Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill
Le Délit est situé en territoire Kanien’kehá:ka non-cédé. Mardi 25 février 2020 | Volume 109 Numéro 19
Maquillage stress depuis 1977
Éditorial rec@delitfrancais.com
Volume 109 Numéro 19
Le seul journal francophone de l’Université McGill RÉDACTION 380 Rue Sherbrooke Ouest, bureau 724 Montréal (Québec) H3A 1B5 Téléphone : +1 514 398-6790 Rédacteur en chef rec@delitfrancais.com Grégoire Collet Actualités actualites@delitfrancais.com Hadrien Brachet Marco-Antonio Hauwert Rueda Vacant
L’impérative mobilisation pour la justice climatique
Culture artsculture@delitfrancais.com Violette Drouin Niels Ulrich Société societe@delitfrancais.com Opinion - Jérémie-Clément Pallud Enquêtes - Juliette de Lamberterie Philosophie philosophie@delitfrancais.com Audrey Bourdon Coordonnatrice de la production production@delitfrancais.com Margaux Alfare
L’ÉQUIPE DU DÉLIT
U
n activisme jeune est un activisme de nécessité : dans un contexte de crise climatique, les voix s’unissent dans l’urgence d’un monde qui s’effondre. Celles et ceux qui feront nos sociétés de demain n’ayant pas accès au pouvoir de décision, c’est à travers l’organisation, la manifestation, parfois la désobéissance civile, que grandissent les luttes pour la justice climatique. L’urgence est motrice de rassemblement, mais aussi d’une écoanxiété dont les jeunes sont particulièrement sujets, les poussant à l’action afin de traduire leurs maux en des dispositifs de luttes concrets (« Exprimer la détresse climatique », p.9). À McGill, et au Québec, ce phénomène est prévalent et c’est pour essayer de dessiner un nouvel horizon — sans pénuries massives, mouvements migratoires contraints, conflits politiques — que l’on se mobilise.
Mettre l’accent sur les conséquences humaines de la crise climatique permet alors de repenser une vision classique de l’environnementalisme qui, en séparant l’humain de la nature, ne porte aucune attention aux impacts différenciés des dégradations environnementales sur les populations. Effectivement, la crise climatique cause des déplacements forcés, des sécheresses, des inondations, des hausses de températures, qui affectent disproportionnellement les populations qui y ont contribué le moins. L’on peut notamment penser à la caravane de migrant·e·s en Amérique centrale ou à la fonte du pergélisol en territoires autochtones. Cette crise est causée et perpétuée par une logique coloniale d’invasion et d’exploitation des territoires (« Quand le vert est décidé par le blanc », p.10). Il nous semble donc obligatoire d’adopter la justice climatique comme angle d’approche de cette édition. L’engagement pour le climat s’infuse dans toutes les sphères — politiques, commerciales et même culturelles (« La culture, pilier de la transition », pp.13-14). La plupart du temps se déploient toutefois des efforts mineurs : recyclage, produits éco-conscients, fonds donnés pour l’environnement. Tout cela reste très flou et lorsque l’on s’attarde sur les exactions, réalisées sous couvert de développement durable, des institutions qui sculptent nos sociétés — les gouvernements, les entreprises, les universités — les constats sont graves.
2 Éditorial
Cet écoblanchiment atteint un tel niveau qu’il devient difficile de distinguer le réel engagement de celui qui n’est que façade. Pensons notamment à McGill, qui en juillet 2019 a été reconnue comme International Sustainability Institution of the Year par les Green Gown Awards — récompenses subventionnées par le programme des Nations Unies pour l’environnement — malgré ses investissements de plus de 50 millions de dollars dans des compagnies d’énergies fossiles (« Blocage et désinvestissement », p.3). Pensons aussi à des entreprises comme Teck Resources qui, dans la présentation de leur projet Frontier, mettent tout de suite l’emphase sur « leur pratiques pour la protection de l’environnement », des phrases qui masquent le plus souvent une inaction en proportion à la crise climatique. La suppression du projet de mine Frontier a très certainement été accélérée par la mobilisation des groupes activistes, et notamment par l’usage de moyens de pression non-traditionnels comme l’occupation des bureaux du ministre Stephen Guibault. De façon similaire, l’invasion par la GRC du territoire Wet’suwet’en en Colombie-Britannique continue à faire les manchettes grâce aux blocages ferroviaires entretenus notamment à Tyendinaga, en Ontario. Ces exemples mettent en évidence l’efficacité incontestable des moyens de pression transgressifs. L’activisme pour la justice climatique doit se faire à toutes les échelles, par le plus de moyens possible, et cela commence par une critique de chacune des institutions que l’on fréquente de près. En tant qu’étudiant·e·s à McGill — et notamment parce que Justin Trudeau en est diplômé — nous nous devons de réagir à l’éco-blanchiment de l’administration face à l’ampleur de la crise. Tout d’abord, en participant aux assemblées générales de nos facultés respectives, afin de faire voter la grève pour la Semaine de la Transition organisée par la Coalition étudiante pour un virage environnemental et social, du 30 mars au 3 avril prochains. Ensuite, en rejoignant les étudiant·e·s de la quarantaine d’établissements québécois qui prévoient de participer à la Semaine de la Transition, afin d’envoyer un message clair au gouvernement et à nos dirigeant·e·s respectif·ve·s. Enfin, en étant prêt·e·s à envisager la grève illimitée comme dernier recours si ceux·celles qui possèdent le pouvoir décisionnel le plus fort persistent à ne pas céder. x
Coordonnateur·rice·s visuel visuel@delitfrancais.com Parker Le Bras-Brown Katarina Mladenovicova Multimédias multimedias@delitfrancais.com Vacant Coordonnatrice de la correction correction@delitfrancais.com Florence Lavoie Mysslie Ismael Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Coordonnateur·rice·s réseaux sociaux reso@delitfrancais.com Sarah Lostie Madeline Tessier Contributeurs·rices Hamza Bensouda, Sirius Vesper, Jeanne Leblay, Vincent Morreale, Simon Tardif, Béatrice Malleret, Aya Hamdan. Couverture Parker Le Bras-Brown Katarina Mladenovicov BUREAU PUBLICITAIRE 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 0E7 Téléphone : +1 514 398-6790 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Représentante en ventes Letty Matteo Photocomposition Mathieu Ménard The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Kate Elis Conseil d’administration de la SPD Johnathon Cruickshank, Grégoire Collet, Antoine MiletteGagnon, Niels Ulrich, Kate Ellis, Michaela Keil et Sébastien Oudin-Filipecki (chair)
Les opinions exprimées dans les pages du Délit sont celles de leurs auteur·e·s et ne reflètent pas les politiques ou les positions officielles de l’Université McGill. Le Délit n’est pas affilié à l’Université McGill. Le Délit est situé en territoire Kanien’kehá:ka non-cédé. L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavant réservés). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans le journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).
le délit · le mardi 25 février 2020 · delitfrancais.com
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Blocage et désinvestissement
Divest McGill a bloqué le 18 février l’accès au bâtiment de l’administration James. transmis aux médias reconnaissant « le droit de ses étudiants à manifester pacifiquement sur le campus », ajoutant que « l’Université a également la responsabilité de protéger les droits des étudiants, des professeurs et du personnel à mener leurs travaux sans menacer la sécurité des personnes ou des biens. Conformément à la recommandation du Comité consultatif sur les questions de responsabilité sociale (CAMSR) en décembre dernier, l’Université prévoit de réduire l’empreinte carbone de ses placements, y compris ceux dans l’industrie des combustibles fossiles ». Le blocage de Divest a perturbé une réunion du CAMSR. Le comité avait recommandé à McGill en décembre dernier la réduction de l’empreinte carbone de ses placements tout en se positionnant contre le désinvestissement total. Pour Laura, il n’y a pas de doute, il s’agissait là de « greenwashing fortement masqué ».
Hadrien brachet
Éditeur Actualités
«L’
administration James est fermée pour la journée jusqu’au désinvestissement des énergies fossiles » pouvait-on lire en anglais sur une pancarte collée sur la porte du bâtiment de l’administration de l’Université McGill ce mardi 18 février. Le groupe Divest McGill, qui milite pour le désinvestissement des énergies fossiles, a bloqué l’accès au bâtiment pendant huit heures afin de demander à McGill le « désinvestissement immédiat » des entreprises TC Énergie et Teck Resources. Le Délit se penche sur ce blocage et fait le point sur les actions menées par Divest. En solidarité avec Wet’suwet’en TC Énergie est l’entreprise derrière le projet de pipeline Coastal GasLink dont le tracé prévoit de traverser le territoire revendiqué par la Première Nation Wet’suwet’en, provoquant de vives oppositions. TC Énergie « a amené la Gendarmerie Royale du Canada [GRC, ndlr] sur le territoire Wet’suwet’en pour arrêter violemment et expulser des protecteurs de la terre, qui ne font que vivre ici et défendre leur terre » explique Laura Mackey, membre de Divest McGill interrogée par Le Délit. « Nous croyons que notre université ne devrait pas investir dans une entreprise qui est violente envers les peuples autochtones » résume-telle. Selon un document public du Service des Placements de McGill, la valeur des actions de TC Énergie détenues par l’Université s’élevait à 5 847 271$ au 31 décembre 2019. Ce blocage a lieu alors que se sont multipliées depuis le début du mois à travers le pays les actions en solidarité avec Wet’suwet’en, dont notamment des blocages de voies ferrées. Divest McGill avait déjà affiché son soutien à la Première Nation lors d’un rassemblement sur le campus le 16 février. « Lorsque nous avons mené le blocage, nous étions conscients du fait que les actions disciplinaires auxquelles nous aurions pu faire face ne sont rien par rapport à ce à quoi les protecteurs de la terre en Colombie-Britannique ou aussi les gens qui bloquent des voies ferrées à travers le pays doivent faire face. […] Mais nous voulions intentionnellement utiliser notre espace en tant que campagne de désinvestissement pour élever ce message d’une manière où nous étions capables de le faire » souligne Laura. Le blocage demandait également le désinvestissement de Teck
Divest
Crédit photo
My Media Creative Resources, entreprise qui menait jusqu’à ce dimanche 23 février le projet de mine Frontier en Alberta. Pour Laura, ce projet minier de sables bitumineux « étendrait l’économie carbonée du Canada au moins jusqu’en 2067, date à laquelle le pétrole cesserait d’être extrait de la mine. Nous ne croyons pas que notre université doive investir dans une entreprise qui s’oppose si directement à ce que tous les scientifiques disent qu’il faut faire avec notre économie et sa dépendance aux énergies fossiles ». « Comme le portfolio de McGill est intentionnellement non transparent, nous pouvons seulement voir une partie de ce dans quoi McGill investit. La partie que nous pouvons voir ne dit pas que McGill investit dans Teck Resources. Cependant, ils pourraient avoir investi dans Teck Resources, c’est peut-être dans la partie de leur portfolio qui nous est cachée. Nous demandons donc une déclaration de non-investissement dans Teck Resources, disant qu’ils n’investissent pas actuellement dans Teck Resources et qu’ils n’investiront jamais dans Teck Resources. Ou, s’ils peuvent dire qu’ils investissent actuellement dans Teck Resources, nous voulons qu’ils désinvestissent » précise-t-elle. Vendredi le 21 février,
le délit · mardi 25 février 2020 · delitfrancais.com
42 prix Nobel publiaient une lettre dans The Guardian pour demander à Justin Trudeau l’arrêt du projet Frontier et la fin de l’expansion du secteur des énergies fossiles. Ce dimanche dans une lettre adressée au ministre fédéral de l’Environnement, Jonathan Wilkinson, l’entreprise annonçait renoncer au projet. Au cours de cette action cependant, Divest ne perdait pas de vue son objectif final. Le blocage avait aussi pour but de demander à nouveau le désinvestissement total des 200 plus grandes compagnies d’énergies
Si le blocage a eu une forte résonance symbolique, Divest est loin d’en être à sa première action. La campagne pour le désinvestissement des énergies fossiles débutait en 2012. Robin Reid-Fraser, alors vice-président externe de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) lançait un projet de recherche, d’abord dénommé Decorporatize McGill, aux côtés de Christopher Bangs et David Summerhays. Le 1er février 2013, le groupe soumettait une première pétition au CAMSR pour demander le désinvestissement, signée par 1200 membres de la communauté mcgilloise. Le 23 mai, première déception pour le groupe : le CASMR rejetait la demande, invoquant un « manque de preuves du préjudice social [des activités des compagnies d’énergies fossiles] ». En 2015, deuxième tentative. Cette fois, Divest s’appuyait sur un document de recherche de 150 pages et une pétition récoltant 1300 signatures. Le vent semblait
« Si le blocage a eu une forte résonnance symbolique, Divest est loin d’en être à sa première action »
Réaction de McGill
cette fois avoir tourné en la faveur du groupe, récompensé à la cérémonie des Catalyst Awards organisés par le McGill Office of Sustainability. Mais ceci n’empêchait pourtant pas CAMSR de rejeter à nouveau le désinvestissement en 2016.
