de la force de travail noire. À l’échelle de nos communautés, le repos est un puissant levier de justice et de libération que nous voulons actionner. Enfin, à l’occasion de ce nouveau Mois de l’Histoire des Noir·e·s, nous voulons réaffirmer la nécessité de célébrer nos divergences inter- et intra- communautaires. L’enjeu sera pour nous d’honorer nos multiples cultures afrodescendantes ; magnifier nos différentes origines, mémoires et expériences, tout en reconnaissant les liens historiques, culturels et relationnels qui continuent de nous unir. Nous voulons aussi réfléchir à nos identités stratifiées et reconnaître les différentes dynamiques d’oppression qui les affectent. Parce que nous sommes noir·e·s, et femmes, et queers ; d’origines socioéconomiques, de confessions et de capacités variées. x
Coordonnateur·rice·s visuel visuel@delitfrancais.com Parker Le Bras-Brown Katarina Mladenovicova Multimédias multimedias@delitfrancais.com Vacant Coordonnatrice de la correction correction@delitfrancais.com Florence Lavoie Vacant Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Coordonnateur·rice·s réseaux sociaux reso@delitfrancais.com Sarah Lostie Madeline Tessier Contributeurs·rices Evangéline Durand-Allizé, Aya Hamdan, Antoine Milette-Gagnon, Khadija Sarr, Olivier Turcotte, Mathéo Villiers. Couverture Evangéline Durand-Allizé
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Les opinions exprimées dans les pages du Délit sont celles de leurs auteur·e·s et ne reflètent pas les politiques ou les positions officielles de l’Université McGill. Le Délit n’est pas affilié à l’Université McGill. Le Délit est situé en territoire Kanien’kehá:ka non-cédé.
2 Éditorial
L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavant réservés). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans le journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).
le délit · le mardi 4 février 2020 · delitfrancais.com
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Motions, silences et au revoirs Compte rendu du conseil législatif du 30 janvier 2020.
hadrien brachet
Éditeur Actualités
L
e jeudi 30 janvier se déroulait le deuxième conseil législatif de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM, SSMU en anglais) du semestre. Au programme figuraient l’adoption de la nouvelle politique de santé mentale, la création d’un comité sur la violence sexuelle et genrée et un amendement à la régulation des groupes étudiants. Minute de silence Avant le vote des motions, une minute de silence a été observée à la demande de Mustafa Fakih, représentant de la Faculté d’ingénierie, en hommage aux victimes de l’attentat de la grande mosquée de Québec le 29 janvier 2017. « J’aimerais demander à chacun de nous de réfléchir à toutes les manières dont nous pourrions empêcher ces actes de se produire
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à nouveau. […] Nous devons tous contribuer à arrêter la propagation de cette haine, de cette ignorance. […] Je crois que c’est notre devoir en tant que représentants étudiants, qu’étudiants à McGill et qu’êtres humains » a déclaré Mustafa Fakih. Motions adoptées Plusieurs motions ont ensuite été votées au cours de ce conseil. La régulation interne des groupes étudiants a été amendée, permettant désormais à des non-membres de l’AÉUM ou de l’Association étudiante des cycles supérieurs de l’Université McGill (AÉCSUM) de voter au sein de ces groupes. Midnight Kitchen, qui inclut aussi parmi ses membres les non-adhérents de l’AÉUM ou de l’AÉCSUM, était cité comme exemple de bénéficiaire de cette mesure. La nouvelle politique de santé mentale de l’AÉUM pour les trois prochaines années a également
été adoptée. L’embauche de deux coordinateurs pour les comités Outreach et Advocacy est prévue, ainsi que le lancement d’un site Internet étudiant consacré à la santé mentale dès l’automne 2020.
« Une minute de silence a été observée […] en hommage aux victimes de l’attentat de la grande mosquée de Québec » Les termes d’un nouveau comité sur la politique sur la violence sexuelle et genrée (Gendered and Sexual Violence Policy Committee (GSVP) en anglais) ont été votés. Ce comité, qui se réunira régulièrement durant l’année, sera chargé d’examiner les enquêtes des coordonnateurs Anti-Violence (Anti-
Violence Coordinators en anglais, AVCs), et de déterminer les sanctions appropriées si nécessaire. De plus, il a été statué qu’une motion sur la francisation de l’AÉUM serait présentée au prochain conseil, visant à rendre la documentation de l’AÉUM disponible en français. Madeline Wilson Le conseil d’administration de l’AÉUM (CA, Board of Directors en anglais) décidait le 23 janvier dernier de priver Madeline Wilson, vice-présidente aux Affaires universitaires, de tout privilège d’utilisation des réseaux sociaux officiels pendant trois jours, à la suite de l’usage de « langage injurieux » sur son compte Facebook. Le comité de responsabilité (CR) de l’AÉUM avait recommandé sa suspension pour cinq jours sans salaire. Interrogé au cours du conseil législatif sur les raisons de la décision de ne pas sus-
pendre Madeline Wilson, Bryan Buraga, président de l’AÉUM, a répondu que « divers facteurs avaient été pris en compte de manière holistique » et qu’il ne pouvait pas « aller plus loin en séance publique ». Une séance confidentielle a ensuite été votée. Dernière pour Husayn Jamal Ce conseil avait aussi une dimension particulière puisqu’il s’agissait du dernier pour Husayn Jamal en tant que président du conseil (Speaker en anglais). Samuel Haward, vice-président Finances de l’AÉUM, l’a remercié pour « avoir fait du conseil un meilleur lieu où être, où débattre ». « Ce fut un incroyable plaisir de travailler avec vous » s’est alors exclamé Husayn Jamal face à la salle. À sa grande surprise, des macarons à son effigie avaient même été distribués pour l’occasion aux membres du conseil, qui les ont arborés tout au long de la réunion. x
La Société des publications du Daily recueille des candidatures pour son conseil d’administration. La presse étudiante vous passionne, et vous souhaitez contribuer à sa pérennité et à son amélioration? Estce que la gouvernance, les règlements et l’écriture de propositions sont votre tasse de thé? Dans ce cas, vous devriez envisager de soumettre votre candidature pour le Conseil d’administration de la Société des publications du Daily. Les administrateurs.trices de la SPD se rencontrent au moins une fois par mois pour discuter de l’administration du McGill Daily et du Délit, et ont l’occasion de se prononcer sur des décisions liées aux activités de la SPD. Les membres du conseil peuvent aussi s’impliquer dans divers comités, dont les objectifs vont de la levée de fonds à l’organisation de notre série annuelle de conférences sur le journalisme. Les postes doivent être occupés par des étudiant.e.s de McGill dûment inscrit.e.s à la session d’hiver 2020 et en mesure de siéger jusqu’au 30 juin 2020, ainsi qu’un.e représentant.e des cycles supérieures et un.e représentant.e de la communauté.
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dailypublications.org/fr/dps-conseil-2020 Questions? Écrivez à chair@dailypublications.org pour plus d’info!
le délit · mardi 4 février 2020 · delitfrancais.com
Actualités
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campus
Entretien avec Bryan Buraga Le Délit a rencontré le président de l’AÉUM.
À
mi-mandat, Le Délit a rencontré Bryan Buraga, président de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM). Il établit la vision de l’Association, coordonne les travaux des autres dirigeants exécutifs et représente les intérêts des étudiantes et étudiants auprès de diverses instances universitaires.
mité puis l’Université dans son ensemble décideront. Le comité présentera une série de recommandations, mais ce sera le Sénat qui décidera ce qui est acceptable ou non.
Le Délit (LD) : Pour commencer, pendant ta campagne, tu avais dit vouloir agir pour l’équité sur le campus. Quelles ont été tes actions pour cela et que prévois-tu réaliser dans les prochains mois?
BB : Bien sûr, je suis triste. J’ai eu la chance de travailler avec le professeur Mikkelson pendant ma première année à la gouvernance étudiante à l’AÉUM en tant que
LD : Quelle est ta réaction à la démission du professeur Mikkelson liée aux enjeux de désinvestissement?
Bryan Buraga (BB) : Plus j’apprends à ce poste de président, plus je réalise combien c’est un rôle de soutien. Mon travail est de soutenir les autres membres de l’exécutif et les commissaires, certains de leurs portfolios étant plus liés à l’équité. Ce n’est pas vraiment basé sur une personne, je ne suis pas le seul qui peut apporter plus d’équité. J’essaie d’apporter le plus de soutien possible aux groupes marginalisés là où je peux.
glais). C’est le comité qui discute actuellement de décarbonisation ou désinvestissement. J’ai eu un rôle dans la création du rapport qui communique les préoccupations du corps étudiant, à la fois d’un point de vue financier et d’un point de vue éthique, sur ce que nous croyons qu’une université devrait faire en tant que leader global dans le monde académique. Les étudiantes et étudiants ont un impact majeur à travers les politiques que nous avons adoptées, comme le moratoire [bloquant tout nouveau frais institutionnel obligatoire jusqu’à ce que l’Université McGill retire les actions de son fonds de dotation des 200 plus importantes compagnies d’énergies fossiles]. Je suis donc content de voir le travail que nous avons fait l’an dernier. Nous Iyad kaghad
LD : Toujours au cours du conseil législatif du 16 janvier, tu as expliqué que le conseil d’administration (Board of Directors) avait rejeté la motion sur la démission des membres participant au voyage en Israël, en se basant sur l’idée que cela pourrait être en violation de la constitution de l’AÉUM. Peux-tu nous en dire plus?
LD : Tu as également fait campagne pour une semaine de relâche durant le semestre d’automne. Où en est ce projet? BB : Selon les informations que j’ai, les consultations sont en train de se conclure. Le sous-comité du côté de McGill va présenter son rapport au Comité consultatif sur les inscriptions et les affaires étudiantes (Enrolment and Student Affairs Advisory Committee, en
« Plus j’apprends à ce poste de président, plus je réalise combien c’est un rôle de soutien » anglais). Partant de là, un rapport va être présenté au Sénat de McGill sur les recommandations pour la semaine de relâche. À ma connaissance, il devrait être positif. L’objectif est d’avoir cette semaine de relâche dès 2021. LD : Est-ce que cela signifie que les cours commenceront une semaine plus tôt? BB : Cela dépend de ce que le co-
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Actualités
de président, j’ai de plus en plus réalisé que l’AÉUM est une assemblée constituante, composé de différents groupes qui ont des intérêts différents, et généralement ces intérêts s’alignent les uns les autres. Ce serait aussi en solidarité avec beaucoup de manières dont les autres syndicats étudiants fonctionnent au Québec. Ils suivent aussi la règle d’un vote par association, quelle que soit la taille. De cette façon, les préoccupations de chacun sont entendues de manière égale et un groupe n’est pas dans une position de domination vis-à-vis des autres.
sénateur des arts et des sciences. Il a été l’une des premières personnes que j’ai connues à travers sa motion sur le désinvestissement au Sénat mcgillois en septembre 2018. J’ai pu collaborer un peu avec lui sur les enjeux de désinvestissement et la direction que prenait notre université sur le sujet. Donc, bien sûr, je suis triste de le voir partir, mais c’est aussi très puissant de voir quelqu’un qui a dédié sa vie entière à l’étude de l’éthique académique et environnementale. LD : Quel rôle l’AÉUM peut jouer sur l’enjeu du désinvestissement? BB : Moi-même je siège au Comité de conseil sur les enjeux de responsabilité sociale (Committee to Advise on Matters of Social Responsibility, CAMSR, en an-
continuerons durant le reste de mon mandat à prendre des mesures fortes. LD : Durant le conseil législatif du 16 janvier, tu as défendu une réforme du système de représentation au conseil législatif qui donnerait une voix à chaque faculté, quel que soit son nombre d’étudiantes et d’étudiants. Pourquoi défends-tu cela? BB : Fondamentalement, la question est de savoir si le conseil législatif doit être une instance de représentation proportionnelle ou une réunion où il y aurait un représentant par groupe électoral. Ces dernières années, personnellement, j’étais clairement pour une représentation proportionnelle. Mais en exerçant mon rôle
BB : Ce n’était pas nous qui croyions que cela violait la constitution ; c’était l’Université, qui a fait une déclaration condamnant le vote démocra-
« La question est de savoir si le conseil législatif doit être une instance de représentation proportionnelle ou une réunion où il y aurait un représentant par groupe électoral »
tique du conseil législatif et interprétant la constitution d’une manière telle que, selon leur opinion, nous la violions. Bien sûr, je suis en désaccord avec cette interprétation. Mais c’est l’Université qui possède un pouvoir financier sur nous puisque ce sont eux qui ont les frais étudiants et nous les versent deux fois par an. Et donc, s’ils considéraient que nous violions la constitution, l’argent serait placé dans une fiducie où nous n’y aurions plus accès. Cela mettrait en danger tout ce que nous entreprenons à l’AÉUM. LD : Quelle est ton opinion sur la question du voyage? BB : J’ai clairement exprimé que j’avais de sérieuses inquiétudes sur la manière dont ces voyages étaient offerts à nos représentants étudiants et que ceux-ci devraient se tenir à de plus hauts principes d’éthique et de prise de décision. Il y a des éléments que le corps étudiant pourrait considérer comme des conflits d’intérêts. J’ai rencontré des dizaines
« J’ai clairement exprimé que j’avais de sérieuses inquiétudes sur la manière dont ces voyages étaient offerts à nos représentants étudiants » d’étudiantes et étudiants pour qui cela était un problème. J’ai adopté leur position et j’ai donc voté positivement pour cette motion. LD : Pour finir, as-tu d’autres projets pour le semestre ? BB : Retourner dans notre bâtiment va être notre priorité ! Malheureusement, nous espérions pouvoir le faire au début de mon mandat, mais à cause des retards dans les travaux, ce devrait être en mars ou avril. En termes de nouveaux projets, il n’y en a pas beaucoup que je vais commencer maintenant, je vais surtout essayer de terminer des projets que j’ai débutés le semestre dernier. x
Propos recueillis par Hadrien Brachet & marco-antonio hauwert rueda
Éditeurs Actualités
le délit · mardi 4 février 2020 · delitfrancais.com
CAmpus
Mi-mandat : Samuel Haward Le Délit s’entretient avec le v.-p. Finances de l’AÉUM.
