Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill
Le Délit est situé en territoire Kanien’kehá:ka non-cédé. Mardi 11 février 2020 | Volume 109 Numéro 17
Ego à chier depuis 1977
Éditorial rec@delitfrancais.com
Volume 109 Numéro 17
Le seul journal francophone de l’Université McGill RÉDACTION 380 Rue Sherbrooke Ouest, bureau 724 Montréal (Québec) H3A 1B5 Téléphone : +1 514 398-6790 Rédacteur en chef rec@delitfrancais.com Grégoire Collet
SOUTIEN À LA PREMIÈRE NATION WET’SUWET’EN
Actualités actualites@delitfrancais.com Hadrien Brachet Marco-Antonio Hauwert Rueda Vacant Culture artsculture@delitfrancais.com Violette Drouin Niels Ulrich Société societe@delitfrancais.com Opinion - Jérémie-Clément Pallud Enquêtes - Juliette de Lamberterie Philosophie philosophie@delitfrancais.com Audrey Bourdon
grégoire collet
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a Première Nation Wet’suwet’en est en lutte et nous devons tourner nos regards et mobiliser nos efforts vers cette crise politique. Le 10 février, la Gendarmerie royale du Canada forçait sa présence en territoire Unist’ot’en et arrêtait trois matriarches lors d’une cérémonie en mémoire des femmes autochtones assassinées et enlevées. Cette arrestation n’est malheureusement qu’une autre manifestation de la violence accrue dont les peuples de la nation Wet’suwet’en sont sujets depuis plusieurs semaines. L’objet de la crise est un projet d’oléoduc qui doit s’étendre sur 670 kilomètres au nord de la Colombie-Britannique ; une entreprise de TC Energy (anciennement TransCanada), également responsable des oléoducs Keystone et Énergie Est. La construction de cet oléoduc est ralentie par l’établissement de camps de résistance et par des blocages de routes auquel autochtones et allochtones participent. C’est à la suite de l’assaut de la GRC sur le camp de résistance de Gidumt’en le 7 janvier dernier qu’une mobilisation massive s’est mise en place, traversant territoires et villes pour attirer une attention internationale. À Montréal, les manifestations en soutien aux peuples se font plus fréquentes (photoreportage p.7) et gagnent par ailleurs les sphères étudiantes. Au coeur des conversations, la violence exercée par la Gendarmerie royale du Canada et le consentement de la nation Wet’suwet’en à l’utilisation de leur territoire pour la construction de l’oléoduc Coastal GasLink. Le projet de pipeline avait été approuvé par le gouvernement provincial ainsi que par vingt conseils de bande de Premières Nations, dont 6 de la Nation Wet’suwet’en, via la signature d’un accord. Cependant, l’autorité de ces conseils est remise en
question par les chefs héréditaires de ces nations. En effet, les conseils de bande ont été mis en place à travers la Loi coloniale sur les Indiens, introduite après la Confédération dans un but d’assimiler les autochtones aux mécanismes de gouvernance fédérale. Les droits dont jouissent ces conseils sont ceux d’administrer les réserves. Ainsi, ils n’ont pas de souveraineté sur les territoires hors réserve et sont presque automatiquement soumis aux autorités provinciales et fédérales. Les Wet’suwet’en ont leurs propres lois, ‘Anuc niwh’it’en et c’est en vertu de celles-ci que les cinq clans de la nation se sont opposés à la construction de l’oléoduc Coastal GasLink. Seulement, les gouvernements ne reconnaissent pas cette autorité. Si la violation de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones est l’objet de dénonciations, il faut alors noter les violations multiples de droits dont les gouvernements et entreprises sont responsables. La violence de la GRC, et donc de l’État canadien, est une violence coloniale. Celle-ci est permise par des mécanismes de gouvernance et d’emploi de force écrasant de manière permanente les luttes des Premières Nations pour leur souveraineté. Les protestations s’inscrivent aussi à l’intersection de questions d’autodétermination et d’urgence environnementale. Cette crise est violente et ce projet d’oléoduc met en péril la santé publique de ces communautés, l’environnement dans lequel elles évoluent et érode leurs capacités à défendre leurs droits. L’enjeu ici n’est donc pas seulement celui d’une protestation, mais doit impérativement être compris comme une revendication du droit à protéger. L’enjeu ici est celui d’un consentement libre, préalable et en connaissance de cause pour la construction d’une infrastructure destructrice qui n’a pas été obtenu et qui ne pourrait être obtenu en territoires non cédés. Bien que ces luttes prennent place de l’autre côté du pays, ces enjeux traversent les territoires et c’est dans notre silence que se glisse une inaction complice.x
« Notre peuple croit que nous faisons partie de cette terre. Nous ne faisons qu’un avec la terre. La terre nous soutient. Si nous n’en prenons pas soin, elle ne pourra plus être en mesure de nous soutenir et nous, en tant que génération, ne survivrons pas. » - Freda Huson, Cheffe Howihkat Unist’ot’en, arrêtée le 10 février.
Coordonnatrice de la production production@delitfrancais.com Margaux Alfare Coordonnateur·rice·s visuel visuel@delitfrancais.com Parker Le Bras-Brown Katarina Mladenovicova Multimédias multimedias@delitfrancais.com Vacant Coordonnatrice de la correction correction@delitfrancais.com Florence Lavoie Mysslie Ismael Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Coordonnateur·rice·s réseaux sociaux reso@delitfrancais.com Sarah Lostie Madeline Tessier Contributeurs·rices David D’astous, Laura Doyle Péan, Evangéline Durand-Allizé, Aya Hamdan, Jeanne Leblay, Raphaël Michaud, Vincent Morreale. Couverture Parker Le Bras-Brown Katarina Mladenovicov BUREAU PUBLICITAIRE 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 0E7 Téléphone : +1 514 398-6790 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Représentante en ventes Letty Matteo Photocomposition Mathieu Ménard The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Kate Ellis Conseil d’administration de la SPD Johnathon Cruickshank, Grégoire Collet, Antoine MiletteGagnon, Niels Ulrich, Kate Ellis, Michaela Keil et Sébastien Oudin-Filipecki (chair)
Les opinions exprimées dans les pages du Délit sont celles de leurs auteur·e·s et ne reflètent pas les politiques ou les positions officielles de l’Université McGill. Le Délit n’est pas affilié à l’Université McGill. Le Délit est situé en territoire Kanien’kehá:ka non-cédé.
2 Éditorial
L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavant réservés). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans le journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).
le délit · le mardi 11 février 2020 · delitfrancais.com
Actualités actualites@delitfrancais.com
Lancement officiel de la CEVES Le mouvement environnemental étudiant s’enracine au Québec.
Laura doyle pÉan
Contributeur·rice
« Nous sommes la sève qui monte Dans les veines des peuples du monde Nous sommes la sève qui monte Nos cœurs unis battent à la seconde »
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e 4 février 2020, en soirée, réuni·e·s dans le café étudiant du Cégep du Vieux Montréal, une cinquantaine de jeunes chantent pour célébrer le lancement officiel de la Coalition étudiante pour un virage environnemental et social (CEVES), un projet rassemblant des étudiant·e·s du secondaire, du cégep et de l’université, provenant de partout à travers la province. La création de la CEVES a été annoncée lors d’une conférence de presse en matinée, à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Résultat du ralliement de regroupements étudiants du secondaire (Pour le futur Mtl/ Pour le futur Qc), du
collégial (Devoir Environnemental Collectif) et de l’université (La planète s’invite à l’Université (LPSU)) qui avaient participé à l’organisation des journées de manifestation du 15 mars et du 27 septembre 2019, la CEVES a lancé, lors de sa conférence de presse, un appel pour une nouvelle grève climatique. Cette dernière aura lieu du 30 mars au 3 avril 2020, pendant ce que la coalition appelle la « Semaine de la Transition ». Comme revendication principale, la mise en place d’un plan national d’urgence pour la justice climatique est prévue, ancré dans les 7 principes suivants :
unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA)
1. Le respect de la science et des savoirs autochtones 2. L’adoption de cibles annuelles de réduction de gaz à effet de serre (GES) contraignantes, pour atteindre la carboneutralité en 2030
6. La mise en œuvre à tous les paliers d’éducation de la Stratégie québécoise d’éducation en matière d’environnement et d’écocitoyenneté développée par la Coalition Éducation – Environnement – Écocitoyenneté lancée en 2018
3. La mise en œuvre complète de la Déclaration des Nations
7. L’arrêt complet et immédiat de tout projet d’exploration,
4. La protection des communautés vulnérables du Canada, particulièrement des communautés racisées qui sont touchées disproportionnellement par la crise climatique 5. La collaboration avec les populations du globe qui sont disproportionnellement affectées par la crise climatique en reconnaissant la responsabilité historique du Canada envers ces populations
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d’exploitation et de transport d’hydrocarbures en parallèle à des formations professionnelles ayant pour objectif de faciliter la mobilité et le transfert de la main-d’œuvre des secteurs concernés vers ceux des énergies renouvelables. Un travail dans l’ombre Bien que son existence ait été révélée au public le 4 février, la CEVES, créée pendant l’été 2019, travaillait dans l’ombre depuis des mois déjà. Les trois niveaux scolaires se sont rassemblés en personne lors de deux congrès et en ligne à plusieurs reprises afin de préparer leur dévoilement. Trois équipes de mobilisation mobile sont présentement sur les routes de la province (une pour l’est du Québec, une pour l’ouest et une pour le grand Montréal) afin d’aider des groupes étudiants à se préparer pour la Semaine de la Transition.
Semaine de la Transition à McGill La CEVES s’est également implantée à McGill, par l’entremise du groupe Climate Justice Action McGill (C-JAM), branche mcgilloise de LPSU. Interrogée sur le lancement de la CEVES, Julie, membre du groupe C-JAM, explique : « C’est une occasion pour C-JAM de s’allier avec des groupes semblables à l’échelle de la province pour mettre nos efforts en commun et, encore une fois, augmenter la pression sur les gouvernements. » Elle insiste sur le fait que C-JAM pourra tout de même conserver son autonomie quant aux enjeux à mettre en avant sur le campus, notamment le désinvestissement du secteur des énergies fossiles. Les demandes spécifiques du groupe seront révélées le 12 février, en même temps qu’une campagne de mobilisation sur les réseaux sociaux. C-JAM invite toute personne intéressée par la « Semaine de la Transition » à suivre ses comptes Facebook et Instagram. X
SACOMSS
Sexual Assault Center of the McGill Students’Society (Centre d’intervention en matière d’agression sexuelle)
• Assistance téléphonique • Ressources • Groupes de soutien Gratuit. Confidentiel. Sans jugement. Nous sommes à votre écoute. www.sacomss.org
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Actualités
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campus
La nuit à McGill Le Délit explore les services étudiants nocturnes de McGill. Marco-antonio hauwert rueda & hadrien brachet
Éditeurs Actualités
journée, les services nocturnes de McGill se réveillent, dans l’attente d’un appel, dans l’attente de quelqu’un en besoin de leur aide. Ces services sont Walksafe, Drivesafe, et McGill Students’
Nightline, dont Le Délit a eu le privilège d’observer le travail. Constitués de volontaires — anonymes — étudiant·e·s à l’Université McGill, ces services ont la mission essentielle de faire de McGill une communauté plus
inclusive et un espace plus sécuritaire. Le Délit s’est entretenu avec Nightline et Walksafe en exclusive pour partager le travail, souvent méconnu, qu’ils fournissent à la communauté mcgilloise et montréalaise.