Contactée par Le Délit, l’administration de l’Université McGill a réagi à travers un communiqué
Le combat ne s’arrêtait cependant pas là pour Divest : le 12 septembre 2018, le Sénat de McGill adoptait
fossiles et réclamait, selon leur communiqué de presse, une déclaration de McGill « reconnaissant les graves torts sociaux causés par l’industrie des énergies fossiles ».
une motion déclarant que « le Sénat, à travers le principal, conseille au Conseil des gouverneurs de désinvestir les dotations dans toutes les entreprises dont le premier commerce est l’extraction, la distribution et/ ou la vente d’énergies fossiles ». Le CAMSR a alors de nouveau été mandaté par le Conseil des gouverneurs pour examiner la question. Entre temps, l’AÉUM adoptait en octobre 2019 un moratoire bloquant tout nouveau frais institutionnel obligatoire jusqu’à ce que McGill retire les actions de son fonds de dotation des 200 plus importantes compagnies d’énergies fossiles. Ceci quelques semaines avant le nouveau refus du CAMSR, préférant recommander la réduction de l’empreinte carbone des placements plutôt que le désinvestissement total. « Bien sûr, nous n’avons pas atteint notre objectif de désinvestissement total » reconnaissait Laura, « cependant, nous avons changé leur [celle du Conseil des gouverneurs, ndlr] discussion sur le sujet. Le Conseil des gouverneurs pensait, en particulier en 2016, qu’ils pourraient rejeter le désinvestissement des énergies fossiles et en avoir terminé avec cet enjeu. Ils n’attendaient pas que nous revenions aussi fort et aussi ardemment. Et à cause de cela, ils ont sorti leur plan pour décarboniser leurs dotations. […] C’est tellement en dessous de ce qu’il faut faire mais […] c’est probablement quelque chose qui ne se serait pas produit si nous n’avions pas demandé le désinvestissement ». Et maintenant ? Depuis décembre, la lutte pour le désinvestissement est loin de s’essoufler. Au lendemain des recommandations du CAMSR, Divest publiait une vidéo parodique intitulée « Paid by McGill ». De plus, Divest McGill s’inscrit aujourd’hui dans un mouvement international de désinvestissement. « Durant le mois dernier, nous avons renouvelé notre réseau et nos relations avec les autres groupes » explique Zahur Ashrafuzzaman, lui aussi membre de Divest McGill. Preuve que la mobilisation ne se cantonne pas à McGill, en novembre 2019, la Fondation de l’Université Concordia s’engageait à cesser d’investir dans le secteur du charbon, du pétrole et du gaz d’ici les cinq prochaines années. D’ici avril, le CAMSR soumettra au Conseil des gouverneurs un plan d’application de la politique de décarbonisation. Dans une interview accordée au Délit après sa démission, cependant, le professeur Mikkelson déclarait : « je ne serais pas surpris qu’en nous apportant plus de détails comme promis, en avril prochain, ils changent finalement d’avis ». x
Actualités
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campus
Une vie de journalisme vert Le Délit parle environnement depuis plus de vingt ans.
A
u cours de son histoire, Le Délit a fait de l’environnement l’un des principaux sujets de conversation et de
publication. Durant la dernière décennie, le journalisme environnemental a constitué l’une des priorités du journal, faisant
la une de ses pages au moins une fois par semestre. Dans cette perspective, cette édition du 25 février 2020 dédie la plupart
de ses pages à l’activisme et la justice climatique. Si le sujet semble aujourd’hui plus pressant que jamais, soit-il rappelé que Le
Délit, seul journal francophone de l’Université McGill, publie à propos de l’environnement depuis plus de vingt ans.
édition du 16 mars 1999
Premiers petits pas verts
L
e 16 mars 1999, Le Délit français publiait dans ses pages un article intitulé « Commerce équitable et cafétérias à McGill ». Bien que parlant surtout de la nécessité d’établir « un commerce direct entre des paysans du sud réunis en coopérative et une organisation certifiée équitable au nord qui se charge de redistribuer le café », il s’agit là de l’article le plus ancien disponible en ligne traitant, bien que timidement, d’environnement. Frédéric Dupont écrivait alors : « pourquoi ne pas discuter sérieusement de la possibilité de passer à une vaisselle lavable et réutilisable dans toutes les cafétérias? » édition du 23 novembre 1999 Amour plastifié depuis 1977
C
e n’est que quelques mois à la suite de ces premiers pas qu’apparaît l’édition spéciale environnementale déliite la plus ancienne qui puisse être trouvée en ligne. Le 23 novembre 1999, Le Délit français publiait son premier « numéro spécial plastique ». L’approche est celle d’un questionnement systématique et progressiste de la société, propre au Délit des années 90. « Faut-il plastiquer la loi? », « Les jours du pétrole sont-ils comptés? », « Le plastique pour remplacer le bois? » ou même « Comment le plastinisme a-t-il évolué? » figurent parmi les problématiques abordées dans cette édition de 16 pages.
édition du 23 septembre 2014
édition du 5 février 2019 récompensée du prix du Devoir de la presse étudiante
édition du 30 mars 2010 Un vert en prose
E
llipse de 10 ans pour arriver au 30 mars 2010, année où les archives du Délit sont à nouveau disponibles. Dans ce numéro, le journal dédie huit pages consécutives au « vert en prose », publiant une succession d’articles environnementaux divers touchant à l’actualité internationale, canadienne et mcgilloise, la littérature, le cinéma, ou même la pollution. Dans la dernière décennie, l’environnement devient l’un des sujets les plus récurrents dans les pages du Délit, faisant la une de ses pages plusieurs fois par an. Alors que le thème du « changement climatique » est prévalent au début de la décennie, c’est de plus en plus le terme de « justice » climatique qui remplit les pages du journal, englobant une réalité sociale au-delà des impacts environnementaux du dérèglement climatique. édition du 23 octobre 2018
marco-antonio hauwert rueda
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québec
Droit et activisme climatique Rencontre avec Geneviève Paul, directrice générale du CQDE.
À
considérer les impacts environnementaux des décisions de société que nous faisons, et notamment des décisions de l’appareil gouvernemental. Le gouvernement travaille actuellement sur le projet de loi 44 portant sur la gouvernance climatique : nous estimons qu’il est nécessaire et urgent d’y inclure les éléments clés d’une loi climat (budget carbone, cibles de réduction des GES, participation citoyenne, analyse climatique, transparence, mécanismes de reddition de comptes), mais aussi la question de l’adaptation aux changements climatiques pour s’assurer de ne laisser personne derrière – et notamment les personnes et groupes plus vulnérables.
l’occasion de l’édition spéciale activisme et justice climatique, Le Délit a rencontré Geneviève Paul, juriste et directrice générale du Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE). Un groupe de juristes intéressés par les aspects juridiques des enjeux environnementaux donne naissance à ce centre en 1989. L’occasion de présenter son parcours et les missions du CQDE, mais aussi de discuter des dispositifs juridiques qui existent pour protéger l’environnement. Le Délit (LD) : Pour commencer, pouvez-vous nous parler de votre formation et de votre parcours? Qu’est-ce qui vous a amenée à vous spécialiser dans le droit de l’environnement? Geneviève Paul (GP) : L’équipe du CQDE est principalement composée d’avocates et d’avocats. Pour ma part, j’ai une formation en sciences politiques et en droit. J’ai une maîtrise en droit international des droits de la personne de l’Université d’Essex en Angleterre. J’ai débuté ma carrière en travaillant à l’international pendant près de dix ans. Depuis plus de dix ans, je contribue activement aux débats pour l’avancement des droits humains et de la protection environnementale sur le plan international ainsi qu’au Canada. Avant d’intégrer la Fédération Internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) à Paris, j’ai travaillé en éducation aux droits humains à Droits & Démocratie avec des groupes universitaires à travers le Canada. À la FIDH, j’ai dirigé le bureau Mondialisation et droits humains du secrétariat international, où j’ai été amené à réaliser de nombreuses missions d’enquête internationale en Amérique latine et en Asie portant principalement sur les impacts environnementaux et sociaux liés aux secteurs extractif et du textile, en soutien aux nombreuses communautés affectées par des mégaprojets. J’ai aussi activement participé aux débats entourant la responsabilité des entreprises multinationales, la participation citoyenne et l’accès à la justice au sein des Nations Unies et auprès de l’Union européenne. J’ai rejoint le CQDE à titre de directrice générale en septembre 2018. Je travaille donc depuis plusieurs années sur les impacts de la mondialisation économique sur l’environnement et les droits des communautés affectées. Malheureusement, certaines
LD : D’un point de vue de cette lutte pour la justice climatique, quels ont été vos ressentis face aux différentes approches utilisées par le CQDE, comparé à vos anciennes occupations?
katarina mladenovicova problématiques rencontrées au Québec sont similaires à d’autres situations sur lesquelles j’ai travaillé à l’étranger. Je suis donc heureuse de pouvoir travailler sur des enjeux touchant le Québec aux côtés de groupes et citoyens mobilisés à travers la province. Les enjeux environnementaux auxquels nous faisons face sont énormes et directement liés avec la protection de nos droits : le droit est un outil puissant que nous devons saisir et nous approprier pour assurer la protection du droit à un environnement sain et respectueux de la biodiversité, droit protégé par la Charte des droits et libertés du Québec. LD : Quels sont le rôle et les missions du Centre québécois du droit de l’environnement? Comment communique-t-il avec d’autres entités, comme le gouvernement canadien?
améliorer le cadre juridique actuel et effectue des interventions devant les tribunaux pour défendre la perspective citoyenne environnementale. Nous interagissons avec le gouvernement provincial et fédéral en fonction des dossiers. Par exemple, nous avons travaillé en coalition avec d’autres organismes à but non lucratif pour assurer le passage de la réforme fédérale d’évaluation d’impact des projets, tels que des mégaprojets comme des pipelines (C-69). LD : Pouvez-vous identifier les principaux enjeux concernant l’environnement au Québec et les dispositifs juridiques qui peuvent être utilisés afin d’aborder ces enjeux? GP : Les enjeux sont très nombreux! Parmi les principaux enjeux, nommons la perte de la biodiversité et la crise climatique. Le droit doit évoluer pour
« L’état du droit actuellement au Canada est que l’on peut détruire l’environnement et en arriver de manière tout à fait légale à des écosystèmes invivables » GP : Le CQDE est le seul organisme à but non lucratif au Québec à mettre son expertise juridique au service de la protection de l’environnement et des citoyens. Le centre informe les citoyens sur leurs droits environnementaux, travaille à
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pouvoir répondre aux enjeux environnementaux actuels et assurer, notamment, une justice environnementale pour toutes et tous. Par exemple, il est important que le gouvernement du Québec adopte une « loi climat » lui permettant de véritablement
GP : Chaque organisme et chaque acteur de la société peut jouer un rôle vers une justice climatique, en commençant par les gouver-
pour réduire nos émissions des gaz à effet de serre et protéger la biodiversité. L’état du droit actuellement au Canada est tel que l’on peut détruire l’environnement et en arriver de manière tout à fait légale à des écosystèmes invivables. Face à ce constat-là, nous pouvons nous attendre à ce que des individus ou des groupes de protection de l’environnement en viennent à poser des gestes qu’ils considèrent légitimes pour assurer le respect de leurs droits. Dans tous les cas, les changements demandés interpellent directement l’État pour que celui-ci remplisse son obligation de protéger les citoyennes et les citoyens et le bien commun au sens large. LD : Pour vous, quel est le rôle des universités dans les questions environnementales (grèves pour le climat, désinvestissement des énergies fossiles...)? GP : Les universités jouent un rôle fondamental dans les questions environnementales : d’un
« L’histoire du droit nous enseigne le rôle de la désobéissance civile pacifique dans la revendication des droits collectifs et l’avancement du droit » nements qui ont la responsabilité d’assurer la protection de notre environnement et de nos droits. LD : Lors d’une conférence sur la place de la justice pour sauver la planète que vous avez animée, Olivier Huard (activiste-grimpeur et formateur pour Greenpeace et Extinction Rebellion) avait expliqué que selon lui, parce que la loi est une construction humaine, lorsque celle-ci va à l’encontre de l’humanité, il est nécessaire de l’enfreindre pour mettre en avant l’importance de la changer. Que pensez-vous de la désobéissance civile? Comment pensez-vous que nous pouvons concilier le militantisme et la loi? LD : Même si le CQDE ne prône ni ne pratique pas la désobéissance civile, l’histoire du droit nous enseigne le rôle de la désobéissance civile pacifique dans la revendication des droits collectifs et l’avancement du droit. Dans ce cas-ci, la désobéissance civile se situe dans un contexte d’urgence climatique et d’effondrement de la biodiversité qui menace la survie de l’humanité, et réagissant aux actions insuffisantes de nos gouvernements
point de vue juridique, les universités jouent un rôle essentiel de formation des futurs avocats et d’un point de vue de recherche sur les manières dont le droit devrait progresser pour répondre aux crises environnementales auxquelles nous faisons face. LD : Pour finir, pouvez-vous nous présenter le dispositif que le CQDE a mis en place pour soutenir les étudiants universitaires qui souhaiteraient devenir avocats en droit de l’environnement? GP : Le CQDE a mis sur pied une clinique juridique qui permet à des étudiants et étudiantes en droit de se former en droit de l’environnement et de s’impliquer directement au sein de notre organisation. Les étudiants prennent part à la clinique dans le cadre de « cours-stage » ou encore en réalisant au CQDE leur stage du Barreau. Nous recevons chaque année des étudiantes et étudiants de McGill. N’hésitez pas à nous contacter pour plus d’information! x
Propos recueillis par
katarina mladenovicova
Coordonnatrice Photographie
Actualités
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entrevue
Départ de Husayn Jamal Le Délit s’entretient avec le président sortant du conseil législatif de l’AÉUM.
