#11 Le Magazine International de l'Art Numérique et de l’Innovation
www.digitalarti.com
NERI OXMAN ANTONIN FOURNEAU TÉLÉPRÉSENCE ET CRÉATION NUMÉRIQUE HACKER VS LIBRISTE CHRISTINE SCHÖPF ARS ELECTRONICA ZERO1 SCOPITONE
d i g i t a l a r t i # 11
LUMIÈRE, MOUVEMENT, ÉMOTION…
octobre-novembre-décembre 2012 - 6 € / 8 $ US
rAndom International
OCTOBRE/NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2012
SWARM @ Victoria & Albert Museum, rAndom International, 2010. © Courtesy Carpenters Workshop Gallery, D.R.
#11
SOMMAIRE 03 EDITO 04 NEWS
EDITO
infos, blogs et liens / Digitalarti.com
Bruce Sterling, lors de sa conférence à San José dans le cadre de la Biennale ZERO1, a parfaitement décrit notre immersion dans un environnement devenu numérique. De l’impression 3D jusqu’à la réalité augmentée, nous vivons dans de nouvelles esthétiques sans prendre le temps de les questionner ou de les remettre en cause. Réel et virtuel s’hybrident, ouvrant une perspective surréaliste, un panorama "hyperréel" sur le monde.
06 IN SITU New York : Bowery + Bitforms
07 CHRONIQUES Marshall McLuhan, Edmond Couchot, Jean-Yves Leloup…
08 ANTONIN FOURNEAU Water Light Graffiti…
10 NERI OXMAN storytelling et recherche de pointe en impression 3D
12 RANDOM INTERNATIONAL lumière, mouvement, émotion…
16 UNE QUESTION DE TEMPS les nouvelles frontières temporelles et culturelles de nos sociétés en réseau
20 LE DON D'UBIQUITÉ Lucifuge: téléprésence et création numérique
22 HACKER VS LIBRISTE comment les deux peuvent sauver le monde ?
24 CHRISTINE SCHÖPF interview
26 ARS ELECTRONICA retour sur l'édition 2012
28 ZERO1 l'identité culturelle de la Silicon Valley
LE MONDE SURRÉALISTE DE L’IRRUPTION DU DIGITAL DANS LE RÉEL
La télé-présence, dossier central de ce numéro, n’est déjà plus de la science-fiction. Nous sommes passés du Jet-lag au Net-lag. Toute activité de téléprésence est composée de plusieurs espaces-temps parallèles que l’on tente de synchroniser. Relier plusieurs "ici" à la vitesse de la lumière implique que l’on se retrouve également avec plusieurs "maintenant". Cet écart se mesure en fuseaux horaires et non en kilomètres. Les artistes reliés dans ce temps réel inventent de nouveaux modes de création, participatifs, collaboratifs, permettant aux publics des rencontres improbables, tel Maurice Benayoun avec sa nouvelle installation télévirtuelle, Tunnels Around the World. Ce nouveau numéro met à l’affiche également les œuvres de rAndom International, Neri Oxma, le Water Light Graffiti d’Antonin Fourneau en résidence dans notre artlab, des reportages sur ZERO1 aux États-Unis, Ars Electronica en Autriche, Scopitone en France, et la tribune de Louis Montagne qui affirme que le hacker peut-être sauvera le monde et la culture libre sera son arme. Dans la rubrique Mag du site Internet de Digitalarti, vous retrouverez des actualités ainsi que les archives des numéros précédents. N’hésitez-pas à nous faire vos commentaires et retours, ou à ouvrir votre blog sur notre plateforme communautaire car nous publions une sélection des articles en ligne dans chaque magazine. Bonne lecture et/ou écriture…
30 SCOPITONE 2012 Nantes au format numérique
ANNE-CÉCILE WORMS
32 AGENDA expositions, festivals…
digitalarti #11 - 03
DIGITALARTI NEWS
DIGITALARTI.COM Best of des dernières news de la communauté Informations, blogs, liens et news à retrouver sur le site la chaîne de l'Art numérique. Reportages, interviews, Art video, teasers… Découvrez l’exposition de rAndom International, à la Carpenters Workshop Gallery de Paris, jusqu’au 21 décembre. Fondé par Stuart Wood, Florian Ortkrass et Hannes Koch, rAndom International explore les comportements humains à travers des œuvres interactives et lumineuses. L’article central de ce numéro leur est consacré. < http://www.digitalarti.com/video/random_international >
Focus
EMPREINTES NUMÉRIQUES Le festival Empreintes Numériques est ouvert à toutes les formes d'expression des arts numériques : installations, performances, net-art, concerts… Né en 2007, Empreintes Numériques est une plate-forme de création, expérimentation et diffusion qui propose au public une rencontre intense avec les artistes du numérique. Ces rencontres explorent à chacune de ces éditions une thématique de l'univers numérique en résonance avec la société. La thématique est ainsi éclairée par les propositions artistiques programmées, tout en soutenant des œuvres audacieuses et des créations très grand public.
< http://www.digitalarti.com/fr/blog/empreintes_num_riques_0 >
Article CITY SONIC fête ses dix ans. Un article exclusif de Musiques & Cultures Digitales sur le festival City Sonic.
< www.digitalarti.com/m11_1 >
Agenda Biennale ZERO1 Cet événement, à la croisée de l'art et de la technologie, est l'un des plus significatifs
04 - digitalarti #11
LUCILLE CALMEL Lucille Calmel est une performeuse, metteur en scène, écrivaine, et web artiste française née le 10 août 1969 à Agen. Elle a vécu à Montpellier et vit depuis 2005 à Bruxelles en Belgique. Elle pratique la performance depuis 1990. Chercheuse d’écritures vivantes de la scène de théâtre à cette nouvelle scène de l’Internet, elle explore les dimensions performatives entre corporalités, vocalités, sonorités et textualités.
< http://www.digitalarti.com/fr/blog/lucillecalmel >
DORIANNE WOTTON Depuis l’enfance, je pratique de nombreuses formes de création. J’ai commencé la photographie en autodidacte en 2007. J’ai ensuite évolué vers la production de clips vidéo et le VJing. J’ai continué à me former “sur le tas” et développé une approche transdisciplinaire, en particulier avec des œuvres d’Art génératif (mélange de créations sonores et visuelles). Avec Exomène, nous créons une installation basée sur la musique générative et des images fixes, permettant l’interaction avec le public. Je fais aussi des performances mêlant lecture, vidéo et musique. < http://www.digitalarti.com/fr/blog/dorianne_wotton >
aux États-Unis. À travers des expositions, des performances, des discussions, il propose d'aller à la rencontre des artistes les plus novateurs de l'Art contemporain.
de particules, de ceux qui sortent le web du web, des opérateurs du virtuel augmenté, des objets communicants, des petits enfants des Nabaztag. < www.digitalarti.com/m11_3 >
< www.digitalarti.com/m11_2 >
Festival GAMERZ 08
Appel à projet / Empreintes Numériques #7
Le festival GAMERZ revient pour sa huitième édition à Aix-en-Provence, en octobre 2012. Cette année, près de 50 artistes internationaux, viennent présenter des installations multimédia dans six lieux culturels d’Aix-en-Provence.
De l'immatériel à l'hypermatériel, du virtuel au physique, voilà en quelques mots le thème de cette septième édition. Nous attendons pour la prochaine session de nos rencontres autour des arts numériques les propositions : des souffleurs d'antimatière, des ralentisseurs
< www.digitalarti.com/m11_4 >
Artistes
Festivals, Centres d’Art
Innovation
identifiant : lucille calmel
Le CDA fête 10 ans de programmation numérique
Lasersaur : une découpe-laser à faire soimême, créée par Nortd Lab
< www.digitalarti.com/m11_5 >
Le Centre des Arts d'Enghien-les-Bains fête 10 ans de création pour la saison 2012-2013.
"Side by side" de Dorianne Wotton.
< www.digitalarti.com/m11_9 >
Découvrez le teaser de la prochaine installation de Exomène et Dorianne Wotton actuellement en préparation.
Rêveries numériques #1 en images
Addie Wagenknecht et Stefan Hechenberger ont fondé en 2006 le Nortd Lab à New York. Mêlant art, science et design, ils ont à leur actif plusieurs réalisations récompensées par Eyebeam, MAKE ou encore l'université Carnegie Mellon.
Cette performance a été présentée à l'Open paris-villette, festival des scènes virtuelles en juin 2011.
Digitalarti et sa commissaire d'exposition Julie Miguirditchian ont proposé un pano- < www.digitalarti.com/m10_14 > rama d'œuvres d'arts numériques dans le < www.digitalarti.com/m11_6 > SnOil, écran en fluide magnétique parc Jean-Jacques Rousseau de Ermenonde Martin Frey Dernières productions dans le cadre ville sur le thème de la nature du 28 juin au Jouer sur les propriétés d'un matériau pour du projet "Melodiane" er l'utiliser comme moyen d'affichage d'un Le projet Melodiane est un projet global éla- 1 juillet. < www.digitalarti.com/m11_10> message. Au Artlab, Antonin Fourneau traboré dans la transversalité des médias, son Festival X Media Lab but est de faire exister une nouvelle Utopie X Media Lab est un festival autour des cul- vaille sur cette problématique avec de l'eau par le biais des canaux numériques. tures innovantes, permettant aux créateurs et de l'électricité pour créer des graffitis. Il y a quelques temps, Martin Frey s'est penSa réalisation sous forme de work in proet aux entrepreneurs de se rencontrer. ché sur ce sujet avec le ferrofluid, dans une gress est motivée par une réflexion pluriel- < www.digitalarti.com/m10_11 > installation nommée SnOil. le sur l’homme, l’environnement et la société dans l’avenir. Elle s’articule autour d’une fiction d’anticipation au caractère évolutif et réactualisable.
< www.digitalarti.com/m11_7 >
Les Nouveaux Mappings Le mapping n'est pas bien vieux, une petite dizaine d'années tout au plus. Son côté souvent spectaculaire, surprenant et le fait qu'il vienne au public, souvent dans la rue, plutôt que d'obliger le public à venir le voir dans des musées ou galeries, lui ont accordé un succès rapide.
< www.digitalarti.com/m11_8 >
Reportage dans le "désert numérique"
Depuis 3 ans, au début de l'été, St Nazaire le Désert sent fourmiller les pixels et les ondes. Désert Numérique investit ce territoire laissé pour compte des nouvelles technologies. < www.digitalarti.com/m10_12 >
Le Labo européen des festivals La seconde édition du Labo européen des festivals, programme professionnel du festival Nuits Sonores, a été un grand succès. Plus de 250 participants dont festivals, organisations, experts, élus et médias internationaux provenant de 35 pays différents se sont donnés rendez-vous à l’Hôtel de Ville de Lyon du 16 au 20 mai 2012 afin de participer aux 17 conférences, workshops et tables rondes consacrés à l’objet festival.
< www.digitalarti.com/m10_15 >
Le MET met en ligne 34 modèles de sculptures à imprimer en 3D Le Metropolitan Museum de New York vient de frapper un grand coup. Toujours soucieux de démocratiser la culture artistique, et ce notamment au moyen des nouvelles technologies, le MET s'est intéressé aux possibilités offertes par les imprimantes 3D.
< www.digitalarti.com/m10_16 >
< www.digitalarti.com/m10_13 >
digitalarti #11 - 05
IN SITU NEW YORK
NEWS FROM NEW YORK
FANTÔMES MÉCANIQUES © PHOTO CHERISE FONG
Du premier synthétiseur vocal à l’art cinétique et les nouvelles technologies de représentation sonore, visuelle et biométrique, plusieurs expositions mettent à nu les rapports (et les supports) qui persistent entre la machine et la perception humaine.
Rafael Lozano-Hemmer, Voice Array. Courtesy: Bitforms
06 - digitalarti #11
Il est rare de voir dans un petit musée du Bowery connu surtout pour ses expositions temporaires d’art avant-garde, expérimental et alternatif par des artistes vivants, une véritable antiquité du monde contemporain. Pourtant, dans le cadre d’une exposition thématique et largement historique intitulée Ghosts in the Machine, le New Museum nous propose de contempler le tout premier synthétiseur vocal, celui qui fut présenté à l’Exposition Universelle de New York en 1939. Il s’agit d’une machine capable de produire des phonèmes intelligibles, animée par un opérateur spécialisé. En effet, cette technologie “vocoder” (encodeur de voix) développée par Homer Dudley pour Bell Labs dévoile pour la première fois au grand public une voix entièrement désincarnée. Si un journal new-yorkais de l’époque qualifie l’invention aux haut-parleurs géants de “terrifiant homme de métal”, il n’empêche qu’une certaine esthétique logo-sonore est née en même temps (on l’entendra une trentaine d’années plus tard dans le film Orange mécanique, mais c’est surtout Kraftwerk qui amènera la voix synthétisée au grand public international). L’exposition nous offre à voir également
l’évolution d’autres œuvres pionnières sous l’influence technophile, aussi bien phoniques que mécaniques et optiques. En témoignent les sculptures cinétiques de Jean Tinguely et tout un étage consacré à l’op-art des années soixante, avec ses géométries calculées qui donnent l’illusion quelque peu angoissante du mouvement ou de la profondeur tri-dimensionnelle, voire infinie. Parmi les pépites de l’op-art, la pièce de résistance est sans doute Floats de Robert Breer, présentée à l’Exposition Universelle de Osaka en 1970 : deux cylindres lisses, bombés et blancs, comme deux moitiés d’une pilule à taille d’homme posés à terre. À première vue, on dirait une sculpture moderne, immobile, abstraite et conceptuelle. Mais à l’observer de plus près au fil du temps, on remarque que chaque pièce se déplace indépendamment avec un mouvement aléatoire, d’une lenteur presque imperceptible. En effet, ces cylindres "flottants", perpétuellement à la dérive, sont absolument imprévisibles. Il en va ainsi de ces œuvres d’art nouvelles qui trompent et qui troublent notre perception humaine, qui sont conçues non plus de façon empirique sinon numérique, au sens premier du terme. Plus récemment, c’est la juxtaposition des supports, à laquelle s’ajoute la confusion des styles, qui désoriente autant qu’elle intrigue. Parmi ces expérimentations en trompe l’œil proposées par le New Museum, deux en particulier nous sautent aux yeux. Le Untitled Film Right (2006) de Seth Price consiste en une boucle vidéo d’entreprise de six secondes muettes où ne figurent rien que des vagues de mer en gros plan, que l’artiste a colorisées et converties en film 16 millimètres. Le résultat plutôt onirique, à l’esthétique d’un vieux film expérimental où l’on reconnaît à peine la matière source, est projeté sur un écran transparent suspendu dans un petit couloir au fond de la galerie, avec comme bandeson le bourdonnement hypnotique du projecteur désormais antique. Dans une expo-
sition annexe au rez-de-chaussée consacrée aux hologrammes d’artistes, The End (1998) de Ed Ruscha recrée en profondeur dynamique la texture granulée de la pellicule qui “tourne” en fonction de l’angle du regard spectateur, en alternant les mots “the” et “end”. À l’autre bout de Manhattan, dans la galerie Bitforms à Chelsea, l’exposition de l’artiste mexicain Rafael Lozano-Hemmer fait un sombre écho aux fantômes mécaniques du New Museum. Son Voice Array (ensemble vocal) se présente comme un jeu de fête foraine déguisé en œuvre murale pour salon techno-mondaine. Une sorte de mise à jour audiovisuelle du vocoder avec encodage autonome, cette formidable machine à l’interface interphone reproduit, traduit en signaux lumineux et remixe dans un nuage sonore la voix de chaque personne qui ose lui confier ses improvisations vocales, intelligibles ou non. C’est dans la pièce juste à côté que se trouve l’œuvre la plus troublante, sinon la plus émouvante, de l’artiste. Intitulée Last Breath (dernier souffle), il s’agit d’un portrait biométrique de la chanteuse cubaine Omara Portuondo. L’installation robotique est conçue pour mesurer, enregistrer et circuler à l’infini le souffle individuel d’un être humain, entre le soufflet mécanique et un sac en papier. Ainsi, le robot “respire” 10 000 fois par jour, fréquence typique d’un adulte au repos, et “soupire” 158 fois dans la même période, dont les bruissements physiques simulent effectivement le cycle de la respiration humaine. Mais ce pacemaker externe pour poumon en papier ne prendra-t-il enfin sa vraie vie que lorsque son modèle organique aura émis son dernier soupir ? CHERISE FONG
+ D’INFO : Ghosts in the Machine, 18.07.2012-30.09.2012 New Museum < www.newmuseum.org > Rafael Lozano-Hemmer, 06.09.2012-13.10.2012 Bitforms < www.bitforms.com >
CHRONIQUES LIVRES
NEURO-ESTHÉTIQUE Et si "tout" n'était finalement qu'une question de chimie ? De celle qui prédispose à l'agitation de nos neurones, aux mises en synapse qui induisent et traduisent notre perception, appréhension, cognition… Dans un livre assez ardu, Edmond Couchot tente une approche "globale" de l'art à l'aune des sciences dites "cognitives". Une approche scientifique que l'on peut aussi qualifier de "collaborative" puisque ce champ de recherche regroupe, notamment, les domaines de la linguistique, de l'informatique, de la psychologie et des neurosciences (elle-même interdisciplinaires). Théoricien et artiste, ancien enseignant-chercheur (directeur du département Arts & Technologies de l'Image à Paris 8), Edmond Couchot fait une synthèse des nombreux questionnements engendrés par les sciences cognitives depuis
PRATIQUE MÉTISSE ET ÉVOLUTION VIRALE On a beaucoup écrit sur la musique électronique, sur la techno et ses multiples dérivés. Passionnément, sérieusement, méchamment aussi… Mais ça, c'était avant… Désormais, le climat est apaisé. La techno-culture est devenu un phénomène de masse. Voici venu le temps de l'electro consensuelle. De l'historiographie… Ainsi, dans une veine encyclopédique, après une étude de l'art "multimédia", de la littérature et de l'animation numérique — dans des ouvrages publiés en ligne dans collection Les Basiques dirigée par Annick Bureaud, pour le compte de l'Observatoire Leonardo des Arts et des Technosciences (OLATS) — c'est donc la musique électronique qui est radiographiée par Jean-Yves Leloup dont on connaît la passion pour le sujet depuis des lustres. Journaliste, il est aussi l'auteur de Global Techno (ouvrage collectif) et Digital Magma, de l'utopie des raves parties à la génération ipod. Enseignant la "mise en scène sonore" à l’ISTS (Institut Supérieur des Techniques du Son) et le journalisme musical à Paris III (Sorbonne Nouvelle), Jean-Yves Leloup s'illustre aussi comme plasticien sonore et DJ au sein du duo RadioMentale (avec Éric Pajot) connu dans le domaine du ciné-mix et du sound-design.