Le soutien d’une écoute active
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orsque l’horloge sonne à 18 heures, McGill Students’ Nightline ouvre ses lignes. Nightline, actif depuis 1984, est un service d’écoute disponible de manière anonyme, confidentielle et sans jugements à celles et ceux qui ont besoin de soutien, d’informations, ou qui tout simplement souhaiteraient parler pendant un moment avec un·e inconnu·e. Le service est ouvert toutes les nuits de l’année scolaire mcgilloise, de 18 heures à 3 heures du matin, et ferme pendant la pause de Noël et l’été. Entrevue avec la vice-présidente Le Délit s’est entretenu avec Megan McGill, vice-présidente aux Affaires externes de McGill Students’ Nightline et étudiante à McGill. Megan se charge d’agir comme liaison entre Nightline et la communauté montréalaise. Le Délit (LD) : Peux-tu nous expliquer comment Nightline fonctionne? Comment cela se passe lorsque nous appelons Nightline? Megan McGill (MM) : Pour nous contacter, il suffit d’appeler au (514) 398-6246 et un volontaire répond au téléphone. Parfois les lignes sont complètes, mais généralement cela n’est pas le cas. Il n’y a pas d’attente d’appels. Si les lignes sont complètes, alors vous êtes notifié.e.s de cela, et l’appel est coupé. LD : Quelles sont les périodes les plus chargées pour Nightline? MM : Honnêtement, cela est très variable. D’après mon observation personnelle, lorsque je travaillais en tant que volontaire [en tant que coordinatrice externe de Nightline, Megan ne prend plus
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a nuit tombe, et la lune envahit le ciel zinzolin pendant que la lumière des lampadaires recouvre les flocons de neige d’une couverture ambre. Alors que la ville se prépare pour déclarer la fin d’une nouvelle
Actualités
d’appels, ndlr], c’était presque aléatoire, mais je pense que les périodes les plus occupées sont celles où les étudiant·e·s se sentent le plus stressé·e·s. LD : Qui sont ces fameux volontaires de Nightline, et quel est leur entraînement? MM : Pour commencer, les volontaires sont des étudiant·e·s à McGill, des membres anonymes et confidentiel·le·s de la communauté de McGill autour de vous. Ils·elles passent un processus de recrutement de deux entrevues. À la suite des entrevues [s’ils·elles sont sélectionné·e·s], il y a une période d’entraînement intégral qui prépare les volontaires à gérer tout type de sujet possible en appel. Ils·elles sont aussi entrainé·e·s en long et en large dans l’écoute active, parce que c’est principalement ce que nous faisons. LD : On entend souvent le concept d’écoute active. Pourrais-tu nous expliquer ce que cela signifie? MM : En fait, l’écoute active peut signifier beaucoup de choses différentes pour beaucoup de personnes différentes. Donc je suppose que je ne devrais que parler pour moimême, car cela ne signifie pas la même chose pour tout le monde, même pour nos volontaires. Dans mon opinion, l’écoute active est une façon de faire en sorte que la personne que tu écoutes se sente entendue. Et cela peut prendre différentes formes pour différents appels, ou même lors d’interactions en personne. Car chaque interaction est différente, et pour cela mérite un type d’écoute différente, que ce soit en donnant une validation des sentiments d’une personne, en leur faisant comprendre que leurs sen-
timents sont naturels, le but final étant toujours que la personne se sente confortable et en sécurité avec toi, et qu’elle sente que tu l’entendes.
université, et Nightline avait l’air d’être un endroit où je pourrais rencontrer des gens avec des valeurs similaires aux miennes.
LD : Pourquoi l’existence de Nightline est-elle importante pour la communauté de McGill?
LD : Sens-tu que tu as appris beaucoup de choses, et que tu as grandi en tant que personne depuis que tu as rejoint Nightline?
MM : Je pense que, parfois, lorsqu’on se sent submergé·e, ou isolé·e, ou en général lorsqu’on veut juste parler, il peut être plus facile de parler à quelqu’un que l’on ne connaît pas, ou quelqu’un dont on sent qu’il ne va pas nous juger. Dans ces cas, Nightline est un espace où l’on peut partager, en liberté, ce qu’on sent qu’on a besoin de partager, et il n’y a pas de répercussions pour cela, il n’y a pas cette préoccupation de ce que vont penser nos ami·e·s. Et aussi, je pense que c’est un service qui fait en sorte que les gens sachent qu’on est là, même s’ils·elles peuvent avoir l’impression que personne ne l’est. Pour cela, je pense que c’est un service important pour la communauté mcgilloise, et ce le sera toujours. LD : Pourrais-tu partager pourquoi tu as rejoint Nightline initialement? MM : En fait, pour en dire un peu sur ma vie, je suis étudiante en deuxième année de maîtrise. Je suis venue à McGill après mon diplôme à l’Université Western. Je suis allée à la foire aux activités (Activities Night, en anglais) à McGill pour m’impliquer dans la communauté mcgilloise parce que j’étais nouvelle dans la ville et que je ne connaissais pas vraiment de gens. Alors, je suis tombée sur Nightline par hasard. J’avais déjà participé à un service d’écoute similaire, dans mon ancienne
MM : Absolument. Je pense que — même si j’ai déjà mentionné que j’avais de l’expérience en écoute active auparavant — je sens que je suis le plus équipée à communiquer efficacement en ce moment de ma vie, et j’attribue une grande partie de cela à Nightline, et tout ce que j’y ai appris. Même dans le cadre de ma vie personnelle, je pense que je suis beaucoup plus capable d’écouter mes proches grâce à Nightline. L’oreille à l’écoute À la suite de l’entrevue avec Megan, Le Délit a appelé le service Nightline pour en faire le test. « Hello, McGill Students’ Nightline » entend-on d’une voix chaleureuse, mais neutre — l’on ne veut surtout pas assumer l’état émotionnel de la personne qui appelle, à Nightline — à l’autre bout de la ligne. Andrew* nous parle de son expérience à Nightline. LD : Peux-tu nous dire pourquoi tu as rejoint Nightline? Andrew : J’espère que ce ne sera pas une réponse trop longue. Je n’avais initialement pas de but précis en tête. J’ai juste pensé que j’ai toujours été bon·ne avec les gens, et j’ai toujours senti que mes ami·e·s, les gens autour de moi, avaient une inclinaison de venir vers moi avec leurs soucis, les choses qu’ils·elles avaient en tête qu’ils.elles voulaient partager. Et
j’ai juste pensé que j’avais cette tendance naturelle à rendre les gens à l’aise, en les écoutant, mais en même temps en évitant de les juger. Car je pense qu’il n’était pas demandé de moi de donner une opinion personnelle. Je voulais juste être là pour écouter. Et j’ai toujours aimé écouter les gens, être là pour eux.elles. C’est pourquoi, quand j’ai vu cette opportunité, j’ai juste sauté dessus. LD : Qu’as-tu appris de cette expérience avec Nightline? Andrew : Je pense qu’une chose que j’ai apprise est que n’importe qui, quel que soit son âge, son genre, son histoire, peut se retrouver dans différents types d’états émotionnels à n’importe quel moment de la journée. J’ai appris que c’est très important d’être ouvert, de parler aux gens. Car la solitude est probablement la pire chose que l’on puisse ressentir. Les gens veulent seulement une voix, les gens veulent que quelqu’un soit là avec eux·elles, peu importe si c’est physiquement, ou juste quelqu’un au téléphone. Et cela peut vraiment faire une différence. LD : Comment est-ce, travailler à Nightline? Est-ce généralement stressant, est-ce gratifiant? Andrew : C’est vraiment gratifiant. J’ai vraiment l’impression que je suis en train de contribuer à la communauté mcgiloise, montréalaise. Par moments, cela peut être vraiment éprouvant, car j’essaye de faire preuve d’empathie avec les gens, et parfois l’on entend des histoires, des émotions qui peuvent être dures à écouter. Mais en même temps, nous sommes en train d’aider les gens, et nous sommes en train de faire le bien. Donc, à la fin, tout cela en vaut absolument la peine. x
le délit · mardi 11 février 2020 · delitfrancais.com
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n 1991, à la suite d’une série d’incidents autour du campus, l’AÉUM et le Centre d’intervention en matière d’agression sexuelle de l’Association étudiante de l’Université McGill (SACOMSS en anglais, Sexual Assault Centre of the McGill Students’ Society) ont créé WalkSafe. Ce service gratuit et confidentiel permet à celles et ceux qui le souhaitent d’être raccompagnés la nuit jusqu’à chez eux par des volontaires. Walksafe fonctionne partout sur l’île de Montréal et les bénévoles peuvent prendre le métro ou même le taxi avec celles et ceux qui font appel à eux. Rencontre avec la présidente
Étudiante en sociologie à McGill, Tamara Janowski est présidente de WalkSafe. Le Délit l’a rencontrée. Le Délit (LD) : Pour commencer, peux-tu nous expliquer comment WalkSafe fonctionne? Comment cela se passe lorsque nous appelons?
Une promenade en compagnie l’arrière et vous appelleront en arrivant à votre localisation! LD : En général, quel est le temps d’attente entre le moment de l’appel et l’arrivée des volontaires? Combien d’appels avez-vous par soir en moyenne? TJ : Cela dépend vraiment d’où ils·elles sont! Ils peuvent être à 5, 10, 20 ou même 45 minutes s’ils·elles sont loin. Pour les appels, cela dépend du moment de l’année. Frosh est certainement la période la plus chargée parce qu’il y a beaucoup d’événements où nous voulons être et ils·elles sont souvent très éloigné·e·s les un·e·s des autres. LD : Qui sont les volontaires? Quel est le processus de recrutement? TJ : Il faut être étudiant·e à McGill pour faire partie de WalkSafe, que ce soit de premier cycle ou de deuxième cycle. La candidature se fait en ligne et ceux·celles qui sont sélectionné·e·s passent un entretien. Les volontaires recruté·e·s suivent
pas un service de protection, mais c’est l’idée que nous sommes là au cas où qui fait de nous un service important de McGill. Nous offrons ce sentiment de sûreté et sécurité. Vous savez que cette option existe si vous le souhaitez. LD : Quel est ton rôle en tant que présidente de WalkSafe? TJ : En tant que présidente, j’anime les réunions, je fais les comptes-rendus. Je suis le premier lien entre l’AÉUM et WalkSafe pour tout ce que nous avons besoin de faire ensemble. J’aide les autres à remplir leur rôle. J’agis comme un soutien, mais je vérifie également qu’ils font leur travail. LD : Personnellement, que t’a apporté ton expérience au sein de l’organisation WalkSafe? TJ : Honnêtement, j’adore WalkSafe! Bien sûr, assumer plus de responsabilités en tant que vice-présidente externe puis présidente a été stressant par moments, mais c’est
marco-antonio hauwert rueda Tamara Janowski (TJ) : Vous pouvez nous appeler au (514) 398-2498 durant nos heures opérationnelles, du dimanche au jeudi de 21h à minuit et le vendredi et samedi de 21h à 3h. Un·e régulateur·rice répondra, vous demandera votre localisation, votre destination, si le numéro avec lequel vous appelez est celui sur lequel les volontaires pourront vous joindre et vous donnera un temps d’arrivée estimée. Nous vous enverrons alors une équipe de deux marcheur·euse·s, qui porteront des vestes rouges avec WalkSafe écrit à
alors une formation générale, où ils·elles apprennent les politiques, les procédures, et comment faire une marche, etc. Nous sommes à la recherche d’une formation externe également, mais c’est encore en processus de confirmation. LD : Qu’est-ce qui fait de WalkSafe un composant aussi important des services étudiants à McGill? TJ : Nous sommes un service de réduction de risques (harm reduction, en anglais), nous ne sommes
réellement enrichissant. Nous avons une équipe incroyable. Ce fut aussi très intéressant de faire des changements et réaliser des projets. Nous avons refait notre marque cette année, nous avons donc un nouveau logo. Nous avons également des affiches qui arrivent. Une marche sûre Après avoir rencontré sa présidente, Le Délit a testé WalkSafe. Il est 21h15 lorsque, vendredi
hadrien brachet le 7 février, nous composons le (514) 398-2498 depuis nos bureaux. Le·a régulateur·rice nous répond immédiatement, nous demande notre adresse et notre destination. 10 minutes plus tard, deux volontaires, vestes rouges sur le dos, nous attendent au rez-de-chaussée du bâtiment. À 21h, ils·elles ont débuté leur quart qui durera jusqu’à minuit quand un autre binôme viendra prendre leur relève jusqu’à 3h du matin. Malgré la tempête de neige qui s’est abattue sur Montréal, Thomas et Henry* sont fidèles au poste et nous rejoignent avec le sourire. C’est loin d’être leur première nuit à parcourir Montréal pour raccompagner celles et ceux qui en ont besoin : pour Thomas, c’est son troisième semestre à WalkSafe, pour Henry le quatrième. « C’est un grand engagement » explique Thomas, notamment parce qu’« il n’y a pas que les quarts réguliers, il y a aussi les quarts lors d’évènements, comme Frosh. Mais c’est très enrichissant ». « C’est très exigeant et tu dois aimer pour le faire parce que si tu n’aimes pas tu ne vas pas accomplir le travail supplémentaire que cela requiert » ajoute Henry, « mais faire en sorte que les gens soient en sécurité […], qu’ils·elles soient heureux·ses, cela donne de la valeur à ce travail ! ». Henry et Thomas insistent aussi sur l’importance du travail en binôme. En effet, les volontaires se déplacent toujours en équipe, jamais seul·e·s.
se sent moralement obligé·e·s de le faire, on le fait parce que l’on veut faire partie de la communauté d’une façon où l’on puisse l’aider à s’améliorer et créer un environnement sûr pour que les étudiant·e·s se sentent à l’aise durant la nuit » développe Thomas. D’ailleurs, « chacun a sa propre raison [pour faire appel à WalkSafe] » ajoutet-il, « évidemment certaines personnes l’utilisent parce ce qu’elles ne se sentent pas en sécurité, mais d’autres parce qu’elles veulent plus se sentir intégrées à la communauté de McGill ». « Notre travail ne consiste pas juste à marcher avec les gens jusqu’à chez eux. […] Le plus important est de s’assurer que les gens se sentent en sécurité, parler avec eux·elles » précise Henry. Les professeur·e·s peuvent également faire appel au service.