L
avec deux de mes collègues. Cela aide vraiment et c’est donc très important d’avoir ce réseau de soutien.
e 31 janvier 2020, Husayn Jamal renonçait officiellement à ses fonctions en tant que président (speaker, en anglais) du conseil législatif de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM, SSMU en anglais). Il fait cependant encore partie du Comprehensive Governance Review Committee (CGRC). Le Délit s’est entretenu en exclusivité avec lui pour discuter de son expérience, des raisons de son départ, de la situation de l’AÉUM et de ses conseils pour Lauren Hill, nouvelle présidente du conseil.
LD : Peux-tu nous dire pourquoi tu as décidé de démissionner?
Le Délit (LD) : Peux-tu nous expliquer quand et comment tu es devenu président du conseil? Husayn Jamal (HJ) : Oui, absolument. J’ai commencé à travailler pour l’AÉUM à l’automne 2017, ma première année à McGill. J’étais à l’assemblée générale de l’AÉUM de l’automne 2017. C’était quand Jad El-Tal était encore président du conseil, et il était en train de présider l’assemblée générale. Il y a alors eu un appel à la démission de la part du conseil judiciaire [organe juridique chargé de faire respecter la Constitution de l’AÉUM, ndlr] présenté contre Jad, et Jad a décidé de démissionner. J’ai postulé à la nouvelle position de président dès que l’emploi est redevenu disponible, et on m’a embauché en tant que vice-président. Le président était Nicholas Dolmat, l’année 2017-2018. L’année suivante, en mai 2018-2019, les rôles se sont inversés. Je suis devenu président et Nich Dolmat, vice-président, parce qu’il allait partir pendant un semestre à l’étranger. LD : Peux-tu brièvement nous expliquer en quoi consistait ton rôle de président? HJ : Mon rôle était de présider les conseils législatifs qui se déroulent toutes les deux semaines, ainsi que les assemblées générales et les réunions du conseil d’administration. Dans ce rôle, je devais faire en sorte que les règles soient suivies, que personne – que ce soit dans ou en dehors du conseil – ne fasse quoi que ce soit qui aille à l’encontre de nos règlements internes ou notre constitution. J’agissais aussi comme point de contact entre la presse étudiante et le conseil étudiant. J’étais responsable d’informer la communauté de n’importe quel imprévu, comme d’un changement de salle. À part cela, je me chargeais aussi de superviser la logistique générale du conseil législatif. De plus, je me chargeais d’administrer la politique de conflit d’intérêt de l’AÉUM. Normalement, c’est le directeur général qui le
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actualités
courtoisie de l’aéum
« Je me chargeais de superviser la logistique générale du conseil législatif » fait. Mais à cette période, l’AÉUM n’avait pas de directeur général. Donc ce travail m’a été transféré. Je présidais aussi les comités de responsabilité et de direction. Le comité de responsabilité reçoit des plaintes à propos des exécutifs de l’AÉUM et fait une évaluation de ces exécutifs une fois par an. Le comité de direction se charge principalement de construire l’agenda pour les réunions du conseil législatif et du conseil d’administration. LD : Qu’as-tu aimé de ton travail en tant que président? HJ : J’aimais le fait de pouvoir interagir avec les étudiant·e·s et de faire en sorte que des discussions importantes soient portées. Un grand nombre d’étudiant·e·s ne s’intéressent pas à l’AÉUM ou ne savent même pas ce que c’est, et c’est donc très épanouissant lorsqu’un·e étudiant·e prend la parole et soulève une inquiétude, et l’on peut l’aider dans le processus. Le semestre dernier, par exemple, j’avais aidé C-JAM (Climate Justice at McGill) à écrire la motion pour une grève générale d’une journée, parce que c’était la première fois qu’ils·elles faisaient cela. LD : Quelle était, selon toi, la partie la plus difficile de ton travail en tant que président? HJ : Je dirais que la chose la plus difficile, professionnellement, était de gérer les débats portant sur des sujets controversés au conseil législatif. Le conseil légis-
latif a un format très public. Les règles sont construites de façon que les gens restent cordiaux, et en général ne se fâchent pas trop. Mais très souvent les gens se fâchent justement parce que les règles sont là, parce qu’elles peuvent empêcher le débat. Ceci dit, je suis beaucoup plus content si les gens sont fâchés contre moi et la façon dont je fais respecter les règles que s’ils·elles étaient fâché·e·s entre eux·elles. Donc,
personnes merveilleuses, à qui les problèmes étudiants et le fonctionnement de l’AÉUM importaient véritablement. Et donc les gens avec qui je travaillais étaient absolument la meilleure partie. LD : Ne devient-on pas frustré·e, lorsqu’on fait face à des sujets controversés en tant que président·e, et que l’on ne peut pas donner son opinion? HJ : Oui, ce peut être frustrant, lorsque nous sommes dans la septième heure d’un conseil législatif qui se prolonge jusqu’à parfois deux heures du matin. Et je suis
« J’aimais le fait de pouvoir interagir avec les étudiant·e·s et de faire en sorte que des discussions importantes soient portées » accepter le fait que les gens soient fâché·e·s contre moi pour le simple fait de faire mon travail était, professionnellement, une chose difficile à accepter, initialement. LD : À l’inverse, quelle était la partie la plus agréable? HJ : Je dirais que ce sont ceux·elle·s avec lesquel·le·s je travaillais. Il est très facile pour les clubs et étudiant·e·s d’être frustré·e·s de la façon dont l’AÉUM fonctionne, et de son inefficacité. Je reconnais complètement que c’est une perception que les gens ont. Mais presque toutes les personnes avec lesquelles je travaillais, presque tout·e·s mes collègues au bureau – qu’ils·elles soient au département de communication, de comptabilité, de ressources humaines, d’opérations – étaient pour la plupart des
assis en essayant de faire respecter les règles d’une façon juste, d’une façon qui respecte le droit de chacun·e d’être entendu·e. Car tout le monde, au conseil – que ce soient le conseiller·ère·s, les membres de l’exéctif ou les membres du public – a le droit de contribuer. Tout le monde sauf moi. Donc, oui, cela peut être difficile et un peu frustrant parfois durant le conseil. Mais ce qui m’aide beaucoup, personnellement, est qu’après les réunions, nous allons au Tim Hortons
HJ : Je suis dans mon dernier semestre, j’obtiens mon diplôme en avril. Donc plusieurs choses m’ont mené à démissionner. D’abord, mon contrat de travail était en théorie pour environ 12 heures par semaine. Au cours du semestre d’automne 2019, je travaillais en réalité autour de 22 heures par semaine. Je prends aussi le maximum de cinq cours chaque semestre. Cela fait donc beaucoup, de travailler vingt-deux heures, car en plus du travail à proprement parler il y a la charge émotionnelle liée à l’AÉUM à traiter, et toute l’atmosphère politique qui l’entoure. Ceci était particulièrement épuisant pour moi. Il y avait plusieurs raisons pour lesquelles je devais travailler autant en tant que président. D’abord, le manque de directeur général, à l’AÉUM, faisait qu’une quantité importante de travail était déléguée à d’autres personnes comme moi. Ensuite, le manque d’un bâtiment de l’AÉUM [la fin de la rénovation du bâtiment de l’AÉUM est prévue à la fin de ce semestre, ndlr] faisait que je devais travailler quelques cinq heures additionnelles par semaine. Pour chaque conseil législatif, nous devions porter trois tables pliables du bâtiment de l’AÉUM jusqu’à McConnell 603. De même pour tous les microphones, tout l’équipement sonore, à récupérer au bâtiment Brown. Je devais aussi prendre un Uber et aller à Midnight Kitchen pour chercher à manger pour le conseil législatif. C’était environ une heure d’aller-retour. Après le conseil législatif, de plus, il fallait ranger les tables et l’équipement, et les remettre à leur place au bâtiment Brown et au bâtiment de l’AÉUM. Je devais aussi personnellement mettre toute la vaisselle utilisée par le conseil législatif dans le lave-vaisselle au bâtiment Brown. Les grands conteneurs en plastique, je devais les laver à la main, car ils ne rentrent pas dans le lave-vaisselle. Donc, il y avait beaucoup plus de travail que ce que les gens pensent généralement. Et pour mon dernier semestre, je voulais prioriser mes études et
« Mon contrat de travail était en théorie pour environ 12 heures par semaine. Au cours du semestre d’automne 2019, je travaillais en réalité autour de 22 heures » le délit · mardi 25 février 2020 · delitfrancais.com
prendre un repos de la gouvernance étudiante. Je veux prendre un semestre pour me détendre davantage. LD : Tu nous as parlé du fait que de nombreux·ses étudiant·e·s ne connaissent pas l’AÉUM et son fonctionnement. Que pourrait faire l’AÉUM pour que les étudiant·e·s se sentent plus concerné·e·s? HJ : J’ai eu du mal avec cette question pendant les trois années où j’ai travaillé ici. Car le conseil législatif de l’AÉUM est retransmis en direct sur Internet. En moyenne, nous n’avons qu’autour de dix personnes qui regardent chaque semaine. Ce sont bien sûr dix personnes de plus que celles qui auraient assisté aux débats en personne. Dans la salle du conseil, il n’y a généralement qu’une poignée d’étudiant·e·s qui assistent, à part lorsque nous parlons de sujets controversés. Pour l’affaire des voyages en Israël, par exemple, la salle était remplie. Ces sujets contentieux font que les étudiant·e·s s’engagent. Mais je dirais que c’est le mauvais type d’engagement. Les étudiant·e·s devraient vouloir s’impliquer dans leur association étudiante sans qu’il y ait un scandale. Comment fait-on cela? En rendant la gouvernance plus facile à comprendre. L’une des choses que j’ai faites en tant que governing documents researcher est de changer la constitution pour permettre à n’importe quel·le étudiant·e de pre-
mier cycle de proposer une motion au conseil législatif. Donc, au lieu de devoir attendre jusqu’à une assemblée générale, n’importe quel·le étudiant·e intéressé·e par un sujet spécifique, parmi les 40 000 étudiant·e·s,
conseil législatif mais aussi pour tous·tes les employé·e·s permanent·e·s de l’AÉUM. La façon dont l’exécutif interagit en tant qu’équipe affecte tout le fonctionnement de l’AÉUM. Donc, si une année, les exéparker le bras-brown
peut réunir des signatures et présenter une motion. C’est une chose que nous avons proposée et nous espérons que le changement sera adopté avant l’automne prochain.
cutif·ve·s sont sur des côtés opposés du spectre politique, ou s’ils·elles ont des projets différents pour l’AÉUM, il est généralement beaucoup plus difficile d’accomplir quoi que ce soit.
LD : Maintenant que tu ne fais plus partie de l’AÉUM, quelle est ton opinion sur l’AÉUM? L’association fonctionne-t-elle proprement pour défendre ses étudiant·e·s?