LA MARIÉE MÉCANIQUE Les médias de Marshall McLuhan, chauds ou froids, n'avaient encore rien de commun avec "nos" médias, nouveaux et informatisés… Et pourtant nous avons encore beaucoup a apprendre de ce théoricien qui "prophétisait" la notion de village global tout en assénant : le message, c'est le medium… On mesure toujours la pertinence de ses propos, même rapportés dans leur contexte (les années 50 naissantes, les balbutiements de la société de consommation, etc.), en lisant l'ouvrage publié par les éditions è®e, avec le concours de l'Espace multimédia Gantner, intitulé La Mariée Mécanique. Des écrits qui, aussi incroyable que cela puisse paraître, n'avaient jamais été traduits en français. C'est désormais chose faites en préférant le format "beau livre", enrichi d'une soixantaine d'illustrations, plutôt que le simple format et les pages grises d'un essai, pour ces textes plus littéraires, moins universitaires, que ses études emblématiques (Pour comprendre les médias, La galaxie
plus d'un demi-siècle et de ce qu'elles apportent quant à la compréhension du "Beau" et du ressort des pratiques artistiques. De la biologie du cerveau à la cybernétique, des conduites esthétiques au ressenti des émotions, de la mécanique de la création artistique aux phénomènes liés aux altérations cérébrales (spéciale dédicace à Oliver Sacks…), de la conceptualisation de l'expérience vécue à la notion de résonance temporelle, des déclinaisons du langage formel au fox-terrier à poil dur (cf. page 253)… En "chosifiant" ainsi l'artistique et esthétique, en passant l'art au crible des sciences formelles et des sciences de la nature pour tenter de capturer, d'expliquer l'inexplicable, Edmond Couchot dessine une géographie humaine qui, comme les processus artistiques, est appelée à se réévaluer à l'aube de la mutation numérique que nous éprouvons actuellement.
Edmond Couchot, La Nature de l'Art : ce que les sciences cognitives nous révèlent sur le plaisir esthétique. (Hermann Éditeurs, 2012). < www.editions-hermann.fr >
Structuré comme les autres ouvrages de la collection autour d'une dizaine de questions clefs — quelles sont les premières expérimentations des technologies dans la musique ? quelles sont les pratiques et l'histoire des DJs ? quels sont les grands courants esthétiques actuels de la musique électronique ? — son analyse détaille une réalité qui recoupe une nature et des pratiques multiples. De la musique "savante" aux prémisses de la new wave portée par les synthés, de la kosmische musik au dub, de la house au hardcore, de l'ambient à la drum-n-bass : au-delà de ces différents courants, ce qui est intéressant dans ce patchwork, c'est de voir l'articulation, pièce après pièce, de ce puzzle globalisé et (inter-)connecté… De voir comment s'élaborent, selon une logique qui obéit à une pratique métisse et un développement qui progresse selon une évolution virale, de nouvelles techniques de composition et diffusion… Comment se façonnent de nouvelles conditions d'écoute et d'approches festives (clubbing, teknivals, etc.)… Comment se dessine une nouvelle géographie sonore forte de ses ramifications avec l'image et, finalement, toute une esthétique qui déborde largement le simple cadre musical, répondant ainsi à une autre question fondamentale : en quoi les pratiques électroniques ont-elles transformé la musique et la culture de la fin du 20e siècle ?
Les Basiques: la musique électronique, par Jean-Yves Leloup (Olats, 2012) < www.olats.org/livresetudes/basiques/musiqueelectronique/basiquesME.php >
Gutenberg…) ; un peu à la manière d'Écoute petit homme de Reich… C'est en effet plus un cri d'alarme que l'exposition d'une thèse raisonnée que lance Marshall McLuhan dans ce livre de "divertissement", invoquant Edgar Poe et sa "descente dans le maelstrom", fustigeant la presse, la radio, le cinéma, la publicité et leurs risques potentiels de manipulation, d'exploitation et de contrôle des consciences… Invitant, a contrario, à un détachement rationnel comme antidote, comme (r)éveil des consciences… sachant que le temps de la colère et de la protestation n’est pas encore venu, nous n’en sommes qu’aux prémisses de ce nouveau processus… Le futur résonnant de menaces destructrices et de nouveaux développements face auxquels l’indignation morale n’est qu’un bien pauvre soutien… Que penser, ou plutôt, qu'aurait-il pensé de la télé-réalité, de fauxamis des réseaux sociaux, de la communication en temps réel, des mondes virtuels et des publicités virales…
Marshall McLuhan, La Mariée Mécanique : folklore de l'homme industriel (éditions è®e, en partenariat avec l'Espace multimédia Gantner, 2012). < www.editions-ere.net > digitalarti #11 - 07
ART NUMÉRIQUE ANTONIN FOURNEAU
WATER LIGHT GRAFFITI © PHOTO QUENTIN CHEVRIER
cette idée de mur de lumières LED qui s'activent au contact de l'eau...?
Water Light Graffiti @ Poitiers.
L'eau n'a jamais fait bon ménage avec le feu, ni avec sa cousine, la fée électrique… Pourtant, ANTONIN FOURNEAU a joué à l'alchimiste en réconciliant ces deux éléments au travers de "Water Light Graffiti". Un mur de LEDs qui s'activent et dessinent des formes, mots et figures sous l'effet de la rosée projetée d'un brumisateur ou d'un pistolet à eau remplaçant, dans ce dispositif, la bombe de peinture chère aux graffeurs… Conçu au sein du Artlab de Digitalarti placé sous la responsabilité de Jason Cook, Antonin Fourneau a pu présenter et tester in situ ce projet à Poitiers l'été denier. Cette œuvre s'inscrit dans le sillage d'une démarche artistique qui conjugue le ludisme à la technologie : diplômé de l'ENSAD où il enseigne désormais, Antonin Fourneau s'est notamment intéressé aux fêtes foraines et aux jeux vidéos dont les "principes actifs" ressurgissent au travers de ses œuvres interactives (Eniarof, Ortep…).
"Water Light Graffiti" renverse l'antagoniste eau / électricité. Comment a germé 08 - digitalarti #11
J'avais déjà fait pas mal d'expériences sur l'eau comme matériau d'interaction, notamment avec un projet où il faut tenir une éponge et toucher les autres pour interagir dans un jeu. Et j'avais réalisé, lorsque j'étais à la Galerie Duplex, une mâchoire de LEDs activées par le contact de la langue nommée Jawey. D'autre part, j'ai effectué plusieurs voyages en Chine et j'étais assez fasciné par la pratique du nettoyage des calligraphies sur le sol et par des hommes âgés qui faisaient des démonstrations de dessin à l'eau dans les parcs. J'ai commencé à cogiter lors d'un workshop que j'avais intitulé Natural interface device, à la CAFA (Central Academy of Fine Arts) de Pékin en 2011. Un soir, en préparant un cours, j'avais un pulvérisateur à eau sous les yeux et j'étais en train de bricoler des Leds. L'idée a germé à ce moment là.
Derrière "Water Light Graffiti", est-ce qu'il y a aussi un concept, une réflexion théorique, ou est-ce que c'est juste pour le plaisir de l'œil, pour l'esthétique, le ludique (graff) et le "bluff" technique ? J'ai vraiment réfléchi à ce projet en voulant développer un matériau intelligent sans une technologie trop complexe derrière. Je suis assez obnubilé par l'ingéniosité des idées simples et fatigué par les projets trop lourds technologiquement, qui peuvent vite devenir des usines à gaz. Je voulais développer un matériau assez facile à mettre en œuvre, et qui puisse même être installé à grande échelle. Pour moi, les technologies doivent être magiques et transparentes. J'avais donc dans les mains deux composantes idéales à essayer de réunir et faire interagir ensemble : l'eau et la lumière. Je dirai que ce projet est relativement dans la continuité de mon travail avec Eniarof et Oterp où je cherchais à faire sortir l'interaction homme / technologie du rapport que l'on avait jusqu'à présent et qui reste figée… Je deviens un adulte, mais j'aimerai continuer à jouer dans la rue comme je le faisais enfant. Une de mes principales satisfactions aujourd'hui, en tant qu'artiste, est de montrer des choses qui font sourire les gens ou,
du moins, d'arriver à les émerveiller même un court instant. Donc derrière, il y a bien une réflexion commune à toute ma pratique qui, bien souvent, cherche à bluffer les gens, mais pas juste techniquement.
Est-ce que tu as d'autres projets autour de ce procédé ? J'aimerai bien trouver un jour un peu de temps pour, moi aussi, m'amuser à dessiner dessus… Cela dit, oui : bien avant de me lancer dans la réalisation du mur grand format que l'on a présenté à Poitiers en Juillet 2012, j'avais commencé à réfléchir à des idées aussi en petit format. L'ardoise magique était une des formidables inventions que j'avais dans les mains enfant, donc je vais aussi travailler sur des choses plus petites. En fait, j'avais déjà réalisé des choses autour du procédé avant Water Light Graffiti; donc j'y reviendrai encore je pense.
Tu as développé ce projet dans le cadre du ArtLab de Digitalarti. Peux tu nous faire un premier petit bilan (non laudatif ;) de cette expérience et, d'une manière plus générale, à la lumière des autres expériences de ce type que tu as eues, nous dire ce qu'apporte ce type de résidence ? J'ai eu l'occasion de faire quelques résidences ces dernières années à Tokyo, Madrid, Lorient et enfin ici à Paris, au Artlab. À chaque fois les logistiques n'étaient pas les mêmes avec parfois de très beaux locaux et peu de moyen de production, mais beaucoup de gens à rencontrer. Le medialab Prado à Madrid serait ce qui se rapproche le plus du Artlab ce qui est pour moi un gage de qualité. Le Artlab est cependant beaucoup plus orienté sur la production, ce qui est parfait quand on arrive avec une idée et que l'on a besoin de réaliser des prototypes et de se lancer.
La notion d'interactivité est au cœur de ta démarche. Vers quelles évolutions technologiques notamment - allons-nous dans ce domaine. À quels nouveaux types d'œuvres le spectateur va et sera confronté ? On arrive dans une époque où tout va aller très vite et je pense qu'il est important que les gens comprennent et connaissent un minimum ce qui va les environner. On va avoir des technologies de plus en plus naturelles et donc pervasives. On parle de poussières intelligentes, tout va se miniaturiser de plus en plus avec les MEMs [en français, Systèmes MicroÉlectroMécaniques] capables de capter un peu tout ce qui vous entoure en étant quasiment transparent. Il faut que tout cela reste magique et je pense que les designers, artistes et créateurs vont prendre le relais de l'industrie pour montrer et favoriser des usages inattendus des technologies et
© PHOTOS QUENTIN CHEVRIER
les rendre plus transparentes. On va voir beaucoup de magie. J'ai l'impression que toute cette créativité hyper boostée va s'adresser aux gens et non plus au spectateur; je veux dire par là que le cadre de monstration va aussi certainement changer… C'est pour ça que le street art, par exemple, aura aussi un vrai avenir technologique à mon sens. On parle beaucoup aujourd'hui de "ludification" de l'environnement urbain… Je continuerai de créer des choses toujours ludiques car je crois beaucoup à l'importance du loisir dans notre société.
Tu enseignes à l'ENSAD, notamment. Quel est le profil des étudiants dans ce domaine ? Comment — avec quelle dynamique et background - arrive cette génération dans le champ de l'art numérique ? J'enseigne à l'ENSAD dans un petit labo qui a vu son nombre d'étudiants doubler d'année en année; donc je sens bien qu'il y a de plus en plus de curiosité de cette génération de screenager sensible aux objets électroniques. Ils veulent comprendre et rendre plus sensible ce qui les entoure. J'ai eu la chance de ne pas tomber dans un secteur en particulier où je n'étais pas cantonné à une forme de création en soi. Le studio AOC (Atelier Objet Communicant) est plutôt un espace libre ou une passerelle qui accueille des étudiants de différents secteurs. Donc je vois beaucoup de profils différents qui ne sont pas uniquement en lien avec l'art numérique, mais aussi avec le textile, le design, le dessin d'animation, la photo. Je pense qu'il va y avoir une génération de plus en plus transversale face à la question des technologies.
Mon profil de professeur et "technicien bidouilleur" n'est pas toujours facile à expliquer dans une école d'art où la position du professeur n'est plus tellement aujourd'hui de mettre les mains dans le cambouis avec l'étudiant… J'encourage mes étudiants à pratiquer des choses qui pourraient parfois passer pour de l'ingénierie, afin qu'ils soient capables, dans leur approche future, de collaborer plus aisément avec d'autres corps de métier technique et de pouvoir intégrer plus de créativité dans le processus de réalisation d'un projet. On parle aujourd'hui beaucoup de UX designer — UX pour user expérience — dans le monde du numérique. J'aurai tendance à dire que je suis plutôt NUX ("non usual experience") avec mes étudiants.
Pour revenir à ta propre activité artistique, sur quels autres projets ou vers quelles autres directions te diriges-tu ou aimeraistu t'orienter ? J'avais surtout jusqu'à présent une activité d'artiste qui expose dans des foires comme Eniarof, des festivals ou des galeries. J'ai surtout envie de pouvoir communiquer plus largement mon travail quand je pense qu'il en vaut la peine. Aujourd'hui, pour cette raison, les domaines plus larges de l'industrie, du design et de l'architecture commencent à m'intéresser. J'ai toujours des références de créateurs Japonais que j'affectionne beaucoup, comme Maywa Denki ou encore Toshio Iwai, qui sont capables de prolonger leur folie créative dans plusieurs domaines à la fois.
