Henri Regnault (1843-1871), 1914

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No.

LES PEINTRES ILLUSTRES

HENRI REGNAULT

ARTISTIC-BIBLIOTHEQUE en COULEURS

PIERRE

LAFITE

& CIE

ÉDITEURS









LES PEINTRES ILLUSTRES

HENRIREGNAULT (1843-1871)


COPYRIGHT

LAFITTE

ET

BY

C",

PIERRE 1914.

Tous droits de traduction et de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.


PLANCHE 1. — LE GÉNÉRAL PRIM (Musée du Louvre)

Henri Regnault avait toujours éprouvé une passion particulière pour les bêtes, notamment pour les chevaux. On s'en rend compte dans cette magnifique toile où il a campé une silhouette de cheval fougueux, rongeant son frein, qui rappelle les œuvres les plus parfaites dé Géricault. Sur ce noble coursier, l'artiste a dressé la stature autoritaire du fameux capitaine espagnol.





LES PEINTRES ILLUSTRES COLLECTION FONDÉE SOUS LA DIRECTION DE

M. HENRY ROUJON DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L'ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS.

Henri Regnault

PIERRE LAFITTE ET

CIE

EDITEURS

90, AVENUE DES CHAMPS-ELYSÉES, PARIS


OUVRAGES COMPOSANT LA COLLECT ION DES PEINTRES ILLUSTRES VIGÉE-LEBRUN. REMBRANDT. REYNOLDS. CHARDIN. VELASQUEZ. FRAGONARD. RAPHAEL. GREUZE. FRANZ HALS. GAINSBOROUGH. L. DE VINCI. BOTTICELLI. VAN DYCK. RUBENS. HOLBEIN. LE TINTORET. FRA ANGELICO. WATTEAU. MILLET. MURILLO. INGRES.

DELACROIX. LE TITIEN. COROT. MEISSONIER. VÉRONÈSE. PUVIS DE CHAVANNES. QUENTIN DE LA TOUR. H. ET J. VAN EYCK. NICOLAS POUSSIN. GÉROME. FROMENTIN.

BREUGHEL LE VIEUX. GUSTAVE COURBET. LE CORRÈGE. H. VAN DER GOËS. HÉBERT. PAUL BAUDRY. ALBERT DURER. HENNER. LOUIS DAVID. PHILIPPE DE CHAMPAIGNE.


GOYA BASTIEN-LEPAGE. DEOAMPS.

ROSA-BONHEUR. FANTIN-LATOUR. BOUCHER. ZIEM. PRUD'HON. LE BRUN. RIGAUD. GÉRICAULT. TÉNIERS.

MEMLING. CLAUDE LORRAIN. THOMAS LAWRENCE. MANTEGNA.

HORACE VERNET. LARGILLIÈRE. GUSTAVE MOREAU

JORDAENS. BURNE-JONES. DIAZ. NATTIER.

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POUR PARAITRE SUCCESSIVEMENT LE SUEUR. WHISTLER. RIBERA.

ALFRED STEVENS. GRECO. BENJAMIN CONSTANT.



TABLE DES MATIÈRES

I.L'enfancedeRegnault II. Le séjour à Rome et en III. La fin prématurée et

Espagne

glorieuse

,,,

14

43

TABLE DES ILLUSTRATIONS I. Le général (Musée du Louvre)

Prim.

Frontispice

II. Thétis apportant à Achille les années forgées

parVulcain

,

15

III.LacomtessedeBarck

23

IV.Salomë

31

(École des Beaux-Arts)

(Coll. Thomy-Thiéry. Louvre)

(Collection Knoedler. Paris)

V. Paysan de

laManche

Vl.Femmeennoir.

47

(Musée du Louvre)

55

(Musée du Louvre)

VII. Une porte de l'Alhambra

63

(Musée du Louvre)

VIII. L'exécution sans jugement (Musée du Louvre)

71



L

HENRI REGNAULT A brève et brillante destinée d'Henri Regnault fait penser à ces météores éclatants qui traversent parfois le ciel à de vertigineuses vitesses en laissant sur leur passage un sillon de lumière, et qui rentrent aussitôt dans la nuit étoilée du


firmament. Comme ces astres fugitifs Regnault ne fit que traverser la vie, et comme eux il marqua sa route de lumière, mais d'une lumière qui ne s'éteindra pas. Il était un de ces êtres élus par le Destin et promis à la gloire dès le berceau. Cette gloire, il l'eut dans la vie et jusqu'à la mort, car il tomba en héros, les armes à la main, en défendant contre l'envahisseur cette patrie aimée qu'il avait rêvé d'honorer par son art. M. Roger Marx, l'éminent critique, a consacré à Henri Regnault des pages éloquentes et émues que nous aurons fréquemment l'occasion de citer au cours de cette étude. Parlant de la fin prématurée de l'artiste, il rapproche sa destinée de celle de Géricault et de Bastien-Lepage, nobles artistes fauchés comme lui en pleine fleur. "Trois fois depuis 1830, écrit-il, l'art français a pu croire à la splendeur d'un nouveaurajeunissement, trois


fois la fatalité s'est plu à anéantir dans leur fleur les plus chères espérances. Géricault, Bastien-Lepage, Henri Regnault. Il semble que le souvenir de ces peintres disparus dans

tout l'éclat d'une renommée grandissante flotte comme un voile de deuil au-dessus de l'école moderne. Aux deux premiers, un mal implacable ne laissa point le temps de pousser jusqu'au bout leur œuvre; quant à l'autre, ses commencements furent pour la France un espoir; sa mort précipitée, un honneur; il tomba sur le champ de bataille, à vingt-sept ans, frappé en plein visage, et certains présageaient un maître dans celui qui finissait ainsi en héros. En sorte qu'il a tout donné à la patrie, son esprit et son sang, son âme et son corps haute et noble figure qui demeurera grande devant l'histoire et que les générations à venir tiendront pour un illustre exemple.

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SON ENFANCE

Alexandre-Georges-Henri Regnault naquit à Paris le 30 octobre 1843. Il était le fils de Henri-Victor Regnault, chimiste illustre, professeur au Collège de France, puis directeur de la Manufacture de Sèvres. Ce furent aussi des professeurs qui signèrent l'acte de naissance de l'enfant à la mairie du XIIe arrondissement. C'est dans cet austère foyer universitaire, si peu propice à l'épanouissement artistique, que se développa, malgré tous les obstacles, la vocation de peintre du jeune Henri Regnault. D'aussi loin que se souviennent ceux qui ont entouré son enfance, on l'a vu, couché sur quelque tapis, le ventre contre terre, un crayon à la main, s'essayant des heures entières à écrire la forme des choses avant


PLANCHE II. — THÉTIS APPORTANT A ACHILLE LES ARMES FORGÉS PAR VULCAIN (École des Beaux-Arts)

Cette œuvre valut à Henri Regnault le premier prix de Rome. Elle est intéressante parce qu'on y constate à la fois le style académique de l'école, représenté par le groupe d'Achille et de Patrocle et la tendance personnelle du peintre exprimée par la magnifique et radieuse figure de Thétis qui appartient, d'après Paul Mantz, « à l'ordre des choses raffinée et exquises ».





même d'en savoir prononcer le nom. Le Jardin des Plantes l'attire et son goût audessus du commun le porte tôt vers les bêtes de race les lions, les tigres, les animaux les plus nobles, les plus fiers. Les observer, les examiner longuement et au retour enserrer dans un trait leurs mouvements, telle est son ambition. Tant qu'il est enfant, son père ne s'inquiète pas de son penchant pour le dessin. Il s'en réjouit plutôt, car il y discerne l'éclosion d'une vive intelligence et l'apprentissage d'une observation attentive qu'il rêve de lui voir appliquer plus tard à des objets plus sérieux. Il tolère ce qu'il pense être seulement un amusement de jeunesse, mais dès que le goût de peindre s'affirmera, irrésistible et tenace, il combattra de toute son autorité de père une inclination considérée comme dangereuse.