Il y a eu certaines propositions pour résoudre cela au dernier conseil législatif, des propositions sur des façons différentes d’organiser les élections. Actuellement, à l’AÉUM, on élit chaque exécutif·ve individuellement. À Concordia, les gens peuvent faire campagne en tant qu’équipe de six personnes, et on peut voter par équipe. C’est un modèle intéressant. Est-ce que cela fonctionnerait à McGill? Honnêtement, je ne sais pas.
HJ : Cela dépend presque exclusivement de l’exécutif chaque année. L’AÉUM peut avoir de très bonnes années et de très mauvaises années. La manière dont l’exécutif travaille en équipe donne le ton non seulement pour les autres membres du
Ensuite, il y a un autre modèle, celui de l’Université Western Ontario. On n’élit qu’un·e président·e et un·e vice-président·e, et le conseil législatif discute des candidatures pour le reste de l’exécutif. C’est un système très similaire à celui de l’AÉFA, ici à McGill. J’ai présenté tous ces modèles au conseil législatif, la semaine dernière, et ils ont détesté les options 2 et 3. Le conseil législatif aime vraiment le modèle que nous avons actuellement à McGill de six ou sept exécutif·ve·s élu·e·s individuellement. Cela donne beaucoup de légitimité démocratique. Cela fait en sorte qu’il n’y ait pas de dynamiques de pouvoir au sein de l’exécutif. Mais est-ce qu’élire six exécutif·ve·s individuellement est bénéfique pour leur travail en équipe? Je ne crois pas. Pour le moment, nous garderons le même système que nous avons actuellement. LD : En terme de coopération entre les exécutif·ve·s, où se situet-on cette année? HJ : Sur mes trois années à l’AÉUM, cette année a été l’une des plus difficiles en tant qu’employé. Je ne pense que ce soit un secret qu’il y a eu quelques scandales cette année. Le nombre de scandales que traverse l’AÉUM pendant une année a un impact sur le personnel qui y travaille. Et cette année a été particulièrement difficile pour moi en tant qu’employé.
LD : Quels seraient tes conseils pour la nouvelle présidente Lauren Hill? HJ : J’ai travaillé étroitement avec Lauren. Elle était secrétaire de séance, donc elle s’asseyait toujours derrière moi durant les conseils législatifs. Le meilleur conseil que je pourrais lui donner est d’avoir pleinement confiance en elle. Lauren a passé un entretien où sa connaissance des règles de l’AÉUM et des Robert’s rules [système de règles de procédure pour les assemblées délibérantes dans la plupart d’Amérique du Nord, ndlr] a été testée. Elle a obtenu le poste, donc elle a dû plutôt bien réussir l’entretien. Elle a donc toutes les compétences, tout le savoir nécessaire. Mon meilleur conseil serait : sois confiante! Non pas qu’elle ne le soit pas mais je dirais cela à tout le monde car une fois que tu es dans la salle du conseil tu dois être prêt·e à établir les règles. Le rôle du·de la président·e du conseil est de faire appliquer les règles comme elles sont écrites, pour être sûr·e, autant que possible, qu’il y ait un pied d’égalité. Je n’ai aucun doute en ce qui concerne les compétences de Lauren. J’ai travaillé avec elle depuis septembre, elle a été une collègue incroyable.x
Propos recueillis et traduits par hadrien brachet & marco-antonio hauwert rueda
Éditeurs Actualités
campus
Élections à l’AÉUM Présentation des candidat·e·s à la présidence et aux vice-présidences de l’AÉUM. PRÉSIDENT·E fiona khan
Ruth Silcoff
Quelques propositions* : Visibilité : ajouter une section « cette semaine à l’AÉUM » à la liste de diffusion (listserv, en anglais). Responsabilité : mandater aux exécutif·ve·s de créer des listes de tâches qui résument ce qu’ils·elles veulent faire, leurs priorités et des dates de limite pour leurs projets.
Jemark Earle Quelques propositions* : Participation : avoir des sujets de discussion qui engagent la communauté (e.g. désinvestissement des énergies fossiles) pour augmenter le taux d’assistance aux assemblées générales. Représentation : s’assurer que les étudiant·e·s de l’université soient
davantage impliqué·e·s dans la prise de décisions à l’AÉUM, soit par la consultation directe, soit par la délégations aux différents comités de l’AÉUM. Conclusion : les projets personnels sont plus que bienvenus, mais ils ne devraient pas se faire complétés au détriment du maintien d’une amélioration continue de la Société.
le délit · mardi 25 février · delitfrancais.com
VICE-PRÉSIDENT·E·S
Prise de notes : faire du lobbying auprès de l’OSD (Office for Students with Disabilities, Bureau de soutien aux étudiants en situation de handicap en français) pour réinstaurerla prise de notes rémunérée. Examens : revendiquer une baisse du pourcentage maximal que l’on peut attribuer à un examen final, en consultation avec le corps étudiant.
alex tran photography
V.P. EXTERNE Noah Merali Ayo Ogunremi V.P. AFFAIRES UNIVERSITAIRES Brooklyn Frizzle V.P. FINANCE Gifford Marpole V.P. VIE ÉTUDIANTE Belle Sullivan Maheen Akter V.P. INTERNE Declan McCool *La totalité des programmes électoraux sont disponibles sur la page Facebook Elections SSMU.
marco-antonio hauwert rueda
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actualités
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Société
point de vue
societe@delitfrancais.com
Le climat, les jeunes et Bernie
Grégoire collet
Le Sunrise Movement place son espoir de Green New Deal dans le sénateur. Grégoire collet
Rédacteur en chef
E
n juin 2017, Donald Trump annonçait le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat, et donnait la couleur d’une présidence agressive et propagandiste sur la question climatique. Les industries polluantes prospèrent dans un pays qui jouit d’une position dominante dans l’économie mondiale et, conséquemment, se hisse au deuxième rang des pays émettant la plus grande quantité de CO2 (5.4 milliards de tonnes en 2018). Les élections présidentielles de 2020 pourraient marquer un tournant dans l’approche du pays face à l’urgence. C’est face à l’inaction du gouvernement et une complicité redoutable avec les lobbys des industries de l’énergie fossile que des mouvements activistes de jeunes ont gagné en ampleur, dont le Sunrise Movement qui s’est emparé de l’espace politique dans le but de provoquer un retournement sociétal et économique. Alors que les primaires démocrates traversent les états américains, le choix du candidat du parti qui fera face à Trump est crucial quant à l’avenir de la crise climatique. Mouvement en expansion Le Sunrise Movement se présente comme une « armée de jeunes souhaitant faire du changement climatique une priorité urgente à travers les États-Unis », partant de constats de corruption au sein de la politique américaine, permettant aux industries fossiles de produire, extraire et exploiter en
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Société
toute impunité. Sunrise s’engage dans une « décennie d’activisme » inscrite dans une chronologie. En 2017, le mouvement était lancé. En 2018, ses membres souhaitaient faire du climat un sujet dans les élections de mi-mandat et ont par la suite organisé un sit-in dans le bureau de Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants, duquel iels obtiendront la mise en place d’un comité pour un Green New Deal. En 2019, le but était de continuer à faire grimper la tension pour qu’en 2020 un candidat prêt à agir concrètement occupe la Maison Blanche. Ce sont donc d’outils de politique habituelle (ou électorale) que se saisit le mouvement en frappant directement dans les sphères décisionnelles de Washington.
le comité. Chez les républicains le Deal est vu sans grande surprise comme une illusion socialiste irréalisable sur le plan économique, mais a pour autant été soutenu par une grande partie des démocrates. Biden, Buttigieg, Sanders, Warren, Klobuchar, tou·te·s candidat·e·s aux primaires, ont signifié leur appui et ont fait du Green New Deal un point majeur de leurs programmes. Les demandes du plan sont aussi ancrées dans une approche de la crise qui est celle de la justice climatique, plaçant les communautés historiquement oppressées au coeur des considérations. Dans cet esprit, c’est au sénateur Bernie Sanders que le mouvement a apporté son soutien.
Sunrise insiste sur la nécessité de la mise en place d’un Green New Deal, un plan apportant des réponses à la crise qui sont à la hauteur de l’urgence indiquée par la communauté scientifique. Le plan a été avancé au Congrès par le sénateur démocrate Ed Markey et la représentante Alexandria Ocasio-Cortez. Et de son côté, le mouvement a mené une campagne pour recueillir le plus de signataires au sein de la Chambre des représentants afin de constituer
Sunrise se veut un mouvement révolutionnaire et voit en Sanders une possibilité de changement radical, solidarisant les voix activistes dans des politiques transformatrices. Le candidat propose un investissement massif de 16.3 trillions de dollars américains pour faire du Green New Deal une réalité, montant plus important que chez n’importe quel autre candidat·e aux primaires. Sanders annonce aussi que, d’ici 2030, les secteurs énergétiques
L’espoir Sanders
et ceux du transport seraient tous deux neutres en carbone, alors qu’en général la cible est mise à 2050. Sa campagne annonce mettre une fin à l’énergie nucléaire (responsable de plus de la moitié des émissions de CO2 du secteur énergétique), à la fracturation hydraulique et à l’extraction des gaz naturels. En formulant ce plan radical mais nécessaire, le candidat fait hausser les sourcils de certain·e·s démocrates, mais remporte pour l’instant du succès à travers le pays. La politique américaine est traditionnellement réfractaire aux changements pouvant s’apparenter à des politiques socialistes, laissant sceptique quant à la possibilité d’une reconfiguration de l’économie américaine appuyée par le Sénat. Bernie Sanders est conscient des entraves permises par les forces de lobbying mais aussi par la technique du filibuster, une obstruction parlementaire permise par le fait que tout·e sénateur·rice, au moment de voter un projet de loi, peut prendre la parole pour un temps illimité jusqu’à ce que le projet soit abandonné. Comment, avec cette menace planante, l’administration Sanders serait-elle capable de faire voter le Green New Deal ou bien le Medicare-for-all?
Qu’est-ce que le Green New Deal? Une résolution de 14 pages composée de deux idées et déroulant un plan sur dix ans : • Les États-Unis devraient réduire à zéro leurs émissions de CO2, bannir le pétrole, les énergies fossiles : les industries polluantes doivent être éradiquées. L’économie américaine est cependant construite sur ces secteurs, mettant ainsi des millions d’emplois en péril. • Comment alors protéger tou·te·s les citoyen·ne·s américain·e·s dans ce plan? Le Green New Deal propose une reconstruction de l’économie américaine d’une manière qui rende les opportunités accessibles au plus grand nombre, et ne discrimine plus en fonction de la race, de la classe ou du genre. Parmi les promesses : garantie d’emploi, création d’emplois dans la fonction publique, un plan de santé universel, un meilleur accès à l’éducation et une augmentation du salaire minimum.
