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Egyptair et Ethiopian Airlines, les meilleurs ennemis

Les tensions récurrentes entreLeCaireetAddis-Abeba n’empêchent pas le numérodeuxdusecteur aérien continental de collaborer avec son puissant rival.

L«eprincipal atout d’Egyptair ?Cesont lespyramides»,sourit JeanAdadevi, consultant chezLufthansaSystems.Àla différenced’Ethiopian,premièrecompagnieafricaine,lepavillonégyptien, quiafaitvoler9 millionsdepassagers en2022,n’estpasparvenuàs’imposer en tant quehub international.Pour preuve :letraficdetransitreprésente seulement25 %dutraficdel’aéroport international du Caire, contre 70 % pour celui de Bole,à Addis-Abeba, selonles données compiléespar le spécialiste Official Airline Guide (OAG).« L’Égypteestunproduitfort», assureYehiaZakaria, le tout nouveau PDGd’Egyptair,ancieningénieur aéronautiquedel’EgyptianAirForce, nommédébut2022àlatêted’Egyptair Maintenance &Engineering et porté àpeine dixmoisplus tardà la têtedu groupe.

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Ce sont ainsi 22 millions de voyageursqui ont atterri dans le pays en 2022, soit plus qu’avant la pandémie deCovid-19(20,8 millionsen2019).Et ceavantmêmeleretour,quis’annonce imminent, de la clientèle chinoise. Le Pays despharaons figureeneffet parmiles vingt destinations vers lesquelleslaChinea,le20 février,aautorisédenouveaulesvoyagesdegroupe pour ses ressortissants. Egyptair a doncrelancéenmarssesliaisonsvers Guangzhou, Pékin et Hangzhou. La compagnie restaureainsi sonniveau decouverturegéographiqueetdefréquence pré-Covid. «Nousavons déjà desretourstrèspositifs quant aux volumesderéservations»,sefélicite Zakaria, qui arépondupar écritànos questions.

Egyptair,qui afêtéses 90 ans en mai2022, estlaseulecompagnie africaineàpouvoir revendiquer une place auprès d’Ethiopian et de ses 136 avions (parmi lesquels 68 en propriété et 62 loués, selon CH-Aviation) au clubdes transporteursdeplus de 100 appareils (la compagnie en fait voler101,dont 72 en propriétéet 29 loués, selon la même source).

Complémentarités àexploiter Paradoxalement, alorsque Le Caire et Addis-Abeba sont àcouteauxtirés, notamment àcause du barragedela Renaissance –construit par l’Éthiopiesur le Nil malgrél’opposition de l’Égypte et du Soudan –, lesdeux compagnies, publiquesà100 %, font montre «d’autant de compétition quedecollaboration»,relèvel’ancien directeurdudéveloppementd’Airbus en Afrique Kwame Bekoe, désormais consultant. Toutes deux membres de Star Alliance, auxcôtés du groupe Lufthansa, de l’américain United ou d’Air China, ellesont en outrenoué desaccords plus poussés de partage de codessur deslignes spécifiques.

«Cepartenariat acommencé en 2010 pour permettreaux deux compagniesderenforcer leur présence en Afrique, au Moyen-Orient,en AmériquelatineetenEurope»,développeYehia Zakaria, selonlequell’accordconcerne principalementl’axe Addis-Le Caire. Il couvreaussi ce que le PDGqualifie de«pointsblancs» en Afrique,c’est-à-diredes destinations exploitéesparEthiopianmaispaspar Egyptair, comme Bujumbura, Ndola, LoméouHargeisa.«Nousavonsaussi conservé Kigali danslecontrat,après avoirouvertnotrelignedirectedepuis Le Caire, pour offrirànos clients davantage d’options et de flexibilité»,préciselePDG,pourqui cet accordest «unprocessus continu ».

La destinationSão Paulo,via AddisAbeba, aainsiintégré l’accord en novembre 2022, indiqueledirigeant.

Dansl’autresens,Egyptairpermetà sonpartenaired’offriràsesclientscertaines de ses destinations en Europe (Amsterdam, Athènes, Budapest) et au Moyen-Orient (Istanbul, Aman) via Le Caire. Pour Kwame Bekoe, les deux compagnies ont des complémentaritésàexploiter.Cettecoopérationrestenéanmoinsdiscrète :même des cadres dirigeants de la compa-

Malgré son habileté et son statut de challenger, Egyptair demeure loin des performances du leader.

gnie et des partenaires commerciaux assurent ne pas en être informés, et lesmoteursderecherchedebillets–y compris ceux des deux compagnies –proposent généralement d’autres possibilités que celles issues du partenariat sur les lignes citées.