L
e vice-président aux Finances, Samuel Haward, est responsable de la stabilité à long terme de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM, SSMU en anglais). Il est responsable de la préparation du budget annuel, du régime d’assurances et de la gestion des ressources humaines. Le Délit (LD) : Pour commencer, quelle est la situation financière actuelle de l’AÉUM? Samuel Haward (SH) : Depuis le semestre d’hiver 2017, notre bâtiment est en travaux. Bien sûr, cela a un coût puisque notre bâtiment représente une part importante de nos revenus au travers des évènements que nous y accueillons. De plus, nous devons réserver des salles hors du campus, ce qui coûte de l’argent, alors que ce serait gratuit si nous pouvions utiliser nos propres salles. Ainsi, la perte nette de l’AÉUM l’an dernier a été de 383 000 dollars. C’est beaucoup, mais l’AÉUM avait mis de l’argent de côté les années précédant la fermeture du bâtiment. Il s’agit donc juste de gérer nos flux d’argent efficacement pour s’assurer que nous remplissions tous nos services. D’autre part, nous avons débu-
Courtoisie de L’ AÉUM
té un projet immobilier important, en acquérant un bâtiment au 3501 rue Peel en 2017, grâce à un prêt. Nous sommes donc en train d’étudier des modèles de financement à long terme sur 10 à 25 ans. LD : Sais-tu quand la rénovation du bâtiment de l’AÉUM sera terminée? SH : McGill nous dit autour de mars et avril. Nous devrions donc pouvoir commencer à y déménager les groupes étudiants à ce moment-là, ce qui signifie que nous serons totalement opérationnels pour l’automne 2020. Cependant, cela peut changer en fonction des avancées ou difficultés des entreprises chargées des travaux par McGill. LD : Durant ta campagne, tu avais expliqué vouloir renforcer la mé-
LD : Tu prévoyais également réduire le montant de l’assurance maladie pour les étudiants internationaux. Qu’en est-il?
moire institutionnelle d’une année à une autre pour favoriser la transition entre v.-p. aux Finances. Quelles sont tes avancées sur ce point? SH : Nous avons réformé le comité Finances. Nous avons renforcé son mandat et recruté un assistant exécutif permanent pour l’année, qui pourra donc revenir et aider le prochain v.-p. aux Finances. Le commissaire aux Finances m’aide également à rassembler les documents. Nous avons aussi recruté un coordonnateur qui aide les clubs et services pour leurs événements ou leurs déclarations d’assurance. Enfin, nous avons travaillé à créer une sorte de guide centralisant les ressources nécessaires pour les clubs et services (comment déclarer un événement, où aller pour créer un compte en banque, etc…).
SH : Oui. Quand on fait campagne, on dispose seulement de, disons, la moitié des informations. L’une des premières choses que j’ai faites, une fois élu, a été de contacter le directeur des Services aux étudiants, le directeur des Services aux étudiants étrangers et l’Association étudiante des cycles supérieurs de l’Université McGill (AÉCSUM) qui travaillent dessus. Je leur ai demandé ce que l’on pouvait faire pour réduire le coût de l’assurance. Nous avons eu plusieurs réunions et j’ai alors réalisé plusieurs choses que je ne savais pas. D’abord, cette assurance est mandatée par le Sénat de McGill, ce qui signifie que la plus haute instance de gouvernance académique de l’Université dit que cette assurance doit exister. Nous ne pouvons donc pas la changer comme nous voulons ; McGill ne laisserait pas cela se produire. Nous avons aussi compris qu’à la fois les étudiants de premier cycle et de cycles supérieurs y contribuent et que cette assurance est donc bien plus complète que d’autres
universités sur certains aspects comme les soins obstétriques. Mais notre objectif reste de réduire les coûts le plus possible. Nous avons réussi à nous accorder avec les services étudiants et les services aux étudiants étrangers pour qu’il y ait dans le futur un nouvel appel d’offres. En raison des délais, ce ne sera pas pour l’automne 2020, mais nous espérons que ce sera pour l’automne 2021. LD : Pour finir, y a-t-il certains projets dont tu souhaiterais parler? SH : Bien sûr! Je suis très enthousiaste à propos du bâtiment sur Peel! C’est un bâtiment totalement neuf. Dans les deux étages du bas, il y aura des espaces que les groupes étudiants pourront réserver. Au sous-sol, il y aura ce que j’appelle la pièce « vins et fromages »! Aux deux étages supérieurs, nous espérons avoir des professionnels de santé mentale pour les étudiants. x
Propos recueillis par Hadrien Brachet & marco-antonio hauwert rueda
Éditeurs Actualités
Mi-mandat : Sanchi Bhalla V
Le Délit parle affaires autochtones et francophonie avec la v.-p. interne
ice-présidente aux Affaires internes à l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM, SSMU en anglais), Sanchi Bhalla est chargée des communications et de l’organisation d’événements. Elle a aussi pour mission de promouvoir la participation des étudiant·e·s de première année. Le Délit (LD) : Étant donné l’affaire de la listserv avec le comité des affaires autochtones [un message de Tomas Jirousek, commissaire aux affaires autochtones, n’avait pas été envoyé par courriel aux élèves à temps, par erreur, ndlr], comment perçois-tu ce qui s’est passé avec l’appel à ta démission? Sanchi Bhalla (SB) : L’AÉUM n’a malheureusement traditionnellement pas été un environnement très favorable aux communautés marginalisées. Pour des raisons diverses, nous n’avons pas été capables de leur [le comité des affaires autochtones, ndlr] donner l’accès à la listserv à temps, ce qui fait que nous avons envoyé le courriel avec douze (12) heures de retard. Étant donnée l’erreur, je pense absolument valable l’ar-
Courtoisie de L’ AÉUM
le campus, notamment Tomas Jirousek, commissaire aux affaires autochtones? SB : Bonne. Sur la base de conversations par courriel que nous avons eues avec Tomas Jirousek, l’idée d’une justice réparatrice ressort. J’ai maintenu le contact avec plusieurs groupes à Montréal où je pourrais faire du bénévolat pour aller dans la direction d’une réconciliation avec la communauté autochtone et d’une justice réparatrice.
gument qui dit que « l’AÉUM n’est pas un endroit facile pour l’expression des voix marginalisées », et c’était là une des raisons qui ont mené à l’adoption des frais d’équité autochtone — discutés depuis des années maintenant. Tout cela dans le but de leur donner autant d’autonomie que possible dans notre système légal. LD : Suite à cette affaire, comment décrirais-tu la relation entre les Affaires internes de l’AÉUM et les étudiant·e·s autochtones sur
le délit · mardi 4 février 2020 · delitfrancais.com
LD : Puisque l’une de tes responsabilités est la communication, quelle est ton approche au problème de traduction française à l’AÉUM? SB : Le problème a toujours été que nous embauchons nos traducteur·ice·s à travers le même programme de ressources humaines que tout autre poste à l’AÉUM. Nous avons clairement senti le besoin que les traducteur· ice·s passent une entrevue de nature différente. Pendant l’été, nous avions un·e traducteur·ice qui s’est vu accablé·e par la montagne de travail, et qui a fini par utiliser Google
Translate pour son travail, ce qui a créé beaucoup de confusion avec de mauvaises traductions. Nous sommes alors passés à une entreprise externe. Cette fois-ci, ils nous donnaient des traductions grammaticalement correctes, mais qui ne s’adaptaient pas au vocabulaire du contexte mcgillois. Alors nous avons commencé à travailler avec la commissaire aux affaires francophones, qui s’est occupée de superviser les traductions. LD : À propos de cela, nous avons parlé avec la commissaire aux affaires francophones, et elle nous a dit qu’elle passait beaucoup de temps à s’occuper de ces traductions qui ne font pas officiellement partie de ses obligations. Comment penses-tu gérer ce problème? SB : C’est exactement ce que j’ai remarqué puisque le v.-p. externe était souvent en dehors de son bureau pour aider la commissaire aux affaires francophones avec ses tâches. Malheureusement, il est trop tard dans ce mandat pour changer quoi que ce soit. Le semestre prochain, nous aurons cela en
tête lorsque nous embaucherons. Mais maintenant que nous sommes conscient·e·s du problème, nous changerons cela avec certitude. J’ai surtout pensé à ce que les candidatures soient examinées par le commissaire aux affaires francophones luimême, plutôt que de n’avoir que les Affaires internes de l’AÉUM, soit moi-même, les examiner. Interrogée sur ses futurs projets pour ce mandat, Bhalla a notamment mentionné la création d’une page Instagram avec les informations (rôle, processus de recrutement) des différents services étudiants gérés par l’AÉUM, souvent méconnus des étudiant·e·s. Elle s’est finalement aussi dite engagée dans l’organisation des Olympiades entre facultés (Faculty Olympics, en anglais), ainsi que dans la transformation du réseau d’ancien·ne·s élèves de McGill, dans le but de le rendre plus accessible aux étudiant·e·s actuel·le·s. x
Propos recueillis par violette drouin
Éditrice Culture
Actualités
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québec
En mémoire du 29 janvier 2017 Retour sur le troisième anniversaire de l’attentat islamophobe. Grégoire collet
Rédacteur en chef
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brahima Barry, Mamadou Tanau Barry, Khaled Belkacemi, Abdelkrim Hassane, Azzedine Soufiane, Aboubaker Thabti. Ces six noms sont ceux des victimes de l’attentat de la grande mosquée de Québec du 29 janvier 2017, tuées par Alexandre Bissonnette. Dépossédés de leurs propres vies dans un crime d’une violence inouïe, ils laissaient derrière eux leurs familles, 17 enfants sans pères, et une communauté musulmane québécoise bouleversée. Ce troisième anniversaire a marqué un temps de commémoration à travers la province, en souvenir de ceux assassinés et en solidarité aux huit blessés dans l’attentat terroriste. Temps de mémoire L’Église Saint-Mathieu de Sainte-Foy était un des lieux de rassemblement le soir du 29 janvier 2020, où un repas était offert aux familles des victimes, membres de
québec
la communauté et différentes personnalités politiques et religieuses. Le premier ministre québécois, François Legault, y a prononcé un discours dénonçant le caractère haineux du crime mais, comme le note Le Devoir, n’a pas utilisé le terme d’islamophobie pour caractériser l’attentat du 29 janvier. Selon le journal, cela dénotait avec les autres allocutions qui décrivaient généralement l’attentat comme une attaque anti-musulman et islamophobe. Boufeldja Benabdallah, président de la grande mosquée, a souligné la violence toujours vive que subit la communauté musulmane au Québec : « Le chemin est long pour rétablir la concorde avec le peuple québécois. » Cette atmosphère, faite de chants musulmans et d’un buffet, était pensée par le comité organisateur comme un moyen de solidariser musulman·e·s et non-musulman·e·s, afin de prêter collectivement prières et pensées à ceux morts aux mains de l’islamophobie. Un rappel de la haine Cet anniversaire était aussi l’occasion de faire un état des lieux
du politicien a tenté de modérer ces commentaires islamophobes malgré leur affluence. CBC notait d’ailleurs que le premier ministre, habitué à utiliser les réseaux sociaux comme baromètre de sa popularité, s’est désolidarisé de ces commentaires en insistant qu’ils ne constituaient qu’une minorité de son audience. Justice en cours
aya hamdan des crimes haineux dans la province et d’en rappeler la saillance. Lors d’une conférence de presse donnée par Centre culturel islamique de Québec, Maryam Bessiri, co-porte-parole du comité citoyen de commémoration, a insisté sur le fait que ce moment de souvenir ne devait pas être cantonné à une seule journée, et que le combat contre l’islamophobie devait être un effort mené activement aussi par les non-musulman·e·s. Selon Statistique Canada, en 2018, le Québec arrivait au second rang de
la province répertoriant le plus de crimes haineux (453 cette année-là), les minorités religieuses (musulmanes et juives) en étant les premières victimes. Sur la page Facebook de François Legault, les commentaires haineux répondant à sa publication, spécifiant que le « peuple [québécois] n’est pas à l’abri de cette haine. Mais cette haine n’est pas celle du Québec », ont indiqué un sentiment anti-musulman présent chez une partie de son électorat. L’équipe
En février 2019, Alexandre Bissonnette était condamné à une peine de prison à vie avec libération conditionnelle après 40 ans. Alors que la défense a fait appel, estimant la peine trop dure, le directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) et la procureure générale du Québec contestent aussi en justice le jugement, estimé trop clément. Cet appel rouvre un chapitre judiciaire douloureux, laissant incertain quant à la peine que connaîtra l’assassin. Mustafa Farooq, membre du Conseil national des musulmans canadiens, a noté l’inquiétude des familles des victimes en vue d’un nouveau jugement. x
Suppression des cours d’ECR Controverse autour du programme phare de Jean-François Roberge.
