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DE BOYVIN À BARCELÓ

En couverture LE GROUMELLEC Mégalithes, 2004 Huile sur papier Collection particulière

Avec son aimable autorisation

En frontispice COUSIN-CAUS Gravure sur cuivre N°9 du catalogue


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LIVRES, MANUSCRITS ET DOCUMENTS DE BOYVIN À BARCELÓ

Thierry et Bertrand MEAUDRE

Librairie Lardanchet 100, rue du Faubourg Saint-Honoré - 75008 Paris Tel. +33 1 42 66 68 32 - Fax. +33 1 42 66 25 60 meaudre@online.fr


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[THOMAS A KEMPIS]

TRACTATUS DE YMITATIONE CRISTI CUM TRACTATULO DE MEDITATIONE CORDIS [Ulm, Johann Zainer, 1487] In-8° de 8 ff. n. ch., clxxxii ff. signés *8, a-y8, z8, ais de bois recouverts de veau brun, plats biseautés, filets à froid autour des plats avec, sur le premier, une plaque centrale dorée estampée figurant la Salutation angélique, en angle, fer « à la fraise » dans une goutte, répété au dos, sur le second, une plaque centrale dorée composée de deux triangles entrelacés entourés d’un double filet cintré, le tout placé dans un médaillon composé de rinceaux en entre-deux, traces de fermoirs en laiton, tranches dorées et ciselées (reliure allemande du début du XVI e siècle). Édition sortie des presses de Johann Zainer de ce « bestseller » de la littérature de dévotion. Johann Zainer (144. ?-1527 ?) est considéré comme le prototypographe d’Ulm. Son frère, Günther Zainer (143. ?1478), l’introducteur de l’imprimerie à Augsbourg, imprima l’édition princeps de l’Imitatio, vers 1471. Johann, originaire de Reutlingen, fut actif de 1471 à 1523. Comme son frère, il s’est formé à l’imprimerie de Johannes Mentelin à Strasbourg, puis s’installa à Ulm vers 1470-1471. L’année même de l’impression de l’Imitatio, en 1487, Zainer commença à utiliser un nouveau matériel typographique dont l’acquisition l’avait fortement endetté, au point de le contraindre à quitter la ville en 1493. Revenu trois ans plus tard, il y exercera pendant plus de trente ans. Selon Deschamps, l’introducteur de l’imprimerie à Ulm serait Ludwig Hohenwang, qui aurait commencé à exercer dès 1465-1466 ; néanmoins on ne connaît pas d’ouvrages portant son nom datant d’avant 1477. De nombreux historiens du livre concèdent chronologiquement la priorité à Zainer, son premier ouvrage imprimé portant la date du 11 janvier 1472. Le plus grand succès éditorial du XVe au XIXe siècle, après la Bible. Le XVe siècle seul vit paraître au moins quarante éditions incunables latines publiées en Italie, Allemagne, France et Pays-Bas. Et depuis l’édition princeps on recense jusqu’au XIXe siècle environ 4 000 éditions en 90 langues.

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Ouvrage de piété formé de quatre traités indépendants, réunis sous le titre de De Imitatione Christi, tiré de l’incipit du premier chapitre du livre premier ; ils furent rédigés au début du XVe siècle par Thomas a Kempis (1379-1471), chanoine régulier de la congrégation de Windesheim. Il fut pendant longtemps attribué au chancelier de l’université de Paris, Jean Gerson (1363-1429), par la présence de son bref discours, De meditatione cordis, imprimé à la suite de l’Imitatio. Livre majeur de la devotio moderna qui prônait auprès des laïcs l’oraison individuelle, la lecture méditée de l’Écriture, l’humilité, le détachement et le mépris du monde. Impression en caractères gothiques, à 22 lignes à la page. Les signatures ont été placées en haut des feuillets, entre le titre courant et la pagination, emplacement inhabituel. Exemplaire de la seconde émission. La première émission de l’Imitatio imprimée par Johann Zainer parut la même année avec un colophon contenant le lieu et le nom de l’éditeur. Cette seconde émission présente une petite variante au feuillet clxxxii, ligne 9, le prote a composé sacratis en lieu et place de ypocratis. Les emplacements réservés aux lettrines sont restés vierges, sauf quelques-uns d’entre eux où les initiales ont été calligraphiées à l’encre brune plus tardivement.


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À la fin de l’ouvrage on trouve huit feuillets de notes manuscrites à l’encre brune de la fin du XVe siècle, en partie réglés, d’une belle écriture, contenant des notes abrégées, versets, préceptes moraux et idées de sermons avec citations des Évangiles et de l’Ancien Testament. Intéressante reliure de dévotion à plaque dorée, attribuable à l’atelier dit « Ulm Viereck » (Ulm square) ou « Dreiblatt rund II », actif à Ulm de 1475 à 1508 environ. On trouve un fer très proche du nôtre, répété aux angles et au dos, représentant une fraise dans une goutte (reproduit dans Beiträge zur Inkunabelkunde : dritte folge, 1979, VII, p. 93, n° 10) et identifié comme provenant de l’atelier dit « Ulm Viereck ». Il semblerait que les reliures frappées avec les plaques apposées sur notre volume soient très rares ; on ne les trouve reproduites dans aucune bibliographie ou inventaire classique du genre. Les feuillets cxviii et cxix, mal placés au moment de la reliure, sont courts en marge extérieure avec perte de quelques lettres. Petite restauration en pied du titre. Manque un fermoir. Les ors des plaques sont usés. Le relieur n’a pas jugé utile de conserver les 2 ff. blancs z7-8 du dernier cahier, comme dans l’un des exemplaires de la bibliothèque Saint-Geneviève. Dimensions intérieures : 138 x 82 mm. Provenance : Ex-dono manuscrit de l’époque sur le feuillet de titre, Frère Domenico ; ex-libris manuscrit sur le titre de la fin du XVIe siècle : Adamus Khru… ( ?). HC (+ Add.), *9091 ; BMC, II, 530 (IA. 9267) ; Pellechet, 6228 (6205) ; Goff, I-13 ; Proctor, 2548 ; Polain, 4451 ; […], L’Imitation de Jésus Christ, 1470-1800, Édition et diffusion, p. 156, n° 17 ; De Backer, Essai bibliographique sur le livre « De Imitatione Christi », 1864, 24.

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MOLITORIS (U.)

[DE LAMIIS…] TRACTATUS PER UTILIS DE PHITONICIS MULIERIBUS [Basle ?], [Johannes Amerbach ?], [circa 1495] In-8° de 22 ff. non chiffrés signés a-c 6, d 4, veau marbré, filets dorés autour des plats, dos lisse orné à la grotesque avec titre en long, tranches marbrées (reliure du XVIII e siècle). Rarissime édition incunable, parue quelques années après la rédaction du texte, daté du 10 janvier 1489. Celui-ci connut pas moins de quinze fois les honneurs de la presse au XVe siècle et, bien que la chronologie de ses éditions incunables soit incertaine, toutes demeurent aujourd’hui extrêmement rares. On n’a pu trouver que quatre exemplaires de la nôtre dans les bibliothèques publiques (Otto Schäffer, Leyde, Genève et Walters Art Gallery à Baltimore). Cette édition, l’une des toutes premières, n’a jamais été précisément identifiée par les bibliographes : Goff la donne vers 1495, Davies et Arnim autour de 1490. On ne sait non plus de façon certaine qui en fut l’imprimeur, de Furter ou d’Amerbach, qui ont tous les deux exercé leur art à Bâle à cette époque et employé des fontes similaires. Le texte ne sera traduit en français qu’en 1926, chez Émile Nourry. 8 gravures primitives sur bois, dont 2 répétées. Ces bois constituent la seule iconographie employée dans un ouvrage sur la sorcellerie du XVe siècle – iconographie qui est d’ailleurs présente dans toutes les éditions incunables de ce texte répertoriées, avec quelques variantes, telles les cassures qui caractérisent ceux de la nôtre. Ces xylographies présentent diverses pratiques des sorcières – que le texte récuse par ailleurs qu’elles aient –, comme provoquer des tempêtes, préparer des décoctions maléfiques, avoir des relations physiques avec Satan, s’envoler vers le sabbat sur un bâton fourchu, se métamorphoser en ânesse ou en chienne. Ces représentations, qui auront une fortune immense dans l’imagerie populaire, n’ont quasiment pas d’occurrences antérieures. Elles sont, dira Émile Nourry, d’une facture

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« franche et simple tout à fait remarquable » qui « les classe parmi les plus belles estampes du XVe siècle ». « À l’aube de l’époque moderne […] l’empire fallacieux du diable s’édifie. Pendant un siècle et plus, Satan va capter les intelligences, harceler les volontés, obnubiler les esprits. » (E. Brouette). En effet, à la fin du Moyen Âge (au cours duquel l’Église était demeurée relativement tolérante à l’encontre des pratiques magiques), la sorcellerie se voit assimilée à l’hérésie et devient ainsi le terrain de chasse de l’Inquisition, créée au XIIIe pour poursuivre les hérétiques. Une peur obsidionale se fait jour, qui ne s’apaisera pas avant le XVIIe siècle et coûtera la vie à de nombreuses femmes accusées de vénérer le diable. La chasse aux sorcières commence véritablement avec le Malleus Maleficarum (1486) des dominicains Sprenger et Kramer, célèbre traité compilant tout le savoir ancien et contemporain relatif aux sorcières, qui institue la torture comme moyen d’obtenir des aveux dans les interrogatoires des prétendues sorcières. Si les ravages des tribunaux religieux ou séculiers nous restent difficiles à chiffrer avec précision, la brutalité de leurs méthodes est bien connue et fut dénoncée – sans vraiment de résultats tout d’abord – presque dès leur mise en place. Ainsi, au Tyrol, où les deux auteurs du Malleus Maleficarum exercèrent leur terrible ministère, l’évêque de Brixen, Georg Golser, finit-il par avoir raison de Heinrich Kramer et obtint son expulsion du pays par l’archiduc Sigismond d’Autriche. Le prince, dont la violence des procès avait éveillé les doutes sur la légitimité de la torture et la réalité des faits poursuivis, s’adressa alors au jurisconsulte Ulrich Molitor (v. 1442 – v. 1507) et lui commanda un mémoire sur les pratiques de sorcellerie. Ce dernier, docteur en droit canon des universités de Bâle et de Pavie, était notaire à Constance avant d’entrer au service de l’archiduc et d’être nommé, en 1494, chancelier de son Conseil. À l’instigation de l’archiduc, donc, Molitor compose un traité, connu sous le nom de De lamiis et phitonïcis mulieribus (Des sorcières et des devineresses), qu’il organise en un dialogue fictif entre trois protagonistes, dont l’existence réelle est par ailleurs attestée : le prince, Sigismond de Habsbourg, archiduc d’Autriche ; un juge du nom de Conrad Schatz (1427-1496), qui fut aussi maire de Constance ; et lui-même, Ulrich Molitor, jurisconsulte et théologien. Le livre est centré sur la question des « mauvaises femmes » et se compose de quatorze chapitres dans lesquels les personnages discutent des divers points réputés caractériser l’action des sorcières

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(magie atmosphérique, envoûtements sur les humains ou les animaux, envols magiques, sorts provoquant l’impuissance masculine…) et leurs relations avec le Démon et ses séides (sabbat, copulation avec les succubes et incubes, engendrements…). Au cours du dialogue, le prince aborde les points sur lesquels il souhaite que Molitor apporte ses éclaircissements et ce dernier répond d’abord en citant les textes d’autorité avant de donner parfois son avis sur la réalité des faits avancés. Parfois intervient le juge Schatz pour faire part de son expérience des procès, des interrogatoires et des condamnations. Les remarques du prince sont avisées ; il dénie aux aveux obtenus par la torture toute valeur de preuve « parce que la crainte de la punition incite les hommes à dire ce qui est contraire à la nature des faits ». Molitor, quant à lui, se place dans la tradition de théologiens modérés du XVe siècle qui (conformément au canon Episcopi) considèrent la plupart des faits de sorcellerie comme des illusions inspirées par le Malin ; la faute des sorcières n’en est pas moins réelle, cependant, puisque le diable n’agit que tel un révélateur de leur absence de foi et cette faute, seule la mort peut la purifier. On voit que la position de ce Molitor fictif reste celle des théologiens de son époque, car le rôle de ce personnage est sans doute de faire ressortir avec plus d’éclat les sages avis du prince. Le juge Schatz enfin, représentant des pratiques judiciaires héritées des inquisiteurs, dit le droit tel qu’il le pratique : il est le bras séculier de la justice. Concentré dans la parole de Sigismond d’Autriche, le De lamiis est l’une des premières voix identifiées qui se soit élevée contre la torture pratiquée à des fins judiciaires, et ce bien avant le De Praestigiis daemonum de Jean Wier (1563). Exemplaire annoté à l’époque, très bien conservé et à belles marges. Dimensions intérieures : 201 x 130 mm. Provenance : ex-libris manuscrit biffé sur une garde ; les armoiries du commanditaire de la reliure ont été grattées et remplacées ensuite par des pièces de veau rondes. Davies, Fairfax Murray - German, II, n° 298 ; Arnim, Otto Schäffer, I, n° 246 ; Goff, M-799 ; Nourry (E.), Des sorcières et des devineresses par Ulrich Molitor, Paris, Nourry (E.), 1926 ; Brouette (E.), « La civilisation chrétienne du XVIe siècle devant le problème satanique », in : Satan, Études carmélitaines, Desclée de Brouwer, 1948, p. 352.


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LIVRE D’HEURES À L’USAGE DE ROUEN Rouen, [après 1503] Parchemin de I + 82 ff. + I, 190 x 130 mm, justification texte 113 x 70 mm, 24 longues lignes et justification du calendrier 119 x 69 mm, avec 32 lignes, écriture bâtarde à l’encre brune. F. 59v blanc. I6-II-IV8-V8-VI-XI8XII4, velours cramoisi sur ais de bois, tranches dorées (reliure de l’époque). Beau manuscrit enluminé par ROBERT BOYVIN dans un état de fraîcheur remarquable. Texte : Ff. 1-6v

Calendrier normand : 1. II, saint Sever ; 7. II, sainte Austreberte ; 8. II, saint Ansbert ; 23.VII, saint Wandrille ; 11. VIII, saint Taurin, Évêque d’Évreux ; 11. X, saint Nicaise ; 30. XII, saint Ursin. Ff. 7-10v Péricopes des 4 Évangiles. Ff. 10-14v Obsecro te suivi du O Intemerata. Ff. 15v-47v Heures de la Vierge à l’usage de Rouen avec les suffrages de saint Nicolas et de sainte Catherine après laudes des Heures de la Vierge. Les Heures de la Croix et du Saint-Esprit sont également intercalées aux Heures de la Vierge après laudes des Heures de la Vierge. Ff. 48v-59 Psaumes de la Pénitence suivis des litanies où on remarque de nombreux saints et évêques rouennais ou normands, Melon, Romain, Ouen, Aubert, Sever, Lô, Wandrille, Austreberte. Ff. 60v-78v Office des morts à l’usage de Rouen. Ff. 79v-82v Missus est Gabriel angelus suivi du Te deprecor. Enluminure : 24 petites miniatures dans le calendrier avec les occupations des mois dans la bordure inférieure et les signes du zodiaque dans la bordure latérale : janvier, seigneur à table et verseau ; février, seigneur se chauffant au coin du feu et poissons ; mars, émondage et bélier ; avril, seigneur cueillant et taureau ; mai, couple à cheval et gémeaux ; juin, faucheur

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et cancer ; juillet, moisson et lion ; août, battage du blé et vierge ; septembre, foulage du raisin et balance ; octobre, semeur et scorpion ; novembre, glandée et sagittaire ; décembre, tuerie du cochon et capricorne. 15 miniatures à pleine page introduisant les principaux textes du livre d’heures. F. 7 Saint Jean sur l’île de Patmos (même composition dans les Heures décrites au Cat. Tenschert, IV, 1992, n° 4) F. 15 Annonciation, avec cadre orné de candélabres en or sur fond bleu. F. 21 Visitation, avec cadre formé de deux colonnes recouvertes de tissu bleu et rouge, imprimé de motifs or. F. 28v Crucifixion, avec des apôtres peints en couleurs sur les pilastres. F. 29v Pentecôte, avec colonnes recouvertes de boutons de fleurs. F. 30v Nativité, avec encadrement composé de troncs écotés. Joseph lève les yeux au ciel. F. 34v Annonce aux bergers (on retrouve un berger allongé au premier plan dans les Heures décrites au Cat. Tenschert, IV, 1992, n°4). F. 37 Adoration des mages, avec cadres à pilastres. Melchior a des cheveux frisés. F. 39v Présentation au temple, avec colonnes marbrées. Joseph est jeune comme dans toutes les miniatures de ce manuscrit. F. 42 Fuite en Égypte, avec colonnes en marbre. La composition se retrouve dans d’autres livres d’heures, mais on remarque qu’ici la servante porte son panier sur la tête.