+ D’INFO : < http://atocorp.free.fr/ >
PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENT DIOUF
digitalarti #11 - 09
FOCUS NERI OXMAN
NERI OXMAN LES MYTHOLOGIES DU NOT YET STORYTELLING ET RECHERCHE DE POINTE EN IMPRESSION 3D Elles s'inspirent autant des êtres imaginaires de Borges, qu'elles empruntent à l'ADN des massifs coralliens : entre préciosités plastiques et prothèses organiques pour les décennies à venir, les "Mythologies du Not Yet" (pas encore) de Neri Oxman brouillent les pistes entre l'investigation scientifique et l'utopie fantastique. Véritables transgressions entre art, sciences et design, ces impressions 3D dont les secrets de fabrication s'élaborent entre les laboratoires de la Côte Est (USA), Israël et la Norvège, entre chercheurs algoristes, biologistes, ingénieurs et chimistes, sont pour l'artiste enseignante au MIT, les totems expérimentaux d'une nouvelle révolution en cours. © PHOTO D.R.
Conçues dans le cadre de l'exposition Multiversités Créatives mise en œuvre par Valérie Guillaume au Centre Pompidou, les créatures de Neri Oxman interpellent le visiteur : de quelle matière sont-elles faites ? Du verre ? Du plastique injecté ? De l'acrylique, de l'encre ou tout autre chose ? Ces torses, ces casques ou ces hanches qui, telles des prothèses pour super héros, exhibent les fonctions vitales à la surface du corps font-elles partie d'une collection haute-couture inspirée par des recherches en bio-mimétisme, ou sont-elles l'objet de mutations produites en laboratoire par une apprentie sorcière, mue par une esthétique baroque singulière, entre Art Nouveau et la SF d'un Giger ?
Multiversités créatives : générer, fabriquer, représenter
Pneuma. Zoom sur les textures. Les couleurs correspondent à différents matériaux et critères d'élasticité. Issu des Êtres imaginaires, Mythologies du Pas Encore de Neri Oxman. Centre Pompidou, 2012.
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Architecte, docteure en design computationnel, dotée d'une formation à l'école de médecine de Jérusalem, Neri Oxman est aujourd'hui enseignante au Massachussetts Institue of Technology, où elle dirige le groupe de recherche Mediated Matter (le matériau comme médiation), dont la quête consiste à renforcer la relation entre objets, environnements naturels et construits, en injectant dans les champs du design numérique et des nouvelles technologies, des principes de conception inspirés par la nature.
Le fruit de ses recherches fut couronnée par de nombreux prix et présenté dans différentes biennales (Venise 2002-2004, Beijing 2009-2010) et institutions telles que le MoMA de New York, le musée des Sciences de Boston, le Smithsonian Institute ou en France, le Frac d'Orléans. Mais c'est au Centre Pompidou à Paris qu'elle offre, en 2011, une pièce originale nommée Stalasso réalisée en collaboration avec Craig Carter professeur au département des Sciences matérielles et de l’ingénierie du MIT. Stalasso fut l'objet d'une première rencontre avec Valérie Guillaume, commissaire responsable du Centre de Création Industrielle à Beaubourg : créé en 2000, le service de prospective s'est donné pour mission d'explorer les processus de création, pas seulement en terme de fabrication des objets mais de nouveaux systèmes d'organisation de la conception, dans le domaine du design, de l'architecture et des nouvelles technologies. Bâtie autour de trois axes — "générer, fabriquer, représenter" — l'exposition Multiversités Créatives propose, à l'heure du big data, une réflexion sur le futur de l'industrie; qu'il soit fondé sur des modèles de conception et d’innovation computationnelles tels que les Fab Lab ou tout autre processus capable d'engendrer des formes et structures susceptibles de renouveler nos expériences quotidiennes, cognitives, imaginaires ou esthétiques.
© PHOTOS D.R.
Arachné. Autoportrait 2012, Nori Oxman. Impression 3D multi matériaux sur Objet Connex 500. Issu des Êtres imaginaires, Mythologies du Pas Encore de Neri Oxman. Centre Pompidou, 2012.
Stalasso. Expérimentations sur formations de structures tubulaires. Stalasso, dont la suite de Fibonacci intégrée à même la peau, provoque un mouvement en spirale de l'air traversant les éléments cellulaires, montre comment des effets spécifiques peuvent être induits sur l'environnement. Neri Oxman et Craig Carter, Musée des Sciences de Boston 2009.
Le coup d'envoi est donné en septembre 2011, lorsque Valérie Guillaume sollicite l'équipe de Neri Oxman, au même titre qu'une vingtaine d'architectes et artistes designers de sa génération (nés fin des années 70's, début 80's), quant à la conception et la production de pièces originales pour une exposition annoncée en mai 2012. Neuf mois plus tard, l'enfant prodige du MIT épaulée par son confrère Craig Carter, revient à Paris avec 18 prototypes : 18 créatures en volume dont la complexité n'a d'égale que le foisonnement des connaissances qu'elles mettent en œuvre : à la croisée des sciences, des technologies contemporaines et des mythes universels qu'elles incarnent.
Dans une autre famille fonctionnelle, l'artiste designer fait référence à la puissance du Léviathan, dont les caractéristiques du serpent marin sont détaillées dans le livre de Job : elle introduit, par exemple, dans la conception interne de cette deuxième peau (Leviathan 2), un système de rainurage vertical qui donne au corps toute sa souplesse sans perdre de sa force, lors de torsions. La combinaison des couleurs nous instruisant sur la complémentarité des composants qui constituent ces créatures insolites. Outre les enseignants chercheurs du MIT, conseillés par le Wyss Institute d'Harvard University, quatre autres équipes d'ingénierie industrielle ont planché sur les objets fantasmés d'Oxman : the Math Works, l'éditeur de logiciels scientifiques, The chaos group, spécialiste du rendu 3D, et le norvégien Uformia qui oriente de plus en plus son activité sur le dessin et la conception d'objets 3D, voués à l'impression. Et c'est grâce à l'équipe R&D d'Objet Geometries, basée à Tel Aviv, que cette progéniture allégorique verra la lumière du jour. Partenaires incontournables du projet, ces maîtres d'une impression 3D fondée sur des machines à jet d'encre, ont travaillé plus spécifiquement avec l'artiste sur la mise au point d'algorithmes et l'élaboration de cartouches de résine capables de produire des motifs de couleur en trois dimensions. Depuis 1998, les chimistes d'Objet développent pour leurs imprimantes, toute
Bio-mimétisme et Cryptozoologie : les algorithmes de vie Ce qui fascine dans le bestiaire extraordinaire de Neri Oxman c'est qu'il explore le processus même qui conduit à la vie, à la forme et la fonction. Dans la série Pneuma, qui fait référence aux organes respiratoires autant qu'à l'enveloppe de l'âme, Oxman s'inspire de la structure alvéolaire poreuse des éponges pour modéliser un bustier protecteur de la cage thoracique, usiné à partir de composants aux propriétés mécaniques à la fois résistantes, tendres et flexibles, qui permettent à l'air de circuler.
En haut : Pneuma. Impression 3D multi matériaux sur Objet Connex 500. En bas : Levianthan. Issu des Êtres imaginaires, Mythologies du Pas Encore de Neri Oxman. Centre Pompidou, 2012.
une gamme de matières — des photopolymères à base d'acrylique les plus rigides, permettant de simuler le verre, aux plastiques techniques les plus élastiques —, dont ils décuplent les possibilités de texture et de rendus par un éventail de tonalités et une spécificité d'impression capable d'envoyer deux jets de matière simultanés. Ce qui nous motive dans le travail d'Oxman, c'est cette capacité à s'affranchir des contraintes inhérentes au design industriel, et de pousser le processus créatif au-delà des limites technologiques actuelles, explique Eric Bredin, responsable marketing d'Objet pour l'Europe. Identifiée comme "Esprit révolutionnaire" par nos confrères du magazine scientifique Seed, Oxman a choisi pour autoportrait, le mythe d'Arachné : telle l'araignée dont les glandes séricigènes peuvent tisser jusqu'à six fils de soie différents, l'architecte transgresse avec élégance les frontières entre art science, littérature et design, persuadée que nous sommes à l'aube d'une révolution industrio-culturelle aussi puissante que l'imprimerie de Gutenberg. VÉRONIQUE GODÉ
+ D’INFO : Neri Oxman < http://web.media.mit.edu/~neri/site/ > Multiversités Créatives / Centre Pompidou < www.centrepompidou.fr/Pompidou/Manifs.nsf/0/606C6C4FA276DED6C125795F 003B21FA?OpenDocument&sessionM=&L=1&form= > Objet < http://objet.com > Seed < http://seedmagazine.com >
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PROFIL RANDOM INTERNATIONAL
rAndom International
Présentée à la Carpenters Workshop Gallery, l’exposition "Before The Rain" du studio de création rAndom International ouvre grandes les perspectives d’un art numérique ouvert sur une représentation humaine comportementale, technologique et épurée.
ÉPURE NUMÉRIQUE FAR, rAndom International / Wayne McGregor.
Se situant au croisement de l’art cinétique et des installations interactives, le jeune – fondé en 2005 – studio de création londonien rAndom International témoigne déjà d’un travail poussé dans des logiques de représentations humaines jouant des relations de l’œuvre aux mouvements, à la lumière, à des esthétiques fortes bien que souvent minimalistes. Malgré leur sobriété, rien n’est jamais figé dans leurs pièces. Leur travail étrangement texturé, dévoile des dispositifs agissant parfois comme des peintures numériques, où la lumière s’estompe entre apparition et disparition évanescente de la forme représentée, notamment dans la matérialisation de l’image du visiteur dont les gestes sont réinterprétés (filtrés par des lumières LED sur Swarm Light ou Future Yourself, captés par des encres photosensibles sur Self Portrait et Study For A Mirror) avant sa disparition programmée. Les trois têtes pensantes de rAndom International – Stuart Wood, Florian Ortkrass et
© PHOTO DEEPRES / COURTESY CARPENTERS WORKSHOP GALLERY
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Hannes Koch – font appel à un mélange très sensitif d’outils technologiques (ordinateurs, logiciel de captation de mouvements, LEDs et OLEDs, etc.) et de principes de représentation (cadre, imprimantes murales, miroirs) plus classiques, qu’ils se plaisent à transcender conjointement, dans des propositions interrogeant les logiques comportementales. Alors que le trio s’apprête à investir l’espace The Curve, au Barbican Center de Londres, pour son installation Rain Room, la tenue de leur exposition Before The Rain à la Carpenters Workshop Gallery de Paris avait donc presque valeur de bilan d’étape. L’occasion idéale pour aller à la rencontre de leur travail si particulier.
La création du studio de création rAndom International est plutôt récente. Aviez-vous dès le début une direction esthétique aussi marquée ? En fait, la création du studio a eu lieu juste après notre remise de diplôme du Royal College of Art de Londres, même s’il existait déjà auparavant, depuis 2002, un collectif plus instable. Esthétiquement, nous ne suivons pas une école prédéterminée. On se base davantage sur notre compréhension intuitive commune. On partage un mépris unanime pour le gaspillage, la mode, et une passion commune pour les procédés minimalistes, réductionnistes dans la dimension physique de notre travail. Artistiquement, nous sommes fascinés par une large gamme d’artistes, de scientifiques et de performeurs. Ça change un peu selon les
périodes, mais ces deux dernières années, nous avons été particulièrement guidés par notre attirance pour les découvertes en matière de recherche comportementale et cognitive. Nous avons un intérêt croissant pour certaines niches de l’histoire de l’art couvrant des artistes et des institutions travaillant sur des thèmes similaires comme Otto Piene, Group Zero, Howard Wise et d’autres. C’est très intéressant de se confronter à ces œuvres dans une perspective contemporaine.
Votre pièce "Swarm Light", qui traduit les déplacements et les sons des visiteurs dans une sorte de "conscience collective", des mouvements lumineux interactifs procédant de lumières individuelles et se déplaçant sur les tiges de LEDs fixés au plafond comme une nuée d’oiseaux, est présentée comme une pièce très importante dans cette relation dynamique que vous souhaitez installer entre l’œuvre et le spectateur. C’est une déclinaison utilisée par de nombreux autres collectifs artistiques comme UVA. Travailler autour de cette mobilité de la lumière, de son interaction avec le visiteur, est-il un axe essentiel de travail pour rAndom International ? La réaction du spectateur et l’échange qui en procède sont en effet fondamentaux dans beaucoup de nos recherches. Le caractère imprévisible du comportement humain est un point de départ tellement intéressant pour des travaux sculpturaux et d’installation, et ces derniers sont des "outils" tellement révélateurs pour évoquer, prédire, tes-
© PHOTOS COURTESY CARPENTERS WORKSHOP GALLERY / D.R.
Swarm @ Victoria & Albert Museum, rAndom International, 2010.
ter et même parfois contrôler les réactions comportementales. Le médium – une lumière, un algorithme, un capteur de mouvement, la cinétique – est en fait secondaire. Avec des pièces comme Swarm Light, on était intéressés de savoir si nous pouvions simuler et incarner un mouvement aussi beau et efficace de façon naturelle. Savoir ce que l’exposition à une telle simulation provoquerait en nous. S’il était possible d’établir des relations plus émotionnelles entre un objet et le spectateur si le comportement de cet objet apparaissait de manière très naturelle. Swarm Light est la première pièce pour laquelle nous avons simulé un comportement figuratif naturel. Nous avons depuis poussé la recherche beaucoup plus loin dans cette direction. C’est un travail très représentatif de ce que nous faisons.
Dans une pièce comme "You Fade To Light", où les déplacements du spectateur sont reflétés de façon mouvante, comme une silhouette symbolique, sur des grilles de miroirs, on s’aperçoit que ce rapport interactif du visiteur à sa représentation lumineuse s’appuie sur son côté informel mais aussi sur sa disparition programmée. Il y a un côté très réel, mais aussi très abstrait dans cette fluctuation de la représentation. C’est un peu comme si le spectateur communiquait avec lui-même à travers l’œuvre, comme si celle-ci redevenait un véritable média artistique, induisant une idée de rapprochement avec soi-même… Le principe d’auto-reconnaissance, en créant une image de soi-même est sans contestation
quelque chose qui joue un rôle important dans notre travail. On s’est rendu compte que ce dialogue avec soi-même est souvent beaucoup plus riche lorsqu’il implique un engagement physique, un mouvement, qu’à travers une pure image de sa représentation. Communiquer avec, et à travers, l’intégralité de son propre corps dans l’espace ajoute une troisième dimension et un nouveau niveau de contrôle sur votre environnement, qu’il s’agisse d’un geste, d’un mouvement ou d’une expression faciale. Cette idée d’"autocommunication" prend plus prise avec la réalité de cette façon.
J’aime beaucoup l’originalité d’une pièce comme "Self-Portrait", où le travail de représentation/interaction se matérialise lentement à travers une captation/impression dans un cadre, vide au départ, de l’image du visiteur par le biais d’une encre de photosynthèse. Peut-on dire qu’il y a, à travers une pièce comme celle-ci, une volonté de transcender les supports traditionnels comme la peinture, la photo, dans de nouvelles perspectives technologiques ? Nous voyons plus cela comme une exploration des valeurs de l’image. Les images habituelles, et bien sûr les portraits, sont rangées quelque part et vous donne un souvenir tangible – souvent charmant, ou mis en scène – de comment vous "étiez" à un temps donné particulier. Avec Self-Portrait, vous n’avez pas ce réconfort. Vous devez être complètement présent pour assumer cette acte induit par l’art du portrait, parce qu’il s’évanouira en moins d’une minute.
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Future Self, rAndom International, 2012.
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© PHOTO COURTESY CARPENTERS WORKSHOP GALLERY / D.R.