juliette de lamberterie
Éditrice Société
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e 10 janvier dernier, le ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur Jean-François Roberge annonçait la suppression prochaine du cours d’éthique et culture religieuse (ECR), instauré depuis 2008 dans toutes les écoles primaires et secondaires du Québec. Le cours avait été créé sous le gouvernement Charest et avait pour but « d’aider les élèves à mener une réflexion critique sur des questions éthiques et à comprendre le fait religieux », selon le document officiel de présentation du programme. Le cours obligatoire d’ECR remplaçait l’option qu’avaient alors les élèves de suivre un cours d’enseignement religieux catholique ou protestant, ou un cours d’enseignement moral. Réduire la religion Alors qu’un objectif central du programme d’ECR était d’instruire les enfants sur les grandes traditions et pratiques religieuses ainsi que leur influence sur l’environnement social, et ce, même
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actualités
s’il·elle·s ne les pratiquaient pas, Roberge affirme que « la place de la religion » était trop importante dans le cours, selon un article de La Presse paru le 10 janvier. Dans une entrevue avec le journal, celui-ci dit prévoir de ne garder « qu’un espace beaucoup plus petit que celui que
dans le programme et de la présence « d’images stéréotypées » dans les manuels scolaires assignés aux élèves. Toutefois, il affirmait dans une entrevue au Devoir que « c’est une fausse bonne idée, l’abolition pure et simple du cours d’ECR pour amener de la laïcité ».
thèmes de la citoyenneté (incluant l’écocitoyenneté et la citoyenneté numérique), l’éducation juridique, et l’éducation à la sexualité, entre autres. La religion aurait, depuis plusieurs années, pris « trop de place » face à ces sujets devenant de plus en plus cruciaux.
Roberge n’utilise pas aujourd’hui les mots « pure et simple », mais déclarait en janvier 2020, encore au Devoir : « on peut dire qu’on abolit le cours d’ECR et qu’on le remplace par quelque chose de nouveau ». Ce nouveau programme, qui sera instauré en automne 2022, devrait s’organiser autour des
Réactions
grégoire Collet
l’on a actuellement » réservé à l’enseignement des religions, dans le contexte d’un nouveau cours qui remplacera l’ECR. En février 2019, le ministre avait déjà parlé du projet de réformer le cours, notamment à cause de la place non suffisante de l’athéisme
Les réactions au projet sont contrastées : certain·e·s accusent déjà le ministre de faire de ce nouveau cours – qui n’a pas encore de nom – un cours « fourre-tout ». Dans une entrevue avec Radio-Canada, le ministre se défend en affirmant
que le thème porteur du cours, qui lui donnera une cohérence, sera « le respect de soi et des autres pour une citoyenneté active ». Plusieurs voient « le vent tourner », après les années d’efforts pour la mise en place de l’ECR. Jean-Pierre Proulx, qui présidait le Groupe de travail sur la place de la religion à l’école en 1999, écrivait dans un article d’opinion au Devoir, le 16 janvier dernier, que cette réforme existait en grande partie en raison de la suspicion générale grandissante des Québécois·es envers l’islam et au fait que la religion soit devenue « une réalité très négative » dans l’opinion publique. Michel Seymour, professeur à l’Université de Montréal, y écrivait aussi : « Si on invoque encore le thème de la citoyenneté, c’est seulement pour justifier la mise de côté de la religion dans toute sa diversité. […] Avec la loi 21, on prétendait viser toutes les religions, alors que nous savons très bien qu’elle n’existait que pour contrer la présence du foulard. Avec le futur cours, on va aussi invoquer toutes sortes d’enjeux, mais on sait très bien que c’est pour viser la religion. » x
le délit · mardi 4 février 2020 · delitfrancais.com
monde
Épidémie ou maladie éphémère? Rapport sur le coronavirus nCOV-2019 et ses implications. Mathéo villiers
Contributeur
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epuis novembre 2019, le coronavirus nCOV-2019 se propage et préoccupe la communauté mondiale. Il stigmatise les populations chinoises et isole la Chine du reste du monde. Mais qu’en est-il réellement du virus sur le plan international? Doit-on vraiment craindre l’épidémie ravageuse que certains imaginent déjà? Mise en perspective En 2003, le SRAS (Syndrome respiratoire aigu sévère), de la famille des coronavirus, avait perduré pendant six mois, touché 30 pays, rendu 10 000 personnes malades, et fait 774 morts. La Chine avait été critiquée par l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) pour son manque de transparence. Le nCOV-
2019 touche déjà 14 380 personnes pour 304 décès (dont un à l’extérieur de la Chine). Le taux de mortalité de 2,11% est donc bien plus faible que les 7,74% du SRAS. Le nombre de victimes du coronavirus peut sembler important, mais peut être contrasté avec la grippe saisonnière (influenza) qui fait chaque année 3500 victimes au Canada et environ 500 000 décès par an à l’échelle mondiale. Le coronavirus nCOV-2019 est cependant récent. Le premier cas aurait été identifié en novembre 2019 à Wuhan en Chine. La période d’incubation est actuellement estimée à environ 14 jours, ce qui rend le virus d’autant plus difficile à détecter, car lent à se manifester. Panique internationale La communauté internationale craint une épidémie globale
dans le contexte de mondialisation et de flux constants avec la Chine. L’OMS a déclaré l’état d’urgence de santé publique internationale le 30 janvier 2020 afin de contenir le virus. Les États ont été invités à prendre différentes mesures sanitaires pour éviter une contamination accrue du n-COV. McGill a d’ailleurs envoyé à tous les étudiants et membres du personnel de l’Université un courriel expli-
placés en quarantaine lors de leur retour. Certains pays comme l’Australie et les États-Unis interdisent l’entrée de leur territoire à tous les non-résidents revenant de Chine. Apple a décidé de fermer toutes ses boutiques en Chine continentale jusqu’au 9 février. Ces mesures radicales sont cependant critiquées par l’OMS qui craint quant à l’impact sur la distribution des aides internationales ainsi que sur l’économie chinoise. Impact social
quant les symptômes ainsi que les précautions à prendre pour éviter la propagation du virus. Certaines compagnies aériennes comme Air France, Lufthansa et Air Canada ont annulé la plupart des vols à destination de la Chine. Les gouvernements organisent le rapatriement de leurs citoyens se trouvant en Chine. Ceux-ci se retrouvent
Les communautés asiatiques à l’étranger sont également des victimes collatérales de l’épidémie. Le premier ministre canadien Justin Trudeau met en garde contre le racisme suscité par le virus. La stigmatisation des communautés asiatiques, en particulier chinoise, se renforce au fur et à mesure que le virus se propage. Au Canada, seuls quatre cas ont été recensés parmi les 37,59 millions d’habitants. Au Québec, bien qu’aucune victime n’ait été recensée, les pharmaciens assistent à
une pénurie de masques chirurgicaux. Cette pénurie se ressent également dans certains hôpitaux qui peinent à s’approvisionner auprès des fournisseurs mondiaux en rupture de stock, comme c’est le cas en Belgique, d’après un reportage du journal Le Soir. Si la prise de conscience est importante pour éviter une propagation accrue, il est, selon le gouvernement canadien, inutile de paniquer. Comme pendant toute période de grippe, il est recommandé de prendre certaines précautions, comme le lavage de mains. x
Parker le bras-brown
MONDE
Une merlette triomphe à Miami Laurent Duvernay-Tardif, ancien étudiant mcgillois, gagne le Super Bowl.
marco-antonio hauwert rueda
Éditeur Actualités
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aurent Duvernay-Tardif, ancien étudiant en médecine à McGill, remporte le Super Bowl, dimanche 2 février, soit le plus grand match de football nord-américain de l’année. Son équipe, les Chiefs de Kansas City, gagnaient contre les 49ers de San Francisco, 31 à 20, suite à une remontée spectaculaire. Joueur et étudiant Né au Mont-Saint-Hilaire (QC), le jeune canadien commence à peine à jouer au football, à 14 ans, lorsqu’il part voyager pendant une année en bateau avec sa famille, aux Bahamas. À 16 ans et de retour à Montréal, il poursuit immédiatement ce sport qu’il commence à maîtriser. En 2010, Duvernay-Tardif entre en école de médecine à l’Université McGill, où il rejoint l’équipe universitaire des R*dmen (ancien nom des équipes sportives masculines de l’Université McGill). Même s’il doit combiner études et sport,
La finale ne déçoit pas. La mi-temps finit à égalité parfaite avec un score de 10 à 10. Cependant, les 49ers, favoris au titre suite à l’élimination des Patriots de New England, prennent l’avance dans un troisième quart qui se conclut avec le résultat de 20 à 10. Mais les Chiefs, menés par leur quarterback Patrick Mahomes et habitués aux remontées – ils ont fini par gagner tous les matchs qu’ils perdaient de plus de 10 points, cette après-saison – achèvent une remontée spectaculaire pour finir 20 à 31.
son succès est énorme. En 2013, il remporte le J. P. Metras Trophy, décerné au meilleur joueur de ligne offensive du football universitaire canadien. Dans un article au Vault en 2014, Joan Niesen affirme que « Duvernay-Tardif, le meilleur joueur à McGill […] et un homme avec de bonnes chances d’intégrer la NFL [National Football League, ligue de football étasunienne, ndlr], ne s’entrainait qu’une fois par semaine — et il était tout de même le meilleur joueur universitaire du Canada ». La même année, il est sélectionné au repêchage de la NFL en 200e position, soit en sixième ronde, par les Chiefs de Kansas City. Il est le quinzième joueur de sa position à être sélectionné en 2014. Il monte cependant
Marco-antonio hauwert rueda Duvernay-Tardif utilise les périodes de hors-saison pour poursuivre ses études de méde-
« Duvernay-Tardif utilise les périodes de hors-saison pour poursuivre ses études » progressivement les échelons de la NFL, et devient titulaire dans son équipe depuis 2015. Avec le soutien de l’entraîneur des Chiefs, Andy Read,
le délit · mardi 4 février 2020 · delitfrancais.com
cine et remplir ses rotations cliniques à l’hôpital. Il obtient son diplôme de médecine en 2018 et devient le premier joueur actif de l’histoire de la NFL. Le 2 février 2020, Duvernay-Tardif
dispute le premier Super Bowl de sa carrière contre le 49ers de San Francisco. Une finale de spectacle Le match, joué au stade Hard Rock de Miami, Floride, présente Jennifer Lopez et Shakira lors d’un spectacle de mi-temps stellaire. La diffusion d’une publicité de trente secondes, à cette occasion, coûte quelques $5,6 millions (américains).