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F. 44v Couronnement de la Vierge, avec cadre à pilastres occupé par des prophètes peints en couleurs. F. 48 Reproche de Nathan à David, avec cadre à pilastres recouvert de fleurs de lys, proclamant la lignée royale de David. Ce thème traditionnel de l’enluminure rouennaise depuis le maître de l’Échevinage de Rouen est devenu un peu désuet au début du XVIe siècle. Robert Boyvin le peint dans ses livres d’heures anciens, tel l’exemplaire en latin de la BNF (1177), mais parfois encore un peu plus tard, ainsi dans les Heures (Cat. Sotheby’s, 18 juin 1991, n° 150) ou dans celles de la New York Pierpont Morgan Library (M. 261). F. 60 Festin du mauvais riche et le pauvre Lazare, avec cadre à pilastres. Ce thème est fréquent dans les livres d’heures de Robert Boyvin (v. par exemple, BNF, Nal 894). F. 63 Job sur le fumier, visité par ses amis, avec cadre à colonnes. Il s’agit là encore d’un thème mis à la mode dans les livres d’heures de Robert Boyvin du début du XVIe siècle. F. 79 Vierge à l’Enfant : deux anges tiennent une tenture derrière la Vierge trônant. Au premier plan, à gauche, un ange joue de la harpe et, de l’autre côté, une dame de la bourgeoisie, vêtue de rouge, dans une robe aux manches larges caractéristique du début du XVIe siècle, prie. Il s’agit de la commanditrice du manuscrit. Les pages faisant face aux miniatures sont ornées de bordures sur fond d’or peintes sur 4 côtés, attribuables à Jean Serpin. Les pages de texte sont cernées d’un bandeau doré qui se ferme dans la marge extérieure par une jolie bordure sur fond d’or avec des fleurs peintes au naturel et des acanthes blanc grisé typiques de l’enluminure rouennaise. On trouve également quelques bordures de type Renaissance aux ff. 67 (acanthes blanches), 71v (sur fond bleu), 76 (sur fond bleu avec perles) et 80. Jolies initiales rouennaises sur fond doré et fleuri avec une lettre se détachant sur fond rouge recouverte d’acanthes blanches assorties aux bordures. Ce manuscrit facilement attribuable, d’après ses compositions et son style, à l’enlumineur rouennais Robert Boyvin se distingue par la variété de ses encadrements. Il est richement illustré au calendrier et de 15 miniatures à pleine page, dont une double composition à l’office des

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morts, l’une en tête de l’office et l’autre en tête des matines. Par deux de ses compositions, ses bordures Renaissance et ses baguettes à chaque page on peut le rapprocher plus particulièrement d’un livre d’heures conservé aujourd’hui dans une collection privée belge (anciennement Cat. Tenschert, IV, 1992, n° 4). Robert Boyvin est un enlumineur rouennais bien documenté. Il occupa une échoppe au portail des libraires de 1487 à 1502. Il apparaît également dans les comptes et dépenses du château de Gaillon édifié par le cardinal Georges Ier d’Amboise entre 1502 et le 27 septembre 1503. Il est alors mentionné pour la peinture des Épîtres de Sénèque (manuscrit conservé à la BNF, qui forme le point de départ de la reconstitution de son œuvre (Lehoux (F.), « Sur un manuscrit de l’école de Rouen décoré par Jean Serpin et Robert Boyvin pour le cardinal Georges Ier d’Amboise » in Mélanges Félix Grat, 1949, II, pp. 323-328)). La dernière mention concernant Boyvin date de 1536, pour l’achat d’une maison. 56 manuscrits, dont 42 livres d’heures lui sont attribués, mais la liste est certainement loin d’être close. D’après le nombre de feuillets, de lignes, le choix des miniatures, l’écriture du calendrier avec un mois par page, la présence de bandeaux autour des pages de texte et l’apparition de bordures Renaissance qui se diffusent au contact des manuscrits rapportés par le cardinal Georges Ier d’Amboise et dont s’inspire l’enlumineur rouennais Jean Serpin à partir de 1503, on peut rattacher le présent livre d’heures au groupe III des productions de Robert Boyvin, qui correspond à la période postérieure à 1503. Cependant, le fait qu’il ne semble pas encore ici influencé par les compositions de l’enlumineur parisien Jean Pichore, nous incite à penser que ce manuscrit se situe tout au début de la période Renaissance de son œuvre. Dimensions intérieures : 190 x 126 mm. Provenance : inscription ancienne sur la garde du premier contre-plat, biffée et illisible ; vente anonyme (Cat., 1991, Denesle, n° 48). Delaunay (I.), « Le Manuscrit enluminé à Rouen au temps du cardinal Georges d’Amboise : l’œuvre de Robert Boyvin et de Jean Serpin » in Annales de Normandie, sept. 1995, n° 3, pp. 211-244.

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VITRUVE (M.)

DE ARCHITECTURA LIBRI DECE Côme, Gottardo da Ponte, 1521 In-folio de 192 ff. sign. [-]8, A-Z8, vélin ivoire rigide à rabats, à la bradel, dos lisse, tranches lisses (reliure ancienne). L’un des PLUS BEAUX livres de la Renaissance italienne et la PLUS PRESTIGIEUSE des éditions anciennes de Vitruve. Première édition en italien de l’ouvrage fondamental de Vitruve. Publiée par Cesare Cesariano (1478-1543), peintre et architecte milanais, élève de Bramante, elle ne vit le jour que par le soutien financier de deux mécènes, Augustino Gallo et Aloysio Pirovano. Son impression fut confiée à Gottardo da Ponte, typographe d’origine milanaise. Le texte de Vitruve, dans la traduction de B. Mauro de Bergamo et B. Jovio da Camasco, occupe en gros caractères le centre de la page ; les commentaires de Cesariano, dans un corps de caractère plus petit, sont imprimés autour.

Sa signature figure sur la page de titre, comme souvent. Bien que relié tardivement, il est non lavé. Page de titre présentant quelques traces de salissures. Dimensions intérieures : 391 x 266 mm. Provenance : Ph. Desportes ; A. Fleury (ex-libris manuscrit) ; D. R. May, d’Edinburgh (ex-libris manuscrit). British Architectural Library, Early Printed Books, 14781840, IV, 3519 (Avec un bois de l’ouvrage reproduit en frontispice du T. IV) ; Fowler, 395 ; Mortimer (R.) , Italian XVIth Century Books, 544 ; Recht (R.), Actes de colloque tenu à Tours du 1er au 11 juillet 1981, pp. 61-66 ; Conihout (I. de), Du nouveau sur la bibliothèque de Philippe Desportes, pp. 121-160.

Les 117 gravures sur bois qui forment l’iconographie marquent, selon Roland Recht, un moment essentiel dans l’histoire de l’architecture occidentale : une théorie architecturale, vieille de quinze siècles, reçoit des formes enfin visibles. Elle rompt avec la forme et la conception des illustrations de 1511 qui peuvent apparaître sommaires ; ces 117 bois, alternativement imprimés sur fond noir et blanc, sont regardés comme des modèles ; ils sont d’après les dessins de Cesariano, et relèvent de l’influence de Léonard de Vinci. Exemplaire du grand poète Philippe Desportes (1545-1606), d’un beau tirage et ayant conservé toute sa fraîcheur intérieure.

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DÜRER (A.)

INSTITUTIONES GEOMETRICAE Paris, Christian Wechel, 1532 In-folio de 98 ff. sign a4, A-P6, Q4, demi-basane mouchetée à coins, dos à nerfs orné, tranches bleues (reliure de la fin du XVIIIe siècle). Première édition latine du premier traité de Dürer, Unterweisung der Messung…, ici dans la traduction de Camevarius. Publié pour la première fois en 1525 dans la langue de Goethe, l’ouvrage connut de nombreuses rééditions en allemand et en latin qui contribuèrent à sa renommée internationale. Il fallut attendre 1995 pour qu’il soit traduit en français. Son Instruction sur la manière de mesurer nous révèle une grande part de son mode de pensée, nous éclaire sur ses intentions artistiques (œuvres dessinées, peintes ou gravées) et nous aide à mieux comprendre la double relation de l’art au monde : quête de la beauté idéale et conquête de l’univers doublée de la maîtrise du temps, avec ses deux outils privilégiés, la règle et le compas. Enfin, il tente de démontrer que son art implique la connaissance des mathématiques, ce que les artistes italiens du Quattrocento avaient déjà atteint. C’est le premier artiste du Nord à exposer ses concepts d’une façon scientifique. Ses sources sont diverses : Platon, Euclide, Vitruve, Piero della Francesca, Alberti et Léonard de Vinci. Ouvrage destiné aux peintres, aux architectes, aux orfèvres, aux charpentiers, dont l’influence dépassa largement le cadre des ateliers. Nombre de scientifiques et d’humanistes, Kepler, Galilée et Erasme en prirent connaissance ; les perspecteurs du XVIIe siècle, S. de Caus, Bosse, Maignan, Kirchner, Nicéron, s’en inspirèrent… Daniel Barbaro ou Jean Cousin y trouvèrent matière pour leurs propres textes.

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L’ouvrage s’articule en quatre livres. Le premier traite de la géométrie linéaire, de la droite jusqu’aux courbes algébriques ; le second s’intéresse à la géométrie plane et accorde une attention particulière à la quadrature du cercle, ainsi qu’à la construction des polygones réguliers. Le troisième livre se propose d’illustrer les applications de la géométrie à l’architecture, à l’ingénierie, à la décoration et à la typographie. Le quatrième livre est la suite du deuxième, l’auteur y développe sa théorie de la géométrie dans l’espace. S’inspirant du cycle iconographique de l’édition allemande de 1525, l’ouvrage est illustré de 148 bois gravés, en premier tirage, dont 9 à pleine page. Ce sont principalement des diagrammes, des figures géométriques et des alphabets. Néanmoins, quelques bois représentent des vues : projets de colonnes triomphales, animaux couchés, dessinateur de luth, de l’homme assis… Exemplaire de qualité, très frais intérieurement et à belles marges. Dimensions intérieures : 315 x 207 mm. Provenance : Arnaud de Vitry. Mortimer, French sixteenth Century Books, I, 182 ; Renouard, IV, 1531-1535, n° 403 ; Vagnetti E II.b7 ; Panofsky, La Vie & l’Art d’Albrecht Dürer, pp. 362-402 ; Kemp, Science of Art, 53 ff. ; Bardy Michel Van Peene, Instruction sur la manière de mesurer, 1995.


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PARADOXES, CE SONT PROPOS CONTRE LA COMMUNE OPINION : DÉBATTUS, EN FORME DE DECLAMATIONS FORE[N]SES : POUR EXERCITER LES JEUNES ADVOCATS, EN CAUSES DIFFICILES Paris, Charles Estienne, 1553 In-8° de 80 ff. sign. a-k8, maroquin vert, filet doré autour des plats, dos lisse orné de croisillons dorés avec titre en long, roulette dorée intérieure, tranches dorées (reliure de la seconde moitié du XVIIIe siècle). ÉDITION ORIGINALE ; elle est rare. Une seconde édition sera imprimée la même année, deux autres en 1554 et d’autres libraires la publieront par la suite sous des titres différents, démontrant ainsi le vif succès de l’ouvrage au XVIe siècle, au cours duquel il connaîtra pas moins de dix-sept éditions. Sa popularité n’a d’égale, par ailleurs, que la rareté de sa première édition, demeurée inconnue à Renouard ; Fred Schreiber lui-même, collectionneur émérite des éditions des Estienne, n’en a jamais possédé qu’une deuxième édition.

l’ignorance, la prison, la guerre et même les femmes qui croient à leur supériorité sur l’homme. On y apprendra notamment qu’il vaut mieux être laid que beau, aveugle que clairvoyant, maladif qu’en bonne santé, ivre que sobre, en prison qu’en liberté ; que mieux vaut pleurer souvent que rire ; qu’un petit logis est plus agréable qu’un grand palais ; qu’une femme stérile est plus heureuse qu’une femme fertile ou qu’un bâtard l’est davantage qu’un fils légitime ; que perdre son épouse n’est pas dénué d’utilité, etc.

Titre orné de la marque à l’olivier des Estienne (Schreiber, n° 11).

Exemplaire bien établi au cours de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, comme l’ont été ceux du duc de La Vallière. Sans le feuillet vierge k8. Dos éclairci.

Ces vingt-cinq Paradoxes ont souvent été attribués à Charles Estienne, mais ce dernier les a en réalité traduits, paraphrasés et adaptés des Paradossi du Milanais Ortensio Lando, parus à Lyon en 1543. À plusieurs reprises cependant, le libraire parisien s’est refusé à donner certains passages du texte italien qu’il jugeait impies ou scabreux : cinq des trente Paradossi d’origine furent ainsi abandonnés. On ne retient plus de nos jours l’attribution du texte français à Jean-Baptiste Du Val. L’ouvrage est un recueil d’exemples de plaidoiries cocasses et paradoxales, présenté comme un manuel à l’usage des jeunes avocats pour les préparer à défendre des causes difficiles ou impopulaires. Non sans verve satirique, l’auteur y plaide pour des prévenus tels que la pauvreté, la laideur,

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Dimensions intérieures : 138 x 87 mm. Provenance : ex-libris manuscrit de l’époque sur le titre (quasiment effacé) ; comte Octave de Behague (Cat.,1880, I, n° 1251). Brunet, IV, 361 ; Cioranesco, n° 9580 ; Renouard, Annales des Estienne, pp. 106 et 583 (3e et 4e éd.) ; Schreiber, The Estiennes, n° 133 (2e éd.) et p. 255, marque n° 11 ; Peach (T.) (éd.), Paradoxes, Édition critique, Genève, Droz, 1998 ; Margolin (J.-C.) et Simonin (M.), in : Le Paradoxe au temps de la Renaissance, Paris, Touzot, 1982 ; Telle (E. V)., in : Études rabelaisiennes, XXV, 1991, pp. 71-78.


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CALVIN (J.)

PSYCHOPANNYCHIE. TRAITTÉ PAR LEQUEL EST PROUVÉ QUE LES AMES VEILLENT & VIVENT APRES QU’ELLES SONT SORTIES DES CORPS : CONTRE L’ERREUR DE QUELQUES IGNORANS QUI PENSENT QU’ELLES DORMENT IUSQUES AU DERNIER IUGEMENT. NOUVELLEMENT TRADUIT DE LATIN EN FRANÇOIS [Genève], de l’imprimerie de Conrad Badius, 1558 Petit in-8° de 72 ff. sign. a-i8, maroquin olive, filet doré autour des plats, dos lisse avec titre en long, roulette intérieure dorée, tranches dorées (reliure de la seconde moitié du XVIIIe siècle).

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Rarissime édition française du premier traité théologique de Calvin. L’avatar éditorial de la Psychopannychie a longtemps été discuté par les spécialistes, mais ils s’accordent aujourd’hui sur le fait que Calvin commença à en rédiger le manuscrit vers 1534, qu’il le retravailla encore plusieurs fois en 1535 et 1536 et que celui-ci fut publié pour la première fois en 1542, chez Wendelin Rihel à Strasbourg, sous le titre de Vivere apud Christum, non dormire animis sanctos, qui in fide Christi decedunt, assertio. L’ouvrage connut une seconde édition latine, à peine modifiée, en 1545. La présente édition est l’une des deux premières de la traduction française, qui furent données toutes deux par Conrad Bade au cours de l’année 1558. Peter Rodolphe et Jean-François Gilmont avancent que celle-ci serait « sans doute une réimpression » de la première, parce qu’ils considèrent que son calibrage typographique lui est supérieur ; cependant, aucun spécialiste n’a pu encore trancher cette question avec des arguments scientifiques. (La traduction française de 1556 que mentionnent Eugène et Émile Haag dans La France protestante n’existe pas ; pas davantage d’ailleurs que l’édition latine de 1534 qu’ils font figurer avant celle de 1542.)

La Psychopannychie, un traité sur le devenir de l’âme humaine après la mort. Son titre quelque peu barbare — composé des termes grecs signifiant l’âme (psychè) et la nuitée (pannychis) — renvoie à l’état transitoire que celle-ci connaît, selon Calvin, après la mort du corps. Car, en effet, à rebours des théories philosophiques et religieuses existantes, le réformateur refuse de penser qu’elle meurt ou bien qu’elle sommeille dans le temps qui précède le Jugement dernier, pour défendre l’idée qu’au contraire elle veille et demeure bien vivante, consciente et même active.