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En retirant cette idée de conservation, le spectateur est encouragé à s’expérimenter lui-même avec plus de présence. Ou du moins, il est invité à prendre du plaisir en essayant encore et encore sans craindre de se manquer.
Cette pièce s’inscrit dans un cycle d’œuvres que vous avez intitulé "Temporary Printing Machine". Qu’est-ce qui vous a donné envie d’aller dans cette direction de l’impression temporaire, et plus largement dans cette esthétique de la présence et de l’effacement ? Ce qui fonctionne pour une image, un portrait, est également valable pour toutes sortes de données numériques. Avec notre consommation croissante d’images et de textes sur écran aujourd’hui, on tend à croire que ces données sont "réelles" ou "tangibles". Mais cela peut aussi nous induire légèrement en erreur. Si on retire l’électricité de cette équation, on reste finalement sans rien. Fabriquer des machines qui élève l’expérience de ce "rien" est l’une des raisons qui explique le cycle Temporary Printing Machines.
Pour "Self-Portrait", vous travaillez avec un dispositif matériel très particulier : de l’encre photosensible sur verre. Je trouve que ce support renforce le côté abstrait de la représentation d’une très belle manière, mais aussi son côté organique. Cela m’évoque les silhouettes thermiques des "Rémanences" de Thierry de Mey. 14 - digitalarti #11
Etait-ce un souhait fort pour vous d’éviter une représentation de cette captation qui aurait fait trop hautement technologique ? Choisir un procédé où l’impression sur un écran en canevas de coton est le principal composant, dans une installation utilisant des algorithmes de reconnaissance du visage, des LEDs et un Mac Dual-Core intel, répondait à une véritable réflexion car cela apporte une touche analogique à la création d’une image numérique. Le principe chimique temporaire aide aussi à maintenir l’illusion de voir quelque chose de réel que vous n’auriez pas obtenu à partir d’un écran TFT, ou via une projection.
Dans la même lignée, une pièce comme "Study For a Mirror" interroge aussi la question de la permanence d’une œuvre dans le temps. Il y a actuellement un vrai questionnement autour de la conservation des œuvres par le biais des composants informatiques ou technologiques par exemple, mais est-ce qu’une pièce "évolutive" comme "Study For a Mirror" s’inscrit quelque part dans ce genre de réflexion, sur la pérennisation d’une œuvre, sur sa temporalité ? Oui, tout à fait. Cette pièce particulière a été intégrée à la collection permanente du Victoria & Albert Museum en 2009 et nous travaillons de façon rapprochée avec le département de la conservation sur toutes les questions de conservation d’œuvres comme celle-ci. En marge de la qualité immatérielle du rendu actuel de la pièce,
nous discutons des points centraux relatifs à son concept, des procédés technologiques intrinsèquement liés qui sont utilisés pour lui donner du sens et des problèmes concernant l’obsolescence de ses composants. Pour l’instant, nous cherchons à trouver des manières durables de mesurer et de contrôler sa "fonction" actuelle, afin de la préserver. En fin de compte, ce n’est pas si grave si elle tourne avec un PC nec plus ultra de 2009 ou avec un ordinateur quantique. Ce qui compte, c’est qu’elle fonctionne, pas comment. Essayer de préserver cela est un défi intéressant.
Avec sa série de 64 miroirs venant fixer le visiteur se déplaçant sur le plateau, la pièce "Audience" est très caractéristique de l’art numérique qui place le spectateur au cœur du dispositif. Mais cette pièce semble accentuer ce positionnement en jouant d’un rapport inquisiteur, presque paranoïaque qui peut induire un sentiment d’inconfort à être suivi de la sorte par son propre regard. "Audience" cherche-t-elle à pousser cette idée de "sur-représentation" portée par l’interactivité, en la liant avec des références gênantes comme le voyeurisme ou les principes de télésurveillance omniprésents actuellement dans une ville comme Londres ? À l’origine, on s’était dit que cette pièce induirait une réflexion autour de son caractère étrange, de la notion de surveillance et de perte de contrôle. Mais ce que nous trouvons plus intéressant, c’est l’idée de com-
Audience, rAndom International, 2011.
PROFIL RANDOM INTERNATIONAL
J’ai cru comprendre que le projet sur lequel vous travaillez actuellement au Barbican Center de Londres, "Rain Room", accentue encore davantage cette idée d’inconfort chez le spectateur. On évoque une pièce se présentant sous la forme d’une chute d’eau que le spectateur est invité à traverser ? Pouvons-nous avoir plus de détails ? Non pas encore (sourire). Elle sera inaugurée au Barbican Curve space le 3 octobre et nous sommes très impatients d’y être et de voir la réaction du public.
À travers cette pièce à venir, peut-on dire que tout autant que le rapport du visiteur à l’œuvre, c’est aussi l’étude des expériences qui peuvent en découler qui vous intéresse ? C’est un peu la partie "random", aléatoire, de votre nom d’artiste ? Encore une fois, nous pensons que l’expérience est avant tout créée pour provoquer une réaction comportementale chez le spectateur. Observer cette réaction, et travailler avec elle, est vraiment au cœur des préoccupations qui alimentent notre travail.
"Study of Time /I" joue encore de cette idée de présence et d’effacement, mais à travers un panneau mural de tiges LEDs induisant un ballet de lumières fines. C’est une pièce créée à partir de "FAR", un spectacle de danse contemporaine signé Wayne McGregor. L’expression chorégraphique poussée est-elle une autre approche développée par rAndom International ? Pourquoi avez-vous souhaité développer une adaptation plus dépouillée, sous la
forme d’une installation lumineuse douce, d’un travail scénographique au départ ? Prolonger notre travail dans une expérience chorégraphique n’est vraiment pas une option que nous avons développée. C’est plus un dialogue qui a évolué à partir d’anciennes collaborations avec Wayne McGregor. Sa mise en perspective de notre travail rajoute des idées intéressantes et de nouveaux points d’entrées qui auraient été difficilement accessibles autrement. Study of Time /I est une exploration des principes algorithmiques de mouvement que Stuart [Wood] et Wayne [McGregor] ont développée pendant la réalisation de FAR. Transposer ces principes dans une pièce comme celle-ci nous semblait pertinent et nous autorisait à aller vers des travaux plus poussés dans cette direction, dans des environnements plus intimistes. La scénographie de FAR s’étendait sur près de 10 mètres.
Pourtant, on trouve bien une approche chorégraphique sur une pièce comme "Future Self", encore avec Wayne McGregor et Max Richter pour la musique, qui traduit votre observation du comportement du spectateur sous la forme d’une sculpture de LEDs filaire tridimensionnelle où apparait un avatar lumineux ? Future Self résulte de conversations que nous avons eues avec le chercheur en sciences cognitives Phil Barnard et avec Joss Knight, qui dirige le département de recherche de NaturalMotion [une société travaillant dans le domaine du développement d’animations pour jeux vidéos] à l’été 2011. Ces discussions portaient sur notre perception du mouvement et sa simulation à une échelle large. Au même moment, nous nous sommes dits qu’il serait bien de transposer le résultat de ces échanges dans une pièce qui proposerait une représentation entière de soi-même par le biais de la
lumière. Les collaborations avec Wayne [McGregor] et Max [Richter] ont été soutenues par l’équipe du MADE Space [une plateforme de création] à Berlin, qui a commissionnée la pièce entière, ainsi que la performance et la bande-son. Pour nous, c’est très intéressant d’avoir une pièce qui fonctionne à la fois comme une performance et une sculpture interactive se suffisant à elle-même.
À travers cette silhouette de lumière qu’elle visualise, je trouve que "Future Self" explore aussi une idée de "personnage augmenté", capable de saisir les mouvements de tous les spectateurs dans une sorte de quintessence de leur représentation, ce qui donne une esthétique rappelant certaines installations d’Electronic Shadow… L’accent de Future Self, et en particulier l’idée de tracking, est mis sur le désir de créer des itérations intéressantes de sa propre image. La pièce peut donc se comporter de différentes façons selon qu’une ou deux personnes lui font face. Mais l’aspect le plus percutant est le décalage de l’effet miroir, qui vous permet d’interagir avec la future image de vous-même. PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENT CATALA
+ D’INFO : < http://random-international.com >
Before The Rain, exposition rétrospective à la Carpenters Workshop Gallery, à Paris, 54 rue de la Verrerie, jusqu'au 21 décembre 2012. < http://carpentersworkshopgallery.com >
Study Of Time, rAndom International, 2011.
© PHOTOS COURTESY CARPENTERS WORKSHOP GALLERY / D.R.
portement qu’elle sous-tend vis-à-vis du spectateur et l’inversement des rôles qui se met en place : le spectateur devient le performeur, et c’est l’installation qui devient le spectateur.
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INNOVATION INTERACTION DIRECTE
UNE QUESTION DE TEMPS LES NOUVELLES FRONTIÈRES TEMPORELLES ET CULTURELLES DE NOS SOCIÉTÉS EN RÉSEAU
© PHOTO D.R.
La vitesse d’un échange d’information par le biais d’Internet se mesure en milliers de Km/Milliseconde. La distance nous séparant d’une source d’information numérique situé sur un ordinateur, où qu’il soit, s’est évanouie. Toutefois, lors d’un échange bidirectionnel d’information impliquant des humains et non des machines, l’horloge biologique de chacun influence son expérience vécue et sa capacité à interpréter l’information échangée. Les interactions synchrones (en direct) devenant de plus en plus présentes dans nos vies numérisées, il apparaît dorénavant légitime de demander : "vous êtes quand ?"
Jamming The Network @ SAT, Montréal, 2010.
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Depuis l’apparition du langage, la conversation humaine "face à face" a nécessité le partage du même espacetemps. Le téléphone a permis d’éliminer la distance entre la voix et l’oreille, mais l’expérience de la conversation en présence de l’autre demeura incomplète. Puis, en moins d’une décennie, l’arrivée de la transmission audiovisuelle bidirectionnelle sur Internet a démocratisé l’impossible : entendre ET voir son interlocuteur, quel que soit son espace-temps. Cette nouvelle possibilité en matière de communication s’est immiscée
dans nos vies quotidiennes, de mises à jour en mises à jour. Sans nous en soucier, nous avons lu et accepté, pour cliquez et continuer. Les caméras web restituent la conversation et l'interaction directe qui avaient cédé le pas depuis plusieurs siècles, à la prédominance de l'écriture, des lettres et des rapports dont la fonction première d'analyse et de réflexion permettait de raffiner la pensée… en solo, en mode asynchrone (en différé). Avec le "face à face" en réseau, nous voilà de nouveau plongés dans une dynamique communicationnelle intuitive, issue de l’instant présent, synchrone, qui réintègre le langage corporel et l’émotion au discours dans des univers très différents de la linéarité et de la rationalité du texte réfléchi. Jamais dans l’histoire humaine, n’avons-nous eu accès à autant de possibilités pour communiquer de manière synchrone. Chacun peut maintenant interagir directement avec une ou plusieurs personnes situées dans des espaces-temps similaires ou différents. Ce tsunami de conversation et
d’interaction directe déclenche, à son passage, une vague d’auto-médiatisation où tous apprennent par autodidaxie. Le système d’éducation, conçu pour la transmission d’informations par le texte et les documents, a de la difficulté à suivre le rythme. L’expérience en cours est spontanée et dans la rue, les manuels s’écrivent collectivement sur le web, au jour le jour. La contre-force à l’échelle de destruction est l’échelle de communication, cette citation tirée du manifeste du Electronic Cafe rédigé en 1984 semble avoir été écrite aujourd’hui(1). À l’aube d’une utilisation croissance de la téléprésence dans notre quotidien, il semble que seuls les secteurs culturels et sociaux explorent des angles d'approches novateurs, hors des modèles mass-médias et des logiques marchandes. Dans un monde où tout est en voie d’être commandité, numérisé et mondialisé, les espaces culturels et communautaires sont-ils les derniers bastions de la spontanéité du moment présent et du contact humain ?
Culture et société / ici et maintenant Pour participer à une performance culturelle en direct et en retirer tous les bénéfices, il faut être présent, ici et maintenant. La rencontre du public et des artistes engendre de nouvelles conversations et favorise les échanges spontanés, avant, durant et après l’événement. Ce choc d’idées, cette expérience "en présence d’un groupe" est la base d’une culture vivante. Comment la disponibilité sur demande d’infrastructures de téléprésence, dans un espace public et culturel, peut-elle enrichir l’expérience de création, d’interaction et de diffusion ? Le Métalab de la Société des Arts Technologiques (SAT) à Montréal explore cette question depuis 2003, et débuta en 2007 le développement d’une plateforme de téléprésence scénique en code source ouvert(2) afin d’accélérer l’expérimentation et la création en réseau avec d’autres centres culturels, où qu’ils soient sur la planète. Voici quelques-unes des informations acquises lors de ces expériences : • La téléprésence scénique nécessite trois types d’expertises dans chaque lieu : informatique et réseau, production audiovisuelle numérique, création et animation. Le milieu des arts technologiques, ou se croisent la
© PHOTOS D.R.
majorité de ces expertises, est idéal pour développer les nouvelles formes de rencontres, d’événements et d’interactions par téléprésence. • L’utilisation d’une plateforme normalisée accélère le partage de connaissance et la naissance d'un réseau international d’expérimentation et de diffusion. Ce réseau humain et technologique est aussi celui qui permet la création de performances qui pourront "effectuer une tournée" sur ce réseau. • Différents types d’interconnexion peuvent être combinés : lieu à lieu, personne à lieu, personne à personne, lieu à espace virtuel, etc. L’exploration des possibilités d’interaction entre des espaces réels, virtuels et augmentés s’annonce fascinante. À suivre… • Dans un monde où l’on est de plus en plus isolé et où l’on se sent relativement anonyme derrière son écran personnel, la téléprésence réactive nos réflexes de comportement de groupe et d’interaction "face à face". Mais l’information incontournable, imposée par la nature et non par la technologie est celle-ci : • Toute activité de téléprésence est composée de plusieurs espaces-temps parallèles que l’on tente de synchroniser. Relier plusieurs "ici" à la vitesse de la lumière implique que l’on se retrouve également avec plusieurs "maintenant". Le réseau numérique est mondial et synchro. L’humain quant à lui est local et cyclique. La position géographique de chaque lieu et de ses participants est nécessairement associée à une culture, une langue et un temps solaire local. Dans le cas d’espaces publics et culturels, chacun possède sa propre histoire
et sa communauté. Une meilleure connaissance des biorythmes humains et sociaux de ceux avec qui nous souhaitons nous relier, de leur "ici" et "maintenant" devient désormais aussi importante que la qualité de la bande passante et du code.
Impact sur les types d’interactions. Si l’omniprésence des communications numériques, autorise chacun à disposer et à organiser son temps personnel comme il le souhaite, il en est tout autre pour l’espace-temps collectif. Par exemple, si une performance ayant lieu un dimanche soir à Montréal est relié par téléprésence avec un quai de métro à Taipei (dimanche soir à Montréal et lundi matin à Taipei), il y aura très peu de chances d’avoir une grande participation du public à Taipei à moins d’avoir intégré la participation de travailleurs prenant le métro pour se rendre au travail dans le scénario. Le "troisième espace", créé lors de toute forme d’activité de téléprésence, se situera au final dans un espace-temps négocié ou imposé selon la nature des liens, des distances et des protocoles existant entre les participants. Dans un scénario synchrone impliquant le rassemblement de plusieurs humains, les règles du cycle solaire peuvent difficilement être outrepassées. Les possibilités d’interactions doivent nécessairement tenir compte de la position géographique des participants. Dans l'axe Est-Ouest, plus le nombre de fuseaux traversés sera élevé, plus la négociation sera complexe… Quels participants devront modifier leur biorythme social pour y assister? Quelles seront les règles d’étiquette en
matière d’élasticité de l’horaire? Y aurat-il un public dans chaque lieu? Alors que dans l’axe Nord-Sud, les négociations reliées à la synchronisation des agendas locaux seront grandement simplifiées, tous les participants vivant sensiblement au même biorythme, personnel et social. Le réseau réduisant la distance à néant, l’espace qui sépare plusieurs groupes reliés par téléprésence n’est alors perceptible que par l’écart entre leurs biorythmes. Cet écart se mesure en fuseaux horaires et non en kilomètres. Le temps solaire local demeurant le seul lien avec notre position géographique, dites-moi : "vous êtes quand ?" et je saurai dans quel corridor temporel vous vous trouvez.