« Nous continuions à croire », disait Mahomes à la conclusion du match. « C’est ce que nous avons fait toute l’après-saison. J’ai senti que si nous étions derrière de dix points, cela voulait dire que nous ne jouions pas notre meilleur football. Mais les gars ont vraiment intensifié le niveau. Ils ont cru en moi. J’étais en train de faire de nombreuses erreurs au début du match. Mais nous avons trouvé un moyen de gagner à la fin. » À 24 ans et 138 jours, Mahomes est le deuxième quarterback le plus jeune à gagner le Super Bowl (après Roethlisberger). Il s’agit là du premier Super Bowl des Chiefs depuis 1970, ou le premier dans le format moderne de la compétition. x
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Société societe@delitfrancais.com
ENTREVUE
« Qu’allons-nous faire le 1er mars? » Entretien avec Dr. Philip Howard, professeur de la Faculté des sciences de l’éducation
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ans cette entrevue, les termes négritude et négrophobie se veulent être des traductions respectives des termes anglophones blackness et antiblackness. Si ces expressions françaises ne permettent pas, dans leurs sens premiers, de transmettre les significations exactes des concepts anglophones traduits, elles nous poussent à nous interroger sur l’imperméabilité de la langue française aux questionnements des dynamiques raciales. Le Délit (LD) : Bonjour professeur Howard. Tout d’abord, pourriez-vous nous en dire plus sur votre parcours académique, ce que vous enseignez à McGill, mais aussi vos aires de recherche et d’expertise? Philip Howard (PH) : Ok, vaste question. Commençons par l’université. J’ai fait mon premier cycle à l’Université Cornell aux États-Unis. À l’époque, j’étais intéressé par les sciences biologiques, et j’ai donc une expérience en tant que professeur de sciences et de mathématiques en école secondaire. Mais j’ai toujours eu un intérêt pour le milieu académique et j’ai voulu l’explorer comme une façon de poursuivre le travail que je faisais. J’ai donc obtenu un diplôme en éducation — lorsque le programme s’appelait encore ainsi — à McGill. J’ai aussi fait une maîtrise à McGill, puis mon doctorat à l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario de l’Université de Toronto. Et maintenant je suis ici (professeur au Département des études intégrées en science de l’éducation, ndlr). Concernant mes plus larges domaines de recherche, je m’intéresse à la négrophobie et à de plus larges relations sociales racialisées dans un contexte colonial ; et comment cela impacte, non seulement les écoles — les façons habituelles dont nous concevons l’éducation —, mais aussi les façons dont nous apprenons à nous connaître, à comprendre qui nous sommes, à comprendre ce qu’est la vie en communauté et aussi ce que cela signifie vraiment de vivre dans ce contexte et de résister dans ce contexte. LD : Pourriez-vous nous partager vos réflexions sur les applications de votre recherche en contexte mcgillois, ou académique plus généralement? Y a-t-il des processus pédagogiques ou non-pédagogiques à travers lesquels la violence et l’injustice coloniale et/ou raciale, et particulièrement la négrophobie, sont perpétrées — consciemment ou non, comme la campagne de
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Société
changement de nom — en milieu universitaire? PH : Oui, encore une question très vaste. Parmi mes projets, l’un d’entre eux sur lequel j’ai beaucoup travaillé ces dernières années, est la façon dont le blackface se manifeste au Canada à l’époque contemporaine. Et je suis particulièrement intéressé par le fait qu’il apparaisse dans les milieux éducatifs bien plus que n’importe où ailleurs. Et donc, quand vous entendez parler d’incidents de blackface, ils surviennent sur les campus universitaires et de plus en plus — bon, j’espère que ce n’est pas vraiment de plus en plus
savez, on entend : « Ce n’est pas une grosse affaire, n’en faisons pas une grosse affaire » puis l’on arrive à un point où il y a au moins la reconnaissance de l’existence d’un problème. Mais c’est une inquiétude continue.
est à ses premières étapes et nous n’avons donc pas encore beaucoup de choses à reporter à part l’anecdotique que nous connaissons probablement déjà tous·tes. Mais elle s’intéresse à la façon dont ces
« L’éducation de l’État et les institutions éducatives traditionnelles ne servent pas à nos besoins comme ils se doivent d’être servis » — mais, notamment, souvent maintenant, dans les écoles secondaires et primaires. C’est donc une inquiétude, et une grosse partie du travail que je continue à faire se penche sur ce qui, dans les milieux éducatifs, invite à ce genre de manifestation de la négrophobie, et comment nous en venons à les reconnaître comme un problème. Parce que l’une des choses qui arrive souvent c’est que les administrations universitaires ne le voient pas comme un gros problème : de « Ce n’est pas du tout un problème » il y a quelques années à « Ok, bon, nous ne voulons pas nous en occuper parce que c’est un sujet sensible pour les personnes noires », mais sans vraiment saisir les plus larges implications de ce genre d’actes. Et vous avez aussi mentionné la campagne de changement de nom et c’est vrai qu’il y a des parallèles. De la même façon dont le blackface est une des plusieurs manifestations de la négrophobie dans les espaces universitaires et académiques, le problème qu’aborde la campagne de changement de nom est un exemple de racisme anti-autochtone , comment il fonctionne et comment il peut souvent être banalisé. Vous
UNIVERSITé mcgill LD : Y-a-t-il aussi des façons dont votre recherche s’articule à de plus larges échelles, par exemple aux échelles canadienne et montréalaise, et peut-être au-delà du problème du blackface? PH : Oui, l’un de mes autres projets, plus récent, observe les façons dont les communautés noires, à Montréal et à travers le Canada, ont toujours eu besoin de complémenter les initiatives éducatives fournies par l’État et les universités. Et donc, où que vous alliez, vous voyez des écoles noires du samedi, de la fin de semaine, des programmes après l’école, des programmes d’école d’été, parfois des écoles alternatives dans le système, parfois des écoles alternatives à l’extérieur du système. Nous sommes constamment en train de faire quelque chose pour agir face au fait que l’éducation de l’État et les institutions éducatives traditionnelles ne servent pas nos besoins comme ils se doivent d’être servis. Cette recherche récente en
besoins ont été articulés et quelles sortes d’interventions ont été entreprises et avec quels effets. LD : Dans votre recherche vous parlez d’initiatives éducatives supplémentaires des communautés noires, est-ce à cela que vous faites référence? PH : Oui, tout à fait. Et mon point est que cela arrive de multiples façons, ce qui veut dire que nous ne restons pas toujours engagé·e·s dans le système [éducatif standard]. LD : Pensez-vous qu’il y ait des défis particuliers auxquels doivent faire face les communautés noires au Québec, peut-être en lien avec la langue française? PH : Je pense que je commencerai en disant qu’il y a une certaine façon dont le Québec se plait à formuler les problèmes, les luttes, et les oppressions des personnes noires vivant au Québec en termes linguistiques. Et donc il y a beaucoup d’at-
tention mise, par exemple, sur les communautés noires anglophones et pourquoi elles ne réussissent pas. Et la réponse, pour autant que le discours dominant est concerné, est qu’elles ne parlent pas français. Puis on arrive aux communautés haïtiennes, mais cette fois-ci on dit : « Eh bien, ils·elles parlent kreyol, ils·elles ne parlent pas vraiment français. » Et ça devient assez troublant. Ils semblent que tous les efforts fournis conduisent à compresser ces problèmes en des termes linguistiques. Et comme le montrent les travaux récents de Délice Mugabo (doctorante en géographie à l’Université de la ville de New York, ndlr), la négrophobie ne répond pas à ces lignes linguistiques. Nos difficultés avec l’État/ la province ne sont pas à propos de la langue que nous parlons. Celleci peut rentrer en jeu de multiples façons, mais n’est pas la source du problème. Et une partie de la recherche que je mène avec ce dernier projet [d’initiatives éducatives supplémentaires des communautés
« Considérer [ces problématiques] en termes de langues, c’est ne pas comprendre les façons dont la négrophobie traverse les barrières du langage » noires] est aussi pour élargir un peu cet angle. Et nous avons beaucoup de personnes qui parlent français couramment, ou des enfants qui vont à l’école ici — qu’importe leurs langues natales — et qui parlent très bien français, mais se confrontent encore à ce genre de difficultés d’exclusion, de pénurie d’emplois, et caetera, et caetera, qui sont les problématiques principales [affectant les communautés noires]. L’un de mes problèmes majeurs est que nous tendons à voir cela en termes de langage et d’immigration. Considérer [ces problématiques] en termes de langues, c’est ne pas comprendre les façons dont la négrophobie traverse les barrières du langage. Les considérer en termes d’immigration, c’est ne pas reconnaître la longue pré-
le délit · mardi 4 février 2020 · delitfrancais.com
sence noire au Canada, au Québec et à Montréal, et la persistance du facteur négrophobe à travers le temps. LD : Justement, vous parlez de la longue présence afro-descendante au Canada, et vous travaillez aussi éminemment dans le domaine des Études afro-canadiennes. Quels sont selon vous certains processus qui caractérisent l’expérience afro-canadienne et la singularisent face à d’autres expériences vécues par d’autres communautés de la diaspora africaine, qu’elle soit afro-américaine ou afro-caribéenne par exemple? PH : C’est une question très intéressante. Je pense qu’il faut être prudent·e·s quand on parle de négritude et de négrophobie. Prudent·e·s à propos des manières dont on pense qu’elles sont contenues à l’intérieur des frontières nationales et provinciales. La négrophobie est très multinationale, transfrontalière, très globale en ce sens. Et donc je crois encore que l’un des problèmes que nous avons est que nous avons tendance à dire « Eh bien, vous savez c’était aux États-Unis, pas ici », comme s’il y a des différences énormes entre les deux endroits et que des analogies ne peuvent pas être dessinées. Il faut que nous réfléchissions à savoir à quel point les frontières étatiques sont saillantes à la négrophobie. Commençons ici. Toutefois, ayant dit cela, il y a certaines choses qui marquent l’expérience canadienne de façons légèrement différentes que l’expérience étasunienne par exemple. L’une de ces choses serait l’effacement de la négritude. Aux États-Unis, il y a un problème de négrophobie ; l’on comprend qu’il existe et que les populations noires existent. Ici, il est difficile de faire savoir, premièrement, que les personnes noires ont été ici depuis au moins 1629 avec Olivier Le Jeune, si ce n’est plus tôt avec Mathieu da Costa, et deuxièmement que les populations noires ont été mises en esclavage au Canada — une réalité qui est souvent effacée par les récits autour du chemin de fer clandestin (Underground railroad, ndlr). Parce que, pendant une courte période de 15 ans, entre le début du Fugitive slave Act et l’abolition de l’esclavage aux États-Unis, les gens s’échappaient ici pour fuir l’esclavage, il y a une impression qu’il n’y a pas eu d’esclavage au Canada. Et bien sûr, ce n’est pas le cas. Il y a de nombreuses stratégies qui sont utilisées pour effacer la présence noire ici. Dre. Dorothy Williams (docteure en histoire, spécialiste d’histoire noire canadienne, ndlr) s’exprime sur ce sujet comme étant une mesure très délibérée de la part des historien·ne·s, de traiter la présence noire et l’histoire de l’esclavage au Canada d’une façon particulière. Ce n’est pas un oubli, c’est en fait un geste intentionnel. Et si l’on fait cela correctement, l’on peut alors formuler, particulièrement au Québec, toute présence noire comme
arrivée récente. Et si toutes les personnes noires sont arrivées récemment, premièrement l’étendue de leur contribution est niée, deuxièmement nous pouvons attribuer leurs difficultés à des problématiques d’immigration, ce qui ne tient pas la route.
autres êtres humains sont définis par leur différence avec la négritude. Et vous avez alors même des membres d’autres communautés racisées qui prennent leur distance avec les communautés noires de façon à se soutenir eux·elles-mêmes.
LD : Et trouvez-vous qu’il existe un intérêt grandissant pour les Études afro-canadiennes? Ces problèmes dont nous parlons, d’effacement de la présence noire au Canada, sont-ils encore largement ignorés ou, au contraire de plus en plus abordés? Quels sont les enjeux actuels de ce champ d’études?
LD : Est-ce qu’il y a beaucoup — ou de plus en plus — de recherche qui est en train d’être faite à McGill, sur la condition noire et sur les expériences des communautés noires?
s’il y a un progrès ou une augmentation de ces phénomènes, notre nombre a toujours été très faible, donc il est difficile de dire s’il y a une tendance, si elle est haute, ou basse, à un moment donné. Mais je sais que les personnes noires à McGill ont toujours dit : « Hey, il faut qu’on soit représenté·e·s. » Je pense au Congrès des écrivains noirs qui a eu lieu ici dans les années 1960… Je veux dire, ce sont des accomplissements assez importants, qui mettent en avant l’histoire de ce travail.
PH : Je ne peux pas vraiment dire s’il y en a de plus en plus, il faudrait que j’observe tout de près, mais une chose que je sais, c’est qu’il y a moins de professeurs noirs maintenant qu’il y
LD : Vous parlez justement du travail effectué par les étudiant·e·s noir·e·s pour se « placer sur la carte » et combattre l’invisibilisation de leurs expériences dans les programmes académiques.
PH : Je pense que l’enjeu contemporain ayant trait à la présence noire au Canada a
travail. Et je comprends ce que vous dites et je suis totalement d’accord sur le fait que les petites interventions individuelles ne sont pas suffisantes. À quel moment voyons-nous cela intégré dans les curriculums d’une façon plus holistique? Mais l’une des choses que nous retenons des Black Studies c’est que, à cause de l’unicité de l’expérience noire, et parce que la définition de ce que cela signifie d’être humain et d’exister en société et en communauté tend à généralement exclure la négritude, nous ne pouvons véritablement comprendre aucun de ces phénomènes sociaux sans proprement comprendre l’expérience noire. Et donc l’intégration de cette expérience produit vraiment du travail révolutionnaire, de pointe, qui permet aux gens, s’ils y sont ouverts, de voir le monde différemment et de le comprendre différemment. C’est donc une bénédiction dans ce sens. Je sais que le temps supplémentaire que vous mettez dans vos travaux fait véritablement une différence, je le crois. Et alors il faut aussi comprendre que la finalité de cela, des Black Studies, est la libération des populations noires. Ce n’est pas juste de s’assurer d’avoir un beau petit curriculum qui reste posé quelque part. C’est vraiment de trouver comment tout ceci travaille au service des luttes noires et de la libération noire. LD : Quelles sont vos pensées et ressentis alors que s’amorce le Mois de l’Histoire des Noir·e·s? Que vous évoque ce moment de l’année, sachant qu’il peut revêtir une signification différente pour chaque personne?
parker le bras - brown
dérivé d’une problématique d’effacement total à une problématique d’effacement implicite. Les difficultés des populations noires sont souvent pensées indistinctement comme des difficultés raciales, et ceci n’accorde alors aucune compréhension à la spécificité et la différence d’expérience d’une personne noire comparée à une personne d’une autre communauté racisée. Si vous pensez en termes de présence racisée sans véritablement comprendre la présence noire comme étant différente, alors vous passez complètement à côté de la question noire et perpétuez la négrophobie. L’une des préoccupations que nous avons maintenant est, qu’en cachant nos inquiétudes, en ne les nommant pas négrophobie, mais souvent en les groupant simplement sous le parapluie du terme racisme, nous perdons la spécificité de la négritude. Parce que c’est une expérience différente qui s’est formée autour de dynamiques opérant différemment. De façon générale, la négrophobie place les personnes noires en dehors du domaine humain, tous les
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en avait, disons, il y a vingt ans. Donc qu’est-ce que cela veut dire en termes de soi-disant progrès?