Calvin soucieux de l’impression de ses textes. L’imprimeur Conrad Bade, fils du grand libraire parisien Josse Bade, avait fui la France à la fin de l’année 1548 pour échapper aux persécutions de la Contre-Réforme et s’était installé dans la ville de Genève, où Calvin exerçait son ministère. Ainsi qu’il le rappelle dans sa préface de

Ce traité, le premier des écrits théologiques de Calvin, mais sans doute aussi son premier écrit réformé, développe une théorie de l’âme appuyée sur la lecture de l’Écriture sainte aussi bien que des philosophes antiques, en opposition directe avec les idées qu’il a cru discerner chez les anabaptistes d’une part, et chez certains cercles

l’Epicinion (1555), Conrad Bade connaissait le réformateur depuis la diète de Worms de 1540, à laquelle il avait assisté aux côtés de son maître Simon Grynaeus, qui y était mandaté par l’Église de Bâle. « Incontestablement bibliophile » selon Jean-Pierre Gilmont et très soucieux de la qualité apportée à l’impression de ses ouvrages, Calvin remarqua la « culture à la fois intellectuelle et typographique » de Conrad Bade et en fit l’un de ses imprimeurs privilégiés. Ce dernier a ainsi publié avec le soutien financier de Laurent de Normandie la plupart des éditions françaises des traités et sermons de Calvin.


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philosophiques libertins de l’autre. Selon lui, l’âme ne sommeille ni ne meurt après la mort physique de l’homme parce qu’elle est immortelle et complètement indépendante du corps, qui est davantage sa « prison » qu’un vaisseau inséparable d’elle. La page de titre de cette édition est ornée de la marque de Conrad Bade à la Vérité sortant du puits. Exemplaire du duc de La Vallière, cité par Brunet. Louis-César de la Baume Le Blanc, duc de La Vallière (17081780), fut sans doute le plus grand collectionneur de livres du XVIIIe siècle. Sa bibliothèque fut dispersée en trois ventes, en 1767, 1783 et 1788, et une partie en fut acquise par le comte d’Artois, dont la collection est aujourd’hui conservée à la bibliothèque de l’Arsenal. Le catalogue de la vente du libraire Léon Techener, auquel cet exemplaire a par la suite appartenu, le présente comme « une des grandes raretés de cette série » d’ouvrages de théologie réformée et en attribue la reliure à Derome. Ces provenances nous sont indiquées par une mention manuscrite portée au XIXe siècle sur un feuillet de garde. Dos légèrement passé, discrète restauration sur la page de titre, et petite déchirure anciennement restaurée. Dimensions intérieures : 126 x 80 mm. Provenance : Ex-libris manuscrit ancien sur le titre : U. Zaff… (rogné) ; duc de La Vallière (Cat. I, 1783, n° 871 « Maroquin bleu ») ; Léon Techener (Cat., 1886, n° 89 « Maroquin bleu… charmant exemplaire du duc de La Vallière »). Brunet, I, 1506 (cite l’exemplaire sur la description du catalogue La Vallière) ; Rodolphe (P.) et Gilmont (J.-F.), Bibliotheca Calviniana, II, n° 58/8 ; Haag, III, p. 143 ; Erichson, Calviniana, p. 18 ; Stroehlin, 1912, n° 600 (exemplaire relié par Joly) ; Heitz (P.), Genfer Bachdrackers und Verlegerzeichen, n° 7 (marque typographique) ; Senebier, Histoire littéraire de Genève, I, 180 et 248 ; Zahnd (U.), Calvin, L’Âme humaine et la philosophie classique, Droz, 2009, pp. 23-90 ; Hwang, Psychopannychia, 1991, pp. 14 sq.

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CORROZET (G.)

LES DIVERS ET MÉMORABLES PROPOS DES NOBLES & ILLUSTRES HOMMES DE LA CHRESTIENTÉ Lyon, Gabriel Cotier, 1558 In-12° de 11 ff., 270 pp., maroquin bleu foncé, double filet d’encadrement, encadrement quadrilobé au double filet orné de multiples fleurons d’angles contenant un large médaillon central flanqué des chiffres couronnés L et A répétés, dos à nerfs orné, roulette dorée intérieure, tranches dorées sur marbrure (reliure archaïsante vers 1690-1710). Édition de poche de cet ouvrage, dont la première édition avait paru deux ans auparavant. Elle demeure d’une insigne rareté (un seul exemplaire dans les bibliothèques publiques françaises, à Versailles, et guère davantage dans celles du monde).

L’auteur voudrait d’ailleurs que l’on parcoure son livre comme si l’on se promenait « dans un jardin et parterre semé de toutes espèces d’herbes & fleurs entremeslées, lesquelles pour faire un bouquet de diverses couleurs et odeurs sont cueillies l’une cy & l’autre là ».

Gilles Corrozet (1510-1568), écrivain devenu imprimeur pour publier ses propres ouvrages, a laissé sa marque au cœur et à la rose dans de nombreuses éditions importantes de l’époque, de Marot, Ronsard ou du Bellay. Libraire, il diffusa dans son échoppe de la Grande Salle du Palais des petits textes classiques et des livrets illustrés, imprimés dans un format commode. Auteur, il composa des blasons, mit en vers des fables ésopiques et fut l’auteur de plusieurs ouvrages marquants, telles Les Antiquitez Chroniques et Singularitez de Paris. Il publia lui-même, notamment, la première édition des Divers et mémorables propos.

Un titre dans un bel encadrement gravé flanqué de cariatides et nombreuses lettrines gravées.

Ces Divers et mémorables propos forment un répertoire des phrases célèbres ou plus obscures des grands de ce monde, papes, rois, princes et seigneurs, compilées, expliquées et replacées dans leur contexte par Corrozet dans le but d’offrir à la noblesse un bréviaire des déclarations utiles ou vertueuses qu’ont faites ses ancêtres les plus avisés.

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Exceptionnel exemplaire relié aux chiffres de Louis XIII et d’Anne d’Autriche pour l’un des plus grands collectionneurs de la fin du XVIIe siècle. Il s’agit en effet de l’un des 32 ouvrages que QuentinBauchart prêta à Anne d’Autriche, faisant d’elle la « reine bibliophile » qu’elle n’a probablement pas été. Le catalogue Esmerian en attribue les reliures, exécutées selon lui vers 1640, à l’atelier d’Éloy Levasseur ou de Luc-Antoine Boyet. Or cette dernière attribution s’avère exacte, mais à l’époque près, puisque Boyet n’obtint la maîtrise de relieur qu’en 1684. Il fallait effectivement, pour comprendre le sens de ces étonnantes reliures, discerner à la fin du XVIIe siècle un fait bibliophilique alors sans précédent, consistant pour un amateur à faire habiller ses livres de reliures auxquelles on donnerait aujourd’hui le nom de « pastiche ».


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En effet, sur les 32 reliures à ce double chiffre royal citées par Quentin-Bauchart, une seule a véritablement été réalisée sous le règne de Louis XIII : les autres, dites pour cette raison « archaïsantes », ont été faites à la fin du siècle, entre 1690 et 1710, pour un petit cercle de collectionneurs, dont les plus fameux se nomment Antoine Leriche, Jérôme Duvivier et le marquis de La Vieuville. Parmi eux, Isabelle de Conihout et Pascal Ract-Madoux — à qui l’on doit cette attribution d’un intérêt immense pour l’histoire de la reliure et des collections — inclinent à penser que ce serait Jérôme Duvivier qui aurait fait relier certains de ses ouvrages aux chiffres des deux monarques, quelque soixante ans après leur règne. Ces reliures n’avaient pas toujours été attribuées à la reine bibliophile — dont c’est Nodier qui semble avoir forgé le mythe, en inscrivant sur un Boccace relié de la sorte : « Exemplaire d’Anne d’Autriche ». Avant 1830, cette attribution n’allait pas de soi, puisque Méon lui-même donnait son Thomas More qui portait une reliure de ce type « à un roy de France », sans plus de précision. Trois de ces reliures « aux chiffres Louis XIII et Anne d’Autriche » furent présentées lors de l’exposition Chefsd’œuvre du musée Condé en 2002, organisée par Isabelle de Conihout et Pascal Ract-Madoux. Dimensions intérieures : 114 x 70 mm. Provenance : Jespiney (ex-libris manuscrit sur le titre, daté 1621) ; Jérôme Duvivier (?) ; marquis de Ganay (Cat., 1881, n° 204, reliure attribuée à Le Gascon) ; comte de Mosbourg (Cat., 1893, n° 239) ; Lord Carnarvon ; Édouard Rahir (Cat.,1936, n° 1020) ; André Langlois avec son ex-libris. Quentin-Bauchart, I, p. 211, n° 76 (cite notre exemplaire) ; Esmerian, II, 1972, n° 53 (reliure similaire) ; Thoinan, pp. 213-218 ; Vène (M.), « Auteur et libraire : le cas Gilles Corrozet », in Y. Sordet (dir.), Passeurs de textes, n° 3, 2009 ; de Conihout (I.) & Ract-Madoux (P.), Reliures françaises du XVIIe siècle, Paris, Somogy, 2002, pp. 64-69 et 73-75.

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COUSIN (J.)

LIVRE DE PERSPECTIVE DE IEHAN COUSIN SENONOIS, MAITRE PAINCTRE À PARIS À Paris, de l’Imprimerie de Iehan Le Royer, 1560 In-folio de 72 ff. sign A5, B-I4, K6, L4, M5, N-Q4, veau estampé à froid avec décor central, dos à nerfs, tranches rouges (reliure du XVIIe siècle). ÉDITION ORIGINALE. Un artiste protéiforme de la Renaissance, Jean Cousin (circa 1490 ou 1500 - après 1560). Originaire de Soucy près de Sens, Jean Cousin exerça la fonction de géomètre arpenteur, puis se fit remarquer pour des travaux de peintures à l’abbaye de Vauluisant ainsi qu’en qualité de dessinateur de carton de vitraux pour la cathédrale Saint-Étienne de Sens, l’église Saint-Florentin de Saint-Florentin (Yonne)… Vers 1538 il part pour Paris, travaille alors pour des lissiers (tapisseries de SaintMammès en 1543 pour le cardinal de Givry dont trois éléments sont conservés à Langres et au musée du Louvre), pour des verriers, exécute à nouveau des cartons de vitraux dont ceux en grisaille pour le château d’Anet, et fait les portraits en pied de François Ier et Henri II pour le château de Vincennes… On connaît de lui aussi des travaux de gravures dont deux burins signés (La Mise au tombeau, L’Annonciation), d’orfèvrerie, de broderie et d’illustrateur. Le Livre de perspective, un traité s’inscrivant dans le mouvement initié au début du XVe siècle en Italie où les arts et la science se fondent. Par une démarche simple et rigoureuse, l’auteur contribue à l’idée que la construction d’une image en perspective répond à un corpus de règles géométriques qui doivent toutes être systématiquement appliquées. Bien qu’influencé par Viator, Cousin s’en démarque en nous proposant une théorie innovante qui consiste notamment à distinguer deux plans de nature différente pour tracer une figure en perspective.

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Une esthétique du livre au service d’une théorie. Son format, sa mise en pages, sa typographie et ses schémas, de la main même de l’auteur, concourent à la clarté des démonstrations. L’ouvrage sut parfaitement répondre à l’attente de son lectorat, artistes et amateurs d’art. On le retrouve dans bon nombre d’inventaires établis après décès. Les dessins furent interprétés sur bois par Jean Le Royer, imprimeur du Roy ès mathématiques, et son beau-frère Aubin Olivier. Cinq des 58 gravures ont été imprimées sur feuillet double. Exemplaire très bien conservé d’un livre rare, surtout en belle condition. Il est bien complet du carton du feuillet C3. Les bois des feuillets A2, D2 et G3 ont été légèrement atteints par le couteau du relieur. Mortimer, Harvard French, 157 (Pour deux exemplaires reliés au XIXe siècle) ; Updike, Printing Types, I, p. 202 (« One of the Handsomest volumes of its time ») ; Millard Mark J., French Books, 57 (Pour un exemplaire en reliure moderne) ; Brunet, II, 339 ; Bibliothèque nationale de France, La Gravure française à la Renaissance, p. 468 (« Jean Cousin l’Aîné a été considéré de longue date comme l’une des figures majeures de la Renaissance française ») ; Didot, Cousin, pp. 113-118 ; Architectura, Architecture, Textes et Images, XVIe-XVIIe siècles, http://architectura.cesr.univtours.fr, Cousin ; A de Vitry, 2002, n° 158 (Pour un ex. en vélin ivoire de l’époque, dimensions : 411 x 280 mm) ; P. Berès, 2002, n° 23 (Exemplaire relié par Lemardeley, incomplet du dernier feuillet, dim. : 418 x 285 mm).

CAUS (S. de). La Perspective, avec la raison des ombres et miroirs par Salomon de Caus, ingénieur du serenissime prince de Galles… Londres, Robert Baker, 1611, in-folio de 70 ff dont le titre gravé. VÉRITABLE ÉDITION ORIGINALE, rarissime. En 1612 une seconde édition vit le jour, dont on connaît deux tirages ; elle est souvent présentée comme étant l’originale. Un architecte-ingénieur, Salomon de Caus (1576-1626), au service des cours européennes. Natif d’une famille dieppoise protestante, échappant à son destin tout tracé de marin, de Caus incarne l’archétype de

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l’architecte ingénieur en cette fin du XVIe, proche par ses préoccupations de ses contemporains tels Simon Stevin de Bruges (1548-1620), Albert Girard (1595-1632) et Girard Desargue (1591-1661). Pour parfaire ses connaissances de Caus séjourne en Italie, puis occupe les fonctions d’ingénieur auprès des archiducs Albert et Isabelle, en Belgique, à partir de 1610, à la cour d’Henry de Galles jusqu’à la mort de ce dernier, à qui il dispense un cours de perspective, enseignement qui formera la trame de son livre publié en 1611. Il aurait participé auprès de Jacques Ier d’Angleterre à la conception des jardins de Richmond, Greenwich et Somerset House, talent qu’il exploita entre 1612 et 1619 pour la réalisation des jardins du château de Heidelberg, alors propriété de l’électeur palatin Frédéric V. Ce dernier, contraint à l’exil en 1620 à Sedan, oblige de Caus à rentrer en France, qui se met alors sous la protection de Richelieu. Le 30 mars 1621, il est nommé architecte et ingénieur du roi. Il dirige des travaux d’assainissement à Paris, et meurt dans cette ville en 1626, deux ans après avoir publié son traité de gnomonique.


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La Perspective avec les raisons des ombres et miroirs…, premier traité de perspective imprimé en Grande-Bretagne. Dédié à Henry, prince de Galles, l’ouvrage répond à un plan en quatre parties. Une première traite des généralités préliminaires, la deuxième, la plus conséquente, concerne la mise en perspective de figures planes et solides, de trompe-l’œil (un jardin fictif prolongeant un jardin réel), d’anamorphoses et d’inscriptions diverses en situations non frontales. La troisième décrit la mise en perspective, en fonction de la nature (ombres au soleil, ombres au flambeau) et de la position de la source lumineuse. La dernière partie s’intéresse à la mise en perspective des reflets des objets dans les miroirs plans. L’auteur se démarqua de ses prédécesseurs par l’usage quasi exclusif de la méthode de mise en perspective dite « par double projection », contrairement à ce que l’on peut trouver dans les traités antérieurs ou postérieurs. L’autre grande originalité est la place importante qu’il accorda à plusieurs aspects annexes ou connexes de cette science : reflets dans un miroir, anamorphoses et trompe-l’œil. Ses sources sont diverses : Euclide, Vitruve, Héron d’Alexandrie, Archimède, Serlio, Alberti… Il cite aussi luimême quelques auteurs : Euclide, Vitruve, du Bartas, Cousin au chapitre 12 qu’il corrige, Sirigatti… L’illustration, un modèle de clarté. Elle comporte un beau titre allégorique, 79 figures et planches interprétées sur cuivre, certaines pourvues de pièces mobiles, leur nombre variant suivant les exemplaires que nous avons consultés. Pour notre exemplaire nous en comptons 4 ; celui de Gonse, aujourd’hui à l’ENSBA, en présente 5 ; celui de Harvard 3, le nombre idéal semblerait 6. Cette technique passe pour avoir été employée ici pour la seconde fois dans un livre anglais. Exemplaire très bien conservé, à très belles marges. ESTC, S.124665 (Cite 3 exemplaires) ; STC, 48687 ; Brunet, I, 1691 ; Architectura, Architecture, Textes et Images, XVIeXVIIe siècles, http://architectura.cesr.univ-tours.fr, Salomon de Caus ; Baltrusaitis (J.), Les Perspectives dépravées, T2, Anamorphoses, pp. 19, 55, 56, 57, 59, 60, 63, 65, 86, 89… 99, 123, 128, 151, 153 et 156.