Dieu est un DJ, Falk Richter.
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Mappemonde des corridors culturels spatio-temporels.
des corridors culturels spatio-temporels > L’émergence
La volonté de collaborer et de se rencontrer en réseau fait émerger des corridors culturels spatio-temporels qui font fi des frontières politiques et les remplacent par celles dessinées par le soleil et la langue. En réseau, notre espace-temps local d’interaction s’étend désormais du nord au sud de la planète. Chaque pointe de la mappemonde [ci-dessus] représente un corridor où tous les participants se situent à moins de deux fuseaux horaires entre eux et sont donc, à peu de choses près,
alignés biologiquement. Se déplacer en réseau dans l’un de ces corridors n’entraîne aucun NetLag majeur. À plus de deux pointes de distance, ces contacts éloignés nous semblent plus difficiles à croiser dans notre fenêtre d’espace-temps quotidien et nécessitent une coordination adéquate pour interagir en mode synchrone. Au-delà de quatre ou cinq pointes, il est impossible de réaliser un projet en direct sans que l'un des intervenants ne modifie momentanément ses habitudes de vie. Les événements en téléprésence nécessitant la présence du public dans
un biorythme différent de celui de l’interlocuteur à l’arrivée, l’état d’esprit et d’énergie Franchir la frontière du temps solaire local est alors en décalage avec le sien. est un phénomène technologique récent. Une autre forme de "lag" est apparue avec Ce n’est qu’au début des années 60, avec l’ar- l’arrivée d‘Internet, le "NetLag". Il se manirivée de la démocratisation des vols longfeste lorsqu’on franchit virtuellement plucourriers et internationaux, que la "JetSet" sieurs fuseaux horaires pour participer à un pouvait désormais franchir plusieurs fuseaux événement collaboratif en réseau. Un décalahoraires en quelques heures et ressentir les ge biorythmique est alors ressenti par tous deux effets principaux du "JetLag" : les participants, de manière plus ou moins Décalage solaire / Effets physiques : le corps se forte, en fonction du nombre de fuseaux retrouvant dans un fuseau horaire différent, horaires qui les séparent. il est alors décalé du point de vue de son Au final, le décalage entre l’événement et rythme circadien, son horloge interne. l'agenda quotidien des parties impliquées Il tente immédiatement de se resynchroniser sera le résultat de négociations (meilleur et bouscule son horloge biologique. compromis), de contraintes (salles, publics, Décalage biorythmique / Effets psychiques : événements fixes) ou de situations d’autorité l’horloge biologique étant synchronisée sur (client-fournisseur).
Du JetLag au NetLag
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chaque lieu privilégieront naturellement l’axe Nord-Sud. Les biorythmes sociaux de cet axe s’alignant en plusieurs points, il sera de plus en plus simple de partager quotidiennement nos vies culturelles et professionnelles, même séparés par des milliers de kilomètres. Quant aux liens EstOuest, la téléprésence éliminant tout de même les temps de déplacement et réduisant les effets du décalage solaire, ils seront beaucoup plus orientés vers la collaboration professionnelle ou des rencontres culturelles et sociales occasionnelles, à cause de la négociation constamment nécessaire entre les agendas et biorythmes locaux. La langue parlée est aussi à considérer dans l’émergence de ces corridors culturels. Sur la mappemonde, les zones en couleurs représentent de manière très approximative l’utilisation des langues internationales (celles qui sont également parlées hors de leur pays d’origine) quant aux zones noires, elles indiquent les endroits où la langue d’origine est peu utilisée hors des frontières du pays. On peut donc, avec ces informations, avoir une idée rapide du potentiel de collaboration par téléprésence dans chacun des corridors temporels. De plus en plus d’internautes ayant remplacé le vieux rêve de l’espéranto par celui de "l’esperanglo", la barrière linguistique s’entrouvre lentement mais celle du soleil restera toujours présente.
INNOVATION INTERACTION DIRECTE
Alors, on se voit quand ? Designer depuis plus de 30 ans, René Barsalo a fondé et co-dirigé plusieurs entreprises et organisations sectorielles innovantes à Montréal (en graphisme, multimédia et informatique), trois secteurs en mutation continuelle depuis l’arrivée du numérique. De 2004 à 2011, il fit parti de l’équipe de direction de la Société des Arts Technologiques en tant que Directeur, Recherches & développement, intéressé surtout par la téléprésence et l’immersion. De retour en design, il se consacre actuellement au design d’expériences numériques et au co-design technologique et social. René Barsalo termine également la production de son premier essai transmédia : Carnet de la mutation numérique : premiers impacts sur l’identité, l’espace et le temps, dont la sortie est prévu en 2013.
diplomatiques. Comme le mentionnait McLuhan, first we shape our tools, thereafter they shape us(3). L’émergence des corridors culturels spatio-temporels, issus de nos "tools" informatiques, façonnera à coup sûr notre avenir géo-culturel, économique et politique. Être ensemble, face à face entre citoyens, en direct et sans intermédiaire, au moment même où le monde est en plein bouleversement offre une opportunité exceptionnelle de partager nos points communs plutôt que nos différences.
Les artistes technologiques, experts de l’émotion humaine et de l’instant présent, sont les plus aptes à comprendre et façonner ces nouveaux outils sachant qu’ils nous façonneront inévitablement à leur tour. Une simple question de temps. RENÉ BARSALO UTC -5, MONTRÉAL, QUÉBEC (1) www.ecafe.com/museum/about_festo/84manifesto.html (2) http://code.sat.qc.ca/redmine/projects/scenic/wiki/Scenic_fr (3) Marshall McLuhan, Understanding Media, 1964.
Dieu est un DJ, Falk Richter.
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© PHOTOS D.R.
En comparant le coût d’un billet d’avion à celui d’une rencontre par téléprésence, nos collaborations hors frontières, notamment dans l’axe Nord-Sud, seront plus nombreuses que par le passé. Par ailleurs, est-il envisageable que nous assistions à l’émergence de solitudes culturelles entre l’Est et l’Ouest? Probablement beaucoup moins qu’à présent… Au lieu d’être freiné par de multiples allers-retours coûteux, financièrement et physiquement, nous pourrons entreprendre de longues collaborations sans déplacements onéreux et financer une ou deux rencontres en "présenciel", plus productives que jamais car les introductions auront déjà eu lieu par téléprésence. Du coté de la rencontre des publics, rien ne nous empêche de planifier une série de nuits blanches où tous les habitants de la planète pourront être ensemble à la vitesse de la lumière : une trêve culturelle de 24h abolissant l’alignement de nos biorythmes sociaux et permettant des rencontres entre publics autrement impossible à programmer. Nous avons vécu trop longtemps isolés dans nos cultures nationales, croisant les autres uniquement par le biais des mass-médias et des relations
INNOVATION LUCIFUGE
LE DON D'UBIQUITÉ LUCIFUGE : TÉLÉPRÉSENCE ET CRÉATION NUMÉRIQUE Après la notion de "virtualité", et en attentant la chute d'une autre et éphémère nouvelle "frontière du réel", le développement de la téléprésence renforce la "magie" des arts numériques en venant s'intercaler entre divers protocoles et dispositifs comme l'interactivité, par exemple.
© PHOTO PHILIPPE JASMIN
Yan Breuleux s'illustre dans le domaine de l’animation vidéo expérimentale pour des dispositifs immersifs. Depuis une dizaine d’année, il collabore avec des musiciens et compositeurs — notamment au sein du duo PurForm en compagnie d'Alain Thibault — pour la création de pièces multi-écrans, panoramiques et hémisphériques. En vidéo, soulignons la série de vidéo ABC Light. Ses œuvres ont été diffusées aux festivals Transmediale à Berlin, ISEA à Paris, Dissonanze à Rome, Scopitone à Nantes, Nemo à Paris. Ses projets en ligne ont été présentées au Musée du Québec, de Rimouski et au New Museum of Contemporary Art of New York. Suite au projet Black Box, un dispositif immersif sur quatre écrans, Yan Breuleux a assumé la co-conception et la direction artistique du projet de vidéo panoramique Ars Natura pour la fondation Muséums Nature de la ville de Montréal et la Société des Arts Technologiques.
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Si dans l'inconscient collectif cette faculté s'apparente à celle des dieux, tout en conservant également un sens connoté négativement (proche de la duplicité…), dans la réalité c'est, plus prosaïquement, le fait de pouvoir rassembler au même instant, sur un même projet et avec un pouvoir agissant, plusieurs personnes se trouvant dans différents endroits. Une nouvelle pratique collaborative qui prend de l'ampleur grâce au récent développement de certaines technologies (3D, connexion haut-débit, etc.). Illustration au travers d'un projet transatlantique entre Montréal et Poitiers. Depuis début 2011, la SAT (Société des Arts Technologique de Montréal) et le Lieu Multiple (pôle de création numérique de l'Espace Mendès France de Poitiers) se sont associés autour d'un projet de téléprésence artistique qui soutenu par la Région Poitou-Charentes et le fonds Franco-québécois pour la coopération décentralisée. Il s’agit d’un projet d’utilisation et de diffusion artistique et culturelle des techniques numériques qui utilisent les potentialités des réseaux très haut débit. Cette proposition fait suite à la signature en janvier 2012 d'un contrat de délégation de service public pour le déploiement du réseau de communications électroniques à très haut débit sur le Grand Poitiers. Un chantier qui sera achevé début 2014 et implique les établissements culturels présents sur ce territoire. Ce projet est porteur d'une œuvre baptisée Lucifuge. Une création de Yan Breuleux (Québec) et Robin Meier (France), en collaboration avec les équipes de recherche-création de la SAT à Montréal et du Lieu Multiple à Poitiers, en relation
© PHOTOS D.R.
Société des Arts Technologiques, Montréal.
Espace Mendès France, Poitiers.
avec Hervé Jolly, artiste programmeur. Cette œuvre est réalisée dans le cadre du programme d'échanges mis en place par ces deux structures. Une première résidence d'échanges croisée Contamine SAT/EMF s'est déroulée dans les locaux du Metalab à Montréal du 21 au 27 janvier 2012. L’objectif de cette rencontre en atelier consistait à concevoir le projet en tenant compte des possibilités artistiques des technologies développées par la Société des arts technologiques. Les artistes devaient également établir un calendrier de production en vue et préparer l'autre résidence qui a débutée en septembre 2012 à Poitiers. L’œuvre de téléprésence artistique Lucifuge permettra aux spectateurs-participants de la Satosphère à Montréal et du Planétarium de l'Espace Mendès France à Poitiers de contribuer à l’éclosion d'un écosystème complexe composé d’insectes robots et de masses de particules fuyant la lumière. Équipés de lampes de poches, les spectateurs-participants font réagir les insectes robots qui fuient la lumière ; ils créent ainsi des perturbations visuelles dans l’environnement. Leur interaction en direct et à distance activera également un instrument de musique générative à cordes sympathiques …/… En tout temps, deux groupes de spectateurs-participants à Montréal et à Poitiers peuvent interagir et échanger au sein d’un espace virtuel dynamique et partagé en temps réel. L’installation Lucifuge est construite à partir des outils logiciels et des méthodes de collaboration à distance en direct développés au sein du Métalab de la SAT : la suite logicielle SCENIC pour la téléprésence/téléopération, et l’architecture SPIN (Spatial Interaction Framework) pour
Robin Meier est un artiste suisse, musicien de formation, qui s’intéresse à l’émergence de l’intelligence, qu’elle soit naturelle ou artificielle et au rôle de l’homme dans un monde de machines. Robin Meier essaie d’élucider ces thématiques à travers des compositions musicales et installations sonores. De 2001 à 2005, Robin Meier a suivi les cours de composition électroacoustique au Conservatoire National de Région de Nice et au CIRM. De 2004 à 2007, il étudie la philosophie cognitive à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales à Paris où il a rédigé son mémoire sur les modèles de la cognition et leurs expérimentations artistiques. Depuis 2004, Robin Meier travaille également comme musicien électronique avec des institutions comme l'IRCAM / Centre Pompidou (Paris), CIRM (Nice), FNM / Staatsoper (Stuttgart), La Muse en Circuit (Paris), Radio France…
l’assemblages et le contrôle interactif des éléments visuels et sonores qui permettent l’interaction spatiale et forment l’expérience de l’œuvre. La suite logicielle SCENIC à pour ambition de contribuer à la création d’un nouvel art du spectacle en réseau. C’est un outil puissant, ouvert et simple pour la transmission de flux audio, vidéo et data de qualité à l’intention des techniciens de scène et des artistes de toutes disciplines. En permettant l’expérimentation de concepts scénographiques inédits et le développement de savoir-faires adaptés à ce nouvel espace de création et de diffusion, la suite logicielle SCENIC contribue aux réflexions sur les nouveaux espaces performatifs. L’architecture SPIN a pour principal objectif la création spontanée d’environnements 3D collaboratifs. Elle se compose d’une
suite logicielle et de librairies OSX et Linux pour la visualisation 3D et l’interaction spatiale dans les environnements virtuels en réseau. L’architecture SPIN permet ainsi le prototypage rapide d’expérience immersives interactives et en réseau. Le projet Lucifuge par exemple, fait usage des capacités de SPIN pour la génération de nuages de particules pouvant être générés et altérés simultanément dans les deux lieux. Cet outil ouvre une réflexion fondamentale sur les nouveaux formalismes des processus de mise en forme, de mise en relation et de mise en jeu. LAURENT DIOUF Lieu Multiple, création numérique à l'Espace Mendès France, C.C.S.T.I. (Centre de Culture Scientifique, Technique et Industriel), Poitiers. Site : http://lieumultiple.org SAT, Société des Arts Technologique, Montréal. Site : www.sat.qc.ca
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INNOVATION HACKING
COMMENT LE HACKER AET COMMENT CRÉÉ LE LIBRISTE LES DEUX PEUVENT SAUVER LE MONDE ? Il est toujours difficile de redéfinir un terme à la mode, anglo-saxon et qui plus est, matraqué par les médias à tel point que l’on pense que "hacker", c’est mal, et que "le hacker" est un bandit en puissance. © PHOTO D.R.
La définition que je donne, chaque fois que je le peux, du "hacker", est plutôt proche de "l’ingénieur exalté". Les premiers hackers, et leur culture, sont nés dans un club de modèles réduits au MIT : ils construisaient des trains électriques, très loin de l’image de pirates dont on peut parler aujourd'hui!
