L'insecte, habitant de l'architecture. Présence incontrôlée ou anticipée.

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ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE D’ARCHITECTURE PARIS-MALAQUAIS - Mémoire de Master 2 - « Animal, architecture, ville et territoire » - Janv. 2017 GÉNÉALOGIE DU PROJET CONTEMPORAIN - Dominique Rouillard, professeure responsable; Bérénice Gaussuin, directrice de mémoire.

L’insecte, habitant de l’architecture Présence incontrôlée ou anticipée

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Delphine Lewandowski


Remerciements

Je remercie Dominique Rouillard de m’avoir donné l’opportunité d’écrire ce mémoire dans le cadre du séminaire « Animal, architecture, ville et territoire » du département THP de l’ENSA Paris Malaquais. Je remercie également Bérénice Gaussuin, ma directrice de mémoire, et Nathalie Chabiland, pour leur suivi et leur aide précieuse.

Je tiens aussi à remercier les personnes qui se sont rendues disponibles pour répondre à mes questions : Nathalie Blanc, directrice de recherche au CNRS; Nicolas Césard, Maître de Conférences en ethnoentomologie (CNRS/MNHN) qui m’a aussi fourni des documents utiles; Marc Armengaud et son agence d’architecture AWP; Hervé Guyot, responsable « élevages » à l’OPIE; et Pauline Watissé, étudiante en géographie urbaine. Enfin, je tiens à remercier Armelle Martin-Richon et Maryline Lam pour leurs relectures.

Notes

Le terme « insecte » qui conduit cette recherche est ici utilisé dans sa définition « familière » ; elle fait référence à l’ensemble des arthropodes*, comprenant ainsi les araignées et les lombrics.

Couverture

Les mots marqués d’un astérisque « * » sont définis dans le glossaire, à la fin du mémoire.

Illustration personnelle, Insectes et « sous-architecture », 2016.


L’insecte, habitant de l’architecture Présence incontrôlée ou anticipée



Sommaire

Introduction

11

I - « Nuisibles » et « sous-architecture »

27

1.1 - Influence architectonique de la lutte anti-nuisibles

29

1.2 - Insecte, humain et habitat

49

1.3 - Entomologie des intérieurs

55

1.4 - La « sous-architecture »

59

II - Les insectes « bienfaiteurs » des espaces anthropisés

69

2.1 - La ruche : objet architecturé et objet métaphorique

75

2.2 - Les dispositifs « entomophiles » au service de la continuité verte

89

2.3 - Intégration des insectes « bienfaiteurs » dans l’architecture

105

III - L’insecte « collaborateur » et le potentiel spatial de l’« entomo-empathie »

121

3.1 - Comprendre l’insecte : Dispositifs d’observation et insecte « pédagogue »

127

3.2 - Empathie cognitive : Biomimétisme et insectes « constructeurs »

139

3.3 - Empathie sensorielle : L’insecte « créateur » de nouvelles expériences spatiales

147

3.4 - Architecture « biocentrique » : Cohabitation humain/insecte réinventée

159

Conclusion Glossaire Source des illustrations Bibliographie

175 184 186 190


Table des matières

Introduction I - « Nuisibles » et « sous-architecture »

11

27

1.1 - Influence architectonique de la lutte anti-nuisibles

29

1.1.1 - Notion de « nuisible » (Origine de l’appellation ; Constat sociologique ; Limite scientifique : du nuisible à l’utile) 1.1.2 - Du traitement à la prévention 1.1.3 - La responsabilisation des architectes 1.1.4 - Prévention dans l’étape de conception (Les guides de prévention : nouvel outil pour les concepteurs)

1.2 - Insecte, humain et habitat

1.2.1 - L’ethnoentomologie : tremplin entre architecture et insectes 1.2.2 - Les représentations véhiculées par la blatte 1.2.3 - La blatte, témoin d’une architecture dégradée 1.2.4 - Modes d’habiter humain et modes d’habiter de l’insecte

1.3 - Entomologie des intérieurs

49

1.3.1 - Entomologie anti-nuisibles 1.3.2 - Les entomologistes de l’architecture 1.3.3 - Arthropodes, premiers habitants de l’architecture 1.3.4 - Insecte « bénin » ou « bénéfique »

55


1.4 - La « sous-architecture »

59

1.4.1 - Vocabulaire architectural dans l’expertise liée à l’insecte 1.4.2 - Éléments architecturaux négligés 1.4.3 - Les aspects invisibles de l’architecture 1.4.4 - « Sous-fonction » d’abri pour les « nuisibles »

II - Les insectes « bienfaiteurs » des espaces anthropisés

69

2.1 - La ruche : objet architecturé et objet métaphorique

75

2.1.1 - Objet métaphorique pour les architectes 2.1.2 - Objet architecturé des apiculteurs 2.1.3 - Micro-architectures publiques 2.1.4 - Ruches « insolites » d’architectes

2.2 – Les dispositifs « entomophiles » au service de la continuité verte

89

2.2.1 - Insectes, acteurs de la continuité verte (Continuité verte; Rôle primordial des insectes) 2.2.2 - Dispositifs réparateurs de territoire (Gestion raisonnée des bords de route; Lombriducs) 2.2.3 - Dispositifs générateurs de territoire (Ruches; Hôtels à insectes)

2.3 - Intégration des insectes « bienfaiteurs » dans l’architecture

105

2.3.1 - Ruche d’intérieur et abeilles d’appartement (Ruches sur toit; Évolution morphologique) 2.3.2 - Murs « entomophiles » (Mur habité; Murs à abeilles; Murs à insectes; Enveloppe vivante) 2.3.3 - Infrastructures d’élevages (Usines de soie; Fermes urbaines) 119


III - L’insecte « collaborateur » et le potentiel spatial de l’« entomo-empathie »

121

3.1 - Comprendre l’insecte : Dispositifs d’observation et insecte « pédagogue » 3.1.1 - Instruments optiques scientifiques et ludiques (Appareils d’observation; Pièges à insectes) 3.1.2 - Mise en scène du génie de l’insecte (Vivariums; Micropolis; Maison des insectes) 3.1.3 - Architecture et insectes comme outils pédagogiques (Insecte « pédagogue »; Rhétorique spatiale)

127

139

3.2 - Empathie cognitive : Biomimétisme et insectes « constructeurs »

3.2.1 - Penser comme un insecte (« Think like a mountain »; Empathie cognitive) 3.2.2 - Architecture biomimétique (Insecte comme outil de conception; Termitières) 3.2.3 - Insectes acteurs de la construction (Insectes constructeurs; Bombyx Mori comme outil computationnel)

3.3 - Empathie sensorielle : L’insecte « créateur » de nouvelles expériences spatiales

3.3.1 - Milieux et empathie perceptive (Milieu de la tique; Empathie perceptive; Empathie sensorielle) 3.3.2 - Empathie sensorielle et espace « thériomorphique » (Jeux vidéos d’architectes; Espace « thériomorphique ») 3.3.3 - Expériences spatiales d’interactions humain/insecte (Perception visuelle; Perception auditive; Perception tactile; L’insecte « créateur »)

147


3.4 - Architecture « biocentrique » Cohabitation humain/insecte réinventée

3.4.1 - Changement de paradigme en architecture

(Édifice dualiste nature/culture; Anthropologie/architecture; « Biocentrer » l’architecture)

159

3.4.2 - Cohabitation humain/animal réinventée (Architecture et biocentrisme; Animaux clients; Cohabitation humain/insecte)

3.4.3 - Éloge de l’incontrôlé et limites de l’architecture « biocentrique » (Culture « biocentrique »; Du biocentrisme à l’écocentrisme;

Éloge de l’incontrôlé et « sous-architecture »)

Conclusion

175

Glossaire

184

Source des illustrations

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Bibliographie

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Figure 1. Illustration personnelle, Essence de l’architecture, abri pour le corps humain, 2016. L’illustration rend compte d’une vision de l’architecture dans son essence en tant qu’abri pour le corps humain « fragile », refuge d’une nature répulsive, dangereuse et incontrôlable, incarnée par les insectes.


Introduction Le mémoire qui suit explore l’enjeu de la présence, incontrôlée ou anticipée, d’insectes vivants dans l’architecture. Il s’est dessiné à travers plusieurs éléments de motivation. Le premier est personnel. Le jeudi 25 juillet 2013, lors d’un long séjour dans le pays d’origine de ma mère - l’Île Maurice, je constatais une cohabitation humain/insecte différente autour de moi certainement forcée par le climat tropical et humide de l’océan indien - qui m’a poussée à écrire intuitivement ces quelques réflexions dans mon carnet : « L’architecture et les insectes. Les insectes et la culture. Le rapport des humains aux insectes. L’architecture comme carapace “anti-insecte“, “anti-nature“, “anti-saleté“. Là où il y a des insectes, il y a de la saleté, de la nourriture qui moisit, de l’humidité qui stagne. Insectes = sale = insalubre = mauvais logement = mauvaise architecture ? Ils sont plus nombreux, plus présents, plus visibles, ici, à l’Île Maurice. L’enjeu du sujet réside peut-être dans leur visibilité. Existe-il un degré de qualité de l’architecture en fonction du nombre d’insectes présents ? Contre-exemples à trouver. Futur = les insectes comme nouvelle source de protéine. Dans l’architecture : la nourriture qui attirera la nourriture ? Un tas de choses peuvent être dites, suggérées et démontrées par le biais des insectes, qui met en lien l’architecture, la culture, les “autres“ cultures, le futur, et qui remet en cause notre vision des choses en s’appuyant sur un phénomène capable de nous déterminer sociologiquement en fonction de notre comportement face aux insectes. Mais aussi : la dimension poétique. Le rapport humain entre l’architecture et les insectes. L’architecture en tant qu’abri pour l’humain mais aussi pour des milliers d’autres êtres vivants qu’on oublie. Je rêve des insectes : de ceux qui se vengent, de ceux qui pullulent, de leurs traces sur le corps et sur l’architecture. » Cet ensemble confus d’idées non développées abordait malgré tout les thèmes que j’allais étudier dans ce mémoire, à savoir les multiples dichotomies : • Présence non désirée/désirée, anticipée/non-anticipée ; • Insectes « nuisibles » / « utiles », visibles/invisibles, instrumentalisés/autonomes ; • Et de manière plus vaste : nature/culture et donc nature/architecture. Parmi elles, les « “autres“ cultures » constituaient dans mon esprit la possibilité d’une approche ontologie différente dans la réflexion jusqu’à présent « naturaliste1 » de l’architecture. 1

« Naturalisme » qui, selon l’anthropologue Philippe Descola, repose sur une dichotomie nature/culture à

laquelle les sciences naturelles et sociales des modernes ont accordé un universalisme infondé dans leur pratique et leur considération ethnocentrique du monde. C’est la vision de l’humain séparé d’une seule et même « nature » sur laquelle il a tous les droits. Cf. : DESCOLA Philippe, Par delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.

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Figure 2. Illustration personnelle, Rhétorique du « vert » : formes désirables de nature, 2016. L’illustration rend compte des aspects et formes désirables de « nature », dont le caractère hégémonique des images et de technologie « vertes » est récurrent dans l’architecture « écologique ».


C’est donc à l’occasion de ce séjour que m’a paru évidente une contradiction au sein même de l’architecture, en son essence en tant qu’abri pour le corps humain et en tant qu’outil de contrôle d’une nature « indésirable » (Fig.1, p.10). La question que soulève la présence des insectes dans l’architecture va bien au-delà de l’insignifiance et de la pauvreté qu’un seul de ces petits êtres peut suggérer dans une réaction spontanée. Elle possède la force de nous confronter à notre conception de « nature », à nos limites de tolérance envers celle-ci, et ainsi de révéler l’essence même de l’architecture, produit de la « culture » en opposition à la « nature ». Le premier élément de motivation est donc de révéler les limites de notre conception d’une architecture totalement aseptisée de la « nature » qu’on souhaite à tout prix contrôler, en l’opposant à d’autres conceptions, d’autres pratiques, d’autres « cultures ». La question qu’il soulève porte sur l’attitude culturelle des architectes et de son influence sur la production spatiale en rapport à l’environnement. J’ai pu retrouver cette nature « répulsive », plutôt absente de la pratique architecturale, dans les réflexions de l’historien d’architecture David Gissen qu’il nomme « Subnature2 » (« Sous-nature ») et dont les insectes font partie. Les éléments « sous-naturels » qu’il décrit sont « ces formes de nature jugées primitives (boue et obscurité), sales (fumée, poussière, et gaz d’échappement), effrayantes (gaz ou débris), ou incontrôlables (mauvaises herbes, insectes et pigeons)3. ». Il les oppose aux formes désirables de nature – telles que le soleil, les nuages, les arbres ou le vent - avec lesquelles la majorité des architectes a su travailler, et qui considère l’architecture comme un refuge à cette « sous-nature ». Par ailleurs, l’architecture « écologique » semble aujourd’hui s’épuiser dans la monopolisation de ces formes désirables de nature (Fig.2), spécifiquement dans une rhétorique du « vert ». Elle est soit d’initiative timide, soit superficielle, lorsqu’elle ne reconnaît dans sa conception qu’une partie de la nature, idéalisée à travers le « végétal ». Celui-ci semble pourtant indissociable de l’ « animal », particulièrement de l’ entomofaune* qui pollinise une grande partie de la flore4. Le deuxième élément de motivation met en corrélation ce constat d’une « nature » problématique au sein de l’architecture et celui de la crise écologique. Ainsi, le mémoire suivant veut modestement s’inscrire dans un mouvement de repositionnement transdisciplinaire, et si possible de « renaissance5 » ontologique qui accompagne la crise écologique, en ce début du XXIe siècle. Il est décrit par Bruno Latour comme un « territoire » à réinventer « scientifiquement, politiquement et artistiquement », dans le but de sortir d’une « esthétique de la pornographie écologique » 6 , notamment de celle de l’architecture dont Federico Ferrari dénonce le caractère hégémonique des images vertes qu’ils nomment « perspectives “saladières“7 ». Parallèlement à cette hégémonie du « vert », on peut identifier une hégémonie de la technologie, qui prétendrait pouvoir sortir de la crise écologique par l’innovation. La plupart des solutions technologiques, toujours florissantes, ayant été trouvées, leur mise en place semble néanmoins

GISSEN David, Subnature. Architecture’s other environments, Princeton, Princeton Architectural Press, 2009.

Ibid, p. 22. Traduction personnelle: « Subnatures are those forms of nature deemed primitive (mud and dankness), filthy (smoke, dust, and exhaust), fearsome (gas or debris), or uncontrollable (weeds, insects, and pigeons ».

Les plantes forment souvent avec les insectes un couple interdépendant. Voir la définition des plantes entomophiles*.

Le terme de « renaissance » est employé à plusieurs reprises par le philosophe Bruno Latour, pour designer la réinvention scientifique, politique et artistique, nécessaire à la sortie de la crise écologique. Voir LATOUR Bruno, « INSIDE », Conférence/Spectacle au Théâtre Nanterre - Les Amandiers, le 20.11.2016.

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LATOUR Bruno, « INSIDE », Conférence/Spectacle au Théâtre Nanterre - Les Amandiers, le 20.11.2016. FERRARI Federico, Paysages réactionnaires, Eterotopia France, Paris, 2016.

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Figure 3. UKTI Crown, UK Pavilion, The Hive, by night in Milan, 2015, photographie. Photographie de nuit du pavillon du RoyaumeUni « The Hive » conçu par l’artiste Wolfgang Buttress et les architectes BDP, à l’Expo Universelle de Milan en 2015, lauréat du prix d’architecture, et installation immersive dans la vie des abeilles afin de sensibiliser le public au rôle crucial des abeilles dans la production alimentaire mondiale. Le parcours est dessiné afin de mettre le visiteur « à la place » d’une abeille. Le pavillon central est constitué d’un dôme en aluminium, illuminé par des petites lampes et dôté d’un système audio-lumineux qui correspond aux mouvements des abeilles en temps réel d’une ruche à laquelle il est connecté.


freinée à la fois par un manque de moyens et d’argent, mais aussi par un manque de volonté et d’investissement dû à une barrière économique, socio-politique et culturelle. Il semble donc utopique de donner une réponse à l’urgence écologique exclusivement technologique et scientifique. Il s’agit d’accompagner ces innovations avec d’autres évolutions transdisciplinaires, et plus philosophiques. Comme le suggère Latour : « c’est toute une nouvelle culture, une nouvelle esthétique — au sens ancien de capacité à “percevoir“ et à être “concerné“ — à inventer8. ». Les architectes peuvent y contribuer, dans leur capacité à « produire de la culture » et de l’imaginaire, constituant une approche alternative aux utopies technocratiques9. La question que pose cet élément de motivation porte sur le rôle des architectes au sein de cette « renaissance » écologique. Toujours dans ce souci écologique et dans l’évolution transdisciplinaire qui l’accompagne, un troisième élément de motivation se situe dans la volonté de vulgariser certaines connaissances, notamment biologiques, auprès des architectes. La limite des compétences des architectes au niveau de l’intégration et du respect du vivant, dont font partie les insectes, se situe aussi dans une méconnaissance générale de la biologie. Gilles Clément, lors d’une conférence en décembre 2013 à l’École d’Architecture de Paris La Villette, avait mentionné ce problème pour introduire son discours. Les enfants ont un « réflexe idiot » : ils sont souvent interpelés par les insectes et apprennent à « tuer avant de connaître ». Le paysagiste suggère qu’il serait intéressant de comprendre plutôt que d’être effrayé. Il s’agirait d’évoquer une nouvelle dimension dans la compétence des architectes. Bien sûr, beaucoup d’architectes ont pu tirer des leçons dans l’observation des insectes. Or, la fascination que leurs formes et systèmes suggèrent se limite souvent à une source d’inspiration ponctuelle, parfois florissante comme dans le biomimétisme*. Il est important de changer l’échelle de l’analyse en touchant à d’autres disciplines, d’acquérir une connaissance globale des insectes, sur les influences et conséquences de nos constructions sur leurs milieux et vice versa. De plus, la présence physique de l’insecte dans l’architecture n’a jamais été théorisée. Elle est seulement évoquée pour la première fois en 2009 par Gissen10. Les insectes sont « anathèmes11 » à l’architecture. Le sujet des insectes vivant dans l’architecture, pauvre théoriquement et historiquement, est donc fondamentalement transdisciplinaire. En investissant d’autres disciplines - ici l’entomologie*, l’ethnoentomologie*, et les sciences environnementales - il permet de replacer les limites d’intervention et les compétences de l’architecte au sein de l’urgence écologique, qui est à mon sens l’un des enjeux majeurs du XXIe siècle. Constat Parallèlement à cette intuition personnelle, on peut constater depuis plusieurs années un revirement de l’attitude entomophobe dans la culture occidentale, vers une redécouverte de l’importance et de l’utilité des insectes. Ce décalage se fait à travers la prise de conscience écologique et la protection de la biodiversité, et passe par une revalorisation des insectes dans un but de protection et/ou utilitariste.

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ZARACHOWICZ Weronika, Telerama, Cop 21 c’est parti, Interview de Bruno Latour lors de la COP 21,

GAUDILLÈRE Jean-Paul, FLIPO Fabrice, « Inégalités écologiques, croissance « verte » et utopies technocratiques » dans Mouvements, n°60, Ed. La Découverte, 2009, pp. 77 – 91.

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30.11.15. Consulté le 04.09.2016. Disponible à l’adresse : http://www.telerama.fr/idees/cop21-brunolatour-philosophe-l-ecologie-c-est-le-co2-mais-aussi-le-capitalisme-la-modernite,134234.php.

GISSEN David, « Insects », op.cit., pp. 168-179. « Insects are anathema to our concept of the architectural interior or any notion of architecture as refuge ». Ibid., p. 168.

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Figure 4. Auteur inconnu, Invitation exposition : Les insectes, “mi-demons, mi-merveilles“, 1987, Illustration.

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L’illustration représente deux insectes volants (Odonata et Lepidoptera) au dessus de la ville de Paris, plus précisément au dessus du Palais de la découverte. Elle met en avant le but premier de l’exposition « Les insectes, “midemons, mi-merveilles“ » (1987) de l’OPIE et autres groupes entomologiques, à savoir d’informer et de sensibiliser un public large et citadin à l’impact des insectes (auxiliaires/ ravageurs), notamment sur le territoire.


Les sociétés occidentales, par l’urbanisation et la modernisation qui ont éloigné l’humain de la « nature », ont rendu difficilement perceptible l’intérêt des insectes, en dehors de certaines productions d’importance comme le miel. Aujourd’hui, il semble qu’il y ait un renversement de perspective. En 2013, les insectes étaient pour la première fois servis à la carte d’un restaurant parisien12, mettant en avant leur valeur nutritive. L’Assemblée nationale a voté, dans le cadre de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages13, l’interdiction des néonicotinoïdes (pesticides qui tuent les abeilles) le 22 juin 2016. Aussi, en 2016, le Ministère en charge de l’Écologie a lancé un plan national d’actions « France terre des pollinisateurs » (2016-2020), pour la préservation des abeilles et des insectes pollinisateurs sauvages14. Lors de l’exposition universelle de Milan en 2015, avec pour thème « Nourrir la planète, Énergie pour la Vie », le pavillon du Royaume-Uni « The Hive » (La Ruche) (Fig.3, p.14), nommée lauréat du prix d’architecture, soulignait le rôle crucial des abeilles dans la pollinisation, au regard des enjeux de l’alimentation de demain. L’activité pollinisatrice des insectes, principalement celle des abeilles, a une valeur économique estimée à 153 milliards d’euros (programme Alarm, 2006-200915), soit 9,5 % en valeur de l’ensemble de la production alimentaire mondiale. On notera également que le projet d’architecture « The Hive », qui rend perceptible l’importance des insectes pollinisateurs, naît d’une collaboration interdisciplinaire entre l’artiste Wolfgang Buttress et le physicien expert des abeilles Martin Bencsik. Aussi, dans ce contexte de prise de conscience écologique, on constate une considération du territoire de moins en moins anthropocentrique. De plus en plus d’infrastructures représentent une menace pour la biodiversité. Il y a donc, dès l’échelle de l’architecture, une logique grandissante d’accueil et de respect du vivant, qui passe d’abord par l’intégration du végétal. Les insectes font partie de cette catégorie du « vivant » puisqu’ils forment souvent avec les plantes un couple interdépendant. Malgré tout, comme explicité précédemment, les insectes font encore partie d’une nature « répulsive » avec laquelle les architectes ne souhaitent pas travailler. De plus, ces petits animaux ont donné lieu à trop peu de travaux en lien avec les sciences sociales et la théorie, alors qu’ils représentent deux tiers des organismes vivants avec près de 1,3 million d’espèces décrites, et autant d’utilités imperceptibles à l’humain. En France métropolitaine, ils représentent 83% des espèces vivantes et interviennent donc à toutes les échelles de l’écosystème. Par le biais de diagnostic entomologique de certaines zones, on peut décrire l’utilité des insectes : ils sont responsables de la pollinisation de plus de 80% des plantes cultivées, ils permettent le recyclage de la matière organique et donc la fertilisation des sols. Certains insectes prédateurs éliminent d’autres insectes vecteurs de maladie. Il s’agit aujourd’hui pour les entomologistes de sensibiliser la population à

12

GARRIC Audrey, site Le monde, Les petites bêtes qui épicent le menu du Festin nu, 12.10.2013. Consulté le : 15.03.2016. Disponible à l’adresse : http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/10/12/les-petites-betesqui-epicent-le-menu-du-festin-nu_3494724_3244.html?xtmc=le_festin_nu&xtcr=10

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Voir par exemple le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, adopté en première lecture à l’Assemblée, le 24 mars 2015. Source: http://www.developpement-durable.gouv.fr/ Le-projet-de-loi-biodiversite-est,46117.

14

GADOUM S. & ROUX-FOUILLET J.-M., Plan national d’actions « France Terre de pollinisateurs » pour la préservation des abeilles et des insectes pollinisateurs sauvages, Office Pour les Insectes et leur Environnement – Ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Énergie, 2016.

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Selon l’Institut national de la recherche agronomique, la valeur pollinisatrice des insectes est estimée à 153 milliards d’euros par an. LÉVEILLÉ Patricia, site de l’Inra, Abeille, pollinisation et biodiversité, 06.02.2013. Consulté le : 05.02.2016. Disponible à l’adresse : http://www.inra.fr/Grand-public/Ressourceset-milieux-naturels/Tous-les-dossiers/Abeilles-pollinisation-biodiversite-pesticides/Abeilles-pollinisation-etbiodiversite.

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Figure 5. CRUIKSHANK George, The British Beehive, Londres, 1840-1867, Illustration. L’illustration représente la société britannique au XIXe s. dans la section d’une ruche de 54 alvéoles sur neuf rangs représentant les classes et les métiers, dans un ordre hiérarchique. La royauté est placée tout en haut avec la couronne au milieu, et l’armée et les bénévoles sont placés aux fondations. La ruche d’abeille est une des métaphores les plus employées de sociétés harmonieuses, ayant inspiré beaucoup d’architectes.


l’importance des insectes. À Paris, l’OPIE (Office Pour les Insectes et de leur Environnement) a pour vocation de protéger les insectes notamment par le biais de campagnes de sensibilisation, comme l’exposition du Palais de la découverte «Les insectes, mi-demons mi-merveilles » (1987) (Fig.4, p.16). Il reste à questionner comment les architectes pourraient s’approprier cette valorisation nécessaire. Problématique On peut imaginer que la valorisation grandissante des insectes, qui passe par leur intégration dans l’espace construit, ait un impact sur la pratique des architectes. Or, les liens possibles entre architecture et insectes semblent encore difficiles à établir explicitement. La valeur de l’insecte est souvent réduite à la fascination qu’il suggère en tant que métaphore ou source d’inspiration, et n’est pas attribué à son statut d’espèce vivante. Nous parlerons ici de l’insecte en tant qu’être vivant, avec lequel nous cohabitons plus ou moins à notre insu. Cet essai a pour vocation de donner une nouvelle place à l’insecte en tant que sujet vivant dans la théorie de l’architecture. Le sujet « L’insecte, habitant de l’architecture » appelle à un effort de connexions entre deux choses très différentes : l’architecture, art de bâtir des humains, et les insectes, ensemble d’animaux invertébrés que l’humain a classifié de manière scientifique. Il est donc impossible de les associer de manière directe et explicite. La question posée est de ce fait assez vaste, afin de nourrir ce champ inexploré de la manière la plus pertinente : Quelles interactions existe-t-il entre architecture et insectes vivants ? Sous quelles formes spatiales s’expriment les différentes cohabitations humain/ insecte ? La cohabitation humain/insecte peut-elle être réinventée par le biais de l’architecture ? Il s’agit de questionner les différentes places que l’humain accorde à l’insecte habitant l’espace anthropisé*, et de mesurer l’impact des différentes formes de cohabitation humain/insecte sur la production spatiale dans une perspective large : de l’objet intégré à l’espace urbain aux interventions territoriales, en passant, bien sûr, par l’échelle architecturale. État de l’art Des liens potentiels entre architecture et insecte sont décrits dans le livre Subnature (2009) de David Gissen cité précédemment, avec le chapitre « Insects16 » d’une dizaine de pages entièrement dédié à cette relation. Ce chapitre est l’amorce d’une recherche avec pour principal sujet le rapport insecte/architecture. L’auteur affirme dans l’introduction être le premier à s’être posé la question de cette relation. En quelques pages, Gissen dresse plus ou moins l’état de l’art de ce sujet. Or il explore principalement l’insecte dans sa dimension métaphorique, à commencer par la ruche d’abeille. Selon l’historien d’architecture Juan Antonio Ramirez, la métaphore de la ruche d’abeille17 a servi d’un pont potentiel entre les insectes, la société et l’architecture. Le livre de Ramirez The Beehive Metaphor18 (2000) trace la genèse de l’architecture moderne au XIXe et XXe siècles à travers la métaphore - aux facettes multiples - de la ruche d’abeille. Il dresse les connexions formelles et idéologiques entre l’apiculture et l’architecture et formule une thèse selon laquelle les fondateurs du mouvement moderne aient été inspirés à la fois par la métaphore sociétale de la ruche et par les développements technologiques des ruches rationnelles au XIXe siècle. Des exemples peuvent

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GISSEN David, « Insects », op.cit., pp. 168-179.

17

RAMIREZ Juan Antonio, The beehive metaphor. From Gaudi to Le Corbusier (tr. ang., A. R. Tulloch), Londres, Reaktion, 2000.

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Ibid.

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Figure 6. MALAGAMBA Duccio, Photographie du projet : Coop.Himmelb(l)au, Rooftop Remodeling Falkestrasse, Vienne, 1983/1988. Le projet « Rooftop Remodeling Falkestrasse » de Coop.Himmelb(l)au est un projet de réaménagement de toiture, représentatif de la métaphore du « bâtimentparasite ». Présenté au MOMA à l’occasion de l’exposition Deconstructivist Architecture (1988), il est commenté par Mark Wigley : « Le projet de remodelage du toit dans cette exposition... est clairement une forme qui a été perturbée par une sorte d’organisme alien, un corps, animal perturbateur perçant le côté. Quelques creux déformés infestent la boîte orthogonale. C’est un monstre squelettique qui cassent les éléments de la forme comme s’il s’en extirpait.» (Traduction personnelle : « The rooftop remodleing project in this exhibition... is clearly a form that has been distorted by some alien organism, a writhing, disruptive animal breaking through the corner. Some twisted counter-relief infects the orthogonal box. It is a skeletal monster which breaks up the elements of the form as it struggles out », FRANZ Schulze, Philip Johnson: Life and Work., 1, Edition. University Of Chicago Press, 1996)


être identifiés dans la pratique d’architectes reconnus tels qu’Antonio Gaudí, Peter Behrens, et Frank Lloyd Wright. Dans leur cas, la métaphore de la ruche est utilisée non seulement comme un modèle idéal formel, mais avant tout comme le symbole d’un pouvoir organisationnel de société harmonieuse (Cf. « The British Beehive », 1867 : Fig.5 p.18). Ramirez fait aussi un rapprochement entre la ruche rationnelle, invention du naturaliste suisse François Huber, et le Panopticon de Jeremy Bentham. La ruche rationnelle ou la « ruche-livre » se déplie en plusieurs compartiments, permettant à l’apiculteur d’extraire le miel de manière inoffensive tout en observant la ruche dans sa totalité. Une autre métaphore apparaît à la fin des années 1970 et au milieu des années 1980 : la métaphore du parasite, invoquant la mouche, le moustique, la tique, la guêpe etc. Elle nourrit la vision du rôle de l’architecte comme agitateur d’une structure sociale acceptée. Comme le décrit Gissen, Marc Wigley transmet quelques aspects de cette métaphore du parasite quand il commente une extension de bâtiment par les architectes Coop Himmelb(l)au (Fig.6), le décrivant comme un « alien ». La métaphore souligne la tension entre un monde existant et une nouvelle architecture dirigée contre ce monde. Le bâtiment-parasite « infeste » la ville existante. Pour Greg Lynn, « le parasite doit configurer la possibilité de sa propre existence »19. Il produit de la stabilité entre lui-même et son hôte. Lynn commente aussi l’inter-échange entre une guêpe et une espèce d’orchidées qui imite la forme de la guêpe femelle pour favoriser sa pollinisation20. Gissen fait également référence à la subjectivité de l’insecte. L’exploration de cette subjectivité pourrait nourrir un nouveau type d’expérience dans lequel les sociétés modernes sont reconsidérées à travers la conscience et le physique d’un insecte imaginaire. Cette subjectivité des insectes est d’abord apparue en littérature. Selon l’historien Cristopher Hollingsworth, la notion de subjectivité humain-insecte21 – qu’il baptise « The Self as Insect » (Le Soi comme insecte) - apparaît plus radicalement dans la courte histoire La Métamorphose (1915) de Franz Kafka où le protagoniste, transformé en insecte, se défait de sa condition sociale. L’imaginaire de l’insecte s’est ainsi déplacé dans la constellation de pratiques et concepts connus en tant qu’architecture expérimentale, apparue à la fin des 1960 et au milieu des années 1970. Cela inclut des concepts tels que « Walking City » de Ron Herron, ou des réalisations plus sombres telles que Heart-City : The White Suit (1967) de Coop Himmelb(l)au, qui explore une architecture de sensations conduite par la technologie, et qui fait appel à l’imaginaire de l’insecte pour lui donner un caractère visuel. Durant les années 1980 et 1990, l’image de l’insecte est utilisée dans le travail expérimental de Coop-Himmelb(l)au et apparaît dans quelques images de Lebbeus Woods et Michael Sorkin. Selon Gissen, la métaphore de l’insecte rivalise de cette manière avec la métaphore de la machine comme la plus évidente « image architecturale avant-gardiste22 ». Plus récemment, le projet contemporain Mosquito Bottleneck par R&Sie(n) Achitects combinent les deux concepts d’organisation des insectes et d’insecte en tant que sujet vivant. Le projet explore le développement d’une maison dans une région de Trinité infestée de moustiques. Au lieu de créer une moustiquaire, les architectes ont imaginé une deuxième peau dans laquelle les moustiques vivants sont amenés de manière plus profonde dans les espaces de la maison. Aussi, David Gissen émet l’hypothèse suivante : si les structures créées par les insectes donnent lieu à des métaphores pour la production spatiale, alors le comportement des insectes et les paramètres de

19

20 21

22

LYNN Greg, « Body Matters » in « The Body », édition spéciale, Journal of Philosophy and Visual Arts, Ed. Andrew Benjamin, 1997, p. 62.

Ibid.

GISSEN David, op.cit.

HOLLINGWORTH Cristopher, Poetics of the Hive. Insect Metaphor in Literature, Iowa City, University of Iowa Press, 2001.

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Figure 7. « The trajectory of the indoor biome in one exemplar area, the island of Manhattan », NESCent Working Group on the Evolutionary Biology of the Built Environment, Evolution of the indoor biome, 2015. Le diagramme présente l’évolution du biome intérieur dans l’aire de l’île de Manhattan, dont la superficie est aujourd’hui estimée à 172 km2 soit près de trois fois plus large, en termes de surface habitable, que l’aire géographique de l’île elle-même. Les chercheurs suggèrent, par le biais de cet exemple, que la majeure partie de la population mondiale pourrait bientôt vivre dans des aires avec plus de surface intérieure construite que de surface au sol, ce qui donne la mesure de l’importance des biomes intérieurs, qui restent encore très peu étudiés.


leur environnement devraient également être source d’inspiration pour la création architecturale. Il s’agirait alors d’une métaphore biomimétique d’analogie de « principe ». Méthodologie et corpus Les éléments présentés dans l’état de l’art viendront nourrir la réflexion de ce mémoire et les mêmes thèmes seront abordés. Toutefois, la recherche présentée souhaite se détacher de l’imaginaire de l’insecte et de sa métaphore pour s’orienter exclusivement sur l’insecte en tant qu’être vivant. L’étude se différencie également par son choix de domaine de recherche. Plutôt que de chercher des éléments de réponse exclusivement dans la production architecturale, on cherchera en premier lieu des indices d’architecture dans des disciplines étrangères, notamment dans celles de l’expertise de l’insecte telles que l’entomologie. La recherche adoptera une classification anthropocentrée selon trois considérations différentes de l’insecte : « nuisible* », « bienfaiteur » et « collaborateur », toujours en rapport à l’humain. On notera que le terme d’ « insecte » sera considéré dans son utilisation « familière », qui inclut les araignées, vers de terre et autres arthropodes ne correspondant pas à la définition biologique de l’insecte. On peut identifier deux types d’espaces anthropisés que l’insecte « habite », qui conduiront le développement de la recherche : les espaces qui résultent de phénomènes incontrôlés et incontrôlables, et les espaces dans lesquels la présence de l’insecte est anticipée. Les espaces dans lesquels la présence de l’insecte est incontrôlée désignent les intérieurs de la majorité des édifices, lieux de situations synanthropiques*. L’insecte y est considéré comme « nuisible » et l’architecture acquiert une fonction non anticipée d’abri de la biodiversité qu’on nommera « sous-architecture ». L’étude de ces situations et de leur éventuel impact architectonique sera développée dans le premier chapitre « “Nuisibles“ et “sous-architecture“ ». La première partie du corpus repose sur l’analyse de manuels scientifiques et technicoréglementaires de la lutte « anti-nuisibles », développés par des professionnels « désinfecteurs » et des organismes de santé environnementale, qui nous informent sur l’influence architectonique des insectes « nuisibles ». Aussi, des études d’ethnoentomologie, étude des relations entre humains et insectes telles que celle menée par Nathalie Blanc « Les blattes dans un quartier d’habitat social de Rennes 23 », servent de pont potentiel entre architecture, humains et insectes. Des études scientifiques récentes, le plus souvent réalisées par des entomologistes, informent également de la présence non anticipée des insectes dans l’architecture. On constatera que les intérieurs des bâtiments constituent autant de « nouveaux » écosystèmes correspondant aux milieux de « nuisibles » et que des chercheurs ont mis en avant l’immensité du « biome des intérieurs », dont la superficie des bâtiments résidentiels et commerciaux est aujourd’hui estimée entre 1,3% et 6% selon les études, et qui reste encore majoritairement inexploré24 (Fig.7). Les espaces dans lesquels la présence de l’insecte est anticipée, et donc implicitement souhaitée, s’inscrivent majoritairement dans le mouvement de revalorisation des insectes évoqué précédemment. Il questionne l’impact de cette valorisation dans l’espace anthropisé et son appropriation par les architectes. Ainsi, les insectes « utiles » seront explorés dans le second chapitre : « Les insectes “bienfaiteurs“ des espaces anthropisés », à travers trois échelles : celle 23

BLANC Nathalie, « Les blattes dans un quartier d’habitat social de Rennes » dans M.C. THOMAS Jacqueline, MOTTE-FLORAC Elisabeth (dir.), Les insectes dans la tradition orale, Louvain, Peeters, 2004.

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NESCent Working Group on the Evolutionary Biology of the Built Environment, « Evolution of the indoor biome », Trends in Ecology and Evolution, n° 30, 2015, pp. 223-232. Consulté le : 25.05.2016. Disponible à l’adresse : http://ljanemartin.com/pdfs/Martin%20et%20al.%202015%20TREE.pdf.

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Figure 8. Terreform ONE, Cricket Shelter:Modular Edible Insect Farm, 2016. Photographie. Le « Cricket Shelter » est un prototype de ferme à criquets comestibles conçu par le groupe d’architecture Terreform ONE, qui a ouvert à New York en 2016. Il s’agit d’un exemple dans lequel la valeur - ici nutritive des insectes est explorée et appropriée par des architectes. Elle est commentée parmi les « Infrastructures d’élevages » présentées dans la partie : « 2.3 - Intégration des insectes “bienfaiteurs“ à l’architecture » p. 116.


de l’objet architecturé incarné par la ruche, de plus en plus urbaine, celle du territoire à travers des dispositifs d’aménagement dits « entomophiles » réparateurs et générateurs de territoire - dans des hôtels à insectes par exemple, et enfin celle de l’architecture, avec plusieurs exemples de murs « entomophiles* », d’infrastructures d’élevage (ver à soie) et de fermes urbaines plus récentes (ferme à criquets, Fig.8). On notera ensuite que cette valorisation accorde un nouveau statut à l’insecte, en tant que sujet vivant ayant une valeur intrinsèque d’existence, qui est susceptible de redéfinir le rapport de l’humain aux non-humains. L’empathie déployée envers cet « insecte-sujet », qu’on identifiera en tant qu’ « entomo-empathie* » est génératrice d’expériences spatiales nouvelles qui seront explicitées dans le troisième et dernier chapitre : « L’insecte “collaborateur“ et le potentiel spatial de l’“entomo-empathie“ ». Le corpus de cette troisième partie reposera à la fois sur des ouvrages d’éthique environnementale ayant contribué à la définition de la « bio-empathie* », puis sur des exemples d’architecture : musées de l’insecte, architecture biomimétique, installations artistiques et ouvrages de micro-architectures, dans lesquels la perception du monde des insectes est mise en scène par leur présence. Enfin, ce chapitre explorera l’hypothèse d’une architecture « biocentrique », possible alternative à la dichotomie nature/culture au sein de la discipline de l’architecture intrinsèquement « anthropocentrique ».

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I – « Nuisibles » et « sous-architecture » Ce premier chapitre présente un « diagnostic » des effets de la présence non-anticipée d’insectes dans les bâtiments. Il décrit les rapports que l’humain entretient, à son insu, avec les insectes au sein de l’architecture. Il tente d’introduire une compréhension de l’impact néfaste qu’ont les insectes sur l’humain et ses constructions, et de faire état des solutions architectoniques disponibles pour y remédier. Les questions soulevées par la présence non-anticipée d’insectes « nuisibles25 » sont d’abord d’ordre pratique (quelles méthodes/pratiques pour faire face à l’invasion de « nuisibles » ?), mais également d’ordre social, puisqu’elles sont intrinsèquement liées aux représentations et à la perception des insectes dans l’architecture. Celles-ci relèvent d’un rapport plus vaste humain/ insecte, nourries par des disciplines telles que l’ethnoentomologie26. L’utilisation du terme de « nuisibles » suggère l’interaction d’un sujet (l’insecte) qui nuit à un autre sujet (l’humain) ou à un objet (l’architecture). La première partie permet de définir ce qu’est un « nuisible », en tenant compte de l’origine de l’appellation et de ses limites, à travers l’histoire de la lutte antiparasitaire* issue de l’agriculture. Elle présente ensuite les différentes solutions architectoniques qui permettent de contrer la présence de ces « nuisibles », dont la pertinence est démontrée à travers des guides très récents de prévention adressés directement aux architectes. La seconde partie porte sur les enjeux des représentations sociales véhiculées par les insectes dans l’architecture, qui participent d’autant plus à cette définition subjective des insectes en tant que « nuisibles ». La troisième partie introduit la notion d’entomologie* des intérieurs. On constatera notamment que les entomologistes ont déjà - très récemment - investi le champ de l’architecture et ont émis l’hypothèse d’un insecte « bénin » voire « bénéfique » au sein de l’habitat, concept qui pourrait changer fondamentalement nos rapports aux insectes dans les intérieurs. Enfin, la quatrième partie conclut le chapitre en introduisant la notion théorique de « sous-architecture ». Celle-ci émerge à partir des constats émis dans les parties précédentes, et se définit à travers l’existence même de ces « nuisibles » et des nouveaux usages qu’ils trouvent dans une partie de l’architecture non-théorisée, comme un milieu de vie idéal. 25

L’emploi systématique de guillemets pour le terme « nuisibles » suggère que la définition est relative à un contexte et à la perception du sujet. Le terme désigne ce qui nuit à l’architecture et à l’humain, il est donc anthropocentré et son utilisation est subjective.

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L’ethnoentomologie est la science des interrelations fonctionnelles entre les sociétés humaines et le monde des insectes (Porteres, 1971).

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Figure 9. « Poutres structurelles ravagées par les termites », photographie de WATISSÉ Pauline, Paris, juillet 2016. Photographie prise sur le chantier d’une maison parisienne dont les poutres structurelles ont été entièrement attaquées par les termites. À Paris, l’auteure note que la plupart des bâtiments qui datent du milieu du XIXeme siècle ont une structure en bois, dont le mur d’échiffre qui est le mur porteur. D’autres éléments en bois non négligables tels que le mur de refend ou la cage d’escalier sont soumis au risque d’invasion des termites.