Pensez-vous que de ces efforts individuels puisse émerger un véritable changement en profondeur
« Il faut aussi comprendre que la finalité de cela, des Black Studies, est la libération des populations noires » Mais les professeur·e·s qui sont ici depuis des années ont fait une variété de choses et continuent d’essayer — et pas qu’eux, mais aussi les étudiant·e·s noir·e·s, comme moi à mon époque en tant qu’étudiant —, ne se voyant pas représenté·e·s dans les curriculums, d’insérer du matériel nouveau sur les expériences des personnes noires dans leurs études. Quand il s’agit de travail aux second et troisième cycle, travailler sur des sujets qui parlent des expériences noires, je tire moi-même d’importantes informations de thèses qui ont été faites à McGill par des étudiant·e·s noir·e·s. Donc en tant que personnes noires, nous avons toujours essayé d’en apprendre plus sur nous-mêmes, de nous placer « sur la carte », et de combattre cette invisibilisation. Je ne peux pas dire
qui mènera dans le futur à une plus grande représentation des expériences noires dans les enseignements universitaires? PH : Eh bien, vous savez, voici une façon de voir les choses : il s’agit à la fois d’une malédiction et d’une bénédiction. C’est une malédiction parce que vous devez toujours faire une double charge de travail. Vous faites le travail qui vous a été assigné, puis vous vous dites « ok, mais il faut que j’en apprenne plus sur ces autres choses qu’on ne m’enseigne pas, il faut que je trouve ça par moimême ». Et dans ce sens, c’est un travail difficile. Ça fait aussi de vous un·e étudiant·e pointu·e, mais le travail reste difficile. Mais de l’autre côté de cela est l’impact de ce travail, l’importance de ce
PH : Franchement, je n’organise pas mon esprit, ou mes pensées, ou mon travail autour du calendrier qui intègre le mois de l’Histoire des Noir·e·s au plus court mois de l’année (rires). Mais je ne fais pas non plus partie de ceux·celles qui le rejettent. Je sais pourquoi il doit exister, je suis d’accord avec, et je participe à ce qu’il s’y passe à McGill et ailleurs. Mais je ne me demande pas moins pourquoi, pourquoi il nous faut ce mois, d’où vient cette invisibilisation que nous devons sans cesse combattre, et ce que cela prendra pour que nous continuions à faire ce travail en dehors du Mois de l’Histoire des Noir·e·s. Je me demande toujours : qu’allons-nous faire le premier premier mars? Comment continuer ce travail après le premier mars? Et comment faire pour que le Mois de l’Histoire des Noir·e·s ne devienne pas qu’un simple apaisement, pour la conscience de n’importe qui d’autre — puisque l’apaisement n’est pas tant pour nous, en fait —, duquel ils peuvent passer à autre chose immédiatement, alors que nous continuons à vivre la réalité qu’est celle d’être une personne noire, à McGill, au Québec et au Canada.x
Propos recueillis et traduits par Jérémie-clément pallud
Éditeur Société
SOCIÉTÉ
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point de vue
Dieu est plus grand Conséquences de l’obsession occidentale pour l’islam sur des vécus intersectionnels. Anonyme
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e 15 janvier dernier, j’assistais à une conférence donnée à l’UQAM intitulée « À l’intersection de l’islamophobie et de l’hétérocissexisme : récits de résilience de huit personnes LGBTQ+ musulmanes vivant à Montréal ». Je suis moi-même une personne queer, immigrante d’Afrique du Nord, vivant à Montréal. Je ne suis pas croyant, mais je me définis comme musulman de culture, car c’est un aspect intégrant de mon éducation et de mon identité et qui représente beaucoup plus pour moi qu’une simple croyance religieuse. Cette conférence représentait donc pour moi une occasion précieuse et assez rare de voir mon expérience représentée et abordée dans l’espace public, à travers des récits de personnes qui ont potentiellement un vécu similaire au mien. Tout le monde a une identité, mais certaines sont plus politiques que d’autres, car elles sont liées à des structures de pouvoir qui les dépassent, qui souvent les marquent au fer...et ça fait mal. Ce genre de moments est l’occasion pour moi de soulager cette douleur existentielle, identitaire et politique que je ressens, car ceuxci me permettent de sortir de ma solitude, de rencontrer des gens qui comprennent cette peine et cette douleur, avec l’espoir, peut-être, de construire une communauté de soutien et d’amour. Se trouver de tels espaces peut s’avérer vital dans certaines situations où des structures comme la famille, censée apporter ce soutien et cet amour, ne sont pas en mesure de remplir leur rôle. Tout cela pour dire que ce moment d’échange salutaire et de retrouvailles « alterfamiliales » n’a jamais eu lieu. Il nous a été confisqué par un groupe de personnes dans l’assemblée se disant antithéistes qui ont monopolisé la parole pour tenter de nous enseigner, peut-être de bonne foi, à quel point l’islam et le Coran sont hostiles à l’homosexualité et nous apporter la libération qu’ils pensaient nous offrir. Il s’agissait d’une demi-douzaine d’hommes et de femmes québécois·e·s de souche qui exprimaient leur refus de concevoir la possibilité d’une existence musulmane et queer, en prenant pour appui tantôt d’obscurs versets coraniques, tantôt des lois homophobes dans certains pays du Moyen-Orient. Ou comment amalgamer complètement islam, musulman·e·s, textes sacrés, pays musulmans et expériences LGBTQI+, tant leur imaginaire est conditionné par des récits occidentaux très enracinés, fait d’amalgames et de clichés, opposant dans ce casci un Québec libéré de la religion grâce à la Révolution tranquille à
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un Orient encore plongé dans les abîmes. L’une de ces personnes, assise à côté de moi, s’empressait de sortir de son sac un dossier papier intitulé « L’homosexualité selon l’islam » avec un corpus de versets et d’interprétations, et de citer le verset 5 de la Sourate 4 de la section 10 du chapitre 25 de l’Évangile selon Mohammed, dans une conférence ayant pour sujet les récits de résilience de huit personnes queers qui s’avèrent être musulmanes. Réduire pour juger Autant je pense que le débat d’idées, et notamment le débat sur
houleux et conflictuel avec Dieu, au dilemme que j’ai vécu entre être musulman·e et être LGBTQI+. Et petit spoiler qu’il faut visiblement encore rappeler : les deux sont parfaitement compatibles! Car qui a dit qu’être musulman·e signifiait être lié·e à la virgule près à un texte révélé il y a une dizaine de siècles? Être musulman·e renvoie certes à un rapport à une religion, mais cette signification s’est considérablement enrichie avec le temps dans un sens plus agentif, plus créatif et plus libre, comme cela est en réalité le cas pour beaucoup d’autres allégeances religieuses ou non religieuses. Après tout, y a-t-il un sens unique au fait
comme de n’importe quelle autre religion dans ce contexte politique, social et symbolique? Peut-on en discuter comme de n’importe quel autre système d’idées, de dogmes et de croyances, avec ses apports et ses travers? Vraisemblablement non, l’islam est un objet d’exception qu’il faut traiter avec la plus grande sévérité et intransigeance pour la menace qu’il représenterait spécifiquement pour la démocratie, et ses adeptes venus d’ailleurs doivent le comprendre et s’intégrer. Partant très souvent de cette base de méfiance et de supériorité, l’attitude occidentale face à la diversité
évangéline durand-allizé la religion, sont importants — je suis moi-même assez critique des religions — autant je refuse que nos existences et nos vies soient réduites à un débat théologique et que nos espaces soient parasités par des individus qui ne comprennent pas la nature douloureuse de nos expériences et refusent de nous écouter. On peut débattre d’idées, et la religion est un corpus d’idées, mais nos existences et nos vies ne sont pas de cette nature, elles sont bien réelles et ont des conséquences très matérielles. En parler exige une éthique du dialogue rigoureuse et empathique basée avant toute chose sur l’écoute des concerné·e·s, le but n’étant pas d’avoir raison ou de faire son point, mais d’apprendre à propos d’une expérience de vie que tout le monde ne traverse pas, de combler une méconnaissance qui n’est pas une honte. Cette polémique a été assurément frustrante, car elle n’a permis ni aux concerné·e·s de se retrouver, ni aux non-concerné·e·s d’apprendre. Elle m’a néanmoins beaucoup fait réfléchir à mon histoire et mon rapport
« Je refuse que nos existences et nos vies soient réduites à un débat théologique et que nos espaces soient parasités » d’être chrétien·ne, juif·ve, bouddhiste ou même athée, pour ne citer que ces croyances? Mais dans les pays occidentaux, l’islam n’est pas une religion comme une autre. Parler de religion amène même généralement à parler d’islam, et très souvent en des termes peu flatteurs (les fameux « signes religieux »). Et cela revient habituellement à confondre islam, musulman·e·s et pays à majorité musulmane, et à débattre d’humain·e·s avec aussi peu d’égards et d’empathie que l’on débat d’abstractions. Alors peut-on encore parler d’islam
culturelle et religieuse ne peut que condamner la communication saine nécessaire au vivre-ensemble et à l’empathie ; elle devient alors un dialogue de sourds, un dialogue impossible qui polarise, frustre et braque les un·e·s contre les autres. C’est précisément dans cette situation que l’on se trouve en ce moment dans la majorité des pays occidentaux face à l’islam et aux musulman·e·s. C’est précisément cela qui s’est passé à la conférence à laquelle j’ai assisté. Et les seul·e·s à qui bénéficie cette dynamique sont des entrepreneur·euse·s politiques calculateur·ice·s et dangereux·ses associé·e·s à des médias, marchands de haine, toujours plus nombreux. Combattre l’isolement Face à ce climat toxique, injuste et blessant pour une partie de la société qui n’a rien demandé d’autre que de vivre en paix, en phase avec elle-même et intégrée à la société où elle se trouve, je me pose une question tous les jours : comment aborder sereinement dans ce contexte les conversations nécessaires sur les
dynamiques d’oppression et sur les haines qui existent dans nos communautés religieuses? Comment avoir ces conversations et ces débats difficiles, sans donner des munitions aux marchands de haine pour nous nuire, et sans pour autant se maintenir dans l’invisibilité et l’interstice? La conséquence la plus problématique de ce climat du point de vue de mon expérience intersectionnelle est qu’elle me place dans un dilemme cornélien, un déchirement intenable, en tant que personne queer, immigrante et de culture musulmane, où je ne sais pas quoi dire, où le dire, sans me nuire à moi-même ou à ma communauté, car il n’y a pas d’espaces de dialogue sécuritaire et constructif qui ne soient pas épargnés par le regard essentialisant, intrusif et accusateur des marchands de haine. Les termes de la conversation nous ont été confisqués. Et non seulement la communication est brisée entre la société majoritaire et la minorité musulmane à cause d’une attitude d’ignorance, d’antipathie et de déshumanisation, cette même attitude empêche la communication au sein de nos communautés. Et évidemment, dans cette situation, les premièr·e·s à en souffrir sont ceux·celles se situant à l’interstice de ces différentes expériences sociales, dans cet espace microscopique que personne ne voit, qui n’intéresse personne d’autre que ceux qui y vivent à l’étroit, souvent dans la solitude, et qui ressentent un besoin brûlant et vital d’engager les conversations nécessaires. Finalement, même si j’ai rompu avec Dieu il y a de cela quelques années, je pense de plus en plus qu’il n’est finalement pas nécessaire de s’en débarrasser pour trouver libération, je pense même que la religion peut être un vecteur de progrès et de changement des mentalités, car elle a un potentiel rassembleur. Mais cela, seulement si l’on accepte d’attaquer les dynamiques de pouvoir et d’oppression qui traversent nos communautés, sans excommunier quiconque et rien d’autre que la haine. Et cela, seulement si on accepte de développer un rapport plus libre, plus réfléchi et plus courageux à l’égard de la religion, empreint de spiritualité, d’amour et d’empathie. Dans le roman éponyme d’Amin Maâlouf, Baldassarre le voyageur incarne très bien cet esprit. Comme il le dit très joliment : « J’aime à croire que le Créateur préfère, de toutes ses créatures, justement celles qui ont su devenir libres […]. Le Dieu qui mérite que je me prosterne à Ses pieds ne peut avoir aucune petitesse ni aucune susceptibilité. Il doit être au-dessus de tout cela. Il doit être plus grand. Il est plus grand, plus grand, comme aiment à répéter les musulmans ». x
le délit · mardi 4 février 2020 · delitfrancais.com
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mythologies
« Le mythe prive l’objet dont il parle de toute histoire. Car la fin même des mythes, c’est d’immobiliser le monde. » R. Barthes
Mythologie : Laurent D.-Tardif Le Québec célèbre son cheval de Troie américain.