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Et, de ce jour, commence, entre le père et le fils cet antagonisme latent que les succès même du peintre ne parviendront pas à détruire. Homme de science dans l'acception du terme, froid, austère, impassible, le professeur au Collège de France se faisait plutôt craindre qu'aimer de son fils. Leurs caractères différaient autant que leurs goûts habitué à poursuivre les problèmes les plus ardus de la matière, le père ne comprenait rien aux juvéniles enthousiasmes de son fils et les comprimait par de sévères réprimandes. Ils ne se ressemblaient que par un point, une inflexible fermeté qui, très souvent, dressa l'un contre l'autre le père et le fils, les mettant aux prises, sans que jamais l'un des deux réussît à convaincre ou à faire plier Fautre." Mais nous n'en sommes pas encore à l'époque des discussions. Regnault n'est

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qu'un enfant et ses griffonnages passent pour des fantaisies. Il a l'âge de commencer ses études on le place au lycée Napoléon. Henri Regnault, dont l'intelligence est très vive, fait de rapides progrès. Le lycée Henri IV a conservé ses palmarès et l'on y peut voir à quel point les études littéraires du jeune artiste avaient été brillantes. S'il avait peu d'inclination pour les sciences exactes, il montrait beaucoup de goût pour les humanités et particulièrement pour l'histoire. Pendant les trois dernières années de lycée, il n'obtint pas moins de trente-cinq nominations. Toutefois, ses succès d'école ne diminuent en rien ses goûts d'artiste. Comme tous les adolescents prédestinés à la peinture, il couvre ses cahiers de dessins et illustre les marges de ses livres avec des compositions, naïves encore, mais non dénuées d'habileté.

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La poésie et l'histoire l'attirent surtout par leur côté pittoresque ou théâtral son imaginations'exalte aux récits héroïques etsonjeune crayon s'exerce à les traduire. A treize ans, il exécute d'assez intéressantes esquisses au fusain représentant les batailles d'Arbelles, d'Issus et de Rocroy. Il serait évidemment puéril d'y rechercher des qualités de dessin que le jeune néophyte ne pouvait posséder, mais on y remarque toutefois une fougue, un sens du mouvement qui sont de bon augure. En 1857, Henri Regnault, qui a tout juste quatorze ans, s'attaque à la glaise et sculpte, avec une précoce habileté, un cheval appartenant à l'empereur qu'il a aperçu, quelques minutes à peine, pendant une visite aux écuries de Saint-Cloud. C'est la vocation qui s'affirme, impérieuse. Déjà, dans son esprit, le jeune Regnault a


décidé qu'il serait peintre et il s'ouvre de ses projets à son terrible père. Celui-ci accueille laconfidence avec tout le dédain que la science professe généralement pour l'art. L'enthousiasme de son fils le trouve de glace. Il jette sur son exaltation la douche de cette réponse coupante et péremptoire — Tu seras peintre plus tard, s'il te plaît, mais pas avant d'être bachelier. Laisse donc là tes sornettes et reprends tes livres. Le jeune homme s'incline, non sans colère. Il reprend ostensiblement ses livres et en cachette ses crayons. Il mène de front les deux tâches. Pendant la semaine, il s'adonne à l'étude du grec et du latin; le dimanche il parcourt la campagne aux environs de Paris. Ah! les belles journées que celles-là! Tout lui est prétexte à croquis, le campagnard bêchant la terre, le cheval attelé à la lourde voiture du maraîcher, le chien qui gambade,

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les poules qui picorent, un arbre à la silhouette pittoresque, etc. Enfin ses humanités finies, Henri Regnault conquiert le diplôme libérateur. Il est bachelier. Muni de son parchemin, il se présente à son père et lui rappelle sa promesse. Le chimiste ne s'obstine plus. Il reconnaît que rien ne pourra faire fléchir une volonté qu'il sait aussi énergique que la sienne. Lutter ne servirait de rien il acquiesce donc, avec un regret que l'on devine, au désir de son

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fils.

Et comme il apporte en toute chose, même à celles qui lui déplaisent, son esprit d'ordre et de logique, il s'inquiète d'orienter le mieux possible cette vocation qu'il n'a pas encouragée. Il veut que son fils, artiste malgré lui, deviennent au moins un artiste vraiment digne de ce nom. Il sent la nécessité de diriger cette force naissante, de discipliner cette


PLANCHE III. — LA COMTESSE DE BARCK (Coll. Thomy-Thiéry. Louvre)

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La comtesse de Barck était une amie du peintre Regnault c'est une brune et charmante Espagnole, vêtue en costume national. La mantille noire et la rose qui pique les cheveux font ressortir la beauté souriante de cette gracieuse femme dont la silhouette s'enlève, sur le fond verdoyant d'une tapisserie. Ce tableau est peint dans la manière de Watteau.





nature exaltée, enthousiaste, sujette aux emballements et à l'erreur. Il faut un maître. Et sans tarder il le cherche. Les artistes en renom ne manquent pas. Il en est, comme MM. Ingres et Hippolyte Flandrin, qui jouissent d'une célébrité européenne. M. Regnault les fait pressentir successivement par le peintre Troyon, qui est un ami de la famille. Mais l'un et l'autre s'excusent, leurs grands travaux ne leur laissant pas de loisirs pour entreprendre une éducation, et d'un commun accord, ils conseillent à l'éminent chimiste de confier son fils à M. Lamothe. Ce M. Lamothe, peintre aujourd'hui bien oublié, jouissait en ce temps d'une grande estime dans les hautes sphères académiques pour l'orthodoxie de ses doctrines en matière d'art. Classique déterminé, il est le disciple et le pâle reflet d'Hippolyte Flandrin, dont il n'a


pas le talent. Au demeurant, un excellent homme, parfaitement capable d'étouffer en germe le plus beau talent avec les meilleures intentions du monde. Henri Regnault entre donc chez M. Lamothe. Malgré l'indépendance de son caractère et la fougue naturelle de son tempérament, le jeune artiste ne peut échapper complètement à l'influence du maître. Ses premiers essais nous révèleront qu'il a dû sacrifier au convenu, à la symétrie mathématique, au poncif. Toutes les belles échappéesjuvéniles se trouvent comme étouffées, maintenues dans le rigide réseau des règles sacro-saintes. M. Lamothe, qui rêve pour son élève un grand avenir, le présente à l'École des beaux-arts, où il est admis le Ier avril 1861, trente-cinquième sur quatre-vingts élèves. L'année d'après, il se fait inscrire à l'atelier de Cabanel, professeur de l'Ecole.