1.1 - Influence architectonique de la lutte anti-nuisibles 1.1.1 – Notion de « nuisible » Origine de l’appellation Les insectes « nuisibles » regroupent toutes les espèces indésirables à l’humain. Ils désignent à la fois les insectes ravageurs, qui détruisent les biens de l’humain (par exemples les insectes xylophages qui se nourrissent du bois des constructions (Fig.9), ou ceux qui se nourrissent des cultures, des provisions et des vêtements) les insectes piqueurs ou parasites de l’humain (qui possèdent un organe piqueur pour aspirer le sang), qui sont également vecteurs de maladie comme les moustiques. On compte également parmi ces « nuisibles » les insectes rampants ou volants dont la présence est dérangeante sans altérer directement le bien-être de l’humain, comme la mouche. Leur définition, puisqu’elle est relative à ce qu’ils nuisent, varie selon le contexte (ville/campagne; sociétés contemporaines/traditionnelles). Elle se révèle à travers l’histoire du « Pest management27 », né de la gestion des insectes ravageurs de l’agriculture. Ce « Pest management » ou « Pest control » s’est défini au cours du dernier siècle parallèlement au développement de la monoculture de masse et de l’urbanisation. D’un côté, la monoculture a déséquilibré le contrôle naturel du nombre d’espèces. Elle favorise le développement d’insectes ravageurs qui se nourrissent d’une plantation donnée - et qui envahissent donc cette culture - sans pour autant favoriser le développement d’insectes auxiliaires qui tuent les insectes ravageurs. Le recours systématique au contrôle chimique (incité par les sociétés de pesticides et l’industrie agroalimentaire) a été favorisé depuis plus d’un siècle face au contrôle biologique. Son inefficacité a pourtant été constatée depuis plusieurs dizaines d’années par les écologistes28, les insectes développant une immunité contre les pesticides et ces pesticides décimant les prédateurs naturels des insectes. Ainsi le « Pest management » en luttant contre les insectes ravageurs, nous informe de la première définition de l’insecte « nuisible ». L’urbanisation est productrice de situations synanthropiques* qui favorisent également le développement de sociétés de « Pest control » et qui informent d’un autre type de « nuisibles ». Constat sociologique : ethnoentomologie L’ethnoentomologie, nom dérivé de l’ethnologie et de l’entomologie, permet d’étudier les interrelations entre humains et insectes, notamment les représentations que l’humain a de l’insecte. Cette vision anthropocentrée confirme la perception des insectes comme « nuisibles ». En ville, l’insecte est considéré comme un mutant. La ville n’est pas considérée comme un milieu de vie pour d’autres animaux que ceux, désirés (Blanc, 2000). Ainsi, l’insecte en ville est d’autant plus indésirable qu’à la campagne. Dans une étude menée par Nathalie Blanc intitulée « Les blattes

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« Pest management », traduit par « lutte antiparasitaire » ou « gestion des parasites », désigne toutes les méthodes de contrôle du nombre d’espèces « nuisibles ».

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L’entomologiste Robert Van Den Bosch dénonce les dangers de l’utilisation massive de pesticides dans son livre The Pesticide Conspiracy (Berkeley, University of California Press, 1978), dans la lignée de Silent Spring (Boston, Houghton Mifflin Harcourt, 1962) de Rachel Carson.

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Figure 10. « Visitez la maison avec votre souris, chaque nuisible apparait dans sa zone de vie, cliquez sur le point jaune pour consulter la fiche technique » A+A désinfection, site web, Capture d’écran d’une carte virtuelle des nuisibles de la maison, 2015. La carte virtuelle et interactive, disponible sur le site web de la société de désinfection A+A (Suisse), permet aux potentiels visiteurs de découvrir de manière ludique tous les « nuisibles » domestiques, insectes et petits rongeurs. En cliquant sur le point correspondant à chaque endroit soumis à un risque d’invasion de la maison, une photographie de « nuisible » apparaît avec sa fiche descriptive. On notera qu’il s’agit d’une représentation caricaturale et simpliste d’un type de maison, inaptée aux autres types d’habitats. Néanmoins, elle cartographie les principales « zones de vie » possibles des « nuisibles ».


dans un quartier d’habitat social de Rennes29 », un fils d’agriculteur exprime cette pensée : « Ici, on tombe dans du béton, on comprend mal ce que les cafards foutent, ce n’est pas un gardemanger ! (...) Les bêtes à la campagne, surtout sans confort, c’est tolérable, tandis que, maintenant avec des portes qui ferment bien, rien ne doit passer théoriquement… »

Les citadins associent la présence de la blatte en ville à la dégradation du milieu urbain où ne vivent que des animaux « dénaturés » loin des lieux qui les ont vu naître30. Pourtant, les villes et les bâtiments constituent de nouveaux abris pour la biodiversité. Parallèlement à l’éthologie urbaine, de nouvelles disciplines comme l’entomologie urbaine (Ebeling, 1975; Robinson, 1986) apparaissent depuis la deuxième moitié du XXe siècle, dans un contexte de protection de l’hygiène et de la santé publique. Ainsi, une autre définition ou une définition complémentaire des « nuisibles » s’exprime à travers les sociétés de désinsectisation et à travers de nouvelles disciplines scientifiques venant nourrir cette gestion des parasites en milieu urbain, dans le but d’expliquer et de contrôler la présence de ces « nuisibles » en ville. Désinfection À l’échelle de l’architecture, les « nuisibles » regroupent tous les animaux synantropiques, qui s’infiltrent dans les bâtiments sans que leur présence soit désirée : arthropodes*, rongeurs, oiseaux etc. La liste des arthropodes est difficilement réalisable car bien trop vaste. De plus, encore beaucoup d’arthropodes restent inconnus, même des spécialistes. Malgré tout, les sociétés de désinfection rendent disponibles un certain nombre d’informations concernant les « nuisibles ». Par exemple, la société « A+A désinfection » (près de Genève) décrit son champ d’intervention sous le slogan « Désinfection, Désinsectisation, Dératisation ». Sur son site web31, comme sur beaucoup d’autres plateformes de sociétés de désinfection, on trouve un chapitre éducatif réservé à la description des ­« Nuisibles » au sein de la maison. Une carte interactive de la maison (Fig.10) dresse un portrait des « nuisibles » potentiels de la maison en les décrivant un par un. Cette carte est bien sûr relative à la zone d’intervention de la société de désinfection. Certaines zones dites « infectées » sont plus sujettes à l’invasion d’insectes, et certains climats sont plus propices à la prolifération de ceux-ci. La fonction du bâtiment rentre également en jeu : alors qu’un restaurant sera plus soumis à la présence indésirable de blattes (attirées par la forte quantité de nourriture et de déchets), un vieux bâtiment avec une charpente en bois attirera des insectes xylophages* comme les termites. La présence des « nuisibles », mis à part la dégradation directe qu’elle engendre sur les bâtiments et sur le bien-être physique et moral des humains, a également une influence à plus grande échelle: sur le marché de l’immobilier, sur les professions de contrôle technique et de lutte antiparasitaire, et chez les professionnels du bâtiment comme les architectes. Des législations réglementaires les concernant ont été entreprises spécifiquement. Elles visent par exemple à protéger les acquéreurs lors de la vente d’un logement. Depuis 2007 en France, une législation32 du code de la construction

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BLANC Nathalie, « Les blattes dans un quartier d’habitat social de Rennes » dans M.C. THOMAS Jacqueline, MOTTE-FLORAC Elisabeth (dir.), Les insectes dans la tradition orale, Louvain, Peeters, 2004.

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32

Ibid.

Site web « A+A désinfection ». Consulté le 14.12.2015. Disponible à l’adresse : http://www.aa-desinfection. ch/.

Code de la construction et de l’habitation (article L 133-1 à 6, article L 271-4 à 6, article 133-1 à 8, article R 271-1 à 5).

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et de l’habitation impose au vendeur de fournir un état parasitaire (faisant état de la présence ou de l’absence d’insectes dans un bâtiment) avec le diagnostic technique (DDT) dans les zones contaminées, sous peine d’amende. Les organismes de santé environnementale soulignent qu’une réglementation vis-à-vis des « nuisibles » est encore à perfectionner et qu’il faut favoriser une législation novatrice. Parallèlement à ces législations, des pratiques technico-réglementaires ont un impact éventuel sur l’architecture. Cela dit, l’influence architectonique des « nuisibles » ne semble pas avoir été formulée; et il reste à comprendre et définir son ampleur et ses limites. Limite scientifique : du nuisible à l’utile La notion de « nuisible », vision sociologique, est subjective et anthropocentrée. Elle trouve ses limites dans l’approche scientifique de l’insecte. L’écologie des insectes considérés comme « nuisibles » montre qu’ils ont une utilité biologique à l’échelle plus vaste des écosystèmes dans lesquels ils s’inscrivent. Cette utilité est souvent imperceptible. Ainsi, on constate une dualité entre visions anthropocentrique* et biocentrique*, qui dessine la limite entre les considérations de « nuisible » et d’« utile ». L’article « Ce que le moustique nous apprend sur le dualisme anthropocentrisme/biocentrisme : perspective interdisciplinaire sociologie/biologie33 » (2009) croise les disciplines de la sociologie et de la biologie afin d’étudier la cohabitation des moustiques et des humains dans le delta du Rhône et les vallées alpines. L’exemple du moustique, ou Culicidé, est parlant puisqu’il s’agit d’un insecte piqueur qui trouve en l’être humain un hôte idéal. En résultent des représentations et des pratiques sociales spécifiques liées à cet être vivant, qui cause une nuisance physique, sanitaire et morale à l’humain. L’analyse démontre que, malgré l’héritage anthropocentrique de nos sociétés, les récentes évolutions des discours et des pratiques vis-à-vis du moustique tendent vers un référentiel biocentrique. Ce changement de perspective s’articule dans les savoirs scientifiques et vernaculaires, les préoccupations environnementales, sanitaires et socio-économiques. L’étude permet la compréhension de la biologie du moustique en rapport avec son territoire, et les interrelations sociales qui y sont liées. Elle montre les persistances anthropocentriques et dresse les référentiels biocentriques en développement. Dans les zones alpines et en Camargue, dès le début des années 60, les Ententes interdépartementales de démoustication (EID) sont créées pour effectuer la démoustification des zones à vocation touristique et résidentielle. Ces politiques de démoustication sont des politiques d’aménagement du territoire34. Le moustique, inféodé aux zones humides caractéristiques de la Camargue, partage l’histoire de ces milieux35. Ils sont associés jusqu’au début du XXe siècle à la puanteur et aux maladies (Bata et al. , 2002 ; Corbin, 1986). Les marais sont aujourd’hui considérés comme des espaces « naturels » et sauvages qu’il faut protéger36. D’un point de vue écosystémique, les zones

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CLAEYS Cécilia, SERANDOUR Julien, « Ce que le moustique nous apprend sur le dualisme anthropocentrisme/biocentrisme : perspective interdisciplinaire sociologie/biologie », Natures Sciences Sociétés, n°17, 2ème quadrimestre 2009, pp. 136-144.

34

Ibid.

35

Ibid.

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Ce que stipule la convention de Ramsar adoptée dès 1971, traité intergouvernemental rejoint par la France en 1986.

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Figure 11. « Les effets territoriaux, cognitifs (sentiment de gêne) et démographiques (âge) sur la qualification du moustique : utile/ nuisible » CLAEYS Cécilia, SERANDOUR Julien, 2009, diagramme. Le diagramme nous informe des résultats de questionnaires (2001-2002) ayant été menés auprès des habitants des régions de Camargue et Rhône-Alpes. Les deux questions posées étaient : « Estimez-vous que le moustique est un insecte nuisible ? » et « Selon vous, le moustique a-t-il une utilité ? ». On notera que la majorité de l’échantillon ont répondu positivement aux deux questions. Les auteurs de l’enquête identifient ainsi l’émergence de la figure paradoxale du moustique « utile/ nuisible ».


humides sont des réserves de biodiversité, elles deviennent peu à peu culturellement désirables37 (Bata et al. , 2002), et avec elles le moustique qui y est associé. Associé à la nature qu’il faut protéger et à l’équilibre écologique, le moustique passe du nuisible à l’utile. De plus, par l’inconfort qu’il procure, il protège les Camarguais d’un envahissement touristique et immobilier. Enfin, il a aussi un statut de marqueur identitaire, un « vrai Camarguais » se devant de ne pas « craindre les moustiques » (Claeys-Mekdade, 2000 ; Claeys-Mekdade et Morales, 2002 ; Claeys-Mekdade et Nicolas, 2002). Lors de questionnaires effectués entre 1995 et 2006, deux questions étaient posées : « Estimez-vous que le moustique est un insecte nuisible ? » et « Selon vous, le moustique a-t-il une utilité ? ». Les proportions proches entre les personnes considérant le moustique comme nuisible et celles le qualifiant d’utile, avec 58% et 61% de l’ensemble de l’échantillon (Fig.11). L’étude remarque aussi l’émergence de la figure paradoxale du moustique « utile/nuisible » auquel on associe les deux qualificatifs. Ce paradoxe trace notamment la limite scientifique du terme de « nuisible ».

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Ibid.


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36

Figure 12. SF Environment, Pest Prevention by design, Couverture du guide, 2012. Couverture du guide « Prévention antinuisibles par la conception » qui présente les directives pour concevoir des dispositifs structurels et architecturaux qui permettent de prévenir l’invasion de nuisibles. Il est présenté comme l’un des premiers guides adressés directement aux architectes et autres concepteurs.


1.1.2 – Du traitement à la prévention L’infestation de « nuisibles » dans les bâtiments amène à l’établissement de méthodes de prévention, de surveillance et de traitements, adressées aux professionnels de la construction ou aux usagers, par le biais de différentes plateformes. Tandis que les sociétés de désinfection voient leur champ d’action concentré sur « l’après », la « post-construction » infectée, offrant aux problèmes des « nuisibles » un panel de solutions et de méthodes de surveillance et de traitement, des organismes en lien avec la santé publique et environnementale fournissent des guides d’information et de pratiques concernant la prévention, notamment dans la conception des bâtiments. On constate néanmoins que les solutions préventives sont rarement incluses de manière significative à l’étape de conception des bâtiments. Ces techniques de prévention sont aujourd’hui dispersées à travers la littérature scientifique38. On trouve également beaucoup d’autres techniques - le plus souvent basées sur une expertise établie après des années de pratique ou sur des « évidences anecdotiques » - dans les journaux de l’industrie de « Pest Control », dans des manuels et dans divers guides établis par des organismes publics. Ainsi, l’influence architectonique pré- ou post-infestation est identifiable à travers des dispositifs législatifs réglementaires du code de la construction et de l’habitation, à travers des plateformes informatives ou éducatives développées par des sociétés antiparasitaires, et à travers des guides de prévention établis par des organismes de santé publique et environnementale d’autorité locale. Cette partie s’intéresse aux tactiques préventives à l’étape de la conception, ayant un impact sur l’architecture. Des directions pour la conception ont été centralisées très récemment dans des guides pratiques en libre accès sur les plateformes internet de plusieurs organismes publics. En s’adressant directement aux professionnels du bâtiment, ils redéfinissent la responsabilité des concepteurs et mettent en évidence l’influence architectonique de la lutte « anti-nuisibles ». A titre d’exemples significatifs, trois guides ont été choisis. Le premier s’intitule « Prévention contre les termites à l’interface sol-bâti39 ». Il s’agit d’un guide réglementaire développé en France par le Ministère de l’Egalité des Territoires et du Logement et le Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie, suite à la réglementation effective le 1er novembre 2007, qui impose de nouvelles mesures pour protéger les constructions neuves contre les risques d’infestation par les termites souterrains. Le deuxième exemple « Pest Minimisation. Best practices for the construction industry40 » (Minimisation des nuisibles. Meilleures pratiques pour l’industrie de la construction) a été développé par le Chartered Institute of Environmental Health de Londres, à l’issue des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2012. Enfin, le dernier guide « Pest prevention by design41 » (Prévention anti-nuisibles par la conception) a été développé au cours de l’année 2012 par le Department of the Environment de San Francisco (Fig. 12). 38

39

Le document « Pest prevention by design » du SF Departmental of the Environment établit une liste : Ebeling, 1978; Mallis, 1997; Smith and Whitman, 2007; Lewis, 1997, 2003; Global Termite Expert Group for the United Nations Environmental Programs; Pratt, 1949; Frantz, 1988; Scott, 1991.

Ministère de l’Egalité des Territoires et du Logement et le Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie (France), Prévention contre les termites à l’interface sol-bâti, 2013. Consulté le : 05.04.2016. Disponible à l’adresse : http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/DGALN_guide_ prevention_termite_janvier_2013.pdf.

40

London Chartered Institute of Environmental Health, Pest Minimisation. Best practices for the construction industry, 2012. Consulté le : 05.04.2016. Disponible à l’adresse : http://www.urbanpestsbook.com/ downloads/Best_practice_for_the_construction_industry.pdf.

41

San Francisco Department of the Environment, Pest prevention by design. Authoritative guidelines for designing pests out of structures, 2012. Consulté le 05.04.16. Disponible à l’adresse : http://sfenvironment. org/sites/default/files/fliers/files/final_ppbd_guidelines_12-5-12.pdf

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L’insecte, habitant de l’architecture Présence incontrôlée ou anticipée

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1.1.3 - Responsabilisation des architectes Les spécialistes de santé environnementale prennent peu à peu conscience que le problème des « nuisibles » a pu être abordé dans la mauvaise direction. L’invasion des « nuisibles » a été considérée comme une fatalité, due aux mauvaises conditions et au mauvais entretien d’un bâtiment, ou aux mauvaises pratiques des habitants et des usagers. La réponse à cette infestation a souvent été de l’ordre du traitement plus que de la prévention. L’impact des éléments d’architecture sur ces infestations semble avoir été sous-estimé. Des pratiques de conception préventives existent mais sont difficilement accessibles aux acteurs de la construction. Aujourd’hui, une part de la responsabilité est mise entre les mains des architectes, concepteurs et autres décideurs ayant un impact sur la conception des bâtiments. Comme les intervenants du guide « Pest minimisation. Best practices for the construction industry » le soulignent : « Il est nécessaire que les urbanistes, les architectes et les constructeurs reconnaissent et minimisent les risques d’infestation de nuisibles et de transmission de maladie dans leurs nouveaux projets et qu’ils s’assurent qu’ils ne créent pas de conditions qui encouragent l’infestation de nuisibles42. » ; « Les architectes et les concepteurs de bâtiment doivent reconnaître et tenir compte des enjeux de la lutte antiparasitaire dans la conception de leurs projets et obtenir un avis professionnel sur ces enjeux autant que nécessaire43. » De nouvelles pratiques de travail sont établies dans ce guide pour rendre l’intervention des acteurs de la minimisation des « nuisibles » plus efficace. Elles ont une portée sur les méthodes de collaboration entre les architectes et les désinfecteurs, sur la mise en place de nouveaux outils de communication entre les acteurs, et sur une centralisation du savoir à établir. Elles intègrent les professionnels de « Pest control » au cœur du projet d’architecture et à toutes les étapes de chantier (nouvelle construction, rénovation, ou démolition). Cela concerne notamment la maîtrise des pesticides, qui n’est autorisée que par les spécialistes, qui a notamment un risque d’impact sur la santé des travailleurs du chantier et sur les futurs habitants : « Il est particulièrement important que toutes les recommandations du contracteur (désinfecteur) soient discutées et intégrées de manière appropriée44. » ; « Le contrôleur de nuisibles doit être tenu informé à l’avance de tous les changements du site de chantier, comme des démolitions ou des finitions, afin que tout les points de pesticide puissent être retirés si nécessaire45. » Ces nouvelles pratiques incluent également la planification et l’archivage de la gestion de ces parasites - inspections, notifications, utilisation de pesticides - au vu de l’établissement d’une expertise nouvelle sur le comportement des « nuisibles », afin de centraliser le savoir : « La gestion

42

Traduction personnelle, texte issu de « Pest minimisation. Best practices for the construction indutry »: « There is a real need for planners, architects and builders to recognise and minimise the risks of pest infestation and disease transmission within new developments and to ensure that they do not createconditions that encourage and support pest infestation. »

43

Traduction personnelle, texte issu de « Pest minismisation. Best practices for the construction industry » : « Architects and building designers are expected to recognise and take into account pest minimisation and management issues in the design of their projects and to obtain professional advice on these issues as necessary. »

44

Traduction personnelle, texte issu de « Pest minismisation. Best practices for the construction industry » : « It is particularly important that any recommendations made by the contractor should be discussed and implemented as appropriate. »

45

Traduction personnelle, texte issu de « Pest minimisation. Best practices for the construction indutry » : « The pest controller should be given advance notice of any changes to the site, such as demolition or completion, so that any pesticide bait points can be removed if necessary. »

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L’insecte, habitant de l’architecture Présence incontrôlée ou anticipée

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Figure 13. SF Environment, Pest Prevention by design, Présentation du comité de conseil technique du guide (annotation personnelle), 2012, p.3. On compte trois architectes dans le comité de conseil technique du guide « Prévention anti-nuisibles par la conception ». Leur présence au sein de la réflexion montre l’appropriation possible de la lutte anti-nuisibles par la profession, et la pertinence de considérer l’impact des éléments d’architecture sur l’infestation des nuisibles. Il témoigne de la nécessité de responsabiliser la profession à cet enjeu.


des nuisibles doit être planifiée et documentée. Cela inclut l’utilisation de plans/dessins. Le positionnement des services de gestion requiert une expérience et un savoir sur le comportement des nuisibles46. » Le document « Pest control by design » a été développé par le « Department of Environmental Health » de San Francisco et par l’association « International Code Council47 ». Son élaboration a été conduite par un « comité de conseil technique » (Technical Advisory Comittee) pluridisciplinaire composé de vingt-huit intervenants (Fig.13). Trois architectes font partie de ce comité (contre, par exemple, cinq acteurs de l’industrie de « Pest control »). Leur présence au sein du comité démontre une influence nouvelle des architectes dans les solutions de prévention et de gestion des « nuisibles ». En consultant des professionnels de l’architecture dans la réflexion sur le problème des « nuisibles », le rôle et la responsabilité de l’architecte sont renouvelés de manière significative. Enfin, l’intervention d’acteurs aux compétences diverses montre que les problèmes des « nuisibles », en lien avec la santé environnementale, participe au croisement des compétences et à la collaboration interdisciplinaire, œuvrant à la mise en place d’une nouvelle expertise pluridisciplinaire, qui aborde les questions des « nuisibles » sous un nouvel angle. Aujourd’hui, on constate que les solutions novatrices sont difficiles à entreprendre à cause de l’insularité des différentes industries liées au problème des « nuisibles » : « La nature insulaire des industries de l’architecture, de la construction, de gestion des bâtiments et de “Pest control” font obstacle au progrès. (...) Les informations disponibles ne sont pas diffusées auprès de ceux qui le requiert le plus : les architectes, les ingénieurs et les concepteurs de l’environnement construit48. » Le guide « Pest prevention by design » a fait appel à une collaboration temporaire qui réunit les différents acteurs de la construction, de l’industrie de « Pest control », les acteurs académiques et chercheurs avec les pouvoirs publics. Elle offre un modèle pour lier les différents acteurs et centraliser le savoir dans le futur, et potentiellement dans d’autres contextes.

1.1.4 - La prévention dans l’étape de conception Comme dit précédemment, les méthodes préventives à l’étape de conception sont difficilement diffusées auprès des professionnels de la construction. Il existe une idée d’« éducation » dans la conception. Comme l’indique Ben Campkin, l’expert dans la construction sanitaire de bâtiment Ernest Blake publie en 1926 un guide pratique pour lutter contre les invasions de parasites à Londres. Les guides, très récents (2012 et 2013), qui ont été choisis comme exemples ont en commun le fait qu’ils réunissent les méthodes les plus pertinentes pour la conception architecturale et s’adressent directement aux architectes. Le guide « Prévention contre les termites à l’interface sol-bâti » décrit son objectif ainsi: « Ce guide 46

Traduction personnelle, texte issu de « Pest minimisation. Best practices for the construction indutry » : « Pest monitoring should be planned and documented. This will include the use of site plans/drawings. The placing of monitoring devices needs experience and knowledge of pest behaviour. »

47

« International Code Council » est une association qui a pour but d’aider la communauté de sécurité du bâtiment et l’industrie de la construction à fournir des constructions sécurisées, durables et accessibles à travers le développement de codes et de standards utilisés dans les processus de conception, de construction.

48

Traduction personnelle, texte issu de « Pest prevention by design » : « The specialized and often insular nature of the architectural, construction, facility management, and pest control industries further obstructs progress. What information is available is not targeted for those who need it most: The architects, engineers and builders who actually create the built environment. ».

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L’insecte, habitant de l’architecture Présence incontrôlée ou anticipée

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Figure 14. SF Environment, Pest Prevention by design, Sommaire du guide, 2012, p.5. On peut constater que le sommaire du guide est entièrement destiné aux concepteurs de bâtiments. En effet, il est constitué exclusivement autour d’éléments emblématiques d’architectures tels que les fondations, la toiture, les murs, fenêtres, et planchers, ainsi que les pièces représentatives de la maison. On notera aussi que des « principes » de conception sont mis à disposition, tels que les « Principes généraux » qui introduisent le guide, et les principes de « Réutilisation et recyclage » à la fin.


a pour objectif de fournir des éléments de conception, dans le cadre de l’utilisation des règles de l’art pour la construction des bâtiments, pour la protection de l’interface sol-bâti contre les termites.» Tandis que le guide « Pest prevention by design » (2012) se décrit comme le premier guide sur les méthodes de conception préventives: « Cette publication s’adresse aux architectes, ingénieurs et constructeurs qui souhaitent amener le bâtiment “durable” à l’étape supérieure (...). Nous avons entrepris ce projet pour combler un vide dans le monde du “Pest management”: A notre connaissance, il n’existe pas d’autres guides sur les méthodes de conception préventive aux nuisibles49. » Des « design » relativement simples peuvent réduire de manière conséquente les coûts de contrôle des « nuisibles » dans les bâtiments, et en même temps réduire l’impact environnemental de l’utilisation de pesticides. Le guide « Pest prevention by design » établit une liste50 de principes généraux à respecter :

1) Comprendre la menace locale des nuisibles 2) Analyser le contexte physique et la situation du bâtiment 3) Concevoir selon le niveau de tolérance de nuisible nécessaire 4) Utiliser des matériaux « anti-nuisibles » durables 5) Concevoir pour faciliter l’inspection 6) Minimiser les moisissures 7) Sceller les ouvertures 8) Eliminer les refuges potentiels 9) Concevoir des fondations et planchers qui minimisent l’entrée de nuisibles 10) Concevoir des bâtiments peu attractifs aux nuisibles.

Il est intéressant de lire attentivement les sommaires des différents guides, car ils introduisent des éléments et des dispositifs d’architecture très spécifiques, avec un vocabulaire propre à la lutte antiparasitaire et aux bâtiments, vocabulaire à la fois architectural et technico-réglementaire. Le sommaire du guide « Pest Prevention by design » (Fig.14) évolue au sein de l’architecture par des éléments qui constituent le bâtiment. Le guide commence par les fondations, puis s’intéresse à l’extérieur du bâtiment en trois chapitres (revêtement, lumière et « divers »), au toit, puis au « paysage ». On passe du « paysage » directement aux murs intérieurs, aux sols, aux portes et aux fenêtres. Enfin, le guide « entre » dans l’architecture de manière moins technique mais plus fonctionnelle, en considérant les fonctions des différentes pièces et leurs usages: « Chambres », « Salles-de-bain », « Cuisines » constituent les derniers chapitres. De manière générale, le guide prescrit des matériaux et des types de joints pour éviter les vides, les craquelures et les déformations. Pour l’extérieur, il entre dans des détails qui ne sont pas toujours considérés dans la pratique architecturale : intensité et couleur de lumière extérieure, maintien de l’eau de pluie et des plantes à l’extérieur des murs etc. A l’intérieur, on prescrit des panneaux de base sur les murs pour réduire la circulation et les passages de « nuisibles ». Les planchers doivent être durables, non-absorbants, sans crevasses et capables d’être nettoyés de manière effective. Les projections de fenêtres sont préférablement 49

Traduction personnelle, texte issu de « Pest prevention by design » : « This publication is intended for architects, engineers and builders who wish to take green building to the next level, but can be used by anyone who wishes to incorporate well-informed design choices into the design and retrofit of buildings. We undertook the project to fill a glaring gap in the pest management world: To our knowledge, no other comprehensive guidelines on pest preventive design tactics exist. »

50

Traduction personnelle, texte issu de « Pest prevention by design » du SF Department of the Environment.

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Figure 15. Ministère responsable du Logement et Ministère responsable de l’Écologie, Cheminement potentiel des termites (Traversées Gaine/Fourreau; Joint d’isolement; joint traversant), 2013, schémas. Le guide « Prévention contre les termites à l’interface sol-bâti » indique que « la traversée des ouvrages de soubassement, planchers et dalles, pour le passage des fluides, des gaines électriques et autres fourreaux, est susceptible de laisser un espace suffisant pour le cheminement des insectes entre les gaines ou les tuyaux et la paroi du dallage percé.». Aussi, des passages et des entrées qui ne sont pas conventionnelles dans la représentation architecturale ont été dessinées pour repérer le cheminement potentiel des termites, empruntant un langage schématique de détail technique en coupe.


penchées à 45 degrés, et des coupe-froids sont recommandés. Dans les chambres, on préfère un mobilier en métal, séparé des murs et du sol, au mobilier intégré qui favorise les punaises de lit. Dans la cuisine, il faut favoriser les joints courbés, les cabinets avec des parois plates et lisses. Si possible, les espaces de préparation de la nourriture doivent être sur des îlots et non collés aux murs. Des dosserets de cuisine en acier inoxydable sont recommandés derrière les éviers. Les déchets et les aires de recyclages doivent être situés idéalement loin des entrées. Des dessins d’architecture sont aussi introduits dans le guide. Des ébauches de « détails constructifs » - qui incluent les insectes - sont schématisées. Par exemple, la traversée du bâtiment par les termites est représentée dans le guide « Prévention contre les termites à l’interface sol-bâti » (Fig.15) Ils sont décrits comme des « zones sensibles » ou des « points singuliers » : « 1) interface sol/bâti; 2) joints entre matériaux; 3) la traversée des ouvrages pour le passage de fluide, de gaines électriques etc.; 4) isolation thermique par l’extérieur; 5) seuils de porte d’entrée et porte fenêtre ». Des détails constructifs précis sont fournis dans le guide « Pest prevention by design » pour des interfaces architecturales spécifiques (Fig.16, p.46). Les guides de prévention, nouvel outil pour les concepteurs Il semble que l’établissement de guides de prévention antiparasitaire adressés aux architectes (ici par les autorités locales) soit relativement récent. Leur portée reste malgré tout restreinte à un type de construction et à une zone définie. De plus, ils établissent souvent des principes très généraux afin que ceux-ci puissent être appliqués à un maximum de constructions. Cependant, ces guides soulignent la nécessité d’une expertise et d’un savoir nouveaux à nourrir, à archiver et à transmettre. Ils sont accessibles à tous sur des plateformes libres d’accès, et se définissent à titre informatif et non comme des obligations. Ils semblent se placer au début d’une lignée de guides semblables et plus spécifiques, et sont prêts à être complétés et affinés. Ils soulignent la nécessité pour les architectes, urbanistes et constructeurs de tenir compte de cette expertise de contrôle des « nuisibles », dans les risques d’infestation, mais également sur le posttraitement, pour la santé des travailleurs des sites de constructions et des usagers des bâtiments. Enfin, la partie de conception reste très pratique et relativement légère, et non théorique. Elle émet l’hypothèse d’une méthode de travail commune, en soulignant l’intérêt de nouveaux outils de travail comme l’utilisation de plans et de dessins, et de méthodes d’archivage par le biais d’une plateforme commune, sans pour autant mettre en place ces outils. Elle fait face à une autre partie du guide sur les méthodes de travail en collaboration avec les spécialistes de lutte « anti-nuisibles ». Les « nuisibles » représentent un problème bien trop complexe, dépendant d’un contexte (type de construction, climat), d’une réglementation variable locale et de méthodes de collaboration encore floues. L’expertise s’est vraisemblablement développée dans le traitement de ce problème plus que dans la prévention. Les experts ont néanmoins compris l’enjeu de la conception sur la prévention du problème et commencent aujourd’hui à faire appel à la responsabilité des différents acteurs de la construction (et de la démolition). Des organismes d’autorité locale spécialisés dans la santé environnementale sont a priori encore aujourd’hui le seul tremplin entre les spécialistes de la lutte antiparasitaire et les concepteurs; et les législations réglementaires semblent être les seules solutions à la mise en place de telles collaborations.

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Figure 16. AXTEN Gregory, Stucco and foundation edge detail, 2012, détail constructif. Le détail constructif ci-dessus présente l’installation d’une « weep-screed » (chape chantepleure) sur un mur extérieur en stuc existant. Cette installation permet de prévenir le passage de fourmis, d’araignées, de termites et d’autres insectes. Il montre la précision nécessaire des systèmes architecturaux préventifs anti-nuisibles. Il s’agit d’une architecture à l’échelle de l’insecte, leurs entrées se situant dans des interstices mesurées au millimètre.


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Figure 17. McINNES Theo, Byron’s branches in Holborn and Shaftesbury Avenue in central London were targeted by the ‘swarm of insects’, Londres, 2016, photographie. 48

La photographie montre les insectes relâchés par des activistes dans un restaurant Byron en réaction à l’arrestation d’une dizaine de travailleurs immigrés en juillet 2016, suite à une descente de la police de l’immigration. Byron avait organisé un faux rendez-vous pour « piéger » ses travailleurs en situation illégale. Le symbole est fort : alors que les immigrés sont encore associés aux insectes, aux « indésirables », à la « vermine », aux « cafards » (Cf. The History of Others, « Disgust » in Museum of non-humanity exhibition, Helsinki, 2016), les activistes ont retourné la situation en relâchant des centaines de cafards dans deux restaurants de la chaîne, en signe de protestation du traitement « inhumain » accordé aux immigrés. Cette action politique utilise des insectes vivants pour assurer la suspension de l’activité des restaurants visés, par leur infestation, et pour entacher l’image de la chaîne. Associant insectes vivants, humains « indésirables » et restaurant infesté, l’action met en avant le pouvoir - ici politique - de la représentation très négative des insectes au sein des bâtiment.


1.2 - Insecte, humain et habitat La présence des insectes « nuisibles » dans les bâtiments représente la saleté et la pauvreté. C’est le symbole du mal-logement. L’historien Ben Campkin51 a exploré comment, au milieu du XXe siècle à Londres, des manifestants de la classe ouvrière ont défilé devant leurs habitats infestés d’insectes avec des effigies de cafards. Ils ont brûlé ces effigies en public pour exprimer leur dégoût face à leurs mauvaises conditions de vie52. Plus récemment, toujours à Londres, des activistes ont relâché plusieurs centaines de blattes et de criquets à l’intérieur de deux restaurants pour protester contre la chaîne Byron, qui s’était associée avec des agents de l’immigration contre ses propres travailleurs immigrés en situation « illégale » (Fig.17). Les insectes, à l’intérieur des bâtiments, sont un symbole socio-politique fort. Cette partie présente une analyse possible de la représentation des insectes dans les bâtiments, afin de comprendre leur statut de « nuisibles ». Elle se construit sur l’étude sociologique menée par Nathalie Blanc: « Les blattes dans un quartier d’habitat social de Rennes53 ».

1.2.1 - Ethnoentomologie : tremplin entre architecture et insectes Selon Nathalie Blanc, l’étude des représentations et pratiques des citadins vis-à-vis de la blatte correspond au désir de renouveler les études urbaines et de comprendre le développement des problèmes d’environnement dans les sociétés contemporaines. L’étude « Les blattes dans un quartier d’habitat social de Rennes » a été menée suite à l’échec de la désinfection d’une tour d’habitat social à Rennes. Des experts sociologues/anthropologues ont été invités à investir les « modes d’habiter » pour établir une éventuelle corrélation entre les représentations/pratiques des habitants et la présence des insectes. L’étude sert ainsi de tremplin entre l’architecture et l’insecte, en passant par l’humain et ses comportements face à la présence indésirable de l’insecte. Elle est vouée à comprendre les représentations et pratiques des citadins qui jouent dans la dynamique de population de cet insecte. Elle dit « comprendre la relation de la blatte comme un rapport à l’appartement ». L’étude émet l’hypothèse que le comportement des habitants à l’égard de l’habitat influe sur la présence de l’insecte : « À ce stade, telle était l’hypothèse, il semblait important de comprendre la relation de la blatte comme un rapport à l’appartement, à l’immeuble, au quartier, au fait de vivre dans ce quartier d’habitat social de Rennes. De façon plus générale, il s’agissait d’étudier la place de l’animal dans le bien-être en ville. En confrontant systématiquement les données concernant la blatte, l’habitat, et celles, relatives à l’habitant et les entretiens, j’ai pu dégager quelques éléments de réponse54. » La blatte est ici un véritable problème à la fois social et architectural : elle appuie la représentation négative et la condition de stigmatisation des habitants, de leurs habitats et de leur quartier et donc de l’architecture.

51

CAMPKIN Ben, Remaking London : Decline and Regeneration in Urban Culture, Londres, New York, I.B. Tauris, 2013.

52

GISSEN David, Subnature. Architecture’s other environments, Princeton, Princeton Architectural Press, 2009.

53

BLANC Nathalie, « Les blattes dans un quartier d’habitat social de Rennes » dans M.C. THOMAS Jacqueline, MOTTE-FLORAC Elisabeth (dir.), Les insectes dans la tradition orale, Louvain, Peeters, 2004.

54

Ibid.

49


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1.2.2 - Les représentations véhiculées par la blatte La blatte est tout d’abord gênante car elle est associée à la saleté : « Elle est une saleté dans la mesure où elle n’est pas à sa place : comme une miette tombée au sol ». De plus, elle renforce l’image de pauvreté du quartier et participe à la stigmatisation des habitants, ainsi qu’à l’intolérance entre voisins (beaucoup pense que les blattes viennent des voisins, particulièrement des étrangers): « La blatte marque le quartier, son urbanisme et sa construction, met en évidence la pauvreté des gens qui l’habitent55. ». De plus, elle représente pour les habitants la perte de contrôle de leur logement et est un facteur d’insatisfaction voire de dépression : « (…) plus que tout autre animal, la présence de la blatte chez soi montre la perte de maîtrise de logement, son occupation perturbatrice et abusive56. ». Des portraits d’habitants ont été réalisés pour comprendre comment s’articulent représentations et pratiques vis-à-vis de la blatte ainsi que pour étudier les liens des comportements vis-à-vis de cet insecte avec ceux, à l’égard de l’habitat. L’un des portraits est celui d’une femme ayant réussi à se débarrasser des insectes, tandis que l’autre est celui d’une famille ayant échoué. En luttant contre l’insecte, les habitants luttent également contre l’image sociale de leur logement et cherchent à améliorer leurs conditions de vie : « Pour elle (une habitante), la blatte fait partie des problèmes de son actuel mode d’habiter.(…) Elle lutte, aussi bien, contre les représentations négatives que ses connaissances ont de la cité où elle habite et des blattes qui y sont liées que contre la blatte, elle-même. » ; « Ses pratiques envers la blattes procèdent d’une lutte plus générale pour s’ajuster à un lieu qui représente « la zone », et à des pratiques qu’ont certains habitants dans ce lieu (intolérance mutuelle, irresponsabilité…). Elle cherche à améliorer ses conditions de vie. »57. De plus, cette représentation de l’insecte en milieu urbain témoigne d’une idée de la ville, et donc de l’architecture : « En définitive, étudier les représentations liées à la présence de la blatte révèle une idée de la ville (Pétonnet, 1991). De façon générale, la ville est représentée comme un milieu technique au point que de nombreux habitants ne s’expliquent pas la présence de la blatte associée à la saleté ; la ville n’est pas considérée comme un milieu de vie pour d’autres animaux que ceux, désirés (Blanc, 2000). ».

1.2.3 - La blatte, témoin d’une architecture dégradée La blatte est liée à un modèle de construction architecturale. Elle est aussi associée au milieu des canalisations et des égouts (Blanc, 2000). La présence des blattes est gênante car l’insecte « pullule » et « envahit » l’habitat. Il profite de l’architecture « surpeuplée », génératrice d’abris (sombres et humides) et de détritus pour se nourrir. Il est révélateur d’une architecture mal entretenue. Les détériorations de la tour permettent la création de passages pour que les insectes se déplacent et habitent les intérieurs. Les habitants mettent en cause directement l’architecture : « Si, pour la majorité (des habitants), venir à bout des blattes nécessite la mise en place d’une solution collective, pour certains, l’immeuble, lui-même, est en cause : les gaines, les tuyaux, videordures doivent être changés. Des gens disent même qu’il faut détruire l’immeuble, les blattes faisant partie d’une pourriture plus générale. Ou encore, qu’il y ait des blattes est lié au type

55

BLANC Nathalie, op. cit.

56

Ibid.

57

Ibid.

51


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de construction de la tour ou au fait qu’elle ait été construite sur un marais. (...) Les habitants assimilent la dégradation de la vie collective, l’état de l’immeuble et la présence des blattes58. ». Ce sont finalement les habitants qui établissent un tremplin entre les différents éléments du problème, en assimilant dégradation de la vie collective (social), l’état de l’immeuble (architecture) et la présence des blattes (insecte).

1.2.4 - Modes d’habiter humain et modes d’habiter de l’insecte L’étude montre que la blatte est à la fois le témoin d’une condition sociale, et le témoin d’une architecture. C’est le vecteur d’un problème plus large qui, au-delà du dégoût suscité, passe par des conditions de vie, des modes de vie, des pratiques et une certaine architecture. L’étude justifie l’hypothèse selon laquelle les conditions de vie des habitants et leurs pratiques influent sur la présence de l’insecte : « (…) il semblerait que le regroupement de personnes dans un lieu, quartier ou immeuble, contribue à initier une dynamique particulière de représentations et de pratiques qui joue dans l’échec de la désinsectisation59. ». Dans la continuité de la recherche, une étude entomologique complémentaire sur le territoire de la blatte au sein du bâtiment permettrait de corréler de manière plus précise les modes d’habiter des humains et les modes d’habiter de la blatte, afin de comprendre leurs interrelations. Si les deux peuvent cohabiter - en dehors des représentations négatives que la blatte véhicule - alors peut-on définir une architecture propice à ce genre de cohabitation non désirée ? La présence de la blatte a un impact évident et plus déterminant que d’autres insectes parasites sur la qualité de vie des habitants. Puisque sa présence est un facteur déterminant dans la qualité des habitats, la blatte amène les corps de métiers liés à l’habitat à considérer de nouveaux modes d’habiter, plus ou moins indésirables mais réels. Ces modes d’habiter correspondent à une certaine architecture. On pourrait définir cette architecture comme favorable à la prolifération de certaines espèces, et donc favorable à une cohabitation majoritairement non désirée, ou du moins non anticipée. De plus, si l’architecture et les conditions sociales influent sur la présence de l’insecte, on peut donc supposer que les architectes ont un rôle à jouer dans le contrôle de cette présence. Dans leur pratique, les architectes tiennent déjà compte des modes d’habiter (sociologie) et de la structure des bâtiments. Ils ont donc un pouvoir potentiel sur la présence de ces insectes. Cela dit, l’étude sociologique est basée sur des témoignages et une enquête devrait être menée sur la qualité de l’immeuble pour pouvoir affirmer l’impact réel de l’état du bâtiment sur la présence des insectes. Enfin, s’il est vrai que « la blatte renvoie aux façons d’habiter ce lieu de Rennes », autrement dit que la blatte est un « indicateur environnemental de qualité de vie », alors l’insecte peut être considéré comme un outil d’étude et d’analyse aussi bien aux anthropologues qu’aux architectes et qu’aux autres professions liées à l’habitat.

58

BLANC Nathalie, op. cit.

59

Ibid.

53


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Figure 18. « The relative areas of 13 outdoor biomes and the indoor biome », NESCent Working Group on the Evolutionary Biology of the Built Environment, Evolution of the indoor biome, 2015.

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Le diagramme montre la proportion de superficies terrestres des treize biomes extérieurs en situant parmi eux le biome intérieur. On constate que le biome intérieur a une superficie supérieure à celle des biomes de forêts de conifères tropicales et subtropicales. De plus, on peut imaginer qu’il gagne du terrain avec l’urbanisation. Il reste néanmoins presque totalement inexploré.


1.3 - Entomologie des intérieurs 1.3.1 - Entomologie anti-nuisibles Nous avons vu que l’entomologie urbaine60 est une discipline relativement récente, qui a longtemps considéré les insectes urbains comme des parasites nuisibles aux êtres humains et à leurs propriétés; et qui, conduite selon des intérêts de désinsectisation, a échoué dans la compréhension de leur bioécologie61 pour favoriser l’efficacité des pesticides. La recherche sur les arthropodes des « intérieurs » s’est focalisée presque exclusivement sur les « nuisibles », particulièrement sur ceux ayant un impact sur la santé ou sur l’économie comme les blattes, les termites, les punaises de lit, les mouches et les moustiques62. On a constaté une influence évidente de la société humaine et de l’évolution de l’habitat sur des lignées spécifiques d’arthropodes. Cependant, les réelles interactions - bénéfique, neutre ou négative - entre d’autres espèces et l’humain restent totalement inconnues. Une étude compréhensive sur la vie des arthropodes dans les maisons contemporaines n’a jamais été entreprise, alors que le biome des intérieurs (Fig.18), dont la superficie augmente avec l’urbanisation, intéresse de plus en plus.