Pour eux, s’engager à WalkSafe n’est pas seulement rendre service à celles et ceux qui font appel à eux, mais, plus largement, contribuer à la communauté mcgilloise. « Je souhaite que McGill puisse se sentir en sécurité. […] On ne fait pas ça parce que l’on
« McGill est comme une famille, donc nous devons prendre soin les uns des autres pendant la nuit » conclut Henry.
Alors que nous nous approchons de notre destination, Thomas tient à rappeler que WalkSafe n’est pas le seul service nocturne offert à McGill. À part ce dernier et Nightline, il existe un troisième service proposé par l’AÉUM. Les jeudis, vendredis et samedis, de 23h à 3h, DriveSafe propose de raccompagner en véhicule celles et ceux qui le souhaitent, en appelant le (514) 398-8040. Le service a deux nouveautés ce semestre : des navettes au départ de Service Point les vendredis et samedis à 23h30, 00h30, 01h30 et 02h30 et une extension de son service régulier au territoire des Mohawks de Kahnawake.
*Les prénoms cités ont été changés pour préserver l’anonymat des volontaires. x
parker le bras-brown
le délit · mardi 11 février 2020 · delitfrancais.com
Actualités
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CAMPUS
Troubles alimentaires à McGill Une floor fellow, fellow, une TA et une athlète discutent alimentation et santé mentale. marco-antonio hauwert rueda
Éditeur Actualités
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u 3 au 9 février se déroulait la semaine nationale de sensibilisation sur les troubles alimentaires. Pourtant, interrogé·e·s par Le Délit sur la définition d’un trouble de conduites alimentaires (TCA), les étudiant·e·s de McGill se sont montré·e·s généralement maladroit·e·s, voire incapables de
– pour discuter des causes, conséquences et solutions des TCA chez les étudiant·e·s mcgillois·es. Aux sources du problème Au cours de la discussion, de multiples facteurs ont été identifiés comme étant à l’origine des troubles de conduite alimentaire. Pression sociale et pression de performer ne sont que quelquesunes des principales causes de TCA identifiées par les panélistes.
disait qu’elle devait « ressembler à elles si [elle] voulait être à la hauteur ». « Il y avait une grande attention sur notre poids, lorsque je faisais du patinage », affirmait-elle. « Nous étions pesées chaque semaine. Je me souviens encore d’une fois où j’avais perdu particulièrement beaucoup de poids, et l’entraîneur me dit : “ c’est fantastique! Comment as-tu fait? ”. La raison était que j’avais un trouble de l’alimentation, à l’époque ».
d’être en surpoids, et comment cela ne correspond pas avec le poids réel d’une personne ». Selon elle, il y aurait un « biais de poids, […] une discrimination contre le poids » dans notre société, procurant une « grande honte » aux personnes dont le poids serait supérieur à celui des standards de beauté. « Nous apprécions la minceur, et toute personne non mince est considérée paresseuse », poursuivait-elle. « Les gens croient que c’est un choix, alors que ce ne l’est
evangéline durand-allizé
Crédit photo
répondre à la question. Un TCA, selon l’Association américaine de psychiatrie, est un trouble psychique où les comportements alimentaires d’un individu sont perturbés, au point d’avoir un impact négatif sur la santé mentale et physique de l’individu. À l’occasion de cette semaine de sensibilisation, le Centre de ressources sur les troubles de l’alimentation (CRTA) de l ‘AÉUM organisait un panel sur l’alimentation et la santé mentale dans le contexte mcgillois. La discussion, organisée le mardi 5 février au bâtiment Brown, réunissait les intervenantes Audrey Woo, Aiden Mehak, et Catherine Zambrano – respectivement une responsable d’étage (floor fellow, en anglais), une assistante d’enseignement (TA, en anglais) et étudiante doctorante et une ancienne athlète varsity en patinage artistique
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actualités
Audrey, responsable d’étage, constatait à quel point la transition vers l’université peut être « stressante » pour les étudiant·e·s de première année en particulier. « Nos relations à la nourriture sont empirées lorsque nous arrivons dans un nouvel environnement […] avec de nouvelles personnes, de nouvelles responsabilités », affirmait-elle. Elle citait notamment « la pression sociale de se faire des amis, d’exceller sur le plan académique » et « la peur de prendre du poids, connue comme Freshman 15, » en tant que causes des TCA pour les étudiant·e·s de première année. Catherine, ancienne athlète, affirmait aussi être « hypersensible » par rapport à son corps lorsqu’elle faisait du patinage artistique de haut niveau. Elle voyait les patineuses professionnelles à la télévision et se
Une stigmatisation sociétale La récurrence des TCA serait aussi liée à leur forte stigmatisation, selon les panélistes, dont la tendance serait désormais sociétale. « Tout le monde avait une mentalité similaire, dans l’équipe », poursuivait Catherine à propos de son équipe de patinage. Il « était très normalisé », selon elle, de prendre des mesures
pas. C’est en réalité surtout un mélange de génétique, de biologie, et, dans une certaine mesure, de socialisation de l’individu ». Audrey constatait un phénomène similaire lorsqu’elle disait que « ces genres de commentaires, nous les entendons même lorsque nous retournons à la maison pendant les vacances, et que nous sommes dans des cultures diffé-
« Tout le monde a une mentalité similare, dans l’équipe » extrêmes pour perdre du poids. Ce serait « même encouragé », au point où « une amie à [elle] a eu une rupture émotionnelle à cause de la pression ». Aiden, étudiante au doctorat en psychologie clinique, a aussi parlé du « sentiment d’être gros·se,
rentes. Les parents nous disent “Tu as gagné un peu de poids, dis donc!” en rigolant, sans se soucier des conséquences psychologiques de ce genre de commentaires ». Un membre du public intervenait à la suite de ce commentaire, disant à son tour : « Dans mon pays [l’Espagne, ndlr], les troubles
alimentaires ne sont même pas une conversation. […] Chez nous, la saison de plages dure pratiquement six mois chaque année, ce qui veut dire que, pendant la moitié de l’année, les hommes se soucient de leur corps, allant jusqu’à éprouver de l’anxiété face à l’idée d’être jugés en maillot de bain ». Systèmes d’aide insuffisants La discussion a, par ailleurs, beaucoup tourné autour de l’idée que les ressources seraient insuffisantes pour convenir aux besoins de toutes les personnes souffrant de TCA. Questionnée à savoir si la stigmatisation affecte le financement de la recherche autour des TCA, Aiden répondait « oui, à 100% ». Elle poursuivait : « nous devons demander au gouvernement de nous accorder un financement, et ceci beaucoup plus que d’autres secteurs de recherche ». Le financement gouvernemental de la recherche sur les TCA au Canada s’élève à environ 2,41 dollars par personne touchée, contre 462,14 dollars par personne autiste et 103,31 dollars par personne schizophrène, d’après l’Association mondiale de la psychiatrie. En plus du financement de la recherche, l’accès à l’aide à McGill pour les personnes vulnérables serait d’autant plus difficile, selon les panélistes. En 2018, McGill cessait de financer son programme dédié aux TCA, comme le déplorait Sophia Esterle, ancienne vice-présidente aux Affaires étudiantes de l’AÉUM – présente au panel – dans une entrevue au Délit en janvier 2019. Les délais de fonctionnement du Pôle bien-être de McGill ont aussi été critiqués, certains étudiants devant attendre jusqu’à 80 jours pour un rendez-vous avec un thérapeute, comme le publiait Le Délit en novembre 2019. Audrey estimait de plus que les responsables d’étages ne disposent pas d’assez de moyens pour subvenir aux besoins des étudiant·e·s. « Ce serait génial si nous avions un guide de ressources, une trousse à outils », disait-elle « et je pense aussi qu’on pourrait avoir davantage de formation en la matière ». Elle s’alignait avec les autres panélistes en affirmant que « le Pôle bien-être, de par sa bureaucratie, ne semble pas accessible aux étudiants. […] Passer par les services de santé mentale à McGill prend tellement de temps. Il semble que l’on tourne en rond ». Elle concluait qu’il y a « une pénurie de professionnels de la santé. Nous n’avons pas l’infrastructure nécessaire pour traiter les étudiant·e·s de cette université ».x
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montrÉal
Photoreportage
Nouveau rassemblement en solidarité à la Première Nation Wet’suwet’en à Montréal. hadrien brachet Éditeur Actualités & Katarina Mladenovicova
Coordonnatrice Photographie
C
e lundi 10 février à 15h30, un rassemblement s’est tenu en solidarité à la Première Nation Wet’suwet’en devant les bureaux de circonscription du premier ministre canadien Justin Trudeau. Organisée par la Indigenous Student Alliance, la manifestation faisait suite au raid de la
Gendarmerie royale du Canada (GRC) et à l’arrestation de six protecteurs de la terre sur leur territoire le 6 février. « Les actions de Trudeau et du gouvernement Canadien sont en violation des lois Wet’suwet’en, canadiennes et internationales » résumait la Indigenous Student Alliance sur Facebook.
En présence d’Alex Allard-Gray, administrateur des Relations communautaires au sein du Programme autochtone des professions de la santé de McGill et de Nakuset, directrice générale du Foyer pour femmes autochtones de Montréal, le rassemblement insistait sur le lien entre
protection de l’environnement et respect des communautés indigènes. Des chants, des interventions des personnes présentes et des slogans tels que ‘‘get off this land, it’s not for profit’’ (« dégagez de ces terres, elles ne sont pas pour le profit » en français) ont rythmé l’évènement. x
Photos par Katarina Mladenovicova
Coordonnatrice Photographie
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actualités
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Société societe@delitfrancais.com
point de vue
Quand le capitalisme est amoureux Rituel capitaliste et hétéronormé, la Saint-Valentin discipline nos sentiments. Jeanne Leblay
Contributrice
D
errière ses accents lyriques, la Saint-Valentin est une fête qui s’ancre dans un système capitaliste d’une certaine violence. Cette violence ne résulte pas d’une coercition physique directe, puisque son lien de filiation avec la fête païenne des Lupercales a été démenti. Cette fête de purification romaine désignait deux jeunes aristocrates (les Luperques) chargés de fouetter les mains des matrones afin de favoriser leur fertilité. Il n’en reste pas moins que la Saint-Valentin exerce une pression symbolique liée aux exigences de notre système économique, avec ses cartes de vœux, ses chocolats et ses jolis cœurs. Cette instrumentalisation de l’amour par le système capitaliste a créé une fête normative — donc excluante — et centrée sur le profit économique, donc peu regardante de ses conséquences sociales et environnementales.
la mise en images de normes sociales facilite leur internalisation. Les cartes de la Saint-Valentin véhiculent ainsi une prophétie autoréalisatrice en façonnant les comportements sociaux.
les comportements, en dépit de la volonté personnelle des individus. La Saint-Valentin semble donc davantage célébrer la conformité qu’un réel épanouissement amoureux personnel (et personnalisé).