QUELLINUS (H.). Praecipuarum effigierum ac ornamentorum… Prima Pars-Secunda Pars. S. l. s. e., 1655-[1663], 2 parties en un vol. d'un feuillet de titre

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gravé, un portrait, 3 ff. de dédicace, un f. de table, un f. de privilège, 5 grands plans et vues dépliantes, 49 pl. dont une non lettrée ; un feuillet de titre gravé, un feuillet de table, 51 pl. dont une non lettrée. Cet ensemble iconographique représente l'hôtel de ville d'Amsterdam avec ses façades et sculptures que l'on doit à Artus Quellinus, le frère du graveur. Quelques planches jaunies, avec rousseurs, certaines présentant des déchirures. Fowler, The Fowler Architectural Collection, n° 274 (Pour un exemplaire incomplet et de collation différente) ; Berlin Katalog, 4210 (Seule la première partie) - 4211 (Édition de 1665). Les trois titres furent reliés en un volume au XVIIe siècle dans un atelier d’Europe du Nord. Intéressante et rare réunion de deux traités parmi les plus importants pour l'histoire de la perspective en France aux XVIe et XVIIe siècles. Dimensions intérieures : 399 x 270 mm. Aucune marque de provenance.


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SCHOPPER (H.) - AMMAN (J.)

PANOPLIA OMNIUM ILLEBERALIUM MECHANICARUM AUT SEDENTARIARUM ARTIUM GENERA CONTINENS… ACCESSERUNT ETIAM VENUTISSIMAE IMAGINES OMNES OMNIUM ARTIFICIUM NEGOCIATIONES… Francfort, Georges Corvin pour S. Feyerabent, 1568 In-8° de 8 ff. lim. et 140 ff. sign. A 8, A-R 8 et S 4, maroquin vert janséniste, filets à froid autour des plats, dos à nerfs, tranches dorées, roulette dorée intérieure (Bousquet). Première édition latine du premier recueil sur les métiers. Elle fut publiée la même année que l’édition allemande, mais au format in-4°, avec 114 bois et dans un atelier d’impression différent. Tous les bibliographes ne s’accordent pas sur leur ancienneté. Pour Colas, elles ont été éditées à la même date, Brunet ne se prononce pas, et Davies, dans son catalogue Early German Books in the Library of C. Fairfax Murray, décrit ainsi l’allemande : « First edition with the German verses… Another edition with latin text, was published the same year. » Il semble difficile de savoir à laquelle on doit attribuer la priorité. Ce problème se pose dans les mêmes termes pour un Aesope édité en 1566, toujours chez Feyerabent. Par sa mise en pages, agréable et simplement conçue, ce théâtre des métiers, autant destiné à instruire qu’à distraire, rappelle davantage une suite de gravures qu’un livre. Ainsi chaque feuillet, resté vierge au verso, est illustré d’une gravure accompagnée d’explications en vers latins par Hartmann Schopper. Cette illustration, que l’on doit à Jost Amman, est formée de 132 bois gravés. C’est en qualité de graveur sur bois que Jost Amman (15391591) a acquis sa célébrité ; il est considéré comme un des grands praticiens de son époque. Il participa à l’illustration de nombreux ouvrages, et produisit des pièces séparées selon deux techniques : l’eau-forte mêlée au burin, et la gravure sur bois. Natif de Zurich, il exerça à Nuremberg.

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À travers cette suite, très hiérarchisée puisqu’elle présente en premier les hommes d’Église pour finir avec le colporteur, on découvre le monde des ateliers des diverses corporations du XVIe : tailleurs de pierre, charpentiers, orfèvres, batteurs d’or, joailliers, lapidaires, horlogers, épingliers, astronomes, physiciens, apothicaires, luthiers… sans oublier les métiers du livre, fabricants de papier, fondeurs de caractères, imprimeurs et relieurs. Les nombreuses rééditions, latines ou allemandes, qui se succédèrent entre 1568 et 1588, attestent l’intérêt de ces bois. La première allemande est très rare, Rahir et Dutuit possédaient uniquement la première latine. Exemplaire à belles marges, d’un beau tirage, établi au XIXe siècle par Bousquet. Discrète trace de mouillure en pied de la marge des cahiers A et B. Petite restauration angulaire de papier aux feuillets S 3 et S 4. Mors restaurés. Dimensions intérieures : 156 x 89 mm. Provenance : mention manuscrite de l’époque, sur la page de titre « Expurgandus » ; Théo de Vinne (1828-1924), typographe et imprimeur américain, avec son ex-libris. Becker, Jost Amman, 13 b ; Colas, 111 ; Hyatt Mayor, Prints & People, Metropolitan Museum of Art, 411, Ed. Latine (« The Swiss Jost Amman shows himself cutting his own design, in his lively little survey of 132 crafts and trades, that anticipates the great french Encyclopédie »).


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[MIGNAULT (Claude, dit MINOS)]

DISCOURS SUR LA CHRESTIENNE & LOUABLE ENTREPRINSE DE HAUT ET PUISSANT PRINCE, MONSEIGNEUR CHARLES DE LORRAINE, MARQUIS DU MAINE, CONTRE LE GRAND TURC, EN L’AN 1572 Paris, Denys Du Pré, 1572 In-4° de 14 ff. sign. A-C4, D2, maroquin bleu nuit, filet à froid autour des plats avec fleurons dorés en angles, dos à nerfs orné de petits fleurons dorés, roulette dorée intérieure, tranches dorées (Chambolle-Duru). Rarissime ÉDITION ORIGINALE française, elle est restée inconnue de la plupart des bibliographies spécialisées. Le texte latin de Claude Mignault avait paru la même année à la même adresse sous le titre d’Eidillium de felici et christiana profectione principis Carolis a Lotharingis. Les bibliographes, suivant en cela l’abbé Philibert Papillon, considèrent que la présente version française est l’œuvre de Mignault lui-même, qui l’a signée de la même devise grecque qu’il avait fait figurer sur l’édition latine. Le poème latin et sa version française ayant tous deux paru sous le voile de l’anonymat, on n’en connaît l’auteur qu’à la faveur d’une note autographe laissée par lui sur un exemplaire. Pierre Boizateau et Aimé Mesnier réimprimeront le poème à Poitiers en 1573.

agissait sur l’ordre de ses oncles, le cardinal de Lorraine et le duc d’Aumale, à l’encontre de la volonté du roi, qui ne souhaitait pas que les Français prissent les armes contre les Ottomans, alliés secrets de la Couronne. On pense que les Guise (qui préméditaient alors sans doute la SaintBarthélemy) voulaient de la sorte éloigner de France leur seul cadet en âge de servir dans une éventuelle guerre française contre l’Espagne, une guerre que leur maison refusait à tout prix. Ayant gagné Corfou, le jeune Charles de Mayenne combattit les Turcs sous la bannière de la république de Venise. Il allait hériter à son retour en France du gouvernement de Bourgogne (qu’avait détenu son oncle Claude d’Aumale), ainsi que de l’office de grand chambellan.

Titre orné de la marque du libraire Denys Du Pré.

Claude Mignault, un poète humaniste. Né à Talant en Bourgogne en 1536, il se faisait modestement appeler Minos, du nom du légendaire roi de Crète devenu juge des Enfers. Il publia en 1568 des « distiques françois » dans le Paradoxe de la cure de la peste de Claude Fabri. Encore jeune, féru de rhétorique et de philosophie antiques, il devint professeur de grec et de latin au collège de Reims, avant de s’installer à Paris, où il enseigna aux collèges de La Marche puis de Bourgogne. En 1578, fuyant la peste, il quitta la capitale pour gagner Orléans, où il étudia le droit et reçut la charge d’avocat du roi au bailliage d’Étampes. Il fit alors imprimer une excellente traduction des Emblèmes d’Alciat et publia de nombreux commentaires sur les auteurs antiques. En 1597, revenu à Paris, il était professeur de droit canon et doyen de la faculté de droit et mourut dans les premières années du XVIIe siècle

Un poème dirigé contre les Turcs. Ode officielle dédiée à Charles de Guise, cardinal de Lorraine et primat de la Gaule belgique, ce long poème composé en vers latins et traduit en alexandrins prône la guerre contre les Turcs en vantant les hauts faits de la maison de Lorraine dans les guerres ottomanes, et en particulier ceux du neveu du cardinal, le duc Charles de Mayenne. En effet, quelques mois après la triomphante victoire chrétienne de Lépante, à la fin du mois d’avril 1572, Charles de Lorraine (1554-1611), comte du Maine et bientôt duc de Mayenne, frère cadet du duc Henri Ier de Guise âgé seulement de 18 ans, avait quitté la France sans avertir le roi Charles IX avec quatre-vingts gentilshommes, tous très jeunes, pour prendre part à la guerre contre les Turcs. Il

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(1603 ou 1606). Nombre de savants, tels Charles Fevret ou le cardinal Bona, ont vanté son érudition et son talent, qui lui avaient valu toute sa vie l’admiration de ses élèves. Très bel exemplaire, froidement établi au XIXe siècle par l’officine Chambolle-Duru.

Aucune marque de provenance. Barbier, I, col. 1037 ; Barbier-Mueller, Ma bibliothèque poétique, IV, p. 151 ; Papillon, Bibliothèque des auteurs de Bourgogne, II, p. 52 ; Romier (L.), La Saint-Barthélemy, Revue du XVIe siècle, I, 1913, pp. 540-544 ; Fléty, Dictionnaire des relieurs français, pp. 40-41.

Dimensions intérieures : 220 x 155 mm.

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JAMYN (A.)

ŒUVRES POÉTIQUES Paris, Mamert Patisson, 1579 LE SECOND VOLUME DES ŒUVRES Paris, Félix Le Mangnier, 1584 Ens. de 2 volumes in-12, de 4 ff. n. ch., 309 ff., 11 ff. n. ch. signés *4, A-Z12, a-c12, d8 ; 6 ff. n. ch., 180 ff. ch. irrégulièrement signés ã6, a-p12, maroquin vert, chiffre couronné doré aux angles, dos à nerfs ornés de même, roulette dorée intérieure, tranches dorées sur marbrure (Trautz-Bauzonnet, 1850). ÉDITION ORIGINALE, très rare, du Second Volume des œuvres (1584) de Jamyn, unique édition de cette « seconde partie », et quatrième édition en partie originale du premier volume Œuvres poétiques (1579). Elles parurent pour la première fois en 1575, puis en 1577, suivies d’une remise en vente de cette dernière avec un titre modifié à la même date portant la mention « troisième impression ». Le volume des Œuvres poétiques comprend 578 pièces, dont six inédites et trois supprimées par rapport aux éditions précédentes. Le Second Volume contient 256 pièces, TOUTES INÉDITES. Le Second volume contient en outre la Prosopopæe, les sonnets et les complaintes sur la mort de Louis de Maugiron et de Jacques de Lévis, comte de Caylus (ff. 25 v.-35 r.), qui rappellent l’épisode historique du duel des mignons d’Henri III (27 avril 1578) opposés à Georges de Schomberg, François d’Aydie de Ribérac et Charles de Balzac, dit le Bel Entraguet. On trouve également les Discours de la philosophie à Passicharis et à Rodanthe, avec un titre particulier [f. 129], suivis des Discours académiques. Les deux éditions sont dédiées à Henri III, roi de France et de Pologne. LA RÉUNION DE CES DEUX VOLUMES, qui forment deux éditions distinctes, constitue en réalité la première tentative d’ÉDITION COLLECTIVE complète des œuvres du poète

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champenois, dont l’officielle ne sera publiée qu’au XIXe siècle avec Willems. Éditions partagées entre Mamert Patisson et Robert Le Mangnier (15..-1584?). Le fils de ce dernier, Félix Le Mangnier, lui succéda en 1584. On trouve des exemplaires du Second Volume (1584) à l’adresse de Robert Le Mangnier ou à celle de Félix Le Mangnier. Impressions en caractères italiques pour les vers français et en caractères romains pour la prose et les vers latins. Amadis Jamyn, le fils spirituel de Ronsard. Amadis Jamyn (vers 1540-1593), originaire de Chaource en Champagne, entra comme page au service de Ronsard à l’âge de 13 ans, devenant son ami et secrétaire. Formé par ce poète, il reçut également les leçons de Jean Dorat (15081588) et d’Adrien Turnèbe (1512-1565). Il fit partie de la Pléiade et fréquenta l’Académie du Palais. Traducteur d’Homère, il collabora avec Ronsard à la gestation de La Franciade. Avec l’appui du grand poète, il obtint d’importants postes à la cour, devenant après 1570 secrétaire et lecteur ordinaire de la chambre du roi, dont il s’éloignera – du temps d’Henri III – peut-être en raison de la légèreté des mœurs de celle-ci. En 1585, la mort de Ronsard va le frapper si vivement qu’il aura du mal à se relever. Les huit dernières années de sa vie sont marquées


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par une morne mélancolie, l’amenant à vivre retiré du monde dans sa ville natale jusqu’à sa mort, n’ayant plus aucune activité littéraire. Jamyn puise son inspiration aux mêmes sources que Ronsard : Antiquité gréco-latine et littérature italienne, cultivant avec bonheur le sonnet et les discours rimés chantant ses amours. La notoriété grandissante de Desportes l’entraîna vers une poésie plus légère, teintée parfois de morale malgré une petite veine satirique, et d’un sentiment sincère de la nature. Sa traduction d’Homère, d’une réelle qualité littéraire, s’appuie linguistiquement sur des équivalents contemporains, remplaçant les termes classiques et savants, et donne ainsi à sa version une saveur nouvelle. Exemplaire cité par Tchemerzine. Établi en 1850 pour le comte de Lurde, avec son chiffre, il a été relié par Trautz-Bauzonnet. Relieur attitré de ce dernier, Georges Trautz (1808-1879), ouvrier doreur dès 1833 chez Antoine Bauzonnet (17951886), dont il épousera la fille, s’associa à son beau-père en 1840. La plupart des exemplaires du catalogue après la mort du comte de Lurde reliés au XIXe siècle l’ont été par notre relieur, qui prenait soin de dater ses reliures, selon le vœu de son client préféré. Le neveu du comte de Lurde, le baron de Ruble, qui hérita de cette bibliothèque, écrivait : « M. de Lurde n’acceptait que des exemplaires de conservation parfaite. Tout volume taché, incomplet, court de marges, quelle que fût sa rareté, n’était pas admis dans sa bibliothèque. Il ne se montrait pas moins difficile pour la reliure » (Notice biographique sur le comte de Lurde, 1875, p. 39). Trautz comptait parmi ses plus importants clients des bibliophiles tels le duc d’Aumale et James de Rothschild, qui firent chacun relier plusieurs centaines de volumes dans son atelier.

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Dimensions intérieures : 141 x 78 mm et 134 x 78 mm. Provenance : comte Alexandre de Lurde (1800-1872), diplomate, avec son chiffre couronné frappé aux angles des plats et répété au dos (Cat., 1875, nos 130-131) ; baron Alphonse de Ruble (1834-1898), neveu du précédent, qui reçut en bloc la bibliothèque de son oncle par testament (Cat., 1899, nos 181-182 : « Ce volume [1584]… est beaucoup plus rare que le précédent, car il n’a eu que cette seule édition »), avec ex-libris armorié posthume ; Hector De Backer (Cat., 1926, nos 406-407 : « Bel exemplaire à grandes marges », pour le premier volume), avec son ex-libris ; Bellon. J.-P. Barbier, IV, 2, nos 60 et 61, qui fait remonter l’usage de la réunion de ces deux éditions aux bibliophiles érudits contemporains de l’auteur ; Barbier indique que l’édition de 1584 « est d’une rareté considérable » ; Tchemerzine, II, 740-741 (« Il faut réunir l’édition des Œuvres poétiques de 1579 avec le second volume de 1584, pour faire un exemplaire parfait » et « On réunit toujours ce volume [1584] et celui de 1579 ») ; Émile Paul, Catalogue de la bibliothèque poétique… Herpin, n° 195 (« Édition la plus complète, très recherchée à cause du second volume qui est fort rare… », haut. : 138 mm) ; Cioranescu, 1177411775 ; Ducimetière (N.), « Mignonne, allons voir… » : Fleurons de la bibliothèque poétique Jean-Paul BarbierMueller, 2007, n° 68 (éd. 1575).