1.3.2 - Les entomologistes de l’architecture La première étude entomologique qui s’intéresse à ces « autres » arthropodes, publiée en janvier 2016, s’intitule « Arthropods of the great indoors, characterizing diversity inside urban and suburban homes63 » (Arthropodes des intérieurs, caractéristique de diversité à l’intérieur des maisons urbaines et suburbaines). Quatre entomologistes ont inspecté cinquante maisons en Caroline du Nord (USA) et réalisé un inventaire complet de la faune d’arthropodes sur les surfaces visibles des biomes* intérieurs. Ils ont classifié les pièces dans six catégories basées sur leur similarité en caractéristiques et leur utilisation: grenier, cave, salle-de-bain, chambre, pièce commune et cuisine. C’est la première fois que des entomologistes classifient les pièces de la maison en fonction des insectes qui y habitent. On constate que les entomologistes ont investi l’architecture avant que les architectes n’investissent l’entomologie. Un autre groupe de chercheurs ont créé une revue « Evolution of the indoor biome » (Évolution du biome intérieur) en mars 2015. Ils décrivent leur sujet d’études au croisement de plusieurs disciplines dont l’architecture : « Les études du biome intérieur sont situées à l’intersection de l’écologie évolutive, de l’anthropologie, de l’architecture, et de l’écologie humaine64. »

60

Les entomologistes de l’Oregon State University donnent cette définition : « Urban entomology is the study of insects and mites that affect people and their property ». Source: http://entomology.oregonstate. edu/urbanent.

61

Introduction de DHANG Patho (dir.), Urban Insect Pests. An environmental perspective, Wallingford (UK); Cambridge (Mass.), CABI, cop. 2011.

62

Committee on Urban Pest Management et al., 1980; Robinson, 2005.

63

BERTONE et al., « Arthropods of the great indoors: characterizing diversity inside urban and suburban homes », PeerJ, 2016. Consulté le : 23.05.2016. Disponible à l’adresse : https://peerj.com/articles/1582. pdf.

64

Traduction personnelle : « Studies of the indoor biome are situated at the intersection of evolutionary ecology, anthropology, architecture, and human ecology ». Texte issu de : NESCent Working Group on the Evolutionary Biology of the Built Environment, « Evolution of the indoor biome », Trends in Ecology and Evolution, n° 30, 2015, pp. 223-232.

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Figure 19. « Proportional diversity of arthropod orders across all rooms. Average morphospecies composition calculated across all room types. All photos by MAB » diagramme illustrant l’article BERTONE et al., Arthropods of the great indoors: characterizing diversity inside urban and suburban homes, 2016. Le diagramme présente la diversité proportionnelle des ordres d’arthropodes trouvés dans les pièces des maisons étudiées. On constatera que les « plus gros » insectes sont aussi les plus nombreux, les plus visibles et donc, les plus familiers tels que la mouche (Diptera).


1.3.3 - Arthropodes, premiers habitants de l’architecture L’expression « premiers habitants » fait référence à la présence incontrôlable et préexistante des insectes dans les milieux anthropisés. En effet, ceux-ci sont, par leur nombre, les premiers habitants de l’architecture, qu’ils occupent de sa construction jusqu’à sa démolition. De manière surprenante, les entomologistes de l’étude « Arthropods of the great indoors, characterizing diversity inside urban and suburban homes65 » (Arthropodes des intérieurs, caractéristique de diversité à l’intérieur des maisons urbaines et suburbaines) ont découvert une immense diversité d’espèces dans toutes les pièces des maisons inspectées (Fig.19). Des espèces ont été découvertes pour la première fois par des entomologistes expérimentés. Il faut également noter que, contrairement à leurs attentes, la plupart de ces espèces n’étaient pas des « nuisibles » mais des « insectes bénins », bien qu’ils soulignent que « beaucoup d’insectes et arthropodes que nous avons collectés sont considérés comme nuisibles seulement par leur présence dans la maison, (i.e., nuisance invaders; Hahn & Ascerno, 1991; Cranshaw, 2011), malgré le fait qu’ils n’aient pas d’impact direct sur les gens et leurs biens66 ». Les entomologistes considèrent leur recherche comme une « version miniature » de l’écologie urbaine. Les dynamiques trophiques de l’écosystème intérieur sont un terrain à investir dans le futur.

1.3.4 - Insecte « bénin » ou « bénéfique » L’étude précédente justifie l’existence d’un insecte bénin au sein de l’architecture. La question qui suit ce constat porte sur l’existence d’un insecte « bénéfique » à l’architecture et à l’humain. Emily Hartop, entomologiste du Musée d’Histoire Naturelle de Los Angeles, évoque l’existence de celui-ci : « Tellement de gens vivent déjà dans des environnements urbains et cette proportion augmente en permanence. Nous avons besoin de connaître ce qui nous entoure. Nous sommes tellement habitués à apprendre sur les cafards dans notre salle-de-bain (...) mais en terme d’insectes bénéfiques ou bénin dans la maison, nous ne savons presque rien67. ». L’existence de l’insecte bénin, témoin invisible, a été prouvée. Existerait-il un insecte « bénéfique », acteur silencieux du bien-être de nos lieux de vie ? En 2014, une étude68 menée à New York a montré que les arthropodes comme les fourmis des espaces verts ont un rôle crucial dans la gestion des déchets de la ville. Ils seraient responsables de l’élimination de 4 à 6,5 kg de nourriture par an dans chaque terre-plein. Elsa Youngsteadt, qui a participé à l’étude, affirme : « Cela souligne un véritable service rendu par les arthropodes, ils s’occupent réellement des déchets pour nous. L’espèce la plus courante dans les terre-pleins est la fourmi de trottoir, Tetramoriul caespitum69. ». Ainsi, s’il existe des insectes utiles pour les espaces urbains, il devrait exister également un insecte « bénéfique » au sein de l’architecture. 65 66

67

BERTONE et al., op. cit. Ibid. Traduction personnelle : « Unfortunately, many insects and arthropods we collected are considered pests based solely on their presence in the home (i.e., nuisance invaders; Hahn & Ascerno, 1991; Cranshaw, 2011), despite having no direct impact on people or their possessions. » Traduction personnelle. Texte issu de: YONG Ed, American Homes Are Filled With Bugs, 2016. Consulté le : 25.05.2016. Disponible à l’adresse : http://www.theatlantic.com/science/archive/2016/01/the-bugs-of-theamerican-home/424584/.

68

YOUNGSTEADT Elsa, HENDERSON Ryanna C., SAVAGE Amy M., ERNST Andrew F., DUNN Robert R., FRANK Steven D., « Habitat and species identity, not diversity, predict the extent of refuse consumption by urban arthropods », Global Change Biology (Urbana), n°21, Issue 3, Mars 2015, pp. 1103–1115.

69

KOPPE Martin, « Quand les fourmis viennent en aide aux éboueurs de New York », 09.12.2014. Consulté le : 16.06.2016. Disponible à l’adresse : http://www.maxisciences.com/fourmi/quand-les-fourmis-viennenten-aide-aux-eboueurs-de-new-york_art33961.html.

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Figure 20. Illustration personnelle, La « sous-architecture », 2016. L’illustration représente la « sous-architecture » par le biais d’une situation synanthropique : les humains cohabitent à leur insu avec d’autres espèces qui trouvent un milieu de vie idéal - plus important - au sein du bâtiment : à l’intérieur du mur, sous le plancher, près des gaines et dans l’extérieur direct.


1.4 – La « sous-architecture » Les expertises de lutte antiparasitaire, d’ethnoentomologie et d’entomologie des intérieurs, étudiées précédemment, ont en commun de faire apparaître, par le biais d’un vocabulaire architectural, des caractéristiques communes aux éléments d’architecture cités, faisant office de milieu de vie pour les insectes « nuisibles ». Ces éléments d’architecture repérés définissent la « sous-architecture ». La « sous-architecture » réunit tous les éléments d’architecture servant d’abri pour une partie de la biodiversité de manière incontrôlable. Elle a pour caractéristique d’être sous-théorisée, et représente néanmoins un milieu de vie idéal pour les insectes avec qui les humains cohabitent de manière non-anticipée (Fig.20). Le choix du préfixe « sous » fait référence au terme de « subnature70 » (sous-nature) utilisé par le théoricien David Gissen pour désigner tous les aspects négligés et sous-théorisée de la nature dans la théorie de l’architecture, dont font partie les insectes, en opposition à une « bonne » nature idéalisée (soleil, vent, végétal etc.). Le préfixe « sous » du terme « sous-architecture » a donc une double signification : il réfère au caractère invisible de ces espaces qu’on ne voit pas et qu’on ne pense pas (« sous le seuil »; « à l’intérieur du mur »), ainsi qu’à leur « sous-fonction » (fonction non anticipée) d’abri pour une partie de la nature « indésirable ». D’un point de vue pragmatique, les insectes sont déjà les premiers habitants de l’architecture. Les espaces intérieurs sont un milieu de vie idéal pour certaines espèces. La superficie terrestre du biome des « intérieurs » construits est aujourd’hui supérieure à certains biomes de forêts tropicales71 (Fig.18, p.54). La « sous-architecture » est donc la partie de l’architecture non-conçue, non-théorisée et incontrôlable, qui sert de milieu de vie idéal pour des espèces synanthropiques dites « nuisibles ».

1.4.1 - Vocabulaire architectural dans l’expertise liée à l’insecte Les trois parties précédentes (1.2, 1.3 et 1.4) tentent de repérer des indices d’architecture dans des disciplines étrangères à celle-ci, telles que la lutte antiparasitaire, la sociologie, et l’entomologie. Dans chacune des ces disciplines, les experts font appel à un vocabulaire, et à des méthodes, propres à l’architecture, ce qui suppose que ceux-ci ont « investi » (une partie de) l’architecture. Lutte antiparasitaire Dans la lutte antiparasitaire, les différents guides étudiés utilisent un vocabulaire architectural pour décrire les éléments de bâtiments soumis à un risque d’infestation. Nous avons vu que le sommaire du guide « Pest Prevention by design72 » (Fig.14, p.42) évolue au sein de l’architecture par des éléments qui constituent le bâtiment. Le guide commence par les fondations, puis s’intéresse à l’extérieur du bâtiment en trois chapitres (« revêtement », « lumière » et « divers »),

70

GISSEN David, Subnature. Architecture’s other environments, Princeton, Princeton Architectural Press, 2009.

71

NESCent Working Group on the Evolutionary Biology of the Built Environment, « Evolution of the indoor biome », Trends in Ecology and Evolution, n° 30, 2015, pp. 223-232. Consulté le : 25.05.2016. Disponible à l’adresse : http://ljanemartin.com/pdfs/Martin%20et%20al.%202015%20TREE.pdf.

72

San Francisco Department of the Environment, Pest prevention by design. Authoritative guidelines for designing pests out of structures, 2012. Consulté le 05.04.16. Disponible à l’adresse : http://sfenvironment. org/sites/default/files/fliers/files/final_ppbd_guidelines_12-5-12.pdf

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Figure 21. « Rodent proofing », photographie illustrant le guide : London Chartered Institute of Environmental Health, Pest Minimisation. Best practices for the construction industry, 2012.

60

La photographie présente la dégradation du mur extérieur d’un bâtiment en pierre, au niveau de la sortie de gouttières, générant de nombreuses interstices. L’ouverture est assez large pour laisser entrer des « nuisibles » tels que des rats ou des insectes à l’intérieur du bâtiment.


au « toit », puis au « paysage ». On passe du « paysage » directement aux murs intérieurs, aux sols, aux portes et aux fenêtres. Enfin, le guide « entre » dans l’architecture de manière moins technique mais plus fonctionnelle, en considérant les fonctions des différentes pièces et leurs usages: « chambres », « salles-de-bain », « cuisines » constituent les derniers chapitres. Des dessins de détails techniques et de plans sont aussi employés pour comprendre le fonctionnement de l’invasion des « nuisibles » dans les bâtiments. Chacun de ses éléments d’architecture est décrit à travers le parcours des insectes. À cette échelle « incontrôlable » de l’insecte dans l’architecture, les guides de lutte antiparasitaire mettent en évidence les « faiblesses » du bâtiment face à l’invasion des « nuisibles », tels que les points d’entrée aux abords extérieurs du bâtiment (Fig.21). L’architecture décrite a donc pour caractéristique d’être « incontrôlable », parfois « dégradée » et possède un caractère « invisible » puisque certains éléments de parcours de l’insecte sont inatteignables. Sociologie Dans l’article « Les blattes dans un quartier d’habitat social de Rennes73 » étudié précédemment, on voit apparaître un vocabulaire architectural lié aux modes d’habiter humain comme à ceux de la blatte. Les tours de l’habitat social étudié sont un élément majeur de l’étude, par leur état de « détérioration » associé à la représentation que les habitants ont de la blatte. La présence des blattes donne un caractère à l’architecture qui est dépeinte comme un élément « dégradé », « négligé » et « incontrôlable ». Entomologie L’entomologie des intérieurs se concrétise en 2016 avec l’étude « Arthropods of the great indoors, characterizing diversity inside urban and suburban homes74 » (Arthropodes des intérieurs, caractéristique de diversité à l’intérieur des maisons urbaines et suburbaines), lorsque quatre entomologistes investissent cinquante maisons de Caroline du Nord (USA) pour y prélever tous les arthropodes visibles et réaliser un inventaire de ceux-ci. Comme dans les guides de lutte antiparasitaire, les entomologistes « de l’architecture », qui investissent les bâtiments comme s’il s’agissait d’écosystèmes, ont recours à un vocabulaire architectural et à une méthode de classification propre à l’architecture qu’ils analysent. Les pièces des maisons sont classifiées dans six catégories basées sur leur similarité en caractéristiques et leur utilisation : « grenier », « cave », « salle-de-bain », « chambre », « pièce commune » et « cuisine »75. L’étude associe les différentes pièces décrites à la découverte d’un certains nombre d’espèces d’arthropodes qui étaient alors inconnues des entomologistes. Ces découvertes, à l’échelle des arthropodes, mettent en évidence un territoire jusqu’alors « inconnu » et « invisible » au sein même de l’architecture. La « sous-architecture » Le vocabulaire architectural repéré à travers les différentes expertises liées à l’insecte « nuisible » témoigne de l’entrée interdisciplinaire possible autour de ces insectes. Les experts désinfecteurs,

73

BLANC Nathalie, « Les blattes dans un quartier d’habitat social de Rennes » dans M.C. THOMAS Jacqueline, MOTTE-FLORAC Elisabeth (dir.), Les insectes dans la tradition orale, Louvain, Peeters, 2004.

74

BERTONE et al., « Arthropods of the great indoors: characterizing diversity inside urban and suburban homes », PeerJ, 2016. Consulté le : 23.05.2016. Disponible à l’adresse : https://peerj.com/articles/1582. pdf.

75

Ibid.

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Figure 22. Dans l’ordre de lecture : « Synthetic stucco » ; « Drain covers and baskets » ; « Areas to be caulked or sealed during siding installation » ; « Expansion joints » Photographies illustrant le guide: SF Environment, Pest Prevention by design, 2012. Les quatre photographies sont des exemples issus du guide « Prévention anti-nuisibles par la conception » qui présentent des éléments architecturaux problématiques car soumis au risque d’invasion de « nuisibles ». Dans l’ordre de lecture, on trouve un mur en stuc abîmé, une couverture et un boîtier de drainage infesté, un encadrement de fenêtre dont les joints sont percés et des craquelures dans des fondations en béton. Ces éléments, par leur défauts et caractéristiques, ont en commun de servir d’entrées et de passages aux insectes.


entomologistes et ethnoentomologistes, ont en commun d’« investir » l’architecture. De plus, on peut tracer des similitudes et des connexions dans le langage architectural employé par les différentes études, qui dressent des caractéristiques communes d’architecture. Ces caractéristiques constituent l’imaginaire de la « sous-architecture », dépeint à la fois comme un élément incontrôlable, souvent négligé ou détérioré (lutte antiparasitaire; sociologie) ou comme un territoire invisible et inconnu (sociologie; entomologie).

1.4.2 - Éléments architecturaux négligés À travers la prévention antiparasitaire, les « nuisibles », en plus de nuire aux bâtiments et à leurs usagers, mettent en avant des aspects négligés de l’architecture, « faiblesses » du bâtiment qui ne sont généralement pas considérés dans la conception architecturale. On parle d’ « interstices », de « trous », de « crevasses », de « gaines techniques », de « structures abîmées »... ces éléments d’architecture forment un tout nouveau parcours à travers le bâtiment : la partie qui n’a pas été pensée. L’existence de ce nouveau parcours naît de la place que les insectes et autres « nuisibles » y trouvent pour y vivre (entrer, circuler, se nourrir). Le parcours est donc subjectif aux « nuisibles ». Il est nourri par des termes techniques utilisés dans les guides de lutte « anti-nuisibles », tels que des « points d’entrée », des « galeries tunnel » (dans le cas des termites). Ces endroits sont des interstices plus ou moins contrôlables mais cependant inévitables du bâtiment, par lesquelles viennent se loger de nouveaux habitants de l’architecture (Fig.22). On définit les éléments d’une architecture sous l’architecture pensée, théorisée, planifiée et construite. Cette « sous-architecture » existe car elle est habitée par les « nuisibles ». À titre d’exemple, le cheminement des termites est décrit dans le guide « Prévention contre les termites à l’interface sol-bâti76 » à travers des éléments d’architecture (Fig.15, p.44) : • • • • • • •

Discontinuités en périphérie d’assise Percements et réservations Fissurations du dallage Joints de dilatation et de fractionnement Joints entre matériaux Seuils de porte d’entrée et porte-fenêtre Isolation thermique par l’extérieur

Le cheminement des insectes décrit un parcours dans cette « sous-architecture » : « C’est en effet à ce niveau (la zone limitée par l’assise de la construction) que se trouvent les voies de pénétration les plus propices au cheminement des insectes (un espace de l’ordre du millimètre en diamètre est suffisant). (...) Les termites souterrains peuvent également investir un bâtiment en passant par des points d’entrée situés en périphérie externe de la construction, ou en utilisant des supports qui leur permettent d’entrer dans le bâtiment à partir de points situés au-dessus du sol (mur mitoyen, tas de bois stocké contre la construction…)77. » Ces éléments négligés constitutifs de l’architecture apparaissent également dans l’étude

76

Ministère de l’Egalité des Territoires et du Logement et le Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie (France), Prévention contre les termites à l’interface sol-bâti, 2013. Consulté le : 05.04.2016. Disponible à l’adresse : http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/DGALN_guide_ prevention_termite_janvier_2013.pdf.

77

Ibid.

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ethnoentomologique « Les blattes dans un quartier d’habitat social de Rennes 78 ». Celle-ci décrit une architecture « surpeuplée », génératrice d’abris (sombres et humides) et de détritus pour se nourrir. Il s’agit d’une architecture mal entretenue. Les détériorations de la tour permettent la création de passages pour que les insectes se déplacent et habitent les intérieurs. Certains habitants mettent en cause directement l’architecture : « l’immeuble, lui-même, est en cause : les gaines, les tuyaux, vide-ordures doivent être changés79. ».

1.4.3 - Les aspects invisibles de l’architecture Les termites souterrains sont représentatifs de cette « sous-architecture » car ils sont invisibles pour l’humain, par leur mode de vie cryptique (ils fuient la lumière). Ce sont des insectes xylophages et lucifuges* qui trouvent un lieu de vie idéal dans les constructions de bois. Ils entrent par les fondations dans les bâtiments, et y causent de dégâts structurels pouvant engendrer un effondrement. La ville de Paris est classée en zone de surveillance ou zone à risques contre les termites par un arrêté préfectoral en 2003. Pauline Watissé, étudiante en géographie urbaine, dans son mémoire de master intitulé « Vivre avec les termites à Paris80 », recense les connaissances d’habitants parisiens de bâtiments « termités ». Une des habitantes interrogées témoigne d’une connaissance des lieux de vie des termites : « “Ça colonise souvent les gaines et les tableaux électriques, ça mange les structures en bois, ça fait des cordons de déjection“ (Fanny, 51 ans, traductrice)81 ». Or, beaucoup d’habitants témoignent d’une méconnaissance de la biologie de l’insecte, ce qui favorise leur propagation. Les humains vivent avec les termites à leur insu, et il est donc difficile d’anticiper leur présence au sein de l’architecture. L’étude évoque aussi le « risque termites », dont le fléau en milieu urbain est comparé par le cartographe Dominique Andrieu au plan prévention des risques inondations, mais qui reste plus difficile à appréhender spatialement : « Le cartographe Dominique Andrieu compare le fléau des termites en milieu urbain au plan de prévention des risques inondations. Il émet néanmoins l’hypothèse qu’il n’y ait pas de conscience du risque car c’est un insecte souterrain, donc invisible (…) les termites s’affranchissent de la construction sociale de l’espace : nous ne pouvons pas les appréhender spatialement avec justesse car leur mode de propagation ne peut être finement anticipé82 » Il s’agit donc d’une architecture imprévisible, non conçue, et généralement invisible aux yeux des usagers. On peut établir une liste d’éléments architecturaux qui composent la « sous-architecture », à partir des termes utilisés par les guides de lutte antiparasitaire : • • • • • •

78

79 80

Les fondations et l’interface « sol-bâti » L’extérieur du bâtiment : le revêtement et la lumière La toiture et les « trous » dans la toiture L’intérieur des murs L’intérieur du sol et sa surface Les interstices entre le sol et les murs (Fig.15, p.44)

BLANC Nathalie, « Les blattes dans un quartier d’habitat social de Rennes » dans M.C. THOMAS Jacqueline, MOTTE-FLORAC Elisabeth (dir.), Les insectes dans la tradition orale, Louvain, Peeters, 2004.

Ibid. WATISSÉ Pauline, Vivre avec les termites à Paris, Mémoire de master 2 Bioterre - UFR de géographie, 2016.

81

Ibid.

82

Ibid.

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Figure 23. Auteurs non connus, deux couvertures du livre de Karl von Frisch « Dix petits hôtes de nos maisons », version originale : Zehn kleine Hausgenossen (1941) et première version anglophone : Ten Little Housemates (1960). Les deux images figurent en couverture de deux versions du livre de l’entomologiste Karl von Frisch « Dix petits hôtes de nos maisons ». Il s’agit d’un livre d’initiation à l’entomologie, visant à vulgariser les connaissances biologiques sur dix insectes emblématiques « co-habitants » de la maison. Ces deux images illustrent la fonction de la maison en tant qu’habitat pour les insectes, décrits de manière « neutre » dans leurs rapports nuisibles, bénins et utiles à l’humain.


• • • • • •

Les interstices entre le sol et les portes (Fig.15, p.44) Les interstices entre les murs et les fenêtres (Fig.22, p.62) Les trous dans les murs (Fig.22, p.62) Les gaines techniques (Fig.22, p.62) Le périmètre autour du bâtiments (égouts, mauvaises herbes, flaques d’eau) Les accumulations d’eau à l’extérieur du bâtiment

1.4.4 - « Sous-fonction » d’abri pour les « nuisibles » Nous avons vu que les bâtiments représentent un milieu de vie idéal pour certaines espèces dites « parasitaires » à l’humain. L’architecture influe sur l’écologie des espèces. Certaines espèces comme la blatte des meubles, Supella longipalpa, dont la biologie est adaptée au mode de vie urbain, ont vu leur développement favorisé par l’urbanisation. Les intérieurs forment un nouveau biome83 (Fig.18, p.54), dont la superficie terrestre est non négligeable. De nouvelles espèces d’arthropodes découvertes récemment84, semblent dépendre de ce biome « des intérieurs », dont les caractéristiques écologiques (chaleur, humidité, nourriture) correspondent à l’écosystème de ces espèces commensales* de l’humain. Les éléments d’architecture mis en avant par la prévention antiparasitaire constituent un autre habitat : celui des usagers indésirables de l’architecture. Ces éléments sont décrits comme les défauts et faiblesses d’un bâtiment. Soumis de plus en plus à une législation de lutte antiparasitaire, ils sont l’abri presque « illégal » des « nuisibles ». Ainsi, le bâtiment a une « sous-fonction » d’abri de la biodiversité, architecture « sous » l’architecture. Le concept de « sous-architecture » amène à redéfinir les éléments et les dispositifs d’architecture selon le niveau d’attirance aux « nuisibles ». La blatte notamment, est liée à un modèle de construction architecturale (Blanc, 2000) en tant que témoin d’une architecture dégradée propice à son invasion. Ainsi, le niveau d’attirance se présente comme un nouvel indicateur de la qualité d’une construction, et on jugera ces éléments d’architecture selon leur taux d’attirance de « nuisibles ». De plus, cette « sous-architecture » commence théoriquement à exister avant l’architecture, puisqu’elle est habitée par les « nuisibles » avant et pendant le chantier, et même lors de la démolition d’une construction. En effet, les guides de lutte antiparasitaire mettent en avant l’importance de la gestion des « nuisibles » dès le commencement du chantier. La question que cette « sousarchitecture » pose est celle relative au contrôle qu’on peut en faire : la « sous-architecture » peutelle être contrôlée et planifiée ? Il reste à affiner la définition de cette partie de l’architecture, ainsi qu’à établir une nouvelle vision de bâtiment, en plaçant leurs « défauts » au sein du débat sur les « nuisibles ». On notera également que les principes, les codes et les standards qu’établissent les contrôleurs de « nuisibles » ne tiennent pas encore compte de la présence d’autres insectes « bénins », voire « bénéfiques » au sein de l’architecture. Les guides étudiés considèrent toutes les présences comme indésirables, et n’ont pas encore remis en question le terme de « nuisibles ». En changeant la perception de certains « nuisibles » vers une considération d’un insecte « bénin » ou « bienfaiteur » dans les intérieurs, on peut imaginer que la « sous-architecture » pourrait trouver une nouvelle place dans la conception architecturale, et ainsi se débarrasser du préfixe négatif « sous » qu’on lui avait attribué.

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NESCent Working Group on the Evolutionary Biology of the Built Environment, op. cit.

84

BERTONE et al., op. cit.

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II - Les insectes « bienfaiteurs » des espaces anthropisés Dans le chapitre précédent, nous avons tenté de déterminer les multiples influences et enjeux de la présence indésirable et non anticipée des insectes au sein de l’architecture. Nous avons pu évaluer les limites du terme « nuisible », en émettant l’hypothèse de l’existence d’un insecte « bénéfique85». Si la notion de « nuisible » est viable lorsque les insectes altèrent le bien-être subjectif de l’humain et son milieu construit, et qu’elle est discutable d’un point de vue scientifique, l’appellation ellemême de « nuisible » suggère qu’il existe un antonyme et de multiples nuances. Cet antonyme est peut-être « utile », peut-être « bienfaiteur ». Nous allons donc expliciter dans ce second chapitre ce que sont les insectes « bienfaiteurs », les divers contextes dans lesquels on leur attribue ce statut privilégié, enfin, quelle influence cette valorisation peut avoir dans les espaces anthropisés, et ce à l’échelle architecturale et territoriale. Utilités visibles et invisibles Avant de développer le chapitre, il est important de définir quels sont les insectes « bienfaiteurs ». L’expression sous-tend que les insectes soumettent à l’humain un certain bienfait. De nombreuses espèces d’insectes ont des qualités utiles à l’humain, plus ou moins directement, et de manière plus ou moins perceptible. On peut différencier deux types d’utilités. Dans le premier cas, les insectes agissent de manière autonome au bénéfice de l’humain : pollinisateurs et régulateurs des populations de nombreux consommateurs primaires dits « auxiliaires », éboueurs86, fertilisateurs (par recyclage et incorporation

85

BERTONE et al., « Arthropods of the great indoors: characterizing diversity inside urban and suburban homes », PeerJ, 2016. Consulté le : 23.05.2016. Disponible à l’adresse : https://peerj.com/articles/1582. pdf.

86

L’article cité dans le chapitre 1 montre le rôle crucial des fourmis de trottoirs dans la gestion des déchets à New York : YOUNGSTEADT Elsa, HENDERSON Ryanna C., SAVAGE Amy M., ERNST Andrew F., DUNN Robert R., FRANK Steven D., « Habitat and species identity, not diversity, predict the extent of refuse consumption by urban arthropods », Global Change Biology (Urbana), n°21, Issue 3, Mars 2015, pp. 1103– 1115.

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au sol de l’humus), désherbants sélectifs (Lamy, 1997), gestion de l’eau et de production agricole87. Il s’agit d’une utilité à caractère « invisible » puisqu’elle n’est pas directement perceptible et contrôlée par l’humain. Dans le second cas, l’utilité de l’insecte est « visible » : celle-ci est saisie et instrumentalisée par l’humain. Les insectes « utiles » interviennent dans la vie humaine « comme matériau, producteurs ou opérateurs »88. Les usages et leurs profits (matériels ou immatériels) diffèrent en fonction des groupes sociaux et des classes d’âge, et apparaissent dans les champs divers de l’art, de l’agrément, ou de l’agriculture89. La dimension économique des insectes est néanmoins dominante face à leur valeur de divertissement90. Ainsi, le profit économique de l’activité des insectes étend son champ entre des productions d’envergure tels que le miel (abeilles à miel, nom vernaculaire des espèces Apis mellifera et Apis cerana) et des productions textiles – on citera l’exemple pertinent de la matière première issue des vers à soie, bien que ces productions textiles incluent également teintures (cochenille, gales, etc.) et ornements91. Enfin, les insectes, dans certaines cultures, ont une valeur nutritive lorsqu’on les considère comme comestibles (voire « délicieux »), et une vertu thérapeutique. Cette valeur « bienfaitrice » reste très subjective et on peut imaginer que la majeure partie des utilités accordées aux insectes est « invisible », puisqu’ils agissent pour la plupart de manière autonome. L’activité des insectes pollinisateurs a été évaluée à 153 milliards d’euros par an (programme Alarm, 2006-2009)92. Néanmoins, bien que sa force ait été prouvée, cette activité pollinisatrice est difficilement estimable et perceptible. A contrario, les insectes « ravageurs » ou « envahissants » affectent annuellement l’économie mondiale d’un coût estimé à 69 milliards d’euros (projet « Invacost »)93. Comme le suggère Malaisse (1997) à propos des sauterelles, la perception de ces insectes ennemis de l’humain et de ses cultures est peut-être à réviser en tenant compte de leur valeur alimentaire94. Ainsi, la frontière entre « nuisible » et « utile » est à considérer avec précaution. On peut imaginer que la revalorisation des insectes dans le contexte écologique du regain d’intérêt pour la biodiversité va mener à une découverte d’utilités ignorées jusqu’alors, et donc à une reconsidération des notions de « nuisible » comme d’ « utile ». Au-delà de leurs « utilités », les insectes « bienfaiteurs » ont une force à caractère symbolique, 87

88

89 90

91 92

« En Afrique de l’Ouest, la capacité des termites à extraire et digérer la matière organique du sol grâce à leur flore intestinale est exploitée pour les productions agricoles et la gestion de l’eau ». FAIRHEARD James, LEACH Melissa, « Termites, Society and Ecology : Perspectives from West Africa », in M.C. THOMAS Jacqueline, MOTTE-FLORAC Elisabeth (dir.), Les insectes dans la tradition orale, Louvain, Peeters, 2004.

MOTTE-FLORAC Elisabeth, « Introduction », in M.C. THOMAS Jacqueline, MOTTE-FLORAC Elisabeth (dir.), Les insectes dans la tradition orale, Louvain, Peeters, 2004.

Ibid.

Z. RIVERS Victoria « Emeralds on Wing : Jewel Beetles in Textiles and Adornment », ibid., pp. 163-174.

93

94

W. PEMBERTON Robert, « Persistence and Change in traditional Uses of Insects in contemporary East Asian cultures », in M.C. THOMAS Jacqueline, MOTTE-FLORAC Elisabeth (dir.), Les insectes dans la tradition orale, Louvain, Peeters, 2004, pp. 139-154 ; COYAUD Maurice, « Insectes d’agrément en ExtrêmeOrient (Chine, Vietnam, Japon) », ibid, pp. 155-162. Comme cité dans l’introduction : LÉVEILLÉ Patricia, site de l’Inra, Abeille, pollinisation et biodiversité, 06.02.2013. Consulté le : 05.02.2016. Disponible à l’adresse : http://www.inra.fr/Grand-public/Ressourceset-milieux-naturels/Tous-les-dossiers/Abeilles-pollinisation-biodiversite-pesticides/Abeilles-pollinisation-etbiodiversite. - Communiqués de presse du CNRS, Invasion des insectes : l’économie mondiale affectée, 04.10.2016. Consulté le : 10.10.2016. Disponible à l’adresse : http://www2.cnrs.fr/presse/communique/4721.htm ; - Étude : Bradshaw, C. J. A. et al. Massive yet grossly underestimated global costs of invasive insects. Nature Communications 7, 12986 doi: 10.1038/ncomms12986, 04.10.2016. Consulté le : 10.10.2016. Disponible à l’adresse : http://www.nature.com/articles/ncomms12986. MALAISSE François, Se nourrir en forêt claire africaine: approche écologique et nutritionnelle, Gembloux, Les Presses agronomiques de Gembloux, 1997, pp. 226-241.

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Figure 24. Illustrations personnelles : Évolution de la ruche urbaine du public au privé, et Évolution du mur « entomophile », 2016. La ruche et l’hôtel à insectes sont deux objets « architecturés » de plus en plus présents dans l’espace urbain. Ils sont peu à peu intégrés dans l’architecture dans de nouvelles typologies : ruche sur toit, ruche « d’intérieur », mur à insectes et « mur « entomophile ». Le mur à abeilles est une typologie architecturale d’apiculture très ancienne qui correspond aussi à la définition du mur « entomophile ».


née d’une fascination humaine pour leur génie, qui sous-tend leur valorisation dans des contextes donnés. La valorisation de ces insectes étend son champ au-delà d’une vision utilitariste, puisqu’elle inclut une dimension d’« intelligence », d’où l’utilisation pour ce chapitre du qualificatif de « bienfaiteurs », incluant à la fois les notions d’« utilité » et de « vertu ». Dans la création artistique, les insectes interviennent aussi comme « créateurs » à part entière. Cet aspect sera développé dans le troisième chapitre. Intégration à l’espace anthropisé La valorisation des insectes « bienfaiteurs » suggère que leur présence devient souhaitée et anticipée dans les milieux anthropisés. Il convient d’étudier les enjeux de la vision utilitariste de certains insectes et leur répercussion dans la pratique des architectes. L’anticipation d’une « présence » des insectes dans notre milieu construit suppose qu’elle est mise entre les mains des constructeurs de ce milieu. Il faut identifier à quels niveaux cette intégration est appliquée dans l’élaboration du milieu construit : est-elle pensée dans la conception d’un projet architectural, ou surgit-elle de manière fortuite dans des objets construits façonnant notre espace ? L’intégration des insectes « bienfaiteurs » dans les espaces anthropisés s’exprime à travers de nombreuses formes spatiales, architecturales et territoriales. La typologie de la ruche représente peut-être le premier objet aux qualités spatiales qui a su amener les insectes dans notre espace construit de manière volontaire. Les hôtels à insectes, également objets, surgissent de plus en plus comme des repères à travers le territoire, témoins de la présence désirée - et contrôlée des insectes. Enfin, certaines façades « vertes », ou murs végétaux, dont la typologie possède un caractère hégémonique dans la tendance de l’architecture « écologique », représentent peutêtre le premier élément architectural manifeste de l’intégration des insectes, toutefois encore instrumentalisée et anecdotique, et souvent réduite au statut d’outil de marketing95 « vert ». Ces formes sont repérées dans les parties 2.1, 2.2 et 2.3 du chapitre sous trois échelles : l’objet, le territoire, l’architecture. La valorisation des insectes est en constant mouvement, étendant sa perspective en fonction de la découverte de nouvelles utilités. Ainsi, il est possible que la (re)découverte grandissante de l’utilité des insectes, spécifique au contexte de mise en valeur et de protection d’une biodiversité trop longtemps négligée, et doublée d’un regain d’intérêt pour la connaissance de la biologie, ait un impact conséquent sur le comportement et le traitement futurs de cette partie de la biodiversité. Les architectes, en tant qu’acteurs de l’espace, ont un rôle à jouer au service de cette valorisation souhaitée, dépendant de ce changement de perspective en constante évolution. Cette valorisation montre que la limite entre « nuisible » et « bienfaiteur » est finalement très subjective, et puisqu’elle est discutable et de plus en plus discutée, elle amène les concepteurs de l’espace - architectes, urbanistes, paysagistes – à prendre parti dans ce débat d’intégration. La question soulevée amène à redéfinir les rôles des concepteurs de l’espace dans cette intégration évolutive, à définir leurs nouveaux champs d’intervention possibles dans les projets architecturaux et territoriaux à venir, ainsi que leurs potentialités encore inexplorées.

95

La désignation d’ « outil de marketing » apparaît notamment dans la critique de la “nostalgie de la nature” dans le livre Paysages réactionnaires de Federico FERRARI (Eterotopia France, Paris, 2016).

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Figure 25. Paris Myope, Porte du 64, avenue Ledru Rollin, IIe ardt. Immeuble de 1891., Paris, 2015, photographie. A Paris, plusieurs institutions et demeures ont recours au symbole de la ruche dans leur façade comme métaphore vertueuse de leur activité, comme sur la porte en bois ci-dessus où la ruche apparaît en haut d’un pilastre.


2.1 – La ruche : objet architecturé et objet métaphorique La ruche artificielle apparaît manifestement comme le premier objet, aux qualités architecturales, témoin de l’anticipation et du contrôle de la présence de l’insecte dans l’espace anthropisé. Depuis la préhistoire, les humains récoltent le miel et la cire des abeilles. L’apiculture est peut-être l’art le plus ancien d’élevage et de domestication d’insectes96. Avec lui, on peut tracer l’évolution de la ruche, aussi riche en typologies (formes, matériaux, fonctionnement) qu’elle est présente dans tous les continents et à toutes les périodes de l’Histoire. L’étude de la ruche est particulièrement pertinente puisque l’objet n’est pas moins architecturé qu’il est emblématique : en plus des qualités spatiales entreprises pour accueillir l’insecte, celle-ci possède une force symbolique, ayant nourri en métaphores les plus antagonistes idéologies de sociétés parfaites, jusqu’à constituer un corpus littéraire97. De plus, l’objet de la ruche réunit la plupart des vertus bienfaitrices explicitées dans l’introduction de ce chapitre : bienfait économique avec la production de cire et de miel aux bienfaits nutritionnel et thérapeutique, vertu pollinisatrice de l’abeille, vertu d’agrément et vertu pédagogique avec la ruche d’observation et les nouvelles ruches urbaines.

2.1.1 - Objet métaphorique des architectes 75

Le miel des abeilles est intimement lié au divin dès la naissance de la littérature occidentale98 et la figure associée de la ruche servira plus tard de métaphore à de nombreuses idéologies, aussi bien pacifiques que réactionnaires, témoignant de sa force symbolique. Dès l’époque de La République de Platon, l’admiration pour la société de l’insecte marque la philosophie et la poésie occidentale jusqu’aujourd’hui. De Virgile à la Renaissance, la ruche est associée à la ville en tant que modèle idéal99. Il existe une comparaison traditionnelle entre la ruche et la société humaine. La ruche constitue à la fois une métaphore formelle, spatiale et socio-politique. Elle est un des symboles de la Révolution Française, comme hexagone de la France, puis le symbole des nouvelles valeurs républicaines. Plus tard, elle devient un symbole maçonnique100. À Paris, on peut voir la ruche apparaître dans les ornements de façades du XIXe siècle, comme symbole de labeur, de l’industrie ou de vertu (Fig.25). Après la Seconde Guerre mondiale, on voit la prolifération d’une

On trouve la plus ancienne description de l’apiculture dans un bas-relief datant de 2400 ans av. J.C., issu du temple du soleil d'Abu Ghorab en Basse-Egypte. Source : CHAUVIN Rémy, Traité de biologie de l'abeille, Masson, 1968, p. 51. À cette période, les petites ruches horizontales cylindriques sont en terre séchée ou cuite, superposées sur plusieurs niveaux, et l’extraction du miel se fait par enfumage.

97

Le topos littéraire de « la ruche » étend son champ de la naissance de la tradition du concept de l’essaim déshumanisant d’Homère, du plan social de la « Cité des abeilles » de Virgile à leurs interprétations par Dante, puis Milton etc. La généalogie de ce topos est décrit par Christopher Hollingworth dans son livre Poetics of the Hive, Insect Metaphor in Literature (Iowa City, University of Iowa Press, 2001).

98

A travers l’Iliade et l’Odyssée, Homère donne au miel une origine céleste mythique. Néanmoins, cette vertu n’est pas attribuée aux abeilles qui le confectionnent.

HOLLINGWORTH Cristopher, Poetics of the Hive. Insect Metaphor in Literature, Iowa City, University of Iowa Press, 2001.

96

99

Des revues telles que « L’Abeille maçonnique » ou « La Ruche Maçonnique » en témoignent. Source :

100

RAMIREZ Juan Antonio, The beehive metaphor. From Gaudi to Le Corbusier (tr. ang., A. R. Tulloch), Londres, Reaktion, 2000.


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Figure 26. « Plan of the Hanna House, 1957 » plan retranscrit du rez-de-chaussée de la Hanna-Honeycomb House (Stanford, 19271937) de Franck Lloyd WRIGHT. Franck Lloyd Wright utilise l’analogie formelle de l’alvéole de la ruche pour dessiner le plan de la maison Hanna-Honeycomb House (Stanford, 1937) ci-dessus, dont le motif est entièrement basé sur la répétition et l’entrecroisement de l’élément hexagonal. En résulte un espace ouvert, associé par Wright à la liberté de mouvement, sans un seul angle droit dans le plan du rez-de-chaussée.


idée négative de la métaphore, alors associée aux pouvoirs fascistes. Elle véhicule l’idée d’une nation qui fonctionne comme un super-organisme devant laquelle l’individualité disparaît. Cette métaphore politique apparaît plus tôt dans une image de la « British Beehive101» (1867) qui décrit l’interaction de la structure et de la hiérarchie de l’économie politique de l’Angleterre impériale au milieu du XIXe siècle102 (Fig.5, p.18). Dans cette image, tandis que les servants apparaissent en bas de la structure, les ministres et financiers apparaissent tout en haut, autour de la Reine, placée au centre de la ruche. La ruche constitue dans ce cas une double analogie : la première est formelle et structurelle, et la seconde est de principe, métaphore d’une société hiérarchique harmonieuse. La ruche réunit tous les types d’analogies biologiques103 possibles en architecture : l’analogie formelle, l’analogie structurelle et l’analogie de principe organisationnel. Elle semble donc idéale pour nourrir l’imaginaire des architectes, appuyée par la tradition occidentale de voir les humains en tant qu’insectes. La première réalisation d’HBM encadrée par la loi Siegfried (créant le financement public du logement social en France), la cité-jardin « La Ruche » 104, dans le quartier de La Plaine Saint-Denis est imaginée par l’architecte Georges Guyon. L’opération de 67 logements, constituée de maisons entre cour et jardin, est construite dès 1891. L’attribution du nom de « La Ruche » est peut-être manifeste de la force que le symbole renvoie aux architectes, en tant qu’image d’une organisation sociétale parfaite. L’historien d’architecture Juan Antonio Ramirez propose de lier la genèse de l’architecture moderne à travers la métaphore de la ruche dans son livre The Beehive Metaphor105. Il dresse les connections formelles et idéologiques entre apiculture et architecture, et propose que les fondateurs du mouvement moderne ont été inspirés à la fois par la métaphore sociale de la ruche et par les développements technologiques des ruches rationnelles au XIXe siècle. L’auteur fournit plusieurs exemples de l’emploi de cette métaphore dans l’architecture. L’architecture organique de Franck Lloyd Wright fait parfois référence à la structure de la ruche. L’exemple le plus parlant est la Honeycomb House (1937), maison dont le plan est basé sur la répétition et l’entrecroisement d’un module hexagonal emprunté aux alvéoles de la ruche (Fig.26). Le second exemple est le projet inachevé Crypte de la Colonie Güell (1898) d’Antonio Gaudí, construit entre 1908 et 1914. Il s’agit d’une église pour la Colonie Güell, ville ouvrière d’une industrie textile à Santa Coloma de Cervelló. La forme de l’église naît de l’analogie du principe de construction des abeilles qui fabriquent les alvéoles de leur nid en se suspendant les unes aux autres, de haut en bas. Gaudí emprunte à la ruche l’idée qu’il en a d’une société coopérative de travailleurs, et son principe de construction générant sa forme. Ramirez trace cette idée de société jusqu’au projet de lotissements fermés à alvéoles (1922) de Le Corbusier106, premier gratte-ciel de résidence collective de l’architecture moderne, où il repère l’idée nouvelle de faire vivre les habitants ensemble dans un bloc compact composé d’une répétition de cellules, semblable aux alvéoles d’abeilles.