Pour le sénateur du Vermont, et une majorité des démocrates, le processus parlementaire doit être débarrassé du filibuster et les responsables des industries polluantes doivent être puni·e·s pour leurs exactions, demandant que la Maison Blanche soit ferme et brise l’impunité. 2020, et si? Avec plus de 300 chapitres à travers le territoire américain, le Sunrise Movement a choisi d’unifier les jeunes dans ce sentiment de peur et de désillusion, d’unifier celles·ceux qui savent que les choses doivent immédiatement changer car leurs futurs en dépend, « la défaite du Président Trump en 2020 est une nécessité absolue ». Alors que certains mouvements décident de se désolidariser de la politique électorale, Sunrise dit que la révolution devra être politique et que l’ordre établi peut être bouleversé si les bonnes personnes sont au pouvoir. Selon un sondage de décembre 2019 de la United States Conference of Mayors (Conférence des maires des ÉtatsUnis, ndlr), 80% des votants entre 18 et 29 ans considèrent le réchauffement climatique comme étant une menace majeure pour la vie humaine. Celles·ceux qui n’avaient pas pu voter en 2016 auront cette fois accès aux urnes et pourront faire entendre leur peur. L’activisme environnemental est un moteur incontestable du discours autour de la justice climatique et cette alliance avec Sanders permet de croire à une puissance économique et politique qui se responsabilise, prend en compte les voix plus radicales, mais surtout plus jeunes, et travaille activement pour un Green New Deal. x
le délit · mardi 25 février 2020 · delitfrancais.com
point de vue
Exprimer la détresse climatique Il est plus que jamais nécessaire de discuter d’écoanxiété. Jérémie-clément pallud
Éditeur Société
«L’
écoanxiété : qu’estce que c’est? », « L’écoanxiété, quand le sort de la planète vous angoisse », ou encore, « Écoanxiété, nouveau mal du siècle? ». Ces titres d’articles, parus respectivement sur les sites de Canal Vie, de Radio Canada et de l’Agence Science-Presse, sont parmi les premiers à s’afficher lors d’une simple recherche Google du terme « écoanxiété ». Si les discussions autour du phénomène paraissent se multiplier dans la sphère médiatique, cellesci semblent souvent accompagnées d’une dimension sensationnelle qui met rarement au centre les expériences quotidiennes des personnes affectées par ce mal ou ne laisse que très peu de place à ces récits. Plus que nécessaires se font alors les occasions de mettre des mots sur les manifestations personnelles de ce sentiment de détresse face à la crise écologique actuelle, et d’appréhender notamment son incidence exacerbée au sein des milieux activistes environnementaux. C’est cette opportunité qui est offerte par les cercles d’écoanxiété, organisés plusieurs fois dans l’année par la branche québécoise d’Extinction Rebellion. La page de l’événement Facebook recensant les différentes dates de ces réunions en annonce d’ailleurs très bien la couleur : « Jaser d’écoanxiété, ça réchauffe l’âme et le cœur […]. Nous aussi on est anxieux, nous aussi on est en colère, nous aussi on est tristes. C’est normal mais gardez pas ça pour vous. » C’est la curiosité piquée que je me suis ainsi rendu, dans l’après-midi du samedi 22 février, à l’un de ces cercles organisés au sous-sol du Rond-Point, café autogéré situé dans le quartier d’Hochelaga. Les manifestations de la détresse Le rassemblement débute par les présentations des participant·e·s ; nous sommes peu ce jour-là et le tour de table se fait donc assez rapidement. Mes partenaires d’un après-midi seront Maude, 54 ans, retraitée ; Jacob, 20 ans, étudiant au cégep en questions internationales ; et Félix, 27 ans, modérateur du cercle et psychoéducateur travaillant notamment au sein de la commission scolaire de Montréal. Un temps est ensuite pris pour que chacun·e parle de son humeur du jour, de son état d’esprit en arrivant au cercle et de son ressenti face à l’actualité de ces derniers jours. Dès le départ, l’incidence journalière de l’écoanxiété se fait ressentir. L’abattement face aux
dernières nouvelles environnementales – gravitant pour la plupart autour des faits de violence coloniale actuellement perpétrée en territoire Wet’suwet’en – et aux réactions souvent virulentes suscitées par ces événements sur les médias sociaux, semble être le dénominateur commun des ressentis évoqués. Face à la difficulté qui est celle de s’engager avec ces contenus, chacun·e s’exprime sur les mécanismes d’évitement ou de détournement qu’il·elle se voit développer à des niveaux variables afin de préserver sa santé mentale, sans jamais laisser place à la honte ou à la condamnation. Cette entrée en matière met ainsi en lumière
lorsqu’une conscience environnementale semble tout de même établie au sein de leurs entourages, un sentiment de consternation et de déception est parfois provoqué, chez les personnes présentes au cercle, par l’inaction incohérente de leurs proches. Ces témoignages mettent progressivement le doigt sur une autre forme parfois adoptée par l’écoanxiété, à savoir l’accablement face au manque d’implication de ceux·celles qui nous sont proches. Toutefois, la compassion demeure une fois de plus préférable à la condamnation, puisque ce sentiment d’accablement est ra-
parker le bras-brown l’une des premières façons dont l’écoanxiété se manifeste au quotidien : sous la forme d’un sentiment partagé d’impuissance individuelle face à la liste indéfiniment rallongée de mauvaises nouvelles climatiques. La discussion se poursuit sur l’accueil réservé par l’entourage des participant·e·s à l’activisme environnemental de ces dernier·ère·s.
pidement tempéré et transformé en empathie face au sentiment d’impuissance si bien connu des personnes présentes au cercle et d’où semble découler cette inaction des proches. Les discussions sont libératrices et révèlent que ce dernier ressenti est d’autant plus exacerbé qu’il ne semble difficile de pouvoir opérer un réel changement par des actions individuelles alors que sont continuellement
« Angoisse, colère, détournement, déni : en nommant ces différentes manifestations de l’écoanxiété, cette dernière semble perdre peu à peu de son emprise » Les récits s’enchaînent et chacun·e fait part des réactions suscitées par son activisme au sein de ses cercles familiaux et amicaux. Là encore, les contours d’un schéma récurrent se dessinent, surtout quant à la difficulté de discuter en famille des tenants et aboutissants de la crise écologique et des efforts individuels à mener. Et
le délit · mardi 25 février 2020 · delitfrancais.com
prises des décisions systémiques allant à l’encontre des luttes environnementales et des recommandations scientifiques. Échanger pour respirer Pendant près de deux heures, les sujets de discussion fusent et varient. L’on jase des dernières
politiques rétrogrades du gouvernement Legault, du rôle des médias et de la religion dans le façonnement de l’opinion publique, de l’incapacité de nos sociétés à imaginer des changements systémiques radicaux dans un laps de temps record, de l’importance de faire le deuil de notre futur et de la nécessité de penser les luttes environnementales conjointement aux luttes décoloniales.
venir. D’autres recherches telles que celles de Glenn Albercht, philosophe de l’environnement et ancien professeur à l’Université Murdoch, décrivent également par le terme d’écoparalysie une situation de détresse poussée qui empêche de passer à l’action et est parfois mal interprétée comme de l’apathie – comme évoquée dans les témoignages des personnes présentes au cercle.
Tout au long des échanges, un point d’honneur est mis à respecter le temps de parole de chacun·e et à ne pas s’interrompre. Quelquefois, Félix aide les participant·e·s à mettre des mots sur les ressentis qu’ils·elles décrivent. Angoisse, colère, détournement, déni : en nommant ces différentes manifestations de l’écoanxiété, cette dernière semble perdre peu à peu de son emprise. Ainsi, au terme du rassemblement et au moment de partager son état d’esprit au sortir du cercle, une impression de soulagement semble être commune à tous les témoignages ; légèreté non-naïve puisqu’elle reste tout de même accompagnée d’une conscience plus que jamais accrue de l’importance de poursuivre les luttes environnementales. Si certain·e·s participant·e·s disent ne pas vouloir conserver d’espoir, de façon à ne pas être prochainement déçu·e·s, d’autres déclarent garder une certaine foi maintenant qu’ils savent leurs expériences et leurs vécus partagés par d’autres personnes écoanxieuses. Le moment venu de se quitter, chacun·e retourne alors vaquer à ses occupations le cœur visiblement plus léger que deux heures auparavant.
Pour surmonter ces maux, différentes solutions sont également avancées au sein de la communauté scientifique. Les docteur·e·s Ashlee Cunsolo et Neville R. Elliss appellent « deuil écologique » le chagrin causé par des pertes écologiques vécues ou
Une littérature grandissante Parmi les ressentis abordés dans ce cercle, plusieurs ont déjà été documentés par des recherches scientifiques. Un rapport de l’American Psychological Association (Association américaine de psychologie, en français, ndlr) paru en mars 2017 et intitulé « Mental Health and Our Changing Climate : Impacts, Implications, and Guidance » (Santé mentale et changement climatique : impacts, implications et directions, en français, ndlr) liste plusieurs impacts chroniques – par opposition à des impacts aigus résultants de désastres naturels – des changements climatiques sur notre santé mentale : sentiment d’impuissance, dépression, peur, fatalisme, résignation et écoanxiété. Cette dernière est alors définie par le rapport comme étant une situation d’inquiétude pour son propre futur et celui des générations à
« Au sortir du cercle [d’ecoanxiété], une impression de soulagement semble être commune à tous les témoignages » anticipées. Les chercheur·euse·s décrivent par la suite ce deuil comme une réaction naturelle qui se décline de plusieurs façons, se déroule en plusieurs étapes et doit, entre autres, faire l’objet d’un accompagnement thérapeutique. Pour Caroline Hickman, doctorante à l’Université de Bath, comme pour d’autres expert·e·s, l’engagement activiste et les actions collectives sont de bons moyens de remédier à l’écoanxiété sous ses différentes formes. Ces propos font écho à ceux de certain·e·s participant·e·s du cercle, qui déclaraient se sentir utiles et moins anxieux·euses lorsqu’ils·elles prenaient part à des actions de militantisme environnemental. Toutefois, Hickman souligne la nécessité première, avant de se lancer dans ces actions, de parler de ses ressentis face à l’urgence climatique, et cela notamment par l’intermédiaire de groupes de parole tels que ceux organisés par Extinction Rebellion. x Les prochains cercles d’écoanxiété d’Extinction Rebellion Québec auront lieu les samedis 7 et 21 mars, de 14 à 16h au café Rond-Point, 3213 rue Ontario Est, Montréal, H1W 1P3.
société
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point de vue
Quand le vert est décidé par le blanc Relever la fracture coloniale dans la crise écologique mondiale. hamza bensouda
Contributeur
À
mille lieues d’écrire, à mille lieues de m’exprimer encore, je me trouvais hier. Pourtant, depuis quelques heures, les mots de certains de mes confrères s’entrecroisent et bruissent dans mes pensées de plus en plus fort, cacophonie silencieuse qui donne subitement lieu à ma main portant la plume et rédigeant ce nouvel article pendant mon cours d’environnement.
L’idée d’une transgression des luttes politiques par le besoin d’assurer la survie n’est pas étrangère aux discours que l’on entend à la télévision ou dans de nombreux médias. Pourtant, je crois que
a, tout d’abord, un récit colonial très fort et que, deuxièmement, ce récit explique, en partie, la haute teneur politique de la question écologique ou environnementale. parker le bras-brown
« Ces affirmations ont toutes deux réveillé en moi le besoin de rappeler que l’écologie a, tout d’abord, un récit colonial très fort et que deuxièmement, ce récit explique, en partie, la haute teneur politique de la question écologique »
D’autres exemples illuminent les fondations coloniales de l’urgence écologique. Pensons par exemple aux conquêtes de l’Amérique qui ont décimé des espèces et les ont remplacées par d’autres d’Europe, aux colons qui ont décimé les dodos de l’île Maurice en important des rats, ou encore, plus récemment, au chlordécone responsable d’une crise sanitaire aux Antilles et dont les ordonnateurs sont directement liés aux esclavagistes d’un temps. Autant d’exemples devraient peut-être permettre à chacun·e de remettre en perspective le rôle et l’influence de la colonisation (la mine Potosí des colons espagnols détruisant les structures sociales amérindiennes), du racisme (Cancer Alley qui a, intentionnellement, touché les populations afro-américaines) et des schémas de domination (la France et l’exploitation du nickel en Nouvelle-Calédonie menant à la domination des Kanaks) qui sont sous-jacents à la question de l’environnement.
Une erreur de conception On pourrait croire que l’écologie et l’environnement sont au centre des préoccupations de tous·tes les étudiant·e·s de l’Université au regard de l’implication de chacun·e lors d’événements comme la marche pour le climat ou dans des initiatives prises par McGill (bien qu’encore à développer) en matière de recyclage et de respect de cette fameuse « nature », mot encore d’abord largement débattu du fait de sa vacuité. Pourtant, dans les cours d’environnement, de développement international et de science politique surgissent dans les remarques de l’assemblée étudiante des conceptions étranges et critiquables du développement durable et des luttes environnementales. J’entendais il y a une semaine ces phrases : « Les pays africains polluent aussi en faisant leur extraction de ressources et de minerais », et « Je trouve que c’est beau de voir que l’écologie peut faire oublier le politique », car « ce n’est pas une affaire de politique, mais de survie ».