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ZEHENDTNER VOM ZEHENTGRÜB (P.)

ORDENTLICHE BESCHREIBUNG MIT WAS STATTLICHEN CEREMONIEN UND ZIERLICHKEITEN, DIE RÖM. KAY. MAY. UNSER ALLER GNEDIGSTER HERR… DEN ORDEN DESS GULDIN FLÜSZ… Dillingen, Joannes Mayer, 1587 In-4° de 1 f. n. ch. (titre rouge et noir), 156 pp., 1 f. blanc, sign. A-V4, veau blanc, sur les plats, fleurons en angle et roulette d’encadrement en noir, armes au centre du premier plat, sur le second, large motif ornemental, dos à nerfs, tranches lisses (reliure de l’époque). Seule et unique édition de cette relation. Écrite par le secrétaire de l’archiduc Ferdinand de Tyrol, elle décrit les festivités et les cérémonies organisées à Prague et Landshut à l’occasion de la réception dans l’ordre de la Toison d’or du fantasque empereur d’Allemagne Rodolphe II (1522-1612), des archiducs Karl et Ernst, et de quelques dignitaires issus des rangs de la noblesse.

Prestigieux exemplaire relié à l’époque pour l’archiduc Ferdinand de Tyrol (1529-1595). Reliure conservée dans son état d’origine présentant quelques défauts. À noter l’absence des feuillets de garde.

Unique incursion du peintre anversois Antoni Bos ou Bois (circa 1530-1600) dans le domaine du livre illustré. Mentionné dans la liste (p. 53 du volume) en tant que membre de la suite de l’archiduc Ferdinand, il fut, de 1580 à 1587, l’un des peintres officiels de sa cour. Interprété sur métal, le cycle iconographique, au trait léger, est formé de 20 planches, dont 13 dépliantes et 7 contrecollées dans le texte. Cette différence dans la présentation donne à l’ouvrage un aspect animé et ludique dont sont dépourvus les livres de fêtes français du XVIe siècle, souvent trop rigides dans leur mise en pages.

Provenance : archiduc Ferdinand de Tyrol ; ex-libris manuscrit illisible ; étiquette de bibliothèque allemande du XIXe siècle.

Les 13 planches dépliantes représentent les différentes étapes des festivités : processions et cérémonies religieuses, la réception, le banquet dressé avec faste pour l’occasion, le tournoi, et le feu d’artifice final à Landshut. Sur certaines d’entre elles apparaissent les noms des protagonistes. Les 7 figures insérées dans le texte nous montrent Rodolphe II en habit de cérémonie, le collier de la Toison d’or, et divers blasons.

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Dimensions intérieures : 186 x 141 mm.

Bucher, Dillingen, 589 ; non cité par Watanabe-O’Kelly ; Vinet, 660 (« volume rare, omis par Brunet… », n’indique que 17 planches) ; Berlin Kat., 2820 (12 planches) ; Ruggieri, 941 (« Très rare et fort curieux pour le cérémonial », indique 17 planches pour un exemplaire relié au XXe siècle par Masson-Debonelle) ; Gourary, n° 391 (exemplaire en maroquin moderne ; provenance : Bibliothèque Palatine, Vienne) ; Hollstein, Dutch and Flemish Etchings, engravings and Woodcuts, III, p. 178 ; Thieme-Becker, IV, p. 493 ; Bénézit, II, pp. 258-259.

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BODIN (J.)

DE LA DÉMONOMANIE DES SORCIERS Paris, Jacques Du Puys, 1587 In-4° de [26] ff., 276 ff., signés â 4, ê 4, î 4, ô 4, * 4, ** 4, *** 2, A-Z 4, Aa-Zz 4, AAa-ZZz 4, maroquin citron, triple filet d’encadrement avec petits fleurons d’angles, écusson central contenant la date de la reliure, dos à nerfs orné, tranches dorées (Luc-Antoine Boyet, juillet 1696). La plus complète de toutes les éditions. Elle seule comprend, après la table, dix feuillets qu’on ne trouve dans aucune autre édition du texte, et même, selon Stanislas de Guaita, nulle part ailleurs. Ces pages renferment la minute complète du procès du sorcier Abel de la Ruë, condamné à mort en 1582 par le lieutenant Nicolas Quatre Solz. Cette septième édition a été faite sur la troisième de l’ouvrage, mais considérablement revue et augmentée par l’auteur. Un terrifiant « bréviaire » contre les sorciers à l’usage des inquisiteurs. Né à Angers en 1530 et mort de la peste en 1596, Jean Bodin, professeur de droit à Toulouse, avocat à Paris, puis présidial à Laon, auteur d’une République qui en fait le précurseur direct de Montesquieu, fut aussi celui de cette Démonomanie qui connut dix éditions entre 1580 et 1604. Cet ouvrage terrifiant — déraisonnable autant qu’incontournable somme des diableries commises ici-bas par le démon et ses séides — demeura pendant un siècle le bréviaire des juges et des inquisiteurs dans leur lutte horrifiée contre les sorcières. Il se divise en quatre livres (auxquels s’ajoute un appendice contre Jean Wier) : le premier précise la définition du sorcier, le deuxième détaille ses pratiques magiques et ses pouvoirs sur les éléments, le troisième envisage les moyens de prévenir les maux causés par eux, et enfin le dernier est consacré à la manière de les poursuivre, les faire avouer et les punir de leurs crimes. Recueillant les croyances les plus absurdes, à l’époque même où naissait l’idée d’une origine pathologique de la sorcellerie, Bodin met en garde les juges contre le pouvoir

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immense du diable et des sorciers qui ont passé un pacte avec lui. Un siècle après le Malleus maleficarum, l’avocat angevin, isolé même parmi les démonologues, va aller plus loin que quiconque dans l’appréciation de la réalité des pouvoirs du Malin, niant qu’il ne soit qu’illusionniste et trompeur, pour lui conférer la puissance de créer par luimême et d’influer sur le monde matériel. Faisant de lui l’« exécuteur de la vengeance de Dieu », Bodin, pris d’une terreur obsidionale sans précédent, radicalise le propos théologique des auteurs antérieurs et déclare sans ambages : « C’est chose incompréhensible que le conseil de Dieu, et la puissance qu’il donne à Satan est inconnue aux hommes. » Et, en effet, il est le démonographe qui refuse le plus vigoureusement l’idée que le diable agisse par illusion, dût-il pour cela lui reconnaître des pouvoirs excédant de loin ceux des créatures. C’est que la thèse de l’illusion risque selon lui d’atténuer la culpabilité des sorciers et dès lors de leur éviter le bûcher. La Réfutation des opinions de Jean Wier qui clôt la Démonomanie consiste justement à déceler cette tactique chez le médecin hollandais qui, dans son traité intitulé De prætigiis dæmonum (1564), ne voyait que maladie et folie dans la sorcellerie, et dont le but inavoué est, selon Bodin, d’« empêcher qu’on fasse mourir les sorciers ». Tout au long de cet ouvrage construit sur une solide charpente théorique — qui s’ouvre sur cette fameuse définition : « Sorcier est celuy, qui par moyens diaboliques sciemment s’efforce de parvenir à quelque chose » —, et dans lequel se multiplient jusqu’au vertige les exemples curieux et les citations d’autorité, Bodin ne quitte pas du regard son objectif ultime, celui d’éradiquer le mal qui ronge la société en cette période noire de la fin de la


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Renaissance, en tentant de persuader les juges temporels de traquer sans relâche les satanistes. Sa fureur et sa cruauté anxieuse valaient encore récemment à l’ouvrage d’être ainsi résumé : « Ramassis de croyances populaires, d’incohérences et de préjugés, enveloppé dans le manteau d’une prodigieuse érudition, la Démonomanie, condamnée comme hérétique par la sainte Inquisition, recommande le recours à la délation et au mensonge, l’interrogatoire d’enfants en bas âge, et l’éradication absolue de la sorcellerie grâce à la crémation. » (Villeneuve). Marque typographique du libraire Du Puys sur le titre (Silvestre, n° 594 ; Renouard, n° 285). Exemplaire relié pour Antoine Leriche (ex-libris manuscrit sur le titre). Antoine Leriche (1643-1715), secrétaire du roi, collectionneur de livres et d’estampes et intime de Le Nôtre, fait partie des grands curieux du XVIIe siècle que cite Dezallier d’Argenville aux côtés de Montarsy, Roger de Piles, Gaignières et d’autres. Quatre de ses ouvrages richement reliés ont été présentés à l’exposition Chefs-d’œuvre du musée Condé en 2002. Cet exemplaire est revêtu d’une reliure archaïsante « aux écussons » (selon la typologie créée par Isabelle de Conihout et Pascal Ract-Madoux), réalisée pour Leriche par le doreur de Luc-Antoine Boyet et frappée du dernier fer que celui-ci utilisa pour les livres du collectionneur, à la date de « juillet 1696 ».

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Antoine Leriche, de même que les deux autres grands amateurs de son cercle identifiés, Jérôme Duviver et le marquis de La Vieuville, était amateur de reliures imitant celles du début de son siècle — goût rétrospectif alors sans précédent en bibliophilie. Mais il n’a que rarement fait relier ses livres, qu’il achetait le plus souvent établis pour d’autres prestigieux collectionneurs de l’époque. Les reliures « aux écussons » paraissent cependant avoir été réalisées à son intention par l’atelier de Boyet, puisque seize des exemplaires qu’elles recouvrent portent son ex-libris. Parmi les maroquins utilisés pour habiller ses ouvrages, la nuance citron fut, comme toujours, la plus rarement employée. Une coiffe récemment restaurée par une main délicate. Petite trace de mouillure plus ou moins prononcée atteignant le coin inférieur droit du corps de l’ouvrage. Dimensions intérieures : 220 x 150 mm. Provenance : Antoine Leriche ; cote de bibliothèque du XVIIIe siècle ; P. M. Hunter (Cat. 1805, n° 1887) ; Librairie Morgand et Fatout (Cat. mars 1883, n° 7979). Caillet, n° 1269 ; Guaita, n° 1172 ; Yve-Plessis n° 843 ; Crahay, Isaac et Lenger, Bibliographie des éditions anciennes de Jean Bodin, Académie royale de Belgique, 1992, pp. 233235 [F7] ; Baudrillart (H.), Jean Bodin et son temps, Paris, 1853, ch. IV ; Delumeau (J.), La Peur et l’Occident, Paris, Fayard, 1978, ch. XI-XII ; Collin de Plancy (J.-A.-S.), Dictionnaire infernal, Paris, Mellier, 1844, pp. 90-91 ; Villeneuve (R.), Dictionnaire du diable, Paris, Omnibus, 1998, p. 123 ; Conihout (I. de) et Ract-Madoux (P.), Reliures françaises du XVIIe siècle. Chefs-d’œuvre du musée Condé, Paris, Somogy, 2002, pp. 64-71.


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PISO (W.) - MARCGRAF (G.)

HISTORIA NATURALIS BRASILIAE Leyde, Francis Hackius ; Amsterdam, Louis Elzevier, 1648 2 parties en un volume in-folio, veau brun, filets à froid autour des plats, dos à nerfs orné d’un fleuron plusieurs fois répété, tranches jaspées (reliure de l’époque). ÉDITION ORIGINALE. Premier grand ouvrage illustré sur l’histoire naturelle du Brésil. Un superbe titre-frontispice allégorique gravé à l’eau-forte par Theodor Matham (ca. 1606-1676), et 429 bois gravés dans le texte d’après Georg Marcgraf et Albert Eckhout, représentant la faune, la flore et des scènes de genre illustrant la vie quotidienne des aborigènes : traitement du manioc, du sucre, etc. La référence documentaire la plus exacte jusqu’aux comptes-rendus des grandes expéditions du XIXe siècle. Commandé par le prince Johan Maurits von Nassau-Siegen (1604-1679), gouverneur général de la colonie hollandaise du Brésil, l’ouvrage fut composé entre 1638 et 1644, lors de la conquête d’une partie du Brésil par les Hollandais. Pour sa rédaction, le prince de Nassau mit à disposition d’importants moyens afin d’explorer ces contrées et de civiliser les Indiens Tapuya. Il fit construire des ponts, une ville et même un palais. Bâti à Récife, celui-ci constituait une véritable académie ainsi qu’un musée, réunissant un grand nombre d’espèces animales, un observatoire astronomique, un cabinet de curiosités, un jardin botanique – parmi les tout premiers de l’Amérique. Notre prince s’entoura d’une équipe de scientifiques dont Willem Piso (1611-1678), son médecin personnel, ainsi que Georg Marcgraf (1610-1644), et les artistes Frans Post (16121680) et Albert Eckhout (1610-1665), dans le but d’étudier la géographie et les ressources du pays. Édité par Johannes de Laet (1581-1649), l’ouvrage est divisé en deux parties : Medicina Brasiliensi de Willem Piso et Historiae rerum naturalium Brasiliae rédigée par le naturaliste, astronome,

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mathématicien et cartographe allemand Georg Marcgraf, lequel mourut avant la publication de son travail. Chef-d’œuvre du pionnier de la médecine tropicale. Willem Piso a étudié de près les médecines traditionnelles des Brésiliens et il fut l’un des premiers à en reconnaître l’efficacité. Introducteur en Europe de l’ipéca, plante aux vertus éméto-cathartiques particulièrement efficaces pour le traitement de la dysenterie – dont l’usage se perpétue -, Piso a défini quelques pathologies des tropiques et introduit certaines thérapies indigènes. Dans son traité, il aborde successivement les questions relatives à l’air, aux eaux et aux lieux, aux maladies endémiques, aux venins et à leurs antidotes, et enfin les propriétés des plantes médicinales. Première étude scientifique des poissons de provenance non méditerranéenne. Par son approche empirique, la partie zoologique de cet ouvrage le range parmi les traités les plus remarquables du


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genre. Georg Marcgraf fait partie du nombre restreint de naturalistes de l’époque se distinguant par une méthode rigoureusement scientifique, ne s’appuyant que sur des observations directes. Il traite successivement des plantes, poissons, oiseaux, quadrupèdes, reptiles et insectes. Chaque animal est désigné par son nom en langue Tupi, suivi de son équivalent en portugais ou en hollandais, avec ses mesures, caractéristiques morphologiques, couleurs… ainsi que des anecdotes personnelles sur son travail. Au XVIIIe siècle, ce traité a servi de source à la classification des espèces mise au point par Carl von Linné (1707-1778). C’est au cours de trois importantes expéditions à l’intérieur des terres brésiliennes que Marcgraf réunit la majeure partie des spécimens de la flore et de la faune qu’il analyse dans cet ouvrage. Il donne la description de plus d’une centaine d’espèces de poissons, toutes nouvelles pour la science. Pour mieux décrire les animaux, une ménagerie fut installée dans le palais du prince, à Récife, où Marcgraf tenta d’en domestiquer quelques-uns : un lézard, une tortue, de grosses araignées, un faucon et un perroquet. Dessinateur savant et réaliste, Marcgraf exécuta à l’aquarelle le dessin des espèces qu’il étudia, afin d’illustrer avec précision son travail. Les originaux sont aujourd’hui conservés à la

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bibliothèque de l’Université Jagellonne de Cracovie, et l’herbier qu’il recueillit fait partie des collections du Musée botanique de Copenhague. Pour se prémunir d’un éventuel plagiat de la part de Piso – en conflit avec Marcgraf – ce dernier composa un alphabet crypté pour la rédaction de ses notes. Suite à sa mort prématurée – il fut victime d’un accès de fièvre en Angola, en 1644 –, le prince de Nassau donna ses manuscrits à Johannes de Laet qui les publia à travers notre ouvrage, enrichis de nombreuses notes. Laet ajouta à la fin du livre le fruit de ses propres recherches, particulièrement intéressantes du point de vue ethnographique et linguistique, renfermant un appendice sur les populations indiennes du Brésil et du Chili, avec des observations sur la taille et le corps des aborigènes, leur religion, leurs vêtements et ornements, leur nourriture, le climat, l’agriculture, le régime politique, les armes, les milices, les langues Mapuche et Tupi et un dictionnaire pour chacune d’elles, avec 300 termes et leur équivalent latin. Cette partie contient aussi un chapitre du père Joseph de Anchieta (1534-1597) sur la langue Tupi et sa phonétique, des observations sur l’Historica relacion del Reyno de Chile du père Alonso de Ovalle (1603-1651) publiée à Rome en 1646, et un autre sur les Tapuya par Elias Herckmann.