Cette direction nouvelle, se superposant à celle de M. Lamothe, ne vaut pas mieux pour Henri Regnault, car, pas plus que l'autre, elle ne laisse la bride à l'inspiration et ne tolère la spontanéité. Fort heureusement, le jeune artiste a la foi tenace et ce n'est pas le froid enseignement de l'Ecole qui pourra éteindre la belle flamme allumée dans son cœur. Toutes les minutes qu'il peut dérober aux ateliers de M. Lamothe et de M. Cabanel, il les consacre fiévreusement à se perfectionner lui-même, dans le sens de ses goûts propres. A ses maîtres, il emprunte la science du dessin qu'il devine indispensable et qui chez eux, comme chez tous les classiques, est poussée aux dernières limites de la minutie; mais il sent également la nécessité d'animer ces belles lignes, de réveiller cette froideur académique par la vérité de


la nature vivante, spontanée, prise sur le vif.

Toujours'possédé par son amour des bêtes, éclos en lui dès la première enfance, Henri Regnault fait des visites quotidiennes au Jardin des Plantes, où il surprend, de son alerte crayon, la souplesse harmonieuse des grands félins, la variété de leurs expressions. Ces escapades ne l'empêchent pas de poursuivre ses études officielles. Comme tous les peintres, il rêve de remporter le prix de Rome. En 1863, il est admis cinquième au second essai et quatrième en loge; bien que souffrant il prend part au concours, mais il échoue à la seconde épreuve préliminaire, bien que sa figure se trouvât placée la septième ou la huitième par les camarades ", ainsi qu'il nous l'apprend lui-même dans une lettre, datée du 10

février 1864. Cet échec impressionne défavorablement


son professeur M. Lamothe et provoque chez Regnault un découragement passager. Mais il ne tarde pas à se ressaisir. Tout ce qu'il a produit jusque là, porte la fâcheuse empreinte d'un enseignement sans envolée. Son envoi au concours de Rome de 1862, Véturie aux pieds de Coriolan est une composition suivant la plus pure formule académique, mais dénuée de toute inspiration, froide, presque glaciale. A peu près aussi figés sont les deux portraits qu'il expose au salon de 1864. Pour se soustraire à une influence qu'il sent mauvaise, il commence cette même année un Ensevelissement où il s'efforce à n'obéir qu'à son tempérament et à écarter les réminiscences académiques. Ce tableau a été détruit pendant la guerre, mais les nombreuses esquisses préliminaires exécutées par Regnault ainsi que les souvenirs


de ceux qui le virent s'accordent à témoigner qu'il y avait, dans cette œuvre de début, un véritable effort d'originalité et une réelle impression de puissance. L'année suivante (1865), Henri Regnault entre premier en loge pour le concours de Rome. Il échoue encore et cependant son morceau de concours, Orphée aux enfers, est une œuvre bien ordonnée, dramatique, abondante, qui révèle un peintre. L'artiste y a ingénieusement mêlé l'élément archaïque et l'élément moderne et il a employé, pour éclairer la scène d'une lueur sinistre, une tonalité verte du plus

saisissant effet. Ces insuccès répétés le dégoûtent de l'Ecole. De plus en plus il abandonne la tradition académique pour s'inspirer directement de la nature. Il tourne aussi les yeux vers les maîtres, les vrais, ceux du passé, et il se prend d'une belle passion pour les grands Vénitiens il copie

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PLANCHE IV. — SALOME (Coll. Knoedler. Paris)

Ce merveilleux tableau, chef-d'œuvre de Regnault, figura au salon 1870,

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où il fit sensation. C'est là que Mme de Cassin s'en éprit et l'acheta. Il passa ensuite à la collection Doucet quand celle-ci fut vendue, les Amis du Louvre poussèrent l'enchère jusqu'à 385.000 francs, mais il durent s'arrêter devant les surenchères de M. Knoedler, riche marchand américain qui acquit pour un demi-million cette toile fameuse.





Titien et il rêve de reproduire, à la taille même de l'original, la formidable toile des Noces de Cana de Véronèse pour qui il professe une admiration presque religieuse. C'est tout imprégné de cette forte influence qu'il se décide, sur les instances de ses amis, à concourir une fois de plus pour le prix de Rome. M. Roger Marx nbus a laissé une vivante relation de cette lutte, couronnée enfin par la victoire Le sujet imposé, Thétis apportant àAchille les armes forgées par Vulcain, n'est pas pour déplaire à Regnault et il a vite ébauché sa toile. Alors, tandis que ses camarades se dépensent en efforts, anxieusement enfermés dans leurs cellules, le voici chantant des airs d'opéra, emplissant les corridors de ses roulades, lançant ses trilles aux passants, sans souci de l'heure qui fuit, oubliant si bien son le Christ au tombeau de

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œuvre qu'il reste tout surpris, au moment de la terminer, de ne s'en plus trouver satisfait. Mais à quoi lui servirait de remanier son travail à la veille même du jugement? Mieux vaut abandonner la lutte. Déjà il a renoncé à la villa Médicis, quand le hasard d'une réunion mondaine le met en présence d'une jeune fille, musicienne hors de pair, Mlle Augusta Holmès; les traits expressifs, la physionomie étrange, le jeu passionné de l'artiste le frappent, le captivent, réveillent sa verve. Le lendemain, Regnault court à l'école des Beaux-Arts, reprend ses pinceaux, bouleverse son tableau, qu'il retourne dans le sens de la largeur, s'inspirant, pour rendre le profil altier, le regard illuminé de Thétis, du visage qui s'est gravé dans son esprit avec cette composition, brossée en douze jours, il enlève le prix. Ce n'est pas peint, c'est jeté ", s'écriait un des juges, ravi de cette touche énergique;

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d'autres, au contraire, gardiens plus austères du culte de la tradition, se demandaient, effrayés par tant d'audace, s'il ne fallait pas exclure du concours le logiste réfractaire qui, au mépris du règlement, n'avait pas craint d'apporter des modifications manifestes dans l'agrandissement de son esquisse. La victoire n'en demeura pas moins à Regnault, victoire mémorable et qui offrit l'occasion de ce spectacle inattendu le verdict de l'Institut trouvant un écho dans les jugements delà critique. Quel était donc l'objet d'un accord si rare, d'applaudissements si unanimes Une peinture incomplète, heurtée, où ne se reconnaissent ni le don des ordonnances, ni le sentiment de l'harmonie, et à laquelle l'invention charmante d'un seul personnage suffit à donner un suffisant attrait. Entre les deux parties de la composition, différentes par le style comme par la pensée, aucun lien. Ici un