101 102

La « British Beehive » (1867) peut se traduire par « Ruche Britannique ».

GISSEN

David, Subnature. Architecture’s other environments, Princeton, Princeton Architectural Press,

2009.

103 104

CHUPIN Jean-Pierre, Analogies et théories en architecture, Gollion, Ed. In Folio, 2010. POUVREAU Benoît, SIMONNOT Nathalie, », Conseil général de la Seine-Saint-Denis, Meulière, brique et

béton à Saint-Denis. Consulté le 05.10.2016. Disponible à l’adresse : http://www.atlas-patrimoine93.fr/ documents/patrimoine_en_SSD_3.pdf.

105

RAMIREZ Juan Antonio, The beehive metaphor. From Gaudi to Le Corbusier (tr. ang., A. R. Tulloch), Londres, Reaktion, 2000.

106

Le livre Vie et Mœurs des abeilles de Karl Von Frisch est annoté dans la bibliothèque de Le Corbusier. Ramirez propose que l’architecte se soit intéressé à la ruche.

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Figure 27. Dyptique personnel, Cabane et ruche primitives, 2016 : EISEN Charles, « La petite cabane rustique » frontispice de LAUGIER Marc Antoine, Essais sur l’architecture (1753), 1755 ; et KRÜNITZ Johann Georg, Récolte de miel avec apiculteurs; ruche-tronc, 1774. La petite cabane rustique ou cabane primitive, faite de quelques « branches abattues dans la forêt », et la ruche-tronc ou ruche primitive (en bas à gauche de la gravure de Krünitz), faite d’une section de tronc d’arbre, se croisent dans leur essence. Leur architecture, faite de sections d’arbres, naît d’un besoin « primitif » de protection aux intempéries. Ainsi, les deux archétypes présentent une toiture (la ruchetronc est protégée par un bout de bois ou une pierre).


2.1.2 - Objet architecturé des apiculteurs L’essence de l’architecture comme de la ruche ont en commun la représentation d’une construction vernaculaire faite de matériaux naturels. La ruche primitive est à l’essence de l’apiculture ce que la cabane primitive est à l’essence de l’architecture (Fig.27). On peut aussi établir une corrélation entre l’objet physique de la ruche – lui même architecturé, et la maquette d’architecture, ouvrage architectural à échelle réduite. Ces deux typologies d’objets (la ruche et la maquette d’architecture) se rapprochent étrangement : par leur échelle, par l’effort mental qu’elles demandent pour comprendre leur spatialité et leur fonctionnement, et par l’imaginaire du « miniature » auquel elles renvoient. Dans les deux cas, l’humain, entomologiste ou architecte, est placé comme observateur « puissant », narrateur omniscient du fonctionnement de ces espaces miniatures. L’historien d’architecture Juan Antonio Ramirez (2000), cité précédemment, fait un rapprochement entre les ruches d’observation et l’architecture en tant qu’instruments optiques. Il rapproche notamment la ruche rationnelle ou ruche « en livre », invention du naturaliste suisse François Huber, et le Panopticon de Jeremy Bentham (1787). De même que dans le modèle de la prison où le gardien observe l’ensemble des cellules de prisonniers, l’apiculteur peut extraire le miel de manière inoffensive tout en observant la ruche dans sa totalité. La ruche possède toutes les qualités spatiales, matérielles et fonctionnelles, requises en architecture. Il s’agit d’une architecture à part entière, adaptée à la colonie d’abeilles (entrée des abeilles, espace nécessaire à la colonie, adaptation aux conditions climatiques, régulation de la température et de la condensation), comme au travail de l’apiculteur (accessibilité à la ruche, adaptabilité à la récolte et au nourrissement, installation dans le contexte anthropisé). On peut tracer l’évolution formelle et technique de la ruche qui, comme l’architecture, s’est modernisée, dans le but de faciliter le travail des apiculteurs, avec des matériaux et des techniques « modernes ». La ruche primitive est constituée d’une section de tronc d’arbre creux. Au cours de l’histoire, une multitude de modèles de ruches apparaissent sur tous les continents, d’une grande diversité en termes de forme, de fonctionnement et de matériaux. Au XIXème siècle, on voit s’accroître des modèles de ruches, souvent réadaptations d’un modèle déjà existant, en fonction des besoins et des préférences propres à chaque apiculteur. Louis-Alban Buzairies, en 1863, tente d’analyser les ruches anciennes et modernes107. Plutôt que de décrire les ruches en fonction de leur apparition chronologique, il les classe dans un tableau en fonction de leurs traits de ressemblance, afin d’éviter les répétions inutiles. Le plan est divisé en deux groupes : les ruches « simples » à un seul corps et les ruches composées. De ces deux groupes découlent des caractères distinctifs : ruches verticales/horizontales, ruches fixes/mobiles etc. Enfin, la ruche moderne émerge à la fin du XIXe siècle, liée à une approche scientifique de l’apiculture. Au début du XIXe, François Huber met au point la ruche rationnelle ou ruche « en livre », dispositif composé d’une série de cadres qui s’ouvrent et se ferment comme les pages d’un livre, ce qui permet d’observer les abeilles sans déranger la colonie. Le naturaliste met ensuite au point la ruche d’observation, basée sur la première, caisse dont les cadres peuvent se manipuler individuellement. Celle-ci est considérée comme l’ancêtre de la ruche moderne, brevetée en 1852 par Lorenzo Lorraine Langstroth. La ruche Langstroth et la ruche Dadant (1870) sont les modèles de ruche standard universels les plus répandus encore aujourd’hui dans le monde. Aujourd’hui, avec la volonté croissante de protéger la biodiversité, des ruches se répandent de 107

BUZAIRIES Louis-Alban, Les Ruches de tous les systèmes. Examen et description des ruches anciennes et modernes, Paris, Ed. Au bureau de l’”Apiculteur”, 1863.

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Figure 28. BALI Malvina et GARZUEL Camille, La Fabrique à miel, Lille, 2015, perspective et axonométrie du projet. Dans ce projet, la ruche devient un mobilier urbain, répété pour construire l’espace public. On constate dans l’axonométrie que la véritable ruche (ruche Dadant) est placée à l’intérieur de la « nouvelle » ruche urbaine dont la peau sert de tampon entre les abeilles et les promeneurs.


plus en plus dans les villes. Les architectes sont amenés à concevoir des ruches urbaines. On peut imaginer que les architectes devront peu à peu s’approprier les différents modèles de ruches proposés à travers cette évolution, aussi bien qu’ils se seraient emparés d’un contexte historique pour construire leur projet, afin de comprendre les différentes possibilités qui leur sont offertes. La « ruche contemporaine » est peut être une ruche urbaine, adaptée à la fois aux besoins de l’apiculture comme au contexte urbain.

2.1.3 - Micro-architectures publiques Depuis le début des années 2000, les municipalités encouragent la présence de ruches dans la ville. Les sites urbains représentent un habitat idéal pour les abeilles : ils fleurissent toute l’année, ils sont légèrement plus chauds que les sites ruraux, et sont souvent moins traités en produit chimique. À titre d’exemple, les premières ruches urbaines de Lille datent de 2003, au sein du rucher-école municipal de la Ferme pédagogique Marcel Dhénin. Un apiculteur salarié de la ville y exerce sa profession depuis 2006. En octobre 2015, la maison de l’Architecture et de la ville lance le projet « La Fabrique à miel » visant à équiper le parc Matisse d’Euralille avec quatre ruches. L’appel à candidature108 qui s’intitule « Concevoir une ruche contemporaine » formule ses motivations et enjeux adressés aux architectes et designers : « Il s’agit d’une part, de contribuer à la biodiversité et à la sauvegarde des abeilles dans la métropole. Et d’autre part, de développer un projet pédagogique autour de la ville, de l’architecture et de l’abeille. (…) Euralille, berceau de l’architecture contemporaine à Lille, est un site propice à ce projet. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité organiser cet appel à projets. Celui-ci a pour objet de concevoir une ruche contemporaine en milieu urbain au sein du parc Matisse, adaptée au site, au milieu de vie et aux contraintes particulières de l’habitat des abeilles. ». Les ruches permettent à la ville de contribuer au maintien de la biodiversité locale, dans un souci écologique, et de développer un projet pédagogique « autour de la ville, de l’architecture et de l’abeille ». Ce projet met en lien l’architecture contemporaine de Lille, symbolisé par Euralille, et la « ruche contemporaine ». Il demande aux architectes et designers de s’approprier la conception des ruches urbaines aussi bien qu’ils se seraient appropriés le reste du site architectural d’Euralille, « berceau de l’architecture contemporaine à Lille ». Les lauréats du concours sont deux architectes Camille Garzuel et Malvina Bali. Elles ont imaginé quatre ruches de trois mètres de haut (Fig.28), protégées d’une double peau en bois qui permet de réguler la température, l’hygrométrie et la mise à distance du public. Les abeilles entrent et sortent par les deux cheminées du petit édifice. Une plateforme délimite la zone d’intervention de l’apiculteur. Un mur végétal sert de zone tampon afin d’isoler les abeilles. Le projet a pu être construit grâce à un financement participatif de 8000 euros. « L’idée formelle est d’associer la ruche à celle de l’usine et de jouer sur le parallèle avec l’abeille ouvrière. L’usine peut aussi renvoyer aux méga-structures de l’architecture du quartier109. » La forme d’ « usine » des ruches, analogie de la société d’insectes, porte une valeur métaphorique, 108

Maison de l’Architecture et de la ville (MAV), site de lille-design, Appel à projet – ruche contemporaine, 13.10.2015. Consulté le : 05.12.2016. Disponible à l’adresse : https://www.lille-design.com/images/ appel_%C3%A0_projet_-_ruche.pdf.

109

Maison

de l’Architecture et de la ville (MAV), site de la MAV, Soutenez le projet de la Fabrique à miel, 16.05.2016. Consulté le : 05.12.2016. Disponible à l’adresse : http://www.mav-npdc.com/fiche/la-fabriquemiel/.

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Figure 29. FACCIN Francesco, Honey factory, Milan, 2015, photographie de LEGNANI Delfino Sisto et coupe de l’auteur. Le modèle de ruche ci-dessus combine la typologie de l’usine, ici réduite à une forme minimale, et le mobilier urbain. La ruche est donnée à voir publiquement grâce à la paroi vitrée. Une deuxième peau sert de tampon entre promeneurs et abeilles.


qui adresse aux visiteurs du parc Matisse un message pédagogique sur l’engagement de la ville envers « la biodiversité, le design et l’architecture ». L’objet de la ruche, élevé à trois mètres, est une micro-architecture ludique qui se lie formellement et visuellement au site urbain. À l’échelle des abeilles, les trois ruches Dadant internes sont adaptées à leur milieu de vie. Le projet permet donc d’établir un pont entre l’objet de la ruche et le territoire urbain, entre l’échelle de l’abeille et l’échelle de l’humain. Ce pont est constitué d’une double peau. Il y a d’abord la ruche de trois mètres, « totem » scénographié à l’échelle urbaine et protection pour les ruches internes. À l’intérieur de celle-ci, les ruches à cadres servent d’habitats fonctionnels des abeilles. « Bien que le projet lauréat soit une micro-architecture, ce projet aura un impact fort. Il renforcera l’engagement que la ville prend envers la biodiversité, le design et l’architecture. La compétition a pour objectif principal de démontrer comment la conception architecturale à petite échelle peut transformer l’espace public. »110. Le projet donne du pouvoir à cette échelle de la conception. La micro-architecture, usant d’un langage accessible à tous, est dite capable de « transformer l’espace public ». En effet, l’espace public, « agrémenté » de ces ruches, prend une fonction nouvelle en tant qu’abri de la biodiversité urbaine, mais aussi en tant que « fabrique » publique et contemporaine, signalée déjà dans le nom du projet « La Fabrique à miel ». Enfin, il semble que l’espace public devient un lieu de pédagogie, de sensibilisation à la biodiversité, dont le message (ici de la ville) est porté par les ruches comme témoins ludiques de l’existence et de la valeur de cette biodiversité. Les mêmes caractéristiques sont retrouvées dans plusieurs ruches urbaines contemporaines, comme dans l’ouvrage « Honey Factory » conçu par le designer Francesco Faccin dans le jardin de l’Expo Triennale de Milan en 2015 (Fig.29). Il s’agit d’un ouvrage de micro-architecture entièrement destinée à la production de miel. La petite usine est constituée d’une cheminée en bois de 4,5 mètres de haut, pour garder à distance les enfants comme les vandales des abeilles. D’un côté, une porte est réservée à l’accès de l’apiculteur et de l’autre, une fenêtre en verre est destinée à l’observation du public. Protégée à l’intérieur de l’ouvrage, une ruche traditionnelle est placée au milieu. Les deux exemples précédents constituent des références de micro-architectures représentatives du mouvement contemporain de conception de ruches urbaines. L’enjeu principal est d’adapter un modèle de ruche existant (ici, le modèle de ruche moderne Dadant) à l’espace urbain. Ce mouvement est motivé par la protection des abeilles urbaines et par la production de miel. Or, l’élément principal de motivation est sans doute l’outil pédagogique que la ruche représente auprès des citadins. Celle-ci sert de tremplin pour sensibiliser à la biodiversité urbaine. Il faut noter que, dans les deux cas, l’effort de conception est à l’échelle humaine : il s’agit de penser l’enveloppe de protection de la ruche plus que la ruche elle même. L’interaction avec le public est au cœur de la conception. Celle-ci passe par la mise en scène de l’objet dans l’espace urbain, par le choix de sa volumétrie en réponse au contexte architectural dans lequel il s’inscrit, et par le choix des matériaux utilisés. Ainsi, la « ruche contemporaine » est une ruche à l’échelle humaine, pouvant s’inscrire dans la ville sans gêner les abeilles. Le modèle de la ruche en ellemême reste le même : la ruche Dadant111 dite « ruche moderne », qui s’inscrit à l’intérieur de la « ruche contemporaine ».

110 111

Ibid.

Charles Dadant (1817 - 1902), considéré comme le fondateur de l’apiculture moderne, est l’inventeur de la ruche à cadres « Dadant ». Elle est aujourd’hui la ruche la plus répandue en Europe.

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Figure 30. SABATIER Vincent, SUBIRANA Clément, Bee Wild, Montpellier, 2015, Coupes 1:5 et schémas. Ce modèle de ruche explore l’architecture à travers des dispositifs bioclimatiques. Faite de bois, de tôle et de terre, elle permet de contrer l’effet de chaleur.


2.1.4 - Ruches « insolites » d’architectes Ce que le projet « La Fabrique à miel » du parc Matisse de Lille définit comme « ruche contemporaine » est finalement une ruche moderne (ruche Dadant) dissimulée dans une enveloppe de protection, adaptée et scénographiée dans la ville. Depuis la fin du XIXe siècle et l’émergence de l’apiculture moderne avec l’invention des cadres mobiles, ni la forme ni la structure des ruches n’ont changé. En 2015, l’Union Nationale de l’Apiculture Française (UNAF) et l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier (ENSAM) se sont associées pour organiser un premier concours de ruches dites « insolites » visant à considérer les nouveaux matériaux disponibles, les nouvelles préoccupations des apiculteurs et la prise de conscience des enjeux représentés par l’abeille112. Le concours a mis à disposition des étudiants en architecture les prescriptions générales nécessaires à la conception de la ruche, formant une sorte de cahier des charges. Celui-ci comprend cinq courtes parties : « 1) Matériaux et couleurs », « 2) Architecture de la ruche », « 3) Adaptation aux conditions climatiques : régulation température, pluie, condensation », « 4) Récolte et nourrissement », et « 5) Installation de la ruche ». On y apprend par exemple que toutes les matières sont envisageables : bois, terre, verre, céramique, matériaux composites, et toutes les couleurs à l’exception du rouge qui n’est pas perçu par les abeilles. Des contraintes nécessaires sont explicitées : les dimensions précises d’une ruche à cadres traditionnelles ; la température doit avoisiner les 35° ; une fente doit permettre l’évacuation des déchets de condensation ; et un accès supérieur doit permettre la récolte et le nourrissement par l’apiculteur. Les projets lauréats des étudiants présentent des ruches relativement différentes, et dont les motivations sont distinctes. Le premier prix « La Ruche pédagodique », sorte de tour miniature entourée de balcons à pots de fleurs, est destiné aux enfants. En incorporant des plantes à la ruche, il permet de responsabiliser l’enfant par le soin d’une plante et de le sensibiliser à la pollinisation des abeilles. Le choix de ce projet montre que le souci pédagogique et de sensibilisation est privilégié aussi bien par les architectes que par les apiculteurs. Le second prix « Bee Wild », de forme et matériaux traditionnels, présente des caractéristiques techniques de ventilation et d’inertie thermique propres à l’architecture bioclimatique (Fig.30). Enfin, le troisième lauréat « la ruche design » est une ruche de terrasse d’appartement en béton (Fig.31, p.86). Celle-ci est la seule à penser à intégrer la ruche dans un contexte urbain, non destiné aux apiculteurs professionnels mais aux amateurs. Le concours présente une collaboration apiculteurs (UNAF) et architectes (ENSAM) inédite en France. Il informe, par le choix des lauréats, les qualités requises d’une ruche contemporaine : innovations pédagogiques, techniques et intégration dans le contexte urbain. Néanmoins, il reste plutôt imprécis sur les besoins réels de l’apiculture contemporaine, et ne formule pas les éléments standards d’une « ruche contemporaine ». Les besoins privilégiés sont de l’ordre de la sensibilisation à la biodiversité et de la pédagogie. Les prescriptions du concours permettent une grande liberté dans le choix du public destiné, et de la « mise en scène » de la ruche. Or, il ne permet pas aux candidats de revisiter le fonctionnement de la ruche traditionnelle à cadres. Le résultat en est l’élaboration de ruches « inédites », et non d’un modèle de ruche contemporaine.

112

L’ENSAM et l’UNAF, site de l’ENSAM, Concours Ruches insolites, Remise des prix, 16.06.2015. Consulté le : 05.10.2016. Disponible à l’adresse : http://www.montpellier.archi.fr/content/download/1477/10880/ version/1/file/DP%20Concours%20Ruches%20insolites%202015.pdf.

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Figure 31. DUCROS Anouk, GOUYEN Anne-Sophie, MARTINET Élodie, La ruche design au service de l’apiphilie, Montpellier, 2015, perspective et élévations. Comme ci-dessus, la ruche est de plus en plus amenée proche des intérieurs et dans l’espace urbain, sur les terrasses et sur les toits.


L’intégration de la ruche à l’architecture113 évolue. D’abord de plus en plus visible sur les toits des bâtiments, la ruche est pensée d’avantage dans l’architecture. De nouveaux modèles de ruches se dessinent en tant qu’éléments architecturaux faisant partie intégrante du mur, de la façade, de la terrasse. Intégrée à l’architecture, la ruche prend une fonction d’agrément qui ne nécessite plus son fonctionnement traditionnel à cadres. Ces dispositifs architecturaux innovants sont susceptibles de constituer l’esquisse d’une nouvelle typologie, celle de la ruche contemporaine.

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113

L’intégration de la ruche à l’architecture est explicitée dans la troisième partie du chapitre : « 2.3.- Intégration des insectes “bienfaiteurs“ à l’architecture ».


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2.2 – Les dispositifs « entomophiles* » au service de la continuité verte 2.2.1 – Insectes, acteurs de la continuité verte Continuité verte La continuité verte est une idée nomade qui circule depuis plusieurs décennies entre les champs de l’aménagement du territoire (urbanisme, paysagisme) et ceux de la recherche scientifique (écologie du paysage, géographie et plus récemment sociologie)114. Elle apparaît très tôt dans la pensée de la ville. Hélène Harter (2002) repère l’idée de continuité verte dès le XIXe siècle chez les paysagistes américains pour lesquels elle serait fondatrice de « l’art paysager ». Frederick Law Olmsted (18221903), considéré par certains comme le premier architecte-paysagiste, a contribué à cette idée de continuité verte en Amérique du Nord en mêlant ville et nature. Cette continuité reposait alors sur l’élaboration de parcs urbains, de jardins publics et privés, de circulations plantées et de parcs régionaux. À la fin du XXe siècle, dans le contexte de la prise de conscience écologique, l’idée est reprise dans l’expression de « trame verte ». En France, la Trame verte et bleue (TVB) est l’une des principales mesures du Grenelle Environnement (2007). La TVB est introduite dans le code de l’environnement (article L. 371-1 et suivants) le 12 juillet 2010 par la loi Grenelle 2. Elle modifie aussi l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme pour y intégrer la préservation de la biodiversité par la conservation, la restauration et la création de continuités écologiques.115 Il s’agit d’un outil d’aménagement du territoire qui vise à (re)constituer un réseau écologique cohérent, à l’échelle du territoire national, pour permettre d’assurer la survie des espèces animales et végétales. Les continuités écologiques correspondent à l’ensemble des zones vitales (réservoirs de biodiversité) et des éléments (corridors écologiques) qui permettent à une population d’espèces de circuler et d’accéder aux zones vitales116. Les corridors écologiques peuvent prendre plusieurs formes et ils n’impliquent pas toujours une continuité physique. En effet, certains réservoirs de biodiversité peuvent faire partie de la Trame verte et bleue sans avoir à vocation à être reliés entre eux. Parfois, l’isolement naturel de ces espaces est pertinent dans la conservation de la biodiversité, pour limiter la dispersion d’espèces exotiques envahissantes ou la propagation de maladies. On distingue ainsi trois types de corridors écologiques : • •

114

Les corridors linéaires (haies, chemins et bords de chemins, ripisylves, bandes enherbées, le long des cours d’eau) ; Les corridors discontinus (ponctuation d’espaces-relais ou d’îlots-refuges, mares permanentes ou temporaires, bosquets) ;

BONIN Sophie, TOUBLANC Monique, « Planifier les trames vertes dans les aires urbaines : une alliance

à trouver entre paysagisme et écologie », Développement durable et territoire, Vol. 3 n°2, Juillet 2012. Consulté le : 05.09.2016. Disponible à l’adresse : https://developpementdurable.revues.org/9347.

115

Trame

116

Ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer, La trame verte et bleue. Consulté le : 05.09.2016.

verte et bleue. Centre de ressources, Un dispositif législatif pleinement abouti. Consulté le : 05.09.2016. Disponible à l’adresse : http://www.trameverteetbleue.fr/presentation-tvb/dispositif-tvb. Disponible à l’adresse : http://www.developpement-durable.gouv.fr/-La-Trame-verte-et-bleue,1034-.html.

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Figure 32.

Photographie personnelle, Hôtel à insectes au Jardin des Plantes, Paris, 2016.

Récemment, une spirale à insectes et deux hôtels à insectes ont été installés dans le Jardin des Plantes à Paris. Chaque intervention est accompagnée d’un panneau ludique de description, pour informer et sensibiliser à l’utilité de tels dispositifs.


Les corridors paysagers (mosaïque de structures paysagères variées). 117

Rôle primordial des insectes Un comité opérationnel de la Trame verte et bleue (Comop-TVB) a été chargé par le gouvernement de mettre en œuvre cette nouvelle politique, selon cinq critères de cohérence nationale. Le premier est le critère espèces, qui permet de considérer des espèces « parapluies » dont la préservation assure celle d’autres espèces associées, aux besoins écologiques analogues. Créée à l’origine pour les vertébrés, la définition s’est étendue aux arthropodes, l’entomofaune représentant plus de 70 % de la biodiversité spécifique connue du règne animal (STORK, 1993). En 2012, le Ministère en charge de l’écologie sollicite l’OPIE (Office Pour les Insectes et leur Environnement), en partenariat avec le MNHM (Muséum National d’Histoire Naturelle) pour établir un rapport intitulé « Définition des listes d’insectes pour la cohérence nationale de la TVB, Odonates, Orthoptères et Rhopalocères118 » permettant de dresser une liste « entomofaune » des espèces « parapluies » au sein des insectes. Un dispositif appelé Schéma régional de cohérence écologique (SRCE) renforce les documents d’urbanisme et autres schémas d’aménagement du territoire afin qu’ils respectent les exigences de la nature au bon fonctionnement des écosystèmes, à l’échelle de chaque région. Il a pour but d’assurer la pérennité ou de restaurer des services rendus par la biodiversité, notamment par les insectes : qualité des eaux, pollinisation, recyclage, prévention des inondations, amélioration du cadre de vie. Le Comop-TVB a retenu les groupes d’insectes des Odonates, des Orthoptères et des Lépidoptères Rhopalocères, car leur écologie est la plus documentée. Ils ont donc une valeur en tant qu’« indicateurs » de la qualité des habitats qui leur sont caractéristiques. On notera que les insectes saproxyliques* et les pollinisateurs, également impactés par la fragmentation, ont été écartés de la réflexion alors qu’ils constituent aussi bien des indicateurs de fonctionnalités écosystémiques. Malgré tout, des actions indépendantes d’aménagement du territoire tiennent compte de ces derniers. Les insectes, en plus de servir d’« indicateurs » précieux de fonctionnalités écosystémiques, rendent service à l’humain dans la gestion du territoire. En maintenant le bon fonctionnement des écosystèmes, ils sont acteurs de la continuité verte. Il est donc primordial de les inclure dans la réflexion de la TVB, et dans les actions urbanistiques et d’aménagement du territoire menées en parallèle. Au service de la continuité verte, ces actions peuvent être identifiées selon deux types de dispositifs dits « entomophiles119 » : les dispositifs réparateurs de territoire et les dispositifs générateurs de territoire.

Trame verte et bleue. Centre de ressources, Qu’est ce qu’un corridor écologique ?. Consulté le : 05.09.2016.

117

Disponible à l’adresse : http://www.trameverteetbleue.fr/presentation-tvb/foire-aux-questions/qu-est-cequ-corridor-ecologique.

118

Trame verte et bleue. Centre de ressources, Définition des listes d'insectes pour la cohérence nationale de la

Trame verte et bleue - Odonates, Orthoptères et Rhophalocères, 2013. Consulté le : 05.09.2016. Disponible à l’adresse : http://www.trameverteetbleue.fr/sites/default/files/references_bibliographiques/opie_2012_insectes_tvb_ maj-16-10-2013.pdf 119

Le qualificatif « entomophile » est employé ici pour désigner une qualité d’accueil et de respect de certains insectes.

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Figure 33. Eurélien, Calendrier de fauchage raisonné, 2016, schéma. Le schéma indique le principe de fauchage raisonné (deux coupes et débrouissaillage) en fonction des saisons. Il a été introduit depuis mai 2016 dans le département d’Eureet-Loire et il est effectué par les équipes du Conseil départemental.


2.2.2 - Dispositifs réparateurs de territoire À l’échelle du territoire, de nouvelles pratiques de gestion émergent pour servir la continuité verte en faveur de la biodiversité. Les infrastructures participent à la dégradation et à la fragmentation des écosystèmes. On peut repérer différents dispositifs qui servent à « réparer » l’impact de ces infrastructures sur les habitats naturels. Ces dispositifs « réparateurs » prennent soit une forme d’action (changements de pratiques de gestion), soit une forme physique (écoduc*). Il s’agit de méthodes dites de « compensation écologique ». Concernant les insectes, on peut analyser deux exemples de dispositifs « entomophiles » qui réparent le territoire. La gestion raisonnée des bords de route, abris importants de l’entomofaune*, constitue un exemple de dispositif d’action, par fauchage tardif notamment. Les lombriducs*, petits corridors écologiques architecturés, sont des dispositifs physiques conçus pour assurer la continuité du milieu de vie des vers de terre, indispensables à la fertilisation des sols. Ces dispositifs sont souvent renforcés par des processus immatériels de conservation, avec la mise en place d’une communication de sensibilisation destinée aux usagers et aux gestionnaires du site concerné. Gestion raisonnée des bords de route Les bas-côtés constituent des corridors écologiques importants120, abris indispensables de la nature « ordinaire ». Le fauchage, opération (par coupe ou broyage) consistant à réduire la hauteur de l’herbe en bordures de routes, peut avoir un effet négatif sur certains arthropodes. Certains auteurs supposent qu’un entretien excessif des bords de routes, diminuant la diversité floristique, ait participé au déclin des populations de bourdons en Belgique (Rasmont et al. 2006 in Hopwood, 2008) alors que ceux-ci représentent des pollinisateurs importants. Le fauchage, par broyage de l’accotement mi-juin, a aussi des effets dévastateurs sur les papillons qui dépendent du nectar des fleurs (Mungira et al., 1992 et Kohler et al., 2006). En 2011, dans le cadre du Grenelle Environnement et de la Trame verte et bleue, l’association Humains et Territoires a mené une étude intitulée « Gestion des dépendances routières et bordures de champs à l’échelle de la région Centre121 ». Partant du constat de l’impact négatif des infrastructures routières122 sur les écosystèmes terrestres et aquatiques, l’étude permet de mettre en évidence un intérêt croissant pour la mise en place de pratiques de gestions favorables à la biodiversité. Elle introduit de nouvelles pratiques de gestion : le fauchage raisonné, dont le fauchage tardif, et la gestion différenciée (en fonction des saisons notamment). Le guide réunit

120

« L’importance des accotements routiers pour la flore est bien documentée. En Angleterre, où l’enjeux de ces milieux est soutenu depuis de nombreuses années, 45% de la diversité végétale locale a été observée en bords de routes (Way, 1977 in de Redon), 50 % au Pays Bas et 25 % en France. Les observations réalisées en Seine et Marne, montrent qu’une majorité des espèces floristiques locales, 51 %, ont été observées seulement en bords de routes. » Source : Association Humains et Territoires, Gestion des dépendances routières et bordures de champs à l'échelle de la région Centre, Septembre 2011. Consulté le 05.05.2016. Disponible à l’adresse : http://www.donnees.centre.developpement-durable.gouv.fr/etudes/ Gestion_bords_routes_Humains_et_Territoires.pdf.

121

Association Humains et Territoires, Gestion des dépendances routières et bordures de champs à l'échelle

de la région Centre, Septembre 2011. Consulté le 05.05.2016. Disponible à l’adresse : http://www.donnees. centre.developpement-durable.gouv.fr/etudes/Gestion_bords_routes_Humains_et_Territoires.pdf.

Les routes de tout type ont sept effets sur les écosystèmes terrestres et aquatiques : (1) augmentation de

122

la mortalité à la construction, (2) augmentation de la mortalité des espèces animales par collision avec les véhicules, (3) modification des comportements animaux, (4) altération de l’environnement physique, (5) altération de l’environnement chimique (rejets de métaux lourds), (6) diffusion d’espèces exotiques, et (7) augmentation de l’altération et l’utilisation des habitats par l’Humain (Trombulack S. C. et al., 2000).

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Figure 34. Nord Nature Chico Mendès, Panneau Fauchage tardif, Arques, photographie. « Zone refuge pour les oiseaux et les insectes », panneau de communication sur le fauchage tardif employé par la ville d’Arques.


les connaissances acquises par les acteurs qui travaillent sur ces thématiques. Il signale que de nombreuses mesures peuvent être mises en place, selon le gestionnaire du territoire, en collaboration avec des associations naturalistes locales et avec les agriculteurs des milieux adjacents, afin de construire une gestion favorable à la biodiversité sur les bordures de route et de champs. À titre d’exemple, le département de l’Eure (France) a mis en place un programme de fauchage raisonné depuis 2008 dans l’aménagement et l’entretien de 7500 km de routes bordées d’accotements, de fossés et de talus. Les grands principes de fauchage sont résumés ainsi : limiter la hauteur de coupe à 10 cm du sol ; limiter les interventions de printemps au strict nécessaire pour assurer la sécurité des usagers ; repousser le débroussaillage des fossés et des talus à l’automne afin de permettre la reproduction des espèces vivant sur ces milieux (Fig.33, p.92). En 2015, le Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie a décidé de généraliser ces actions de gestion raisonnée sur l’ensemble du réseau routier national (12 000 km), après un plan expérimental de trois ans (2010-2013) mené par la direction des Infrastructures de Transport (DTI), permettant d’évaluer l’impact de différentes méthodes de gestion sur la production de ressources alimentaires pour les insectes pollinisateurs123. L’objectif visé est la préservation, voire l’augmentation de la densité et de la diversité des insectes pollinisateurs en bord de route. Ainsi, le fauchage raisonné concilie protection de la biodiversité, sécurité des usagers et économie de main d’œuvre et de coût liée à l’aménagement de territoire. Il s’agit d’une mesure « passive » visant à ne pas détruire la nature « ordinaire ». Cette mesure est renforcée par des processus immatériels tels que la communication pour sensibiliser les usagers, avec une signalétique caractéristique. Des panneaux (Fig.34) sont installés sur les bords de route pour informer les usagers sur l’intérêt de ces nouvelles pratiques de gestion pour la biodiversité. 95

Les avantages du fauchage raisonné (protection de la biodiversité, bien-être des usagers, économie) pourraient correspondre à l’échelle de l’architecture. Les bâtiments, comme les infrastructures routières, représentent des barrières physiques et des éléments de fragmentation des écosystèmes. Malgré tout, la pratique de fauchage raisonné est de l’ordre de la gestion plutôt que de la conception. Les architectes n’ont pas un pouvoir direct sur les pratiques de maintenance. Or, si des dispositifs similaires sont employés dans la conception paysagère, on peut imaginer qu’ils puissent être appliqués dans la conception architecturale. En intégrant dès la conception cette volonté de maintien de la nature « ordinaire » aux alentours des bâtiments, des dispositifs « réparateurs » de territoire peuvent inciter à avoir recours à ces nouvelles pratiques d’entretien et de gestion raisonnée. Lombriducs Les dispositifs « entomophiles » et « réparateurs » de territoire peuvent aussi prendre une forme physique : c’est le cas des lombriducs, petites constructions architecturées qui jouent le rôle de corridors écologiques. Les lombriducs sont des écoducs124 spécialisés, construits pour permettre

123

Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, Les accotements routiers au service de la biodiversité, 19.05.2015. Consulté le : 05.05.2016. Disponible à l’adresse : http://www.developpementdurable.gouv.fr/IMG/pdf/Accotements-routiers-biodiv.pdf/.

124

Un écoduc est un passage construit pour permettre à plusieurs espèces animales, végétales, fongiques,

microbiennes de traverser des barrières artificelles (ponctuelles, linéaires ou surfaciques) fragmentant le territoire. Ils sont nécessaires à l’équilibre écologique, là où les activités ou les constructions de l’humain constituent des obstacles à la traversée des espèces, et sont la cause de mortalité non naturelle d’entre elles.


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Figure 35. LAMIOT F., Résultat final : invertébrés et micromammifères peuvent traverser la route sans s’exposer à leurs prédateurs, Lille, 2007, photographie. La photographie montre la forme de « U » renversé du lombriduc placé transversalement sur un chemin du parc de la Citadelle de Lille. Il permet aux vers de terre et à d’autres invertébrés de traverser le chemin en restant à l’intérieur du sol, sans s’exposer au danger que représentent les usagers et les espèces prédatrices.


la continuité du passage des vers de terre125 (lombrics*), garants de la fertilité du sol, et d’autres invertébrés, afin que ces derniers puissent plus facilement circuler et échanger leurs gènes sur des parcelles fragmentées par des routes ou chemins imperméables et/ou damés126. On trouve deux exemples de lombriducs dans des parcs du département du Nord (France). En 2006, un lombriduc a été intégré dans la construction d’un chemin de promenade au sein du Parc de la Citadelle à Lille. Il est constitué d’un passage en forme de « U » renversé, placé transversalement sur la route construite. La terre d’origine n’a pas été déplacée ni damée durant le chantier127. Ainsi, il permet aux vers de terre et à d’autres invertébrés de traverser le chemin en restant à l’intérieur du sol, sans s’exposer au danger que représentent les usagers et les espèces prédatrices. On constate que deux éléments préfabriqués en forme de « U » renversé ont été placés sur la voie avant que le béton constituant la route piétonne ne soit coulé, protégeant ainsi le passage écologique. Le corridor prend la forme d’un tunnel miniature intégré à la route piétonne, adapté à l’échelle de l’insecte (Fig.35). Le deuxième exemple est un lombriduc intégré à un pont du parc de la Deûle, proche de Lille. Il est placé longitudinalement à la voie piétonne sur le pont, et permet la traversée d’un cours d’eau. Il ne nécessite pas d’éléments préfabriqués de forme particulière, mais plutôt un écart prévu entre le bord du chemin et l’extrémité du pont. Les lombriducs sont donc inclus dès la conception de constructions de type linéaire tels que des chemins ou des ponts. Ils peuvent prendre plusieurs formes : ils sont soit placés transversalement soit longitudinalement sur les voies de passage, et permettent la traversée de petites infrastructures ou de cours d’eau. On notera toutefois que le principe est encore expérimental, et qu’il est efficace seulement lorsque son emplacement pertinent est pensé dans un réseau de corridors écologiques plus vaste. Les lombriducs constituent un type de mesures « conservatoires » qui visent à supprimer ou atténuer les impacts négatifs d’un projet (infrastructure, urbanisation) sur l’environnement. Dans la plupart des pays, la loi n’impose de mesures conservatoires que pour les « grands projets » ou des projets exceptionnellement coûteux. Ces mesures conservatoires ne sollicitent pas encore un engagement systématique de la part des maîtres d’œuvres et des maîtres d’ouvrage. Les lombriducs représentent donc une alternative à ces mesures réservées aux « grands projets » puisqu’ils sont utilisés dans des projets à plus petite échelle128, qui exige néanmoins une compréhension large du territoire dans lequel ils s’implantent. En effet, l’efficacité de ces passages écologiques nécessite une étude scientifique préalable pour bien repérer et cartographier les lieux de passages de la faune. Dans le projet d’architecture, cette étude peut prendre la forme d’un « diagnostic écologique » en collaboration avec un écologue, qui détermine le « potentiel » du site du projet. Le potentiel « écologique », inclus dans la définition du site, est susceptible d’impacter la conception du projet architectural.

125 126

Les vers de terre (lombrics) ne font pas partie de la famille des insectes, mais des Annélides. Cette définition est issue du glossaire du dossier « Stratégie régionale pour la biodiversité - Trame verte et bleue » (2014) volet du SRADDT (schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire) de la Région adopté le 26.09.13. Consulté le 17.10.2016. Disponible à l’adresse : https://www. nordpasdecalais.fr/upload/docs/application/pdf/2014-09/strategie_biodiversite_sraddt_complet-_26_ septembre_2013_pour_web_2014-09-22_16-20-3_823.pdf.

127

Article

128

En effet, les vibrations engendrées par le trafic des voies à forte circulation représentent une gêne. Les

Lombriduc de Wikipédia en français. Consulté le 17.10.2016. Disponible à l’adresse : https:// fr.wikipedia.org/wiki/Lombriduc. lombriducs sont mieux adaptés à des petites infrastructures dans les parcs et zones à faible fréquentation.

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Figure 36. Urbanbees, Hôtel modèle 2 colonnes/ 3 caisses, 2014, fiche technique. Le projet « Urbanbees » a développé une typologie d’hôtel à insectes. Leur construction est expliquée dans un mode d’emploi destiné aux collectivités et aux entreprises, afin de favoriser leur développement.


2.2.3. - Dispositifs générateurs de territoire En parallèle des dispositifs « entomophiles » réparateurs de territoire, on constate l’émergence de dispositifs « entomophiles » qui « génèrent » le territoire. Il s’agit de constructions installées dans des contextes anthropisés qui, contrairement aux écoducs par exemple, sont indépendantes des infrastructures. Elles servent néanmoins comme les écoducs de corridors écologiques, mais prennent une forme ponctuelle d’objets. Ces dispositifs sont « générateurs » de territoire à deux niveaux. Premièrement, ils servent à la continuité verte en abritant une partie de l’entomofaune, générant ainsi des activités d’insectes favorables au bon fonctionnement écosystémique du territoire. De plus, ils participent à la création de l’espace urbain en s’ajoutant au paysage. Les hôtels à insectes par exemple, sont des petites constructions architecturées mises en scène dans l’espace urbain, qui servent d’abris à certains insectes. Grâce à leur diversité en termes de formes et d’implantation, ils ont une qualité spatiale en tant qu’objets « insolites » générant de nouvelles interactions public/biodiversité, humain/insecte. Ruches Dans la première partie de ce chapitre « La ruche : objet architecturé et objet métaphorique », nous avons constaté que de plus en plus de ruches apparaissent dans l’espace urbain. À l’échelle du territoire, la répétition de l’objet de la ruche constitue un réseau viable « générateur » de territoire qui « contribue129 » à la biodiversité des villes. En effet, ce mouvement d’intégration de ruches urbaines permet à la fois de protéger les abeilles sociales et domestiquées de la ville, de favoriser leur activité pollinisatrice, de créer une production urbaine de miel, et surtout de sensibiliser les citadins à l’importance de la biodiversité urbaine. Ces micro-architectures publiques apparaissent dans le paysage urbain comme des objets « insolites ». En favorisant l’interaction avec le public et l’intégration (notamment visuelle) de l’objet dans le contexte urbain et architectural, les ruches urbaines sont dites capables de « transformer l’espace public ». Les ruches génèrent une nouvelle fonction à l’espace public en tant qu’abri de la biodiversité, lieu de « fabrique » publique et lieu de pédagogie et de sensibilisation à la biodiversité. Hôtels à insectes L’hôtel à insectes est une petite construction qui permet d’accueillir certains insectes et arachnides souhaités dans des écosystèmes où la pollinisation et la biodiversité sont recherchées, comme dans les jardins potagers, les vergers et la construction haute qualité environnementale (HQE). Les hôtels à insectes ont été popularisés par les jardiniers à la fin du XXe siècle pour y accueillir des insectes auxiliaires : pollinisateurs et prédateurs d’espèces « parasitaires », comme outil de gestion biologique. Comme les ruches, on voit de plus en plus apparaître des hôtels à insectes dans les jardins et autres espaces verts, notamment en milieu urbain. La destruction des habitats dans les espaces agricoles et semi-naturels et l’intoxication des milieux ont engendré une migration des certains insectes, comme les abeilles sauvages, vers les espaces urbains. Les villes représentent un contexte idéal pour l’aménagement d’hôtels à insectes. Contrairement au 129

La Maison de l’Architecture et de la Ville de Lille dit souhaiter « contribuer à la biodiversité et à la sauvegarde des abeilles dans la métropole » avec le projet « la Fabrique à miel » (2015), visant à équiper le parc Matisse d’Euralille avec quatre ruches. Source : Maison de l’Architecture et de la ville (MAV), site de lille-design, Appel à projet – ruche contemporaine, 13.10.2015. Consulté le : 05.12.2016. Disponible à l’adresse : https:// www.lille-design.com/images/appel_%C3%A0_projet_-_ruche.pdf.

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Figure 37.

Photographie personnelle, Totem à insectes, Parc de Poelzone, Monster (Pays-Bas), 2016.