Cette prophétie, une fois construite, est maintenue par les discours sociaux, c’est-à-dire par les idées exprimées publique-
Monnayer son amour Un des moyens d’exprimer cette conformité sociale est de
« La Saint-Valentin crée le besoin, voire le commandement, d’acheter » ment, dans la sphère médiatique par exemple. À quelques jours de la Saint-Valentin, de nombreux médias proposent des idées de cadeaux à offrir à son ou sa partenaire, et publient également des
lui donner une valeur monétaire, en offrant un cadeau à sa moitié. TVA Nouvelles révèle également que les Québécois·e·s sondé·e·s prévoient dépenser un peu moins de 100$ le 14 février prochain. Une
environnementales, en témoigne le périple des roses rouges cultivées pour la Saint-Valentin. Selon La Presse, bien que le Canada produise environ 40% des roses achetées pour l’occasion, le reste (c’est-àdire 13 millions de douzaines de roses) est importé d’Amérique Latine. Or, les exploitations horticoles de Colombie, d’Équateur et du Venezuela nécessitent beaucoup d’eau pour cultiver ces roses, ce qui, à terme, épuise des réserves naturelles. Par ailleurs, bien que le secteur engrange annuellement plus d’un milliard de dollars de chiffres d’affaires, la main-d’œuvre employée est rémunérée par de piètres salaires (quelques centimes par rose récoltée). Cette très faible rémunération ainsi que les risques sanitaires liés à l’usage intensif de
Discipline hétéronormative Bien qu’à la fin du 19e siècle la fête célébrait l’amour dans une acceptation large du terme en proposant par exemple des cartes de vœux amicaux, son sens s’est restreint à une dimension érotique au cours du siècle suivant. La Saint-Valentin a ainsi sanctifié une norme amoureuse définissant le « normal » selon une certaine entité sociale (le couple) et une certaine sexualité (l’hétérosexualité). Ce modèle est évidemment stigmatisant puisqu’il renvoie tout ce qui y déroge à « l’anormal ». La construction de ce modèle amoureux est renforcée par ce que la philosophe états-unienne Susan Bordo appelle des « images culturelles » dans son ouvrage Twilight Zones : The Hidden Life of Cultural Images from Plato to O.J. (1997). Ces images sont structurées par les normes sociales et façonnent en retour nos comportements. Les cartes de la Saint-Valentin, par exemple, reposent souvent sur l’opposition de deux genres (l’homme et la femme), accolés chacun à une couleur (le bleu ou le rose). Le recours aux symboles de l’Eros, tels que les cœurs et la couleur rouge, illustrent également ces normes amoureuses. Le pouvoir symbolique de ces cartes devient ensuite un pouvoir réel, puisque
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Société
parker le bras-brown statistiques autour de cette fête. Ainsi, selon un sondage mené par L’Observateur et publié dans TVA Nouvelles, 53% des Québécois·e·s vont fêter la Saint-Valentin cette année, contre 49% l’an passé. Cette insistance sur l’accroissement (même faible) du nombre de participant·e·s encourage les lecteur·ice·s à y prendre part en faisant de cette fête un évènement social prisé. La Saint-Valentin est ainsi un exemple de paternalisme libéral, qui nous enjoint à être heureux·se parce qu’en couple (hétérosexuel). Une fois ce modèle internalisé, l’autodiscipline fait le reste, le conformisme étant la norme. Ainsi, selon le Journal de Montréal, 3 fois plus d’hommes que de femmes se sentent obligés d’offrir un cadeau à leur moitié pour la Saint-Valentin. Cette donnée montre que le discours social autour de cette fête soumet
sortie culturelle (27%), du chocolat (26%), du vin (21%), des fleurs (20%)… Les idées ne manquent pas pour quantifier notre amour. L’achat de ces cadeaux se fait en centres commerciaux (36%) ou
pesticides et d’engrais chimiques rendent ces emplois précaires, voire dangereux. Enfin, transportées dans des camions réfrigérés et emballées dans un amas de plastique, les roses et leurs 2,91 kg
« Derrière le bouquet de fleurs [...] c’est l’amour qui cherche à faire surface » dans des commerces de proximités (34%), et de plus en plus en ligne (28%). Toutes ces statistiques nous montrent la traduction concrète des normes sociales, traduction qui s’inscrit dans notre système économique capitaliste. La ponctuation de l’année par des fêtes rapporte, puisque, plus qu’une occasion de faire plaisir à son amoureux·se, la célébration sociale de la SaintValentin crée le besoin, voire le commandement, d’acheter. Et acheter à tout prix n’est pas sans conséquence surtout sociales et
d’émissions de CO2 arrivent sur nos étals. Un bouquet qui est donc bien plus épineux qu’il n’en a l’air. Dire l’amour malgré tout Alors, que faire de la Saint-Valentin? Pouvons-nous continuer à célébrer cette fête excluante tant dans ses symboles que dans ses rituels? Le sociologue français Jean-Claude Kaufmann opine que la SaintValentin reste malgré tout utile, puisqu’elle comble un manque d’occasion d’exprimer ses senti-
ments. Dans son ouvrage SaintValentin, mon amour! (2017), il note que « derrière le bouquet de fleurs, le nounours ou la boîte de chocolats, c’est l’amour qui cherche à faire surface ». S’arrêter à la fonction commerciale de la fête serait donc trop léger, puisque, selon le sociologue, « l’enjeu véritable [de la SaintValentin] est de rompre avec l’ordinaire, de s’arracher à la médiocrité du quotidien, d’aller à la rencontre de l’autre, de créer une bulle de vie un peu hors du réel, un instant de complicité absolue ». Sans nier le possible désengagement personnel d’un individu offrant un cadeau en vertu de sa valeur monétaire, Kaufmann explique que le·la Valentin·e sincère instrumentalise le cadeau acheté et en fait un prétexte pour exprimer ses sentiments. En soi, ce n’est pas la célébration de l’amour qui me dérange, c’est le besoin d’un prétexte pour le faire. Cela témoigne une fois de plus de l’intrusion des normes sociales dans nos vies, même pour ce qui touche au plus personnel. Peut-être pouvons-nous à notre tour instrumentaliser la SaintValentin pour qu’elle convienne à nos idéaux, en consommant de manière plus responsable par exemple. Plusieurs entreprises canadiennes ont ainsi mis en place des partenariats de commerce équitable avec des serres d’Amérique latine. Dans son documentaire « À fleur de peau, un bouquet de la Colombie » (2009), la réalisatrice Sarah Charland-Faucher incite à repenser les relations commerciales entre le nord et le sud du continent américain, non pas en suspendant toute importation ou exportation, mais plutôt en réfléchissant sur les conditions de production de ces roses noires. L’objectif étant de remodeler cette industrie pour qu’elle permette à ses travailleur·euse·s de vivre dignement, plutôt que de simplement survivre. Une autre manière d’instrumentaliser la fête revient simplement à éviter tout achat, pour tenter de transmettre notre affection à travers une présence ou une parole. Pouvoir célébrer l’amour tous les jours et sous toutes ses formes demandera donc encore un peu de temps, le temps de déconstruire les attentes capitalistes pour que chacun·e puisse reconstruire personnellement l’expression de ses sentiments. x
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Entrevue
Raconter, c’est créer des connexions Le récit d’histoires est un outil puissant pour briser les tabous entourant la santé mentale. Laura doyle pÉan
Contributeur·rie
Mise en garde : troubles de santé mentale, violences sexuelles, suicide
L
e 27 janvier 2019, à l’occasion de la deuxième semaine annuelle du bien-être à McGill (du 27 au 31 janvier), le Bureau d’intervention, de prévention et d’éducation en matière de violence sexuelle (Office Sexual Violence Response, Support and Education, OSVRSE, ndlr), Consent McGill et le Pôle bien-être recevaient l’atelier Movies for Mental Health (M4MH). L’événement était présenté par Tanya Turton, facilitatrice pour l’organisation Art with Impact, que j’ai rencontrée pour parler du pouvoir des histoires dans les discussions sur la santé mentale. Tanya Turton a grandi à Toronto. Elle a commencé à faire du travail communautaire par l’intermédiaire de son centre communautaire local. Aujourd’hui diplômée en travail social de l’Université Ryerson (2012) et en entrepreneuriat de l’Université George Brown (2014), elle s’est engagée dans sa pratique pour « renforcer l’amour de soi et le bienêtre holistique ». Au fil des ans, elle a lancé deux initiatives : Adornment Stories, une association à but non lucratif qui utilise la beauté et les récits numériques pour aider des femmes noires qui font face à des défis en matière de santé mentale à transformer leurs expériences, et NiaZamar : Redefining Beauty, une entreprise sociale de beauté et de bien-être qui remet en question les mythes de la beauté par le biais de services, de produits et d’éducation pour accroître la confiance en soi. La vision de Tanya : construire des espaces de soins collectifs. Avec Adornment Stories, elle a la chance de construire des relations plus durables et plus fortes avec les participant·e·s que lors des ateliers périodiques M4MH, et de les voir évoluer : « Il est transformateur d’être dans ces espaces, de construire une communauté, de voir que vous n’êtes pas seul. » Les participant·e·s sortent avec de nouveaux outils qu’ils·elles peuvent utiliser dans leur vie quotidienne, pour mieux faire face aux défis de la santé mentale. Un changement de paradigmes Depuis le début de sa carrière, Tanya a remarqué un changement dans la façon dont les gens parlent de la santé mentale ; changement qui, selon elle, pourrait être associé au nombre croissant d’histoires, de films, de livres et d’autres œuvres narratives qui en parlent, mais aussi à une forte implication en ligne, de la part des jeunes sur les médias sociaux. « Quand j’étais plus jeune, les gens parlaient de bien-être et de
santé holistique, de bien manger [...] tout était centré sur le corps », « Nous ne parlions pas de [santé mentale] ». Elle se souvient avoir commencé à entendre parler de santé mentale dans les termes employés aujourd’hui en 2012, sur Tumblr. Tumblr, une plateforme de microblogging multimédia lancée en 2007, est devenue « l’un des sites Internet grand public à la croissance la plus rapide [en 2010-2011], son audience passant de 4,2 millions de visiteurs en juillet 2010 à 13,4 millions de visiteurs en juillet 2011 [soit une hausse de 218 %] » (Comscore). La plateforme, explique Tanya,
En avril 2017, l’Association nationale des psychologues scolaires (NASP) aux États-Unis a publié une déclaration concernant la série, disant que « les recherches montrent que l’exposition au suicide d’une autre personne, ou à des récits de morts graphiques ou sensationnalistes, peut être l’un des nombreux facteurs de risque que les jeunes aux prises avec des problèmes de santé mentale invoquent comme raison pour envisager ou tenter de se suicider ». Le NASP a ensuite envoyé une lettre aux professionnel·le·s de la santé mentale dans les écoles du pays au sujet de cette série.
les téléspectateur·rice·s à « ce problème de santé évitable », ajoutant que « la sensibilisation doit se faire de manière sûre et responsable ». Un nombre important et croissant de recherches canadiennes et internationales a établi des liens évidents entre l’augmentation des taux de suicide et ses représentations médiatiques néfastes. Un autre exemple d’histoires potentiellement nuisibles se trouve dans la mode du selfcare consumériste et de la culture treat yourself, très présentes sur les médias sociaux et dans les espaces universitaires.
essentielle de la solution, non seulement en ce qui concerne les personnes qui sont représentées dans les histoires que nous racontons sur la santé mentale, mais aussi en ce qui concerne les personnes qui prennent des décisions (dans les espaces de gouvernance) par rapport au financement des programmes de santé mentale et aux services sociaux — existe-t-il des espaces sûrs (des safe spaces) pour tout le monde ? Les politiques doivent suivre Les histoires peuvent transmettre de nouvelles connaissances
Parker le bras-brown permettait aux personnes souffrant de problèmes de santé mentale de raconter leur propre histoire. Cela a non seulement permis de sensibiliser le public à diverses questions liées à la santé mentale, puisque l’on comprend mieux les difficultés des autres lorsqu’on les voit dans des histoires, mais ce phénomène a également contribué à la guérison de plusieurs personnes. « Je sais que je guéris quand je raconte mon histoire », se confie celle qui a toujours aimé lire et écrire. « Je me sens validée et entendue. C’est libérateur de prendre quelque chose en nous et [...] d’y mettre des mots. » Une question d’équilibre « Comme toute chose, les histoires sont un outil », me dit-elle. « Tout le monde peut utiliser cet outil et n’importe quoi peut être raconté avec ». Il est donc primordial d’être très prudent·e avec la façon dont nous l’utilisons. « Certaines histoires peuvent être très dangereuses », dit Tanya. Je pense à la série 13 Reasons Why, diffusée par Netflix depuis 2017, qui a suscité l’inquiétude de nombreux·ses professionnel·le·s de la santé mentale en raison des représentations graphiques de problèmes tels que le suicide et le viol qui s’y retrouvaient.