antoine milette-gagnon
parker le bras-brown
Contributeur
L
es journaux s’affolent : « La folie Laurent DuvernayTardif s’empare du Québec. » « Les défis de Laurent Duvernay-Tardif et des Chiefs au Super Bowl. » « Laurent DuvernayTardif au Super Bowl : fierté chez ses parents et amis. » Le Québec s’est trouvé une nouvelle fierté existentielle : un Québécois est allé au Super Bowl. Laurent Duvernay-Tardif est bloqueur des Chiefs de Kansas City. Les admirateurs de LDT ont donc pris pour les Chiefs, même si la plupart d’entre eux n’étaient probablement pas capables de nommer dans quel État américain se trouve Kansas City. Qu’importe, l’exploit en lui-même vaut les louanges qu’il reçoit. Comme le dit lui-même LDT : « Le Super Bowl transcende le sport ». De quel exploit, de quelle transcendance parlons-nous? L’exploit sous-jacent est surtout celui d’une conquête. Car oui, un Québécois dans la ligue majeure de football, c’est une conquête en soi. Notre Neil Armstrong à nous qui est allé planter le fleurdeli-
sé en plein cœur de la bannière étoilée. David Saint-Jacques peut aller remettre sa combinaison spatiale. C’est comme si « le Québec » connaissait Laurent Duvernay-Tardif. Avec son double nom de famille rappelant la curieuse mode typiquement québécoise francophone des années 1990, Laurent pourrait être le fils de n’importe qui, le cousin d’un tel, l’ancien camarade de classe de celui-ci. Le Québec n’a jamais rien créé de si beau.
Toutefois, Laurent n’est pas simplement un joueur de football ; il est également médecin, possède une fondation, une galerie d’art, etc. La combinaison peu commune de ces attributs est saisie par le Québec médiatique pour en faire un nouveau héros, le parangon de ce qu’il est possible de qualifier de réussite. LDT devient alors la personnification d’un rêve américain nappé de sauce poutine. Si on veut, c’est-à-dire si le confort bourgeois, la fréquentation d’établissements scolaires privés
et d’universités prestigieuses nous sont familiers, on peut! Né pour un petit pain? Certainement pas – regardez Laurent!
de Mont-Saint-Hilaire ; c’est la victoire de Laurent Duvernay-Tardif. Il marque l’Histoire pour le Québec. Quel fier patriote avons-nous!
Saint Laurent
Toutefois, tout cet emballement est un masque, une distorsion de la véritable conquête ayant déjà eu lieu. C’est bien triste. Il n’y a rien de québécois au Super Bowl. Ces mêmes Québécois si fiers de leur patrie ne trouveront rien à dire à dépenser de leur temps libre pour écouter des publicités américaines avec grand plaisir, chaque publicité devenant une « œuvre d’art » à apprécier. Au contraire, LDT est plutôt le symptôme du cheval de Troie nous ayant déjà conquis depuis des décennies. Devrait-on se demander pourquoi nous excitons-nous pour l’événement le plus american qui soit? Quel est l’apport du Québec dans le développement de cette manifestation culturelle?
« Un Québécois remporte le #SuperBowl! Quel bonheur de voir le Québec rayonner à travers le monde! (...) Laurent, tu fais la fierté de tout un peuple ce soir. » Oui, comme le premier ministre l’a déclaré, le peuple égaré a retrouvé sa lanterne, sa nouvelle Céline Dion qui lui permettra de s’affirmer devant la face du monde, notre Achille qui nous a permis de pénétrer la cité interdite. Peut-être même que Patrick Mahomes, quart-arrière des Chiefs, est maintenant capable de pointer le Québec sur une carte du monde! Vive le Québec! Twitter a également pris des allures de chapelle alors que les fidèles ont pu y déposer leur prière à Saint Laurent. « Dans des salons, bars, restaurants et cinémas partout dans la province, bon nombre de Québécois ont pu voir les Chiefs et leur compatriote Laurent Duvernay-Tardif gagner le Super Bowl. » C’est la victoire de LDT. Ce ne sont pas les Chiefs qui l’ont emporté. C’est la victoire du p’tit gars
En vassal jouant au seigneur, la province se donne le droit de célébrer la victoire d’une bataille historique. C’est toutefois oublier que le Québec a perdu la guerre de l’existence culturelle bien avant la naissance de notre Saint Laurent. Hystériques, nous avons accueilli le cheval. Dans cette histoire, nous portons le rôle de Troie. x
Mythologie : Costco et cie
Ou la manipulation psychique dans la surconsommation de l’inutile. audrey bourdon
Éditrice Philosophie
parker le bras-brown
«M
ettez vos souliers, les enfants, c’est l’heure de la sortie hebdomadaire au magasin des rêves. » Papa et maman amènent fiston et fillette dans le club-entrepôt-étoile de leur banlieue de banlieue pour l’heure du déambulage planifiée pour chaque dimanche. Les côtoieront d’autres parents épuisés ou célibataires aigris, chacun se présentant religieusement à la messe. Fut un temps où les paroisses avaient meilleure mine. Lors de votre arrivée, il vous suffira de brandir fièrement votre carte de membre vous donnant accès à ces bas prix sur n’importe quoi. Vous pourrez ensuite débuter votre randonnée par l’allée des produits congelés, à moins que vous ne soyez venu cette fois pour
renouveler votre prescription pour la vue, ou encore pour acheter un nouveau matelas. Et quel endroit parfait pour régler des funérailles! Des couches jusqu’à la mort, toute l’existence s’y achète. Mais peu importe, car il vous faudra traver-
le délit · mardi 4 février 2020 · delitfrancais.com
ser les nouveaux ensembles de patios qui annoncent l’été avant d’atteindre la rangée des pneus. Le slogan de Jean Coutu « On trouve de tout, même un ami » fait pâle figure à côté du gigantesque labyrinthe de rangées. Vous pouvez être
certain que vous ne ressortirez pas les mains remplies simplement de ce dont vous aviez besoin ; l’emplacement rusé des objets au bout des rangées vous fera dire : « J’avais besoin de chiffons, il me semble... Et ce paquet de 75 est en rabais! » Du stock de nettoyage pour toute sa vie, il faut en profiter! N’oubliez pas que chaque produit est présenté comme une aubaine, un rabais à ne pas manquer ; de quoi sortir la carte de crédit sans même hésiter afin de se satisfaire de cette offre alléchante. Le tournis que donne l’enfilement des produits les plus divers réussit à mettre papa et maman dans un état de fébrilité entre le désagréable et l’excitation, permettant l’extraction des derniers sous possibles. Le rabais incroyable prendra fin demain. C’est maintenant ou jamais. Le magasin total La corne d’abondance consiste en le salut du banlieusard
de la classe moyenne ; l’endroit devient un rassemblement communautaire qui procure à ses visiteurs un sentiment d’appartenance à la consommation. Les nombreux kiosques de dégustations « culinaires », disons « alimentaire », permettent de brefs interludes aux déambulations et favorisent le contact humain dans cet espace déshumanisé. Les magasins à grande surface desquels fait partie ce très cher Costco représentent le summum de la déspécialisation. On y retrouve de tout, et à la même place. C’est d’une paresse éhontée dont fait preuve leur clientèle ; on détruit les commerces spécialisés pour la facilité d’accès. N’allez pas vous demander pourquoi les petites boutiques ferment leurs portes près de chez vous, vous n’avez qu’à regarder l’embouteillage causé par la masse chez Costco. Une belle déchéance humaine. x
Philosophie
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Culture
Playlist de la semaine Tidal Wave - Portugal the Man L’enfant fou - Jean Leloup The Fear of Falling Apart - Geoffroy
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Théâtre
Un comique archaïque Le Théâtre du Rideau Vert reprend Le malade imaginaire de Molière.
violette drouin
Interprétations habiles
L
Mettant moins l’accent sur une critique de la médecine qui est aujourd’hui partiellement obsolète, la mise en scène de Michel Monty fait ressortir les dynamiques riches et souvent – au bonheur de l’auditoire – amicales entre les personnages. La complicité d’Angélique avec son amant Cléante (Maxime Mompérousse) et la servante Toinette (Violette Chauveau) crée un arrière-plan engageant et ajoute une profondeur aux scènes. L’ironie du déguisement de Cléante en le maître de musique d’Angélique, lorsque — malchance — Thomas Diafoirus arrive pour rencontrer cette dernière, est savamment manipulée afin de produire l’un des moments les plus drôles de la pièce.
Éditrice Culture
e Théâtre du Rideau Vert débute l’année en reprenant la toute dernière pièce de Molière, Le malade imaginaire, habilement mise en scène par Michel Monty. Les comédien·ne·s déploient la fameuse histoire de l’homme qui se croit malade sur un décor plus ou moins moderne, avec un jeu rapide et impeccable. Modernité engageante Les modernisations de pièces anciennes suscitent souvent des réactions mixtes, avec raison. Il peut être déstabilisant d’entendre des phrases d’un français que nous percevons maintenant comme littéraire se faire interrompre par la sonnerie de la montre d’Argan (Luc Guérin). Mais une fois la première surprise passée, cet anachronisme volontaire rapproche adroitement l’intrigue du monde quotidien de l’auditoire contemporain. Les
courtoisie du théâtre du rideau vert récipients à pilules orange, le LaZ-Boy et la tuque des Canadiens d’Argan communiquent bien mieux l’atmosphère d’une chambre de malade que l’aurait fait un décor inspiré du 17e siècle. Ce rapprochement sert à véhiculer l’histoire, mais peut aussi devenir plutôt angoissant. La promesse faite par Argan de donner sa fille Angélique
(Anne-Marie Binette) à Thomas Diafoirus (Frédérick Tremblay) repose quelque part entre l’incongruité de voir une telle chose dans un monde moderne et l’inquiétude que ce soit possible. L’inconfort évident d’Angélique, étant forcée de s’asseoir entre son supposé fiancé et le père de celui-ci (Patrice Coquereau), se rapproche un peu trop de scènes malheureusement familières pour le public féminin.
Cette comédie est sans doute censée s’étendre à la méchante belle-mère, Béline (Émilie Lajoie). Celle-ci est présentée sous un angle exagéré, portant tour à tour diverses robes à paillettes et s’exprimant avec un
accent plus évidemment québécois que les autres comédien·ne·s. Ses emportements sont extrêmes au point d’être ridicules, d’où vient l’aspect comique. Toutefois, certains de ces moments échouent à susciter le rire chez certain·e·s membres de l’auditoire. Malgré son excellente mise en scène moderne, Le malade imaginaire reste une pièce profondément sexiste et dont les personnages féminins sont stéréotypés – la jeune belle-mère qui ne veut que de l’argent, la fille enfantine et naïve d’un père qui ne souhaite pas la donner en mariage à l’homme qu’elle aime et la servante impertinente et bruyante. Le jeu sans défaut des comédien·ne·s et la qualité de la mise en scène ne peuvent malheureusement remédier entièrement à cela, et les répliques peuvent laisser un goût amer au·à la spectateur·rice. Michel Monty remarque que « Molière n’est pas un monument ». Nous ne sommes donc pas obligé·e·s de trouver son sexisme comique. x
danse
Radicale Vitalité, puissants éclats Les danseur·euse·s de la Compagnie Marie Chouinard déroutent et étincellent. juliette de lamberterie
Éditrice Société
I
l n’est pas nécessaire de la présenter à quelqu’un qui connaît bien la scène de la danse contemporaine : Marie Chouinard, chorégraphe et danseuse québécoise, ne cesse de créer depuis les années 1970 et collectionne les distinctions. Une semaine entière de la saison 2019-2020 de Danse Danse a été consacrée à ses productions, incluant RADICALE VITALITÉ, SOLOS ET DUOS, dévoilée pour la première fois en Amérique. Constitué de morceaux originaux ainsi que d’extraits d’anciennes pièces de la chorégraphe, Radicale Vitalité est composé d’une multitude de performances qui ne durent que quelques minutes — même si certaines semblent durer beaucoup plus longtemps tant elles sont puissantes (et c’est voulu). Marie Chouinard, dans sa conception du spectacle, a remanié et revisité d’anciennes scènes — en en modifiant les décors, les
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Culture
sons ou les costumes — pour nous livrer un produit final magnifiquement fragmenté.