Le « totem » est à la fois une niche pour les insectes et un mobilier urbain servant de repère dans la promenade du parc, sur laquelle il est multiplié. Il est fait de modules en bois assemblés, dans lesquels ont été creusées des petites niches de tailles différentes, et sur lesquels une signalétique a été gravée.


milieu agricole, particulièrement celui de la monoculture intensive, les villes sont moins soumises aux pesticides généralisés dans l’agriculture, et possèdent une floraison étendue sur toute l’année. De plus, elles sont 2 à 3 degrés plus chaudes que la campagne environnante, et constituent donc un contexte bioclimatique favorable pour certains insectes. Enfin, 72% de la population européenne vit en milieu urbain, les villes représentent un lieu d’exception pour sensibiliser un public large. Le projet « Urbanbees », soutenu par la Commission européenne dans le cadre du programme LIFE+, est un projet mené de 2010 à 2014 pour le maintien des abeilles sauvages et autres pollinisateurs solitaires en milieux urbains et périurbains. Entre 2010 et 2012, seize sites urbains et périurbains du Grand Lyon et de sa périphérie ont accueilli trois types d’aménagement qui favorisent la nidification des abeilles sauvages : des hôtels, des spirales à insectes et des carrés de sol130. Les hôtels (Fig.35, p.98), conçus par Renaud Morel, designer-scénographe, sont des structures en bois remplies de bûches percées, de tiges creuses ou à moelle tendre, ou de terre131. Leur efficacité dépend de leurs bonne orientation et implantation dans le site. Parallèlement, le programme a mené de nombreuses actions de communication pour informer un public large, telles que des activités (animations, ateliers, conférences et formations, démarches participatives) et des publications. Ainsi, il met en avant le rôle pédagogique de tels aménagements auprès des élus, du grand public et des scolaires132. En 2016, le Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie a lancé un plan national d’actions « France terre des pollinisateurs » (2016-2020), accompagnant la loi pour la reconquête de la biodiversité, pour la préservation des abeilles et des insectes pollinisateurs sauvages133. Celui-ci inclut notamment l’interdiction d’utiliser les pesticides dans les espaces verts gérés par les collectivités à compter du 1er janvier 2017. Il inclut aussi des mesures novatrices telles que l’accompagnement des collectivités pour la gestion des aménagements urbains en faveur des insectes pollinisateurs, incluant les hôtels à insectes. Le Ministère s’est appuyé sur le travail du programme Urbanbees pour mettre à disposition des collectivités un guide134 de gestion écologique des espaces verts et périurbains. Modèles d’architectes Les hôtels à insectes sont souvent des constructions vernaculaires, réalisées par des jardiniers amateurs, des écoliers etc. En les intégrant de plus en plus dans le programme de projets paysagers et urbanistiques, les architectes sont sollicités à s’approprier la typologie et à « réinventer » des modèles comme des petites architectures, à l’échelle du contexte territorial, en employant des matériaux et des formes nouveaux. Dans le parc naturel de Poelzone (2016) à Monster au PaysBas, les paysagistes de LOLA landscape ont intégré des hôtels à insectes en forme de « totems »

130

CÉSARD Nicolas, MOURET Hugues et VAISSIÈRE Bernard, « Des hôtels à abeilles urbains et citoyens », Insectes, n°175, 2014, pp. 7-11. Consulté le 24.11.2015. Disponible à l’adresse : http://www7.inra.fr/opieinsectes/pdf/i175-cesard-et-al.pdf.

131 132

Ibid. Site d’Urbanbees, Objectifs généraux d’Urbanbees. Consulté le 24.11.2015. Disponible à l’adresse : http:// www.urbanbees.eu/content/objectifs.

133

GADOUM

134

Programme Urbanbees, Guide de gestion écologique pour favoriser les abeilles sauvages et la nature en

S. & ROUX-FOUILLET J.-M., Plan national d’actions « France Terre de pollinisateurs » pour la préservation des abeilles et des insectes pollinisateurs sauvages, Office Pour les Insectes et leur Environnement – Ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Énergie, 2016. ville, 2015. Consulté le : 25.11.2016. Disponible à l’adresse : http://www.urbanbees.eu/sites/default/files/ ressources/guide_gestion_ecologique.pdf.

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L’insecte, habitant de l’architecture Présence incontrôlée ou anticipée

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Figure 38. WARD James, The hotel in-situ at St Dunstan’s in the East, 2010, photographie du projet Insect Hotel d’ Arup associates.


(Fig.37), faisant office à la fois de repères physiques dans la promenade, et d’éléments témoins de la présence des insectes pour sensibiliser les promeneurs. En 2010, la ville de Londres et la société de développement immobilier British Land ont organisé un concours adressé aux architectes « Beyond the Hive » (Au delà de la Ruche), pour concevoir des hôtels à insectes « cinq étoiles »135. Le projet lauréat du jury, réunissant des professionnels de l’insecte, de l’architecture et de l’aménagement urbain, est celui du studio Arup Associates : « Insect Hotel ». La façade de l’hôtel empreinte le motif du diagramme de Voronoï (Fig.38), qui apparaît dans la nature notamment dans l’aile de la libellule. Le challenge du projet était d’offrir un maximum de contextes et de conditions nécessaires à l’accueil d’une grande diversité d’insectes. Les compartiments contiennent des matériaux recyclés et du bois mort, « déchets » organiques ou artificiels de jardins, selon l’exigence écologique de coléoptères comme les coccinelles, d’abeilles, d’araignées, et de chrysopes. Les papillons peuvent aussi entrer dans l’hôtel par des ouvertures sur les côtés. Le « toit » de l’hôtel est planté et permet d’absorber l’eau de pluie136. Ainsi, on constate que l’objet de l’hôtel à insectes est de plus en plus architecturé. Plus l’objet est architecturé, plus la volonté de « générer » du territoire apparaît, notamment en « transformant » l’espace public. Les typologies de la ruche et de l’hôtel à insectes n’ « ajoutent » pas des insectes de manière artificielle dans le territoire, mais permettent de les attirer dans un espace anthropisé où leur présence est désirée. Ils permettent donc de conserver l’autonomie des espèces. Ces espèces d’insectes autonomes auxquels nous avions attribué une utilité dite « invisible » sont de plus en plus visibles grâce à de tels aménagements. En permettant de rendre visible le rôle primordial de certains insectes, notamment des pollinisateurs, les dispositifs « entomophiles » générateurs de territoire ont une fonction qui va au-delà de la protection de l’entomofaune et de la continuité verte. Ils sont mis en scène dans l’espace public pour sensibiliser un public large, spécifiquement urbain, et attribuent ainsi aux insectes une vertu pédagogique considérable.

135

British Land, Beyond the Hive, 28.08.2010. Consulté le : 25.11.2016. Disponible à l’adresse : http://www. britishland.com/sustainability/blogs/stories-archive/2010/beyond-the-hive.

136

Arup

Associates, Insect Hotel, 2010. Consulté le : 25.11.2016. Disponible à l’adresse : http://www. arupassociates.com/en/projects/insect-hotel/.

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Figure 39. Snøhetta, Vulkan Beehive, Oslo, 2014, photographie. Les ruches « Vulkan Beehive » sont placées sur le toit du marché Mathallen à Oslo. La conception de la ruche des architectes Snøhetta est destinée à sa mise en scène dans l’espace urbain. Les ruches prennent une forme rappelant l’alvéole de l’abeille, leur couleur rappelle le miel, et leur taille est augmentée par rapport à la ruche traditionnelle afin qu’on puisse la voir depuis la rue.


2.3 - Intégration des insectes « bienfaiteurs » dans l’architecture La pensée « durable » attribue une vertu écologique à l’architecture. L’architecture écologique inclut de plus en plus le végétal dans sa conception. On le constate par l’intégration presque systématique de façades ou de toitures végétalisées. Néanmoins, la conception qui intègre la flore dans les bâtiments ne « pense » pas la faune, notamment l’entomofaune, qui lui est associée, alors que l’insecte forme souvent avec les plantes un couple interdépendant. Les quelques contreexemples qui intègrent la faune dans la conception du projet architectural restent des initiatives peut-être « timides », ponctuelles, et parfois imprécises. Il n’existe pas de théorie architecturale associée à l’intégration de l’entomofaune dans l’architecture, et son fonctionnement est encore flou. Les différentes typologies « entomophiles » décrites dans les parties précédentes (ruches, hôtels à insectes, etc.) peuvent être intégrées dans des dispositifs architecturaux nouveaux : murs végétaux incluant des insectes, murs à insectes, ruches d’intérieurs etc. L’intégration d’insectes se fait aussi dans les espaces d’élevages d’insectes. Des infrastructures, faisant partie intégrante de l’architecture, sont conçues pour pouvoir y accueillir des insectes et les exigences de leurs différents écosystèmes. L’insecte y est « instrumentalisé », commercialisé en tant que matériau ou producteur. Ainsi, l’intégration des insectes « bienfaiteurs » - autonomes ou instrumentalisés – dans l’architecture s’exprime de deux manières : par l’adaptation de dispositifs « entomophiles » à des éléments architecturaux (ruches d’intérieurs, murs « entomophiles »), et par l’aménagement d’espaces d’élevages intégrés à l’architecture (infrastructures d’élevage, fermes urbaines).

2.3.1. - Ruche d’intérieur et abeilles d’appartement Nous avions montré précédemment que la ruche, premier objet qui intègre les insectes « bienfaiteurs » dans l’espace anthropisé, est de plus en plus amenée dans l’espace urbain, notamment dans les bâtiments. La ruche peut désormais être intégrée au projet architectural : d’abord en tant qu’objet de curiosité sur les toits, puis au sein même de l’appartement, connectée à l’extérieur. Ruches sur toits Des designers imaginent des ruches contemporaines adaptées au toit ou au jardin urbain, destinées à un nouveau type d’amateurs citadins. La ruche « Beehaus » d’Omlet, par exemple, empreinte les caractéristiques de l’objet industrialisé avec des éléments préfabriqués et l’utilisation de matériaux tels que le plastique. Avec ce design « accessible », elle valorise la simplification du fonctionnement de la ruche pour donner accès à l’apiculture à un public plus large et inexpérimenté. Aussi, les architectes s’approprient l’objet de la ruche sur les toits. Le studio d’architecture norvégien Snøhetta a dessiné deux ruches urbaines « Vulkan Beehive » (2014), en collaboration avec un apiculteur. Elles sont placées sur le bord du toit du Centre gastronomique Mathallen à Oslo (Fig.39) comme des objets « insolites » destinés à sensibiliser le public à l’importance de l’activité pollinisatrice des abeilles pour l’alimentation. Les deux structures sont en bois. La forme et le motif tirent leur inspiration de l’alvéole des ruches naturelles. Le bois est légèrement teinté pour rappeler la couleur du miel. Leur volumétrie est supérieure à la ruche traditionnelle pour qu’elles soient

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Figure 40.

Phillips, Urban Beehive, 2011, photographie et coupe sur façade.

La ruche urbaine de Phillips est un objet qui s’intègre totalement à la façade d’un bâtiment, connectée à l’extérieur et l’intérieur. Intégrée à l’architecture, la ruche prend donc une fonction d’agrément, comme on le voit sur la photographie de mise en situation, qui surpasse sa fonction première de rendement maximal de miel. Cela permet de lui donner une forme différente des ruches traditionnelles à cadres. La forme, avec le verre courbé, et l’absence de cadres, est contemporaine. Elle reste au stade de prototype. Le dispositif de la ruche « emmurée » rappelle les ruches-placards (Cf. Fig.41), créée au XIXe siècle.

Figure 41. ROUSSEL Gaby, Ruche placard (vue en coupe), dessin.


visibles depuis la rue, permettant d’accueillir 160.000 abeilles. Le miel est vendu dans le marché du même bâtiment. Les ruches servent donc également à signaler la présence du marché intérieur. Évolution morphologique Certaines ruches sont modelées afin que leur morphologie soit adaptée à des éléments d’architecture. Par exemple, le modèle de ruche « Urban Beehive » (La ruche urbaine) de l’étudiante en design Marion Baucherelle, « dédié aux citadins soucieux de l’environnement », possède une forme arrondie qui se creuse en une fente. Celle-ci permet de placer la ruche sur un garde-corps, sur une terrasse d’appartement par exemple. La société d’électroménager Philips va plus loin avec le prototype d’une ruche intégrée totalement à l’architecture, également nommée « Urban beehive » (2011). La ruche fait partie intégrante du mur ou de la vitre d’une maison ou d’un appartement, en façade (Fig.40). Le dispositif de la ruche « emmurée » rappelle les ruches-placards, introduites dès 1600 par Olivier de Serres, jardinier du roi Henri IV, et présentes notamment en Auvergne137 (Fig.41). L’entrée des abeilles est connectée à l’extérieur par une plante, et la ruche, totalement vitrée, est visible dans son intégralité depuis l’espace intérieur. Une petite corde permet de dégager un produit destiné à engourdir les abeilles avant d’ouvrir la ruche pour pouvoir y récupérer le miel. La paroi, en forme de bulle, entièrement vitrée, permet d’observer la totalité de l’intérieur de la ruche. Elle rappelle les ruches d’observation – aussi munies d’une vitre - populaires dans les maisons bourgeoises au XIXe siècle138. Comme elles, la ruche urbaine de Philips a un statut d’agrément. Intégrée à l’architecture, la ruche prend donc une fonction d’agrément qui surpasse sa fonction première de rendement maximal de miel. Cela permet de lui donner une forme différente des ruches traditionnelles à cadres. La forme, avec le verre courbé, et l’absence de cadres, est contemporaine. Malgré tout, sa viabilité ne semble pas avoir été testée ou validée et elle reste au stade de prototype. De nouveaux modèles de ruches se dessinent en tant qu’objets du quotidien, voire en tant qu’éléments architecturaux faisant partie intégrante du mur, de la façade, de la terrasse. La morphologie – taille et forme - et les matériaux employés changent de la ruche traditionnelle. On notera également la prévalence d’une mise en scène de l’objet au sein de l’appartement, privilégiée par son statut d’agrément. Cette typologie de « ruche d’intérieur » permet de dépasser la forme et la fonction première de la ruche moderne à cadres, inchangée depuis plus d’un siècle. Ainsi, la ruche d’intérieur, avec sa liberté de forme et son statut ludique, est susceptible de constituer l’esquisse d’une nouvelle typologie, celle de la ruche contemporaine.

2.3.2. – Murs « entomophiles » Mur habité Le mur – mur porteur, enveloppe ou épaisseur – a été un des éléments fondamentaux de l’architecture, permettant d’enclore un espace et de générer les concepts d’intérieur et d’extérieur. La période moderne, avec le plan libre, s’est passée du mur et lui a attribué une fonction de cloison. Plutôt qu’une limite linéaire définissant l’intérieur clos traditionnel, il peut être pensé comme un

MESTRE Jean-René, ROUSSEL Gaby, Ruches et abeilles : Architecture, Traditions, Patrimoine, Nonette, Ed.

137

Créer, 2005.

138

RAMIREZ Juan Antonio, The beehive metaphor. From Gaudi to Le Corbusier (tr. ang., A. R. Tulloch), Londres, Reaktion, 2000.

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Figure 42. MASETTI L.N., L’architecture d’un rucher Figure 43. SIMAK Evelyn, Caister Castle - winter quarters for bees, photographie. en pierres sèches dans la Roya-Bevera, dessin.

Figure 44. MESTRE Jean-René, Mur à abeilles à 2 étages aux Cabanes de Cabrières d’Avignon (Vaucluse), photographie.

Figure 45. ROUSSEL Gaby, Cabane à ruches placards de Perrier 4., photographie.


espace à part entière, un creux. La technique de représentation du poché (permet à Louis Kahn de différencier le mur massif du mur creux139, et d’attribuer à l’espace du mur creux une fonction. Il déclare « J’ai fait du mur un contenant au lieu d’un plein140 ». Il s’agit du concept du mur « habité ». Celui-ci permet de travailler la transition entre un intérieur et un extérieur, et donc entre l’espace « artificiel » et l’espace « naturel ». On peut ajouter à ce concept la question : qui peut habiter ce mur ? Comme les dispositifs dits « entomophiles » décrits dans la partie précédente, le mur se définit comme « entomophile » par sa capacité à abriter des insectes de manière anticipée. Les murs « entomophiles » sont donc des murs habités par des insectes, ici « bienfaiteurs » puisque leur présence est désirée et pensée. La partie présente différents exemples de murs habités par des insectes qui ont été réalisés. Ceux-ci témoignent d’une appropriation d’habitats d’insectes possible dans l’architecture. Murs à abeilles L’architecture de l’apiculture est riche en formes : ruchers traditionnels, constitués de ruches empilées comme le rucher de Peroblasco en Espagne ou les ruchers enclos de type « Cortín » dans les Asturies (Fig.42) ; et cabanes à ruches placards141, présentes notamment dans des vergers du Puy-de-Dôme (Fig.45) etc. Ces architectures témoignent à la fois d’une apiculture ancestrale, souvent abandonnée aujourd’hui, mais aussi d’une région, associée aux matériaux vernaculaires et aux méthodes de construction utilisés. Des murs à abeilles, constitués de « niches à ruches142 » souvent rectangulaires, ont été construits pour protéger des ruches en pailles des intempéries. De nombreuses « niches à ruches » on été recensées en Europe, surtout en Grande-Bretagne comme dans les murs du château de Caister (1476) (Fig.43). En France, près de deux cents murs à abeilles, majoritairement en pierres, on été recensés143, principalement en Provence, comme celui aux Cabanes de Cabrière d’Avignon (Fig.44). Ils peuvent être trouvés dans des fermes modestes, des abbayes, des châteaux et des manoirs144, soit dans des murs de clôture, soit dans des murs construits à cet effet. Leur construction est estimée à 1806, lorsqu’une intensification de l’apiculture devait pallier la pénurie de sucre provoquée par le blocus continental145. Le mur à abeilles de Saint-Paul est caractéristique de ce type de structure. Il s’agit d’un mur de clôture de propriété fermière en pierres, avec plusieurs rangées de niches, petites alcôves destinées à accueillir des ruches en « bourgne » faites de paille tressée146. Le mur à abeilles est un dispositif très simple qui permet d’agencer des ruches au sein d’un élément d’architecture : le mur. Il constitue le premier exemple de murs dits « entomophiles ».

139 140

LUCAN Jacques, « Généalogie du poché », Matières, n°7, 2004, pp. 41-54. « Kahn on Beaux-Arts training » dans JORDY William H. « Kimbell Art Museum, Fort Worth, Texas. Library,

Philips Exeter Academy, Exeter, New Hampshire », The Architectural Review, vol. CLV, n°928, juin 1978, p. 332.

141

MESTRE Jean-René, ROUSSEL Gaby, Ruches et abeilles : Architecture, Traditions, Patrimoine, Nonette, Ed. Créer, 2005.

GUILBOT Robert, « Murs à abeilles », Insectes, n°141, 2006, p. 24. Consulté le : 25.11.2016. Disponible à

142

l’adresse : https://www7.inra.fr/opie-insectes/pdf/i141guilbot.pdf.

MESTRE Jean-René, ROUSSEL Gaby, op. cit. 144 GUILBOT Robert, op. cit. 145 Ibid. 146 Ibid. 143

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Figure 46. MAUPETIT Philippe, La Bourdonnerie, Dijon, 2016, photographie. Le « mur à insectes » de La Bourdonnerie à Dijon, hôtel à insectes monumental de 6 mètres de hauteur, est placé comme une annexe à la façade ouest du bâtiment de bureaux dans lequel des niches sont suspendues, tournées vers le sud. Le projet capture la volonté émergente d’associer la typologie de l’hôtel à insectes à la façade d’architecture. Les deux éléments sont réunis mais ne s’imbriquent pas.


Murs à insectes Un autre exemple de murs « entomophiles » est celui de « la Bourdonnerie », bureaux de Réserves naturelles de France et Alterre Bourgogne à Dijon (France). Un mur constitué de niches à insectes superposées les unes aux autres a été annexé à la façade du bâtiment, livré en janvier 2016. Il s’agit d’une première en France, incitée par la politique de préservation de la biodiversité de la ville et par l’ambition de l’association Alterre à « contribuer (…) à une transformation qualitative des relations entre les humains, et entre les humains et leur environnement, vers un développement soutenable147 ». Le mur à insectes est une structure en bois de six mètres de haut (Fig.46), constituée de 61 casiers tiroirs qui peuvent être retirés pour y renouveler la composition. Il est intégré à la façade ouest du bâtiment, porté par des éléments horizontaux métalliques entre le palier du premier étage et celui du troisième en saillis. Les casiers sont quant à eux portés par des éléments verticaux qui servent de cadres, qui semblent faits de bois, orientant les niches vers le sud. Le symbole est fort : en intégrant le dispositif de l’hôtel à insectes à une architecture, le bâtiment représente le souhait de ses usagers de cohabiter avec les insectes, ici « bienfaiteurs » car pollinisateurs. Il porte aussi les qualités de communication requises par le maître d’ouvrage, qui réunit la vertu pédagogique de l’objet – avec notamment la visite régulière de scolaires - et le message de la philosophie de l’association qui y réside. Bien que l’initiative soit novatrice et que le résultat possède les qualités requises tant au niveau de la biodiversité qu’à celui de l’enjeu pédagogique et de communication, on notera que l’ambition architecturale est relativement pauvre. En effet, elle réunit les deux éléments – hôtel à insectes monumental, et bâtiment de bureaux – sans que ceux-ci ne s’imbriquent. Il n’y a pas de continuité spatiale ou visuelle entre ces deux typologies. Le mur à insectes semble obstruer l’ouverture – visuelle, lumineuse – de la façade ouest. De plus, on ne sait pas si la proximité immédiate des insectes est susceptible de représenter une gêne aux usagers. Les deux objets, presque inchangés, sont « collés » sans continuité structurelle ou matérielle, et ne communiquent pas. Le mur à insectes vient s’ajouter à l’objet architectural déjà conçu et presque intouchable, comme une ornementation ajoutée à l’existant, supportée timidement par des paliers prolongés en tirants. Ainsi, la fonction d’ « image » de l’hôtel à insectes, renforcée par sa monumentalité, surpasse sa qualité spatiale. Enfin, l’entretien du mur à insectes est aussi à questionner : est-il facilement effectuable ? On peut imaginer que l’accès par les balcons et le système de « casiers tiroirs » facilitent la maintenance. Ainsi, le mur à insectes de la « Bourdonnerie » ne possède pas les caractéristiques d’une typologie architecturale innovante associant « hôtel à insectes » et « architecture ». Il n’en avait certainement pas l’ambition. Malgré tout, le projet capture la volonté émergente d’associer ces deux dispositifs et émet la possibilité de le réaliser. L’hypothèse qui en ressort est celle d’un mur « entomophile » qui puisse intégrer de manière plus subtile le mur à insectes à la morphologie du bâtiment, générant ainsi des qualités spatiales et des cohabitations humain/insecte inexplorées. Enveloppe vivante Le bâtiment A4 Est du groupe scolaire Robert Doisneau à Boulogne-Billancourt, près de Paris, livré en 2014, constitue un exemple de mur habité en tant qu’élément fondamental du projet. Celui-ci constitue l’ensemble de la façade et façonne la morphologie du bâtiment (Fig.47, p.112). Le maître d’œuvre, l’agence d’architecture Chartier Dalix, a collaboré avec des bureaux d’études

147

Alterre Bourgone France-Comté, Nos missions. Consulté le : 01.12.2016. Disponible à l’adresse : http:// www.alterrebourgognefranchecomte.org/r/53/nos-missions/.

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Figure 47. Chartier Dalix, BLG Groupe scolaire de 18 classes et gymnase, 2014, diagramme et perspective de la façade. Le façade du projet est un mur « habité » par des espèces animales et végétales identifiées dans le diagramme de déroulement de façade qui devient une envelopppe vivante.


en environnement tels que Atelier d’Écologie Urbaine et Biodiversita pour créer un écosystème en toiture qui se prolonge dans le mur d’enceinte du bâtiment, habité par une nature primitive. Le jardin sur le toit assure une viabilité au fonctionnement écosystémique du mur en tant qu’enveloppe vivante. Celui-ci (Fig.47) est composé de blocs de bétons creux préfabriqués qui varient en profondeur, formant des interstices de tailles différentes faisant office de niches à une flore muricole et à la faune qui lui est associée. Un diagramme de la façade « déroulée » présente la diversité florale et faunique qui habite le mur, enveloppant la totalité du bâtiment (Fig.47). La présence de petits oiseaux et d’arthropodes dans l’inventaire de la faune assure au mur un statut « entomophile ». Enfin, le programme de l’école, associé à l’ambition écologique de l’ouvrage, témoigne de la vertu pédagogique148 d’une telle cohabitation humain/nature dans un espace urbanisé. L’établissement scolaire a la vocation de promouvoir les sciences, la biodiversité et le développement durable par son architecture et l’enseignement qui y est dispensé149. Les usagers principaux du bâtiment, ici les enfants, ont un rapport exclusif avec la nature indigène, dont l’entomofaune, qui est permis par l’architecture en tant qu’outil pédagogique.

2.3.3. – Infrastructures d’élevages Parmi les insectes « bienfaiteurs », nous avions évoqué les insectes « utiles », instrumentalisés dans des productions à profit économique tels que l’apiculture ou la sériciculture (élevage du ver à soie). Des espaces d’élevages sont associés à ces productions. Les murs à abeilles cités précédemment sont un exemple d’architecture d’élevage, ici d’apiculture. D’autres infrastructures, faisant partie intégrante de l’architecture, sont construites spécifiquement pour y élever des insectes. Parmi elles, on pourra étudier quelques exemples représentatifs, plus ou moins anciens : les magnaneries, anciennes usines de soie françaises, mais aussi des fermes urbaines émergentes telles que des fermes à cafards ou des fermes à criquets. On notera que dans ces dispositifs architecturaux, l’insecte « bienfaiteur » est voué à être tué pour les besoins de la production. Malgré tout, ces « architectures » intégrant les insectes nécessitent une connaissance de la biologie de l’insecte ainsi qu’une compréhension pointue des fonctionnements écosystémiques de celui-ci. Elles témoignent donc d’un effort de conception rare en architecture, qui permet de créer un environnement correspondant au milieu de vie de l’insecte et à son échelle. Usines de soie Originaire d’Asie, la sériciculture a été introduite en France au XIIe siècle et s’est développée sous Henri IV grâce à la forte plantation de mûriers, dont les feuilles constituent l’aliment exclusif des vers à soie150. Plusieurs aménagements à l’échelle de ces vers à soie et de leurs cocons – machines, infrastructures, architecture - correspondent aux différentes étapes de la production de soie : élevage des insectes (de l’œuf à la chenille) sur des treillis ou bocaux généralement disposés sur des étagères ; encabanage avec la formation des cocons le plus souvent sur des branchages naturels (rameaux

148 149

La vertu pédagogique liée aux insectes est explicitée et développée dans le chapitre 3. Ile Seguin, Rives de Seine, Le groupe scolaire des sciences et de la biodiversité : une école verte au cœur du trapèze, 12.09.2014. Consulté le : 05.12.2016. Disponible à l’adresse : http://www.ileseguin-rivesdeseine. fr/fr/actualite/le-groupe-scolaire-des-sciences-et-de-la-biodiversite-une-ecole-verte-au-coeur-du-trapeze.

150

Le ver à soie est la chenille du papillon Bombyx Mori, insecte exclusivement domestiqué.

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Figure 48.

De Prat D., Magnanerie - coupe schématique, 1914, coupes longitudinale et transversale ; Auteur inconnu, Magnanerie, illustration de coupe transversale.

Les deux illustrations rerprésentent une magnanerie traditionnelle en coupe, répandue dans les Cévennes au XIXe siècle. La structure interne du bâtiment, l’aménagement en hauteur, l’évacuation de l’eau etc. correspondent à la fois à la technique d’élevage du ver à soie mais aussi aux conditions du milieu de vie de l’insecte.


de bruyère) ou des paniers aménagés ; ateliers de décoconnage et de filature (moulinage, tissage). L’espace d’élevage nécessite des conditions d’hygiène irréprochables pour éviter les maladies ainsi qu’une hygrométrie, une température, une lumière et une ventilation particulières correspondant à l’exigence biologique des chenilles. Des aménagements de précaution sont aussi courants. Ainsi, pour éviter l’accès aux prédateurs comme les fourmis, les « baraquements » d’élevages sont surélevés et les pieds du bâtiment sont dans de l’eau, qui est salée pour éviter la ponte de moustiques. Dans le sud de la France, les magnaneries – du mot « magnan », ver à soie en occitan - sont des bâtiments entièrement destinés à l’élevage de vers à soie. Comme le décrit D. de Prat en 1914 : « Dans les Cévennes, la magnanerie est en général un bâtiment à deux étages. L’étage inférieur est un cellier voûté qui sert principalement de magasin aux feuilles. Les étages supérieurs sont occupés par des montants supportant une ou quatre rangées de claies superposées et mobiles. Aux quatre angles est un fourneau qui procure à la fois le chauffage et la ventilation151. »

Les modes de la production (stockage de feuilles de mûriers, élevage et encabanage) et le fonctionnement écosystémique des vers à soie ont une influence sur l’architecture des magnaneries. Les chambres d’élevage sont placées en hauteur, pour protéger les insectes de leurs prédateurs et des maladies. La structure interne du bâtiment (Fig.48) est constituée de poteaux qui portent les étages. Cette même structure porte quatre rangées de claies mobiles dans lesquelles vivent les vers à soie. On peut aussi imaginer que l’épaisseur du mur, le système de chauffage, les ouvertures permettant un contrôle de la luminosité naturelle, du taux d’humidité et de la ventilation, correspondent aussi au bien-être de l’insecte, avant qu’il ne soit tué. Fermes urbaines Plus récemment, on constate une valorisation d’insectes auparavant considérés comme « nuisibles » dont les propriétés « bienfaitrices » sont exploitées dans des activités d’élevages, notamment dans des fermes urbaines. Dans le chapitre précédent, nous avions vu que la blatte, associée à l’insalubrité et la pauvreté152, est l’insecte « nuisible » par excellence. En Chine, la blatte est utilisée dans différents produits de médecine traditionnelle et de cosmétique. Elle est aussi considérée pour sa valeur nutritive en tant qu’aliment. Grâce à ses propriétés nutritionnelles et thérapeutiques, la blatte adhère à un statut d’insecte « bienfaiteur ». Depuis 2010, dans l’Est et dans le Sud-Ouest de la Chine153, des « fermes à cafards » se sont développées pour commercialiser la blatte américaine, Periplaneta americana, à des fins thérapeutiques. Les espaces d’élevages sont néanmoins très précaires, car ils sont laissés au moyen des fermiers : il s’agit généralement de parois en carton rangées sur des étagères bétonnées dans des chambres obscures, « bunkers » munis d’un système de chauffage, pour créer un environnement correspondant au milieu des blattes (humidité, obscurité, chaleur). Celles-ci sont tuées dès qu’elles atteignent quatre mois.

De Prat D., Nouveau manuel complet de filature ; 1re partie : Fibres animales et minérales, Paris, Encyclopédie

151

Roret ; Paris, L. Mulot, 1914.

BLANC Nathalie, « Les blattes dans un quartier d’habitat social de Rennes » dans M.C. THOMAS Jacqueline,

152

MOTTE-FLORAC Elisabeth (dir.), Les insectes dans la tradition orale, Louvain, Peeters, 2004.

BUCKLEY Chris, Sinosphere, the China blog of The New York Times, On the Roach to Riches, 21.11.2013.

153

Consulté le : 10.12.2016. Disponible à l’adresse : http://sinosphere.blogs.nytimes.com/2013/11/21/on-theroach-to-riches/?_r=0.

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Figure 49. Terreform ONE, Cricket Shelter, Modular Insect farm, 2016, photographie; Linked sex/ birthing pods ; Habitats and louvers, 2016, détail axonométrique en coupe. Il est intéressant de noter que les criquets sont représentés dans le détail technique des « capsules de naissance ». Aussi, l’espace dédié à l’insecte est « minimal » tandis que la structure publique de la ferme, biomorphique, est « maximale ».


Un autre exemple de ferme urbaine est celui développé par l’organisation d’architecture à but non lucratif Terreform ONE à New York en 2016 : le « Cricket Shelter ». Il s’agit d’un prototype de ferme modulable destinée à être implantée en ville, sur le sol ou sur un toit, dans un contexte de crise alimentaire liée par exemple à une catastrophe naturelle, où la valeur nutritive des criquets pourrait devenir vitale. Les criquets représentent, en effet, une source « écologique » de protéines viable puisque leur élevage nécessite trois cent fois moins d’eau que les élevages actuels de bétail, pour une même quantité de viande. Différents tests ont été réalisés avec des contenants potentiels, de formes et de matériaux divers, afin de concevoir un module dont la forme, la surface et la texture garantissent le développement des criquets sur l­es huit stades de leur vie. 224 modules dits « bio-units » ont été assemblés à la fois pour permettre la bonne circulation des insectes au sein du complexe, mais aussi pour générer la structure de la ferme, aidée de 16 portiques en bois, et formant une arche simple (Fig.49). Les criquets femelles ont été isolées dans 7 « birthing pods » (capsules de naissance), connectées aux « bio-units » par des tubes de « mobilité » en nylon. Des tiges en toiture sont connectées aux modules pour permettre une ventilation grâce à l’effet de cheminée. Ainsi, la répétition d’un module correspondant au milieu de l’insecte permet de générer une micro-architecture à l’échelle de l’espace urbain. Le « Cricket Shelter » a donc la capacité de lier l’échelle de l’insecte et celle de l’humain. Il s’agit d’une initiative novatrice. C’est la première fois qu’une équipe d’architectes a investi les champs de la nutrition et de l’entomologie pour concevoir une ferme à insectes comestibles viable. Cette micro-architecture urbaine incarne peut-être une typologie d’infrastructure à insectes future, dans laquelle l’effort de conception est appuyé par une connaissance pointue de la biologie des insectes, générant un ouvrage à taille humaine. On notera cependant que la qualité écosystémique des modules « bio-unit » est pauvre puisqu’elle correspond à l’exigence spatiale « minimale » de la production. La fonction de production maximale est privilégiée à celle de l’écosystème de l’insecte. On peut également soupçonner la morphologie finale de l’ouvrage d’être née d’une analogie biologique de la morphologie de l’insecte, qui servirait à « signaler » la fonction de l’ouvrage aux citadins. Ainsi, la forme totale est « maximisée » dans l’espace urbain tandis que le milieu de l’insecte est « minimisé » dans les modules. Une infrastructure à insectes au langage architectural plus « silencieux » est peut-être possible. Et le « milieu » de l’insecte pourrait générer un espace plus riche que celui de « modules de naissance ». Aussi, le projet « Third Millennium Farming » (3MF), créé par l’architecte Jakub Dzamba, met en lien la valeur nutritive de criquets d’élevage avec la gestion de déchets organiques urbains dans une approche d’agriculture urbaine qui explore leurs potentielles connections dans de nouveaux systèmes d’élevages (infrastructure, architecture). Les innovations menées dans le projet « Cricket Reactor » (2016), ), prototype de module d’élevage de criquets, démontrent que le projet permet de multiplier la densité de production par rapport aux opérations d’élevages « classiques », de diminuer la charge de travail et les compétences mandataires d’élevage avec un système d’automatisation, et enfin d’utiliser les déchets organiques urbains comme des suppléments alimentaire pour l’élevage de criquets comestibles.

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Conclusion II - Les insectes « bienfaiteurs » des espaces anthropisés Différentes typologies spatiales semblent se dessiner à travers le chapitre : la ruche, l’hôtel à insectes, la ferme urbaine, l’écoduc, le mur « entomophile », etc. Ces typologies sont encore à définir. Leur conception et leur réalisation ne sont pas réservées aux architectes. Or, l’architecte possède peut-être le pouvoir de théoriser et de classifier ces typologies. De plus, ces objets « étranges » à l’échelle de l’insecte possèdent déjà des qualités spatiales en termes de formes, de volumes, de matériaux, d’échelle, et d’intelligence intrinsèquement liés à des écosystèmes difficilement appréhendables dans l’architecture. Aussi, on peut supposer l’émergence de nouvelles typologies architecturales, dans lesquelles ces objets puissent être intégrés de manière novatrice à l’architecture, exploitant des qualités spatiales et communicantes (au milieu) encore sous-estimées. De plus, ces éléments sont les témoins d’une complexité encore non maîtrisée dans le discours de revalorisation des insectes. La limite entre instrumentalisation et protection est aussi floue, et toutes ces initiatives, nourries d’une vision socioenvironnementale restent autant anthropocentrées. Le choix de définir quels insectes sont « bienfaiteurs » sous-tend qu’un bénéfice auprès de l’humain est attendu, plus ou moins utilitariste. Cette attente d’un retour positif donne un caractère théâtral aux différents objets de cette mise en valeur, dans une mise en scène soigneusement destinée à l’humain. Bien sûr, l’initiative de mise en valeur de la biodiversité doit passer par la communication de ce discours. Or, elle laisse à penser qu’il existe peut-être des initiatives invisibles ou silencieuses, non répertoriées ici, dans des contextes plus « traditionnels », où l’insecte, incontrôlé, communique avec l’espace anthropisé de manière intelligente et mystérieuse. Enfin, si la fascination et l’émerveillement précèdent la connaissance, ceux-ci œuvreront mieux au changement de perspective responsable de la valorisation de certains insectes dans les espaces anthropisés. Toutefois, cette connaissance est souvent limitée aux insectes « visibles ». Les insectes sociaux, par leur principe et leur organisation « parfaite », génèrent la fascination et monopolisent parfois l’intérêt. Il est du rôle des architectes d’investir les champs de connaissances de la biologie, pour exploiter des potentialités encore inexplorées. Le chapitre suivant tente d’explorer les potentialités nées du milieu des insectes, à travers des ouvrages de micro-architecture et des installations artistiques explorant l’échelle presque insaisissable de l’insecte.

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III – L’insecte « collaborateur » et le potentiel spatial de l’« entomo-empathie* » Suite à l’émergence de la figure paradoxale de l’insecte « nuisible/bienfaiteur154», ce troisième chapitre introduit la figure de l’insecte « collaborateur », qui se caractérise par une subjectivisation de l’insecte ainsi qu’une certaine « empathie » - au sens non-affectif - déployée pour nourrir la collaboration souhaitée. Avec l’identification de la figure de l’insecte « collaborateur » propre à certains contextes que nous expliciterons et que nous distinguerons du « bienfaiteur », apparaissent la figure de l’ « insecte-sujet* » et la notion d’« entomo-empathie », incluse dans le concept existant de « bio-empathie* ». Ces situations de « collaboration », générées par une forme d’empathie envers l’insecte, sont productrices d’espaces d’interactions humain/insecte nouvelles. Cette « entomo-empathie » possède donc un potentiel spatial, c’est-à-dire une capacité à générer des espaces, qui sera exploré à travers le chapitre. De l’essaim à l’ « insecte-sujet » L’insecte dit « collaborateur » pourrait être ajouté à la liste d’insectes « bienfaiteurs » décrits dans le chapitre précédent puisque la notion de collaboration implique une fois encore un certain bienfait rendu par l’insecte. On peut considérer par exemple qu’ils travaillent avec l’humain dans leur pollinisation, fertilisation ou production évoquées précédemment. Or, l’insecte ici « collaborateur » se différencie par sa capacité à incarner un « sujet », dans la portée philosophique du terme, en tant qu’individu doté de perception. A contrario, les insectes « bienfaiteurs » qu’on avait qualifiés d’autonomes ou d’instrumentalisés, aux utilités plus ou moins visibles, ont en commun d’être représentés comme une force autonome, incontrôlable, ou contrôlable à certains degrés, mais toujours imperceptible. On peut identifier en cette force « bienfaitrice » la métaphore de l’ « essaim » qui peut se lire dans l’incarnation d’objets tels que la ruche urbaine et l’hôtel à insectes, mis en 154

Un exemple parlant de cette figure paradoxale est celui de la blatte. Dans le chapitre 1, il s’agit d’un « nuisible » témoignant d’une architecture dégradée et de mauvaises conditions de vie. Dans le chapitre 2, la blatte acquiert un statut « bienfaiteur » porté par des vertus comestibles et thérapeutiques au sein d’espaces d’élevage.

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Figure 50. Coop. Himmelb(l)au, Heart-City : The White Suit, Viennes, 1967, photographie.


scène pour signaler la présence de cette force et la rendre perceptible. Il y a donc un passage qui s’opère des insectes « bienfaiteurs » à l’insecte « collaborateur », et ce de l’essaim au sujet. L’insecte « collaborateur » a donc pour caractéristiques de travailler « avec » l’humain, et d’incarner un « insecte-sujet » dans le sens métaphysique du terme, c’est-à-dire un être réel doté de qualités et qui agit par lui-même. L’insecte devient sujet par son expérience et ses sens, ce qui relève de sa perception. En attribuant une subjectivité à l’insecte, l’humain ouvre un terrain de perceptions inexplorées, celui de l’insecte, auquel il tentera d’accéder par l’ « entomo-empathie », sous une forme d’expérience spatiale notamment. Métaphore de la subjectivité de l’insecte Le théoricien d’architecture cité précédemment, David Gissen, explore la subjectivité de l’insecte et son rapport à l’architecture dans un paragraphe de son chapitre « Insect155 ». La subjectivité de l’insecte apparaît en littérature avec La Métamorphose (1915) de Franz Kafka, nouvelle dans laquelle le protagoniste Gregor Samsa se réveille transformé en insecte géant. Cet événement fantastique permet de mettre en avant et de questionner les limites sociales réalistes de l’existence du protagoniste. La métaphore, que l’historien Cristopher Hollingsworth appelle « The Self as Insect156 » (Le Soi comme Insecte157), est interprétée en philosophie par Félix Guattari et Gilles Deleuze158 au cours des années 70 et 80, à partir de laquelle ils développeront leur concept de « devenir-animal ». Elle sera ensuite convoquée dans le « Manifeste Cyborg159 » (1991) de Donna Haraway, qui ajoute à la subjectivité de l’insecte celle de la machine à travers le « Cyborg ». Dans les deux cas, la métaphore du « Soi comme Insecte » est employée comme une stratégie politique permettant au sujet – devenu insecte ou cyborg - de se défaire d’entités telles que la famille, le travail ou l’état, et d’ainsi remettre en question certaines catégories sociétales. Les architectes s’approprient cette subjectivité dans les années 60 notamment, dans un courant d’architecture expérimentale. L’exemple le plus pertinent est le projet de 1967 des architectes de Coop-Himmelb(l)au : Heart City : The White-Suit (Fig.50). Il s’agit d’une combinaison interactive composée d’un casque qui transmet des images et des odeurs au sujet qui le porte, et d’une veste pneumatique qui applique des pressions sur le corps de celui-ci. Ce projet explore une architecture conduite par la technologie, les médias et les sensations. Elle emprunte à l’insecte son caractère visuel et la métaphore de sa subjectivité. Potentiel spatial de l’ « entomo-empathie » La figure de l’insecte « collaborateur » naît de l’« entomo-empathie » de l’humain concepteur de cette collaboration et de son contexte. Celle-ci permet à l’humain spectateur de cette collaboration de « se mettre à la place de » l’insecte. On identifie la construction de l’« entomo-empathie » en trois étapes qui correspondent aux premières parties du chapitre :

GISSEN David, op. cit., p.173. 156 HOLLINGSWORTH Cristopher, Poetics of the Hive. Insect Metaphor in Literature, Iowa City, University of 155

Iowa Press, 2001, pp. 187-227.

Traduction personnelle. DELEUZE Gilles, GUATTARI Félix, Kafka : Toward a Minor Literature, Minneapolis, University of Minnesota

157 158

Press, 1986.

HARAWAY Donna, « A Cyborg Manifesto » in Simians, Cyborgs and Women : The Reinvention of Nature,

159

New York, Routledge, 1991.

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Figure 51. « Premier appareil d’observation », photographie illustrant : FABRE JeanHenri, « Le Minotaure Typhée. – Premier appareil d’observation » in Souvenirs Entomologiques, 1924. Le premier appareil d’observation du couple de Minotaure Typhée, invention de Fabre, échoue car il ne reproduit pas les conditions du milieu de l’insecte, ce dernier étant trop à l’étroit pour creuser le trou de son nid.


• • •

Observer et comprendre l’insecte Penser et construire comme un insecte Ressentir et percevoir comme un insecte

L’insecte « collabore » avec l’humain en tant qu’outil d’apprentissage pour la science et sa pédagogie. Ainsi, des dispositifs d’observation, outils d’entomologistes ou scénographies de musées de l’insecte, sont conçus afin de comprendre l’insecte. Cette compréhension, incitée par l’observation et la mise en scène du génie de l’insecte, constitue l’amorce de l’ « entomo-empathie ». L’insecte « collaborateur » sert aussi de source d’inspiration, notamment dans le biomimétisme* employé en architecture. Ainsi, l’ « entomo-empathie » est utilisée pour « penser comme » un insecte afin de s’inspirer de sa biologie et de son fonctionnement pour construire l’espace. Il s’agit d’une empathie cognitive. Celle-ci permet également d’accorder une existence à l’ « insecte-sujet » en tant qu’acteur de la construction de l’espace à une échelle plus réduite. Enfin, l’insecte collabore en tant qu’« artiste », en donnant accès à l’humain à la perception de son milieu, échelle inexplorée de l’espace. Il s’agit d’une empathie sensorielle, alimentée par un nouveau type d’expériences spatiales qu’on pourra rapprocher du projet Heart City : The White Suit de Coop-Himmelb(l)au cité précédemment, en tant qu’architecture de « sensations ». Ces espaces d’expérimentation sensorielle permettent de « ressentir » - voir, entendre, toucher, circuler - comme un insecte. L’ « entomo-empathie », alimentée par ces dispositifs spatiaux, donne une valeur intrinsèque à l’insecte en tant que sujet. En agissant par et pour lui-même, l’ « insecte-sujet » acquiert des droits d’existence, et des qualités de sens. La notion de « collaborateur », dénuée du couple « répulsion/ fascination160 » associée à la figure « nuisible/bienfaiteur », permet de basculer d’une vision anthropocentrique à une vision biocentrique, notamment de l’espace. L’empathie envers cet insecte « collaborateur » est susceptible d’être l’amorce d’un changement de paradigme en architecture, questionnant la capacité de l’architecture, discipline intrinsèquement « anthropocentrique », à être « biocentrique ».