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groupe banal, sans nouveauté, triste réminiscence des doctrines de M. Lamothe; là, au contraire, une figure trop grande sans doute pour le cadre, mais si gracieuse qu'un artiste de distinction la pouvait seul concevoir. Achille, tenant encore embrassé le corps de Patrocle, s'est relevé à demi, ivre de colère, les poings crispés, la bouche frémissante, les yeux avidement fixés sur les armes que lui présente sa mère, apparue comme une éclatante vision. Droite, avec le geste tranquille et majestueux d'une déesse, elle tend d'une main le casque fouillé de sculptures polychromes et de l'autre replie la draperie qui laisse voir l'azur de la mer et du ciel; ses bras et sa poitrine sont nus; les rayons caressent, en se jouant, l'or de ses cheveux; sa robe, que serre à la taille une ceinture du bleu le plus tendre, est faite d'un tissu gris violacé dont la délicatesse se trouve mise en valeur


par le manteau orangé qui complète l'ajustement de la Néréïde. Pour la combinaison des couleurs, dit M. Paul Mantz, cette figure de Thétis et toute cette portion du tableau appartiennent à l'ordre des choses raffinées et exquises. Et M. Ph. Burty, sans démentir ces éloges, signalait de son côté cette parure, cette foule de petits bibelots qui annonçaient les préférencesdu décorateur Si nous nous sommes étendus si longuement, à la suite de M. Roger Marx, sur le tableau de la Thétis, c'est qu'il marque certains côtés encore insoupçonnés du talent de Regnault. L'artiste y montre son penchant à saisir avant tout l'aspect extérieur des choses plutôt que leur caractère intime le côté chatoyant des accessoires, si souvent admiré chez Véronèse, le séduit et l'arrête il se com-

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plaît à ce qui brille, il aime raconter par le menu, il est descriptif, par conséquent décorateur. Il manifeste plus nettement encore cette tendance dans les menus travaux qu'il exécute, en attendant son départ pour l'Italie. Ce sont des natures mortes et des panneaux d'une richesse ornementale et d'une préciosité d'exécution singulières; souvent il prend comme collaborateur, pour ses travaux, un camarade d'atelier, Georges Clairin, ami très cher, qui combattait à ses côtés, quatre ans plus tard, quand une balle prussienne vint frapper en plein visage le noble artiste. Henri Regnault n'est pas encore connu du grand public, mais ses professeurs l'ont deviné et l'estiment, ses camarades proclament sans jalousie"qu'il ira loin Son père lui-même, si peu favorable à la peinture, ne peut plus nier qu'un brillant avenir s'ouvre devant son fils

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le prix de Rome, si magistralement enlevé,

l'a un peu réconcilié avec une profession qu'en son âme de chimiste il a toujours tenue pour peu sérieuse, mais il inflige au jeune peintre un long chapelet de conseils sur la vie de travail qu'il devra mener à Rome pour justifier d'aussi brillants débuts. Regnault n'a pas besoin d'être aiguillonné. C'est un laborieux et un passionné de son art. Dans son atelier, il s'enferme la journée entière, dessinant sans trêve les modèles qu'il y convoque ou les objets destinés à des panneaux décoratifs. Quand il veut faire du paysage, il est à la tâche dès l'aurore et ne s'en arrache qu'à la tombée du jour. D'autres fois il continue à peindre tout en mangeant, car il est ambidextre et se sert même plus volontiers de la main gauche que de la main droite. Regnault n'est pas seulement un peintre d'avenir; rien de ce qui touche les choses de


l'esprit ne le laisse indifférent; la souplesse de son esprit lui permet de tout s'assimiler avec une grande facilité. Sculpteur et lithographe à ses heures, il a aussi la passion de la musique; il possède un beau talent de chanteur et sa belle voix, expressive et chaude, va bientôt faire les beaux soirs de l'école de Rome. Il apprend les langues étrangères avec une rarefacilité en voyage, il déchiffre aisément les inscriptions anciennes; il est aussi poète, et même assez bon poète. Quant à l'écrivain, nous pourrons le juger bientôt dans ses lettres écrites d'Italie, missives sans prétention, familières, mais alertes, incisives, colorées, primesautières, aussi remarquables par les qualités de style quepar l'originalité des impressions. A cette époque, Henri Regnault est un grand garçon robuste, mais cette vigueur il la doit à son énergie et à l'exercice constant de la

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gymnastique grâce à laquelle il a transformé son corps naturellement chétif en un corps résistant, d'une vigueur et d'une agilité surprenantes. H. Cazalis raconte que son atelier à Paris, à Rome, à Tanger, aurait pu sembler un gymnase somptueusement décoré; des cordes, des échelles, des trapèzes, pendaient au plafond et l'on se heurtait çà et là à des haltères énormes, à effrayer tout autre que lui

L'atelier de Regnault a laissé une impression ineffaçable dans l'esprit de tous ceux qui ont pu y pénétrer. M. Duparc, un de ses meilleurs amis, nous en a laissé une pittoresque

: Étoffes

description

précieuses, tapis, objets curieux de toute sorte, tables couvertes de gibiers et de poissons, attendant l'heure où Regnault les transportera sur la toile, tout cela était onfondu dans un indescriptible chaos. Et


chaque jour voyait se renouveler cette bizarre collection. L'esprit aussi trouvait là des distractions variées; l'art y était aimé et cultivé sous toutes les formes et la musique avait ses heures comme la peinture. Que de fois brosses et couleurs furent soudain abandonnées quand entrait un ami musicien. Nous nous groupions autour du piano, écoutant une sonate de Beethoven ou une partition de Wagner, magistralement exécutée par SaintSaëns; nous unissions nos voix pour chanter en chœur les grandes scènes de l'Orphée, de Gluck, ou bien encore nous nous taisions pour laisser Regnault, de sa voix douce et si pénétrante, nous dire quelque mélodie nouvelle ou quelque cavatine italienne.