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« La notion de représentation est essentielle, non seulement en ce qui concerne les personnes qui sont représentées dans les histoires que nous racontons sur la santé mentale, mais aussi en ce qui concerne les les personnes qui prennent les décisions » En mai 2017, l’Association canadienne pour la santé mentale (ACSM) et le Centre pour la Prévention du Suicide (CSP) ont publié une déclaration mentionnant des préoccupations similaires à celles soulevées par le NASP. L’ACSM estimait que la série pouvait glorifier le suicide et que certains contenus pouvaient entraîner une détresse chez les téléspectateur·rice·s, en particulier chez les plus jeunes. De plus, la représentation du suicide d’Hannah ne respecte pas les lignes directrices des médias telles qu’établies par l’Association canadienne pour la prévention du suicide (ACPS) et l’Association américaine de suicidologie. L’ACSM et l’ACPS ont fait l’éloge de la série pour avoir sensibilisé
« Il y a cette mode du selfcare qui ne reconnaît pas l’importance des soins collectifs », explique Tanya. « Une personne peut travailler très dur pour prendre soin d’elle-même mais ne pas bien aller mentalement pour autant. [...] Il faut aussi reconnaître l’impact de nos diverses identités (statut d’immigration, statut socio-économique, race, genre, orientation sexuelle...) sur la santé mentale. »La maladie mentale peut venir de facteurs biologiques, oui, mais aussi environnementaux. La question que nous devons nous poser, selon Tanya, est la suivante : comment créer des espaces dans lesquels les individus peuvent prendre soin d’eux-mêmes tout en créant des connexions avec les autres? La notion de représentation est une partie
et peuvent avoir un impact sur la façon dont nous traitons les personnes qui font face à des défis en matière de santé mentale, en influençant notre compréhension de leurs réalités. Pourtant, « les histoires ne peuvent pas changer le vécu des gens. [...] D’autres éléments sont systémiques et institutionnalisés », insiste Tanya. Où va le financement pour la santé mentale? Est-ce seulement aux mesures cliniques, ou aussi préventives? Quelle est la place accordée aux soins collectifs ? À qui s’adressent les services? Une grande partie du dialogue actuel sur la santé mentale ne tient pas compte de la culture et de la race, les services ne sont pas adaptés, conclut-elle. Il reste évidemment beaucoup de travail à faire. Même s’ils ne sont pas suffisants si les politiques ne suivent pas, Tanya croit toujours que les récits et les événements tels que M4MH et la Semaine du bien-être ont un grand impact : « Votre présence physique montre que vous êtes intéressé·e et permet que des ressources soient investies dans la santé mentale ». x Des ressources en santé mentale disponibles à McGill et hors campus sont disponibles sur notre site web : https://www.delitfrancais.com/
société
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Lettre
Lettre ouverte Il est temps de refaire la grève pour le climat. CLIMATE JUSTICE ACTION MCGILL – C-JAM Le fardeau des changements climatiques donne parfois l’impression d’une lutte sans issue. Armé·e·s de nos bouteilles d’eau et de nos pailles réutilisables, nous participons à la marche pour le climat, donnons pour lutter contre les feux de forêt en Australie et twittons « #FridaysForFuture » à nos politicien·ne·s. Malgré cela, la température moyenne ne cesse d’augmenter, la pollution continue de s’accroître et nos institutions et gouvernements demeurent complices. Nous ne pouvons pas porter la responsabilité de résoudre la crise par nos actions individuelles alors que nos systèmes économiques et politiques sont conçus pour exploiter les ressources naturelles, en plus de permettre la consommation excessive et l’accumulation des richesses par l’élite. Nous devons bâtir un rapport de force collectif et exiger un changement systémique, sans quoi notre avenir sera anéanti. Il est temps de faire la grève pour le climat. Notre gouvernement fédéral a déclaré l’urgence climatique, mais a approuvé dès le lendemain l’extension du pipeline Trans Mountain, violant ainsi la souveraineté et les droits de la personne de la nation Secwepemc et d’autres nations autochtones, tout en consolidant le rôle international du Canada en tant que criminel climatique. De son côté, l’administration mcgilloise vante les mérites de sa stratégie de développement durable, mais refuse de se désinvestir de l’industrie des combustibles fossiles et de mettre fin à ses recherches pour cette industrie ou celle de l’armement. Selon l’université, protégée des assauts des changements climatiques grâce à sa richesse, il est plus important de maintenir un ordre social traditionnel insoutenable que d’effectuer une transition vers un avenir viable ; autrement dit, le capital prime sur notre survie. Selon nous, les actions de la haute direction ne sont qu’un écoblanchiment frauduleux et une tentative de dépolitisation de la crise climatique. Compte tenu des conséquences, c’est inacceptable. Il est nécessaire que ceux et celles qui abusent de leur position et de leur privilège ressentent notre pouvoir collectif. Il est temps de faire la grève pour le climat. L’impression de pouvoir attendre avant d’agir relève de notre privilège socio-économique et géographique. Les conséquences fatales de la crise climatique sont déjà présentes, comme en témoignent les récentes catastrophes naturelles en Indonésie, au Bangladesh, à Porto Rico, dans les Caraïbes et ailleurs dans le monde ; cela ne fera qu’empirer. Les changements climatiques affectent de manière disproportionnée les groupes systématiquement marginalisés (notamment les communautés autochtones, noires, pauvres, racialisées et du Sud), qui sont les moins responsables de la crise écologique, tandis que les élites économiques et politiques émettent la majorité du carbone en niant toute responsabilité. Vu la façon dont les systèmes d’oppression se chevauchent et se renforcent mutuellement, si nous voulons combattre le racisme, le sexisme, le classisme et d’autres formes d’oppression, nous devons nous tourner vers la justice climatique. Les personnes qui veulent réduire les services publics, qui veulent affaiblir, voire abolir les réglementations environnementales et qui méprisent les droits des femmes, des peuples autochtones, des communautés LGBTQ2S+ et de toutes les minorités, sont les mêmes. Elles sont peu nombreuses, mais elles ont un intérêt commun à contrôler toujours davantage et à étouffer toute résistance. Nous souffrons de leur refus d’affronter la crise climatique. En tant qu’étudiant·e·s ayant la capacité de lutter démocratiquement, il est impératif que nous nous mobilisions aux côtés des nombreux·ses militant·e·s qui dirigent le mouvement pour transformer le monde en ce moment crucial de l’Histoire. Nous devons envisager la prospérité environnementale dans un contexte d’équité sociale, car personne n’est libre tant que nous ne le serons pas tous·tes. Il est temps que McGill cesse d’être complice : il est temps de faire la grève pour le climat. Les manifestations du 15 mars et du 27 septembre ont été d’une ampleur historique, mais sans un élan soutenu, leur influence sur les directions administratives et gouvernementales s’amenuise ; leur pertinence, leur capacité de mobilisation et leur potentiel sont perdus. Ensemble, à travers les facultés et les départements de McGill, nous pouvons voter démocratiquement pour une grève qui donnera sens à nos revendications et qui sensibilisera la population. Notre pouvoir collectif, combiné à celui des corps étudiants d’autres établissements d’enseignement, peut mettre en lumière le problème à McGill et dans le monde entier. Notre privilège de jouer un rôle de travailleur·se intellectuel·le vient de pair avec notre responsabilité de forger un avenir pour lequel il vaut la peine de s’éduquer. En tant que futur·e·s travailleur·euse·s, nous fournissons un service vital à l’économie et à McGill et, sans notre coopération, ni l’une ni l’autre ne pourront fonctionner sans difficulté. La grève est assez puissante pour obliger le gouvernement à nous écouter, plutôt que d’attendre ses réponses insuffisantes aux pétitions, aux lettres et aux discours. Dans une société démocratique, rien n’est plus fort sur le plan politique que des gens qui s’engagent dans une action directe non violente contre l’autorité institutionnelle. Ce n’est qu’avec une action collective, perturbatrice et prolongée que nous progresserons dans la lutte contre les changements climatiques. Alors que des millions de personnes sur la planète se lèvent, il est temps pour nous de prendre position contre les systèmes d’oppression qui empêchent l’action climatique nécessaire. C’est dans cet esprit que nous nous joignons à la Coalition étudiante pour un virage environnemental et social (CEVES) lors de sa semaine de grève pour la transition. Du 30 mars au 3 avril, faites la grève et participez aux manifestations et aux actions sur les campus. Joignez-vous aux groupes environnementaux dans tout le pays pour prendre collectivement notre avenir en main. C-JAM s’organise sur les territoires traditionnels de la communauté Kanien’keha:ka.