160

Expression employée par Jean-Marc Drouin dans son livre Philosophie de l’Insecte (Paris, Ed. du Seuil, 2011).

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Figure 52. « Second appareil d’observation », photographie illustrant : FABRE JeanHenri, « Le Minotaure Typhée. – Second appareil d’observation » in Souvenirs Entomologiques, 1924. J.H. Fabre se tient devant son second appareil d’observation dont il est l’inventeur, le premier ayant échoué. Il lui permet d’observer la fabrication du nid du couple de Minotaure Typhée, creusant un trou dans le sol jusqu’à atteindre une terre sableuse. Fabre recrée ce milieu souterrain dans un pot de fleur.


3.1 - Comprendre l’insecte : Dispositifs d’observation et insecte « pédagogue » Pour « comprendre l’insecte », il est nécessaire de l’observer attentivement et de « se mettre à la place de » celui-ci. Il s’agit d’une première étape fondatrice de l’« empathie » envers l’insecte. Elle est favorisée par des outils d’observation tels que des instruments optiques utilisés par des entomologistes ou des enfants. Avec une forte vertu pédagogique, on la retrouve aussi dans des musées à insectes et autres lieux d’exposition ludiques dans lesquels des dispositifs d’observation sont développés spécifiquement.

3.1.1 - Instruments optiques scientifiques et ludiques Les instruments optiques sont des outils d’observation des insectes utilisés par les entomologistes professionnels ou amateurs, mais aussi par les enfants comme des jeux. Il s’agit de petits appareils ou de pièges qui permettent de recréer le milieu d’un insecte et de l’observer de plus près. Ils ont pour caractéristique d’être souvent rustiques, bricolés avec des matériaux « pauvres », et possèdent généralement un élément qui permet leur observation tel qu’une façade en verre ou un orifice transparent. Nous avions évoqué précédemment la ruche d’observation qui, avec sa paroi de verre, permet d’observer les abeilles en train de travailler. On peut ainsi reprendre la corrélation entre ces outils d’observation des insectes et l’architecture en tant qu’instruments optiques ou objets « architecturés ». En effet, les appareils et les pièges à insectes possèdent des qualités spatiales, en termes de formes, matériaux et structures, transcriptibles en architecture. Appareils d’observation Les appareils d’observation représentent un outil majeur pour observer et comprendre les insectes. Ils sont conçus et utilisés par les entomologistes afin d’observer les insectes et comprendre leur comportement et leurs processus vitaux. L’entomologiste Jean-Henri Fabre (1823-1915), considéré comme l’un des précurseurs de l’éthologie et qualifié d’« inimitable observateur » par Charles Darwin161, a conçu de nombreux appareils d’observation à insectes, le plus souvent rustiques, en particulier lorsqu’il se trouvait face à une difficulté d’observation, dans le cas par exemple d’insectes lucifuges* ou souterrains. Ainsi, il met au point un premier appareil d’observation162 (Fig.51, p.124) afin de comprendre le processus de construction à la verticale du terrier du couple (femelle et mâle) du coléoptère Minotaure Typhée. Il s’agit d’un insecte souterrain qui creuse à la verticale son terrier pour la ponte de ses œufs dans une terre sablonneuse profonde. Afin de ne pas perturber la construction par l’observation, Fabre crée un milieu artificiel à l’aide d’un tube en verre d’un mètre de long environ, et d’un diamètre de trois centimètres. Le tube forme un puits planté dans un pot de terre qui est soutenu verticalement par trois tiges de bambous faisant office

Fabre, jugeant plus par l’expérience que par la théorie, s’est néanmoins opposé au transformisme et à la

161

théorie de l’évolution de Darwin, avec qui il entretenait une correspondance respectueuse.

FABRE Jean-Henri, « Le Minotaure Typhée. – Premier appareil d’observation » in Souvenirs Entomologiques.

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Étude sur l’instinct et les mœurs et des insectes, vol. 10, Paris, Ed. Delagrave, 1924.

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Figure 53. « 4. L’écloisoir pour bois mort » et « 5. L’appareil de Berlese ». Schémas personnels repris du livre : ALBOUY Vincent, Insectes, 2012. Les deux dispositifs décrits sont des « pièges à insectes » destinés aux enfants. Ils sont inspirés d’appareils d’observation inventés par des entomologistes.


de trépied qu’il décrit comme une « charpente de soutien pour tout l’édifice163 ». L’embouchure accueille une terrine percée et le tube est rempli d’un mélange de sable et de terre correspondant au milieu de l’insecte. Le tube étant trop fin pour la construction du terrier, Fabre construit un second appareil d’observation164 (Fig.52, p.126) bien plus large, qu’il décrit en empruntant un vocabulaire propre à l’architecture : « La cavité du prisme mesure un décimètre de côté. Le bout inférieur est fermé ; le bout supérieur est libre et porte une corniche sur laquelle repose le large plateau. La colonne creuse remplit de terre sablonneuse fraîche, convenablement tassée. Le plateau lui-même en reçoit une couche d’un travers de doigt165. ». L’analogie avec l’architecture est évidente dans le style littéraire de l’entomologiste. Ainsi, on trouve un vocabulaire riche en dispositifs empruntés à l’architecture : « puits », « charpente », « cheminée d’ascension », « couloir latéral », « galerie verticale », « groupement de cellules sur le même palier », « galerie en verre », « demeure », « porte »166 etc. Ces termes sont propres à l’anthropomorphisme connu de Fabre qui permet de donner accès à sa lecture à un public large. En donnant accès à l’échelle et au milieu des insectes, il génère une première forme d’empathie pour l’insecte qui est « humanisé ». Il met aussi en évidence une compétence d’ « architecte » de l’entomologiste, qui pense en trois dimensions afin de concevoir et de construire une « demeure » artificielle pour l’insecte. Pièges à insectes Des pièges à insectes, souvent destinés aux enfants, tirent leur inspiration des appareils d’observation d’entomologistes cités précédemment. De même que les outils d’entomologistes, ils peuvent être construits avec des matériaux accessibles et ont pour but de recréer le biotope de l’insecte afin d’observer l’insecte vivant. Des manuels d’enfance sous forme de carnets de terrain167 décrivent la construction de ces pièges ludiques. Leur description emploie une représentation d’architecture en coupe ou en plan, tel qu’on peut le voir dans la description de l’appareil de Berlese168 (Fig.53, 5) permettant l’observation de la faune de la couche d’humus, constitué d’une lampe, d’un entonnoir et d’un bocal. La lampe permet de chauffer les débris récupérés dans l’entonnoir. Les insectes vivants dans la couche d’humus récupérée s’enfoncent dans la terre pour fuir la chaleur et la lumière de la lampe, et tombent dans le bocal dans lequel l’enfant va pouvoir les observer. De même, l’éclosoir pour bois mort169 (Fig.53, 4) permet d’observer les insectes adultes dont les larves vivent au cœur du bois mort. Une fois adulte, l’insecte attiré par la lumière naturelle sort par le bocal de verre encastré dans une boîte obscure dans laquelle sa larve a éclos. Ces dispositifs ludiques témoignent d’un rapport exclusif entre l’enfant et l’insecte. De même que les hôtels à insectes du chapitre précédent, ces instruments optiques ont une vertu pédagogique. Ils incitent l’enfant à construire, à observer et à comprendre et stimulent sa curiosité. L’insecte devient « pédagogue » en donnant accès à son observateur au monde vivant et dynamique de la nature. En l’observant « vivre » dans son milieu, l’enfant peut développer une certaine « empathie » pour l’insecte, en s’identifiant au petit animal. Malgré tout, le terme de « piège » trouve aussi 163 164

FABRE Jean-Henri, op. cit. FABRE Jean-Henri, « Le Minotaure Typhée. – Second appareil d’observation » in Souvenirs Entomologiques. Étude sur l’instinct et les mœurs et des insectes, vol. 10, Paris, Ed. Delagrave, 1924.

Ibid. Ibid. 167 ALBOUY Vincent, Insectes, Toulouse, Editions Milan, 2012. 168 Ibid. 169 Ibid. 165 166

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Figure 54. Auteur inconnu, La Serre à Papillons, photographie de la Serre à Papillons au parc Micropolis, Saint-Léons.


ses limites en tant qu’instrument de « torture ». Il place l’enfant en observateur mais aussi en manipulateur.

3.1.2 - Mise en scène du génie de l’insecte Les instruments optiques décrits trouvent aussi leur place au sein d’espaces d’exposition ludiques, dans lesquels des architectes mettent au point des dispositifs d’observation adaptés à un intérieur et destinés à cette observation. Ils œuvrent à la construction de l’ « entomo-empathie » par la mise en scène du génie de l’insecte. Vivariums Le vivarium est un lieu où on élève des petits animaux vivants tels que les insectes, en reconstituant leur biotope dans un environnement artificiel afin de les observer. On parle aussi de vivarium public comme d’un lieu d’exposition destiné au public, à l’intérieur d’un bâtiment ou dans une serre, dans lequel sont aménagées des galeries de terrariums conçues comme des fenêtres ouvertes sur le monde vivant (Fig.54). Il est souvent constitué d’un ensemble de cages vitrées, agrémentées de plantes et de bassins afin de reconstituer le milieu naturel de l’animal exposé. Il s’agit de l’adaptation vivante des dioramas existants dans les musées d’histoire naturelle. À titre d’exemple, le Vivarium du Moulin à Lautenbach est le premier insectarium français qui a ouvert en 1988. Le lieu, site d’un ancien moulin, avait pour ambition d’accueillir une exposition vivante sur le comportement social des fourmis170. Il expose aujourd’hui environ quatre-vingts spécimens d’insectes et d’araignées vivants dans une « salle des élevages », sur une surface d’exposition de plus de 240 mètres carrés. L’association du Vivarium du Moulin a pour objectif premier de sensibiliser à la diversité du monde vivant, particulièrement à l’entomofaune, de la faire connaître, et surtout de sensibiliser à sa protection et à son respect. Forte en volonté pédagogique, le Vivarium développe beaucoup d’animations destinées aux scolaires, mais aussi des actions pédagogiques menées dans les classes au sein des écoles. D’autres actions sont aussi menées à l’extérieur, dirigées vers la faune du milieu naturel spécifique à la région alsacienne. Le Vivarium joue donc un rôle d’intermédiaire « entre le monde scientifique et le grand public171 » afin de transmettre ses connaissances et sa curiosité de la nature à un public large, spécifiquement à un public jeune. Il attribue un rôle pédagogique immense aux insectes, par le biais d’un tel programme et à travers une mise en scène de l’entomofaune. Il s’agit d’une première intégration de dispositifs d’observation d’insectes vivants dans un intérieur. Micropolis À l’issue du succès du film « Microcosmos172 » (1996) et d’une rencontre entre son producteur Jacques Perrin et le président du Conseil Général de l’Aveyron Jean Puech, alors ministre de l’Agriculture, a ouvert le parc de loisirs pédagogique et centre international d’études des insectes

170

Association Vivarium du Moulin, Qui sommes-nous ?. Consulté le : 17.10.2016. Disponible à l’adresse : http://vivarium.du.moulin.pagesperso-orange.fr/Pages/cadre1.htm.

BLANCHET Serge, éleveur animateur interviewé dans : Jds Alsace, Le Vivarium du Moulin à Lautenbach,

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06.05.2014, 2 min. Consulté le : 17.10.2016. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/ watch?v=1F4E-QALrno.

NURIDSANY Claude, PERENNOU Marie, Microcosmos : Le Peuple de l’Herbe, 1996, 2h57.

172

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Figure 55. Opus 5 Architectes, Micropolis - Musée des insectes, photographies de l’intérieur et de la toiture. L’architecture du parc Micropolis emprunte un langage biomorphique pour perturber la perception des visiteurs et leur donner l’impression de se « plonger dans l’herbe », à l’échelle de l’insecte. La salle principale est constituée de poteaux en biais, en forme de tiges géantes, qui portent la toiture en « fleurs de cuivre », de laquelle chacune offre un puit de lumière zénitale.


« Micropolis ». Le parc, appelé la Cité des insectes, a été réalisé en 2000 à Saint-Léons, village natal de l’entomologiste Jean-Henri Fabre173. L’architecte Bruno Decaris et le scénographe François Confino, lauréat du concours pour la conception, ont développé un scénario de découverte du génie de l’insecte, aidé par une « architecture au service de la perception du monde des insectes174 », et riche en expériences interactives. La scénographie du lieu emprunte son vocabulaire fait de sons et d’images au cinéma, comme un lien « entre l’Humain et l’Insecte », « entre deux mondes qui se côtoient chaque jour sans jamais vraiment se rencontrer » 175 . Elle veut donner l’impression au visiteur de se transformer en insecte, en perturbant son échelle de perception, et en le rendant acteur de la visite : l’une des premières salles est d’ailleurs intitulée « être insecte ». Ainsi, le sens de la visite va du plus enterré et sombre au plus lumineux et aérien, telle la vie de l’insecte qui passe de la larve à la nymphe, puis à l’insecte ailé176. Pour cela, le bâtiment en béton est enfoui à moitié dans une colline et l’entrée « dans l’infiniment petit » se fait par une faille, qui veut provoquer une perte de repères. Le sentiment de changement d’échelle est appuyé par « la plongée dans l’herbe », forêt d’herbes géantes en acier de six mètres de haut, avec la diffusion progressive de bruits d’insectes. Au fil de la visite, du bas vers le haut, les salles deviennent de plus en plus grandes et de plus en plus lumineuses. L’architecture est forte en analogie biomorphique qui aide autant que la scénographie à perturber l’échelle de perception du visiteur. Le bâtiment est constitué d’une toiture courbée faite d’une série de dômes en cuivre en forme de « fleurs » géantes soutenues par des poteaux « tiges » inclinés, formant des puits de lumière naturelle (Fig.55). Le plan de 2400 mètres carrés a été divisé en 12 cellules carrées en référence aux alvéoles de la ruche. La dernière partie de la visite est constituée d’une grande verrière qui, vue depuis l’intérieur, fait référence aux écailles des ailes de papillons avec un principe de stores vénitiens, offrant au visiteur une perception tamisée de l’extérieur (Fig.58, p.136). Ainsi, la mise en scène de ce parc sollicite architecture biomorphique, scénographie quasicinématographique et science, au service d’une expérience spatiale interactive ayant pour but de sensibiliser le public au monde des insectes. Maison des Insectes En 2017 ouvrira la première Maison des Insectes en milieu post-industriel et périurbain, conçue par l’agence AWP. Le nouveau parc du Peuple de l’Herbe à Carrières-sous-Poissy dans les Yvelines, dont l’inauguration est prévue pour le printemps 2017, est une ancienne friche d’une centaine d’hectares située au bord de la Seine. Tandis que les architectes et paysagistes de l’agence TER ont été chargés de concevoir la promenade en favorisant la préservation de la nature indigène, rare en milieu urbain, l’agence d’architecture AWP, en collaboration avec l’agence HHF, a conçu une série de « folies » venant ponctuer la promenade urbaine du parc avec un impact minimal sur le site. Il s’agit de petits édifices avec une charpente en bois autoportante, tenus sur des pilotis, en forme de « maisons-barges » (Fig. 57, p.134) dont le langage architectural emprunté à la « cabane de pêcheur » témoigne de leur situation entre nature et ville, entre étangs et habitations.

M.H., « Micropolis, la Cité des insectes, Saint-Léons-en-Lévezou » in L’Architecture d’Aujourd’hui, n°329,

173

juillet 2000, pp. 28-29.

174 175

SCHWARTZ Corinne, « Micropolis, la cité des insectes… » in La Lettre de l’OCIM, n°70, 2000, pp. 3-12. PUECH Jean « De Microcosmos à Micropolis », préface in GOMEL Luc, Micropolis, la cité des insectes, le guide, Paris, Ed. Delagrave, 2000.

176

GOMEL Luc, Micropolis, la cité des insectes, le guide, Paris, Ed. Delagrave, 2000.

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Figure 56. LANOO Julien, AWP+HHF | Poissy Galore – Insects Museum and Visitor Center. Internal view, 2017, photographie.

Figure 57. LANOO Julien, AWP+HHF | Poissy Galore – Insects Museum and Visitor Center. External view, 2017, photographie.


Le bâtiment principal de 800 mètres carrés est la Maison des Insectes munie d’un observatoire. Le programme de cette Maison des Insectes est venu seulement à la seconde étape de conception, de la part de la maîtrise d’ouvrage, après la conception des « maisons-barges ». Ainsi, il a fallu adapter la typologie existante au programme d’accueil d’insectes, dans des salles d’exposition et de pédagogie, des serres (Fig.56), des espaces d’élevages, et des bureaux destinés au nouveau siège de l’OPIE (Office Pour les Insectes et leur Environnement). Le projet a connu des difficultés car, bien qu’il soit intégré subtilement au site et à la promenade, il n’a pas été conçu en premier lieu pour un tel programme. De plus, l’agence d’architecture et l’OPIE ont des deux côtés exprimé une difficulté à échanger puisque la communication s’est faite de manière indirecte, par le biais du maître d’ouvrage : 2 Rives de Seine. En effet, comme l’ont témoigné177 les architectes d’AWP, les informations concernant les fonctionnalités nécessaires à l’accueil de l’OPIE et des insectes sont arrivées « au compte-goutte » et il a fallu plusieurs allers et retours et modifications pour satisfaire les besoins du futur locataire. De son côté, l’OPIE n’a pas tout de suite été satisfait non plus, reprochant aux architectes de privilégier l’esthétique à la fonctionnalité178. Malgré tout, on peut imaginer que si le programme de la Maison des Insectes avait été annoncé dès la première phase de conception, et que la communication avait été directe entre l’usager et le concepteur, la genèse du projet aurait été facilitée et peut-être différente. Il faut noter que le bâtiment a été nominé au Prix de l’Union européenne pour l’architecture contemporaine Mies van der Rohe 2017. De plus, le programme lié à l’insecte a été très bien accueilli par les architectes qui y ont vu une opportunité pour leur ouvrage de véhiculer une idée de la ville cachée et invisible179, partie de la ville négligée avec laquelle ils tentent de travailler. Il est à retenir la force symbolique du programme du parc qui consacre le bâtiment principal à l’Insecte, au sein d’un lieu emblématique de la nature primitive en milieu urbain, dans lequel on trouvera aussi trois hôtels à insectes. Accompagné d’un programme pédagogique et culturel fort, il témoigne d’une volonté de sensibiliser les visiteurs, notamment les citadins, à l’importance des insectes, et à une meilleure connaissance de ceux-ci, ce que se charge de faire l’OPIE depuis 50 ans180. L’insecte tient ainsi son rôle de « pédagogue » en servant de tremplin voire de symbole à la biodiversité périurbaine que les collectivités, les concepteurs et les citadins souhaitent aujourd’hui protéger.

3.1.3 - Architecture et insectes comme outils pédagogiques Insecte « pédagogue » Les instruments optiques, qu’il s’agisse d’appareils d’observation scientifique ou de pièges à insectes ludiques, attribuent une vertu pédagogique à l’insecte. L’insecte se fait comprendre par lui même, dans son observation scénographiée par l’humain. Il « collabore » avec l’humain en tant qu’outil pédagogique, pour la connaissance de sa propre biologie et de son comportement, mais aussi en tant qu’objet de curiosité. Il incarne un tremplin vers un monde inconnu, comme le décrit Jean-Henri Fabre à propos du Minotaure Typhée : « Lui (le Minotaure Typhée), d’une richesse

177

Entretien avec les architectes responsables du projet la Maison des Insectes à l’agence AWP, réalisé le 24.10.2016.

178

Entretien téléphonique avec Hervé Guyot, responsable de la Maison du Peuple de l’Herbe à l’OPIE, réalisé le 11.10.2016.

Entretien avec l’agence AWP, idem. 180 Entretien téléphonique avec Hervé Guyot, idem. 179

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Figure 58. Opus 5 Architectes, Micropolis - Musée des insectes, photographie de l’intérieur. La dernière partie de la visite du musée Micropolis est constituée d’une grande verrière qui, vue depuis l’intérieur, fait référence aux écailles des ailes de papillons avec un principe de stores vénitiens, offrant au visiteur une perception tamisée de l’extérieur.


inouïe un instinct, mœurs et structures, nous révèle un monde nouveau, comme si nous avions colloque avec les naturels d’une autre planète181. ». Enfin, l’insecte « pédagogue » est le symbole d’une nature qu’on souhaite faire connaître et protéger. Cette vertu pédagogique est aussi centrale dans les espaces intérieurs d’observation décrits précédemment. Les lieux d’exposition du génie de l’insecte, agrémentés de vivariums et d’autres instruments optiques, ont en commun de créer un lien entre savoirs entomologiques et le grand public, entre monde humain et monde des insectes. Ce lien se construit notamment par l’espace, soit dans une mise en scène interactive telle que celle du parc Micropolis, soit de manière plus « silencieuse » et symbolique dans un lieu stratégique tel que la Maison des insectes à Carrièressous-Poissy. Rhétorique spatiale Le cas du parc Micropolis, la Cité des insectes, est intéressant car il donne une grande partie de pouvoir à l’architecture en tant qu’outil pédagogique. Les analogies biomorphiques du bâtiment, qu’il s’agisse des « fleurs » en cuivre de la toiture, des « écailles » de papillon en façade (Fig.58), ou de la chorégraphie de la visite du plus confiné au plus lumineux, servent d’outil de communication, images fabriquées de la « Cité des insectes » proches d’un décor de cinéma. Elles permettent de perturber la perception des visiteurs, de leur conférer une impression de changement d’échelle. Ajoutée à l’architecture, la scénographie, avec sons et images, aide à ce basculement dans le monde « infiniment petit » de manière très évidente et peut-être peu subtile : à l’entrée, des symboles de pas grossissent, on trouve des herbes géantes de six mètres de hauteur, etc. On pourrait qualifier cet effet de « rhétorique spatiale ». En effet, l’espace de la Cité est fabriqué, généré seulement pour servir un seul but, c’est-à-dire créer le même effet que le film « Microcosmos » avait provoqué sur ses spectateurs : une perte de repère, une « plongée dans l’herbe » et un changement d’échelle, suscitant curiosité et fascination pour le monde des insectes. L’architecture devient décor d’un monde fantasmé. Elle souhaite « faire rêver » comme au cinéma. Or, à la différence du film « Microcosmos » qui avait le pouvoir technique de grossir les images grandioses d’insectes, Micropolis ne peut pas rapetisser ses visiteurs. L’architecture, appuyée par la mise en scène interactive des insectes, est « rhétorique » car elle véhicule un discours évident, non dissimulé, qui veut provoquer un effet sur l’esprit des visiteurs. Opposé à cette configuration rhétorique, l’architecture de la Maison des insectes de Carrièressous-Poissy n’adopte pas de langage analogique au monde des insectes et reste « silencieuse » quant au programme, s’inscrivant plutôt dans la série de « folies » du parc. La Maison n’attribue pas ce rôle « pédagogique » à l’architecture mais « laisse parler » son programme dans des espaces libres. Néanmoins, le projet n’est pas innovant sur la manière de présenter les insectes : terrariums, vivariums et serres « classiques » viendront se poser dans l’espace comme des objets détachés du bâtiment. Il y a peut-être une correspondance à établir entre architecture « silencieuse » et dispositifs d’interactions humain/insecte pour servir une mise en scène du génie de l’insecte dans un espace pédagogique innovant.

181

FABRE Jean-Henri, « Le Minotaure Typhée » in Souvenirs Entomologiques. Étude sur l’instinct et les mœurs et des insectes, vol. 10, Paris, Ed. Delagrave, 1924.

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3.2 - Empathie cognitive : Biomimétisme et insectes « constructeurs » 3.2.1 - Penser comme un insecte « Thinking like a mountain » « Thinking like a mountain » (Penser comme une montagne) est une expression utilisée par l’écologiste américain Aldo Leopold dans son livre « A Sand County Almanac182 » (1949). En assistant à la mort d’un loup, prédateur du bétail ennemi de l’humain, l’auteur prend conscience de l’importance de celui-ci dans l’équilibre écologique de la montagne, soumise à la défoliation par des hordes de cerfs, proies du loup, en surnombre. L’expression prône une vision écocentrique de l’environnement, dans une conscience écologique et de conservation de la nature, qui a eu une influence sur le développement de l’éthique environnementale moderne. Il s’agit d’une attitude empathique envers l’environnement sauvage, car elle appelle à penser et comprendre l’intérêt de chaque espèce comme faisant partie d’un tout équilibré, c’est-à-dire d’un écosystème. Dans cette même conscience écologique, associée à la lutte contre le dérèglement climatique notamment, l’expression est reprise dans le mouvement du biomimétisme, processus d’innovation s’inspirant de la nature. On la retrouve notamment dans l’expression « Thinking like a Tree183 » (Penser comme un arbre). En forêt humide, l’arbre qui marche (« The Walking Tree ») décrit par le professeur Mitchel Resnick184, déploie ses racines dans plusieurs directions pour évaluer quel sol est le plus avantageux pour son développement. Il s’agit dans ce cas d’une stratégie écologique consistant à penser un problème mathématique ou un système technologique tel qu’internet, comme un écosystème, et d’imiter son fonctionnement. Ici, cette stratégie permet d’évaluer la meilleure direction ou méthode à prendre en fonction des informations « à la racine » de chacune d’entre elles pour résoudre un problème mathématique. Empathie cognitive « Think like a mountain » implique une empathie peut-être émotionnelle, dans une idée de respect des organismes vivants dispensée de tout utilitarisme. Il s’agit d’une « bio-empathie », définie par Callicott185 comme la valeur intrinsèque d’existence des espèces non-humaines. Il ajoute à cette définition la vision métaphysique de la « valeur » selon Hume ou Darwin pour lesquels « toute valeur est affective186 ». Cela implique que toute forme de bio-empathie serait « fondamentalement émotionnelle187 ».

LEOPOLD Aldo, A Sand County almanac, and sketches here and there, New York, Oxford University Press,

182

1949.

183

RESNICK Mitchel « Thinking Like a Tree (And Other Forms of Ecological Thinking) » in International Journal of Computers for Mathematical Learning, n°8, Septembre 2003, pp. 43-62.

Ibid. 185 CALLICOTT J. Baird, « Bio-Empathy » in In Defense of the Land Ethic : Essays in Environmental Philosophy, 184

New York, Ed. Albany : State University of New York Press, SUNY series, 1989, pp. 147-153.

186 187

Ibid. Traduction personnelle : « in a Humean-Darwinian axiology (…) all value is affective », p. 153. CALLICOTT J. Baird, op.cit., p. 153. Traduction personnelle : « it may seem defeating to say that

the nonutilitarian value of other forms of life is ultimately emotional (…). This would be defeating if there were some viable alternative ».

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Figure 59. Auteur inconnu, photographie d’une serre à eau de mer illustrant PAWLYN Michael, Using nature’s genius in architecture, TED talks, Londres, 2010.

140

La serre à eau de mer reprend le principe du Ténébrion du désert (Fig.60) pour condenser l’eau de mer du vent grâce à un panneau d’évaporation.

Figure 60. PAWLYN Michael, Ténébrion du désert, dessin illustrant : Using nature’s genius in architecture, TED talks, Londres, 2010.


Ainsi, pour échapper à l’empathie « émotionnelle », difficilement abordable spatialement et qui de plus, représente une impasse lorsqu’elle est appliquée aux insectes188, le biomimétisme est peutêtre une forme de bio-empathie alternative. De l’expression écocentrée « Thinking like a mountain » peut aussi découler la stratégie écologique de « penser comme un insecte ». Celle-ci implique une empathie dite « cognitive », détachée de toute dimension affective, incitant à « réfléchir » comme un insecte pour mieux imiter son organisme ou son comportement. Il s’agit d’un processus de biomimétisme, analogie biologique des systèmes et des principes d’organismes vivants, qu’il ne faut pas confondre avec l’analogie métaphorique, comme celle souvent employée d’organisation d’insectes sociaux tels que les fourmis.

3.2.2 - Architecture biomimétique Insecte comme outil de conception L’ingéniosité de l’architecture animale, dont celle des insectes, notamment décrite par le prix Nobel et entomologiste Karl von Frisch189, a été source d’inspiration à de nombreuses innovations humaines. Le biomimétisme, processus d’innovation qui tire son inspiration de la nature, permet aux architectes de s’inspirer de la biologie et du comportement d’organismes vivants pour construire des bâtiments plus « efficaces » énergétiquement, et qui ont un impact réduit sur l’environnement. L’architecte Michael Pawlyn, qui a créé son agence Exploration en 2007 entièrement consacrée au design bio-inspiré dans un souci écologique, fournit plusieurs exemples à tirer de l’intelligence des insectes190. L’un des exemples est celui du scarabée Ténébrion du désert namibien, qui a développé une façon de récolter sa propre eau potable dans le désert aride, en se plaçant au sommet de dunes de sable pendant la nuit. Sa carapace formée de bosses, en refroidissant, permet de condenser l’eau capturée par le vent (Fig.60). Les serres à eau de mer, spécifiques aux régions costales arides, utilisent un processus semblable à celui du Ténébrion grâce à un mur qui capture l’humidité du vent pour rafraîchir l’intérieur de la serre (Fig.59). Le livre de Pawlyn « Biomimicry in architecture191 » (Biomimétisme en architecture), dont la couverture est une image agrandie des écailles colorées d’une aile de papillon, pose les questions sur l’efficacité des structures, la manufacture des matériaux, les systèmes « zéro-déchets », la gestion de l’eau et de la température, et enfin la production d’énergie pour les bâtiments. Il avance que la meilleure source de solutions pour répondre à ces différentes problématiques est le biomimétisme. Son travail reflète un mouvement récent des architectes qui souhaitent s’approprier la transition énergétique en posant un regard attentif sur la nature qui les entoure pour y trouver les solutions aux problèmes posés par le changement climatique et la crise écologique. Par le biomimétisme, l’insecte devient donc collaborateur en tant qu’outil de conception, source d’inspiration, voire en tant qu’architecte modèle. Termitières Les insectes sociaux ont pour caractéristique de réaliser des constructions collectives faites de

SAMWAYS Michael J., « Bioempathy and Feng Shui conservation - Relating to Insects » in Environmental Conservation Journal, Vol. 16, Issue 4, Janvier 1989, pp. 357-360. 189 FRISCH Karl von, Architecture animale (tr. Paul Kessler) Paris, Ed. Albin Michel, 1975. 190 PAWLYN Michael, Using nature’s genius in architecture, TED talks, Londres, 2010, 13min. 191 PAWLYN Michael, Biomimicry in architecture, Londres, Ed. Riba, 2011. 188

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Figure 61. PEARCE Mike, Of termites and architecture, photographie et schémas représentant le fonctionnement inspiré des termites de l’Eastgate Building à Harare (Zimbabwe), réalisé en 1996.


matériaux naturels tels que la terre, le bois, des fragments de végétaux liés par des sécrétions, des poils, des soies192 etc. Les termites africains de type « Macrotermes » sont un exemple pertinent d’insectes « architectes » vivant en colonie. En effet, ils construisent leur propre architecture : les termitières « cathédrales », qui peuvent atteindre huit mètres de haut. Ces monticules sont faits de bois et de fragments végétaux qui forment, sous l’action de la salive des termites, une pâte sur laquelle un champignon va pouvoir se développer. Ce champignon constitue la nourriture principale de l’insecte et ne peut se développer et survivre qu’à une température précise de 27° C. La survie des termites repose donc entièrement sur la thermorégulation de la termitière193, et c’est la structure interne de la construction qui permet la climatisation. La ventilation est basée sur des mouvements d’air au sein des galeries provoqués par des différences de température. L’air chaud entre par des petites ouvertures au pied de la termitière, puis refroidit en descendant sous la terre dans des puits très profonds (de 15 à 70 mètres) atteignant une nappe phréatique, avant de remonter dans la termitière pour l’aérer, puis d’être évacué par la cheminée centrale en montant par réchauffement (effet cheminée). Les termites peuvent ainsi réguler de manière très précise le flux d’air en obstruant certaines galeries, notamment le soir quand la température extérieure chute. La chaleur emmagasinée dans les parois de la termitière va alors permettre de chauffer l’intérieur. Ce système de climatisation passive a été étudié et adapté par des architectes dans des ouvrages d’architecture. L’exemple le plus célèbre est celui de l’ « Eastgate Building », bâtiment de 31 000 mètres carrés de bureaux et de commerce, construit à Harare (Zimbabwe) en 1996. L’architecte américain Mike Pearce s’est inspiré du système de ventilation des termitières locales pour concevoir un bâtiment dont la forme permet une ventilation passive, et une régulation constante de la température intérieure à 25° C. Le bâtiment est construit autour d’une cour intérieure agrémentée de fontaines et de bassins qui servent à refroidir l’air entrant. L’air, en montant, capture ensuite la chaleur du bâtiment et le refroidit, puis est évacué par 48 cheminées placées sur le toit. Avec le même coût et les mêmes matériaux employés que dans des constructions similaires qui possèdent une climatisation automatisée, l’Eastgate Building permet d’économiser 90% d’énergie194 grâce à ce système de ventilation passive. Les termites servent donc de modèle et d’outil de conception aux architectes. De ce fait, l’utilité du principe « penser comme un insecte » est vérifiée car cette forme d’empathie cognitive permet à l’architecte d’imiter ou de s’inspirer de systèmes d’insectes plus intelligents et plus efficaces (plus économiques en termes de matériaux et de consommation d’énergie par exemple) que ceux utilisés dans les bâtiments.

3.2.3 - Insectes acteurs de la construction Insectes constructeurs Dans son livre « Insect Architecture195 » (Architecture d’insecte), le zoologiste James Rennie (17871867) a recours à un langage anthropomorphique pour couvrir la grande diversité d’insectes « constructeurs ». On trouve par exemple les insectes « charpentiers » (« Chenille-charpentière», « Abeille charpentière », « Guêpe charpentière», « Charpente du meunier de l’arbre », « Fourmis

192

QUIVRIN Maximilien, « Un exemple d’architecture inspirée des termites » in Insectes, n°149, 2008, pp. 33-35.

Ibid. 194 Ibid. 195 RENNIE James, Insect Architecture, Boston, Ed. Lilly & Wait, 1830. 193

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Figure 62. Images du film : Mediated Matter Research Group (MIT Media Lab), Silk Pavilion, 2013. Sur la première image, on peut voir les tests du MIT Media Lab sur des Bombyx Mori tissant leur cocons. Il s’agissait d’identifier si l’environnement de l’insecte pouvait influencer le chemin de son tissage. Dans la seconde image, les vers ont été placés sur la structure du pavillon en fils de soie artificiels. Les vers y ajoutent une deuxième peau de soie en fonction du motif de la toile préexistante.


charpentières ») ou les insectes « fileurs » (« Chenilles fileuses », « Araignées fileuses » 196) et autant de diversité en termes de structures de nids ou d’œufs, de matériaux naturels employés ou sécrétés, caractéristiques de la richesse de l’architecture des insectes. Bombyx Mori comme outil computationnel Dans des projets d’architecture expérimentale, à petite échelle, l’intelligence de l’insecte « constructeur » est explorée comme outil de conception, et l’insecte devient même acteur de la construction. Le « Silk Pavilion » (Pavillon de Soie) est un projet mené en 2013 par le groupe de recherche Mediated Mater du laboratoire MIT Media Lab197 (MIT School of Architecture and Planning). Il explore le ver à soie (chenille du papillon Bombyx Mori) comme un outil computationnel d’optimisation de matière et de forme pour la fabrication de structures en fibres non tissées. L’équipe a émis l’hypothèse que le motif de filage des vers à soie pouvait être contrôlé en changeant l’environnement dans lequel les vers construisent leur cocon. Des expériences, plaçant des vers sur différentes surfaces (Fig.62), ont prouvé que l’environnement avait un impact sur le motif de construction de l’insecte. En partant de ce constat, un algorithme inspiré du processus de filage a été développé pour générer la géométrie du pavillon, surface primaire sur laquelle les vers à soie allaient pouvoir opérer. Une machine CNC198 a imprimé 26 panneaux polygonaux en déployant un fil de soie continu (comme celui du ver à soie pouvant atteindre 1 km par cocon) dans chaque élément à partir de l’algorithme. Le fil de soie fournit divers degrés de densité à travers chaque panneau qui, assemblés, forment un dôme. Influencés par des conditions spatiales et environnementales comme la densité géométrique, la variation de la lumière naturelle et la chaleur, les vers migrent vers des aires plus denses et plus sombres. Des effets voulus de lumière ont informé les variations de l’organisation de la matière à travers la surface de la structure. Un diagramme de la trajectoire du soleil a permis de dicter la location, la taille et la densité des ouvertures de la structure afin de capturer les rayons de lumière naturelle entrant dans le pavillon. Sur cette première structure issue d’un procédé de fabrication digital et biomimétique, a donc été ajoutée une seconde structure fabriquée par les vers à soie vivants, « constructeurs » biologiques du pavillon. Un essaim de 6500 vers à soie a été positionné sur les bords inférieurs du pavillon. Les vers, véritables imprimantes 3D biologiques, ont ainsi filé les panneaux de la structure avec une soie « non tissée » en fonction de leur préférence instinctive pour les aires plus sombres de la surface, et en renforçant les vides entre les fibres de soie déposées par la CNC (Fig.62). Le résultat est un pavillon de soie, version échelonné du cocon de soie et espace fonctionnel à échelle humaine, explorant les relations de la fabrication digitale avec la fabrication biologique du ver à soie. Le ver à soie incarne donc ici à la fois un outil computationnel d’optimisation de matière et de forme de la structure primaire et le « constructeur » de la structure secondaire. Le projet du Silk Pavilion se situe donc à mi-chemin entre architecture biomimétique et architecture d’insectes « constructeurs », employant une empathie « cognitive » envers l’insecte afin de générer l’algorithme et le processus de sa propre construction.

RENNIE

196

James, op. cit. Traduction personnelle : « Carpenter-caterpillars », « Bee carpenter », « Wasp carpenter », « Carpentry of Tree-hoppers », « Carpenter Ants », (« Spinning Caterpillars », « Spinning Spiders ».

MIT Media Lab, Silk Pavilion, 2013. Consulté le : 12.11.2016. Disponible à l’adresse : http://matter.media.

197

mit.edu/environments/details/silk-pavillion.

Computer Numerical Control, francisé en « Commande Numérique par Calculateur », machine-outil dotée

198

d’une commande numérique.

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Figure 63. UEXKÜLL Jakob von, Espace visuel d’un insecte volant, 1956, illustration. Uexküll utilise cette illustration pour décrire ce qu’est l’espace visuel qui se dissocie de l’espace tactile pour les animaux porteurs d’yeux : « en raison de la structure sphérique de l’oeil, l’aire du monde extérieur qui rencontre un élément visuel s’élargit au fur et à mesure que s’accroit l’éloignement et que des parties toujours plus étandues du monde extérieur coïncident en un endroit unique. (...) C’est que l’endroit représente le plus petit contenant spatial au sein duquel il n’y aucune différence.» (Source : UEXKÜLL Jakob von, Milieu animal et milieu humain (1956), tr. fr. Charles Martin-Freville, Paris, Ed. Payot & Rivages, 2010, pp.59-60).


3.3 - Empathie sensorielle : Insecte « créateur » de nouvelles expériences spatiales Une autre composante de l’ « entomo-empathie » est l’empathie dite « sensorielle ». Elle part du constat selon lequel le territoire, dénué de tout anthropocentrisme, réunit une multitude de milieux propres à chaque espèce vivante, et avec elle autant de perceptions subjectives. L’empathie sensorielle permet de donner accès à la perception subjective de l’insecte par le biais des sensations. L’espace, mis au service de cette empathie, produit des expériences inédites d’interactions entre monde humain et monde de l’insecte.

3.3.1 – Milieux et empathie perceptive Milieu de la tique Dans son livre « Milieu animal et milieu humain199 », le biologiste allemand Jakob von Uexküll (18641944) pointe l’illusion selon laquelle les relations qu’un sujet non-humain entretient avec les choses de son milieu prennent place dans notre monde humain. Il démontre que la vision anthropocentrée d’un monde unique, doté d’un seul espace et d’un seul temps, est fausse. Au contraire, il existe une multitude de milieux subjectifs dits « Umwelt », propres à chaque espèce animale. Pour démontrer ses propos, il décrit le milieu de la tique. Celle-ci, sourde et aveugle, est capable d’attendre, après être montée au sommet d’une branche, dix-huit ans200 sans bouger qu’un mammifère passe en dessous d’elle. L’odeur du sang va agir comme un stimulus sur les organes perceptifs de l’insecte, afin qu’il puisse se laisser tomber sur le mammifère, sucer son sang, tomber au sol, pondre ses œufs, et mourir. Uexküll décrit le milieu de la tique pour en déduire les principes fondamentaux de construction de milieux qui valent pour tous les animaux. Il imagine une conversation entre un physiologiste, pour lequel chaque être vivant est une machine ou un objet dans le monde humain, et un biologiste (lui-même), qui va démontrer que la tique n’est pas une machine mais un machiniste et donc un sujet au centre de son propre milieu. L’exemple de la tique est parlant. L’insecte, sourd et aveugle, est dit « pauvre en monde », mais reste malgré tout le sujet de son propre monde dans lequel tout autre être vivant, ici le mammifère, devient un objet : « Toute la richesse du monde entourant la tique se racornit et se transforme en un produit pauvre, composé pour l’essentiel de seulement trois signes perceptifs et trois signes actantiels : c’est son milieu. La pauvreté du milieu conditionne cependant la certitude de l’activité, et la certitude est plus importante que la richesse201. » Le concept de l’ « Umwelt » (Milieu ou monde) va révolutionner l’éthologie et des travaux plus récents de biosémiotique (étude de l’interprétation de signes par les êtres vivants) y réfèrent encore aujourd’hui. Uexküll en « se mettant à la place » de la tique, et en lui accordant une subjectivité dénuée de tout anthropocentrisme, fait preuve d’une certaine empathie.

199

UEXKÜLL Jakob von, Milieu animal et milieu humain (1956), tr. fr. Charles Martin-Freville, Paris, Ed. Payot & Rivages, 2010.

Ibid., p.44. Uexüll fait ici référence aux travaux de l’Institut zoologique de Rostock. 201 Ibid., p.43. 200

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Figure 64. UEXKÜLL Jakob von, Photographie d’une rue de village, photographie ; La même rue du village de village pour l’oeil de la mouche, aquarelle, 1956. Uexküll emploie une méthode d’« empathie perceptive » pour tenter de rendre compte de ce que voit une mouche. Avec la méthode d’une grille correspondant au nombre d’éléments visuels de l’oeil de la mouche, il dessine une aquarelle à partir d’une photographie de rue. En résulte une image bien moins précise que celle de la perception visuelle « humaine ».