photo : Sylvie-Ann paré Interprètes : Catherine Dagenaissavard, Sacha Ouellette-deguire
Plein la vue La scène complètement vide est un immense terrain de jeu pour les danseur·euse·s en solo ou en duo. Elle se transforme complètement d’une luminosité à l’autre : chambre à coucher, espace industriel, studio photo, enfer, paradis. On passe d’un duo énergique sur fond blanc à une mise en scène complètement noire, où une caméra braquée uniquement sur le visage d’une danseuse dévoile en noir et blanc sur un écran géant une chorégraphie de ses yeux, ses joues, sa bouche, pendant de longues minutes. Le travail des danseurs et danseuses est époustouflant : en plus d’effectuer des mouvements qui semblent défier les capacités normales du corps avec une aise à peine croyable, tous leurs gestes racontent l’histoire qu’iels se sont fait le devoir d’incarner. Iels ne font pas
que danser : iels poussent des cris, sanglotent, éclatent de rire, se font mal, s’embrassent. Leurs agissements sont précis et convaincants : nous sommes dans leur vie. L’extravagance des émotions Radicale Vitalité n’endort personne puisqu’elle ne fait que jongler entre les extrêmes. On témoigne d’amours qui se contrastent : un couple où l’homme est parfaitement
statique alors que sa partenaire s’accroche à lui comme un koala et lui lèche tout le corps, puis un couple qui se bat du début à la fin, alternant le rire endiablé et les larmes désespérées selon qui domine la lutte, ou encore un couple surexcité où chacun·e redécouvre l’orgasme l’un·e après l’autre. Mais justement, on n’y parle pas que d’amour ou de sentiments graves : Marie Chouinard nous fait
des blagues tout au long du spectacle, par clins d’œil en plein milieu d’intensité ou par le biais de performances entières complètement absurdes. À la fin de chaque moitié (le spectacle est divisé en deux par une très courte pause, mais sans entracte), tous les danseur·euse·s se réunissent sur scène, muni·e·s de masques géants qui couvrent leur visage — des masques de vieillards, puis des masques de bébés —, qui ont l’air très réaliste tout en étant en totale inadéquation avec leurs corps. En vieillards, ils dansent de manière ridicule, en bébés, ils se pavanent entièrement nus. Tout est déstabilisant et ne provoque que des réactions excessives. Et qu’on s’y connaisse ou pas en danse contemporaine, Radicale Vitalité frustre, parce que ses performances nous font sentir qu’on en garde tous·tes un peu trop à l’intérieur. Et à force de cris, de sauts, d’étreintes et de coups, les danseurs et danseuses de la compagnie nous donnent tous·tes envie de vivre l’amour et l’absurde de manière un peu plus forte. x
le délit · mardi 4 février 2020 · delitfrancais.com
entrevue
La sexualité à consommer Le dramaturge Dany Boudreault en conversation avec Le Délit.
C
orps célestes est une pièce amenant à la vie les personnages de Lily (Julie Le Breton), sa mère Anita (Louise Laprade), sa sœur Florence (Evelyne Rompré), le mari de sa sœur James (Brett Donahue) et son neveu Isaac (Gabriel Favreau). Lily – réalisatrice de pornographie – retourne auprès de sa famille pour s’occuper de sa mère malade. Le Délit rencontre l’auteur de la pièce, Dany Boudreault.
se réclament maintenant d’en faire même une forme presque artistique, ça reste quand même un outil de stimulation, lié à la consommation. En même temps, la pornographie existe depuis toujours, elle existe depuis les grottes de Lascaux. On a toujours cherché à représenter comment un homme, une femme, peu importe, s’accouplaient, se reproduisaient et comment aussi, reproduire certaines positions de plaisir. Maintenant, on est dans une conjoncture économique où elle a été complètement récupérée, absorbée par le capitalisme. Donc l’entreprise privée, maintenant, contrôle nos pulsions et les génère.
Julie Artacho
Le Délit (LD) : Corps célestes joue en ce moment au Théâtre d’Aujourd’hui. C’était une écriture assez longue, ou en tout cas le processus d’écriture a démarré il y a un bon moment. Comment te sens-tu? Dany Boudreault (DB) : Ça a commencé en 2016. C’est un grand sentiment d’accomplissement. On écrit, mais c’est une pièce, il y a toujours une grande volonté de communication. Du théâtre qui se lit, ça existe comme objet littéraire, on lit du Koltès. Mais je n’écris pas pour être lu par des lecteurs individuels. Je voulais voir ce que c’était l’expérience avec un public avec ce texte-là en particulier. LD : Tu ne joues pas dans la pièce, tu ne mets pas en scène. Peux-tu me parler du processus de création? DB : Je suis fondamentalement un auteur autant que je suis un acteur, donc c’est vraiment 50/50. Je fais les deux avec beaucoup de rigueur. J’ai déjà mis en scène des textes que j’ai écrit et je n’avais pas envie de le faire cette fois-ci. J’avais l’impression qu’il fallait que j’enrichisse un peu le dialogue avec quelqu’un. C’est un sport d’équipe, le théâtre. Je voulais aussi enrichir le dialogue avec une femme. J’aborde quand même le désir féminin, frontalement et viscéralement, de ce que j’en connais, ou par empathie, ou ce que j’en ai observé. Pour diriger les actrices et les acteurs, je pense que c’est important que ça passe par un véhicule un peu plus féminin. Il y a cependant un grand sentiment de dépossession. J’endosse tout, mais il y a des choses que je n’aurais pas faites comme ça. J’ai eu des questions, des commentaires, réflexions, mais je n’en faisais pas, ou alors seulement quand c’était propice. Je suis allé voir les répétitions, mais je n’étais pas non plus suffocant, écrasant, omniprésent, parce qu’il n’y a rien de pire qu’un auteur qui est toujours là. Je parle surtout pour la metteuse en scène Édith Patenaude, je voulais la laisser s’approprier le texte, le profaner.
C’est important aussi, profaner, ce n’est pas sacré [un texte]. LD : À propos de la pièce, tu affirmes « je crois en la puissance de la sexualité. Mais ma connaissance en est si réduite. Il s’agit d’une langue étrangère ». Après l’écriture de ce texte, ton approche a-t-elle changé?
grandes aspirations fondamentales politiques de la libération sexuelle et de l’appropriation d’une certaine intimité, l’évacuation du religieux. Certaines personnes voulaient même atteindre Dieu à travers ça. Je suis allé au Moyen Âge, chercher chez les sorcières... Bref, il n’y a pas de limites. En fait, j’ai constaté
bée, d’appétit qui se calme. Je suis plus apaisé, beaucoup plus transparent et beaucoup plus en mesure de nommer des manques que j’ai, de vivre avec, de me contenter aussi. LD : La pornographie, c’est une approche de la sexualité qui est particulière. Pourquoi un tel choix?
« On est au théâtre, on crée des conflits, ça impose une réflexion sur la représentation du corps sur scène. La pornographie pose la question de la représentation du corps, de la sexualité » DB : Ça m’a fait me documenter beaucoup. Ça m’a fait lire. Je l’ai écrit dans une période où je croyais que l’amour était devenu un peu interdit. Et en fait, j’ai vu la vastitude de ce que j’ignorais quand j’ai recherché. J’ai plongé dans les tenants et les aboutissants de ce qu’était la libération sexuelle des années 70, les
le délit · mardi 4 février 2020 · delitfrancais.com
mes propres limites. Je crois qu’en ce moment, dans ma vie, il y a quelque chose que je vis de façon beaucoup plus détendue. Ce texte-là vient clore aussi. C’est comme une façon de devenir adulte. Isaac meurt dans la pièce, mais pour moi, c’est comme une part de moi qui meurt aussi, une espèce d’adolescence exacer-
DB : Pour moi, ça pose un problème moral évident. On est au théâtre, on crée des conflits, ça impose une réflexion sur la représentation du corps sur scène. La pornographie pose la question de la représentation du corps, de l’accouplement, de la sexualité. Le but de la pornographie, même si plusieurs réalisateur·rice·s
Moi-même, et je pense que tout le monde, en consomme plus ou moins de façon erratique. Où est-ce qu’on apprend maintenant à avoir un contact sexuel? C’est beaucoup à travers la pornographie. Mais je ne voulais pas jeter de jugement moral là-dessus. On le sait, c’est dangereux. On entend toujours les mêmes discours : la pornographie, c’est mal. Évidemment le trop de pornographie, c’est mal. Je pense que la société fait la pornographie aussi. Quand on utilise les instruments pornographiques à des fins de consommation et quand le corps est complètement absent, ça, c’est dangereux. C’est pour ça que le personnage de Lily essaie de le faire autrement. C’est aussi une façon de prendre le pouvoir. Je me suis beaucoup informé autour de Ovidie, Erika Lust, qui sont des réalisatrices féministes pro-sexe. Il y a toujours un problème avec la famille et l’amour. En même temps, on pourrait changer le mot pornographie par n’importe quel statut incompatible avec le statut de la famille. C’est quelqu’un qui revient chez soi, l’enfant prodigue et qui ne fit pas. J’ai personnellement quitté à 17 ans, mais quand je vais au Lac-Saint-Jean, que je réalise de la porno ou que je sois acteur, je suis un extraterrestre! LD : Les thèmes de la sexualité, de la famille, ce sont des choses qui sont rarement abordées ensemble où alors dans un schéma qui est souvent le même, entouré de tabous, etc., alors que la famille est l’un des principaux vecteurs du développement, de la compréhension de la sexualité. Était-ce quelque chose que tu voulais aborder? DB : C’est central. Qui nous apprend comment ça se passe? On ne s’en parle pas. On reproduit toujours les mêmes gestes, deSuite de l’entrevue à la page 14
culture
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dans-dehors, pénétré-pénétrant. Il n’y a plus de transmission d’un savoir sexuel. Encore là, l’entreprise privée nous fait croire que l’intimité est une chose privée, alors que c’est un mouvement, un mouvement vers quelqu’un d’autre. On peut parler de la honte aussi. Au Québec, on s’est vraiment débarrassé du clergé soi-disant, mais on demeure assez envahi par ce fantôme judéo-chrétien assez puissant, qui nous lie et qui nous fait suffoquer, dans nos gestes, dans nos réflexes. Il y a comme une chape de plomb judéo-chrétienne qui est assez chiante. Je pense que ça se répercute beaucoup dans notre rapport puritain [à la sexualité], même si on est plus libéré·e·s, soi-disant, que le reste du Canada, que les Anglo-saxons. Non, on est pris avec ces schémas et ça commence dans la famille. LD : Tu parles de guerre, ce qui semble un peu en périphérie du reste de l’histoire. Pourquoi parler de ce sujet-là dans cette pièce? DB : La guerre n’est pas prise au sens strict, mais comme un envahissement de la pièce. C’est une espèce de lente invasion des désirs des personnages. Ils vont se laisser envahir par quelque chose de beaucoup plus viscéral. Et la guerre pour moi, c’est tout ce qui est invisible, ce qui est relié à tout ce qui est
valérie remise
génital et capitaliste. Il y a un sens de la menace aussi je dirais quand même, parce qu’il y a de façon assez tangible, un conflit au nord du Canada imminent, avec la fonte des glaciers. J’essaie de ne pas sombrer non plus dans l’anecdote de la guerre parce que je trouve ça plus ou moins intéressant. Ce qui est intéressant, c’est que les ressources diminuent, le rationnement, le rapport à l’électricité, l’eau, les vêtements. Et puis j’ai l’impression que
ça dramatise le repli de la famille. Il y a quelque chose de très proche de Tchekhov aussi, où les gens errent dans la maison sans occupation. Je trouvais que cet état d’attente d’un conflit qui n’éclate pas, alors qu’on sait qu’il va éclater, créait un rapport entre les corps, crée la proximité des corps. Et il n’éclate qu’à la fin. On va devoir vivre autrement tout notre vivre ensemble. Le rapport de proximité entre les gens va être appelé à changer éventuel-
lement. On va devoir partager nos richesses. On ne peut pas vivre avec la tête dans le sable. LD : Pourquoi la présence de l’anglais dans la pièce? DB : Je voulais un peu dépolitiser le rapport à l’anglais. À chaque fois, on en fait toujours un rapport politique comme Québécois, en dramaturgie québécoise, quand il y a un personnage qui parle anglais.