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négrière) et, en conséquence, a mené à l’appauvrissement des pays africains ainsi qu’à leur dérégulation comme le prouve l’affaire tristement célèbre du cuivre en Zambie. Cette surextraction, selon Noah Diffenbaugh, mène les pays riches à s’enrichir davantage alors que les pays pauvres s’appauvrissent tout autant. De plus, il serait rapide d’identifier les principaux investisseurs du cobalt, zinc, cuivre et autres minerais en Afrique pour alors souligner le fort lien colonial et la direction prise par les profits de ces marchés hautement polluants et pointés du doigt par les activistes. Sans surprise, on retrouve des puissances coloniales comme la France ou le Royaume-Uni.
l’écologie est aussi profondément politique. Au-delà des implications de la deuxième remarque énoncée plus haut, il est facile de souligner l’extrême fragilité conceptuelle de la première : de quelle pollution parle-t-on? Dans quelle propension? Comparée à quoi? Et il est tout aussi rapide de rappeler que ce n’est pas une affaire de « pointage de doigts » de l’un à l’autre. Toutefois, ces affirmations ont toutes deux réveillé en moi le besoin de rappeler que l’écologie
Le capitalisme : un récit colonial La crise écologique à laquelle fait face le monde est souvent attribuée à l’idée d’extraction de ressources qu’enfante le modèle capitaliste. Si l’on s’intéresse de près à l’Afrique dans ce cas-là, les liens entre colonialisme et destruction de la Terre se resserrent déjà. Le colonialisme s’est, en effet, fortement appuyé sur la doctrine d’extraction des richesses du sol et d’exploitation de l’homme (traite
« De quelle pollution parle-t-on? Dans quelle propension? Comparée à quoi? »
Si je donne autant d’exemples, c’est pour justement rappeler qu’aucun grand concept à défendre, comme l’écologie, n’est vide d’attaches historiques et de legs coloniaux. Repenser la colonialité de l’environnement – expression d’un néologisme que je crois nécessaire – c’est pouvoir accorder un meilleur respect des droits humains, développer une compréhension de l’Histoire et des analyses engageant l’entièreté du monde et évincer une vision « blanche » ou « occidentale » de l’environnement niant l’existence de dynamiques d’emprises et de luttes de pouvoirs. Diversifier nos compréhensions La crise écologique n’est pas un thème apolitique. Croire le
contraire serait uniformiser les responsabilités des pays. Mais, rappelons-le, celles-ci sont différées et le développement actuel des différentes nations est à relativiser. Lorsque les pays européens et occidentaux qui ont connu leur âge industriel veulent imposer, aujourd’hui, un développement durable et vert aux pays africains, il faudrait leur rappeler le colonialisme qui a coupé la tête à l’indépendance, à la construction
« Aucun grand concept à défendre, comme l’écologie, n’est vide d’attaches historiques et de legs coloniaux » d’une myriade de pays tentant aujourd’hui de se construire, mais se trouvant à la merci d’un néocolonialisme les replaçant de nouveau sous domination. C’est peut-être cela qui me gêne le plus dans le discours de certaines associations sur le campus et dans le monde : établir un monde plus « écologique » est aussi une question de politique, car cela implique de construire une société qui grandit avec cette éducation aux enjeux coloniaux, de concevoir un pouvoir économique diversifié et respectueux de la planète et surtout, de prendre des responsabilités apparentes. L’argument n’est pas là pour invalider l’urgence ou mener à l’immobilité, mais sert plutôt à reconnaître la complexité de cette problématique et à mieux en saisir les traits, les formes, pour mieux en imaginer les solutions. Si certain·e·s continuent à s’opposer à la nature politique de cette crise, après que nous ayons montré l’importance de la colonialité et de l’adoption d’une approche politique dans nos luttes environnementales, il faudra alors leur rappeler la suppression de la jeune militante ougandaise Vanessa Nakata d’une photographie prise aux côtés de Greta Thunberg au sommet de Davos. Nakata déclare : « Je n’ai pas pleuré parce que cela était triste, pas uniquement parce que c’était raciste, mais aussi en pensée aux peuples africains. Cela montre comment nous sommes estimé·e·s ». x
le délit · mardi 25 février 2020 · delitfrancais.com
Philosophie mythologie
« Penser de manière critique veut dire : faire constamment la différence entre ce qui exige une preuve pour être justifié et ce qui réclame pour être authentifié la simplicité du regard et de l’accueil. » M. Heidegger
philosophie@delitfrancais.com
Mythologie : L’expérience vécue Les grammaires de Narcisse mettent la pensée en déroute déroute. Sirius Vesper
Contributeur
L
a mythologie déroule les grammaires d’un discours. Certaines des dernières polémiques ont mis de l’avant la récurrence et la propagation d’un discours d’un genre très particulier, d’un discours se réclamant ad nauseam de l’expérience vécue. Il se déploie aujourd’hui, « à nouveau » ajouteraient certains philosophes, en négatif de l’Histoire. Il faudrait, nous diton, un monde nouveau, brûler toutes les toiles illustrant les crimes d’hier. Au nom de quoi? De l’oppression que l’Histoire ferait subir, de l’invisibilisation qu’elle mettrait de l’avant, de l’hégémonie qu’elle perpétuerait. Sans nier la réalité totale ou partielle de systèmes pouvant produire tant de l’oppression, de l’invisibilisation ou encore sa propre totalisation par l’hégémonie, remarquons que le discours contemporain porte les grammaires très particulières de l’expérience vécue, remettant aux calendes grecques tout ce qui oserait en contester le fondement. C’est à peine s’il n’est pas demandé qu’un ministère de la parole intersectionnelle ne soit mis sur pied. Cette expérience vécue, que veut-elle dire? Quelle expérience? Que nous dit-on au juste par cette absoluité de l’expérience vécue? Que le témoignage est la sainte providence portée au discours. Au commencement était la Souffrance, et en un discours Elle s’est faite chair. Quel miracle! Ce qui importerait, dit-on, ce serait surtout les « réflexions » qui relèvent d’expériences personnelles. Or, ce que nous voyons n’est que militantisme, c’est-àdire que ce discours fait dans la paroisse et ne s’adresse que sur deux modes, selon qu’il cajole ses paroissiens ou encore qu’il vilipende les autres, ces ennemis. Encore mieux, l’expérience vécue serait poreuse à la personnalisation qu’on en ferait. Venez, nobles gens, personnalisez votre héros! Les jeux vidéo n’ont porté au réel que ce que des millénaires d’oppression ont dissimulé. Le personnalisme de Mounier et de Freitag n’a jamais connu pareille gloire. L’identité, ce qu’ils ne définissent jamais avec rigueur, car là n’est pas leur « propos », est une matière plastique à laquelle on peut faire dire ce que l’on veut, lorsque cela nous plaît. Nulle
crainte que des contradictions ne montrent ne serait-ce que le bout d’un doigt – la vérité n’a jamais eu meilleure assise! Pourtant, la supposée compréhension des « histoires personnelles » n’est qu’une autre locution pour les mêmes grammaires issues de Narcisse. Les curés d’aujourd’hui sauraient-ils ce qu’est l’herméneutique qu’ils n’en auraient cure. À cet effet, nous constatons un discours fabriquant. Il livre à la masse des « miséreux » les mêmes prêts-à-prêcher du christianisme d’antan. Ce n’est que sur le mode de l’abolition qu’il s’in-forme. À cette époque de l’opinion, il importe pour les masses que l’on leur accorde l’illusion de s’affirmer elles-mêmes. Le fait qu’un tel discours prenne de l’ampleur à une telle rapidité, lui qui fait dans le bon marché et la publicité en affirmant l’aménagement de soi-même, devrait inviter à la plus grande des prudences. Sous toutes les formes qui sont celles d’un seul et même discours, d’une seule et même morale du ressentiment, l’enjeu n’est certainement pas celui de la rigueur et de la pertinence.
Les nihilistes de notre temps diffusent à toutes les sauces une même moraline, celle-ci s’incarnant le plus souvent sous le prisme de la protestation. Elle met en scène des fictions juridiques, affirmant que l’on doit établir pour vrai ce qui relève de la plus complète des idiosyncrasies. Le sujet est seul maître et législateur de sa vérité. « Vous avez votre vérité et j’ai la mienne », dit-on. N’attendez pas d’eux qu’ils œuvrent à une discipline intellectuelle – la simple discipline émotionnelle leur sera suffisante en chaque chose, elle qui permet de tout dire avec assurance. Cette conception de la vérité comme adéquation de l’expérience vécue à ce qui la met hors d’elle-même n’atteste guère de ce qui la met en ek-citation. Elle
rejette du revers de la main le fondement des choses en une seule phrase – tout affairée à sa « justice » – et affirme, à partir d’une souffrance déformée cherchant avec insistance l’origine d’elle-même, que si elle en est ainsi, c’est bien qu’un grand mal le lui a fait subir telle ou telle situation. Ainsi, elle s’arroge la certitude d’une vérité absolue de l’expérience vécue d’un seul coup en concevant une adéquation illusoire entre ses souffrances, le monde supposé, et elle-même. C’est cela, pour ces affairés du ressenti immense, la vérité – en soi! Pourtant, elle demeure essentiellement éloignée de la difficulté bien réelle de ce qui est à penser. En définitive, ce discours n’a que l’apparence de l’intelligibilité. Il ne tient qu’à cette prétention de
manière superficielle, alors qu’il ne veut au fond qu’une chose : l’emporter. Le dialogue n’existe pas pour un tel discours. C’est Foucault qui résumait en toute innocence la situation destructrice de ce dernier, lui qui parlait de celui d’une autre forme, prolétaire à l’époque : « Le prolétariat ne fait pas la guerre à la classe dirigeante parce qu’il considère que cette guerre est juste. Le prolétariat fait la guerre à la classe dirigeante parce que, pour la première fois dans l’histoire, il veut prendre le pouvoir. Et parce qu’il veut renverser le pouvoir de la classe dirigeante, il considère que cette guerre est juste. » Peutêtre faudrait-il relire les conférences de Leo Strauss, notamment On German Nihilism, The Crisis of our Time et The Crisis of Political Philosophy. x
La pensée mise à mal Ce que l’expérience vécue ne dit pas, ce qu’elle dissimule, c’est qu’elle n’est plus la prodigieuse et pourtant simple expérience. Le fait qu’elle soit vécue confère des grammaires de celui qui a vécu, du « je ». L’expérience vécue laisse de côté qu’elle puisse avoir tort et, puisque le sujet exprime ce dont il est question, il s’arroge la véracité de l’empirique – ce qui depuis toujours guide dans la vérité. Ce déplacement malicieux a toutes les chances de n’être qu’une vue de l’esprit, quand bien même l’effet éristique et sophistique serait-il éblouissant – et il l’est. C’est pourquoi il est question d’un défaut de pensée ; ce défaut n’est non pas celui d’une pensée qui manquerait de justesse, mais bien d’une justesse dans l’accord total avec ce qui ne veut pas être pensé. Les discours de l’expérience vécue ne se cachent pas de cette bêtise – ils s’en prennent à la pensée sacrale, voyez-vous. Ils vocifèrent de petits « oui » inarticulés, comme des virgules ponctuant les innombrables « non » qu’ils n’ont qu’à la bouche. Ce nihilisme tout contemporain ne sait pas qu’il est réactionnaire, avant tout.
le délit · mardi 25 février 2020 · delitfrancais.com
Aya Hamdan
Philosophie
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Culture
Playlist de la semaine Rien à fêter - OBOY 8 secondes - Les Cowboys Fringants It’s Called : Freefall - Rainbow Kitten Surprise
artsculture@delitfrancais.com
réflexion
Activisme climatique connecté Instagram et activisme climatique : un duo efficace? qui permettent d’alléger la gravité du sujet. C’est notamment le cas des comptes humoristiques, souvent très cyniques, qui dénoncent eux aussi l’urgence de la situation climatique ainsi que l’hypocrisie et l’inaction des gouvernements. Une audience large est touchée par ces profils, tel que le compte @climemechange qui rassemble plus de 68 000 abonné·e·s. Par le biais de memes — ces images accompagnées d’un court texte — ces profils apportent une dose d’humour à la question climatique. Ces comptes n’ont pas nécessairement pour visée de dédramatiser, mais plutôt d’ironiser la situation. Il est possible d’y voir une tentative d’exprimer des inquiétudes liées à l’écoanxiété. Les auteur·rice·s rivalisent d’imagination afin d’exploiter ce format simple, mais percutant et efficace.
Niels ulrich
Éditeur Culture
S
i l’on clique sur le bouton « explorer » de l’application Instagram, le nombre de hashtags est vertigineux. Ces mots-clés, ajoutés sous une image par un·e utilisateur·rice et précédés du symbole dièse, permettent d’accéder à des images liées à un sujet spécifique. Une recherche plus précise permet de se rendre compte que le nombre de ces hashtags liés à la question climatique est lui aussi élevé. Défilent #justiceclimatique #environnement #climat… Le hashtag #climatechange compte 3 545 013 publications au moment de l’écriture de cet article. Tout cela sans compter les nombreux comptes des différentes associations et activistes tels que les comptes des différents chapitres universitaires de @climatejustice.
Instagram comme solution?