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Jacob Rabbi, le « sauvage allemand » vivant parmi les Indiens Tapuya. Le chapitre consacré aux Indiens Tapuya (De Tapuyarum moribus, & consuetudinibus, è Relatione Iacobi Rabbi, qui aliquot annos inter illos vixerat) de Jacob Rabbi, ethnologue et interprète des langues indigènes au service des Hollandais au Brésil, est fort intéressant car celui-ci a vécu plusieurs années au milieu de cette tribu, allant jusqu’à épouser l’une des filles du chef, endossant en même temps le rôle d’espion pour le compte des Hollandais. Rabbi y évoque les mœurs, coutumes et pratiques funéraires auxquels il s’attacha au point d’y laisser sa vie. Lorsque la guerre éclata, il se rangea aux côtés des Indiens et fut assassiné par un colonel hollandais. Précieux exemplaire ayant appartenu au naturaliste GEORGES CUVIER (1769-1832). Zoologiste et paléontologue français, fondateur de l’anatomie comparée, Cuvier a établi une classification zoologique. À partir des fossiles, il prouva l’existence d’espèces disparues et fonda la paléontologie. Il entreprit l’Histoire naturelle des poissons (1828-1848, 22 volumes) avec l’aide d’Achille Valenciennes (1794-1865), son assistant et ami, qui en poursuivit seul la publication, après sa mort, survenue quatre ans après le début de l’entreprise. Cuvier légua à sa mort la totalité de sa bibliothèque scientifique au Muséum d’histoire naturelle. Cependant, il réserva l’usufruit d’un ensemble de 246 ouvrages de documentation à Achille Valenciennes, afin que ce dernier puisse poursuivre leur œuvre commune, l’Histoire naturelle des poissons. Fils d’un aide de Buffon et de Daubenton, Achille Valenciennes, né au Muséum même, fut, à ses débuts, attaché à Lamarck, Geoffroy Saint-Hilaire et Lacépède. En 1832, il reçut la chaire de professeur de zoologie, succédant ainsi à Cuvier. Notre exemplaire a servi directement de source documentaire au travail de Cuvier et celui-ci en a fait un jugement élogieux : « Cet ouvrage est incontestablement, de tous ceux qui avaient paru jusque-là, celui où les descriptions sont le plus soignées, où les objets sont nommés avec le plus de jugement, et où les figures sont le mieux dessinées. On le considère même encore comme un livre classique que l’on peut consulter avec une entière confiance pour tout ce qu’il renferme […]. En un mot, son histoire pouvait passer alors pour un chef-d’œuvre. » (G. Cuvier, Histoire des sciences naturelles, 1841, pp. 142-143).

Quelques très légères rousseurs éparses. Petit travail de vers dans la marge inférieure de quelques feuillets. Petit manque de papier en marge du f. T 3, manque angulaire au f. Nn 4. Reliure anciennement restaurée. Dimensions intérieures : 392 x 245 mm.

Provenance : Georges Cuvier, avec, sur le titre, cachet posthume du legs « G. Cuvier » à Achille Valenciennes ; Muséum d’histoire naturelle, avec cachet de dessaisie. Quelques notes manuscrites au crayon à papier dans les marges sur la partie des poissons et des oiseaux ; Pierre Berès (Manette).

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RECEPTE GENERALLE DES FINANCES DE CAEN POUR L’ANNÉE 1665 1665 In-4° de 172 pp., maroquin rouge, encadrement de filets dorés autour des plats, fleur de lys en angle, armes au centre, de part et d’autre sur le premier plat, mentions en lettres dorées frappées « Recepte·Generalle·des·Finance· : ·de Caen·Annees 1665· » et « Monsieur Aubry Commis General », dos finement orné aux petits fers avec fleurs de lys plusieurs fois répétées, tranches dorées (reliure de l’époque). Manuscrit sur peau de vélin, réglé, habilement calligraphié à l’encre brune, complet. La France au temps de Colbert. Au XVIIe siècle, notre pays connaît des difficultés économiques et climatiques ; aux tensions religieuses s’ajoutent des pénuries ainsi que des conflits successifs tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du royaume. Cependant, cette situation n’empêchera pas la France, sa monarchie et ses institutions de jouer un rôle éminent. La guerre de Trente Ans et la guerre avec l’Espagne nuiront considérablement à son économie, rendant urgent de réformer pour trouver de nouveaux revenus. Succédant à La Vieuville, Nicolas Fouquet (1615-1680) fut nommé surintendant des finances en 1653. Parallèlement, Mazarin créa un second poste où il plaça, à la même fonction, le diplomate Abel Servien (1593-1659). La confiance dont jouit Fouquet auprès des traitants (financiers chargés de lever l’impôt) lui permit de faire face aux dépenses de l’État après la Fronde. Colbert, qui convoitait sa succession, intrigua auprès de Louis XIV jusqu’à l’éliminer en 1661. À la suite d’un procès lapidaire, Fouquet fut enfermé à Pignerol. Après sa disgrâce, Colbert prit la direction des affaires et Louis XIV supprima la charge de surintendant des finances, créant le Conseil royal des finances où il siégea lui-même. Intendant des finances depuis le 8 mars 1661, Colbert fut l’un des trois conseillers de cette instance. En 1665, il devint seul contrôleur général des finances et garda cette fonction jusqu’en 1683. Les réformes administratives et fiscales de Colbert visaient à un meilleur rendement de la taille, donnant ainsi une impulsion à l’industrie tant publique que privée.

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En 1665, la France est divisée en vingt-cinq généralités, c’est-à-dire en circonscriptions administratives et financières. En 1450, sous Charles VII, les trésoriers de France se partageaient le royaume en quatre généralités, celle de la Normandie siégeant à Rouen. En 1542, sous François Ier, on opéra un découpage du pays en seize généralités ; à partir de cette date celle de la Normandie fut installée à Caen. Les généralités, divisées en plusieurs élections, avaient un rôle fiscal dans le cadre de l’administration royale et elles avaient été créées dans le but de prélever les principaux impôts. Sous l’Ancien Régime, la Normandie rayonnait tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du royaume. De par sa position géographique privilégiée, véritable carrefour maritime et terrestre, ainsi que par son dynamisme commercial et agricole, cette province jouissait d’une grande prospérité. D’un point de vue démographique, la Normandie occupait le premier rang des provinces les plus peuplées de France et était donc la principale pourvoyeuse des finances du royaume. Cette Recepte generalle des finances de Caen contient un « état au vrai » des comptes d’administration établis par René Aubry, commis receveur général de Caen, au titre de l’année 1665, reproduisant toutes les opérations financières, à savoir « receptes et despences », relatives à la taille. On trouve en préliminaire à ce registre de contrôle la liste des élections composant la généralité de Caen (Avranches, Bayeux, Caen, Carentan, Coutances, Mortain, Saint-Lô, Valognes et Vire) et le montant de leur contribution à la


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taille. Le manuscrit est ensuite divisé en plusieurs parties, selon l’usage, et détaille les recettes et dépenses faites par René Aubry pour les augmentations de gages [salaires] des « greffiers », « huissiers », « receveurs des espèces », « receveurs et controlleurs généraux des finances », « taxation », « pensions accordées par le roi », « prevost général », « lieutenants robbecourtes », « lieutenants robbelongues », « assesseurs », « procureurs du roy », etc. Le nom de chacun des bénéficiaires et débiteurs est suivi de sa fonction et de la somme allouée ou perçue, avec la date des lettres et acquits. Ces documents comptables étaient établis annuellement pour la Chambre des comptes. Ils étaient exécutés par des maîtres écrivains attachés au service des administrations concernées. On en faisait au moins une copie pour l’intendant des finances, une pour le receveur général des finances et une pour la généralité en question. Les documents comptables officiels de la cour du roi étaient conservés dans le fonds de la Chambre des comptes. Dès l’Ancien Régime, de nombreux documents ont été soustraits de cette instance, mais la perte la plus importante a été subie lors de l’incendie de 1737. Les pertes furent plus grandes encore au cours de la Révolution. De nos jours, le fonds de la Chambre des comptes est conservé aux Archives nationales et les manuscrits comprenant les Recettes générales des finances des généralités ne sont conservés que pour la période comprise entre les années 1759 et 1790 (AN, P 5239 à 5271, pour Caen). La grande majorité des manuscrits de ce type est conservée dans les archives régionales, nationales ou grandes bibliothèques parisiennes et provinciales, très peu sont encore en mains privées. Le fonds d’archives de la généralité de Caen du XVIe au XVIIIe siècle est conservé aux Archives départementales du Calvados (série C) ; cependant d’après l’inventaire dressé en 1877, cette institution ne possède pas de copie du présent manuscrit. Les archives du Calvados ont d’ailleurs acquis en 1952 ce qui semble être le seul manuscrit comparable au nôtre, c’est-à-dire la Recette générale des finances de Caen pour l’année 1777. La BNF ne possède qu’un seul manuscrit de la Recette des

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finances dans la généralité de Caen, celui de l’année 1634 (N.a.f. 20217). Manuscrit inédit, dont on ne connaît aucune autre copie conservée, établi et relié pour René Aubry (1637-1713), grand commis de l’État. Aubry fut l’une des figures importantes du groupe des financiers de confiance et proches de Colbert, comme ses parents Berryer, Coquille, Cousin et Ranchin, tous de grands manieurs d’argent. C’est par ses alliances familiales qu’il tissa un important réseau administratif qui lui assura de considérables revenus. Neveu de Louis Berryer (vers 1616-1686), il était le fils d’un receveur du grenier à sel du Mans devenu secrétaire du roi, René Aubry père (16..-1677), qui avait épousé Louise Berryer (1612-1693), la sœur de Louis Berryer. René Aubry fils épousa en 1664, en premières noces, Michelle Aymeray – fille d’un receveur de tailles –, ce qui lui permit de renforcer ses liens avec le groupe des financiers inféodé à Colbert. En effet, sa belle-mère devenue veuve, Michelle Cormier, s’était remariée avec Claude Coquille (1625-1694), neveu de Pierre de La Croix (16..-1689) et de Denis Marin (1601-1678) – qui avait épousé en secondes noces la cousine de Colbert. Ces deux derniers furent aussi deux importantes figures de la finance de leur temps. Le premier était receveur général des finances de Paris et le second, intendant des finances du roi. Par ailleurs, la sœur de René Aubry, Marie, avait épousé Pierre Cousin, receveur général des finances de Rouen, et son frère, Jean-Baptiste Aubry, était lui receveur des tailles et gabelles d’Évreux et de Conches. Dès 1660, René Aubry fils était introduit dans le monde de la finance. Durant deux ans, il fut commis à la recette des impositions de l’élection de Nevers. Il devint ensuite secrétaire royal contrôleur des provisions des offices de France. De 1661 à 1669, il fut l’un des sous-traitants des taxes de la chambre de justice de la généralité de Rouen. Puis devint receveur général alternatif des finances dans la généralité de Rouen, dont il acquit l’office par contrat du 7 février 1669. En 1671, Aubry épousa en secondes noces Marguerite Ladvocat, fille d’un maître d’hôtel et cousine du receveur général des finances de Rouen, Jean-Antoine


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Ranchin (1616-1683). Le 29 avril 1677, René Aubry est reçu « conseiller secrétaire du roi, Maison, Couronne de France et de ses finances ». Par ailleurs, de 1680 à 1687, il est intéressé en sous-part dans la ferme générale des gabelles de France. Enfin entre 1688 et 1704, durant les guerres de la ligue d’Augsbourg, il apparaît également comme commanditaire d’armement. Et durant la guerre de Succession d’Espagne – tout au moins au début de cette dernière –, Aubry prend part très activement aux affaires extraordinaires en entrant dans dix-neuf traités. La doctrine économique d’Aubry se range sous celle de Colbert, soutenant le programme maritime et colonial de celui-ci. Aubry était actionnaire de la Compagnie du Nord, de celle des Indes orientales et en sous-part de celle du Sénégal. La reliure de ce manuscrit, de belle facture, semble être issue de l’atelier de l’un des relieurs du roi. Parmi les maîtres alors actifs, on peut citer Florimond Badier (actif de 1630 à 1668), Antoine Ruette fils (actif de 1644 à 1669), Gilles Dubois (actif de 1648 à 1671) et Claude Le Mire (actif de 1664 à 1698). Exemplaire aux armes du roi Louis XIV, dont les armoiries sont composées de deux écus accolés, de France et de Navarre — rencontrés « beaucoup plus rarement » comme le signale Olivier (pl. 2494). Sur cette reliure, les armoiries de Louis XIV sont placées au centre du collier du SaintEsprit au chiffre d’Henri III (« H » et deux « Louise et Lorraine ») surmonté de la couronne royale avec sa devise « Manet ultima cælo » (la dernière couronne m’attend au ciel) (Olivier, pl. 2491, fer n° 3). Notre fer n’est pas reproduit dans Olivier. Par-delà des aléas purement circonstanciels — usage inapproprié d’un fer à relier par un atelier ou mégarde d’un relieur –, la particularité qu’offre cette reliure, de présenter les armoiries royales de Louis XIV placées au centre du collier du Saint-Esprit au chiffre d’Henri III, pourrait s’interpréter comme un hommage de gratitude de la généralité de Caen en souvenir de la bienveillance que ce roi lui témoigna.

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On joint : - une lettre manuscrite signée, d’un expéditeur non identifié, vraisemblablement un maître écrivain, adressée à René Aubry avec cachet et adresse à Paris, rue des DeuxPortes, paroisse Saint-Sauveur (2 ff. in-8), relative à l’établissement de ce manuscrit : « Monsieur, je vous donne avis que vos comptes et arrets de correction sont partis d’hier par la voye du messager. Vous donnerez vos ordres s’il vous plaist pour les retirer. Nous travaillons Mr le Chandellier et moy a votre estat au vray ; il faudra que vous prenniez la penne de me renvoier les estats du Con[se]il pour les remboursements affin de les joindre aud[its] Estats ». - et un feuillet volant contenant des notes manuscrites, sans doute de la main d’Aubry, intitulé « Questions a faire decider par Messieurs les Secretaires du roy ». Dimensions intérieures : 291 x 241 mm. Provenance : René Aubry (1637-1713) ; collection privée. Dessert (D.), Argent, pouvoir et société au Grand Siècle, Paris, Fayard, 1984 ; Dornic (F.), Une ascension sociale au XVIIe siècle : Louis Berryer, agent de Mazarin et de Colbert, Caen, Association des Publications de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de l’Université, 1968, pp. 164-166 ; La Normandie dans l’économie européenne (XIIe-XVIIe siècle), actes publiés sous la direction de Mathieu Arnoux et Anne-Marie Flambard Héricher, Caen, CRAHM, 2010 ; Perrichet (M.), « Les receveurs des tailles de la généralité de Caen, 1661-1715 », in Les Finances en province sous l’Ancien Régime. Journée d’études tenue à Bercy le 3 décembre 1998, sous la direction de Françoise Bayard, Paris, Comité pour l’Histoire économique et financière de la France, 2000, pp. 29-122 ; Tessereau (A.), Histoire chronologique de la Grande Chancellerie de France, Paris, Pierre Emery, 1706, t. II, p. 22.


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PITTON DE TOURNEFORT (J.)

ÉLÉMENS DE BOTANIQUE, OU MÉTHODE POUR CONNOÎTRE LES PLANTES Paris, de l’Imprimerie royale, 1694 3 vol. in-8°, maroquin rouge, filets dorés autour des plats, dos à nerfs ornés, tranches dorées (reliure ancienne). ÉDITION ORIGINALE et premier tirage. Les Éléments de Tournefort : une approche rationnelle de la botanique. Médecin et botaniste, Joseph Pitton de Tournefort (16561708) fut titulaire de la chaire de botanique du Jardin des Plantes, où ses cours connurent un immense succès. En 1691, il fut reçu à l’Académie des sciences. Par leur clarté et leur précision, les descriptions de ses Éléments de botanique surpassent toutes les tentatives antérieures semblables. De plus, il y établit une classification qui, si elle reste essentiellement morphologique, se distingue par une innovation fondamentale : le choix d’un critère distinctif (l’appareil floral de la plante) dont les variations d’une espèce à l’autre lui permettent de constituer des « genres » qu’il définit ainsi selon leurs caractères naturels et non plus arbitrairement. Bien qu’il ait ignoré le rôle de la pollinisation et donc la sexualité des végétaux, sa classification – le système Tournefort – en fait une figure éminente de l’histoire de la botanique. La première à adopter une approche objective, elle constitue une étape majeure vers la nomenclature binominale que Carl von Linné (1707-1778) établira quelques décennies plus tard, jetant les fondements de la taxinomie moderne. Linné conservera une grande partie des genres si soigneusement délimités par Tournefort. L’art au service de la science : 451 gravures d’après nature par Claude Aubriet. Considérant l’image comme indispensable à la compréhension de ses descriptions autant qu’à celle de sa classification, Tournefort souhaite que son ouvrage soit largement illustré de planches. Il s’adjoint donc les services d’un dessinateur, Claude Aubriet (ca. 1665-1742).