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société
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Philosophie portrait de philosophe
philosophie@delitfrancais.com
« Si la science est admirée pour ses exploits, alors le mythe doit l’être avec une ferveur cent fois supérieure, parce que ses exploits furent incomparablement plus grands. Les inventeurs du mythe ont fait naître une culture, alors que les scientifiques n’ont fait que la transformer, et pas toujours pour le mieux. » P. Feyerabend
« Mythes » et croyances scientifiques dépassées
Thomas Kuhn et l’émergence de la connaissance scientifique. david d’astous
Contributeur
H
éraclite a vu le monde en devenir ; Empédocle a cru les forces de l’Amitié et de la Haine à l’origine des phénomènes naturels ; Aristote a décrit l’étant en termes d’entéléchie ; Descartes a postulé l’éther ; Newton a pratiqué l’alchimie. Ces « mythes », ou croyances scientifiques dépassées, suggèrent-elles que les savants de la philosophie naturelle n’ont plus rien à nous apprendre? Ou pis encore qu’ils faisaient preuve de superstition? Sommes-nous désormais plus connaisseurs que les Grecs et les Romains? Après tout, n’envisageaient-ils pas la sphère étoilée comme étant en rotation autour de la Terre? Et nous, enfants de la science moderne, ne savons-nous pas désormais que la Terre tourne autour du Soleil? La « connaissance » scientifique En réalité, il n’y a pas grand cas à faire de la « connaissance » scientifique du citoyen moyen. Cette affirmation peut être élaborée par une image succincte : combien d’entre nous sommes capables de démontrer rigoureusement le théorème de Pythagore? Ou encore que la Terre est ronde? Et que dire du mouvement héliocentrique? De l’évolution? Des atomes? Le savons-nous autant que nous le croyons? Au fond, comme le suggère Thomas Kuhn dans La structure des révolutions scientifiques, les manuels de science ne nous en apprennent que très peu sur les connaissances scientifiques et sur la méthode par laquelle cellesci sont obtenues. Ils reflètent plutôt la normalisation des phénomènes à observer et des instruments à employer propres à l’état de nos croyances scientifiques. Ce n’est pas pour dire que de tels savoirs et méthodes sont inaccessibles, bien au contraire. Cela ne suggère pas non plus qu’il est impossible de hiérarchiser le savoir, mais plutôt que celui qui croit que la Terre est ronde et celui qui croit qu’elle est plate ont en commun de ne détenir aucune connaissance scientifique à proprement parler. Or, il ne s’agit pas ici de disputer des faits scientifiques, mais plutôt des théories scientifiques et de leur caractère contingent. De fait, il faut rappeler que les manuels scientifiques ne nous apprennent pas à comprendre
l’essence des phénomènes naturels (le « pourquoi »), mais seulement à en déterminer les effets (le « comment »). Galilée, et l’ensemble de la science moderne avec lui, a définitivement abandonné la recherche des causes aux mouvements d’un corps, tel que le faisait Aristote, pour se concentrer plutôt sur une prédiction rigoureuse et précise — mathématique — de leurs effets. Il a postulé que l’homme peut seulement espérer découvrir l’essence des phénomènes naturels en adoptant une telle démarche : « Une brume profonde et dense le lui dissimule ; cette brume se réduit et s’éclaircit partiellement quand nous nous sommes rendus maîtres de quelques conclusions, solidement démontrées et possédées, dont nous disposons si aisément que nous pouvons passer rapidement de l’une à l’autre. » Pourtant, la réalité s’y dérobe : nous ne pouvons pas découvrir les causes premières du monde qui nous entoure par la science moderne. Elle peut décrire le mouvement du pendule à la perfection, mais jamais le mécanisme qui en est le ressort. Ainsi, cette théorie scientifique moderne diverge donc de la pensée philosophique ancienne en ce qu’elle ne tente pas tout à la fois d’expliquer la cause et les effets des phénomènes naturels. L’incommensurabilité La théorie atomiste remonte à Démocrite, Épicure et Lucrèce ; est-elle seulement valable parce qu’elle est conforme avec l’état de nos connaissances scientifiques actuelles? Kuhn nous enseigne une leçon très importante qui permet d’en douter. Il affirme : « Les méthodes qui ont conduit à ces mythes sont bien semblables à celles qui conduisent aujourd’hui à la connaissance scientifique. » La notion même d’accumulation de la connaissance en un progrès continu s’en voit renversée. L’approche préconisée pour évaluer une conception scientifique n’est plus celle qui examine les « maigres » contributions faites par les croyances scientifiques dépassées par celles actuelles. Elle s’efforce plutôt de « mettre en lumière l’ensemble historique » qui constituait cette croyance. Cela ne suggère pas que les croyances dépassées soient plus justes que les nouvelles, mais déroge plutôt à l’idée reçue selon laquelle elles seraient aussi facilement comparables. Pour Kuhn, les théories scientifiques sont incommensurables, car elles
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reflètent certaines conceptions des phénomènes naturels qui sont différentes. Ce que nous appelons des « mythes » n’est rien d’autre que l’incompréhension d’une vision du monde qui n’est pas simplement transférable à la nôtre. De fait, il suggère qu’une communauté scientifique ne peut œuvrer
elle s’impose d’elle-même parce qu’elle « réussit mieux » que les théories concurrentes à décrire le mouvement, en élucidant certains problèmes que ces dernières ne pouvaient résoudre. Or, la théorie du mouvement des corps de Newton, qui décrit adéquatement les phénomènes physiques qui se produisent à l’échelle humaine,
parker le bras-brown sans un ensemble d’idées et de méthodes reçues, ce qu’il nomme « les paradigmes scientifiques ». L’émergence de la connaissance scientifique nécessite une certaine adhérence, ou « consensus », à un paradigme scientifique. De fait, ce consensus donne lieu à des recherches qui permettent d’étudier certains phénomènes naturels avec « une précision et une profondeur qui autrement seraient inimaginables » à l’extérieur du paradigme. C’est ce que Kuhn décrit comme la science « normale » : elle est spécialisée, car elle agit sur des prémisses acceptées comme vraies, permettant d’expliquer de plus en plus de faits scientifiques à la lumière du paradigme. Certaines énigmes sont résolues par cette recherche. Mais, nous suggère Kuhn, « aucun paradigme accepté ne résout jamais complètement tous ces problèmes ». Prenons par exemple la théorie du mouvement des corps de Newton (lois de Newton) : cette théorie visait à expliquer, entre autres, le mouvement des corps célestes. Aujourd’hui, celle-ci fait consensus dans la mesure où elle décrit parfaitement bien certains phénomènes naturels observés à l’échelle humaine. Autrement dit,
ne peut en faire autant pour ceux qui se produisent à toute petite échelle (mécanique quantique) ou à très grande échelle (mécanique céleste). Ces anomalies se sont peu à peu révélées par des découvertes et ont été impossibles à résoudre à l’intérieur du paradigme établi par Newton : ces énigmes deviennent alors des contre-exemples. Lorsque ces contre-exemples deviennent trop importants, le paradigme s’effrite et la science tombe en état de crise : « Si une anomalie doit faire naître une crise, il faut généralement qu’elle soit plus qu’une simple anomalie. » Les révolutions scientifiques La connaissance scientifique émerge alors dans le cadre d’une science dite « extraordinaire ». En effet, les scientifiques tentent tout à la fois de déconstruire l’ancien paradigme et d’en établir un nouveau qui serait, lui, en mesure de décrire plus adéquatement l’anomalie découverte. Or, l’apparition de nouvelles théories n’est pas toujours garante de changement de paradigme. Pour qu’un changement s’opère le nouveau paradigme doit créer une adhérence et un consensus, changer la conception du monde de la
communauté scientifique et l’objet de ses recherches. C’est la révolution scientifique : des périodes de bouleversement extraordinaires au courant desquelles se « modifient les convictions » des scientifiques. Ainsi, la théorie du mouvement des corps de Newton a tôt fait d’être renversée par les travaux d’Einstein portant sur la relativité. De même, la théorie héliocentrique de Galilée a remplacé la théorie ptoléméenne du mouvement des planètes en permettant de mieux expliquer le mouvement rétrograde de ces dernières ou les phases de Vénus ; la théorie de la sélection naturelle de Darwin a supplanté celle du transformisme de Lamarck. Toutes ces révolutions scientifiques ont mené à une nouvelle conception du monde qui se trouvait en inadéquation avec celle qui la précédait. L’incommensurabilité de l’espace et du temps avec l’espace-temps, ou encore de l’adaptation avec la transmutation, est indéniable. Les méthodes et instruments préconisés pour permettre l’émergence de la connaissance scientifique s’en voient alors transformés. Cela semble suggérer que certaines théories peuvent être portées à disparaître, remplacées par de nouvelles qui décrivent mieux certains phénomènes observables. Plus fondamentalement, la pensée de Kuhn peut s’attaquer à l’illusion de l’accumulation de la connaissance dans sa forme absolue. La science n’est pas la « simple somme des faits, théories et méthodes rassemblés dans les ouvrages récents », et le développement scientifique le « processus fragmentaire par lequel ces éléments ont été ajoutés », comme les manuels scientifiques semblent le laisser entendre. Plutôt, la science est-elle la connaissance qui émerge d’un certain paradigme scientifique. Ce paradigme, nécessairement contingent, nous appelle à un certain devoir d’humilité envers les « mythes et croyances scientifiques dépassées ». De façon plus importante, encore, il nous appelle à un devoir philosophique très important : la reconnaissance de nos propres croyances au regard des limites de la connaissance scientifique et de la méthode scientifique moderne. Nos modèles d’aujourd’hui seront peut-être le ridicule de demain. x « Tout n’est pas faux dans ce qui est abandonné. Tout n’est pas vrai dans ce qui se révèle. » - P. Valéry
Philosophie
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Culture
Lilies films
artsculture@delitfrancais.com
cinéma
Éclat d’un amour lesbien
Portrait de la jeune fille en feu sort le 14 février dans nos salles. grégoire collet
Rédacteur en chef
T
omber amoureux·se, c’est se surprendre, se voir tomber, tendre une main tremblante, ne plus avoir le choix que d’aimer, vivre comme l’on a rarement vécu — l’amour est un feu. Portrait de la jeune fille en feu est un film qui nous brûle lentement. La passion y est naissante, puis explosive, mais nous traverse les deux heures durant. Ce quatrième long-métrage de Céline Sciamma est d’une maîtrise assez extraordinaire ; son écriture a d’ailleurs été saluée par le Prix du scénario à Cannes en 2019, et le film parcourt encore festivals et cérémonies de récompenses. Sous ses airs de film d’époque, Portrait de la jeune fille en feu constitue en fait une proposition inédite, rendant incontournable son visionnement. Brûler à deux Bretagne, fin du 18e siècle. Marianne (Noémie Merlant), une peintre, se rend dans un château pour peindre le portrait d’Héloïse (Adèle Haenel). Celle-ci est promise à un homme milanais, un mariage organisé par sa mère, souhaitant quitter son île bretonne pour l’Italie. Se lient alors d’amour et d’amitié ces deux femmes, prises dans la conception d’un tableau destiné
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Culture
à mener Héloïse à un mariage qu’elle refuse. Portrait de la jeune fille en feu est avant tout une histoire d’amour. Marianne et Héloïse se découvrent au fil de balades silencieuses puis bavardes, elles parlent d’art et s’ouvrent peu à peu l’une à l’autre. Cette rencontre devient un lieu d’échanges : de regards, d’idées, de flammes. Le jeu des actrices est non seulement convaincant, mais par leur mesure et la beauté du texte qu’elles portent à l’écran, est également vecteur d’une émotion autant crue que lyrique. Si cet amour est l’objet du film, ces deux femmes — ainsi que Sophie (Luàna Bajrami), une servante — en sont les sujets.
ou de mariage. Abolir la présence masculine à l’écran, c’est avant tout se débarrasser d’un regard, pour parler des femmes sans qu’elles soient forcément sujettes à des oppressions de genre. Si les problématiques qui traversent les personnages ne sont pas affranchies de rapports genrés, elles sont libres dans leurs expressions et leurs corps, maîtresses de leurs récits et leur amour. Cette résolution est en fait presque inédite sur nos écrans, et la réalisatrice la décrit comme une nouvelle proposition de fiction. Il y a peu de films d’époque avec des personnages féminins qui existent en dehors de leur condition de femme. Il y a encore moins de films dépeignant
« Céline Sciamma a désiré faire exister ses personnages en dehors de leur rapport au masculin : il n’y a pas d’hommes dans Portrait de la jeune fille en feu » Politique du regard Céline Sciamma a désiré faire exister ses personnages en dehors de leur rapport au masculin : il n’y a pas d’hommes dans Portrait de la jeune fille en feu. Leur présence n’est que très rarement nommée, bien qu’elle puisse notamment se faire sentir à travers les enjeux de grossesse
des relations lesbiennes qui ne soient pas soumises à un regard masculin, terme que Laura Mulvey, critique féministe de cinéma, a forgé. La Vie d’Adèle de Kechiche en est l’exemple : la relation amoureuse entre les deux femmes à l’écran est limitée à une vie sexuelle peu représentative de la réalité, participant activement à l’objectification et la sexualisa-
tion des femmes lesbiennes. Se débarrasser de ce regard permet avant tout à Céline Sciamma de raconter son histoire et d’assurer que les relations lesbiennes soient montrées — réalisées, écrites et jouées — à l’écran par les concernées. Le regard masculin n’est pas le seul dont Sciamma a décidé de s’affranchir. Le personnage de Sophie, servante travaillant dans la demeure où réside Héloïse, apporte un autre lien aux deux personnages qui vont l’aider à interrompre sa grossesse. Les dynamiques de classe ne sont pas ignorées, car le statut des personnages les rend inévitables, mais ne viennent pas créer de hiérarchie dans les relations interpersonnelles qu’elles entretiennent. Et c’est précisément car ces dynamiques ne viennent pas parasiter leurs relations que Portrait devient aussi un film qui nous parle de sororité, en plus de l’amour entre ces deux femmes. Cette tension entre cette politique du regard et l’inscription du récit dans le 18e siècle devient le support d’un propos sur la féminité qui est résolument contemporain et ouvrira, on l’espère, la porte à d’autres films de cette veine. Que des collaboratrices Lorsqu’elle présentait son film à Cannes, Céline Sciamma assurait dans une conférence de presse : « Il
n’y a pas de muses. Il n’y a que des collaboratrices. » Cette redéfinition du rapport entre le modèle et l’artiste fait partie intégrante de la tension au cœur du film. Héloïse et Marianne travaillent main dans la main pour obtenir un résultat qui convienne aux deux, c’est leurs deux visions qui guident le pinceau de Marianne, c’est cette collaboration qui est créatrice de l’art mais aussi qui porte leur amour. Le travail historique qui a été fait sur le film s’inscrit aussi dans la trajectoire empruntée sur la féminité. Les femmes artistes sont effacées de l’histoire, et pourtant, à l’époque où le film se déroule, bon nombre de femmes peintres existaient et travaillaient. Le personnage de Marianne est né d’un désir de créer une femme peintre de toutes pièces plutôt que de s’enfermer dans le biopic, qui mettrait une femme en porte-drapeau d’un phénomène, et ainsi de normaliser la place de ces artistes dans nos récits. Portrait de la jeune fille en feu nous montre ce que le cinéma peut faire de plus puissant, et son propos féministe et politique rare à cette échelle en est sûrement un des moteurs. Ce film parle d’amour, dans ses formes les plus créatrices, et de femmes se donnant cette liberté d’aimer — et c’est dans cet amour qu’une nouvelle proposition de fiction vient se loger. x
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Playlist de la semaine Hey Shérif - David Myles
Calendrier culturel
Facile - Camélia Jordana Vert - Harmonium
Quelques événements à ne pas manquer lors du Mois de l’Histoire des Noir·e·s.