Bâtir son propre réseau

Cependant, « les alliances ne bénéficient pas toujours aux deux parties. Elles peuvent même finir par coûter cher à l’un des partenaires si ces derniers sont en trop fort déséquilibre », prévient une source proche du dossier Laconcurrencerested’ailleursde mise.Ainsi,enoctobre 2020,Egyptair a signé avec Accra un MoU (« memorandumofunderstanding»,ouprotocole d’accord) pour la création d’une compagnie nationale ghanéenne, au nez et à la barbe d’Ethiopian, qui convoitait le contrat. Finalement évincé par Accra au profit d’Ashanti Airlines, Egyptair n’en continue pas moins d’essayer de bâtir son propre réseau africain. « Nous avons lancé récemmentdenouvellesdestinations en Afrique, à savoir Kinshasa, Douala et Moroni », indique ainsi Yehia Zakaria, selon lequel « d’autres lignes serontexploitéesàl’avenirenfonction de leur viabilité économique ».

À l’image de ce partenariat, la compagnie dont le logo est emprunté au dieu égyptien à la tête de faucon, Horus, démontre un savoir-faire certain en matière de realpolitik. En 2022, elle a ainsi su s’adapter à une autre donnée géopolitique : la guerre en Ukraine Bien que l’Égypte ait condamné l’agression russe lors des deux votes à l’ONU, Egyptair a augmenté ses dessertes vers la Russie En décembre 2022, elle a porté à deux ses vols quotidiens entre Moscou et Le Caire, et s’apprête à intensifier les liaisons directes vers les stations balnéaires de Charm el-Cheikh et Hurghada,surfantsurlesrestrictions croissantes imposées aux ressortissants russes par d’autres pays du monde. Une position pragmatique finalementconformeàcelledu Caire, qui, malgré ses votes exigeant de Moscou l’arrêt immédiat de la guerre, a rejeté à plusieurs reprises l’idée de sanctions,sadépendanceaublérusse demeurant très forte.

Côté tourisme, si l’attentat de Charm el-Cheikh, en 2015, contre l’Airbus A321de la compagnie charter russe Metrojet, revendiqué par l’État islamique, a mis un sérieux coup de frein à la présence de citoyens

Finances En Berne

russes en Égypte pendant plusieurs années, la restauration de liaisons directes entre les deux pays avait relancélamachine.OAGrecenseainsi 715000passagersaériensaudépartde la Russie et à destination de l’Égypte en 2021, et 667000 en 2022 – contre moins de 50000 en 2018

Reste que, malgré son habileté et son statut de deuxième compagnie africaine, Egyptair demeure loin des performances du leader continental, juge Jean Adadevi. « Il y a d’un côté une compagnie qui a toujours su se renouveler, se montre très sensible aux coûts et s’efforce de faire le maximum par elle-même, de la formation à la technique De l’autre, une structure plus lourde, dont l’organigramme dépend du politique et qui est très lente à prendre une décision, comme en témoigne par exemple sa transformation digitale relativement poussive. » Une manière de dire qu’il lui faudra plus que de la realpolitik pour parvenir à ses fins.

Combien la compagnie Egyptair coûte-t-elle à l’État égyptien? En tout cas, avant même la crise liée au Covid-19, les pertes étaient colossales: 105 millions d’euros en 2015, 251 en 2016, et même 1,1 milliard d’euros en 2019, selon CH-Aviation À côté, les 164 millions de pertes nettes de 2020 semblent presque anecdotiques. Des six dernières années pour lesquelles nous disposons de chiffres, 2018 est la seule qui s’affiche dans le vert, avec 48,7 millions d’euros de profit.

En novembre 2022, dans le cadre de discussions avec le FMI pour l’obtention d’un prêt de 3 milliards de dollars au sein du Mécanisme élargi de crédit (validé le 16 décembre), Hassan Abdalla, le gouverneur de la Banque centrale égyptienne, et Mohamed Maait, le ministre des Finances, avaient ainsi dû s’engager par écrit à faire un rapport annuel et un suivi trimestriel sur les stocks d’engagement et les paiements budgétaires concernant notamment les entreprises publiques, dont Egyptair.

« Les événements du Printemps arabe qui ont sinistré la région en 2011 ont rendu instable l’activité en Égypte, touchant notamment la compagnie aérienne. En 2018, l’environnement politique et économique plus stable a permis d’améliorer nos résultats », explique Yehia Zakaria, tandis que Jean Adadevi, consultant chez Lufthansa Systems, constate que « 2018 a été une année de boom économique qui a profité au tourisme mondial, en Égypte comme ailleurs ».« Après le Covid-19, notre stratégie est de nous concentrer sur la restructuration du réseau, la modernisation de la flotte et l’amélioration de nos services pour obtenir de meilleurs résultats; et cela s’est reflété au cours de l’exercice écoulé », poursuit Yehia Zekaria, qui annonce un chiffre d’affaires pour l’exercice 2021-2022 de 42,4 milliards de livres égyptiennes, soit 1,3 milliard d’euros. N.F.

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