Montrer pour dénoncer Cette profusion de comptes et d’images défendant l’idée d’une justice climatique laisse penser qu’Instagram semble être un foyer dynamique pour l’activisme environnemental. Cela peut être lié à plusieurs facteurs, l’un étant le nombre d’utilisateur·rice·s potentiel·le·s que la plateforme peut atteindre. Plus d’un milliard de personnes utilisent Instagram chaque mois, 500 millions de personnes utilisent les stories (images éphémères, publiées par les utilisateur·rice·s pour une durée de 24h sur leur profil) chaque jour, et 63% des profils se connectent chaque jour au moins une fois. Instagram tire sa popularité de son format. Les images sont nombreuses, et les textes sont courts. La plateforme joue sur le contenu visuel plutôt qu’écrit. C’est précisément pour cette raison que l’activisme lié à la justice climatique fonctionne bien sur Instagram. Les effets des changements climatiques paraissent beaucoup plus tangibles lorsqu’ils sont vus : l’impact des images est indéniable. En décembre 2017, le photographe canadien Paul Nicklen, connu pour ses photos animalières, poste une vidéo d’un ours polaire très amaigri sur son compte Instagram. Dans la légende de cette photo, il écrit : « c’est à ça que la privation de nourriture ressemble. » Il y décrit son émotion et celle de son équipe et appelle à une action directe et concrète. Cette photo, relayée
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Culture
béatrice malleret quelque temps plus tard par de nombreux médias, suscite une émotion vive auprès du public. Elle devient l’un des symboles des effets dévastateurs des bouleversements climatiques. S’il a été reproché aux auteur·rice·s de la vidéo d’instrumentaliser la souffrance de l’animal, elle a tout de même atteint une portée très importante et a mis le doigt sur un problème existant. Ce n’est pas la seule image marquante présente sur le réseau social. Si les photos et vidéos de fonte des glaces, de catastrophes écologiques causées par les humains ou non, sont particulièrement puissantes, une autre catégorie d’images est également frappante : celle des mouvements eux-mêmes. Les images de mobilisations, de marches, des actions collectives circulent également sur la plateforme. Les images de la marche du 27 septembre à Montréal font d’ailleurs partie de celles qui ont rencontré un grand succès sur le réseau social. De nombreux comptes ont également une visée éducative. Ces profils, qui sont souvent ceux
d’organisations, mais aussi d’individus, proposent des explications et une déconstruction de la crise climatique. Cela permet de vulgariser certains concepts qui peuvent apparaître comme distants ou abstraits. Les enjeux scientifiques, sociétaux, politiques sont alors simplifiés et rendus plus accessibles. Réseau et responsabilisation La qualité visuelle d’Instagram lui permet d’offrir une approche différente de celle offerte par d’autres réseaux sociaux comme Twitter ou Facebook, plus basé sur un format de nouvelles écrites, et donc parfois moins percutante. Les différentes fonctionnalités d’Instagram, telles que les hashtags ou les stories, permettent de montrer la globalité des mouvements. Des comptes comme @fridaysforfuture (Vendredis pour le futur), rassemblent les images de ce mouvement à travers la planète. Le compte propose aussi une liste récapitulative du nombre de villes participant au mouvement ou encore le nombre de personnes prenant part aux événements.
Les fonctionnalités permettent aussi — dans une certaine mesure — de donner la voix aux personnes et mouvements minoritaires. Éviter d’uniformiser la cause climatique est essentiel, surtout lorsque la rhétorique principale est celle d’une seule partie de la population mondiale. C’est ce qu’a soulevé l’activiste ougandaise Vanessa Nakate lorsqu’elle a été coupée d’une photo prise lors du Forum de Davos la représentant aux côtés d’autres jeunes activistes pour le climat. La photo ne montrait alors plus que des activistes blanc·he·s. Elle a alors reposté la photo originale et dénoncé les médias qui ne citaient pas son nom ou sa présence. La présence d’un mouvement sur une plateforme comme Instagram lui permet de toucher une grande audience, mais permet aussi à cette audience de le critiquer et d’en tenir les têtes de file responsables. Mieux vaut en rire Si Instagram permet un activisme que l’on pourrait qualifier de formel ou de direct, certains profils proposent des alternatives
Instagram fait partie du groupe Facebook Inc qui conserve avant tout un but commercial. Elles participent à la diffusion d’un commerce ayant des impacts destructeurs sur l’environnement. La visibilité permise grâce à Instagram est à double tranchant quand elle en vient aux questions environnementales. Les placements de produits, les publicités, et autres ressorts économiques sont monnaie courante sur la plateforme. Cette dernière possède même une fonctionnalité permettant de magasiner en ligne à même l’application. Les publicités ne sont d’ailleurs pas complètement dissociées de la question environnementale. Dans un soi-disant effort de conscientisation, Instagram et de nombreuses entreprises présentent des produits qui seraient « la » solution aux changements climatiques. Ces publicités sont d’autant plus ironiques, car Facebook détient des accords commerciaux avec le secteur pétrolier. Facebook et Instagram détiennent donc — comme de nombreuses autres grandes plateformes — une responsabilité certaine face à la crise climatique. Cependant, ces plateformes restent des outils de communication puissants. Elles permettent une cohésion dans les mouvements sociaux, ainsi qu’une coordination qui ne serait pas envisageable sans leur existence. Instagram facilite un accès plus large et plus global au mouvement environnemental qu’il serait dommage de ne pas exploiter. x
le délit · mardi 25 février 2020 · delitfrancais.com
entrevue
La culture, pilier de la transition En conversation avec Valérie Beaulieu, directrice générale de Culture Montréal.
L
Courtoisie de culture montréal
e Délit (LD) : Pourriezvous rapidement présenter Culture Montréal en tant qu’organisme ainsi que ses domaines d’intérêt concernant les intersections des domaines culturel et environnemental? Valérie Beaulieu (VB) : Culture Montréal est un organisme à but non lucratif indépendant et non-partisan. On rassemble tout citoyen montréalais qui souhaite travailler avec nous à ancrer la culture au cœur du développement de [la ville de] Montréal. On considère que la culture, au même titre que tout autre secteur, est un vecteur de développement social [et] économique. On est aussi reconnus comme un conseil régional de la culture pour la région de Montréal. Notre mandat est de concerter, de mobiliser et aussi d’intervenir, parfois, en développant des projets structurants pour le développement culturel de Montréal. On participe notamment à des actions pour que Montréal soit reconnue comme étant une véritable métropole culturelle d’envergure internationale.
« [Il y a de l’écoanxiété générée chez] beaucoup de [personnes] dans le secteur des arts et de la culture, parce qu’on veut faire mieux mais on est limités dans les ressources pour le faire » Au niveau de l’intersectionnalité entre culture et environnement, pour nous, ce n’est pas tant une intersectionnalité, parce qu’on a toujours considéré que la culture est le quatrième pilier du développement durable (les autres étant l’environnement, le social et l’économie, ndlr), qu’elle fait partie de ce mouvement de transition écologique. Donc c’est sûr qu’actuellement, on se questionne sur comment le secteur des arts et de la culture peut améliorer ses pratiques, mais aussi comment les arts et la culture peuvent contribuer à ce mouvement de transition écologique. LD : Quand on parle impact environnemental, on parle souvent de transport, d’énergie, d’alimentation, mais assez peu du domaine culturel directement — quels sont
pratiques sur le plan de l’environnement, ça demande plus d’argent et plus de temps. Si on veut adopter des bonnes pratiques, il faut que les organismes aient cette agilité, sur le plan des ressources financières et humaines, mais aussi sur le plan du temps. Ça prend une meilleure planification et de l’accompagnement. Je vous dirais qu’en général, le nerf de la guerre, c’est toujours le financement. Si on veut que nos événements, dans un festival, fassent du compost, il faut avoir des budgets pour faire affaire avec une entreprise privée, parce qu’il n’y a pas ce service sur le plan de la ville pour des événements qui finissent plus tard. Ça demande de débloquer des fonds pour des organismes qui en ont déjà très peu. C’est tout un questionnement, en ce moment, et je pense que ça génère beaucoup d’écoanxiété chez beaucoup de [personnes] dans le secteur des arts et de la culture, parce qu’on veut faire mieux mais on est limités dans les ressources pour le faire. LD : Que pouvons-nous faire sur le plan individuel, soit en tant qu’artistes ou en tant que consommateur·rice·s de culture, afin de limiter nos empreintes?
ses principaux impacts environnementaux? Que pouvons-nous faire pour les réduire? VB : C’est sûr que la culture, c’est très vaste. Je ne l’ai pas nommé dans tout ce que Culture Montréal fait, mais pour nous, la culture, ça [comprend] les arts et les lettres, évidemment, et les arts de la scène, mais aussi tout ce qui est industries
avec du vieux, avec de l’existant, c’est une démarche intéressante au niveau de la transition écologique. Il y a des questions qui se posent au niveau du choix des matériaux, etc. Le numérique aussi a des choses intéressantes à apporter, mais a aussi un impact sur l’environnement.
comment ils peuvent appliquer cela dans les événements, les festivals.
LD : Quels sont les projets de Culture Montréal en lien avec la transition
VB : Encore là, c’est difficile, parce que les secteurs sont vastes et n’ont
écologique et la réduction d’empreinte du milieu culturel?
pas les mêmes enjeux. Je vous dirais aussi que, on va l’établir, le secteur des arts et de la culture est un secteur qui est déjà extrêmement sensibilisé. Les artistes prennent beaucoup la parole publiquement en faveur de la cause environnementale. [En termes de mesures de réduction d’empreinte], c’est sûr qu’on parle facilement d’événements zéro déchet, mais ce qu’il faut aussi noter, c’est que dans le secteur des arts et de la culture, les organismes ne sont pas très riches. Il y a des enjeux énormes de financement, et souvent, vouloir être écoresponsable et avoir de bonnes
LD : Quels changements institutionnels voyez-vous comme étant les plus urgents pour que le secteur culturel devienne plus écoresponsable?
« On a toujours considéré que la culture est le quatrième pilier du développement durable, qu’elle fait partie de ce mouvement de transition »
créatives, ça va même jusqu’à la gastronomie, jusqu’au patrimoine, l’architecture, le design, la mode. Donc, l’impact environnemental [de la culture], dépendant des secteurs d’activité, est variable. Si on parle, par exemple, des artistes en tournée, il y a des transports, il y a un impact environnemental forcément, aussi au niveau de la diffusion, des salles de spectacle. Après ça, si on est dans des secteurs d’activité comme l’architecture, le design, le patrimoine, comment requalifie-t-on des bâtiments, comment met-on en valeur notre patrimoine? Remettre en valeur le patrimoine, faire du neuf
le délit · mardi 25 février 2020 · delitfrancais.com
VB : Ce qu’on veut travailler, en partenariat avec le Conseil des arts et des lettres du Québec, c’est de commencer à documenter certaines choses, mais surtout à doter le milieu culturel d’outils. Il y a des outils qui existent déjà, mais ce que le milieu culturel nous dit, c’est qu’il a besoin d’accompagnement. [Les gens] n’ont pas les expertises à l’interne pour faire des politiques environnementales et se doter de bonnes pratiques. Ils ont besoin d’exemples inspirants pour voir
« Ce que le milieu culturel nous dit, c’est qu’il a besoin d’accompagnement. [Les gens] n’ont pas les expertises à l’interne pour faire des politiques environnementales »
VB : Du côté individuel des artistes, dépendant de leurs pratiques, je les sens extrêmement sensibilisés, déjà mobilisés. Une grande partie des artistes ont des tendances sur le plan de l’achat local, d’adopter des modes [de vie] plus écoresponsables. Il y a un questionnement aussi sur leurs pratiques artistiques dans certains cas. D’ailleurs, il y a des organismes qui sont en train de naître, [dont un] que je trouve extraordinaire, qui est EcoSceno. Ce sont des gens qui étaient scénographes et qui se questionnaient beaucoup sur leur empreinte environnementale. Ils ont démarré une entreprise d’économie circulaire qui permet de récupérer les décors de théâtre, de cinéma, de télé, et de les revendre à d’autres organismes ou citoyens. Suite de l’entrevue à la page 14
culture
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Comme citoyens et consommateurs de culture, je pense que, d’abord, il faut encourager nos artistes. [On peut] aller à des spectacles en transport actif ou collectif, on travaille beaucoup à Culture Montréal sur les liens entre mobilité durable et culture pour que nos pôles culturels soient bien desservis par le transport collectif. Si on va plus dans les notions de patrimoine, si collectivement, comme société, on était plus sensibilisés à notre patrimoine, peut-être qu’on le protégerait mieux. Je parle [ici] de tous les patrimoines – naturel, industriel, bâti – : si on protégeait plutôt que toujours construire du neuf, ce [serait un] geste super important pour l’impact environnemental. En ce qui concerne la mode, si on achète local – c’est un peu comme dans tout. [Il faut être] sensible à ce que les artistes font, parce que je pense qu’ils ont le pouvoir de nous sensibiliser. J’ai envie de dire : fréquentez nos artistes locaux, il y a une belle occasion de dialoguer sur ce qui s’en vient pour notre collectivité, pour notre société. LD : Vous avez parlé de la culture comme quatrième pilier du développement durable. Pourriez-
vous m’en dire un peu plus sur cette idée? VB : [C’est une idée qui est apparue] il y a plusieurs années, ça
de travailler sur le facteur identitaire des communautés. Les arts et la culture, ça apporte de la beauté, ça peut apaiser les gens, ça ouvre sur la curiosité, l’empathie, la
se parlent, que les gens soient sensibilisés, que les gens se retrouvent ensemble. Les arts et la culture ont ce pouvoir-là de nous faire cheminer comme collectivité. parker le bras-brown
s’appelle L’agenda 21 de la culture. Plusieurs pays ont adopté cette notion que la culture est le quatrième pilier du développement durable : elle a le pouvoir d’être un liant social, de rassembler les collectivités,
compréhension de l’autre, donc ça fait partie des notions de développement durable des sociétés. On le voit avec toutes sortes de mouvements à travers le monde, on a besoin plus que jamais que les gens
LD : Vous avez aussi parlé des artistes qui contribuent à la conscientisation sur la crise climatique et sur la transition écologique. Comment voyez-vous le rôle plus activiste du domaine de l’art?