Éditeur Société
Ce festival mêlant cinématographie et discussions des expériences propres aux communautés noires proposera plusieurs projections de film et des sessions de questions-réponses.
Festival Fondu au Noir
Festival Afro Urbain Du 20 au 23 février
Ce festival montréalais des films et des arts afro LGBTQ+ présentera sa 12e édition. Le thème de cette année : AFROFUTURISQUE.
Du 6 au 28 février
Jérémie-clément pallud
Festival Massimadi Du 20 au 29 février
La drag queen BiG SiSSY nous reçoit au Centre Phi pour une soirée dédiée à la promotion des artistes de drag noir·e·s. Cette troisième édition est intitulée : « Ancêtres passés, présents & futurs ».
Du 21 au 23 février
Le 21 février
Afro drag
C’est la 2e édition de ce festival organisé par le Centre des Arts de la Maison d’Haïti ; l’occasion de célébrer les cultures urbaines noires et les arts afro-québécois.
Dans trois galeries différentes, retrouvez cette exposition poussant à la réflexion sur des enjeux liés à la santé mentale dans les communautés noires. Cet événement, inspiré de l’autobiographie homonyme de Maya Angelou est organisé par Nigra Iuventa, organisation montréalaise à visée décoloniale.
Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage
cinéma
Histoire d’un amour en fuite
Queen and Slim dépeint la passion dans un contexte de violences policières. jérémie-clément Pallud
Éditeur Société
des personnes noires. En effet, au cours de son périple médiatisé, le couple fugitif reçoit beaucoup de soutien et devient malgré lui, à travers tout le pays, le symbole de la lutte contre ces violences. Le croisement de ces deux thèmes atteint son apogée lorsqu’une scène d’amour des plus torrides est présentée en alternance avec une scène de sanglantes émeutes ; provoquant un effet particulièrement déconcertant chez le·la spectateur·ice. Effectivement, l’on ne sait plus à quelles émotions adhérer, et l’on se retrouve balloté·e entre l’intense colère des manifestant·e·s et la grande sensualité du couple.
universal pictures
U
n premier rendez-vous qui s’achève, des éclats de rire dans une voiture, un gyrophare qui surgit dans le rétroviseur, un contrôle de police abusif, une situation qui dégénère, un coup de feu : le décor de Queen and Slim est planté. Dans un élan de légitime défense, une jeune femme (Angela Johnson, interprétée par Jodie Turner-Smith) et un jeune homme (Ernest Hinds, interprété par Daniel Kaluuya) noir·e·s américain·e·s se retrouvent avec le meurtre d’un policier sur les bras. C’est le début d’une cavale à travers les États-Unis durant laquelle la fuite précipitera les sentiments naissants du jeune couple, et où le désir de survie cristallisera le désir amoureux. Esthétique soignée Accordons-nous d’abord sur un point : Queen and Slim est un film à l’esthétique sans pareille. Les couleurs, tantôt éclatantes, tantôt pastel, et les plans, toujours épurés, ne sont pas sans rappeler d’autres œuvres de la réalisatrice Melina Matsoukas
telles que le clip « Formation » qu’elle a réalisé pour la chanson de Beyoncé. La bande-son du film laisse entendre les voix de nombreux artistes noir·e·s, de Lauryn Hill à Blood Orange en passant par Solange. Ensemble, l’image et le son se mêlent pour nous offrir un spectacle à l’harmonie apaisante, rendant presque agréable le récit de cette cavalcade. Du côté des acteur·rice·s, Jodie Turner-Smith effectue une remarquable première performance sur grand écran en
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maîtrisant parfaitement l’arc émotionnel évolutif de son personnage. Effectivement, le voyage sera l’occasion pour la jeune femme d’apprendre à se montrer plus vulnérable à autrui, et notamment envers son partenaire de fuite. Daniel Kaluuya, révélé quant à lui au grand public par sa performance remarquable dans Get Out (Jordan Peele, 2017), nous gâte des regards béants et riches en émotions dont il connaît si bien la recette. Apparaissent aussi à l’écran, plus brièvement mais
non moins talentueusement, d’autres acteur·rice·s de renom comme Bokeem Woodbine, Chloë Sevigny ou encore Indya Moore. Dure réalité Pendant deux heures, Melina Matsoukas nous tient en haleine à travers une œuvre où la passion se décline dans un va-et-vient déconcertant entre l’ardeur d’un amour à consommer au plus vite et la crispation sociale provoquée par la récurrence des violences policières à l’encontre
Dans son ensemble, Queen and Slim est une œuvre poignante et d’une beauté saisissante qui ne manqua pas de me soutirer quelques larmes. Alors que le jeu du chat et de la souris semble ne jamais finir, l’illusion d’une fin heureuse n’est pas offerte par le scénario de Lena Waithe. Effectivement, le dénouement du récit nous rappelle à la violente réalité dans laquelle il est ancré : celle du traitement intransigeant — comprendre meurtrier, et sans aucune présomption d’innocence — réservé aux corps noirs par les forces de l’ordre. x
culture
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exposition
Courtoisie du musée mccord
De la mesure à la démesure Griffintown dans la lentille de Robert Walker.
raphaël michaud
Contributeur
C
e mercredi 5 février se tenait au Musée McCord le vernissage de l’exposition Griffintown – Montréal en mutation, présentée jusqu’au 9 août prochain. Elle met en vedette l’œuvre du photographe documentaire Robert Walker à travers une vingtaine de clichés grand format ainsi que d’une centaine d’autres projetés, capturés entre 2018 et 2019 et mis en parallèle avec quelques photos historiques tirées de la collection du Musée.
grand nombre à l’invitation, l’espace limité nécessitant même d’étaler les visites au cours de la soirée. Cela s’avère de bon augure, puisqu’il s’agit du premier volet d’un projet piloté par l’institution, qui vise à raconter Montréal et ses quartiers en changement à travers l’objectif des photographes.
Paysages urbains
Montréalais de naissance, Walker se spécialise en photographie de rue en couleur depuis 1975. Il s’installe à New York en 1978, ville qui sera au centre de son œuvre pendant plusieurs années. Ce dernier a toutefois posé son objectif sur maintes métropoles à travers le monde, dont les fruits ont été abondamment publiés.
En présence de l’artiste, les membres du musée ont répondu en
D’entrée de jeu, le contenu capturé par le photographe, durant la phase
de construction du quartier actuel, impose une reconfiguration du regard. L’œil normalement blasé par les visions de cônes orange et de démolition est amené à réinterpréter ses notions du beau et du laid, à travers des prises de vue qui, de l’aveu-même de l’artiste, s’apparentent plus à des tableaux abstraits, avec le dialogue des formes et les touches de couleur. Rêves en chantier Il y a chez Walker une passion évidente pour l’instant fugitif, le jeu des reflets et des ombres, et surtout, de la lumière qui magnifie la couleur, du bleu ciel au jaune vif. Les tours de condominiums en chantier répondent aux anciennes structures près du Canal Lachine,
et vice versa. Cette superposition entre passé, présent et futur est d’ailleurs l’un des axes centraux de l’exposition : passé industriel jeté par-dessus bord, et présent quelque peu chaotique dans l’attente d’un futur vanté comme rempli de promesses. De là découle la deuxième perspective importante, celle du rêve face à la réalité. Dans plusieurs photographies sont mises en abîme des publicités pour les nouveaux immeubles à logements. Elles y côtoient des gens sans prétention dans des lieux encore désorganisés, contraste qui suscite une réflexion, au-delà de la beauté plastique, sur le bonheur parfois idéalisé qu’on nous vend. Griffintown a certes
une signature visuelle indéniable, mais rappelons que son développement fulgurant a initialement omis certains services publics de proximité et créé un phénomène d’embourgeoisement. Finalement, ce qui fait la force des prises de vue, c’est aussi le chevauchement de la matière brute (pierre, métaux, béton) et de la férocité de la machinerie avec les silhouettes envoûtantes des nouveaux édifices. Bien que l’artiste prétend vouloir cadrer un maximum de détails, ce sont les photos les plus épurées qui s’avèrent les plus fortes. Le spectateur averti y trouvera, en somme, une perspective neuve et rafraîchissante sur des détails insoupçonnés issus de flâneries quotidiennes. x
littérature
Pluraliser nos histoires Retrouvez l’oeuvre marquante de la semaine : Elles ont fait l’Amérique. vincent morreale
Contributeur
C’
est lors de mes études collégiales que j’ai découvert Serge Bouchard. « Qui? », je vous entends me dire. Je vous définis cet auteur en vous orientant vers sa voix grave et caverneuse que nous pouvons entendre aux ondes de RadioCanada le dimanche soir. « Ah oui! le monsieur avec les histoires oubliées ». Né à Montréal en 1947, Serge Bouchard est anthropologue, auteur et animateur, il communique sur toutes les tribunes sa passion pour l’histoire des Premières Nations,des Métis, pour la nordicité, et pour l’Amérique francophone. Serge Bouchard est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, dont L’homme descend de l’ourse, Mathieu Mestokosho, chasseur innu et C’était au temps des mammouths laineux. Ses deux derniers livres, Elles ont fait l’Amérique et Ils ont couru l’Amérique – un projet de
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culture
trois tomes en collaboration avec Marie-Christine Lévesque – explorent l’envers de notre histoire. À travers cette chronique, j’aimerais vous présenter Elles ont fait l’Amérique, livre qui est selon moi une lecture nécessaire, non seulement pour les Québécois et les Québécoises, mais aussi pour tous ceux et celles qui sont curieux de découvrir une histoire qui témoigne des origines d’une jeune nation, portée sur les épaules de gens du commun.