Louis Montagne fondateur de Bearstech http://bearstech.com
Cette culture, car c'est bien d'une culture dont on parle, forte et idéaliste, a été présentée par Steven Levy, sous la forme de principes fondamentaux : I. L’accès aux ordinateurs doit être facilité autant que possible II. Toute information est par nature libre et partagée. III. Ne pas se fier à l’autorité, promouvoir la décentralisation IV. Un hacker se juge par ce qu’il fait et non pas par un ordre hiérarchique social. V. Art et beauté peuvent être créés avec un ordinateur. VI. Les ordinateurs peuvent changer le monde, pour le mieux. Plus que le défi, ce qui anime un hacker, c’est la compréhension du monde et le plaisir de faire quelque chose qui restera ou qui est "malin". C’est une démarche créative, active, et très politique, une démarche de compréhension et d'innovation : comprendre comment fonctionne un SMS (pourquoi c’est plus cher qu’un email ?), qu’est-ce qu’un four à micro
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ondes, qu’est-ce que "la sécurité de ce système", comment sont créées les adresses dans une rue… Un hack peut très bien se faire dans le monde réel. Le hacker est idéaliste, il respecte les principes fondamentaux et fera tout pour les faire respecter. L’exemple d’Internet est flagrant : les experts sont souvent des hackers, et c’est grâce à eux et à ces fondamentaux que survit aujourd’hui (encore) un système (presque) libre, ouvert, neutre, un système qui transcende les nations et auquel chacun peut contribuer. Cela pose de nombreuses questions et remet en cause beaucoup de modèles établis. Les notions de frontières et d'État deviennent plus complexes à comprendre, l'économie numérique explose et pourtant repose sur Internet ; et donc sur les six principes. On parle aussi de culture hacker et, au sens large, de culture numérique, avec son éthique, ses règles, ses repères, ses lieux, sa construction. Avec le développement fulgurant du tout numérique, elle est de plus en plus visible bien sûr, mais reste réservée et élitiste. "42", le "glider", "bar", sont quelques points de repères, des ouvertures vers la compréhension de cette culture. Si les hackers ont donné naissance à la démoscene, qui a fourni les premières œuvres numériques, ils ont favorisé la
collaboration, la décentralisation, l’ouverture et ont très probablement donné naissance au Logiciel Libre, à la "culture libre" et à ses "libristes" Le libriste est, d’après Wikipedia : une personne attachée aux valeurs éthiques véhiculées par le logiciel libre et la culture libre en général. Il considère comme fondamentales les 4 libertés du Logiciel Libre : 0. La liberté d'exécuter le programme, pour tous les usages. 1. La liberté d'étudier le fonctionnement du programme et de l'adapter à ses besoins. 2. La liberté de redistribuer des copies du programme (ce qui implique la possibilité aussi bien de donner que de vendre des copies). 3. la liberté d'améliorer le programme et de distribuer ces améliorations au public, pour en faire profiter toute la communauté. (numéroter les listes en démarrant par 0 est techniquement pratique) Il va défendre de grands principes : la liberté d’expression, le respect de la vie privée, le respect de la neutralité d’Internet, les fonctionnements décentralisés comme le P2P, la coopération… Le libriste développe, code, crée des applications, pilote des machines, et partage le plus possible sur ce qu'il fait et comment il le fait. Cela lui permet à la fois d'apprendre des autres, qui vont partager, mais aussi de se mettre en valeur. C'est ainsi que se créent des communautés, souvent autour de projets ou de gurus. Un très bon libriste, ou très bon hacker, va vite se faire un nom, mais si en plus il travaille sur un projet utile ou intéressant, il peut très vite se retrouver à la tête d'un groupe important de personnes. Ce ne sera pas un chef, à proprement parler, mais plutôt un guru, un exemple à suivre.
© PHOTO MOHA
Hype(r)Olds. Les libristes et les hackers sont "les sublimes" d'aujourd'hui : ces ouvriers spécialisés, qui étaient les seuls à savoir paramétrer, préparer et entretenir les chaînes de production des usines à l'époque industrielle. Ils étaient évidemment très demandés, choisissaient leurs employeurs, prenaient beaucoup de temps libre, étaient difficiles à gérer et pourtant indispensables. Il va nous falloir gérer nos sublimes, les écouter et les comprendre, car ce sont eux qui paramètrent le monde industriel de demain. Nous arrivons aujourd'hui à un tournant des modèles sociaux, économiques et des structures en place : nos ressources naturelles se tarissent, l'économie globale atteint ses limites, la capitalisation est de plus en plus risquée, les valeurs de plus en plus difficiles à définir. Le développement durable et l'éco-responsabilité, qui étaient encore il n'y a pas très longtemps des outils de communication ou de simples velléités, deviennent des réalités dures, des actions qu'il faut entreprendre et que par exemple une startup doit absolument prendre en compte.
te information et la connaissance, l'expérience, les moyens d'exploiter l'information. Les récentes initiatives Open Data et Open Gov sont un bon début, mais il ne faut pas s'arrêter là. Il va falloir, dans les années qui viennent, protéger ce partage de la connaissance, protéger ces modèles et cultures, mais aussi donner les moyens d'y accéder correctement. De la même façon qu'il faut apprendre à être citoyen, il faut apprendre à être un bon acteur numérique, un vrai citoyen du net. On voit aussi de nouveaux types d'entreprises émerger dans le monde, reposant sur le principe de la rentabilité pour la structure et pour les employés, non plus uniquement pour les actionnaires (B Corps aux USA ou SCOP en France, par exemple). Bien au delà du clivage sur le capital, ces modèles sont les prémisses de ce qui va probablement devoir exister demain, la qualité de vie des employés et la taille des structures devenant des problèmes critiques. Elles sont aujourd'hui adaptées à ces sublimes, ces hackers.
Le meilleur moyen d'y parvenir est de partager l'information, la richesse de cet-
La force du réseau est incroyable. Qui aurait pensé que l'on aurait pu faire faire
un clip, image par image, par des milliers de gens bénévoles, en l'honneur de Johnny Cash, dans le monde entier ? Qui aurait pensé voir l'application du modèle Open Source dans d'autres secteurs, comme la conception de matériel agricole (Open Source Ecology) ? Être capable de construire soi même son matériel, ça c'est du développement durable ! Qui aurait pensé que des groupes de hackers, comme Telecomix, aideraient des citoyens à reprendre le contrôle de leur réseau, à reconstruire leur morceau d'Internet ? Est-ce que l'on aurait pu prévoir que des mouvements comme Anonymous deviendraient indispensables dans les futurs conflits, montrant la voie d'une organisation décentralisée, résiliente, capable d'intervenir. Le hacker, peut être, sauvera le monde et la culture libre sera son arme. LOUIS MONTAGNE BY COURTESY OF MCD ARTICLE PUBLIÉ PRÉCÉDEMMENT SUR DIGITALMCD.COM EN PARALLÈLE À LA PUBLICATION DE LA REVUE MCD #68 CONSACRÉE À LA CULTURE DU LIBRE DANS LE DESIGN, L'ARCHITECTURE, LA MUSIQUE, INTERNET, LA VIDÉO, L'ART, LA SCIENCE… INFOS : WWW.DIGITALMCD.COM
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INTERVIEW ART
CHRISTINE SCHOPF CO-DIRECTRICE ARTISTIQUE DU FESTIVAL ARS ELECTRONICA © PHOTO RUBRA
Vous faisiez partie, en 1979, des fondateurs d’Ars Electronica. Quel était votre état d’esprit lorsque vous conceviez ce premier festival dédié aux arts électroniques?
Christine Schopf
Nous ne nous projetions pas alors dans les 30 ans à venir, mais nous pensions que l'art, la technologie et la société — le soustitre d’Ars Electronica — constitueraient la scène du futur. Et ce, dès les prémisses. Ni le nom, ni le sous-titre n’ont changé. […] Mon patron, Hannes Leopoldseder, qui est à mon avis le véritable fondateur d'Ars Electronica, a eu cette idée, parce que seulement quelques années auparavant, le premier produit d'Apple, le premier ordinateur personnel, avait fait son apparition sur le marché. Nous étions tous convaincus que cette technologie personnelle aurait une influence sur les arts, que les artistes en feraient usage, pouvaient déjà l'utiliser et qu’elle influencerait notre société. Au départ ceci n’était censé être qu’un petit colloque portant sur la musique électronique. Cependant un compositeur de musique électronique a émis l'idée d’en faire un symposium et il a ainsi contacté Hannes Leopoldseder. Pour Hannes, il était très clair que cela pourrait être bien plus qu'un petit colloque, qu’on pouvait en faire un festival et qu'il devrait s’orienter vers l'avenir. […] Nous avions l'idée, mais nous n’avions pas présagé de sa force et de sa rapidité, ni que cette technologie allait faire partie de la vie de tout un chacun. On l’ignorait, tout le monde ignorait ce qui allait se passer dans les années à venir.
De nos jours, les technologies du numérique et des réseaux sont omniprésentes. 24 - digitalarti #11
Aussi, n’est-ce pas l’aspect sociétal de votre événement qui en préserve la pertinence ? Le mot "société" était présent dès le début, et nous avons également inclus les sciences. Ainsi, il ne s’est jamais agi de créer un festival d'art élitiste. C’était plutôt censé être un festival culturel, traitant de questions culturelles, et il était clair que cette technologie pourrait grandement influencer notre société. Nous constatons aujourd'hui que même la crise actuelle ne se serait pas produite sans les technologies numériques, les réseaux et la mondialisation de l’informatique. Notre idée précise consistait à créer un festival qui englobe la science. En réalité, la première édition était un symposium davantage axé sur la technologie et l'art […] Au début, les thématiques ne concernaient pas le grand public de Linz. Ils n’allaient jamais à la Maison de Bruckner. C’est partout pareil. Les gens de la ville où l'évènement se déroule ne viennent pas, mais des gens de partout ailleurs dans le monde y assistent.
Les élus de l’époque n’auraient pas continué à financer un événement excluant les publics locaux ! Hannes Leopoldseder pensait qu’il nous fallait un événement à l'extérieur. Il s'est agi du Nuage Sonore: le Klangwolke de Linz, en plein air. […] Le premier Nuage Sonore était la 8e symphonie d'Anton Bruckner. Nous avions une bande 8 pistes, divisée en quatre, avec des haut-parleurs sur les deux rives du Danube, un gros ballon au centre, un faisceau laser (une nouvelle technologie à l'époque), et nous attendions environ dix mille personnes. En fait, c'est une centaine de milliers de
personnes qui sont venues. Nous avions effectué un vaste travail de promotion, et nous avions également invité les gens à participer : si vous ne pouvez pas vous rendre au Klangwolke, prenez votre radio, mettez-la sur votre fenêtre, mettez-la dans votre jardin et créez votre propre nuage sonore. La Symphonie a été diffusée sur place et à la radio en même temps. Donc, une centaine de milliers de personnes sont venues, ce qui a convaincu les politiciens. Ils ont tout d'abord déclaré, “d'accord, nous allons garder le Klangwolke, mais oubliez Ars Electronica, qui est destiné à un public confidentiel et ne nous intéresse pas”. Au final, Hannes Leopoldseder les a convaincu de le conserver. Sa proposition était : “Faisons une biennale. Vous nous donnez le budget chaque année, nous le rassemblons et organisons l’évènement tous les deux ans”. Il s’agissait juste d’un aspect pratique. Grâce à cela, Ars Electronica a attiré de plus en plus l'attention. Finalement, les politiciens en ont compris la pertinence.
L’évolution du Prix Ars Electronica, au fil du temps, est un véritable sujet d’étude. Le Golden Nica de la catégorie Computer Animation, par exemple, a été très attendu par le passé alors qu’aujourd’hui, c’est davantage la catégorie Hybrid Art qui attire l’attention ! Lorsque nous avons débuté Ars Electronica avec trois catégories, nous avons clairement déclaré qu'il s'agissait d'un projet en pleine évolution. Parce que la technologie se développe, et qu’il doit être ouvert sur l'avenir pour intégrer de nouvelles catégories, mais aussi pour en supprimer certaines. Au fil des ans, le Prix Ars Electronica est passé à sept catégories avec plus
© PHOTO NICOLAS FERRANDO & LOIS LAMMERHUBER
Ars Electronica Center. ou moins de variations technologiques et artistiques. Il nous semble de plus en plus que les frontières entre les arts s'estompent. Par exemple, si vous allez à l'exposition CyberArts, vous y verrez l'animation finale de Nica. Est-ce une installation ? Est-ce une animation ? On trouve dans la section musique, une œuvre allemande incluant de la visualisation et de l'acoustique. Est-ce de la musique ? Est-ce de l'art sonore ? Tout cela ne cesse de fluctuer. Comme je l'ai mentionné au tout début, je ne considère pas Ars Electronica comme un festival d'art pur, à l’instar de la Documenta. Nous le concevons en quelque sorte comme un vaste laboratoire de recherche.
Le numérique n’a de cesse de façonner notre société… Certaines années, nous nous sommes centrés davantage sur l'art, d’autres sur la technologie. Par exemple, en 1990 : la réalité virtuelle et la vie artificielle. Tout cela est lié à la question : quel en est le sens ? Nous ne présentions pas la réalité virtuelle comme une simple nouveauté technologique, mais posions les questions suivantes : "Comment cela pourrait-il influer sur notre société ? Qu'est-ce que cela signifie ?" Nous avons donc accueilli pléthore de gens extraordinaires, issus de contextes très différents. Il y avait Bruce Sterling, qui n'est certainement pas versé dans la technologie, William Gibson ou
d’autres personnes issus d'une position tout à fait différente discutant du sens de tout cela. D’autres thématiques étaient davantage liées à la société, voire influencées par la politique. Les choses varient. Certaines années, la thématique est plus philosophique, alors que d’autres elle est plus technique.
Les institutions muséales sont encore réticentes à l’idée de collectionner des œuvres instables. Ars Electronica, de par son ouverture aux pratiques artistiques émergentes, ne serait-il pas devenu une sorte de salon des refusés, pour les bannis du marché de l’art contemporain ? J'ai récemment dialogué avec Julius von Bismarck. Je l'ai interrogé sur la situation des arts médias. "S’inscrivent-ils dans le marché de l'art traditionnel, les musées, les galeries ?" La question financière persiste. "Où se situe l'original quand on parle d'art ? Est-ce durable ?". La technologie se transforme. Bientôt, peut-être dans 10 ans, on ne sera plus en mesure de l’exposer. C’est un problème qui nous est propre. Concernant le marché de l’art, mais je pense aussi aux musées et aux galeries, l’installation d’œuvres interactives ou d’art génétique comporte également une part de risque, car ces choses ne sont pas vraiment durables et nécessitent beaucoup d'entretien. La plupart des musées n'ont personne pour s’occuper de la maintenance.
La difficile pénétration du marché de l’art des œuvres numériques ne serait-elle pas essentiellement liée à la question de l’original induisant la rareté? Ce que nous montrons ici provient plus ou moins de laboratoires, de studios individuels […] J'ai parlé à Steven Sacks de la Bitforms Gallery à New York. Il vend de l'art médiatique. Nous avons parlé de l’ARCO à Madrid, où il avait un stand. Comme certificat d’authenticité, il donnait le code source, mais c'est un clin d'œil. Rafael Lozano-Hemmer, qui réalise de nombreuses œuvres interactives à grande échelle, produit des tirages à cet effet. Ainsi, une œuvre d'art doit toujours trouver le moyen d'être durable. Nous avons plus de 30 ans d'histoire et quand je regarde en arrière, cela a toujours pris du temps. Je me rappelle des premières images d’Herbert Franke, un des pionniers de l'infographie, également très lié à Ars Electronica. Les galeries et les musées d'art contemporain ne montraient pas son travail. Ils montraient des tirages, faciles à produire, faciles à exposer. C’est vraiment venu petit à petit. Avec un retard de plusieurs années, le marché de l'art a fini par s’ouvrir. Ca a commencé avec l'art vidéo, qui a débuté en même temps, dans les années 60, aux États-Unis et en Europe. L’art vidéo n’a commencé à intéresser les collectionneurs que 20 ans plus tard! INTERVIEW PAR DOMINIQUE MOULON LE 31 AOÛT 2012, À LINZ, EN AUTRICHE
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FEEDBACK ARS ELECTRONICA
ARS ELECTRONICA 2012 C’est précisément le 18 septembre 1979, à Linz, que le premier festival Ars Electronica a été créé par Hannes Leopoldseder, Hubert Bognermayr, Herbert Werner Franke et Ulrich Rützel. Mais qui, à l’époque, aurait imaginé une telle longévité pour un événement positionné à la croisée des arts, des technologies et problématiques sociétales dès sa première édition ? Cette année encore, Christine Schöpf et Gerfried Stocker en ont assumé la direction artistique.
Vue d’ensemble Les cartographes, de tout temps, ont œuvré à la représentation du monde. Et force est de reconnaître que la photographie intitulée The Blue Marble, une image satellite de la Terre datant de 1972, a grandement participé à la prise en compte de sa fragilité. Et puis Google est arrivé pour en publier les moindres recoins. L’exposition The Big Picture de la Brucknerhaus rassemble ainsi de multiples représentations du monde. Il y a, notamment, deux grands écrans connectés au site Visualizing.org. C’est ainsi que l’on saisit, au regard de la carte Map of the Internet Submarine Cables dessinée par Nicolas Rapp, que le cloud computing n’est autre qu’une invention marketing. Car les emails que nous envoyons à des correspondants localisés sur d’autres continents empruntent les câbles que des humains, patiemment, ont déroulé au fond des mers. La route des câbles, entre l’Est des États-Unis et l’Ouest de l’Europe, y apparaissant des plus "embouteillée". Le réseau des réseaux serait donc bien moins immatériel qu’il n’y paraît avec ces data centres, gros consommateurs d’énergie, qu’un maillage de câbles relie les uns au autres.