Empathie perceptive L’espace occupe une place privilégiée dans la démonstration d’Uexküll. Il décrit trois espaces dans lesquels nous vivons : l’espace actantiel, espace du jeu de nos mouvements, l’espace tactile, et l’espace visuel pour les animaux dotés d’yeux. Ainsi, l’espace visuel d’un insecte volant tel qu’il le décrit (Fig.63, p.146) est très différent de celui de l’humain. L’humain ne voit pas la clairière de la même manière que l’abeille, sensible à des fréquences lumineuses imperceptibles à l’humain. La perception humaine trouve donc ses limites dans la subjectivité des espèces, inaccessible à l’humain. L’ « Umwelt » d’Uexküll est composé de deux mondes : un monde perceptif et un monde actantiel. Alors que le monde actantiel de l’abeille est inaccessible car l’humain ne possède pas les organes actifs de l’abeille, on peut imaginer cependant que le monde perceptif de l’abeille peut être accessible par le biais de mediums qui permettraient de remplacer les organes perceptifs et de produire un imaginaire de la perception de l’abeille. Uexküll tente ainsi de reproduire ce que voit une mouche, en comparaison avec ce que voit un humain (Fig.64), en tenant compte de la mosaïque de l’œil de la mouche : « Comme on peut, en interposant une fine grille, transformer chaque image en une mosaïque d’endroits, la méthode de la grille nous permet de mettre à jour les différences de mosaïques d’endroits pour divers yeux d’animaux202. ». L’aquarelle de la rue « pour l’œil de la mouche » permet « d’acquérir une expérience du milieu d’un animal quand on connaît le nombre d’éléments visuels de son œil203 ». En tentant de rendre compte de l’expérience visuelle d’un animal, Uexküll ouvre le champ d’une empathie dite « perceptive ». Empathie sensorielle 149

Il semble presque impossible de fournir un état objectif de la perception subjective d’un animal, puisque l’humain ne possède pas les organes perceptifs de celui-ci. Alors, comment explorer les mondes intérieurs des animaux ? Comme nous avons vu ci-dessus, Uexküll a tenté de rendre compte de l’expérience du milieu d’un animal à l’humain par le biais d’un dessin d’aquarelle. Or, bien que cela permette à l’humain de comprendre comment un insecte reçoit une image, cela ne lui permet pas de comprendre comment l’insecte interprète cette image. Il s’agit donc ici de donner accès à l’organe sensoriel de l’animal. Les animaux possèdent des organes sensoriels que l’humain ne possède pas. L’espace peut donc jouer un rôle en « construisant » ces organes sensoriels afin de donner accès à un imaginaire de la perception subjective de l’animal. De ce fait, on bascule d’une empathie perceptive, qui comprend en elle l’interprétation de signes, à une empathie sensorielle. L’empathie sensorielle est comprise dans l’empathie perceptive, mais est défaite de l’interprétation des signes perçus. Ainsi on donne accès aux sens, et l’interprétation est laissée libre. Cette empathie sensorielle appelle à la curiosité d’un public ainsi qu’à l’imagination de concepteurs tels que les architectes pour la rendre viable. Elle joue avec les limites de notre capacité de compréhension, par les sens. Il s’agit donc d’explorer les mondes intérieurs des animaux, par le biais d’un espace interactif qui reproduit un imaginaire de ce que les organes sensoriels d’un animal peuvent percevoir. L’empathie sensorielle permet de « percevoir » ou de « ressentir » comme un insecte. Elle est productrice d’expériences spatiales qui explorent la subjectivité d’un animal, ici d’un insecte, que nous allons décrire dans les parties suivantes.

UEXKÜLL Jakob von, op. cit., p. 61. 203 Ibid, p. 64. 202


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Figure 65.

FERRERA Simone, Theriomorphous Cyborg - Level 2 : Remixed duration, 2011, image du jeu immersif.

Inspiré du travail de Uexküll, l’architecte Simone Ferrera crée un jeu immersif pour rendre compte de certains aspects de la perception animale. Dans le niveau 2 cidessus, l’utilisateur est invité à modifier sa perception du temps. Il s’agit aussi d’un outil d’« empathie perceptive ».


3.3.2 – Empathie sensorielle et espace « thériomorphique » L’espace, mis au service de l’empathie sensorielle donnant accès à la perception animale, génère des expériences interactives entre monde humain et monde animal. L’espace est employé comme un outil rhétorique pour servir cette empathie, et gagne un pouvoir thériomorphique*, c’est-à-dire capable d’attribuer à l’humain des sens, des organes perceptifs, et autres caractéristiques propres aux animaux. Jeux vidéo d’architecte The Expanded Environment est une organisation à but non lucratif basée à Londres, ayant pour but d’aider les gouvernements, municipalités, provinces, organisations, entreprises, et individus à comprendre, appréhender et concevoir des relations performantes entre les systèmes biologiques et l’architecture204. En 2011, l’organisation alors appelée « Animal Architecture », organise un concours « Animal Architecture Awards » adressé aux étudiants et architectes professionnels, afin de concevoir des projets d’intégration alternative et responsable d’animaux à l’espace construit. Le lauréat du concours est le projet de l’architecte Simone Ferrera « Theriomorphous Cyborg » (Cyborg Thériomorphique). Il s’agit d’un jeu vidéo immersif de réalité augmentée205 inspiré du concept d’ « Umwelt » d’Uexküll. Il permet au participant d’avoir accès à un regard non-humain voire « extrahumain ». C’est le prototype d’un logiciel conçu pour couvrir des champs alternatifs d’expérience et pour activer des relations novatrices entre des cyborgs-humains (humains technologiquement « augmentés ») et leur environnement sensible. Ainsi, chaque niveau du jeu construit au regard de l’humain un environnement nouveau et inconnu, inspiré de la perception d’oiseaux migrateurs : Niveau 1 : habilité de percevoir le champ magnétique de la Terre. Niveau 2 : habilité à manipuler sa propre notion du temps en mélangeant des signaux synchrones et asynchrones (Fig.65). Niveau 3 : substitution de la vision du joueur avec des diffusions issues de caméras de vidéosurveillance activées à proximité206. Ce jeu est thériomorphique car il permet à l’être humain d’accéder à des attributs animaux tels que la capacité de percevoir des champs magnétiques et autres forces imperceptibles aux sens humains. Espace « thériomorphique » Le projet « Theriomorphous Cyborg » (2011) informe d’un nouvel espace transformé par la technologie. Il se projette dans un futur où l’espace réel est perçu différemment par l’humain grâce à une réalité augmentée. Il donne accès à une certaine « bio-empathie » sensorielle en tant qu’outil thériomorphique. Il s’agit d’un outil spatial rhétorique qui change la perception de l’espace en attribuant à l’humain « augmenté » des caractéristiques non-humaines. On peut mettre ce projet en lien avec celui des architectes Coop-Himmelb(l)au cité précédemment : Heart City : The White-Suit (1967) (Fig.50, p.122), qui de la même manière, donne accès à une perception « extra-humaine » par le biais d’une combinaison transmettant des sensations au corps humain. L’espace « thériomorphique », perçu par l’humain « augmenté » technologiquement, constitue une

204

The

205

La réalité augmentée est la superposition d'éléments virtuels tels que des sons, images 2D ou 3D, ou

Expanded Environment, site web. Consulté le : 12.12.2016. Disponible à l’adresse : http://www. expandedenvironment.org/. vidéos, à la réalité. Les éléments sont calculés par un système informatique en temps réel.

206

The Expanded Environment, Animal Architecture Awards Announces, 15.08.2011. Consulté le : 12.12.2016. Disponible à l’adresse : http://www.expandedenvironment.org/animal-architecture-awards-announced/.

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Figure 66.

Images du film : MEIER Synchronicity, Basel, 2015.

Robin,

L’artiste Robin Meier investit le milieu de lucioles dans ce projet. Il étudie, en collaboration avec des experts de l’insecte, le système de synchronisation lumineux de la luciole pour recréer un environnement artifiel pouvant interagir avec celui-ci. Le projet explore spatialement la perception visuelle de l’insecte et la rend accessible aux visiteurs.


forme d’architecture conduite par la technologie, qui donne accès à la subjectivité d’un animal par la transmission de sons, d’images, d’odeurs et de sensations auparavant imperceptibles aux sens humains. On peut opposer à cet espace le parc Micropolis, décrit dans la partie 3.1 du chapitre, qui, pour donner accès à la perception du monde des insectes, utilise une rhétorique anthropomorphique qui transforme physiquement l’espace. Ici, l’espace « thériomorphique » n’est pas un espace physiquement transformé. Il s’agit d’un espace liant monde intangible et monde tangible, d’un outil spatial qui superpose l’espace virtuel et l’espace réel afin de transformer voire d’augmenter la perception de l’humain.

3.3.3 – Expériences spatiales d’interactions humain/insecte L’espace « thériomorphique » explicité précédemment, bien qu’il agisse sur la perception de l’espace réel, n’engage pas une transformation de celui-ci. L’espace réel, c’est-à-dire tangible, est utilisé dans des projets d’installations artistiques ou de micro-architecture pour explorer l’empathie sensorielle envers l’insecte. Des interactions humain/insecte innovantes sont conçues et génèrent des expériences spatiales nouvelles, à travers la subjectivité de l’insecte. Perception visuelle Le projet « Synchronicity » (2015) est né d’une collaboration entre exploration artistique et recherche scientifique. L’artiste Robin Meier a collaboré avec des entomologistes et des chercheurs en Thaïlande pour explorer les systèmes lumineux de lucioles. Il les a analysés afin de déduire si ceux-ci pouvaient être synchronisés avec des lumières et des sons artificiels externes. Il a étudié comment influencer le comportement des lucioles en les exposant à un système de lumières qui imite le leur. Les résultats ont été explorés et réunis dans le projet Synchronicity à Basel (Suisse), au sein d’une micro-architecture de 150 mètres carrés conçue par l’architecte Ivan Mata, tente équipée comme une serre. Des plantes, des cascades et des lampes LED composent l’espace afin de recréer artificiellement et partiellement l’environnement naturel des insectes. Des lucioles (Fig.66) et des criquets vivants ont été placés en liberté au sein de la tente afin que leurs clignotements lumineux se synchronisent avec les pendules qui manipulent le comportement de ceux-ci par des effets lumineux et sonores. Un dispositif électronique, créé à partir du système perceptif et actif de l’insecte, a été ajouté à l’harmonie. Le visiteur qui entre dans l’espace est immergé par le système perceptif de l’insecte, à la fois artificiel et réel, faits de sons et de lumière se déployant dans son milieu naturel réinventé. Il s’agit d’une exploration de la perception visuelle de l’insecte, et ce en deux temps. Cette perception est d’abord étudiée scientifiquement dans le cadre de recherches entomologistes en Thaïlande, qui ont permis de la synchroniser. Dans un second temps, la perception visuelle est explorée par le biais de l’espace, en interaction avec les visiteurs, dans une micro-architecture liant échelle de l’insecte et échelle de l’humain. Il s’agit d’un projet novateur où l’insecte interagit avec l’espace artificiel spécifiquement conçu pour qu’il le perçoive et y réponde. Perception auditive Le même artiste Robin Meier a exploré d’autres insectes dans sa pratique artistique. Ainsi, en 2009, en collaboration avec Ali Momeni, il diffuse dans un espace d’exposition le bourdonnement sonore d’un insecte volant. Un moustique mâle est littéralement collé à une tige métallique, sur laquelle il réagit à un drone vocal par son battement d’ailes, qu’il utilise normalement pour concurrencer

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Figure 67. OFL architecture, Wunderbugs pavilion, Rome, 2014, photographie. Insectes et humains interagissent dans l’espace sonore généré par les capteurs de mouvements au sein du pavillon et des six écosystèmes sphériques. Les concepteurs le décrivent comme une « architecture interactive pour insectes et humains ».


d’autres mâles face à une femelle207. Le son du bourdonnement est capturé et diffusé dans l’espace. L’insecte est à nouveau « artiste » de l’œuvre. Il permet au spectateur d’entrer dans son monde par le biais de l’espace sonore. Dans ce contexte, les sons émis par l’insecte, dirigés pour être perçus par l’humain, deviennent musique. On parle alors d’ « entomophonie ». Le pavillon extérieur Wunderbugs, conçu et réalisé par l’agence d’architecture OFL à Rome en Octobre 2014, explore aussi l’interaction humain/insecte par le son. Il s’agit d’une collaboration entre des architectes, un biologiste, un ingénieur du son et un compositeur. Il est décrit comme une « architecture interactive pour insectes et humains208 ». Insectes et humains sont censés s’harmoniser dans une symphonie architecturale de sons au sein de l’installation209. La structure d’enceinte est composée d’une série de modules en bois. Au centre, six « écosystèmes » sphériques en verre (Fig.67) ont été placés dans lesquels des insectes, notamment des abeilles, travaillent. Ces sphères sont reliées à des capteurs sensibles qui régulent l’humidité et la température, et à des capteurs ultrasoniques qui permettent de transmettre l’activité des insectes par le biais d’une piste sonore. En entrant dans le pavillon, les visiteurs sont à la fois spectateurs du monde des insectes présenté dans les sphères, et « acteurs » du pavillon. Une piste audio interactive activée par des capteurs de mouvement, et diffusée dans l’espace dès qu’une personne y entre. Cette piste audio interactive permet de lier l’expérience de l’insecte et celle de l’humain. L’agence d’architecture OFL décrit cette installation comme une architecture expérimentale entièrement dédiée aux relations humains/insectes. Le milieu perceptif de l’insecte est ici rendu accessible à l’humain visuellement, grâce aux sphères écosystémiques, mais surtout par le biais d’une interaction sonore. L’espace utilise donc la perception sonore pour rendre compte du milieu de l’insecte. Perception tactile L’artiste japonais Kazuo Kadonaga explore la qualité tactile des cocons et de la soie produite par les vers à soie dans une série d’œuvres intitulée « Silk ». À la fin des années 80, il crée « Silk n°1 » et « Silk n°2 » (1986). Il s’agit du travail de 100 000 vers à soie qui ont réalisé autant de cocons dans 91 structures en bois construites préalablement par l’artiste. Le résultat est une image analogique de ville ou de paysage urbain à l’échelle de l’insecte, offrant un imaginaire anthropomorphique du milieu de celui-ci. Il faut cependant noter que les larves passées à l’état de nymphe ont été brûlées pour que l’œuvre soit pérenne. Dans un projet plus récent « Silk n°3 » (2006), l’artiste utilise des vers à soie vivants qu’il va laisser entièrement libres de se développer sur une surface textile suspendue, flottant au milieu d’un espace d’exposition (Fig.68). Le filet suspendu apparaît alors comme un mur vivant, mouvant au sein d’un espace vide. Les visiteurs peuvent ainsi apprécier la qualité tactile du mur, dans lesquels les vers vivent. On peut rapprocher ce projet du « Silk Pavilion » du MIT Media Lab cité précédemment, dans lequel les vers à soie étaient « acteurs » de la construction. Ici, les vers à soies sont « créateurs » de l’œuvre, appréciée pour sa qualité tactile et fragile. Cette œuvre rend compte à la fois de la qualité tactile et éphémère, et de la fragilité du monde de l’insecte, en faisant l’éloge de l’incontrôlé. On peut identifier une certaine « empathie » pour cette fragilité, à rapprocher du

207

L’œuvre a été inspirée du travail de l’entomologiste Gabriella Gibson sur l’influence du gémissement aigu du battement d’ailes de moustique mâle dans la rencontre avec la femelle. Source : BORRELL Brendan, Nature, Mosquitoes mate in perfect harmony, 31.12.2009. Consulté le : 14.05.2016. Disponible à l’adresse : http://www.nature.com/news/2009/091231/full/news.2009.1167.html.

208

209

OFL architecture, blog de Wunderbugs, About. Consulté le : 31.05.2016. Disponible à l’adresse : http://

« Interactive architecture for insects and humans » : OFL architecture, blog de Wunderbugs. Consulté le : 31.05.2016. Disponible à l’adresse : http://wunderbugs.tumblr.com/. wunderbugs.tumblr.com/about.

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Figure 68. KADONAGA Kazuo, Silk n°3, Toyama, 2006, photographies. Les vers à soie Bombyx Mori sont laissés libres de tisser leur cocon sur des grilles en textile suspendues au milieu d’un espace vide. L’insecte devient l’artiste principal de l’œuvre.


concept esthétique japonais « Mono no Aware ». Celui-ci, traduit du japonais, signifie « empathie envers les choses » dans le but d’atteindre une satisfaction esthétique. L’expression trouve donc tout son sens dans l’œuvre, elle-même éphémère, qui appelle à une « empathie » envers la fragilité tactile de l’insecte éphémère auquel la création artistique est entièrement dépendante. L’insecte « créateur » Les dispositifs spatiaux décrits ne reproduisent pas tout à fait la perception de l’insecte mais l’explorent à travers son monde sensoriel. Les concepteurs, artistes et architectes, collaborent avec des experts de l’insecte pour recréer le milieu naturel de celui-ci. Aussi, ils « collaborent » avec l’insecte lui même. L’insecte est « créateur » de l’œuvre à part entière. Toutefois, il est d’autant plus instrumentalisé. On constate une manipulation et un contrôle méticuleux et systématique du comportement de l’insecte afin de le faire « créer » très précisément l’effet sensoriel recherché. Il va permettre de générer l’œuvre et son expérience spatio-sensorielle. L’insecte est ici « collaborateur » à deux niveaux. Il « collabore » avec le concepteur en tant qu’ « artiste210 » acteur de l’œuvre, et l’insecte « artiste » collabore avec le visiteur en perturbant son échelle de perception. Bien que l’insecte soit positionné en « artiste » à part entière, on constate cependant que le profit humain, au service de la création artistique pure, est déterminant dans la façon d’aborder l’insecte211. Il a tendance à plaire au concepteur car son comportement est changeant et imprévisible, ce que l’artiste Robin Meier qualifie de « animal warmth212 » (charme animal). Il meut l’œuvre et la rend vivante. L’insecte est « créateur » d’expériences spatiales nouvelles, qu’il rend qualitatives par leur imprévisibilité et par leur dynamisme. Bien que ces expériences engagent l’espace et donc les architectes, le rapport à l’architecture est à questionner. Est-ce que de telles dispositions d’interactions humain/insecte peuvent trouver leur place dans un ouvrage d’architecture à plus grande échelle, et ce, s’il est dispensé de création artistique pure, à quel titre ? Ces dispositifs spatiaux s’inscrivent-ils dans une forme d’architecture « avant-gardiste » ou sont-ils voués à rester à l’état « expérimental » ? Enfin, la dernière question qu’on peut identifier à travers ces espaces est la suivante : est-il possible d’anticiper de telles richesses d’interactions humain/insecte dans un espace où l’insecte n’est pas instrumentalisé ? Il s’agit d’imaginer une expérience spatiale dans laquelle l’insecte interagit avec l’humain en tant que sujet neutre, et non en tant que « créateur » sous le contrôle de la création artistique. La dernière partie du chapitre explore cette hypothèse.

210

KLEIN Barrett A. « Par for the Palette : Insects and Arachnids as art Media », dans M.C. THOMAS Jacqueline, MOTTE-FLORAC Elisabeth (dir.), Les insectes dans la tradition orale, Louvain, Peeters, 2004, p. 175-195.

Ibid., p. 175. 212 BICK Emily, « Love Buzz » in The Wire, n° 356, Octobre 2013, p.17. 211

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3.4 - Architecture « biocentrique » : Cohabitation humain/insecte réinventée Les différentes approches d’ « entomo-empathie » déployées pour comprendre, penser et construire, et/ou percevoir comme un insecte, sont génératrices d’interactions et d’expériences spatiales nouvelles. L’ « entomo-empathie » donne lieu à une nouvelle considération pour l’insecte, qui n’est plus « nuisible » ni « bienfaiteur », mais « collaborateur » et donc sujet vivant au sein d’un espace. Ce troisième statut de l’insecte lui permet d’acquérir des droits intrinsèques d’existence. Néanmoins, il n’est pas un sujet neutre. L’empathie envers l’insecte lui confère une existence valorisée pour servir et enrichir des vocations propres à l’humain : découverte biologique, pédagogie, biomimétisme, création artistique, bio-perception etc… Est-il possible d’envisager un espace « entomophile » dans lequel l’insecte incarne un sujet neutre, dépourvu de tout utilitarisme propre à l’humain ? Uexküll ouvre le champ de l’éthologie contemporaine en la débarrassant de tout anthropocentrisme. Il rend invalide le concept d’un seul espace et d’un seul temps au sein de notre monde partagé. L’architecture semble néanmoins le produit de ce milieu anthropocentrique. Elle est la discipline d’un seul espace - la spatialité, ou l’ « espace en soi » (Lefebvre, 1974), et d’un seul « temps » - celui de la perception humaine. Si on retire à l’architecture ce concept pour lui ouvrir le champ possible de multiples milieux subjectifs et non-humains, faits de perceptions spatio-temporelles variées, quel type d’architecture est-il possible d’envisager ? Cette dernière partie explore l’existence potentielle d’une architecture dépourvue d’anthropocentrisme, espace propice à la réinvention d’une cohabitation humain/insecte au sein des édifices. Avec elle se dessine l’hypothèse d’une architecture « biocentrique ». Cela conduit à un changement de paradigme dans la discipline de l’architecture, qui donne lieu à un paradoxe anthropocentrisme/biocentrisme. Une telle vision arrive après la rhétorique anthropomorphique qui permet de susciter de la compassion et de l’empathie pour certains organismes vivants. Elle est défaite de toute entomophobie. Il s’agit d’une « éthique » acquise qui ne nécessite plus de mise en scène perturbatrice de notre perception. L’architecture « biocentrique » est donc libérée de toute rhétorique spatiale visant à susciter la « bio-empathie ». Elle intègre celle-ci dans sa conception mais ne l’exprime pas dans ses opérations. L’ « entomo-empathie » questionne de ce fait la capacité de l’architecture, discipline intrinsèquement « anthropocentrique », à être « biocentrique », c’est-à-dire qui échappe à une considération ontologique séparant l’humain des autres organismes vivants. Cette hypothèse s’inscrit dans les enjeux environnementaux actuels : le changement de paradigme qu’elle provoque permet de repositionner la discipline de l’architecture dans la réflexion sur son rapport à l’environnement ; elle permet d’ « environnementaliser » la discipline.

3.4.1 - Changement de paradigme en architecture Édifice dualiste nature/culture L’anthropologue Philippe Descola, dans son livre manifeste Par delà nature et culture 213 (2005) propose une autre manière d’aborder les rapports entre nature et société dans la discipline de

213

DESCOLA Philippe, Par delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.

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l’anthropologie214. Il remet en cause l’universalisme qu’on accorde à la vision naturaliste et qui se base sur une dichotomie nature/culture, vision prégnante dans les sciences naturelles et sociales des sociétés occidentales. Il dénonce notamment l’ « ethnocentrisme des modernes215 » et la vision d’une nature muette et impersonnelle, génératrice de dispositifs de séparation entre humains et non-humains. Il prône ainsi une vision qui dépasse l’opposition entre nature et culture, afin de s’intéresser aux relations hybrides de ces deux concepts fabriqués par l’ontologie naturaliste, en mettant en avant d’autres approches ontologiques216 dites « cosmologies », chez différents groupes humains. En partant de l’exemple de l’architecture primitive comme manifeste des alternatives de la « cosmologie moderne », Descola dresse le portrait, par le biais de la métaphore de l’architecture, pour envisager un endroit, une pensée, où nature et culture cohabitent : « Quant aux enquêteurs que l’on avait mandés aux quatre coins de la planète pour y décrire des maisons à l’architecture plus primitive et qui s’étaient longtemps efforcés à en dresser l’inventaire à partir du plan type qui leur était familier, voilà qu’ils rapportent toutes sortes d’informations insolites : certaines maisons sont dépourvues d’étage, la nature et la culture y cohabitant sans difficulté dans une seule pièce (…) le macrocosme et le microcosme sont en conversation intime 217 ». Il fait une analogie édifiante entre architecture et cette vision ethnocentrique, pilier du dualisme nature/culture : « Bâti pour durer par les grands architectes de l’âge classique, l’édifice dualiste est certes encore solide, d’autant qu’on le restaure sans relâche avec un savoir-faire éprouvé. Pourtant, ses défauts de structure apparaissent de plus en plus manifestes à ceux qui l’occupent de façon non machinale 218 ». Enfin, il dédouane les sciences telles que l’anthropologie à dessiner un modèle de cosmologie différent. L’« épure d’une nouvelle maison commune plus hospitalière aux cosmologies non modernes » n’est en effet pas du ressort des savants mais des habitants : « s’il est devenu commun de dire que les mondes sont construits, personne n’en connaît les architectes et c’est à peine si l’on commence à soupçonner de quels matériaux ils sont faits. Un tel chantier, en tout cas, est du ressort des habitants de la maison qui pourraient s’y trouver à l’étroit, non d’une science particulière, fût-elle l’anthropologie219. ». Anthropologie/architecture On peut effectuer un rapprochement entre anthropologie et architecture comme deux disciplines sociales, sciences des systèmes et des relations de l’humain à son milieu. La première étudie la transformation physique de l’environnement par l’humain, tandis que la seconde se l’approprie et l’effectue. Les sciences telles que l’anthropologie ont pour rôle de restituer de manière intelligible la façon dont les organismes s’insèrent dans le monde, tandis que l’architecture participe à cette

214

215 216

Dans le livre L’écologie des autres (Versailles, Ed. Quae, 2011), basé sur des conférences-débats organisées par le groupe Sciences en questions, en 2008, il identifie deux courants d’alternative à l’anthropocentrisme en anthropologie : celle de la l'approche phénoménologique ou « ethnocentrisme inversé » qu’on trouve dans les travaux de Tim Ingold et développée par Maurice Merleau-Ponty, et l’anthropologie symétrique, de Bruno Latour notamment. Descola propose aussi une méthodologie d’« universalisme relatif » pouvant échapper à l’opposition entre nature universelle et cultures relatives.

DESCOLA Philippe, op. cit., « Avant propos », p. 14. Il identifie quatre ontologies possibles, en fonction

des rapports de l’humain aux non-humains, basés sur un dualisme de leurs « physicalité »/ « intériorité » : « naturalisme », « animisme », « totémisme », et « analogisme ». Ibid., pp. 519-520.

217

DESCOLA Philippe, op. cit,, p. 14.

218

Ibid.

219

Ibid., p. 15.

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insertion. Ainsi, Descola participe à « montrer que l’opposition entre la nature et la culture ne possède pas l’universalité qu’on lui prête ». L’architecture peut-elle s’approprier un tel changement de regard ? La construction de cet espace – au sens physique et figuré – où nature et culture cohabitent, est-elle entre les mains des architectes ? Les architectes font-ils partie « des habitants de la maison qui pourraient s’y trouver à l’étroit » que décrit Descola ? Il s’agit d’un bouleversement dans la vision de l’architecture en tant qu’expression de la culture. Ce changement de paradigme est capable de pénétrer l’architecture telle que nous la concevons, c’est-à-dire en tant que discipline intrinsèquement anthropocentrique. Comme Descola parvient à défaire l’anthropologie, intrinsèquement anthropocentrique, de son « dualisme constitutif » nature/ culture, on peut imaginer que les architectes peuvent devenir les acteurs de l’« épure d’une nouvelle maison commune plus hospitalière aux cosmologies non modernes ». « Biocentrer » l’architecture En révélant un tel constat, l’anthropologie de Descola constitue l’amorce d’un changement de regard sur le « naturel » et l’ « artificiel ». Cette vision prend son sens dans le contexte de la crise écologique où l’on constate que les changements climatiques provoqués par les activités humaines n’ont pas une origine « naturelle » au sens où l’on entendait ce mot220. Aussi, par le biais de l’écologie, la vision actuelle de la nature est plus dynamique : les actions humaines ne sont pas inévitablement perturbatrices et il ne s’agit plus d’opposer l’humain à la nature mais d’inventer des façons pour l’humain d’ « habiter » la nature. L’architecture, sur laquelle repose l’hybridation des milieux naturel et artificiel, participe à ce projet. On notera que de nombreux architectes se sont confrontés à l’intégration de la nature dans leur production. Le biologiste Patrick Blanc est l’inventeur du concept de mur végétal dont le premier est réalisé en 1986 à la Cité des sciences et de l’industrie à Paris. Dans cette continuité, l’agence d’architecture Lewis et François s’approprie les courants artistiques du « Land art » et de l’ « Arte povera » dans les années 90. Elle prône une disparition de l’architecture qui dépasse sa limite avec le paysage, et tente de construire une relation intime entre la nature et le construit, par l’emploi de matériaux « low tech », et en considérant le végétal comme un élément d’architecture. Aussi, Dominique Rouillard221 note que Yona Friedman est certainement le premier à intégrer l’animal dans la théorie de l’architecture, qu’on retrouve représenté dans les illustrations de « La ville mobile » (1958-60). Il s’agit d’une « grille neutre », surélevée, qui constitue une infrastructure s’adaptant à l’instabilité humaine, comme à la mobilité animale sur le terrain laissé libre en dessous d’elle. Le projet de Friedman est repéré dans l’amorce d’un changement qui s’opère avec la sensibilisation à l’espace partagé. Les écoducs, qui permettent aux animaux de franchir les infrastructures de l’humain, en sont le résultat construit le plus récent. On trouve néanmoins dans cette sensibilisation à l’espace partagé les limites ontologiques de l’architecture intrinsèquement anthropocentrique. Mis en corrélation avec la bio-empathie qui permet d’établir un pied d’égalité entre les sujets vivants, le concept d’espace partagé pourrait établir un changement de paradigme qui permettrait de se défaire d’une dichotomie nature/culture et ainsi de « biocentrer » l’architecture.

220

Est « culturel » ce qui est produit par l’action humaine ; est « naturel » ce qui se produit indépendamment de l’action humaine.

221

ROUILLARD Dominique, « L’autre animal de l’architecture », Cahiers thématiques: architecture, histoire, conception, n°11, Décembre 2011, pp. 105-117.

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Figure 69. Meet the clients part II : Insect City, affiche du cycle de conférences-débats organisé par Ben Campkin et Matthew Beaumont le 25 octobre 2011, dans le cadre du projet Animal Estates de Fritz Haeg, Londres.

L’image utilisée pour illustrer l’évènement est Sir John Soane’s Rotunda of the Bank of England in ruins (1789) de Joseph Gandy. Il est intéressant de comprendre que la cité des insectes convoque un imaginaire de ruines et de débris, d’architecture dégradée.


3.4.2 – Cohabitation humain/animal réinventée Architecture et biocentrisme Le biocentrisme s’oppose à l’anthropocentrisme comme une conception et une attitude de respect de tout être vivant, humain et non-humain. On peut distinguer le biocentrisme égalitaire, suivant lequel toutes les espèces sont égales, et le biocentrisme sélectif, qui établit des distinctions hiérarchiques entre les espèces222. Ainsi, si on croise cette approche à la conception architecturale, en résulte une architecture qui serait pensée, conçue et construite pour l’humain aussi bien que pour d’autres espèces vivantes, et dépourvue de tout utilitarisme. L’architecture « biocentrique » naît donc d’une conception et d’une construction de l’espace qui respecte la valeur intrinsèque d’existence des autres espèces vivantes autant que celle de l’humain. Elle permet de se défaire d’une conception ontologique propre aux sociétés « naturalistes » qui séparent l’humain des non-humains. Elle apparaît peut-être dans la continuité de l’intégration du vivant au monde construit. Or, elle exclut notamment le mur végétal, qui satisfait l’effet esthétique d’une « nature idéale » recherchée dans l’architecture. Il s’agira de distinguer les motivations de tels ouvrages « biocentriques ». Ils peuvent être issus d’un besoin humain auquel on aura ajouté une « compensation écologique » à l’impact de l’ouvrage sur la biodiversité locale, tel que dans les hôtels à insectes et autres dispositifs « réparateurs » et « générateurs » de territoire cités dans le chapitre 2 de la recherche. Le pont « Bat bridge » (NEXT architects, 2015) au Pays-Bas sert d’abri aux chauves-souris circulant sur le cours d’eau qu’il traverse et dont il obstrue le passage. On notera que dans ce cas, la singularité du projet, annoncé dès le nom « Pont chauve-souris », a rendu l’ouvrage emblématique, cas si rare qu’il a été accompagné d’une forte communication. Aussi, des caméras ont été placées à l’intérieur des niches du pont pour pouvoir observer les chauves-souris. Ainsi, lorsqu’on construit pour les non-humains, il semble qu’il faille trouver des mesures « compensatoires » envers l’humain pour justifier une telle initiative : communication, pédagogie et mise en scène qui changent peut-être l’abri en « zoo ouvert » ou objet de curiosité destiné à l’humain. Peut-on qualifier ces mesures de « biocentrisme » ? Où se situe la limite entre biocentrisme et utilitarisme ? Il faut donc systématiquement questionner le contexte des initiatives d’intégration et de respect des non-humains : pourquoi et pour qui le projet est-il construit ? Animaux clients Le projet « biocentrique » peut aussi naître exclusivement d’un « besoin » non-humain. En 2008, l’artiste et architecte Fritz Haeg lance le projet « Animal Estates » dans lequel les animaux sont placés comme des « clients » auprès des architectes. Il s’agit d’une initiative pour réintégrer la nature sauvage et primitive dans les villes. L’auteur collabore avec des experts de cette nature dans plusieurs villes, pour construire des projets interdisciplinaires de structures, performances, installations, workshops et guides papiers autour de cette initiative223. Les interventions permettent de réinsérer de l’espace pour les animaux endémiques* qui avaient été exclus des villes par la présence, les activités et autres formes de développement des humains.

222

223

GUNNEL Yanni, Écologie et société : Repères pour comprendre les questions d’environnement, Malakoff, Ed. Armand Colin, 2009.

CAMPKIN Ben, « Bugs, bats and animal estates, the architectural territories of “wild beasts“ » in Architectural

design, Special Issue: Territory: Architecture Beyond Environment, vol. 80, issue 3 issue 3 éditée par David Gissen, mai-juin 2010, pp. 34-39.

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Figure 70. N&Sie(n) Architects, Mosquito Bottleneck, Trinidad, 2003, esquisses. Le moustique trace dans son mouvement une forme fermée qui va servir de point de départ au dessin du projet. L’insecte est pour la première fois au centre de l’esquisse architecturale.


Le projet s’est installé dans la galerie londonienne « Arup Phase 2 », pour fournir une sorte d’ « open space » pour les « activistes, architectes, artistes, citadins, designers, ingénieurs et promoteurs224 » qui souhaiteraient débattre et développer des initiatives qui intègrent les « animaux clients » de Londres. À titre d’exemple, le 25 octobre 2011 a été organisé une série de conférences-débats pour rencontrer les « insectes clients » : « Meet the clients : Insect city » (Fig.69). La discussion explorait un certain rang d’insectes « nuisibles » tels que les puces de lit ou « bénins », en tant que baromètres de l’environnement urbain. Bien qu’on retrouve dans le terme « client » la valeur intrinsèque d’existence d’un sujet attribué à l’animal, le terme reste anthropomorphique, il « humanise » l’animal. De plus, les résultats sont également des mesures compensatoires écologiques qui « réparent » le territoire abimé par l’humain, et destinés seulement à des espèces « emblématiques ». En effet, un concours de ruches urbaines a été organisé par l’ « Architecture Foundation » qui participe au projet, et l’ « Insect Hotel » d’Arup Associates (Fig.38,p.102) y était exposé. Les questions principales de la réflexion sont : « Comment l’ « animal client » vivait sur le territoire de Londres avant que l’humain y habite ? » et « Que pouvons nous faire ou concevoir à Londres aujourd’hui pour accueillir à nouveau l’“animal client“ ? » 225 Malgré tout, on peut qualifier l’initiative de « biocentrique » puisqu’elle met en avant exclusivement les besoins des « animaux clients », en lien avec l’environnement urbain jusqu’alors « anthropocentrique ». Cohabitation humain/insecte Un autre exemple possible d’architecture « biocentrique » est celui de Mosquito Bottleneck (2003) de l’agence R&Sie(n) Architects. Il s’agit d’un projet de maison non construite, imaginé à l’issue d’une commande privée d’un collectionneur d’art à Trinidad. La forme de la maison est générée par un scénario dans lequel l’insecte est placé au centre. En partant du constat de la présence invasive de moustiques porteur d’un virus dangereux pour l’humain sur le terrain d’implantation, l’agence décide d’intégrer le moustique au cœur de la genèse du projet, comme sujet vivant et comme outil d’analogies morphologique et de principe. Le principe du projet est d’imaginer une maison dont la domesticité se construit en excluant les aspects effrayants de la nature, incarnés par l’insecte. L’insecte est placé au centre de l’esquisse du projet, dont la forme est générée en fonction du principe de mouvement de l’insecte (Fig.70). Le scénario de conception est décrit en sept points226 : 1) Détection du virus du Nil occidental transmis par un moustique. 2) Mélange entre paranoïa objective et d’un désir de sécurité 3) Développement d’une bouteille Klein avec les données contradictoires : humains/

HAEG Fritz, site web de l’artiste, Animal Estate 8.0: London, England. Consulté le : 14.12.2016. Disponible

224

à l’adresse : http://www.fritzhaeg.com/garden/initiatives/animalestates/prototypes/london.html

Ibid.

225

Traduction personnelle : « How did the 'animal client' live on the land of London before human habitation? What can we do or design for London today to welcome the 'animal client' back? »

226

New Territories, Mosquito bottleneck, Consulté le 05.01.2016. Disponible à l’adresse : http://www.newterritories.com/mosquitos.htm. Traduction personnelle : « Scenario: 1) Detection of the mosquito-borne West Nil Fever virus on the island. 2) Mixing this objective paranoia with a desire for safety. 3) Developing a Klein-bottle twist between the two contradictory data: humans and insects. 4) Living and dying of mosquitoes in the house trap. 5) Introducing a fragile structure and materials, like fabric netting everywhere, in recognition of the geographic position of this island, naturally protected against hurricanes. 6) Weaving together all the surfaces of the house – floor, façade and roof – with plastic wire and plastic shrink-wrap. 7) Resonance between the buzzing of the mosquitoes and the vibration of the structure. ».

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Figure 71. N&Sie(n) Architects, Mosquito Bottleneck, Trinidad, 2003, modélisation de la morphologie de la maison.

Figure 72. N&Sie(n) Architects, Mosquito Bottleneck, Trinidad, 2003, schémas-coupes.


insectes. 4) Vie et mort du moustique dans la « maison-piège ». 5) Introduction de matériaux et d’une structure fragiles, comme un treillis en tissu, en lien avec la position géographique de la maison, naturellement protégée des ouragans. 6) Tissage de l’ensemble des surfaces de la maison - sol, façade, toit - avec des câbles en plastique et du film plastique. 7) Résonance entre le bourdonnement des moustiques et les vibrations de la structure. En résulte une architecture biomorphique (Fig.71) et « biocentrique », volontairement fragile par la structure les matériaux utilisés (plastique), afin d’attirer le moustique vivant plus près de l’habitant. Une seconde peau est générée afin d’amener le moustique à circuler dans les espaces intérieurs de la maison (Fig72). La cohabitation humain/insecte au sein de l’architecture est de ce fait réinventée : le projet se construit en assumant que l’habitant accepte la présence non-contrôlée de l’insecte dans l’espace intérieur, faisant partie d’une nature imprévisible, et les sentiments éventuellement négatifs qu’elle peut provoquer. Cette conception se détache de toute volonté de protection écologique ou de performance biomorphique généralement liée à l’insecte, elle se base sur la vision et l’acceptation de la « nature » ne pouvant être « domestiquée, purement sympathique et prévisible ». Ainsi, de manière volontaire, émanent du projet des sentiments de peur ou de danger qu’il faut accepter. En refusant de domestiquer la nature incarnée par l’insecte, le projet fait peut-être l’éloge de l’ « incontrôlé ». Cependant, le scénario de non-domestication s’épuise lorsque l’insecte est pris au piège de la maison et meurt. On notera aussi que le dernier point du scénario évoque la création d’une expérience spatiale avec la résonance entre le bourdonnement des moustiques et des vibrations de la structure. Le « biocentrisme » semble s’épuiser dès que cet effet spatial insolite destiné à l’humain est évoqué.

3.4.3 - Éloge de l’incontrôlé et limites de l’architecture « biocentrique » Culture « biocentrique » Par le biais du constat de la doxa naturaliste prônant une dichotomie nature/culture entrepris par Descola afin d’identifier des cosmologies non modernes, nous avions émis l’hypothèse de l’existence et de la viabilité de l’architecture « biocentrique ». La première difficulté à « dés-anthropocentrer » l’architecture réside dans sa définition en tant qu’« expression de la culture », comme le stipule l’article 1er de la loi du 3 janvier 1977 visant à préserver et promouvoir la qualité architecturale : « L’architecture est une expression de la culture. La création architecturale, la qualité des constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant, le respect des paysages naturels ou urbains ainsi que du patrimoine sont d’intérêt public227. ». Dans cette vision de l’architecture comme produit « culturel », implicitement opposé au « naturel », il semble qu’il soit difficile d’intégrer le concept de « biocentrisme » qui accorde une valeur intrinsèque au « naturel ». Plus explicitement, la vocation de l’architecte à participer à tout ce

227

Ordre

des architectes, Conseil national, Loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l'architecture, Consulté le : 13.03.2016. Disponible à l’adresse : http://www.architectes.org/loi-n%C2%B0-77-2-du-3-janvier-1977-surl-architecture.

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qui concerne l’acte de bâtir et l’aménagement de l’espace228 implique une transformation du « naturel », et donc, d’une certaine manière, est une vocation anthropocentrique. Elle est toujours menée pour l’humain, ou pour « compenser » l’action de l’humain sur le « naturel ». Il y a donc une impasse lorsqu’on associe une vocation biocentrique à celle de l’architecture intrinsèquement anthropocentrique. Néanmoins, si l’architecture « biocentrique » ne semble pas viable car lieu d’un paradoxe culturel/naturel, il est possible d’imaginer une architecture qui s’approprie et invente sa propre « culture biocentrique » et qui intégrerait le paradoxe anthropocentrisme/biocentrisme dans sa définition. Du biocentrisme à l’écocentrisme L’architecture « biocentrique » ne semble pas non plus viable d’un point de vue de la biodiversité et de l’environnement. En effet, le biocentrisme, comme l’anthropocentrisme, reste une approche individualiste des existants. Or, la biodiversité est viable dans des entités supra-individuelles telles que les écosystèmes. Il s’agit d’un système de pensée propre à la classification naturaliste qui identifie les existants en « termes » plutôt qu’en « relations ». Aussi, l’architecture est sujette à cette limite de compréhension du monde. Comme le démontre Pierre Cloquette, « la compréhension des relations entre les artefacts constitue une tache partiellement aveugle pour les discours qui se développent à l’égard de l’architecture, car recouvert par l’explication sociale 229». Il cite aussi Henri Lefebvre pour démontrer ses propos : « Au lieu de déceler les rapports sociaux impliqués dans les espaces, au lieu de se tourner vers la production de l’espace et vers les rapports sociaux inhérents à cette production, on tombe dans le piège de l’espace « en soi » et comme tel : de la spatialité230. ». Ainsi, la question des relations entre artefacts est pauvre en vocabulaire et sous-développée. En passant par le domaine social, ce sont finalement les rapports sociaux qui sont décrits et non ceux entre artefacts. Aussi, dans les deux cas, l’écocentrisme pourrait constituer un nouveau prisme par lequel on peut évaluer les relations des artefacts, entre eux, et par rapport à l’environnement. Premièrement, l’écocentrisme, comme le biocentrisme, permet d’échapper à la différence entre l’humain et tous les autres êtres vivants, en considérant la biosphère comme une unité biotique de valeur indifférenciée. Catherine Larrère identifie sa définition dans un texte d’Aldo Leopold : « Une formule la résume : “Une chose est juste lorsqu’elle tend à préserver l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique. Elle est injuste lorsqu’elle tend à l’inverse.“ (Leopold, 1995, p. 283) 231 ». Appliquer cette éthique environnementale à l’architecture permettrait de considérer l’environnement, naturel et construit, comme un tout. Il s’agirait d’une stratégie écologique et « bio-empathique » permettant de considérer l’ensemble du milieu comme un écosystème232, au sens propre (système naturel) comme au sens métaphorique (système à part entière). Ainsi, il ne s’agirait pas exactement

228

Au

229

CLOQUETTE

230 231

vu de la législation française, le code de déontologie des architectes (Journal officiel du 25 mars 1980 et rectificatif J.O. – N.C. du 21 juin 1980), la vocation de l'architecte est de participer à tout ce qui concerne l'acte de bâtir et l'aménagement de l'espace; d'une manière générale, il exerce la fonction de maître d'œuvre. Pierre, « Double Trouble. Le pendule et la tache aveugle » in CHANVILLARD Cécile, CLOQUETTE Pierre, PLEITINX Renaud, STILLEMANS Jean (dir.), Pourquoi est-il si difficile de parler d'architecture ?, Louvain-la-Neuve, Éd. Presses universitaires de Louvain, 2014, p.77.

LEFEBVRE Henri, La production de l’espace, Paris, Éd. Economica, 1974, p. 108. LARRÈRE Catherine, « Les éthiques environnementales », in Natures Sciences Sociétés, vol.18, 4/2010, pp. 405-413.

232

Cf. RESNICK Mitchel « Thinking Like a Tree (And Other Forms of Ecological Thinking) » in International Journal of Computers for Mathematical Learning, n°8, Septembre 2003, pp. 43-62.