LE SÉJOUR A ROME ET EN ESPAGNE

Enfin sonne l'heure du départ pour la villa Médicis. Regnault quitte Paris le 2 mars 1867. Pour connaître ses impressions de route et de séjour il n'est pas de meilleur guide que la correspondance même dujeune artiste, dont nous avons déjà parlé. Avec sa nature expansive et bouillonnante, il ne peut garder pour lui seul ses enthousiasmes, ses préférences, ses déceptions; il s'épanche familièrement dans les longues lettres qu'il écrit à son père, à ses proches, à ses amis. Grâce à elles le secret de ses pensées, la source des affinités, la genèse des projets de l'artiste se trouvent dévoilés: chacun de ses tableaux apparaît depuis le moment même de la conception jusqu'à l'heure du complet achèvement et on


peut suivre, à travers les différentes phases de l'exécution, les doutes, les défaillances, ces alternatives de mécontentement et d'espoir qui font de toute création de l'esprit quelque chose de délicieux, mais de si déchirant. Dans cette correspondance précieuse nous trouvons notée, presque au jour le jour, l'existence du peintre. Voici d'abord ses impressions de route Marseille, la cité active et pittoresque, le séduit du premier coup; il donne de cette ville, ainsi que de la célèbre route de la Corniche, des descriptions enthousiastes et colorées qui feraient honneur à un écrivain de race. Puis c'est le contact de l'Italie, qui fait frémir d'allégresse l'âme de décorateur qui sommeille en Regnault: les belles architectures de Gênes le transportent d'admiration. A Florence, nous le trouvons extasié devant les merveilles des Offices et du palais Pitti; il entonne en l'honneur de Michel-

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lAnge, un cantique exalté qu'il reprendra par a suite sur un ton encore plus élevé Raphaël l'intéresse également, mais ce qui le frappe surtout c'est le Persée, de Benvenuto Cellini. Rien que le casque et la coiffure sont déjà un merveilleux chef-d'œuvre. M. Roger Marx constate que cette exclamation renferme en germe toute l'esthétique du futur auteur de Salomé et le penchant qui le pousse, à ses débuts mêmes, à confondre l'originalité avec l'étrange, à préférer l'éclat superficiel du pittoresque à la simplicité expressive et profonde Le voici à Rome. L'impression première est celle d'un profond désenchantement. La Ville éternelle ne correspond pas à l'idée grandiose qu'il s'en est fait. Tout lui paraît mesquin, rapetissé, étriqué. Eh quoi! c'est donc là la ville des Césars, la cité qui domina le monde On est constamment surpris des dimensions moyennes de ces édifices

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auxquels l'imagination prêtait une grandeur en rapport avec les souvenirs qu'ils rappellent l'arc de Titus a l'air d'un joujou à côté de l'arc de Titus qu'on s'était construit dans la tête. Cette voie triomphale qui conduit au Capitole par tant de détours et suit des mouvements de terrains si brusques, n'étonne que par son peu de largeur et toutes ses sinuosités. La basilique de Saint-Pierre ne l'enchante pas davantage. Façade et place lui paraissent de proportions médiocres et dépourvues de majesté. Toutefois son œil d'artiste, ouvert à toutes les magnificences, brille d'une flamme heureuse quand il voit, le jour de Pâques, le merveilleux spectacle du pape laissant tomber sa bénédiction, urbi et orbi, du haut de la loggia centrale, sur le peuple agenouillé dans l'immense place, et il reconnaît que la procession des évêques de tous pays avec

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PLANCHE V.

PAYSAN DE LA MANCHE

(Musée du Louvre)

Henri Regnault, grand voyageur, avait longuement visité l'Espagne. Dans ce pays, comme en Italie, il ne marchait que muni de son album et de ses crayons et il notait d'un trait rapide les scènes pittoresques de la rue ou les types originaux. C'est une esquisse de ce genre, largement aquarellée et dessinée d'une main vigoureuse et sûre d'elle, que nous donnons ici. L'homme qui, du premier jet, campait de tels portraits, serait monté, sans la brutalité du Destin, au faite de l'art.





leurs mîtres blanches, dominée par le pape, porté sur un dais rouge imprime tout de même à la basilique, par moments, un aspect mystérieux et imposant Quoi qu'on puisse penser de ces opinions, qu'un plus long séjour à Rome ne modifiera guère, Regnault ne les exprime pas de partipris. Il prend la peine de se contrôler, il étudie, il examine, il parcourt quotidiennement les églises, les ruines, les musées. Pendant les six premiers mois, il abandonne complètement sa tâche de peintre et n'entreprend aucun travail. Comme son père, toujours inquiet, le morigène sur ce qu'il appelle sa paresse, il répond qu'il est pour lui de nécessité absolue de posséder une idée générale sur l'art italien et qu'il n'entend pas agir comme tels de ses camarades qui arrivent à la villa Médicis pour se confiner dans leurs ateliers, d'où ils sortent, au bout de cinq ans, sans connaître seulement la cour

",


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de Saint-Pierre ou la chapelle Sixtine Il montre une activité surprenante il apprend en même temps l'italien, l'espagnol, l'anglais le matin il monte à cheval, l'aprèsmidi il visite les galeries et court la ville jusqu'à l'heure du dîner le soir, il va dans les théâtres, les concerts, ou, s'il reste avec ses camarades de la Villa, c'est de préférence avec les musiciens. Il est enthousiaste de la campagne romaine qu'il parcourt à cheval avec un sculpteur de ses amis, Renaudot, devenu plus tard le mari de Maria Latini, l'original de la Salomé. La campagne romaine est merveilleuse c'est elle qui m'impressionne le plus vivement. Et la Chapelle Sixtine! Pour moi il n'y aurait pas besoin d'autre chose à Rome. Ilne trouve pas d'expressions assez enflammées pour célébrer le génie de Michel-Ange, dont la prodigieuse force le plonge dans la stupeur

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Je suis broyé, s'écrie-t-il, ce géant de Michel-Ange me laisse à moitié mort. C'est un coup de foudre que ce plafond, c'est un vrai cauchemar. En tombant du cinquième, on ne se ferait pas plus mal; c'est trop beau. Il aime Raphaël aussi, moins cependant que l'auteur du Jugement dernier. C'est encore un fameux géant que le Raphaël des Stanze et un autre homme que celui des Madones et des Enfants-Jésus. Dans la Dispute du SaintSacrement, dans Héliodore chassé du temple, dans la Messe de Bolsène, il est complet en tout et aussi coloriste que n'importe qui. Pourtant qu'on n'aille pas aux Stanze en sortant de dessous le plafond de la chapelle Sixtine, parce qu'alors, il n'y a pas à dire, Raphaël est obligé de descendre d'un échelon. Après quelques mois passés à parcourir Rome et l'Italie, il demande et obtient un congé de six mois pour venir à Paris, pendant


l'Exposition universelle. Il n'y perd d'ailleurs pas son temps. C'est pendant cette période qu'il exécute cette admirable série de portraits au crayon ou au fusain, peut-être supérieurs à ses tableaux. Ce sont les portraits de M. et

F. D., de M. A. H., de Mme L., celui de M. Bida appuyé sur une chaise, de la vicomtesse L. à cheval, de Mlle Nelly Jacquemart, de M. Bréton et de sa fille, dessins serrés, vigoureux, d'une touche légère et sûre en même temps, qui faisait dire à Regnault lui-même — Ah! si je savais peindre comme je sais dessiner, je serais bien heureux Ses dessins sont, en effet, d'une rare valeur, les dons les plus précieux de l'artiste y apparaissent. Verve vigoureuse, vision prompte et pénétrante, science de la forme, diversité et complication inattendue des moyens, célérité et certitude de main, ses qualités se concilient, se fortifient, s'échauffent au point de faire de Mme