Sous surveillance Desire of Codes est une série d’installations de Seiko Mikami que l’on peut voir et revoir tant elle évolue au fil des expositions.
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Dans l’invisible Ars Electronica, c’est aussi un centre aux allures de musée des sciences où l’art, parfois, se mêle à l’innovation. Et c’est tout en bas, tout au fond, qu’un cartel apparemment sans œuvre attire le regard. Puis, on continue son chemin entre médiateurs et objets technologiques quand tout à coup on se sent observé. Là, quelque part, il y a un regard, un œil qui nous épie, nous surveille, une fois encore. Mais il n’apparaît furtivement que dans les espaces balayés par des regards momentanément
abandonnés. La lecture du cartel renseignant cette œuvre extirpée de l’invisible et intitulée saccade-based display nous informe sur le contrôle numérique, à la milliseconde prêt, de diodes électroluminescentes. La persistance rétinienne se chargeant du reste. L’apparition furtive de cet œil espion pouvant être considérée comme la conséquence d’une collaboration involontaire entre le dispositif de l’œuvre et le corps du spectateur. Cette pupille qui littéralement se déplie dans l’espace ne serai-elle pas la parfaite métaphore de la société sous surveillance à propos de laquelle Georges Orwell nous avait pourtant mis en garde ?
De la disparition Tous les ans, l’Université des Arts de Linz accueille les créations des étudiants artistes d’une autre école. Cette année, c’est l’Université des Arts de Berlin qui est à l’honneur et le niveau y est excellent. On y découvre notamment l’installation Digi.flat 90-12 du collectif berlinois Korinsky. Il s’agit d’un assemblage de scanners à plat retournés vers les spectateurs. Lentement, ils scannent l’espace de l’exposition. Cette œuvre lumineuse incitant à la contemplation est aussi intéressante parce qu’elle détourne des machines en voix de disparition. Que pourrait-on encore numériser dans un monde où tout est numérique ? Les scanners à plat, symbolisant hier
Seiko Mikami “Desire of Codes”, ICC, Tokyo, 2011, Source : Keizo Kioku
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Nicolas Rapp, Map of the Internet Submarine Cables, 2012. Source : Fortune
Cette fois, c’est au Lentos que ses bras mécaniques s’exhibent en nous épiant au travers de leurs objectifs. Ceux de la première salle, au nombre de six, se déplacent avec souplesse dans le silence, ou presque, pour s’enfuir lorsqu’on les observe. Toujours, nous sommes dans la ligne de mire de l’un d’entre eux, comme placé sous une constante surveillance, mais sans jamais savoir sous quel angle. La fluidité des mouvements de la machine, telle une douce menace, détourne notre attention alors que nos images, sur le sol, apparaissent et disparaissent au fil des relais, entre caméras. Mais il est d’autres bras articulés qui nous attendent dans une salle mitoyenne. Ils s’activent aussi dès lors qu’ils nous repèrent, mais ils sont plus petits, plus nombreux, plus bruyants aussi, et n’évoluent qu’en saccades. Ici, c’est par leur nombre que l’œuvre se fait quelque peu menaçante, quand elle nous suit de tous ses bras robotisés. Un écran circulaire fragmenté augmentant la part d’insecte de cette seconde machine qui nous observe sans relâche tout en affichant, subrepticement, des séquence vidéo nous représentant comme autant de preuves par l’image d’une extrême vigilance.
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l’accès au numérique, n’évoquent plus d’aujourd’hui que le passé analogique de documents électroniques. Ces objets technologiques d’une révolution passée détournés par des artistes de la génération des natifs numériques retrouvent ainsi un usage par la lente acquisition d’une parcelle de monde.
Spectateurs engloutis Enfin, c’est à l’Offenes Kulturhaus que l’on retrouve l’exposition CyberArt dédiée aux œuvres récompensées par des distinctions allant, selon huit catégories, des très attendus Golden Nica aux mentions d’honneurs. Mais l’entrée du musée est partiellement obstruée par l’installation d’un autre événement : Sinnesrausch. Deux rouleaux jaunes striés de noir et semblables à ceux des stations de lavage automatique y attendent le public. Quand ils tournent, gonflés par la vitesse, ils sont plus beaux encore. Mais quel est celui qui, enfant, n’a pas souhaité rester au sein du véhicule s’engloutissant dans un flux de couleurs saturées et humides ? Ce portique conçu par l’artiste David Moises et intitulé Touch of the Tiger — bien qu’il n’ y ait ni savon ni eau à l’entrée du musée — continue de nous signaler la limite entre un avant et un après, entre un espace et un autre, sorte de passage obligé aux allures de rite initiatique. Car ne devrions-nous pas, en effet, nous séparer de tout préjugé, comme de toute idée préconçue, avant d’entrer dans un lieu dédié à l’art ?
De l’ordre au chaos Nous sommes maintenant dans l’exposition CyberArt, sous l’installation luminocinétique Versuch unter Kreisen de Julius von Bismarck. Celle-ci n’est autre que la conséquence artistique d’une résidence passée au CERN, là où les particules circulent sur des anneaux à grande vitesse. Les quatre lampes qui sont suspendues au plafond décrivent, elles aussi, des cercles, mais à des vitesses différentes. Partant de là, toutes les chorégraphies sont possibles, toutes les interprétations aussi. Elles effectuent des figures que d’imperceptibles transitions enchaînent les unes aux autres. Aux dires de l’artiste, il ne serait ici
question que de mathématique, alors que l’on se demande quelle est celle, des quatre lampes à incandescence, qui dirige les autres. Et sitôt qu’elles s’accordent, comme liées par des liens invisibles, il en est une qui semble accélérer tandis qu’une autre ne parvient pas à retenir le groupe. On pourrait les observer des heures durant, hypnotisé par la beauté esthétique des lois de la physique. L’artiste Julius von Bismarck, lorsqu’il reçoit son prix, avoue avoir beaucoup appris au CERN. Il est vraisemblable que les scientifiques, à leur tour, aient été marqués par sa présence.
Des oies lunaires À Ars Electronica, il est généralement des œuvres qui sont présentées alors que d’autres ne sont que documentées. Mais c’est bien la documentation, dans le cas d’Agnes Meyer-Brandis, qui fait œuvre. The Moon Goose Analogue n’étant que l’étape d’une recherche poétique qui se construit au fil des résidences et expositions. À l’origine, il y a un livre écrit en 1602 par Francis Godwin : The Man in the Moone. Ce dernier y décrit le voyage sur la Lune, tracté par des oies, de Domingo Gonsales ! Mais c’est aussi le premier texte évoquant l’apesanteur. L’artiste allemande décide alors d’élever des “oies lunaires” en s’assurant qu’elles mémorisent son visage dès l’éclosion. Agnes Meyer-Brandis les a toutes baptisées selon des noms d’astronautes avant de les préparer à réitérer l’exploit de celles qui ont mené Domingo Gonsales sur la Lune. La collision entre art et science, dans ce projet, y est parfaitement orchestrée, jusqu’à la couleur grise du sol lunaire reconstitué pour l’occasion. Sans omettre la salle des commandes connectée aux oies. La science, ici, est au service d’un imaginaire qui, toujours, la précède.
Un art libre de l’assemblage Il est bien des artistes qui n’ont pas totalement quitté l’enfance. Le projet collaboratif Free Universal Construction Kit initié par Golan Levin et Shawn Sims après avoir constaté l’incompatibilité entre elles des pièces provenant de divers modèles de jeux de construction en est un exemple.
Il est dorénavant possible de télécharger gratuitement les modèles en trois dimensions de 80 adaptateurs dédiés à l’assemblage de briques de différentes marques allant de Lego à Tinkertoys en passant par Duplo. Les imprimantes 3D se démocratisent. On en voit, progressivement, apparaître au sein de petits laboratoires de fabrication où la culture des technologies Open Source est associée à la pratique d’un Art Libre. Le Free Universal Construction Kit est donc bien plus politique qu’il n’y paraît quand il nous incite, non plus à refuser les standards, mais à imaginer les possibles connexions nous permettant de créer en opérant par l’hybridation. Et c’est peut-être l’hybridation des approches, à la croisée des arts, des technologies et problématiques sociétales, qui assure sa longévité au festival Ars Electronica ! DOMINIQUE MOULON
+ D’INFO : Ars Electronica < www.aec.at > Visualizing.org < www.visualizing.org > Lentos < www.lentos.at > Seiko Mikami < www.idd.tamabi.ac.jp/~mikami/artworks > Junji Watanabe < www.junji.org > Korinsky < www.korinsky.com > David Moises < www.davidmoises.com > Julius von Bismarck < www.juliusvonbismarck.com > Agnes Meyer-Brandis < www.ffur.de > Golan Levin < www.flong.com > Shawn Sims < http://sy-lab.net > Free Universal Construction Kit < http://fffff.at/free-universal-construction-kit >
1. Junji Watanabe, Hideyuki Ando, Tetsutoshi Tabata, & Mariana Verdaasdonk, saccade-based display, 2007.
2. Korinsky, digi.flat 90-12, 2012.
3. David Moises, Touch of the Tiger, 2005.
4. Julius von Bismarck, Versuch unter Kreisen, 2012. Source : Rubra.
5. Agnes Meyer-Brandis, The Moon Goose Analogue, 2012.
6. F.A.T. Lab & Sy-Lab, Free Universal Construction Kit, 2012.
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FEEDBACK ZERO1
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Hojun Song, OSSI (Open Source Satellite Initiative), 2008.
SEEKING SILICON VALLEY La vallée de l’innovation sur la côte Ouest des Etats-Unis est le symbole de la culture numérique. Google, Facebook, Ebay… sont les campus qui font rêver le monde entier. Il y a deux ans, la Biennale ZERO1 de San José mettait l’accent sur ces jeunes talents qui inventent les nouveaux usages et transforment notre quotidien avec pour thème Out of the Garage. Cette année, la curatrice Jaime Austin, a choisi comme thématique Seeking Silicon Valley, à la recherche de l’identité culturelle si particulière à cette "Bay Area" de Californie. L’idée lui est venue alors qu’elle allait chercher à l’aéroport des invités internationaux avides de visiter ces lieux de l’innovation numérique. Mais le "road trip" consistant à découvrir les entreprises était souvent déceptif. Rien à voir, à part des parkings et des campus fermés au public.
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La découverte excitante de cet écosystème ne se passe pas sur place. La Silicon Valley est un réseau qui se révèle davantage virtuellement que physiquement. La créativité et l’innovation restent à l’abri des regards. Voilà pourquoi Jamie Austin, née dans la vallée, a invité 4 curatrices internationales pour inaugurer le Garage ZERO1 à San José et expérimenter un commissariat d’exposition collaboratif bien au-delà du territoire. Chacune a pu exprimer sa vision de la Silicon Valley et apporter un regard particulier sur l’art et l’innovation. Dooeun Choi, commissaire d’exposition coréenne basée à New York, Gisela Domschke connectant la Silicon Valley au Brésil, Michelle Kasprzak d’Amsterdam et Regina Möller de Berlin. Ensemble, elles forment déjà une équipe innovante dans
cette Silicon Valley où 95% des cadres dirigeants des grandes entreprises sont des hommes. L’exposition, qui dure jusqu’au 8 décembre 2012, présente une sélection de 24 artistes représentant 11 pays. Parmi les œuvres marquantes, celle de Stéphanie Syjuco, née aux Philippines et travaillant à San Francisco, Free text, The Open source reading room, une sélection des meilleurs textes sur le mouvement open source et creative commons. Baby Work de Shu Lea Cheang qui, à partir de nos déchets électroniques, crée un mur robotique, interactif et musical. Ou la visualisation des cours du Nasdaq de Michael Najjar transformés en pics montagneux d’Amérique du Sud. Dooeun Choi a invité Maurice Benayoun pour une installation de téléprésence Tunnels around the world, connectant notamment MediaCity Seoul 2012 à la Silicon Valley en temps réel. Elle a également sélectionné Aromapoetry d’Eduado Kac (que nous avions découvert au Centre des Arts d’Enghien-les-Bains) pour une expérience de nanotechnologie olfactive, Brain Station 2 de l’artiste chinois Wu Juehui qui transforme les ondes cérébrales en lumière et le coréen Hojun Song avec son Open Source Satellite Initiative (OSSI). Selon lui, la science est une fantaisie et doit être ouverte aux contributions citoyennes. Ce projet, qu’il mène depuis plusieurs années, l’a amené à participer à toutes les conférences scientifiques sur l’espace spatial. Ce premier satellite construit exclusivement de composants open source, a été fabriqué notamment grâce à une résidence en France, et sera lancé bientôt avec des partenaires russes. Pour contribuer à son financement, connectez-vous sur son site : http://opensat.cc. Art en milieu spatial, nano art, téléprésence et ondes cérébrales, la sélection de Dooen Choi, née dans le pays de Nam June Paik, met l’accent sur les artistes qui utilisent les technologies pour révéler l’invisible, qui nous connectent avec une expérience intime et conjuguent le futur au présent. Pour les écrans urbains, elle a présenté notamment The Sigh of Fukushima, de Bae Youngwhan, artiste coréen arpentant le site de Fukushima avec un guide japonais et filmant avec une caméra embarquée. Et News from nowhere de Moon Kyoungwon and Jeon, un diptyque qui questionne le rôle de l’artiste après la fin du monde. Pour Régina Möller de Berlin, la Silicon Valley impressionne par la disparition des corps au profit de la réalité virtuelle. Les artistes qu’elle a sélectionnés, Wendy Jacobs, Jae Rhim Lee et Jegan Vincent de Paul, témoignent que nous ne sommes
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pas seulement des êtres virtuels et replacent notre corps physique au cœur de nos expériences numériques. Le corps invisible mais aussi la remise en question des nouveaux usages et de l’innovation au regard des enjeux environnementaux. Voici le thème exploré par Gisela Domschke. Les artistes brésiliens invités travaillent sur le recyclage (Gambiologia) ou questionnent notre consommation frénétique de téléphones mobiles (Lucas Bambozzi). Enfin, Michelle Kasprak souligne que l’art est probablement ce qui fait défaut dans la culture de la Vallée. Pourtant ce lien entre science, innovation et créativité est fertile. L’artiste aujourd’hui est un entrepreneur. Pour illustrer ces liens art-science, elle a choisi des artistes européens : Frédérik de Wilde, belge, avec son œuvre d’un noir si profond qu’il absorbe la lumière (Nano art), la française Nelly ben Hayoun et son Ground Control: An Opera in Space by The International Space Orchestra, le premier orchestre composé de scientifiques de l’espace, le suisse Pe lang et ses installations cinétiques (Falling Objects et Moving Objects) et le fameux grille pain décomposé-recomposé, The Toaster Project, du designer londonien, Thomas Twaites. Selon Michelle Kasprak, l’ingrédient principal de cette vallée de l’innovation est le droit à l’échec. Il s’agit de prototyper sans cesse, avant de réussir une expérience. Parfois le processus est plus important
que le résultat. Voilà la nouvelle frontière et l’enseignement majeur de cet écosystème si particulier qu’il ne peut être reproduit dans aucune autre partie du monde. Outre le Garage ZERO1, lieu d’exposition permanent conçu par l’architecte Christopher Haas, l’art était disséminé dans l’espace public. La soirée E-Merge, dédiée aux artistes émergents a réuni 10 000 spectateurs dans le centre de San José. Le programme ArtHERE a permis aux entreprises locales d’être associées à la sélection artistique. Par exemple, le centre de yoga avait invité Samson Young de Hong Kong, un artiste transformant nos ondes cérébrales en musique. Des œuvres d’art vidéo ont été également diffusées sur des écrans installés dans l’espace public, avec notamment une programmation de Nina Colosi du Streaming Museum de New York (1). Un réseau de partenaires locaux a engagé des projets sociaux et environnementaux qui continuent bien après la Biennale et soulignent les liens entre réel/virtuel, art/technologie, global/hyper-local, public/privé : le Lemonopoly est un jeu interactif qui vise à rendre la vallée autosuffisante en production de citrons, Manifest.AR@ZERO1 dissémine des projets de réalité augmentée… une installation a même été autorisée devant le campus de Ebay : Before Us is the Salesman’s House de Jer Thorp et Mark Hansen ! Pour finir ce panorama, des rencontres
avec les artistes et les commissaires d’exposition étaient organisées. Un des moments forts a été la présentation par Bruce Sterling de sa vision de la nouvelle esthétique liée aux usages du numérique(2). Bruce Sterling a commencé par rappeler que l’art sur ordinateur a une histoire qui n’est pas assez reconnue. Les images générées par des programmes informatiques existent depuis plus de 50 ans. Ce qui est nouveau cependant, ce sont nos gestes quotidiens : prendre une photo avec son iPad, chercher le Wifi dans l’espace public… Nous habitons désormais le monde du code, un monde rendu surréaliste par l’irruption du digital dans le réel. Un grand bravo à toute l’équipe de ZERO1, pour l’édition 2012 de cette biennale et l’ouverture de son lieu permanent d’exposition accueillant les artistes internationaux au cœur de la Silicon Valley. Nous partageons pleinement les convictions de Joel Slayton, directeur de ZERO1, lorsqu’il affirme : l'art élargit notre compréhension critique du monde en provoquant de nouvelles idées, des expérimentations et des stratégies créatives. Nous savons que les choses deviennent intéressantes quand les disciplines se confrontent. À suivre…
Shu Lea Cheang, Baby Work, 2012.