Je voulais traiter de l’anglais qui n’est pas ma langue, mais en même temps, je l’écris, je parle assez bien. Je trouve que, dans la langue anglaise, en tous cas la langue de James, il y a un rapport à l’échec qui, moi, m’intéresse. Je travaille beaucoup sur l’interruption dans la langue, dans la réplique. La pensée est souvent cassée et je trouvais que ça créait une friction presque poétique. Quand il se trompe d’auxiliaire, par exemple quand il dit « j’appartiens rien », « I own nothing ». Et puis, on dit qu’il est arrivé avec le chemin, c’est un ranger qui est arrivé avec l’asphalte. À la fin, il perd le fil. Dans le livre — on l’a coupé —, il retourne dans la forêt. Une espèce de passage, c’est comme l’étranger, le survenant qui est un grand thème dans la dramaturgie, la littérature québécoise : quelqu’un qui débarque et dont tout le monde doit s’occuper. Ce n’est pas sa maison, c’est la maison d’Anita, il le dit quelquefois : « she’s the boss ». Il a fait le patio, il essaie de faire en sorte que ça devienne son lieu. Je trouve que c’est un peu la situation des étrangers au Québec, qui essaient d’appartenir. Mais on reste quand même un peuple hermétique, je trouve, très imperméable. x
Propos recueillis par niels ulrich
Éditeur Culture
cinéma
La beauté d’un film éphémère Retour sur les courts-métrages nominés aux Oscars. Marco-Antonio Hauwert Rueda
Éditeur Actualités
A
lors que les Oscars approchent à grands pas et que les spéculations commencent à dessiner le visage des vainqueurs, les projections pour les meilleurs courts-métrages de fiction ne dévoilent toujours pas de lauréats apparents. Une chose reste cependant claire : 2020 se démarque par le niveau de ses réalisations, capables d’absorber le spectateur dans leurs mondes respectifs en quelque 18 minutes chacune. Je suis donc allé visionner les cinq finalistes aux Oscars et, malgré la forte compétition, cette année, me voilà à vous présenter mon humble classement des meilleurs courts-métrages de fiction de l’année. (5) Nefta Football Club (France) Deux frères, amateurs de football au sud de la Tunisie, s’arrêtent sur une route au bord de la frontière avec l’Algérie pour « pisser sur le pays de Mahrez », selon les mots de Mohammed, le plus jeune. C’est alors qu’ils rencontrent un âne avec des écouteurs, qui porte quelque vingt kilogrammes de drogues cachées. Il s’agira ensuite
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culture
(2) Saria (É-U)
pour Abdallah, l’ainé, de cacher la drogue pour tenter de la vendre. Comique et superbement léger, ce film d’Yves Piat représente une expérience à ne pas manquer, quel que soit l’âge du spectateur. Le film s’accompagne d’ailleurs d’une moralité habilement placée : on obtient ce que l’on mérite.
Inspiré d’une histoire vraie, le court-métrage de Bryan Buckley relate la vie de deux jeunes sœurs inséparables, Saria et Ximena, enfermées dans l’orphelinat Virgen de la Asunción au Guatemala, où 41 orphelines ont été brûlées à mort en 2017. Saisissant, ce film fait le juste nécessaire pour nous donner l’illusion d’un espoir, seulement pour ensuite le détruire à la dévastation du public.
(4) Brotherhood (Tunisie) Probablement l’un des favoris pour la victoire, ce court métrage de Meryam Joobeur et Maria Gracia Turgeon relate la suspicion de Mohamed, berger, lorsque son fils Malek revient chez lui avec une nouvelle femme – âgée d’à peine quatorze ans – après une année d’engagement dans l’organisation État islamique. Mettant en scène une vaste campagne solitaire, méconnue du spectateur occidental, le film se démarque par l’ambivalence de ses personnages, nous permettant d’apprécier la seconde face d’une histoire trop souvent prise du même angle. (3) The Neighbor’s Window (É-U.) Un couple dans la trentaine avec trois enfants de moins de cinq ans : voilà la recette d’une vie épuisante et monotone, n’est-
(1) Une Sœur (Belgique)
versus production ce pas? Mais la donne change lorsque de nouveaux, jeunes et libres locataires emménagent dans l’appartement de l’autre côté de la rue. Laissant leurs rideaux ouverts, qui peut reprocher aux parents d’observer le jeune couple faire l’amour de temps à autre? Intéressante comédie du quotidien,
le film de Marshall Curry fait bien plus que forger une amitié entre ses personnages et les spectateurs. Il nous montre que toute histoire paraît plus belle lorsqu’elle est vue de l’extérieur. Peut-être devrions nous-mêmes faire un pas en arrière, alors, et apprécier la beauté de notre propre histoire.
Mon choix pour le meilleur court-métrage de l’année, toutes catégories confondues. Delphine Girard réussit à tourner seize minutes où l’on doit se souvenir de respirer. Le film met en scène une femme au nom inconnu, assise à côté de son agresseur, dans une voiture qu’il conduit à travers la nuit. Faisant semblant de devoir appeler sa sœur, la femme contacte les services d’urgence, où une nouvelle femme répond. Le titre du film rend justice à l’histoire, où le mot « sœur » acquiert une valeur bien plus profonde qu’un simple lien biologique. Il s’agit là tout simplement des deux femmes les plus courageuses de l’année. x
le délit · mardi 4 février 2020 · delitfrancais.com
cinéma
Un avant-goût des Oscars Présentation rapide des neufs nominés de la catégorie Meilleur film.
olivier turcotte
Contributeur
L’
année 2019 semble avoir été une excellente année pour le monde du cinéma, et ça se reflète dans la qualité des films nominés à la cérémonie des Oscars : d’un côté, de grands réalisateurs établis depuis longtemps comme Tarantino, Scorsese et Mendes nous ont fourni des films faisant part de leurs styles avec assez de succès pour sembler être les œuvres qu’ils étaient destinés à réaliser ; et d’un autre, des réalisateur·rice·s émergeant·e·s tel·le·s Bong Joon-Ho, Noah Baumbach, Todd Philips, Greta Gerwig et Taika Waititi se sont démarqué·e·s en proposant de nouvelles approches innovatrices et acclamées. Avec la soirée des Oscars à nos portes (le dimanche 9 février), voici une présentation rapide des neufs longs-métrages de fiction nominés dans la catégorie Meilleur film. PARASITE Par Bong Joon-Ho Seul film dans une langue étrangère nominé dans la catégorie Meilleur film, ce chef-d’œuvre du cinéaste coréen Bong Joon-Ho aborde les rapports de classes ainsi que le combat de l’ascension économique
dans un commentaire social qui se retourne constamment contre les attentes de son auditoire. Il s’agit du récit d’une famille pauvre s’infiltrant dans une famille fortunée en travaillant pour eux. Ayant l’allure d’une comédie pendant les premières dizaines de minutes, le long-métrage prend par la suite des tournures plus sombres. Points forts : La réalisation, le montage (le rythme du film) et le design de production. Catégories de nomination (6) : Meilleur film, Meilleur réalisateur, Meilleur scénario original, Meilleur film international, Meilleur design de production et Meilleur montage. 1917 Par Sam Mendes Ce projet de passion du réalisateur de American Beauty et Skyfall consiste en une nouvelle approche aux films de guerre : ce film se déroule en environ 24 heures, et a la particularité d’être raconté en une seule longue prise (c’est du moins ce que le montage s’efforce de faire paraître). Cet aspect technique rafraîchissant permet au jeu des acteurs
de résonner encore plus profondément chez l’auditoire. Originale et touchante, cette œuvre nominée dans 10 catégories et ayant eu un grand succès aux Golden Globes semble être un des plus forts candidats pour dominer les Oscars. Points forts : La cinématographie et
la réalisation. Catégories de nomination (10) : Meilleur film, Meilleur réalisateur, Meilleur scénario original, Meilleure cinématographie, Meilleur maquillage et coiffure, Meilleur design de production, Meilleure musique, Meilleurs effets visuels, Meilleur mixage sonore et Meilleur montage sonore. MARRIAGE STORY Par Noah Baumbach Ce film touchant produit par Netflix raconte le processus déchirant d’un divorce. Les deux personnages principaux (Scarlett Johansson et Adam Driver) se poussent l’un et l’autre à se battre pour avoir la garde de leur fils. Un film se voulant très réaliste et ne cherchant pas à prendre des dimensions exagérées demeure centré sur ce que vivent les deux parents et est garni de scènes aux émotions intenses et magnifiquement exprimées. Point fort : Les performances des deux acteurs principaux. Catégories de nomination (6) : Meilleur film, Meilleure actrice principale (Scarlett Johansson), Meilleur acteur principal (Adam
Driver), Meilleure actrice secondaire (Laura Dern), Meilleur scénario original et Meilleure musique. THE IRISHMAN Par Martin Scorsese Dans ce long-métrage, revenant au style des films de gangsters de Scorsese (Goodfellas, Mean Streets et Casino), le réalisateur maîtrisant cette esthétique est associé avec trois grands acteurs comme Robert De Niro, Al Pacino et Joe Pesci (sorti de la retraite pour ce rôle). Le (très) long-mé-
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trage relate la vie d’un camionneur (De Niro) prenant une place de plus en plus importante dans un réseau de criminels, jusqu’à un point où il se trouve déchiré par un choix de fidélité. Le résultat : un chefd’œuvre de trois heures et demie donnant toutes les preuves d’être une culmination de la carrière de quatre grands noms du cinéma. Points forts : Les effets visuels (le rajeunissement des acteurs) et la réalisation. Catégories de nomination (10) : Meilleur film, Meilleur réalisateur,
Meilleur acteur secondaire (Al Pacino), Meilleur acteur secondaire (Joe Pesci), Meilleur scénario adapté, Meilleure cinématographie, Meilleur design de costumes, Meilleur design de production, Meilleur montage et Meilleurs effets visuels. ONCE UPON A TIME… IN HOLLYWOOD Par Quentin Tarantino Dans ce neuvième film de Quentin Tarantino, le cinéaste américain fait hommage au Hollywood des années 1960 en présentant la
JOKER Par Todd Philips
JOJO RABBIT Par Taika Waititi
Ce film ayant suscité beaucoup de discussions médiatiques à sa sortie et possédant le plus grand
Ce film de comédie où l’on reconnait le style improvisateur du réalisateur Taika Waititi (Thor Ragnarok) présente les aventures d’un enfant nazi pendant la Deuxième Guerre mondiale. Ce jeune allemand, déployant tous ses efforts pour être un fervent nazi et ayant pour ami imaginaire un Hitler comique, voit ses conceptions renversées lorsqu’il découvre qu’une
nombre de nominations propose une nouvelle approche au genre des films de superhéros. Centré sur un personnage principal souffrant de maladie mentale et destiné à devenir le personnage mythique du Joker, ce long-métrage est une expérience psychologique marquante et guidée par le talent incontestable de l’acteur Joaquin Phoenix. Point fort : La performance de Joaquin Phoenix Catégories de nomination (11) : Meilleur film, Meilleur réalisateur, Meilleur acteur principal (Joaquin Phoenix), Meilleur scénario adapté, Meilleure cinématographie, Meilleur design de costumes, Meilleur maquillage et coiffure, Meilleure musique, Meilleur montage, Meilleur mixage sonore et Meilleur montage sonore. LITTLE WOMEN Par Greta Gerwig Cette adaptation du roman de Louisa May Alcott est une occasion pour Greta Gerwig d’appliquer sa vision connue pour être moderne et féministe à ce grand classique de la littérature américaine. Le film suit la vie de quatre sœurs entrant dans l’âge adulte au 19e siècle et confron-
transition qui s’y déroulait en 1969 avec l’assassinat de l’actrice Sharon Tate ainsi qu’avec la lente disparition du genre western. Ce récit est raconté sous l’angle de la relation entre les deux personnages fictifs de Rick Dalton, une star de western qui voit l’achèvement de sa carrière arriver plus vite que prévu, et son cascadeur Cliff Booth, une version idéalisée et très « cowboy » de ces figures hollywoodiennes. Point fort : Le design de production. Catégories de nomination (10) : Meilleur film, Meilleur réalisateur, Meilleur acteur principal (Leonardo DiCaprio), Meilleur acteur secondaire (Brad Pitt), Meilleur scénario original, Meilleure cinématographie, Meilleur design de costumes, Meilleur design de production, Meilleur mixage sonore et Meilleur montage sonore.
tées à la question du mariage et de la famille. Le personnage principal (joué par la talentueuse Saoirse Ronan) ne croit pas au mariage et désire devenir écrivaine. Un film chaleureux et plein d’espoir où la réalisatrice partage son dévouement à l’œuvre originale. Points forts : Le scénario et les performances des actrices principales. Catégories de nomination (6) : Meilleur film, Meilleure actrice principale (Saoirse Ronan), Meilleure actrice secondaire (Florence Pugh), Meilleur scénario adapté, Meilleur design de costumes et Meilleure musique.
adolescente juive vit dans les murs de sa demeure. Un film se voulant très différent par son contexte et son style des comédies habituelles et abordant le fanatisme d’un point de vue très original : celui d’un jeune garçon cherchant à se sentir accepté. Point fort : Le design de production. Catégories de nomination (6) : Meilleur film, Meilleure actrice secondaire (Scarlett Johansson), Meilleur scénario adapté, Meilleur design de costumes, Meilleur design de production, Meilleur montage. FORD v FERRARI Par James Mangold Ce film raconte l’histoire vraie de la tentative de Ford de produire une voiture capable de battre Ferrari à la compétition du Mans.
Les deux protagonistes, parfaitement incarnés par Christian Bale et Matt Damon, passent au travers de la pression de la compétition et sont mis au défi par les caprices des entreprises. Le film captive par son rythme alternant entre passages dramatiques et séquences de courses excitantes. Point fort : Le montage. Catégories de nomination (4) : Meilleur film, Meilleur montage, Meilleur mixage sonore, Meilleur montage sonore. x Crédits photos, en ordre : CJ Entertainment, François Duhamel/Universal Pictures/ Dreamworks Pictures, Netflix, Netflix, Andrew Cooper, Warner Bros, Sony, Kimberly French / Twentieth Century Fox Film, Twentieth Century Fox.
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