parker le bras-brown
Elles ont fait l’Amérique Les auteur·rice·s Serge Bouchard, Marie-Christine Lévesque, et Francis Back, racontent à travers des récits sous la forme du conte. Elles ont fait l’Amérique relate les destins captivants de quinze femmes qui, chacune à leur manière, ont fait l’Histoire de l’Amérique du Nord. L’ouvrage est basé sur le constat suivant : les femmes sont absentes de l’histoire officielle de l’Amé-
rique. Les femmes autochtones, mais aussi toutes les autres, sans distinction culturelle : Inuites, Canadiennes, Anglaises, Noires, Françaises et Métisses. Plusieurs d’entre elles sont des êtres d’exception dont le contact avec ce vaste continent a révélé l’intelligence et le caractère. Selon Hélène
Talbot de la revue Les Libraires, ces femmes se démarquent par le fait qu’elles sont des pionnières, des résistantes, des scientifiques, des diplomates, des artistes, et des exploratrices : toutes ont été des héroïnes aux exploits invisibles. Les auteur·rice·s nous tracent des portraits bouleversants de toutes ces femmes, nous laissant étonné·e·s de ne pas avoir entendu parler d’elles auparavant. Nous découvrons une version de l’Histoire qui, du moins pour moi, ne m’était pas parvenue sur les bancs de l’école. Les auteur·rice·s prennent le soin d’exclure les mythes et les légendes urbaines en racontant avec passion la vie de ces femmes exceptionnelles, ces remarquables oubliées : je pense notamment à Mina Hubbard, la première femme à explorer et cartographier le Labrador avec un revolver à la hanche et un appareil photo sous son bras, ou encore au récit de Shanawdithit, connue comme la dernière des Béothuks, peuple éteint de ce que nous connais-
sons aujourd’hui comme étant Terre-Neuve. Des lectures obligatoires L’Histoire est pleine de récits de grands personnages. Cependant, ces récits semblent par moments tirés par les cheveux et nous perdons, en tant que spectateur·rice et lecteur·rice, de l’intérêt pour ces personnages puisque nous ne sommes pas en mesure de partager leur expérience du réel. Les femmes décrites dans Elles ont fait l’Amérique nous permettent de jeter un regard neuf sur les conséquences, positives et négatives, que peuvent poser les gestes de personnes du commun. Ces femmes sont la preuve que, même dans l’ombre, les femmes peuvent contribuer à de grands projets. Elles sont des exemples d’indépendance et d’intrépidité et méritent de se faire connaître par les habitant·e·s du pays qu’elles ont créé. x
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réflexion
L’humain et l’artiste
Remettre en question la visibilité des artistes ayant commis des agressions sexuelles. jeanne leblay
aya hamdan
Contributrice
R
écemment, les nominations aux prestigieux César du cinéma ont été dévoilées. Le film J’accuse de Roman Polanski y est cité douze fois : meilleur film, meilleur acteur, meilleur espoir masculin… et meilleur réalisateur. Cette nomination a provoqué de vives réactions dans la presse et de nombreux·ses journalistes ont dénoncé la mise en avant de Polanski. Ce dernier a en effet été condamné en 1977 par la justice états-unienne pour rapports sexuels illégaux avec une mineure, et, plus récemment, d’autres accusations de viol ont suivi. Cependant, aucune poursuite judiciaire n’a eu lieu puisque ces faits étaient prescrits, c’est-à-dire que le délai pour porter plainte était dépassé. Une question classique refait alors surface : dans le cas où un artiste a été poursuivi par la justice pour des affaires relatives à l’atteinte à l’intégrité physique et morale d’autrui (une agression sexuelle par exemple), peut-on continuer à le mettre en avant dans la sphère publique? En d’autres termes, peut-on séparer l’humain (la personne) de l’artiste (le créateur)?
Boycott social Alors, que faire? En continuant à aller voir ces « œuvres d’art », on contribue au financement de ces actes. Mais, le boycott ne devrait pas signifier le rejet en bloc de ces artistes — ce qui condamnerait également toute l’équipe travaillant avec l’artiste. Dans une récente entrevue, l’actrice française Adèle Haenel, qui a récemment révélé avoir été harcelée sexuellement par un réalisateur, explique : « Si vous voulez les monstres, ça n’existe pas, c’est notre société, c’est nous, ce sont nos amis, ce sont nos pères, c’est ça qu’on doit regarder… On n’est pas là pour les éliminer, on est là pour les faire changer… Mais il faut passer par un moment où ils se regardent, où on se regarde ». Les propos de l’actrice renvoient finalement à notre première idée, celle de l’influence d’une culture hyper-virilisante et misogyne sur les individus.
Normes inconscientes De mon point de vue, c’est une fiction que de vouloir séparer l’humain et l’artiste. La socialisation primaire (celle ayant lieu pendant l’enfance) inscrit dans l’individu des manières de voir et des façons d’agir qui deviennent inconscientes. Lorsque ces normes sont incorporées, elles poursuivent l’individu dans les différents environnements qu’il fréquente, que ce soit la sphère familiale, scolaire, professionnelle ou encore amicale. Ainsi, une personne ayant été socialisée dans un environnement hyper-virilisant et misogyne ne peut pas simplement entrer dans la sphère professionnelle et « perdre » ces valeurs. Sans vouloir déresponsabiliser l’individu ayant commis un abus sexuel, la société est donc également responsable. Par ailleurs, le fait que de nombreuses agressions sexuelles se déroulent sur le lieu de travail des victimes renforce le fait que cette distinction entre le privé et le public est floue. Est-ce en tant que supérieur hiérarchique ou en tant que connaissance lambda que l’agresseur agit? L’entremêlement de l’humain et de son art nous empêche de les dissocier, l’humain et l’artiste sont donc liés, puisque porteurs des mêmes conditionnements sociaux. Réparation et exposition Outre la question de la séparation entre l’humain et l’artiste, lorsque la plainte est déposée et que la condamnation a lieu (ce qui reste
souvent une femme. La position d’infériorité sociale des femmes se ressent également lors de ce type d’accusation, puisque ces dernières sont soit décrédibilisées lorsque leurs révélations concernent des faits anciens, soit renvoyées à un certain rôle de « séductrice », traduisant la culture du viol ambiante. Ces constats sont donc un frein à la réelle condamnation des faits et à la réparation devant en découler, nous ramenant au point zéro, comme si tout cela n’avait pas d’importance, tandis que des centaines de voix ont été piétinées.
rare), peut-on séparer le condamné de la personne ayant purgé sa peine? Le procédé judiciaire suppose en effet une punition, ou du moins une réparation du tort causé. Une fois la peine purgée, la personne a payé sa dette à la société, et peut alors entrer dans un processus de réintégration. Ne pas reconnaître cela et déclarer que l’artiste condamné sera toujours redevable, ce serait se positionner contre le système établi de justice. Cette position s’auto-contredirait en niant l’action du système judiciaire tout en réclamant sa saisie. Cependant, ce qui est souvent dénoncé n’est non pas la réinsertion du précédent condamné, mais plutôt son retour sur le devant de la scène. Bien que cela ne soit pas interdit juridiquement, son fondement moral peut en effet être contesté. D’une part, du côté de la victime : après avoir subi un traumatisme aussi intense que celui inscrit dans le corps, comment continuer à vivre lorsque son agresseur est célébré et affiché dans l’espace public? D’autre part, pour la société dans son ensemble : mettre en avant ces artistes, n’est-ce pas mettre en avant une partie de leur
le délit · mardi 11 février 2020 · delitfrancais.com
histoire personnelle également? Notre société a-t-elle besoin de ce type de modèle? L’aura de l’artiste Car c’est bien de cela dont il s’agit : lorsque l’artiste est populaire et propulsé par une industrie dynamique, il possède une aura et est présenté comme un modèle. Ce problème renvoie au fonctionnement de l’industrie du divertissement, qui est façonnée par le pouvoir de ces personnes et qui couvrira leurs actes aussi longtemps que cela sera bon pour les affaires. D’ailleurs, si les cérémonies des César et des Oscar sont diffusées à la télévision, c’est en partie car la personnalisation des artistes permet de créer une source d’idolâtrie. Cela favorise la rentabilité des futures productions dans lesquelles l’artiste apparait, puisque l’idolâtrie occasionne une attente chez le spectateur. En réponse, celui-ci fermera les yeux sur les actes commis pour protéger son idole. De même, ce pouvoir qui découle des récompenses symboliques et matérielles de l’artiste peut, en amont, constituer le fondement de
l’agression sexuelle, et, en aval, leur permettre de contourner les procédures de justice. Par exemple certains réalisateurs n’ont pas purgé de peine, car 1) ils se sont exilés (c’est le cas de Polanski, qui a fui les ÉtatsUnis pour se réfugier en France, d’où il ne peut pas être extradé) ; ou bien 2) ils trouvent un accord financier avec la victime, ce qui permettra de la faire taire. C’est ce qu’Amanda Hess explique dans son article « How the Myth of the Artistic Genius Excuses the Abuse of Women » (« Comment le mythe du génie artistique excuse l’abus des femmes »), publié dans The New York Times (2017). Faire d’un artiste un génie incompris, plutôt qu’un simple acteur économique, permet de le protéger des attentes typiques présentes dans le monde professionnel. Et l’industrie cinématographique renforce cela en tentant de cacher les conditions dans lesquelles un film est réalisé. La journaliste souligne par ailleurs des rapports de domination genrée qui sont en jeu. Le schéma est connu : l’agresseur est très souvent un homme, et sa victime est très
Mais qui construit la culture? Nous-mêmes. Prendre la parole publiquement pour dénoncer des agressions sexuelles, comme l’ont fait Adèle Haenel et bien d’autres du mouvement #metoo, contribue à sensibiliser l’opinion publique sur ce malaise dans notre culture. De même, l’industrie du divertissement peut changer de l’intérieur. Le Gala Québec Cinéma a par exemple été renommé en 2016, puisque son ancienne dénomination et celle des prix remis faisaient référence au réalisateur Claude Jutra. Ce dernier a cependant été accusé par son biographe d’agressions sexuelles sur des mineur·e·s, ce qui a unanimement et très rapidement été pris en compte par le conseil d’administration de Québec Cinéma. Si le problème est culturel, sociétal, il faut garder en tête que ce ne sont que des constructions, avec un impact pourtant bien réel. Il faudrait les détruire et les reconstruire, différemment. Ainsi, la question à se poser devrait plus porter sur le modèle que nous souhaitons présenter : étant donné qu’il existe de nombreux artistes talentueux et non criminels, qui souhaitons-nous mettre en avant pour éduquer nos enfants? Et, avant toute chose, pour nous éduquer nous-mêmes? x
culture
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AMOUROSCOPE 21 mars - 20 avril
22 mai - 21 juin
BÉLIER
TAUREAU
On aimerait te recommander de texter ton crush mais tu l’as surement déjà fait. Donc mets ton plus beau eyeliner de couleur pour le rendez-vous de ce soir.
Pour cette St-Valentin, oublie le cadeau matériel. Opte plutôt pour un poème languissant soigneusement collé sur la porte d’entrée de McLennan
21 avril - 21 mai
Gémeaux
CANCER
Entretenir un triangle amoureux comme Eric dans Sex Education n’augmentera pas tes chances d’avoir un·e valentin·e.
Fuck tous·tes ceux·celles qui te rejettent : ils·elles mériteraient de se faire mansplain 2h par un polisci bro.
22 juin - 22 juillet
LION
VIERGE
Déclare ta flamme à ton ou ta prétendante au début d’un cours à Leacock 132.
Trouve-toi quelqu’un dont la couleur de l’âme est assortie à celle de ton vernis à ongles.
23 juillet - 22 août
23 septembre 22 octobre
23 novembre 21 décembre
21 janvier 19 février
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23 août 22 septembre
BALANCE
SCORPION
Tes standards sont déjà plus hauts que la croix laïque du Mont Royal mais remonte-les encore un peu.
Il faut d’abord rendre la lingerie de ton·ta ancien·ne partenaire avant d’espérer avoir accès à celle d’une nouvelle personne.
23 octobre 22 novembre
SAGITTAIRE
CAPRICORNE
Arrête de crusher uniquement sur des hommes hétéros ; l’amour existe sous toutes les formes, de Suzanne Fortier à Marty the Martlet.
Cesse de ghoster Celle·celui qui te plait Sache t’engager Sans paniquer
22 décembre 20 janvier
VERSEAU
POISSON
On sait que tes dm sont vides en ce moment, mais pas de panique : l’amour se trouve dans les pages du Daily.
Invite ton·ta partenaire de yoga chaud à transpirer plus tard dans la journée. 20 février 20 mars
Illustrations par Parker LE Bras-Brown Coordinatreur Visuel
HOROSCOPE
le délit · mardi 11 février 2020 · delitfrancais.com