+ D’INFO : < www.zero1biennial.org >
ANNE-CÉCILE WORMS (1) www.streamingmuseum.org (2) www.wired.com/beyond_the_beyond/2012/04/ an-essay-on-the-new-aesthetic
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FEEDBACK SCOPITONE
NANTES AU FORMAT
NUMERIQUE Évènement grand public, ouvert sur sa ville et les musiques électroniques de convivialité, le festival SCOPITONE poursuit dans le sillage de la structure Stereolux et de ses installations, un travail de vulgarisation de la création numérique. © PHOTOS COLLECTIF BELLAVIEZA / D.R.
comme Le Lieu Unique qui accueillait pour l’occasion la nouvelle création du Japonais Ryoichi Kurokawa. Délaissant ses formats triple écrans traditionnels, Mol se présente sous la forme d’une projection holographique sur deux surfaces en plexiglas. Bien que sise dans un contexte scénographique de jeux d’optique et de miroirs plutôt nouveau pour son auteur, la pièce reste fidèle en revanche à ses interactions rugueuses et synesthésiques entre images et sons.
Cette année d’ailleurs, de nombreuses initiatives présentées dans le cadre de Scopitone allaient dans ce sens. Une rencontre Entreprises/Artistes évoquait ainsi, entre autres, la régénération de la créativité dans les entreprises liées à la création digitale en présentant quelques exemples concrets comme l’installation interactive Valeurs Croisées de Samuel Bianchini, produite dans le cadre d'un contrat de recherche externalisée avec Orange Labs, un réseau mondial de centres de recherche initié par le Groupe France Telecom Orange. La thématique Art et Robotique était mise en avant, à travers une conférence présentant les enjeux contemporains de la relation humain-robot et certaines expériences d’apprentissage social induites (à travers les fonctionnalités du robot NAO, par exemple), mais aussi par le biais d’un workshop confié à l’artiste américain Jason Cook, par ailleurs responsable du Artlab de Digitalarti. Ce dernier présentait également sa récente pièce Touch Sensitive, une sculpture articulée en plumes dirigée manuellement en temps réel par un contrôleur arduino placé dans un gant.
Sensible 1.0, Bram Snijders + collectif Deframe.
Stereolux, plateforme numérique créative
Mol, Ryoichi Kurokawa.
+ D’INFO : < www.scopitone.org >
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A priori, les visiteurs du Château des ducs de Bretagne s’attendent plus à voir quelques tapisseries moyenâgeuses ou des armures sur pied que des installations numériques. Pourtant, durant la semaine Scopitone, ce sont deux pièces du genre, plutôt spectaculaires, que le public a pu admirer, et expérimenter, dans les espaces du monument nantais. Illustrée par les détails sonores frissonnants d’Ulf Langheinrich, Infinity II, la cascade d’eau inversée — elle donne l’impression de remonter sa chute — de l’artiste coréenne HeeWon Lee semblait figer, avec sa boucle liquide sur écran géant, le caractère intemporel de la Tour du fer à cheval. Au rez-de-chaussée du Bâtiment du Harnachement, l’installation de Laurent La Torpille, 13 septembre 1858, proposait une exploration interactive sur triptyque numérique du steamer L’Austria, disparu au large de Terre-Neuve il y a 150 ans. Si différents lieux étaient investis pour leur polarité musicale — et festive ! (Le Stakhanov, Le Ferrailleur, Le Pôle Etudiant, La Friche Electro) —, les lieux culturels symboliques n’étaient pas oubliés,
Mais si le festival Scopitone se plait toujours à essaimer sur plusieurs sites, il dispose depuis un an d’un lieu dédié, Stereolux, du nom de la structure qui le chapeaute désormais, elle-même rivée à une sorte de pépinière "nouveaux médias" situés en bout de l’Île de Nantes (aux côtés d’autres relais, comme La Fabrique et Trampolino). Une logique partenariale et chercheuse, qui a permis de mettre en friche diverses activités, de résidence notamment, à travers des laboratoires du numérique dessinant la tendance de plus en plus actuelle des festivals à intégrer ce genre de plateformes technologiques et artistiques en leur sein. Après Laurent La Torpille cette année, ce sont Murcof et Simon Gelfus d’Anti VJ, mais aussi YroYto et Transforma — pour la suite très attendue de leur projet Asynthome, en l’occurrence Bsynthome —, ou le spécialiste du mapping augmenté Desaxismundi qui bénéficie actuellement de ces infrastructures. Outre le festival, précise ainsi Cédric Huchet, programmateur en charge de la partie numérique, nos perspectives doivent nous amener à développer de plus grands axes de travail et de réflexion. C’est donc de la constitution d’une véritable plateforme numérique créative qu’il s’agit.
Mapping et poésie Concernant les projets de mapping vidéo, dont les versions monumentales ont tendance à avoir de plus en plus pignon sur rue à l’image des performances de mapping architectural popularisées par plusieurs artistes et collectifs français (1024 Architecture, mais aussi Anti VJ), le festival semblait esquisser le désir des artistes de revenir vers un mapping plus intime, voire minimaliste. Tel est le cas de la création Sensible 1.0 de Bram Snijders et du collectif Deframe, où le mapping se replie sur le corps dans des lignes body art épurées. Ou encore de la pièce que ce même Bram Snijders a réalisé avec Carolien Teunisse, Re :, où la surface de projection mappée s’avère être… le vidéoprojecteur lui-même ! Un jeu de réflexion à double sens, puisqu’au-delà du dispositif dessinant sur les miroirs ceinturant l’appareil de très suggestives figures géométriques, c’est à une véritable scénographie de l’auto-représentation de la technologie que l’installation conviait le public.
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Mécaniques Discursives, Fred Penelle & Yannick Jacquet.
Re :, Bram Snijders & Carolien Teunisse.
Dans la friche électro Alstom, Eyjafjallajökull, la pièce de Joanie Lemercier, sorte de double panneau d’angle épousant les murs et reprenant sous forme mappée les contours du volcan islandais qui a paralysé le trafic aérien l’an dernier, se réveillait à nouveau après sa présentation au Mapping Festival genevois. Son décor retravaillé, utilise toujours une technique de reverse mapping plutôt sensuelle, où le visuel peint est "augmenté" par des voiles de lumière fugitives. Cette finesse poétique était d’ailleurs partagée par d’autres propositions, aux connotations artisanales allant parfois jusqu’à l’échelle réduite. Les Mécaniques Discursives de Fred Penelle et Yannick Jacquet, mêlant juxtaposition de dessins sur les murs et insertions d’images numériques animées au dernier étage de Stereolux créaient de très dadaïstes jeux de collages amusants à suivre du regard. Plus confiné, le théâtre
multimédia miniature de la pièce The Icebook de Kristin & Davy McGuire jouait la carte du sensible à très petit format. À l’intérieur d’une salle minuscule, le public réparti en petits groupes était convié à assister à la projection d’un petit conte de fées numérique — l’histoire d’une princesse attirant un garçon dans la forêt afin de réchauffer son cœur de glace —, se présentant sous la forme d’un écran sur lequel avait été fixé une sorte de pop-up book, un livre de paysages découpés en carton et servant successivement de décors optiques à de petites saynètes incrustées.
Eyjafjallajökull, Joanie Lemercier.
Cinétose, Projet EVA.
La menace "Cinétôse" En dépit de ses approches plus stylisées, plus fines dans leur agencement, toutes les installations de Scopitone ne renonçaient pas pour autant à des formats immersifs plus massifs, dans la grande lignée des pièces déstabilisatrices portées par des pionniers comme Granular Synthesis et Kurt Hentschläger. Dans ce registre, c’est le dispositif Cinétose, conçu par l’équipe québécoise du Projet EVA, qui a remporté la palme de la réalisation la plus oppressante. Imposante installation électromécanique, Cinétose — référence au mal du mouvement — se présente sous la forme de larges plaques d'acier accrochées à une grille mobile située audessus des spectateurs, et descendant de façon menaçante et inflexible, tout en accomplissant une vaste série de mouvements entraînant chacune des plaques dans un charivari de frénétiques percussions sonores. Au départ, le public observe avec une certaine distance ce ballet fantasque de tôles résonantes et remuantes, mais au fur
et à mesure que la masse métallique se rapproche, l’expérience se révèle de plus en plus claustrophobique. Si au Québec, où elle a été présentée au festival Elektra en mai dernier, les contraintes de sécurité avaient autorisé la descente jusqu’à un raisonnable 1,20 m du sol, les spectateurs nantais ont dû s’allonger pour éviter une descente culminant à… 40 cm du sol ! Une performance inédite pour tous — pour l’équipe du Projet Eva elle-même ! — qui a ainsi prouvé que la notion d’expérience et d’improvisation performative gardait elle aussi toute sa place dans un contexte numérique autant ouvert à la propension des genres qu’à la modulation des projets. LAURENT CATALA
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EVENTS COMING SOON
(AGENDA)
>>> SOUND ART. SOUND AS MEDIUM OF FINE ART Exposition au ZKM Karlsruhe, Allemagne Jusqu'au 6 janvier 2013 < www.zkm.de > THOMAS ISRAEL, À LA LISIÈRE DU BOIS Exposition à la Galerie Charlot Paris, France Jusqu’au 13 octobre < www.galeriecharlot.com > FORM@TS Exposition dans l’espace virtuel du Jeu de Paume Paris, France Jusqu’au 22 octobre < espacevirtuel.jeudepaume.org > LA VILLE SCHÖFFÉRIENNE | SCHÖFFER DANS LE MONDE Exposition à l’Institut hongrois Paris, France Jusqu’au 25 octobre < www.instituthongrois.fr > LAURENT PERNOD, LE PROCÈS DU SINGE Exposition à la Galerie Odile Ouizeman Paris, France Jusqu’au 27 octobre < www.galerieouizeman.com > ZERO1 BIENNIAL San Jose, États-Unis Jusqu’au 8 décembre < www.zero1biennial.org > RANDOM INTERNATIONAL, BEFORE THE RAIN CarpentersWorkshopGallery Paris, France Jusqu’au 21 décembre < http://carpentersworkshopgallery.com > 32 - digitalarti #11
>>> RAFAEL LOZANO-HEMMER, VOICE ARRAY Exposition à la galerie Bitforms, NY, USA Jusqu’au 13 octobre < www.bitforms.com > CASEY REAS, CENTURY Exposition à la galerie [DAM] Berlin, Allemagne Jusqu’au 27 novembre < http://dam-berlin.de > ZIMOUN, WOODWORMS, WOOD, MICROPHONE, SOUND SYSTEM Exposition au CentQuatre Paris, France Jusqu’au 17 mars < www.104.fr >
>>> NOVELA 2012 Toulouse, France Du 6 au 20 octobre < http://bellegarde.toulouse.fr > ELECTRONI[K] Rennes, France 8 au 14 octobre < www.electroni-k.org > TEMPS D’IMAGES Paris & Île de France, France 9 au 21 octobre < www.tempsdimages.eu > ACCÈS(S) Pau, France 10 au 20 octobre < www.acces-s.org >
MUTEK.MX Mexico, Mexique 1er au 14 octobre < www.mutek.mx >
KONTRASTE Krems, Autriche 12 au 14 octobre < www.kontraste.at >
SERENDIP Paris, France 5 au 14 octobre < www.serendip-arts.org >
RIAM Marseille, France 16 au 27 octobre < www.riam.info
NUIT BLANCHE Paris, France 6 octobre < http://nuitblanche.paris.fr >
MAL AU PIXEL Paris, France 16 au 27 octobre < www.malaupixel.org >
FANTASTIC Lille, France 6 octobre au 13 janvier < www.fantastic2012.com >
MUNTADAS, BETWEEN / ENTRE Exposition au Jeu de Paume, Paris, France 16 octobre au 20 janvier < www.jeudepaume.org >
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>>>
CYBERFEST St Petersbourg, Russie 23 au 28 novembre < http://cylandfest.com >
GAMERZ Aix-en-Provence, France 19 au 29 octobre < www.festival-gamerz.com >
>>>
3D PRINTSHOW Londres, Angleterre 19 au 21 octobre < http://3dprintshow.com >
FESTIVAL HTMLLES 10 Montréal, Québec 10 au 18 novembre < www.htmlles.net >
ELEVATE Graz, Autriche 24 au 28 octobre < http://2012.elevate.at >
M!RA Barcelone, Espagne 10 novembre < www.mirabcn.cat >
LAB.30 Augsburg, Allemagne 25 au 27 octobre < www.lab30.de >
FESTIVAL OFNI Poitiers, France 14 au 18 novembre < www.ofni.biz >
SHIFT Bâle, Suisse 27 au 30 octobre < www.shiftfestival.ch >
CYNETART Dresde, Allemagne 15 au 21 novembre < www.cynetart.de >
SHARE FESTIVAL Turin, Italie 30 octobre au 11 novembre < www.toshare.it >
MEDIA ARCHITECTURE BIENNALE Aarhus, Danemark 15 au 17 novembre < www.mediaarchitecture.org >
ICELAND AIRWAVES Reykjavík, Islande 31 octobre au 4 novembre < http://icelandairwaves.is >
AAF, AUDIO ART FESTIVAL Cracovie, Pologne 16 au 25 novembre < www.audio.art.pl >
RENCONTRE DES ARTS NUMÉRIQUES, ÉLECTRONIQUES ET MÉDIATIQUES Le Vigan, France 7 au 15 décembre < www.oudeis.fr >
LES INSTANTS VIDÉOS Marseille, France 6 au 17 novembre < www.instantsvideo.com >
PIKSEL[X] Bergen, Norvège 22 au 25 novembre < www.piksel.no >
IXEM Palerme, Italie 8 & 9 décembre < www.ixem.it >
FESTIVAL NEMO Paris, France 27 novembre au 16 décembre < www.arcadi.fr > SIGGRAPH Singapour, République de Singapour 28 novembre au 1er décembre < www.siggraph.org > RENCONTRES INTERNATIONALES PARIS / BERLIN / MADRID Paris, France < www.art-action.org > CLOCKENFLAP Hong Kong, Chine 1er & 2 décembre < www.clockenflap.com > LAB[AU], S/N & BINARY WAVES Exposition à Ososphère, Strasbourg, France Du 6 au 18 décembre < www.ososphere.org >
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