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L’artiste exécute 451 dessins d’après nature qu’il grave ensuite lui-même. Si son travail est particulièrement remarquable par sa qualité plastique, il l’est plus encore par son attention aux exigences du savant et la rigueur avec laquelle il a su y conformer sa propre perception et son trait. Cette réalisation marqua le début d’une étroite collaboration qui dura jusqu’à la mort du botaniste, en 1708. Lorsqu’en 1700, Tournefort fut désigné pour diriger un voyage scientifique au Levant, Aubriet partit avec lui. Son talent lui valut quelques années plus tard de succéder à Jean Joubert (1643-1707) comme peintre officiel des Jardins du roi. Il y continua la collection dites des vélins du roi, qui avait été initialement commandée au dessinateur Nicolas Robert (1614-1685). Il réalisa aussi, entre autres, les dessins des 354 planches qui illustrent l’édition posthume du Botanicon Parisiense de Sébastien Vaillant (1669-1722), publiée en 1727. Exemplaire de qualité en maroquin rouge cerise du dernier tiers du XVIIIe siècle, d’intéressante provenance. Dimensions intérieures : 205 x 130 mm.


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Provenance : Johann Theophil Hœffel (avec son ex-libris manuscrit).

aujourd’hui partie de la Karlsberg Sammlung à la Staatsbibliothek de Bamberg (Bavière).

Johann Theophil Hœffel (1704-1781) était un médecin physicien originaire d’Alsace, qui exerça à la cour des ducs des Deux-Ponts (Allemagne). Étudiant les vertus thérapeutiques de sources bitumeuses présentes en BasseAlsace, il fut l’un des précurseurs de l’approche scientifique du pétrole et contribua ainsi à en développer en France la connaissance et l’exploitation. Il est également connu pour avoir constitué la plus importante bibliothèque de médecine, pharmacologie, botanique et balnéothérapie d’Allemagne du XVIIIe siècle. La presque totalité de ce remarquable ensemble de près de 2 500 volumes fait

Nissen, n° 1976 ; Pritzel, n° 9423 ; Davy de Virville (A.), Histoire de la botanique en France, Paris, SEES, 1954, pp. 3539 ; […], Tournefort, Paris, MNHN, 1957, pp. 156-180 ; Hamonou-Mahieu (A.), « Dessin et botanique : Aubriet et Tournefort », in Revue de la BNF, n° 21, 2005, pp. 70-75 ; Bogaert-Damin (A.-M.) et Piron (J.), Livres de fleurs du XVIe au XXe siècle, Namur, Bibliothèque universitaire Moretus Plantin, 1984, pp. 33-35 ; Steicher (J.-Cl.), « Johann Theophil Hœffel (1704-1781) », in Les Pionniers de l’or noir du Pechelbronn, Hirle, 2011.


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LA CROIX, Sieur de

RELATION NOUVELLE DE LA HAUTE ETHIOPIE OU ABISSINIE VULGAIREMENT LE PAÏS DU PRETE-JAN [Sans doute Paris, vers 1701] In-4° de 8 ff. + 228 pp., précédés de 2 ff. et suivis de 3 ff. blancs, complet, maroquin rouge, large et élégante roulette à la fleur de lys dorée autour des plats, armes au centre, dos à nerfs orné, tranches dorées (reliure de l’époque). Manuscrit autographe, de présent, établi pour Louis Alexandre de Bourbon, comte de Toulouse (1678-1737), fils de Louis XIV et de Madame de Montespan, amiral de France. Il s’agit d’un des quatre (cinq ?) manuscrits autographes du Sieur de La Croix de ce texte – inédit et ici dans sa forme la plus aboutie – composé d’après les témoignages « d’Abyssins instruits et sincères », de missionnaires jésuites ayant séjourné en Éthiopie et des ouvrages d’auteurs tels Hiob Ludolf ou le père Tellez (XVIIe s.). C’est une commande pour faire le bilan des connaissances sur l’Éthiopie, adressée au roi et à des notables de la cour de France. L’identité de l’auteur a parfois été source de confusion, et le texte fut à tort attribué à François Pétis de la Croix. Il convient maintenant d’inclure l’œuvre parmi les écrits du Sieur de La Croix, secrétaire de l’ambassade de France à Constantinople sous le marquis de Nointel [de 1670 à 1679] puis sous le vicomte de Guillargues [de 1684 à 1685] (F. Chèvre (1929) attribue l’ouvrage à un certain Phérotée de la Croix). La volonté expansionniste de la France en Éthiopie sous Louis XIV. Témoin supplémentaire des tentatives d’établissement de relations entre la France et l’Abyssinie au XVIIe et au XVIIIe siècle, le texte fut composé sur fond de volonté de reprise des relations entre la France et l’Éthiopie sous Louis XIV, et d’intégration religieuse en Abyssinie. Le roi avait tout d’abord un intérêt tout particulier à ce que se développent les relations avec le royaume éthiopien situé sur la route des Indes orientales (désignant les territoires d’Asie du Sud et du Sud-Est). En effet, la Compagnie des Indes orientales – plus précisément Compagnie française

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pour le commerce des Indes orientales – était une compagnie commerciale créée par Colbert en 1664 dont l’objet était de « naviguer et négocier depuis le cap de Bonne-Espérance presque dans toutes les Indes et mers orientales », avec monopole du commerce lointain pour cinquante ans. L’Éthiopie et l’Abyssinie constituaient donc des régions stratégiques sur cette route : une implantation ou influence française en Éthiopie aurait grandement servi les intérêts maritimes et commerciaux des Français. La Compagnie française des Indes orientales assurait le trafic des épices et autres denrées commerciales par le cabotage « d’Inde en Inde » autour de l’océan Indien et de l’océan Pacifique. Par ailleurs, la question religieuse joua aussi un rôle important : la France était habituée à considérer les intérêts des chrétiens (dont une minorité de catholiques) d’Orient comme les siens propres, cherchant à contrer l’avancée des églises orthodoxes et coptes, perçues comme hérétiques, et à imposer le catholicisme à des populations souvent acquises à des rites « schismatiques ». Le roi vieilli, sous l’influence de son confesseur le père de La Chaize et de Madame de Maintenon, rêve de faire rentrer dans le giron de l’Église romaine les sujets du fameux « Prêtre Jean », plongés dans l’hérésie eutychéenne ou monophysite (qui soutient que le Christ a uniquement une nature divine). Le père de La Chaize joua un rôle important dans cette initiative. On trouve par exemple à la Bibl. Mun. de Lille, MS 524, Mémoire sur les vues de pénétrer en Éthiopie ou Lettre au père de La Chaize [CGM, Lille, t. XXVI, pp. 399-400], témoin de l’intérêt que le père de La Chaize portait au « Royaume du Prêtre-Jean ». On envoya plusieurs Mémoires sur l’Éthiopie à la cour de France à la fin du


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XVIIe siècle (cf. Mémoire de M. de Maillet (1697) et passim) et le roi et ses conseillers cherchèrent à se renseigner sur les moyens de faire pénétrer à la fois des missionnaires (notamment jésuites) et des commerçants français en Éthiopie. Les velléités françaises en Éthiopie de la fin du XVIIe et début du XVIIIe siècle pâtirent des querelles incessantes entre missionnaires jésuites (français) et franciscains (capucins italiens), avec des luttes d’influence considérables (voir Caix de Saint-Aymour, 1886 et Kammerer, 1946-1947). Le Sieur de La Croix semble clairement prendre parti pour les missions jésuites, défendues par la cour de France. La présente Relation du Sieur de La Croix fut donc rédigée en même temps que le voyage du chirurgien-apothicaire Charles-Jacques Poncet et le père jésuite Brévedent : le père de La Chaize avait suggéré que Poncet décide le Négus de l’envoi d’une ambassade en France comprenant de jeunes Abyssins qui y recevraient une instruction toute catholique (voir Kammerer, 1967-1947, p. 431). L’intérêt de ce texte inédit réside plus dans le dessein politique et religieux qu’il soutient sur fond de reprise des visées françaises en Abyssinie soutenues par les Jésuites que dans l’information historique et descriptive sur la Haute-Éthiopie qu’il contient. L’auteur cherche à instruire, divertir et ultimement convaincre le roi Louis XIV et sa cour – dont le comte de Toulouse, évidemment impliqué dans le développement du commerce de par ses fonctions d’amiral de France (Colbert avait dès 1653 fusionné les affaires maritimes et les entreprises coloniales) – du bien-fondé de l’envoi de missionnaires et de commerçants en Éthiopie. Ambitions de conversion religieuse et de réussite commerciale se manifestent dans la volonté d’affirmer une domination française en Éthiopie. Manuscrit resté inconnu de Sebag. Au nombre de quatre [ou cinq, le cinquième n’étant pas localisé], toutes les copies de ce manuscrit sont autographes et dédiées à des personnages influents liés aux velléités françaises renouvelées en Éthiopie, à savoir le père de La Chaize (La Chaise), jésuite (Paris, BNF, n.a.f. 1822) ; le père François Hébert, lazariste et curé de la « paroisse royale » de Versailles (1686-1704) puis évêque d’Agen (Paris, BnF, n.a.f. 7505) ; le roi Louis XIV (Paris, BNF, fr. 2144) ; et enfin le fils légitimé du roi Louis XIV, Louis Alexandre de Bourbon, comte de Toulouse, amiral de France (le présent manuscrit redécouvert et non répertorié). Les deux premiers manuscrits dédiés au père de La Chaize (en 1699) et Hébert (1701) sont des premiers jets, ne sont pas complets de tous

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les chapitres et semblent être des étapes préalables aux deux manuscrits de dédicace au roi Louis XIV (1701) et au comte de Toulouse (non daté, vers 1701), officiels et certainement plus aboutis (les deux seuls manuscrits complets des 30 chapitres). On notera la similitude depuis la mise en pages des trois manuscrits établie pour Hébert, Louis XIV et le comte de Toulouse, jusqu’au décor des reliures, choisi par l’auteur. Une cinquième copie se trouvait dans la bibliothèque de Chrétien-Guillaume LamoignonMalesherbes (1721-1794), localisation actuelle inconnue. Illustration et décoration. Manuscrit autographe d’une écriture soignée, s’ouvrant sur un feuillet de titre orné de motif gravé, aquarellé, souligné d’or et contre-collé, manière reprise pour les feuillets de dédicace. Une carte de la Haute-Éthiopie, gravée par Liebaux et coloriée, a été montée sur onglet entre les pages 9 et 10. Le cartouche d’origine a été remplacé par un cartouche manuscrit, « Carte de la Haute-Éthiopie ou Abissinie maldit Païs du Prete-Jan ». On la retrouve uniquement dans la copie offerte au roi Louis XIV (Paris, BNF, fr. 2144). Reliure. Intéressante reliure à bordure à la fleur de lys, typique de cette période de transition. Son vocabulaire ornemental est presque identique à celui employé pour celle qui recouvre le manuscrit destiné à Louis XIV. Dimensions intérieures : 255 x 184 mm. Provenance : 1. Sieur de La Croix. Manuscrit autographe, copié « manu propria » par le Sieur de La Croix : Tres humble, tres obeissant et tres fidele serviteur, De la Croix ci-devant secretaire de l’Ambassade de France à la Porte Ottomane. Manu Propria. 2. Louis Alexandre de Bourbon, comte de Toulouse (16781737), fils de Louis XIV et de Madame de Montespan, grand amiral de France en 1683, avec son fer poussé au centre des plats. Le comte de Toulouse rassembla une bibliothèque des plus prestigieuses (dont une importante bibliothèque de musique), qu’il installa dans son château de Rambouillet. Nous savons qu’il possédait d’autres manuscrits du Sieur de La Croix, en particulier un État de la marine de l’Empire ottoman, par M. de La Croix, MS. in-4° [en 1726, le libraire Gabriel Martin qui réalise un Catalogue de la bibliothèque du


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Chasteau de Rambouillet… (1726), attribue ce manuscrit à Claude (?) Pétis de la Croix, p. 72, à tort]; et les Mémoires du Sieur de La Croix, contenant diverses Relations curieuses de l’Empire ottoman (1684) (Catalogue de la bibliothèque du château de Rambouillet…, Paris, 1708, n° 201, p. 20; nos 15051506, p. 197). D’autres ouvrages dans sa bibliothèque témoignent de son intérêt pour l’Éthiopie : Relation historique de l’Éthiopie occidentale…, À Paris, 1732, 5 vol. (Supplément du Catalogue de la bibliothèque du château de Rambouillet…, Paris, 1734, nos 407-411, p. 71). La bibliothèque du comte de Toulouse faisait la part belle aux voyages et à l’histoire des terres éloignées, notamment africaines : « Voyages d’Afrique », nos 1063-1073, Cat. 1708, pp. 92-94 ; « Histoire d’Afrique », Cat. 1708, pp. 203-205, dont n° 1541: Nouvelle Histoire d’Éthiopie, tirée de l’Histoire latine de M. Ludolf (Paris, 1684);

n° 1542, Histoire de l’Éthiopie orientale, traduite du portugais du P. Jean dos Santos… (Paris, 1684). 3. Vente, Paris, 1928 (L. Giraud-Badin), pp. 23-24, lot 29 : « LACROIX (Phérotée de). Relation nouvelle de la Haute Éthiopie, ou Abissinie, vulgairement le Païs du Prete-Jan… Précieux manuscrit autographe dédié au comte de Toulouse et relié à ses armes… Phérotée de La Croix, qui a signé la dédicace, accompagnée de cette mention manu propria, y est qualifié de « ci-devant secrétaire de l’ambassade de France à la Porte Ottomane ». Il était revenu à Lyon, son pays natal, pour y enseigner la géographie et a écrit quelques ouvrages de littérature… une relation universelle de l’Afrique ancienne et moderne (Lyon, 1688, 4 vol. in-12), où il a peut-être imprimé le texte de ce manuscrit. Jolie reliure, bien conservée. »

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LA BRUYÈRE (J. de)

LES CARACTÈRES DE THÉOPHRASTE TRADUITS DU GREC, AVEC LES CARACTÈRES OU LES MŒURS DE CE SIÈCLE PAR MR DE LA BRUYÈRE DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE. AVEC LA CLEF EN MARGE… NOUVELLE ÉDITION AUGMENTÉE DE LA DÉFENCE DE MR DE LA BRUYÈRE ET DE SES CARACTÈRES CONTRE LES ACCUSATIONS ET LES OBJECTIONS DE MR DE VIGNEULMARVILLE À Cologne, Jean de La Pierre, 1713 2 vol. in-12, maroquin rouge, filets dorés autour des plats, armes au centre, dos à nerfs ornés d’un décor à la grotesque, tranches dorées (reliure de l’époque). Édition restée inconnue de la plupart des bibliographies spécialisées. Elle est absente des rayons de la Bibliothèque nationale de France. Les Caractères de La Bruyère (1645-1696) sont suivis de la Défense… par Coste contre les objections du pseudo Vigneul-Marville, publiée pour la première fois à Amsterdam sous le nom de P. Marteau en 1701-1702. Cette partie, formant un troisième volume, n’a pas été conservée ici par son premier propriétaire qui a volontairement cartonné la mention des pages de titre, Divisée en trois volumes.

Exemplaire relié pour le comte d’Hoym (1644-1736). Ministre plénipotentiaire en France du roi de Pologne Auguste II, il fut l’un des plus fins collectionneurs de livres rares du premier tiers du XVIIIe siècle. Sa prestigieuse bibliothèque, constituée avec l’aide de Cisternay Du Fay (1662-1723), fut dispersée en 1738 en 59 vacations. La plupart des volumes n’offraient comme décor extérieur que l’éclat simple et discret de dos à la grotesque, comme c’est le cas de nos deux volumes. Coiffes supérieures anciennement restaurées ainsi que la partie inférieure d’un des mors. Dimensions intérieures : 162 x 92 mm.