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ces croquis, enlevés en deux heures, des productions complètes, définitives, malgré le négligé de certaines parties, malgré la facture sommaire, mais significative, des vêtements et du corps volontairement sacrifiés dans le but de concentrer surla tête toute l'attention. L'indiscutable individualité de ces dessins, qui les rend reconnaissables entre mille au premier examen, les place spontanément dans notre mémoire sinon au dessus, du moins à côté de ceux d'Ingres (R. Marx). C'est également pendant son séjour à Paris que Regnault, puisant à la source infinie de ses cartons, fournit une série de vingt-sept dessins pour à illustrer l'ouvrage de Francis Wey Rome, descriptions et souvenirs. Dans ces croquis légers, spirituels, enlevés à la pointe du crayon, au coin des carrefours de Rome, l'artiste s'est montré sous un jour pittoresque infiniment intéressant, à la fois paysa-

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giste et peintre de genre et même humoriste par endroits. Ces dessins rapides, exécutés sur commande et dans un temps très court ne peuvent se comparer, bien entendu, à ses œuvres peintes, mais on ne peut qu'admirer la verve de ces improvisations où l'artiste met en scène les cardinaux, les lazzaroni, les mendiants, les muletiers, les contadini, les cortèges pontificaux, enfin tout ce qui donne à l'Italie sa couleur et sa saveur. Mais il peint aussi il exécute un magnifique portrait de Mme Duparc, la femme de son ami et il expose au salon le portrait deMmeA. F. D., qui obtient d'unanimes suffrages. Pour une lois les critiques les plus divergents d'opinion, Théophile Gautier, Paul Mantz, Charles Blanc, Paul de Saint-Victor, Olivier Merson, Charles Clément s'accordent pour saluer le beau talent de Regnault. Le congé est expiré il faut rentrer à Rome,

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PLANCHE VI. — FEMME ESPAGNOLE (Musée du Louvre)

C'est encore une silhouette prise sur le vif, au tournant de quelque rue d'Espagne, Qui est cette dame à mantille dont on n'aperçoit pas le visage? Sans doute, une senora surprise par le peintre au moment où elle se rend a quelque église ou en visite. Ce qu'il faut admirer, c'est le tour de force accompli par le peintre d'intéresser à cette anonyme par la vertu de ce don rare qui s'appelle la sincérité.





et préparer son premier envoi à l'Académie. Cet envoi, c'est son Automédon, page fougueuse, emportée, violente, qui trahit chez ce peintre de vingt-cinq ans un rare tempérament et un sens peu commun du mouvement. Le sujet? Un homme nu maîtrisant de chacune de ses mains deux chevaux frémissants et qui se cabrent dans un prodigieux élan. Jamais peintre, pas même Géricault, n'a peint de plus nobles bêtes, ni mis autant de vie et d'éloquence à exprimer l'impétueuse fougue des chevaux. Et cependant l'Académie, en recevant cette page emportée et émouvante, se montra mécontente de tant d'audace et certainement elle aurait vertement tancé l'imprudent, si Pils qui, lui, admirait la toile, ne s'était avisé de dire à ses collègues — Lequel de vous, Messieurs, serait capable d'en faire autant? Regnault avait repris à Rome son existence

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habituelle, mais il s'adonnait avec plus de ferveur que jamais à l'équitation. Cet engouement faillit lui coûter la vie. Ayant voulu dompter le cheval noir qui lui avait servi de modèle pour l'Automédon, il fut un jour emporté par la bête furieuse et jeté contre un tombereau. Gravement blessé à la tête, il fut assez longtemps malade, et il résolut d'aller se rétablir en Espagne, où devait le rejoindre le fidèle ami Clairin. Il quitta Rome le 6 août 1868. A peine a-t-il mis le pied sur la terre espagnole, Regnault est saisi, charmé, conquis. Il ne retournera plus qu'avec humeur dans cette Italie qu'il n'aime pas et qu'il ne trouve ni assez lumineuse, ni assez vibrante, ni surtout assez sincère. Ici, rien de truqué ni d'artificiel: la lumière a des violences inouïes, qui fait éclater un sol tourmenté, sauvage, coupé d'oasis pleines de fleurs et de fraîcheur ici, c'est la

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fanfare du soleil exaltant les haillons du mendiant comme les soies brochées de la grande dame, surchauffant les têtes, avivant de ses feux le sang qui ruisselle dans les corridas. L'Espagne, c'est le pays rêvé pour cet artiste impétueux, toujours fasciné par la splendeur extérieure et théâtrale des choses. L'art espagnol l'empoigne avec non moins de force. Ribera, Greco, Velazquez le plongent dans des enchantements. Il proclame Velazquez le premier peintre du monde Le hasard lui fournit à foison ce pittoresque qu'il est venu chercher en Espagne. Il est à peine arrivé qu'il tombe en pleine révolution. Avec son ami Clairin, il se trouve mêlé à la populace en armes qui a envahi la Puerta del Sol et il assiste à la fuite de la reine, au triomphe du général Prim. Comme il prend le croquis de la scène, les insurgés l'entourent, il montre ses dessins, et du premier coup, il


devient populaire. Les deux amis courent les cabarets, les corps de garde, les bivouacs, notant, observant, dessinant, à la grande joie des révolutionnaires amusés. Cette faveur générale lui vaut la commande du portrait équestre du général Prim. C'est une occasion pour lui de réaliser une belle œuvre et il se met au travail avec ardeur. Il commence par camper son cheval on met à sa disposition les écuries royales etun manège où il s'applique à surprendre l'arrêt brusque d'un cheval en mouvement. Pour peindre Prim, devenu maréchal, les choses se compliquent davantage. Son modèle, accaparé par les affaires, ne lui accorde aucune séance de pose; il doit saisir ses traits au vol, à son passage dans un couloir ou pendant qu'il travaille dans son cabinet, mais jamais le fameux agitateur ne condescend à s'immobiliser une minute.

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Regnault ne réussit pas moins, dans ces conditions défavorables, à exécuter un portrait ressemblant et à écrire cette page magistrale, émouvante, un peu théâtrale, mais solide, puissante, qui restera le plus beau titre de gloire de l'artiste. Prim s'enlève magnifiquement, dans une pose triomphale, sur le fougueux cheval noir qui plie sur les jarrets, et la foule des partisans qui l'acclame achève de donner à cette toile l'éloquente signification d'une page d'histoire. Le tableau terminé, le maréchal Prim consent à le venir voir dans l'atelier de Regnault. A la stupéfaction de tous, il se montre mécontent, presque irrité. D'un ton sec et hautain, il articule ses critiques — Vous m'avez représenté à la tête de bandits, en homme indécent qui ne s'est pas lavé la figure. Vous m'avez donné vingt ans de trop. J'ai l'air d avoir peur. Pourquoi ce