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Figure 73. N&Sie(n) Architects, Mosquito Bottleneck, Trinidad, 2003, modélisation vue intérieure. Le moustique penètre la maison de manière incontrôlable. Cet « in-contrôle » au sein de la deuxième peau de l’édifice, est à rapprocher de la « sous-architecture ». L’intention du projet s’annulerait-il avec la préexistance de cette fonction d’habitat incontrôlé ?


de juger si l’artefact architectural est « juste » ou non vis à vis de la stabilité de la communauté biotique comme vis-à-vis de la stabilité de la ville, mais plutôt d’évaluer les rapports entre artefacts en fonction de la stabilité de la ville-écosystème, à la fois naturel et artificiel. Aussi, l’écocentrisme permettrait d’échapper à la classification naturaliste des existants en « termes » et à l’approche individualiste, par un système de pensée en « relations » qui intégrerait à la fois le naturel et le culturel dans son langage, ses conceptions et ses réalisations. Éloge de l’incontrôlé et « sous-architecture » Nous avions défini l’architecture dans son essence comme un abri pour le corps humain de formes indésirables de nature, outil de contrôle sur cette nature. Le concept d’architecture « biocentrique » permet à l’architecture de s’affranchir de sa volonté de contrôle sur la nature et de remettre en question cette définition. La cohabitation humain/insecte développée dans le projet Mosquito Bottleneck (2003) de R&Sie(n) Architects, non-contrôlée mais anticipée, nous avait permis d’évoquer un éloge de l’ « incontrôlé », avec ses limites. Il semblerait que celui-ci constitue le fondement de l’architecture « biocentrique » puisque cette approche s’oppose à la domestication et au contrôle la nature. En donnant droit à la nature d’être « imprévisible » et parfois « effrayante » dans la construction de l’espace, l’architecture s’affranchit de ce contrôle et devient « biocentrique ». Cette architecture où la nature est « incontrôlée » et « imprévisible » rappelle la « sous-architecture » explorée dans le chapitre 1. L’ « incontrôlé », recherché dans le biocentrisme, existe finalement déjà par la « sous-architecture », lieu de vie imprévisible d’une partie de la nature au sein de l’architecture. Ainsi, le concept de « sous-architecture » pourrait annuler la viabilité du concept d’architecture « biocentrique » (Fig.73). La question que pose cette architecture est la suivante : Comment anticiper l’incontrôlé ? Où se situe l’équilibre entre contrôle et biocentrisme ?

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Conclusion Au long de la recherche, l’insecte a été abordé comme un prisme pour regarder et analyser différents espaces et phénomènes spatiaux, au stade conceptuel ou construit. Ils sont réunis pour la première fois sous cette lentille entomologique. Trois conceptions de l’insecte : « nuisible », « bienfaiteur » ou « collaborateur », repérées à partir d’un jugement de valeur opéré par l’humain, ont permis d’organiser la recherche en trois chapitres, convoquant des typologies et des dispositifs spatiaux spécifiques à chacune d’entre elles. De plus, les interactions entre insectes vivants et architecture sont apparues dans une conception qui va au-delà de l’architecture, à travers les différentes échelles de l’espace anthropisé. Nous y avons repéré des objets tels que la ruche, des interventions territoriales telles que la gestion raisonnée des bords de route ou le lombriduc, et des dispositifs spatiaux expérimentaux, à partir desquels nous avons émis l’hypothèse qu’ils puissent être, s’ils ne l’ont pas déjà été, intégrés à l’échelle architecturale par de nouveaux dispositifs. Le phénomène de synanthropie, qui amène des espèces d’insectes commensaux de l’humain telles que la blatte à l’intérieur des bâtiments, a permis de relever la figure systèmatique du « nuisible ». Les interactions entre architecture et insecte ont donc été repérées à la fois dans la représentation sociale de cet insecte et dans les conséquences architectoniques des organismes qui luttent contre sa présence dans les bâtiments. Nous avons pu mettre en évidence un mouvement émergent dans la lutte anti-nuisibles, porté par des organismes publics de santé environnementale, qui appelle les architectes à concevoir des dispositifs architecturaux qui puissent prévenir ou réduire le risque d’infestation. Ainsi, la lutte anti-nuisibles semble s’extraire d’une lutte d’extermination systématique – majoritairement chimique - des bâtiments infestés, vers une lutte de prévention « par » l’architecture, accordant une responsabilité nouvelle aux architectes dans la conception. Une série de principes de conception se développe auprès des architectes, à travers des éléments architecturaux tels que l’interface solbâti, le toit, le mur extérieur etc. Il faut aussi noter que le risque d’infestation des bâtiments - qu’on avait repéré par exemple à travers l’expression de « risque termites » à Paris – est susceptible de se renforcer avec le réchauffement climatique, notamment dans les milieux urbains à forte densité, offrant ainsi un habitat idéal pour les espèces synanthropiques. Il semble donc primordial d’inclure ce risque dans la conception architecturale au même niveau que les autres risques tels que le

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risque d’inondation233. L’entomologie des intérieurs, qui avait permis d’identifier des espèces d’insectes « bénins » au sein des bâtiments, est une discipline encore minoritaire, et le « biome intérieur234 » qui représente aujourd’hui entre 1,3 et 6% de la superficie terrestre totale, est majoritairement inexploré. Aussi, il est difficile d’intégrer à l’architecture le concept d’insectes « bénins » ou « bénéfiques » lorsque ceux-ci ne sont pas encore identifiés, et que leur présence n’est pas anticipée ni désirée. Néanmoins, cette hypothèse est susceptible de changer notre représentation des insectes dans l’architecture et témoigne de la figure paradoxale de l’insecte « nuisible » / « utile ». Enfin, les différents travaux d’entomologie, de lutte anti-nuisibles, et d’ethnoentomologie ont permis d’identifier des caractéristiques architecturales communes. Celles-ci ont été réunies dans la définition théorique d’une « sous-architecture ». Il s’agit de la partie de l’architecture qui sert d’abri, de manière non-anticipée, à une partie de la biodiversité telle que les insectes et autres « nuisibles ». L’attribution du préfixe « sous » permet d’exprimer le caractère à la fois invisible (« sous le sol », « à l’intérieur du mur »), imprévisible (« sous-fonction » d’abri pour les insectes), voire négligé (architecture « dégradée » et sous-théorisée) des éléments constituants de la « sousarchitecture », milieu de vie idéal pour l’entomofaune. La recherche autour des insectes commensaux présents dans les bâtiments de manière incontrôlée trouve sa limite dans la monopolisation de la figure des « nuisibles ». En effet, l’expertise de ces insectes est intrinsèquement liée à une volonté d’éradication de leur présence dans l’espace construit. Elle croise le champ de l’architecture uniquement autour de cette considération négative. La recherche architecturale n’est donc pas indépendante d’autres disciplines telles que l’entomologie des intérieurs. Une continuité sur cette thématique est envisageable avec l’évolution de la figure de l’insecte « nuisible » vers un insecte « bénin » voire « bienfaiteur ». Ce bouleversement doit avoir lieu aussi bien au sein de la recherche entomologique et sociologique que dans les représentations sociales propres à nos sociétés occidentales aujourd’hui encore entomophobes. À l’opposé du « nuisible », on trouve la figure de l’insecte « bienfaiteur », explorée à travers la (re) valorisation grandissante des insectes liée au contexte écologique. De nouvelles valeurs accordées aux insectes ont été repérées, notamment à travers des textes de loi235. Celles-ci s’expriment dans de nouveaux dispositifs spatiaux : l’activité pollinisatrice des insectes est valorisée dans les ruches et les hôtels à insectes, de plus en plus implantés en milieu urbain ; la valeur nutritive de l’insecte est exploitée dans des fermes urbaines destinées à rendre viable l’alimentation de demain, etc. Les différentes typologies spatiales présentées à travers le chapitre - la ruche, l’hôtel à insectes, la ferme urbaine, l’écoduc, le mur « entomophile », etc. - ne sont pas encore théorisées et leur conception et réalisation ne sont pas exclusives aux architectes. Néanmoins, elles constituent peut-être l’amorce de nouvelles typologies architecturales, dans lesquelles elles seraient intégrées de manière novatrice aux bâtiments. Ainsi, elles serviraient de ponts entre architecture et insecte, et permettraient de faire communiquer le milieu construit avec d’autres milieux écosystémiques, auparavant difficilement appréhendables dans l’architecture. Ces dispositifs donnent lieu à une

233

Dans son mémoire Vivre avec les termites (2016), Pauline Watissé évoquait les propos du cartographe Dominique Andrieu qui « compare le fléau des termites en milieu urbain au plan de prévention des risques inondations. Il émet néanmoins l’hypothèse qu’il n’y ait pas de conscience du risque car c’est un insecte souterrain, donc invisible (...) »

234

NESCent Working Group on the Evolutionary Biology of the Built Environment, « Evolution of the indoor biome », Trends in Ecology and Evolution, n° 30, 2015, pp. 223-232.

GADOUM

235

S. & ROUX-FOUILLET J.-M., Plan national d’actions « France Terre de pollinisateurs » pour la préservation des abeilles et des insectes pollinisateurs sauvages, Office Pour les Insectes et leur Environnement – Ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Énergie, 2016.

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cohabitation humain/insecte nouvelle, dans laquelle la cohabitation est souhaitée. De plus, ces éléments sont les témoins d’une complexité encore non maîtrisée dans le discours de valorisation des insectes. La limite entre instrumentalisation et protection est aussi floue, et toutes ces initiatives, nourries d’une vision socioenvironnementale, restent autant anthropocentrées. Le choix de définir quels insectes sont « bienfaiteurs » sous-tend qu’un bénéfice auprès de l’humain est attendu, plus ou moins utilitariste. Cette attente d’un retour positif donne un caractère théâtral aux différents objets de cette mise en valeur, dans une mise en scène soigneusement destinée à l’humain. Bien sûr, l’initiative de mise en valeur de la biodiversité doit passer par la communication de ce discours. Or, elle laisse à penser qu’il existe peut-être des initiatives invisibles ou silencieuses, non répertoriées ici, dans des contextes plus « traditionnels », où l’insecte, incontrôlé, communique avec l’espace anthropisé de manière intelligente et mystérieuse. Enfin, si la fascination et l’émerveillement précèdent la connaissance, ceux-ci œuvreront mieux au changement de perspective responsable de la valorisation de certains insectes dans les espaces anthropisés. Toutefois, cette connaissance est souvent limitée aux insectes « visibles ». Par exemple, les insectes sociaux tels que les abeilles, par leur principe et leur organisation « parfaite », génèrent la fascination et monopolisent l’intérêt. Il est du rôle des architectes d’investir les champs de connaissances de la biologie, pour exploiter des potentialités encore inexplorées. La recherche s’est donc heurtée à l’absence systématique de prise de position des architectes visà-vis de l’intégration des insectes « bienfaiteurs ». Les exemples cités, bien qu’ils requièrent souvent d’une expertise architecturale, n’appartiennent pas directement au champ de l’architecture. De plus, ils n’ont jamais été réunis autour de cette lentille architecturale. Il semblerait intéressant de continuer à répertorier ces différents éléments d’intégration des insectes de manière théorique. Une classification architecturale plus précise permettrait à la fois de valoriser et de rendre visible ces tout nouveaux dispositifs spatiaux, dont ceux à venir. Une troisième figure de l’insecte, échappant à la perception binaire « nuisible/utile », a permis de relever des productions spatiales plus expérimentales où l’insecte accède au rang de « sujet », doté d’une valeur intrinsèque d’existence, et qui convoque une certaine « empathie ». Les différentes approches d’ « entomo-empathie » (empathie envers l’insecte) déployées pour comprendre, penser et construire, et/ou percevoir comme un insecte, sont génératrices d’interactions et d’expériences spatiales nouvelles : mises en scène rhétorique pour observer l’insecte comme dans le parc Micropolis, étude du comportement de l’insecte « constructeur » pour générer un espace tel que celui du Silk Pavilion du MIT Media Lab, et expériences spatio-sensorielles donnant accès au monde et à l’échelle de l’insecte devenu « créateur » de l’œuvre tel que dans le pavillon Wunderbugs de l’agence d’architecture OFL. L’ « entomo-empathie » se définit donc à travers des espaces qui mettent en scène et donnent accès au monde perceptif et sensoriel de l’insecte. Bien que le dernier chapitre introduit le potentiel spatial de la bio-empathie, nous avons vu que cette notion possède une rhétorique qui anthopomorphise l’insecte, et qu’elle a tendance à s’épuiser dans la contradiction biocentrisme/anthropocentrisme à laquelle elle prétend échapper. En effet, l’empathie envers l’insecte lui confère une existence valorisée pour servir et enrichir des vocations propres à l’humain : découverte biologique, pédagogie, biomimétisme, création artistique, bioperception etc. Aussi, le chapitre tente de répondre à la troisième question de la problématique : La cohabitation humain/insecte peut-elle être réinventée par le biais de l’architecture ? L’hypothèse de l’existence d’une architecture « biocentrique » permet d’explorer l’invention d’un nouveau type de cohabitation humain/insecte dans laquelle ce dernier n’est pas « instrumentalisé » pour satisfaire un effet destiné à l’humain. Nous avons vu à travers l’exemple du projet de maison Mosquito Bottleneck de R&Sie(n) Architects qu’il était possible d’intégrer l’insecte à l’architecture sans le domestiquer. Celui-ci est

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au cœur du projet, à la fois en tant que métaphore dans le concept architectural, et en tant que sujet vivant dans l’architecture. Cette architecture reste néanmoins de l’ordre de l’expérimentation. L’architecture « biocentrique » est aussi sujette au paradoxe biocentrisme/anthropocentrisme. L’éloge de l’ « incontrôlé », qu’elle convoque en renonçant à la domestication de la nature, n’est pas viable dans une architecture qui contrôle inévitablement le milieu dans lequel elle se réalise. Aussi, l’ « incontrôlé » de l’architecture « biocentrique » est à mettre en corrélation avec le caractère imprévisible de la « sous-architecture ». Le concept d’architecture « biocentrique » semble donc s’annuler avec la préexistence de la « sous-architecture », repérée à travers des contextes synanthropiques répandus. Culture « biocentrique » et écocentrisme Même si le concept d’architecture « biocentrique » ne semble pas viable, il existe néanmoins deux alternatives à la vision anthropocentrique propre à l’architecture. La culture « biocentrique » permet d’intégrer un regard « biocentrique » dans la discipline architecturale qui reste toutefois intrinsèquement anthropocentrique en tant qu’ « expression de la culture ». De ce fait, l’architecte peut porter un regard biocentrique dans sa conception de l’espace, dans lequel la biosphère acquiert une valeur indifférenciée. Or la réalisation architecturale - ou l’acte de bâtir - altère le milieu naturel dans lequel elle s’opère et en conséquence ne peut être « biocentrique ». Quant à l’écocentrisme, il permet d’avoir une approche qui échappe au système de pensée en « termes » propre à la classification naturaliste, ainsi qu’à l’individualisme propre au biocentrisme ou à l’anthropocentrisme. A l’inverse, il s’agit d’une stratégie écologique qui pense le milieu par les « relations » entre les artefacts, et entre ceux-ci et les écosystèmes. Aussi, par cette méthode, l’architecture et la ville sont vues en tant qu’écosystèmes, au sens à la fois propre et métaphorique, c’est-à-dire en tant que systèmes de relations entre organismes vivants et non-vivants, entre produits de nature et produits de culture. L’écocentrisme prône cette vision holistique de relations dans le but d’assurer une stabilité et une viabilité au système. Insecte et changement de paradigme Au début de la recherche, nous avions constaté que l’insecte était anathème à la théorie architecturale. Il s’agit d’un sujet pauvre et majoritairement athéorique, et de ce fait peu « noble ». Néanmoins, de la même manière que le biologiste Uexküll convoquait la pauvreté du milieu de la tique pour démontrer que « La pauvreté du milieu conditionne cependant la certitude de l’activité, et la certitude est plus importante que la richesse236. », la pertinence du sujet des insectes « habitant » l’architecture est peut-être plus importante que sa « noblesse ». Il permet d’accéder à un possible changement de paradigme, que nous avons tenté d’identifier à travers l’architecture « biocentrique ». On notera que le sujet de l’insecte nous interpelle dans les interactions bouleversantes entre nature et culture. Le rapprochement entre le monde des insectes et celui des humains invite à des reconsidérations philosophiques. La recherche « L’insecte, habitant de l’architecture » a de ce fait tendance à instrumentaliser l’insecte comme un outil de compréhension de typologies spatiales, l’utilisant comme un tremplin pour questionner notre conception de l’architecture. L’insecte devient prétexte à explorer le changement de paradigme évoqué, et à explorer un système de « relations » au sein de l’architecture qui va au-delà de sa qualité d’espace « en soi ». Aussi, il

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UEXKÜLL Jakob von, Milieu animal et milieu humain (1956), tr. fr. Charles Martin-Freville, Paris, Ed. Payot & Rivages, 2010, p.43.

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s’agit d’un sujet « bâtard » qui, à défaut d’être précis et rigoureux dans les points qu’ils évoquent, convoque plutôt une dimension transdisciplinaire nouvelle dans la vocation de l’architecture. Transdisciplinarité Tout au long de ce mémoire de recherche, on peut remarquer la prévalence de projets transdisciplinaires, lieux de collaboration entre concepteurs et scientifiques. La transdisciplinarité est d’abord évoquée du côté de la recherche scientifique et des experts de la lutte anti-nuisibles. En effet, les guides très récents de prévention incluent dans leur équipe plusieurs architectes collaborant avec les experts de la désinfection, tandis qu’une équipe d’experts scientifiques développent une revue à l’intersection de « la biologie, de l’architecture et de la sociologie237 ». Cela signifie que les experts de l’insecte ont déjà investi l’architecture et l’imaginaire qui y est lié, tandis que les architectes, peut-être plus timides, n’ont pas fait un pas dans ce domaine qui leur est inconnu, sinon quelques productions anecdotiques, ponctuelles et souvent athéoriques. De même, à travers la liste de projets décrits, de nouvelles collaborations apparaissent entre experts de l’insecte et experts de l’espace. Les architectes collaborent avec des entomologistes dans des projets de biomimétisme (Eastgate Building de Mike Pearce ; Silk pavilion du MIT Media Lab), des projets d’intégration d’insectes « bienfaiteurs » (Cricket Shelter de Terreform ONE) ou des projets explorant des interactions humain/insecte nouvelles. Ce constat témoigne d’un mouvement fondamentalement transdisciplinaire, qui correspond à la démarche de « renaissance » écologique que nous avions évoquée en introduction. On peut ainsi questionner dans quel contexte un architecte et un entomologiste seront amenés à collaborer, et quels moyens devront être donnés et entrepris pour favoriser cette collaboration. La continuité de cette recherche repose donc sur l’évolution des collaborations entre professionnels concepteurs et scientifiques. Les questions qu’il reste à résoudre se trouvent notamment sur les structures qui donnent lieu à ces nouvelles approches transdisciplinaires.

Traduction

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personnelle : « Studies of the indoor biome are situated at the intersection of evolutionary ecology, anthropology, architecture, and human ecology ». Texte issu de : NESCent Working Group on the Evolutionary Biology of the Built Environment, « Evolution of the indoor biome », Trends in Ecology and Evolution, n° 30, 2015, pp. 223-232.

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Glossaire

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Anthropisé (adj.) : Qui est modifié par la présence humaine.

Anthropocentrisme (n.m.) : Système ou attitude qui place l’humain au centre de l’univers et qui considère que toute chose se rapporte à lui.

Arthropode (n.m.) : Terme désignant les animaux invertébrés possédant un squelette externe et des appendices articulés, comme les crustacés, les insectes ou les araignées. Les arthropodes représentent la classe la plus nombreuse avec 875. 000 espèces connues.

Biome (n.m.) : ensemble d’écosystèmes caractéristique d’une aire biogéographique et nommé à partir de la végétation et des espèces animales qui y prédominent et y sont adaptées.

Biocentrisme (n.m.) : Conception, attitude mettant l’accent sur la protection et le bien-être de tout être vivant (humain et non humain).

Bio-empathie (n.f.) : Concept éthique qui considère que les espèces non-humaines ont une valeur intrinsèque, une valeur d’existence, par et pour elles-mêmes. Autre définition (biomimétisme) : habilité à apprendre de la nature.

Commensal (n.m.) : Animal qui se nourrit des débris de repas ou des parasites externes d’un animal d’une autre espèce, généralement plus grand, sans faire de tort à son hôte, qui le laisse faire.

Désinfecteur (n.m.) : Corps de métiers spécialisés dans la désinfection, notamment des bâtiments infectés de « nuisibles ».

Écoduc (n.m.) : Passage aménagé à destination des animaux pour qu’ils puissent traverser une route ou un autre aménagement humain sans risque.

Endémique (adj.) : Se dit d’une espèce présente naturellement exclusivement dans une région géographique délimitée.

Entomologie (n.f.) : Branche de la zoologie dont l’objet est l’étude des insectes.

Entomofaune (n.f.) : Partie de la faune constituée par l’ensemble des insectes d’un pays, d’une région etc.

« Entomophile » (adj.) : Néologisme personnel. Se dit généralement des plantes dont la pollinisation se fait par l’intermédiaire des insectes. Il est employé dans la recherche pour désigner une qualité d’accueil et de respect de certains insectes, propre à certains dispositifs.

« Entomo-empathie » (n.f.) : Néologisme personnel. Empathie envers les insectes. Branche de la « bioempathie », concept qui considère que les espèces non-humaines – ici les insectes - ont une valeur intrinsèque.

Ethnoentomologie (n.f.) : Étude des relations entre les insectes et les humains.

Hibernaculum (n.m.) : zool. Refuge, gîte ou partie d’un terrier qui sert à l’hibernation d’un animal. Il peut s’agir d’hibernaculum artificiel pour les insectes.

Hibernarium (n.m.) : entomo. Étui de feuille découpée et enroulée fermé par de la soie, qu’utilisent certains papillons (Limenitinae et Hesperiidae notamment) ou d’autres insectes pour passer l’hiver (développement du dernier stade larvaire).

« Insecte-sujet » (n.m.) : Néologisme personnel. Se dit d’un insecte considéré dans sa subjectivité, en tant que « sujet » métaphysique, être réel doté de qualités et qui agit par lui même.

Lombric (n.m.) : Nom scientifique du ver de terre, annélide oligochète extrêmement commune dans les prairies et qui contribue à leur fertilité.

Lombriduc (n.m.) : Écoduc spécialisé pour le passage de lombrics (vers de terre).


Lucifuge (adj.) : zool. [En parlant d’un animal, en particulier d’un insecte] Qui fuit, évite la lumière.

Lutte antiparasitaire ou « anti-nuisibles » (n.f) ;(adj.) : Lutte spécialisée contre la propagation de certains animaux ou végétaux directement ou indirectement préjudiciable aux intérêts humains.

Nuisible (adj.) : Se dit d’un organisme dont tout ou partie des activités a des effets considérés comme nuisant à la santé publique et/ou au bon déroulement de certaines activités humaines (agriculture, pisciculture, gestion cynégétique, sylviculture...).

Saproxylique (adj.) : Se dit d’une espèce qui dépend de la décomposition du bois-mort, des racines de l’arbre aux branches mortes de la canopée.

« Sous-architecture » (n.f.) : Néologisme personnel. Éléments architecturaux servant de milieu de vie aux espèces commensales de l’humain.

Synanthropie (n.f.) : Phénomène écologique décrivant un type particulier d’interaction durable liant certains animaux non domestiques spécifiquement avec des humains à proximité desquels ils vivent.

Thériomorphisme (n.m.) : Zoologie. Attribution de caractéristiques animales à un être humain.

Xylophage (adj.) : [En parlant d’un insecte (bostryche, bupreste, capricorne, scolyte, termite), etc.] Qui mange, perce, ronge le bois.

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Sources des illustrations Fig. 1. Illustration personnelle, Essence de l’architecture, abri pour le corps humain, 2016. Fig. 2. Illustration personnelle, Rhétorique du « vert » : formes désirables de nature, 2016. Fig. 3. UKTI Crown, UK Pavilion, The Hive, by night in Milan, 2015, photographie du pavillon « The Hive » de l’artiste Wolfgang Buttress. Source : http://www.wolfgangbuttress.com/expo-2015/?offset=1439911684530. Fig. 4. Auteur inconnu, Invitation exposition: Les insectes, mi-demons, mi-merveilles, 1987, Illustration issue de : AUFFRET VAN DER KEMP Th., CAUSSANEL C., GUILBOT R., « Les insectes, mi-demons, mi-merveilles » in Cah. Liaison O.P.I.E., n°21, 66, 1987, pp. 37-38. Fig. 5. CRUIKSHANK George, The British Beehive, Londres, 1840-1867, Illustration issue de : GISSEN David, « Insects » in Subnature. Architecture’s other environments, Princeton, Princeton Architectural Press, 2009. Fig. 6. MALAGAMBA Duccio, Photographie du projet : Coop.Himmelb(l)au, Rooftop Remodeling Falkestrasse, Vienne, 1983/1987-88. Source : http://fr.archello.com/en/project/rooftop-remodeling-falkestrasse. Fig. 7. « The trajectory of the indoor biome in one exemplar area, the island of Manhattan », NESCent Working Group on the Evolutionary Biology of the Built Environment, « Evolution of the indoor biome », Trends in Ecology and Evolution, n° 30, 2015, p. 225. Consulté le : 25.05.2016. Disponible à l’adresse : http://ljanemartin.com/pdfs/Martin%20et%20al.%20 2015%20TREE.pdf. Fig. 8. Terreform ONE, Cricket Shelter:Modular Edible Insect Farm, 2016. Photographie. Source : Terreform ONE, Siteweb, Cricket Shelter:Modular Edible Insect Farm, 2016. Consulté le 10.05.2016. Disponible à l’adresse : http://www.terreform.org/ projects_cricket.html.

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Fig. 9. « Poutres structurelles ravagées par les termites» Photographie de WATISSÉ Pauline, Paris, juillet 2016. Source: WATISSÉ Pauline, Vivre avec les termites à Paris, Mémoire de master 2 Bioterre - UFR de géographie, 2016, p.38. Fig. 10. A+A désinfection, « Visitez la maison avec votre souris, chaque nuisible apparait dans sa zone de vie, cliquez sur le point jaune pour consulter la fiche technique. », Capture d’écran de la site web A+A désinfection, 2015. Consulté le : 14.12.2015. Disponible à l’adresse : http://www.aa-desinfection.ch/nuisibles/?maison=1. Fig. 11. « Les effets territoriaux, cognitifs (sentiment de gêne) et démographiques (âge) sur la qualification du moustique : utile/nuisible », diagramme qui illustre : CLAEYS Cécilia, SERANDOUR Julien, « Ce que le moustique nous apprend sur le dualisme anthropocentrisme/biocentrisme : perspective interdisciplinaire sociologie/biologie », Natures Sciences Sociétés, n°17, 2ème quadrimestre 2009, p 140. Fig. 12. Couverture du guide : San Francisco Department of the Environment, Pest prevention by design. Authoritative guidelines for designing pests out of structures, 2012. Consulté le 05.04.16. Disponible à l’adresse : http://sfenvironment. org/sites/default/files/fliers/files/final_ppbd_guidelines_12-5-12.pdf. Fig. 13. SF Environment, Pest Prevention by design, Présentation du comité de conseil technique du guide (annotation personnelle), 2012, p.3. Source: Ibid. Fig. 14. SF Environment, Pest Prevention by design, Sommaire du guide, 2012, p.5. Source: Ibid. Fig. 15. Ministère de l’Egalité des Territoires et du Logement et le Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie (France), Cheminement potentiel des termites (Traversées Gaine/Fourreau; Joint d’isolement; joint traversant), 2013, schémas qui illustrent « Prévention contre les termites à l’interface sol-bâti », 2013, p.9. Consulté le : 05.04.2016. Disponible à l’adresse : http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/DGALN_guide_prevention_termite_janvier_2013.pdf. Fig. 16. AXTEN Gregory, Stucco and foundation edge detail, 2012, détail constructif. Source : San Francisco Department of the Environment, Pest prevention by design. Authoritative guidelines for designing pests out of structures, 2012. Consulté le 05.04.16. Disponible à l’adresse : http://sfenvironment.org/sites/default/files/fliers/files/final_ppbd_guidelines_12-5-12.pdf. Fig. 17. McINNES Theo, Byron’s branches in Holborn and Shaftesbury Avenue in central London were targeted by the ‘swarm of insects’, Londres, 2016, photographie issue de : SEGALOV Michael, Huck magazine, We watched angry activists release thousands of bugs in a busy London restaurant, 30.07.2016. Consulté le : 15.11.2016. Disponible à l’adresse : http://www. huckmagazine.com/perspectives/activism-2/byron-burger-bugs-protest/. Fig. 18. « The relative areas of 13 outdoor biomes and the indoor biome », NESCent Working Group on the Evolutionary Biology of the Built Environment, « Evolution of the indoor biome », Trends in Ecology and Evolution, n° 30, 2015, p. 225.


Fig. 19. « Proportional diversity of arthropod orders across all rooms. Average morphospecies composition calculated across all room types. All photos by MAB » diagramme illustrant l’article BERTONE et al., Arthropods of the great indoors: characterizing diversity inside urban and suburban homes, 2016. Fig. 20. Illustration personnelle, La “sous-architecture“, 2016. Fig. 21. « Rodent proofing », photographie illustrant le guide : London Chartered Institute of Environmental Health, Pest Minimisation. Best practices for the construction industry, 2012, p.10. Consulté le : 05.04.2016. Disponible à l’adresse : http://www.urbanpestsbook.com/downloads/Best_practice_for_the_construction_industry.pdf. Fig. 22. Dans l’ordre de lecture : « Synthetic stucco » ; « Drain covers and baskets » ; « Areas to be caulked or sealed during siding installation » ; « Expansion joints » Photographies illustrant le guide: San Francisco Department of the Environment, Pest prevention by design. Authoritative guidelines for designing pests out of structures, 2012. Consulté le 05.04.16. Disponible à l’adresse : http://sfenvironment.org/sites/default/files/fliers/files/final_ppbd_guidelines_12-5-12.pdf. Fig. 23. Deux couvertures du livre de Karl Von Frisch : Zehn kleine Hausgenossen, Munich, Ed. Heimeran, 1941. et Ten Little Housemates, première édition anglophone, Oxford, New York, Pergamon Press, 1960. Fig. 24. Illustrations personnelles : Évolution de la ruche urbaine du public au privé, et Évolution du mur « entomophile », 2016. Fig. 25. Paris Myope, Porte du 64, avenue Ledru Rollin, IIe ardt. Immeuble de 1891., Paris, 2015, photographie. Source : Blog Paris Myope, L’apis voleuse, 26.06.2015. Consulté le 16.09.2016: . Disponible à l’adresse : http://parismyope.blogspot. fr/2015/06/lapis-voleuse.html. Fig. 26. « Plan of the Hanna House, 1957 » plan retranscrit du rez-de-chaussée de la Hanna-Honeycomb House (Stanford, 1927-1937) de Franck Lloyd WRIGHT. Source : Architectural Ressources Group, STANFORD UNIVERSITY HANNA HOUSE. Consulté le : 25.11.2016. Disponible à l’adresse : https://www.argsf.com/portfolio/stanford-university-hanna-housearchitectural-rehabilitation/. Fig. 27. Dyptique personnel, Cabane et ruche primitives, 2016 : EISEN Charles, « La petite cabane rustique » (1755) frontispice de LAUGIER Marc Antoine, Essais sur l’architecture (1953), Bruxelles, Editions Pierre Mardaga, 1979 ; et KRÜNITZ Johann Georg, Récolte de miel avec apiculteurs; ruche-tronc, 1774, gravure issue de Oekonomische Encyklopädie, oder allgemeines System der Land- Haus- und Staats-Wirthschaft in alphabetischer Ordnung (Encyclopédie économique ou du système général d’agriculture, d’économie et d’économie domestique, par ordre alphabétique), 1774. Fig. 28. BALI Malvina et GARZUEL Camille, La Fabrique à miel, Lille, 2015, perspective et axonométrie du projet. Source: Maison de l’Architecture et de la ville (MAV), site de la MAV, Soutenez le projet de la Fabrique à miel, 16.05.2016. Consulté le : 05.12.2016. Disponible à l’adresse : http://www.mav-npdc.com/fiche/la-fabrique-miel/. Fig. 29. FACCIN Francesco, Honey factory, Milan, 2015, photographie LEGNANI Delfino Sisto et coupe de l’auteur. Source : Site web de l’artiste, Honey Factory | Urban beekeeping | Triennale di Milano. Consulté le 14.09.2016. Disponible à l’adresse : http://www.francescofaccin.it/?p=1915. Fig. 30. SABATIER Vincent, SUBIRANA Clément, Bee Wild, Montpellier, 2015, Coupes 1:5 et schémas. Source : ENSAM et UNAF, site de l’ENSAM, Concours Les Ruches insolites, Remise des prix, 16.06.2015. Consulté le : 05.10.2016. Disponible à l’adresse : http://www.montpellier.archi.fr/content/download/1477/10880/version/1/file/DP%20Concours%20Ruches%20 insolites%202015.pdf. Fig. 31. DUCROS Anouk, GOUYEN Anne-Sophie, MARTINET Élodie, La ruche design au service de l’apiphilie, Montpellier, 2015, perspective et élévations. Source : Ibid. Fig. 32. Photographie personnelle, Hôtel à insectes au Jardin des Plantes, Paris, 2016. Fig. 33. Eurélien, Calendrier de fauchage raisonné, 2016, schéma. Eurélien, Le fauchage raisonné une approche responsable, 31.05.2016. Consulté le : 10.10.2016. Source: http://www.eurelien.fr/actualite/le-fauchage-raisonne-uneapproche-responsable. Fig. 34. Nord Nature Chico Mendès, Panneau Fauchage tardif Arques, Arques, photographie. Source : La gestion différenciée. Consulté le : 10.10.2016. Disponible à l’adresse : http://www.gestiondifferenciee.org/spip.php?article249. Fig. 35. LAMIOT F., Résultat final : invertébrés et micromammifères peuvent traverser la route sans s’exposer à leurs prédateurs, Lille, 2007, photographie. Source : Page wikipedia en français, Lombriduc. Disponible à l’adresse : https:// fr.wikipedia.org/wiki/Lombriduc#/media/File:Ecoduc_lombriduc2007.jpg. Fig. 36. Urbanbees, Hôtel modèle 2 colonnes/ 3 caisses, 2014, fiche technique. Source : Urbanbees, Site web, Hôtels à abeilles mode d’emploi. Consulté le : 05.10.2016. Disponible à l’adresse : http://urbanbees.eu/sites/default/files/ressources/ Notice_Hotel-UrbanBees_Collectivite&Entreprise.pdf.

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L’insecte, habitant de l’architecture Présence incontrôlée ou anticipée

Fig. 37. Photographie personnelle, Totem à insectes, Parc de Poelzone, Monster (Pays-Bas), 2016. Fig. 38. WARD James, The hotel in-situ at St Dunstan’s in the East, 2010, photographie du projet Insect Hotel d’ Arup associates. Source : Arup Associates, Insect Hotel, 2010. Consulté le : 25.11.2016. Disponible à l’adresse : http://www. arupassociates.com/en/projects/insect-hotel/. Fig. 39. Snøhetta, Vulkan Beehive, 2014, photographie. Source : Snøhetta, Vulkan Beehive, 2014. Consulté le : 16.11.2016. Disponible à l’adresse : http://snohetta.com/project/186-vulkan-beehive. Fig. 40. Phillips, Urban Beehive, 2011, photographie et coupe sur façade. Source : SWEARINGEN Jake, The modern farmer, Five high design urban beehives, 10.05.2013. Condulté le : 16.11.2016. Disponible à l’adresse : http://modernfarmer. com/2013/05/five-high-design-urban-beehives/. Fig. 41. ROUSSEL Gaby, Ruche placard (vue en coupe), dessin. Source: MESTRE Jean-René, ROUSSEL Gaby, Ruches et abeilles : Architecture, Traditions, Patrimoine, Nonette, Ed. Créer, 2005. Fig. 42. MASETTI L.N., L’architecture d’un rucher en pierres sèches dans la Roya-Bevera, dessin. Source : MASETTI L.N., article sur « les “maisons des abeilles“ de la Haute vallée de la Roya » in Le haut pays , journal de la Roya-Bevera, 1994. Fig. 43. SIMAK Evelyn, Caister Castle - winter quarters for bees, photographie. Source : SIMAK Evelyn, Geograph, Caister Castle - bee boles, 2008. Consulté le : 17.11.2016. Disponible à l’adresse : http://www.geograph.org.uk/photo/808713. Fig. 44. MESTRE Jean-René, Mur à abeilles à 2 étages aux Cabanes de Cabrières d’Avignon (Vaucluse), photographie. Source: MESTRE Jean-René, ROUSSEL Gaby, op.cit., 2005. Fig. 45. ROUSSEL Gaby, Cabane à ruches placards de Perrier 4., photographie. Source : Ibid. Fig. 46. MAUPETIT Philippe, La Bourdonnerie, Dijon, 2015, photographie. Source : La Bourdonnerie, Le bâtiment. Consulté le : 17.11.2016. Disponible à l’adresse : http://www.labourdonnerie.fr/le-batiment. Fig. 47. Chartier Dalix, BLG Groupe scolaire de 18 classes et gymnase, 2014, diagramme et perspective de la façade. Source : http://chartier-dalix.com/portfolio/gs-18classes/. (Consulté le : 17.12.2015) 188

Fig. 48. -De Prat D., Magnanerie - coupe schématique, 1914, dessin. Source : De Prat D., « Filature ; 1ère partie : Fibres animales et minérales » in Encyclopédie-Roret, Paris, Ed. L. Mulo, 1914. Disponible à l’adresse : Page Wikipedia de Magnanerie, 2011, https://fr.wikipedia.org/wiki/Magnanerie#/media/File:Magnanerie_-_coupe_sch%C3%A9matique.jpg. -Auteur inconnu, Magnanerie, illustration de coupe transversale. Source : FACHE Edmée, PADOVANI Geneviève, Chrono sur la soie. Consulté le : 10.12.2016. Disponible à l’adresse : http://www.st-florent-passe-present.fr/?page_id=874. Fig. 49. Terreform ONE, Cricket Shelter, Modular Insect farm, 2016, photographie et Linked sex/ birthing pods ; Habitats and louvers, 2016, détail axonométrique en coupe. Source : http://www.terreform.org/projects_cricket.html (Consulté le : 15.03.2016). Fig. 50. Coop. Himmelb(l)au, Heart-City : The White Suit, Viennes, 1967, photographie. Source : GISSEN David, Subnature. Architecture’s other environments, Princeton, Princeton Architectural Press, 2009, p. 173. Fig. 51. « Premier appareil d’observation », photographie illustrant : FABRE Jean-Henri, « Le Minotaure Typhée. – Premier appareil d’observation » in Souvenirs Entomologiques, vol. 10, Paris, Ed. Delagrave, 1924. Fig. 52. « Second appareil d’observation », photographie illustrant : FABRE Jean-Henri, « Le Minotaure Typhée. – Second appareil d’observation » in Souvenirs Entomologiques, vol. 10, Paris, Ed. Delagrave, 1924. Fig. 53. « 4. L’écloisoir pour bois mort » et « L’appareil de Berlese », schémas personnels repris du livre: ALBOUY Vincent, Insectes, Toulouse, Editions Milan, 2012. Fig. 54. Auteur inconnu, La Serre à Papillons : les papillons évoluent dans leur environnement naturel, photographie du parc Micropolis, Saint-Léons. Source : http://www.guide2midipyrenees.com/information/10837/Micropolis,--Saint-Leons,-Aveyron,--Midi-Pyrenees (Consulté le : 13.10.2016). Fig. 55. Opus 5 Architectes, Micropolis - Musée des insectes, photographies de l’intérieur et de la toiture. Source : http:// www.opus5.fr/ST-LEON-EN-LEVEZOU-Micropolis-Musee-des-insectes (Consulté le : 10.10.2016). Fig. 56. LANOO Julien, AWP+HHF | Poissy Galore – Insects Museum and Visitor Center. Internal view, 2017, photographie. Source : Site web de HHF, Poissy-Galore. Consulté le : 13.01.2017. Disponible à l’adresse : http://www.hhf.ch/hhf/projects/ projects/079-poissy_galore.html. Fig. 57. LANOO Julien, AWP+HHF | Poissy Galore – Insects Museum and Visitor Center. External view, 2017, photographie. Source : Site web de HHF, Poissy-Galore. Consulté le : 13.01.2017. Disponible à l’adresse : http://www.hhf.ch/hhf/projects/ projects/079-poissy_galore.html.


Fig. 58. Opus 5 Architectes, Micropolis - Musée des insectes, photographie de l’intérieur. Source : http://www.opus5.fr/ ST-LEON-EN-LEVEZOU-Micropolis-Musee-des-insectes (Consulté le : 10.10.2016). Fig. 59. Auteur inconnu, photographie d’une serre à eau de mer illustrant PAWLYN Michael, Using nature’s genius in architecture, TED talks, Londres, 2010, 13min. Fig. 60. PAWLYN Michael, Ténébrion du désert, dessin illustrant : Using nature’s genius in architecture, TED talks, Londres, 2010. Fig. 61. PEARCE Mike, Of termites and architecture, photographie et schémas représentant le fonctionnement de l’Eastgate Building à Harare (Zimbabwe) en 1996. Source : Site web de Mike Pearce, consulté le 14.12.2016. Disponible à l’adresse : http://www.mickpearce.com/conceptual.html. Fig. 62. Images du film : Mediated Matter Research Group (MIT Media Lab), Silk Pavilion, 2013, 6 min. Consulté le : 12.11.2016. Disponible à l’adresse : https://vimeo.com/67177328. Fig. 63. UEXKÜLL Jakob von, Espace visuel d’un insecte volant, 1956, illustration. Source : UEXKÜLL Jakob V., Mondes animaux et monde humain, Hambourg, Editions Gonthier, 1956. Fig. 64. UEXKÜLL Jakob von, Photographie d’une rue de village, photographie ; La même rue du village de village pour l’oeil de la mouche, aquarelle, 1956. Source : UEXKÜLL Jakob von, Milieu animal et milieu humain (1956), tr. fr. Charles MartinFreville, Paris, Ed. Payot & Rivages, 2010. Fig. 65. FERRERA Simone, Theriomorphous Cyborg - Level 2: Remixed duration, 2011, image du jeu immersif. Source : The Expanded Environment, Animal Architecture Awards Announces, 15.08.2011. Consulté le : 12.12.2016. Disponible à l’adresse : http://www.expandedenvironment.org/animal-architecture-awards-announced/. Fig. 66. Images du film : MEIER Robin, Synchronicity, 2015, 4min. Consulté le : 14.05.2016. Disponible à l’adresse : https:// vimeo.com/136735864?from=outro-embed. Fig. 67. OFL architecture, Wunderbugs pavilion, Rome, 2014, photographie. Source : OFL architecture, blog de Wunderbugs. Consulté le : 31.05.2016. Disponible à l’adresse : http://wunderbugs.tumblr.com/. Fig. 68. KADONAGA Kazuo, Silk n°3, Toyama, 2006, photographies. Site web de l’artiste. Consulté le : 06.01.2016. Disponible à l’adresse : http://www.kazuokadonaga.com/aw-silk3.html Fig. 69. Meet the clients part II : Insect City, affiche du cycle de conférences-débats organisé par Ben Campkin et Matthew Beaumont le 25 octobre 2011, dans le cadre du projet Animal Estates, Londres. Source : Site web de Animal Estates, consulté le 04.01.2017. Disponible à l’adresse : http://www.fritzhaeg.com/garden/initiatives/animalestates/prototypes/ london.html. Fig. 70. N&Sie(n) Architects, Mosquito Bottleneck, Trinidad, 2003, esquisses. Source: New territories, Mosquito Bottleneck. Consulté le : 03.04.2016. Disponible à l’adresse : http://www.new-territories.com/mosquitos.htm. Fig. 71. N&Sie(n) Architects, Mosquito Bottleneck, Trinidad, 2003, modélisation de la morphologie de la maison et schémascoupes. Source: Ibid. Fig. 72. N&Sie(n) Architects, Mosquito Bottleneck, Trinidad, 2003, schémas-coupes. Source: GISSEN David, « Insects » in Subnature. Architecture’s other environments, Princeton, Princeton Architectural Press, 2009. Fig. 73. N&Sie(n) Architects, Mosquito Bottleneck, Trinidad, 2003, modélisation, vue intérieure. Source: New territories, Mosquito Bottleneck. Consulté le : 03.04.2016. Disponible à l’adresse : http://www.new-territories.com/mosquitos.htm.

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L’insecte, habitant de l’architecture Présence incontrôlée ou anticipée

Bibliographie Les différents ouvrages, revues, documents internet etc., sont classés par thèmes, eux mêmes classés par ordre d’occurrence selon la recherche, puis par ordre alphabétique au sein des différents thèmes.

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Lutte anti-nuisibles •

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