VB : Il y en a toujours eu [des artistes activistes]! Des artistes, par définition, ce sont des gens qui prennent la parole, qui sont souvent très mobilisés sur certaines causes. Je trouve qu’il y a un déplacement depuis quelques années – il y a quelques décennies, les artistes étaient souvent porte-paroles des causes peutêtre plus politiques. On le voit depuis maintenant plusieurs années, où c’est la cause environnementale qui est la cause numéro un chez les artistes. Donc ils ont pris ce rôle-là. Maintenant, je pense que, comme société, il faut qu’on soit réceptifs à ce que nos artistes [disent]. Si on veut que les artistes prennent davantage ce rôle, il faut qu’on les accompagne, qu’on ne les laisse pas tous seuls au front à se ramasser les critiques et les commentaires. Les artistes ont la facilité pour trouver les mots pour sensibiliser, pour créer des images qui vont permettre de rassembler davantage les gens dans le mouvement de la transition écologique, mais pour ça, il ne faut pas qu’on les laisse seuls. x
Propros recueillis par violette drouin
Éditrice Culture
danse
De la musique aux corps idéaux Les Grands Ballets présentaient Danser Beethoven. bondissant. Les performances sont souriantes, dans une chorégraphie romantique, d’une gracieuseté plus traditionnelle.
audrey bourdon
Éditrice Philosophie simon tardif
Contributeur
L
es Grands Ballets et leur orchestre nous présentaient ce 19 février dernier la première de Danser Beethoven. Les chorégraphes Garrett Smith et Uwe Scholz ont tous deux relevé le défi de transposer respectivement les 5e et 7e symphonies du grand compositeur Ludwig van Beethoven à la danse. Retour sur ce ballet époustouflant. Symphonie no. 5 Plusieurs connaissent la cinquième symphonie de Beethoven, du moins pouvons-nous en décrire un ou deux des nombreux motifs. Cela en fait un choix assez traditionnaliste pour les Grands Ballets, qui peuvent tout de même être célébrés pour leur audace, en raison de la chorégraphie même qu’ils ont mise de l’avant – une chorégraphie intempestive aux formes classicistes. Rompant avec certaines des récentes productions de la plupart des grandes compagnies de ballet, le choix a été de respecter la musique. Cette symphonie représente le motif même du destin. La mise en scène rappelant la table à tisser
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culture
sasha onyshchenko des grandes Parques – de longs fils dorés descendaient du plafond jusqu’au sol – n’échappait pas à cela. Un mot nous suivait : fatum. Les danseur·euse·s glissaient entre les fils, déployant par-delà les différents mouvements la nécessité inextricable à laquelle nous appartenons tous·tes. La noblesse des formes était toute simple, tant fut que les corps se sont prêtés à la représentation de ce qui les dépassaient. Dans ce jeu si familier, au troisième mouvement, une lumière oblique traversait la scène, véritable rencontre de l’éclaircie. Une danseuse se tenait en plein cœur de la lumière, rejointe très rapide-
ment par deux autres danseurs ; l’humain n’est pas sans l’autre ; notre identité est en litige avec celle des autres. Seule la trame du grand jeu des tonalités nous rappelle notre unicité : nous n’avons tous qu’un seul fil, le nôtre. En égard au classicisme, la chorégraphie est donc un prodigieux succès. Elle nous rappelle le vieil adage grec ancien qu’il ne peut être de corps mort qui regarde le soleil – c’est là l’une des prérogatives du vivant, cette conjugalité mondaine avec l’étoile. La lumière chaude dorée qui abonde sur des corps lustrés durant le sempre più allegro du dernier mouvement nous rappelle un instant, par démesure, que le corps
n’est qu’une idée qui n’a de consistance que sous sa lumière. Symphonie no. 7 Si la chorégraphie de la cinquième symphonie faisait hommage au doré du soleil, celle de la septième danse est un hommage au blanc de la lune. Les danseur·euse·s semblaient représenter les mouvements de l’eau-même, tout en faisant penser à des cygnes navigant sur un lac baignant dans une atmosphère nocturne. Richard Wagner avait qualifié la septième symphonie de Beethoven d’une « apothéose de la danse » : cette seconde partie du spectacle est davantage un ballet classique, à la fois languissant et
Le grand espace de la scène est plus occupé dans cette chorégraphie, où la profondeur est remplie par la grande quantité de danseurs et danseuses. Le chorégraphe joue avec la répétition des enchaînements de mouvements, offrant des rappels tout au long de la symphonie. L’agencement des costumes et des décors est plus stable, alors que les premiers sont blancs et ne changent pas, et que les seconds ne se résument qu’à des projections sobres différentes à chaque mouvement. À la musique de l’orchestre s’ajoutent les martèlements délicats des pointes des danseuses. C’est un ravissant duo sonore typique du ballet. Parmi le grand talent des danseur·euse·s, le demi-soliste André Santos mérite une mention spéciale pour son exceptionnel charisme scénique. Sa présence obnubile le regard aussitôt son entrée sur scène : sa maîtrise est à souligner, sa force de vivre se faisant remarquer dans chaque mouvement. Danser Beethoven coupe le souffle de par sa beauté chorégraphique et scénique. Les admirateur·rice·s de ballet en seront remué·e·s. x
le délit · mardi 25 février 2020 · delitfrancais.com
Exposition
Le Message d’Arthur Jafa
L’artiste est présenté au MAC dans le cadre du Mois de l’Histoire des Noir·e·s. tion intolérable et en distinguer les ressorts. Dedans, pour pouvoir subvertir la situation de l’intérieur. En s’engageant, en déconstruisant, en informant, en répandant ses idéaux. Par son titre contradictoire, la projection révèle la tension qui lui est inhérente. L’artiste explique que « la musique affirme ce que les images se demandent ». Tandis que les images reflètent un monde perdu dans la brutalité, la musique a, quant à elle, trouvé un sens à travers l’amour et la foi.
jeanne leblay
Contributrice
«T
his is a God dream, This is everything… ». Avant même d’entrer dans la salle de Love is the Message, the Message is Death (« L’amour est le message, le message est la mort »), je pouvais entendre la musique qui y était diffusée. C’était Ultralight Beam (« faisceau lumineux »), morceau du rappeur Kanye West qui transmet un message d’amour et de confiance grâce à la foi. Et pourtant, on rencontre tout le contraire en entrant dans la salle, à savoir la violence déchirante subie par les personnes noires aux États-Unis. Parce que le gospel enivrant de Kanye West contraste avec les images, tout de suite, l’auditoire retient son souffle. arthur jafa - mac
Montrer pour sensibiliser La projection vidéo proposée par Arthur Jafa agrège une succession d’images recueillies sur des plateformes de vidéos en ligne. Tantôt ces vidéos célèbrent les réussites de personnes noires et de la culture afro-américaine, tantôt elles dénoncent les bavures policières dont sont victimes les personnes racisées, les ségrégations sociales auxquelles elles doivent faire face et l’exclusion politique
cinéma
qu’elles subissent. Arthur Jafa souhaitait se servir de vidéos de témoins, trouvables en ligne et filmées au téléphone portable, avant qu’elles ne tombent dans l’oubli. Il voulait, surtout, que cette violence imprègne son art afin qu’elle soit enfin prise au sérieux dans le discours politique. Arthur Jafa montre l’abysse existant entre l’égalité formelle et l’égalité réelle. Bien qu’il soit né en 1960
dans un état ségrégationniste (le Mississippi), son enfance est marquée par les succès du mouvement des droits civiques. Cependant, ces réussites légales n’ont pas marqué la fin des discriminations sociales, ce qui révèle un racisme systémique aux États-Unis. Sa vidéo The White Album (« L’album blanc ») interroge par exemple les rapports entre le racisme et la blanchité, c’est-à-dire l’hégémonie des personnes blanches dans les domaines
politiques, sociaux et culturels. Jafa combat cette idéologie suprémaciste dans ses œuvres, en la documentant et en l’opposant à son antonyme, à la résilience afro-américaine. Créer pour changer En définitive, Arthur Jafa se veut à la fois « in and out », « dedans et dehors ». Dehors, pour prendre du recul par rapport à cette situa-
C’est ce que résume Jafa en déclarant vouloir « amener le cinéma à répondre aux dimensions existentielle, politique et spirituelle de qui nous sommes comme peuple ». La création artistique est donc pour lui un outil de questionnements, mais également un espace fournissant des réponses, notamment aux discriminations raciales. Il souhaite « réaliser un cinéma noir qui ait la puissance, la beauté et le détachement de la musique noire ». En mettant la culture et l’histoire noire à l’honneur, le message d’Arthur Jafa subvertit la mort et exalte l’amour. x Love is the Message, the Message is Death est présenté au Musée d’Art Contemporain de Montréal jusqu’au 1er mars 2020.
Botero en documentaire Don Millar propose un récit biographique simple de l’artiste.
vincent morreale
Contributeur
V
ous avez probablement déjà croisé une œuvre de Fernando Botero ; le style est unique en son genre, les formats des toiles sont impressionnants et les sujets nous poussent au rire. Botero est celui qui peint ces énormes personnages : il reproduit des scènes mythiques de l’histoire de l’art en y ajoutant une touche d’humour. À travers ses caricatures aux gros traits, il s’approprie des œuvres d’artistes qu’il admire et donne une seconde vie à des toiles bien connues du public. La caractéristique clef de son œuvre : des portraits reproduits par de gros traits et des personnages aux formes de ballons sans lignes droites (pensons à la Mona Lisa aux trois mentons, 1978). Don Millar et Botero Le documentaire de Don Millar explore la vie de Fernando Botero d’une façon simple et
accessible, ce qui est bon et mauvais (selon les points de vue). Le documentaire est simple dans le sens où le·la spectateur·rice ne sera pas surpris·e par la forme : nous commençons par une exposition de l’enfance de Botero avec des entrevues avec l’artiste, des photos de famille, de courtes vidéos, bref, un survol biographique intéressant pour ceux et celles qui ne connaissent pas l’artiste. Bien que ce survol soit intéressant et nécessaire pour ce genre de documentaire, nous sommes malheureusement confrontés à cette forme tout au long du film. Millar est un ami de longue date de Botero et de sa famille, ce qui lui donne accès à une intimité profonde avec son sujet. Le documentaire présente une ouverture sur des informations qui viennent directement du cercle intime de l’artiste et de celui-ci même, ce qui est rafraîchissant, considérant que la plupart des documentaires qui explorent la vie et l’œuvre d’un artiste sont produits après le décès de ceux-ci.
le délit · mardi 25 février 2020 · delitfrancais.com
Un documentaire agréable La simplicité du documentaire n’enlève rien au fait qu’il soit agréable à regarder. C’est une excellente introduction à la vie et l’œuvre de Botero. Les images d’archives font en sorte que la trame narrative soit vibrante : nous voyons évoluer physiquement et artistiquement Botero, alors que l’artiste luimême, sa famille, et les différents conservateurs de musées à travers le monde expliquent succinctement le processus créatif derrière les différentes œuvres. Ce que je reproche à cette forme, bien qu’agréable et optimiste, est le fait que nous ne voyons qu’une version de la carrière de Botero : celle que ses amis et sa famille veulent montrer. Nous sommes constamment rappelés que Botero est un peintre et sculpteur incroyable et qu’il est l’artiste le plus important de mémoire récente. Les conservateur·rice·s et autres personna-
« Mona lisa », Fernando Botero lités du champ de l’art balaient rapidement du revers de la main toutes les critiques négatives
envers Botero et orientent le discours vers l’aspect quasi divin des œuvres présentées. x
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