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manque de tenue, ces cheveux en désordre etc., etc., Les assistants sont consternés; Regnault est près de s'emporter, mais il se contient et, très digne, il écrit dès le lendemain à Prim qu'il est résolu à n'appôrter aucun changement à son œuvre et qu'il le prie d'oublier ce portrait comme un mauvais rêve Ce mécompte n'a cependant affecté en rien son amour pour l'Espagne, qui ne fait que grandir. Son album s'enrichit de croquis, de scènes prises partout, dans la rue, dans les tavernes louches, aux courses de taureaux, dans les torils, dans la campagne. Et c'est une moisson de dessins enlevés, ou d'aquarelles largement traitées, où l'on voit défiler toute la vie espagnole. Il faudrait peut-être consacrer à ces esquisses plus de temps qu'aux tableaux même de Regnault, car il y a mis toute son âme, toute sa promptitude de vision,

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PLANCHE VII. — UNE PORTE DE L'ALHAMBRA (Musée du Louvre)

Henri Regnault, attire par les pays de soleil, affectionnait l'Espagne et Plus particulièrement l'Andalousie, qui flattait sa passion de la couleur et de la décoration. Les architectures mauresques de l'Alhambra et du Generalife, les mosaïques éclatantes, les céramiques polychromes ravissaient l'artiste qui emporta dans ses albums le souvenir de cet enchantement, traduit en d'inoubliablesaquarelles comme celle représentée ici.





toute sa spontanéité de main. La plupart de ces pochades sont des chefs-d'œuvre, tel ce magnifique Paysan dela Manchereproduit dans ce volume et qui est une merveille de vigueur et d'observation. C'est pendant ce séjour en Espagne qu'il peint ce délicieux portrait de la Comtesse de Barck où Regnault se manifeste sous un aspect tout particulier. Nous sommes loin de la manière large et fougueuse employée dans le GénéralPrim. C'est l'adresse remplaçant la force, l'habileté réfléchie, artificieuse, entravant le développement spontané de l'instinct, c'est la transition entre sa première manière et celle d'dù sortiront la Judith, la Salomé et l'Exécution sansjugement. Les recherches continuelles de tonalités inédites, le souci de la juxtaposition des nuances allaient absorber toutes ses facultés au détriment de l'idée, des sentiments, de l'indépendance de l'œil et de


la main. Dans ce joli portrait, Regnault s'est ressouvenu de Watteau et de Goya et il fait détacher, sur les palmes d'une vieille tapisserie, le charmant modèle, coiffée d'une dentelle noire et vêtue d'une robe rose. Dans le fini précieux des chairs, qu'accuse la facture délibérée des accessoires et des vêtements, se reconnaissent toutes les subtilités d'un aquarelliste de profession et aussi de mesquines préoccupations, jusqu'alors ignorées de Regnault. Lorsque ces deux toiles parurent côte à côte au Salon de 1870, la critique nota ces deux manières et se montra assez réservée pour la seconde. Comment peut-on faire à la fois si majestueux et si mignon? demandait M. Aubryet dans un article qui résumait parfaitement l'impression générale. Malgré sa prédilection pour l'Espagne, Regnault doit rentrer à Rome où l'appellent


les exigences de son deuxième envoi. Dès l'arrivée, il s'y ennuie. Il y a trop de mendiants, de guides, d'étrangers, et pas assez de soleil. Rome lui paraît éclairée par une veilleuse Pour se distraire, il se plonge à corps perdu dans l'exécution de Judith et Holopherne, sujet de son envoi. Il y travaille avec ardeur, mais sans conviction. Le sujet ne le porte pas. Au surplus Regnault, peintre des choses extérieures, amôureux du pittoresque et du brillant, ne saurait descendre jusqu'au fond des grands événements bibliques pour dégager le sentiment intime d'un drame ou d'un geste. La vie, le caractère, le style sont absents de cette composition, dont le moindre défaut est de répéter l'ordonnance de la Thétis. C'est vers cette époque que Regnault commença les premières études pour la Salomé. Plusieurs critiques ont cru, parce que l'artiste avait apporté de Tanger cette toile terminée


qu'elle avait été peinte en Afrique. Il n'en est rien. Salomé n'est pas Africaine, mais authentiquement Italienne. Ce n'était pas un modèle de profession mais une jeune fille de quinze ans, Maria Latini, fiancée du sculpteur Renaudot, qui permit à son ami de la peindre pour une Salomé. Regnault avait discerné au premier regard, dans cette beauté irrégulière, dans ces regards profonds, un peu inquiétants, tous les caractères qu'il rêvait de donner à son héroïne. Peu de tableaux ont été plus vantés que celui-là, au moment où il parut au Salon de 1870. Le public se passionnait pour cette figure étrange, qui ne rappelait Salomé que par les attributs, mais qui séduisait par son étrangeté même et par l'extraordinaire recherche de tons à laquelle s'était livré Regnault. Les critiques eux-mêmes prennent d'incontestable feu. Edmond About parle Théophile Gautier s'écrie chef-d'œuvre

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Prim, c'est toute l'Espagne Salomé, c'est tout l'Orient Albert Wolff et René Ménard gardent plus de sang-froid. Le dernier écrit Il ne faut pas demander à cette Salomé plus que la première sensation, qui est vive et piquante; la réflexion et le sentiment sont absolument étrangers à cette peinture. Ce n'est pas du grand art, c'est un grand talent. Un autre, plus méchant, déclare C'est de la peinture de fils de chimiste; il a pris ce jaune de chrome dans le laboratoire de son père. La vérité est entre ces opinions extrêmes: que cette Salomé ne soit pas, comme symbole, d'une grande profondeur, qu'elle ne donne, de l'une des plus inquiétantes figures de l'histoire, qu'une idée assez futile et superficielle, il se Peut bien. Mais aucun œil sensible à la magie de la couleur ne saurait demeurer indifférent devant ce prestigieux morceau de virtuosité, devant la somptueuse harmonie de ces tons

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véhéments audacieusement assemblés et davantage encore ceux qui attachent du prix à la probité de l'exécution, aux qualités de métier, demeurent émerveillés devant les mérites de cette peinture ferme, aisée, de ces pâtes pétries pour l'éternité. C'est un chefd'œuvre de technique, chatoyant, insensible à la griffe du temps comme une gemme. Il n'est pas moins vrai que cette manière précieuse et finie n'est que la petite monnaie du Général Prim qui l'emporte de toute sa fougue et de toute sa largeur. Cette toile célèbre de Salomé figura au Salon de 1870, où Mme de Cassin s'en éprit et l'acheta elle passa ensuite dans la collection Doucet et, à la vente de cette collection, en 1912, les amis du Louvre, par l'intermédiaire de M. Leprieur, en poussèrent l'enchère jusqu'à 385.000 francs, mais elle resta finalement aux mains de M. Knoedler, marchand de

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PLANCHE VIII.

L'EXÉCUTION SANS JUGEMENT (Musée du Louvre)

Cette composition dramatique est la dernière œuvre d'Henri Regnault.

C'estencore une vision de l'Andalousie au temps des Maures. La couleur enestun peu froide, mais la composition est harmonieuse et le dessin y a cette vigueur qui faisait Regnault l'un des plus savants maîtres du crayon malgré son jeune âge.de Comme dans toutes ses précédentes oeuvres, l'artiste se montre dans celle-ci décorateur de premier ordre.





tableaux, qui l'acquit contre M. Mir pour la somme d'un demi-million. Dès qu'il a expédié à Paris sa Judith, Henri Regnault se hâte de quitter l'Italie et son ciel fétide pour regagner l'Espagne. Cette fois, il ne se borne pas au séjour de Madrid, il parcourt la péninsule du nord au midi et finit par arriver en Andalousie, la terre prestigieuse des rois Maures. Comme toujours son ami Clairin l'accompagne; ils voyagent à leur fantaisie, tantôt à pied, tantôt à dos de mule et, un jour, du faîte d'une sierra, leur apparaît Grenade la plus belle des plus belles, la Grenade au ciel de lapis, aux tours et forteresses rosées et, l'Alhambra en or, argent, enfin en tout ce qu'il y a de plus riche au monde Ce contact avec l'Orient cause un véritable éblouissement à Regnault; son âme de décorateur exulte; il s'enivre de cette lumière qui


s'émiette"en poussière d'or, sur les chaudes lueurs roses des murailles et les reflets verdacés et bleuâtres de faïences vernies il admire encore et sans cesse les corniches, les marbres, les plafonds, les bassins de jade, la courbe capricieuse des portes et des fenêtres, la dentelle précieuse des sculptures et des inscriptions. Le pinceau en main, il va partout, s'arrête partout, car il voudrait tout copier, tout peindre et il jette à grands coups sur son

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album ces aquarelles précieuses, qu'il ne considérait que comme documents et qui sont classés par la postérité parmi les chefsd'œuvre. A l'intention de son père, directeur de la Manufacture de Sèvres, il peint les portes célèbres de l'Alhambra ainsi que les plus curieux spécimens de la décoration arabe. Pour lui-même il accumule les dessins, dans l'espoir de s'en servir bientôt et déjà son esprit


conçoit le tableau qu'il va peindre, cette Exécution sans jugement qui sera sa dernière œuvre. De l'Andalousie au Maroc, il n'y a qu'un pas. Regnault, accompagné du fidèle Clairin, passe le détroit. Le voici à Tanger et aussitôt, il subit l'empire de la ville africaine comme il avait subi l'empire de Grenade. Cette fois, c'est bien l'Orient, le vrai, et l'artiste en veut jouir pleinement. Il achète une maison, engage des domestiques, garnit les murs et le sol de lourds tapis, de riches étoffes, de fusils incrustés, de meubles rares, de harnachements marquetés d'argent et d'or, de coussins brodés, etc. Quand l'installation est terminée, il songe à peindre: il réalise enfin cette Exécution sans jugement qui le hante et qui est en réalité une peinture de cauchemar. Ce n'est pas le meilleur morceau de Regnault et devant cette œuvre encore, qui voudrait être dramatique, on n'éprouve ni émotion, ni angoisse, ni pitié. On


admire ce qui est admirable, c'est-à-dire les trouvailles de couleur, les virtuosités de technique, la sûreté presque sèche du dessin. Nous le retrouvons plus spontané, plus vrai, meilleur par conséquent, dans le Départ pour la fantasia, charmante toile pleine d'allure et de mouvement, et surtout dans la Sortie du Pacha, à Tanger, où il s'est élevé jusqu'au style et jusqu'à la noblesse de la composition. LA FIN PRÉMATURÉE ET GLORIEUSE.

Henri Regnault est heureux à Tanger et ne songe pas à le quitter. Il a près de lui les amis chers à son cœur, il semble que rien en doit troubler la quiétude de cette laborieuse

retraite. Mais un coup de tonnerre vient éclater soudain dans ce calme lumineux. La guerre est déclarée entre la France et la Prusse.


A cette nouvelle, le sang bouillonne dans les

veines ardentes du jeune artiste; son patriotisme se révolte à l'annonce des premiers désastres. Il pourrait demeurer tranquillement à Rome, sa qualité de pensionnaire l'exemptant de tout service. Mais il n'y songe même pas. Il est du devoir de chacun de marcher et de soutenir honorablement son titre de Français ", écrit-il à son père. La détresse de la patrie le soulève On bat maman, je vais la défendre, dit-il en reprenant un mot célèbre. Il consulte le fidèle Clairin sur la conduite à tenir. L'accord est bientôt fait. Un mois après, les deux amis s'engagent dans un corps franc, puis au 69e bataillon de marche. En même temps que Clairin, il retrouve, sous le harnais de guerre, Boulanger, Baudry et quelques autres pensionnaires de Rome plus âgés que lui. Regnault prend part à tous les combats qui se livrent autour de Paris il remplit son

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devoir de soldat avec une ardeur généreuse et une foi passionnée; il refuse même le grade de sous-lieutenant afin de n'esquiver aucune des corvées du rude métier de combattant. Les désastres qui s'accumulent ne peuvent abattre la fermeté et l'entrain du peintre soldat; il court au feu avec enthousiasme, toujours alerte, et sans que jamais aucun abattement le vienne décourager. Puis, c'est le siège de Paris. Le gouvernement tente des sorties mal préparées, mal conduites et qui n'aboutissentjamais. Pourtant, le 19 janvier, un nouvel effort est fait pour débloquer la ville. Des troupes sont dirigées sur Buzenval, qu'il s'agit d'enlever. Regnault et Clairin font partie de l'expédition. On se bat tout le jour, et le soir on se retrouve au même point que le matin. Une fois de plus, la sortie est manquée. L'ordre arrive de se replier. Regnault, excité


par tout une journée de lutte, dit à Clairin : — J'ai encore des cartouches dans ma giberne. Je veux les tirer! Son ami essaye vainement de le retenir. Regnault s'enfonce dans la nuit. Il ne devait

plus revenir. Le lendemain, on le ramassait sur le champ de bataille, la tête trouée par une balle Ainsi mourut, glorieusement, des artistes un les mieux doués du siècle dont les premiers et essais promettaient un maître à la France. L'œuvre d'Henri Regnault s'enferme tout entière dans un espace de quatre années. Peu considérable par le nombre des toiles, elle est d'une importance capitale par la valeur, par la tendance personnelle, par l'effort d'affranchissement dont elle témoigne. Il avait le don, sans lequel le travail plus opiniâtre ne conduit qu'à l'honnête médiocrité l'imagination, la fougue, la hardiesse, et cette faculté de

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découvrir à première vue le côté neuf et particulier des choses. C'était une nature, un tempérament et un esprit de peintre lettré. Il voyait l'âme de la couleur là où les autres n'en voient que le corps, et il savait reconnaître sous les disparates apparences les secrètes affinités des nuances. Nul mieux que lui ne comprenait l'exotique séduction des barbaries pittoresques et n'était plus profondément entré dans l'idéal de l'Orient. Et l'on doit d'autant plus déplorer sa mort prématurée que sa vie et son œuvre, poursuivies normalement, n'auraient pas manqué d'imprimer une direction nouvelle au mouvement de l'art. Il fut un noble et bel artiste dont la vie honora la peinture et dont la mort honora le pays.










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