2 frontispices non signés. Provenance : Comte d’Hoym (Cat., 1738, n° 898 ainsi décrit 2 vol. in-12. m. r. )

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[…]

A COLLECTION OF PAPERS, PRINTED BY ORDER OF THE SOCIETY FOR THE PROPAGATION OF THE GOSPEL IN FOREIGN PARTS Londres, Joseph Downing, 1719 In-4°, maroquin bleu, plats ornés au centre d’un décor losangé aux petits fers, décor répété en angle, l’ensemble serti par une roulette, dos à nerfs finement orné selon la même technique, tranches dorées (reliure anglaise de l’époque). Recueil factice contenant dix-neuf pièces dont dix-sept en éditions originales. Outre la Collection of papers…, il renferme les sermons annuels prononcés le troisième vendredi de février de chaque année par des pasteurs anglicans, de 1701 jusqu’à 1719, hormis celui de 1702 qui ne fut jamais imprimé. On trouve aussi une pièce intitulée : Abstract of the proceedings of the Society for the Propagation of the Gospel in Foreign Parts, in the year of our Lord 1715, publiée en 1716. Seul le sermon de 1705, imprimé en 1717, est une réédition ; et la Collection of papers, printed by order of the Society for the Propagation of the Gospel in Foreign Parts (1719) est en quatrième édition, ornée d’un frontispice gravé en taille-douce avec le sceau de la société et d’une vignette en-tête aux armes du roi William III. L’édition originale de cet opuscule parut chez le même éditeur en 1706. La quasi-totalité des brochures sortent des presses de Joseph Downing, imprimeur et libraire actif de 1670 à 1724, spécialisé dans les ouvrages théologiques, hormis les deux premières pièces, respectivement chez Matthew Wotton et D. Brown. À la suite de chaque sermon, on trouve généralement la liste des membres, le compte-rendu des activités de la société, des formulaires pour les adhésions et les legs, des extraits de la charte et les rapports financiers. Le libraire imprima à la fin de quelques opuscules des catalogues de son fonds.

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Un manuel à l’usage des missionnaires. La Society for the Propagation of the Gospel in Foreign Parts fut fondée en 1701, sous l’égide du roi William III, afin d’envoyer des pasteurs et des instituteurs dans les colonies anglaises d’Amérique du Nord, des Caraïbes (Antigua, Barbade, Belize et Jamaïque), d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud, d’Afrique (Afrique du Sud, Ghana, Mozambique, Namibie, Seychelles), d’Inde (Bangladesh, Pakistan), d’Asie (Chine, Corée, Japon, Malaisie, Singapour) et d’Océanie (Australie, Mélanésie, Nouvelle-Zélande, Tasmanie), dans un souci d’éducation et d’évangélisation des indigènes et des esclaves. Christopher Codrington (1668-1710), riche propriétaire terrien, légua à sa mort à la société deux importantes plantations sur l’île des Barbades, ainsi que 300 esclaves noirs, avec le vœu qu’ils soient éduqués et évangélisés. Selon le souhait du légataire, la société fit construire un College entre ces deux plantations, mais elle se trouva en contradiction avec ses principes, puisqu’elle continuait à asservir des esclaves, allant jusqu’à les soumettre à des pratiques dégradantes en les marquant au fer rouge du sigle de la Society sur leur poitrine. Première représentation iconographique du Codrington College. Le Codrington College aux Barbades est la première université théologique anglicane créée dans les colonies insulaires de l’Angleterre. Le tout premier College créé par les Anglais en Amérique fut le Henricus College en 1619,


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suivi d’Harvard en 1636. Le Codrington College ouvrit ses portes en 1745, mais le projet avait été commandé dès 1711 à l’architecte londonien Christian Lilly, membre de la Society for the Propagation of the Gospel in Foreign Parts. Celuici établit des plans très détaillés, d’une conception rigoureusement anglaise, s’inspirant de l’architecture du Royal Hospital de Chelsea (1681-1691) et du College of William & Mary en Virginie (1693-1699), tous deux construits par Christopher Wren (1632-1723). Les premiers plans de Lilly paraissent ici pour la première fois, montrant un plan et trois vues du bâtiment (sud, nord et est) gravés en taille-douce, sur deux planches dépliantes, dont une signée par Michael van der Gucht (1660-1725), servant d’illustration au sermon de l’année 1713/1714 prononcé par George Stanhope et imprimé en 1714. Michael van der Gucht, originaire d’Anvers, étudia la gravure au burin sous la direction de Philibert Bouttats. Il s’installa à Londres vers 1690 et travailla pour les libraires de la cité. Intéressante reliure anglaise de « Harleian style » de l’époque. La bibliothèque de Robert Harley (1661-1724) et de son fils Edward Harley (1689-1741), Ier et IIe comte d’Oxford – l’une des premières collections privées d’incunables, contenant en outre plus de 7 600 manuscrits et 50 000 imprimés – avait pour relieurs attitrés dans les années 1720 Thomas Elliott (16..-1763) et Christopher Chapman (actif de 1704 à 1756). D’après Howard M. Nixon, Elliott et Chapman introduisirent en Angleterre des reliures reconnaissables à leur large décor central losangé, composé de nombreux petits fers frappés sur les plats (British bookbindings presented by Kenneth H. Odalker to the Chapter Library of Westminster Abbey, 1982, p. 138). Vu ses qualités techniques et stylistiques, notre reliure aurait pu être exécutée par l’un de ces maîtres.

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Dimensions intérieures : 206 x 160 mm. Provenance : Thomas-Augustus-Wolstenholme Parker (1811-1896), membre du Parlement constitutionnel d’Angleterre de 1837 à 1841, avec son ex-libris armorié gravé, daté 1860 « South Library », et son ex-libris frappé sur le frontispice, le titre et aux 2 feuillets suivants. Il devint VIe comte de Macclesfield à la mort de son père en 1850. C’est en 1860 qu’Edward Edwards (1812-1886) devint bibliothécaire du comte de Macclesfield et mena une campagne de catalogage en faisant en même temps apposer les deux ex-libris sur tous les ouvrages du château : un cachet armorié gaufré sur les feuillets liminaires, et deux ex-libris différents, l’un pour la « North Library » et l’autre pour la « South Library ». L’éminent bibliothécaire Edward Edwards fut l’un des collaborateurs directs d’Anthony Panizzi, et il avait participé au catalogage de la British Library, avant de devenir conservateur de la Free Library à Manchester de 1850 à 1858. Kornwolf (J. D.), Architecture and Town Planning in Colonial North America, 2002, II, fig. 4.43i, pp. 572-578, 697 et III, p. 1621 ; Sabin, 85934 ; A Sermon Preached Before the Incorporated Society for the Propagation of the Gospel in Foreign Parts ; and Their Anniversary Meeting… on Friday, February 19, 1741-2 by Henry Stebbing, London, E. Owen, 1742, pp. 74-76 : « A list of the Bishops, Deans, &c, who have preache before the Society for the Propagation of the Gospel in Foreign Parts […] 1702, The Lord Bishop of Worcester, Dr. Lloyd, not printed » ; Codrington chronicle, an experiment in Anglican altruism on a Barbados plantation, 1710-1834, 1949 ; Bennett, Bondsmen and bishops slavery and apprenticeship on the Codrington plantations of Barbados, 1710-1838, 1958 ; Plomer, A Dictionary of the printers and booksellers who were at work in England, Scotland and Ireland from 1668 to 1725, 1922, p. 106 ; Hamilton, Dated book-plates, 1895, p. 151.


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LA GUÉRINIÈRE (François Robichon de)

L’ÉCOLE DE CAVALERIE, CONTENANT LA CONNAISSANCE, L’INSTRUCTION ET LA CONSERVATION DU CHEVAL Paris, Jacques Collombat, 1733 In-folio, maroquin rouge, filets dorés autour des plats, dos à nerfs orné, doublure et gardes de papier bleu, roulette intérieure dorée, tranches dorées (reliure ancienne). Le plus beau livre français consacré à une discipline sportive. La Guérinière (1688-1751), le père de l’équitation française. Longtemps sous l’emprise des maîtres italiens, l’art de l’équitation, en France, s’émancipa et prit un nouveau tournant, avec La Guérinière, dont l’ouvrage, L’École de cavalerie, donna naissance à une littérature équestre débarrassée de tous préjugés. Notre maître de l’Académie des Tuileries transforma l’équitation en une discipline savante, fondée sur la connaissance du cheval et la manière de le maîtriser, faisant ainsi écho aux idées nouvelles qui caractérisent le courant des Lumières. L’École de cavalerie, le monument de la littérature équestre mondiale. Incité par ses élèves et par le prince Charles de Lorraine, auquel le traité est dédié, La Guérinière composa son ouvrage dans sa 42e année. Il l’ordonna en trois parties qui correspondent aux trois principes essentiels qui régissent cette discipline : la connaissance du cheval, la manière de le dresser et sa conservation.

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Au chapitre 20 de la deuxième partie, l’auteur traite des chevaux de chasse. Une première édition vit le jour en 1729-1731 : formée de deux volumes, elle est médiocre dans sa présentation. Il fallut attendre 1733 pour que soit enfin imprimée une édition à la mesure de l’importance de ce traité. Cette charge fut confiée à Jacques Collombat, premier imprimeur ordinaire du Roy, des Cabinet, Maison et Bâtiments de Sa Majesté… Un cycle iconographique de référence, dû à Charles Parrocel (1688-1752). Il est formé d’un portrait de Louis XV en médaillon, de 23 planches dont 6 portraits équestres, 3 vignettes en-tête, un cul-de-lampe dit aux singes, interprétés par J. Audran, Aveline, Beauvais, L. Cars, Coquart, N. Dupuis, J.-P. Lebas, L. Desplaces. Gaspard de Saunier (1663-1748) loua l’exactitude de certaines d’entre elles : « Rien de plus beau et de plus exact que l’attitude, tant des cavaliers que des chevaux, que M. de la Guérinière a représentée dans les figures de son livre. » Son éditeur, Jombert, les copia quand il fut chargé, en 1756, de publier son Art de la cavalerie.


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Superbe exemplaire, très bien conservé. Sa reliure semblable, par le type de peau et le vocabulaire ornemental très épuré, à celle qui recouvre un Saint-Nom présenté à notre catalogue d’octobre 2001, est probablement l’œuvre de Nicolas Derome le jeune (17311790). Reçu maître en 1760, seule une partie de sa production est identifiée par des étiquettes collées (Pascal Ract-Madoux, B. du B., 2, 1989, p. 384). Rare dans cette condition. Un mors a été anciennement restauré sur la hauteur de trois caissons. Dimensions intérieures : 441 x 280 mm. Aucune marque de provenance.

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Brunet, III, 769 (Cite l’exemplaire Labédoyère en maroquin rouge) ; Cohen, II, 587-588 (Cite l’exemplaire Pichon, relié par Chambolle) ; Menessier de La Lance, II, 27 ( « L’édition in-f° de L’École de cavalerie est un des plus beaux ouvrages qui ait paru en France sur le cheval. Papier, caractères, tout est irréprochable. ») ; […], Les Écuries royales, M. Henriquet, L’École de Versailles, pp. 191-201 (« […] Cet ouvrage est le premier dans l’histoire qui, avec une lecture attentive, donne à un cavalier d’aujourd’hui, en bonne possession de son équilibre et de ses aides, toutes chances de faire progresser son cheval dans une voie juste, saine et sans limite […] Il est impossible d’en dire autant des traités qui le précèdent et de la plupart de ceux qui le suivent. ») ; Nissen, Die Zoologische Buchillustration, 2361.


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[COMPAGNIE DES INDES]

OBSERVATIONS SUR LES MARCHANDISES DE LA CARGAISON DES VAISSEAUX LA PAIX ET LE NEPTUNE DE RETOUR DE CANTON EN L’ANNÉE 1734 Lorient, 1734 Manuscrit signé et daté, in-folio de 8 pp., cordon de soie bleue. Précieux manuscrit sur le commerce avec la Chine. Les Compagnies des Indes, premier instrument de la domination commerciale de l’Europe sur l’Asie. Créées par les Anglais et les Hollandais, plusieurs compagnies commerciales se consacrèrent dès le début du XVIIe siècle à favoriser le commerce avec l’Orient. En France, c’est Colbert, en 1664, qui fonde la Compagnie française pour le commerce des Indes orientales afin de concurrencer les ambitions étrangères et développer les installations commerciales françaises en Inde et en Chine. Elle constituera un véritable empire, qui, s’appuyant sur les nombreux comptoirs qu’elle participe à créer sur les rivages de ces pays, contribuera grandement au rayonnement de la France en Extrême-Orient. Malgré les aléas des politiques maritimes royales de Louis XIV à Louis XVI, la Compagnie des Indes, jusqu’à son effondrement en 1793, œuvrera puissamment à l’essor et à l’excellence de la Marine française du XVIIIe siècle. Le port de Lorient (on écrit alors L’Orient), fondé en 1666, sera dévolu à la construction et à l’armement des bâtiments de la Compagnie et se verra confier de surcroît, en 1734, la vente des marchandises rapportées d’Asie. Thés, porcelaines et éventails… un commerce au long cours. Le 28 août 1734, les vaisseaux Le Neptune (capitaine Louis de la Boissière) et La Paix (capitaine Louis Drias), forts de leurs quelque 600 tonneaux de charges respectives, reviennent d’un périple de plusieurs mois qui les a menés de Lorient à Canton et retour. Armés par la Compagnie des Indes orientales, ils rapportent de Chine des produits dont l’Europe est de plus en plus friande : thés de diverses qualités (thés verts de Sonlo, thé Boüy…), porcelaines, soies

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et damas colorés, éventails, cabarets et paravents, encre de Nankin et touttenague (alliage métallique), curcuma et… rhubarbe. Lors du déchargement, les marchandises sont inspectées et un rapport est rédigé par les administrateurs de la Compagnie. Ce rapport, signé par quatre des six syndicsdirecteurs de la Compagnie (Cavalier, D’Espremesnil, Godeheu et Saintard), donne leurs recommandations aux subrecargues (leurs représentants à bord des bâtiments, en charge de la marchandise embarquée) pour le choix, les quantités et les soins à apporter lors de l’acquisition des futures cargaisons en provenance de Chine. Excellence, méfiance et protectionnisme. Le document précise ainsi de prendre particulièrement soin des thés, spécialement lors de leur mise en caisse. Ne seront importés que les thés « très bons et de bonne odeur » qui procureront « une vente gracieuse ». Il indique que telle marchandise, si elle ne peut pas être du meilleur choix, doit être écartée. De même, il impose cette intéressante mesure, relevant du protectionnisme, que certaines « minuties [éventails, jetons de nacre…] » sont à exclure « parce que ce feroit ôter en France la main-d’œuvre à l’ouvrier ». Il préconise encore de se prémunir contre les roueries des Chinois, lesquels faussent les poids des pesées. À cette fin, les vaisseaux doivent embarquer leurs propres balances et tout doit être consigné soigneusement. En outre, il est vivement conseillé « de cacheter les sacs de toile qui tiennent les pièces enveloppées dans les caisses » et de ne pas laisser les cargaisons sans surveillance. « S’il restoit des fonds après que le [vaisseau] sera rempli, il faudra les convertir en or pour le compte de la Compagnie. »


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Pendant les décennies suivantes, Le Neptune et La Paix seront très régulièrement armés pour la Chine et l’Inde. Le Neptune sera réformé à Pondichéry, en 1746. La Paix, elle, fera naufrage à l’île Bourbon (île de la Réunion), en 1755. Notre document, daté du 1er novembre 1734, se présente en un cahier de 4 feuillets in-folio originellement

maintenus par des liens de soie bleue (le cordon supérieur manque) de la même manière que plusieurs autres pièces administratives de la Compagnie (ASHDL 1P 164-9) conservées aujourd’hui aux Archives du Service historique de la Défense de Lorient. Dimensions intérieures : 224 x 345 mm.

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MEISSONNIER (J.-A.)

ŒUVRE DE JUST-AURÈLE MEISSONNIER. PEINTRE SCULPTEUR ARCHITECTE & DESSINATEUR DE LA CHAMBRE ET CABINET DU ROY Paris, Huquier, [1748] In-folio, maroquin rouge, sur les plats, en encadrement, roulette à motif rocaille, au centre, décor aux petits fers, dos à nerfs orné, tranches dorées (reliure allemande (?) ou polonaise (?) du XVIIIe). Le plus spectaculaire des livres d’ornementation du XVIIIe siècle. Un titre gravé par P. Aveline d’après Meissonnier, un autoportrait, aujourd’hui perdu, de Meissonnier interprété par N. D. de Beauvais, et 118 eaux-fortes et gravures chiffrées 1-118 imprimées sur 72 planches, forment l’ouvrage. Les numéros 27, 107, 108 et 117 n’ont jamais été utilisés ; les numéros 104 et 105 sont répétés deux fois ; deux pièces hors numérotation sont lettrées A* et A** sur la troisième planche. Trois planches sont imprimées sur double page, 36 à pleine page, et le reste à pleine page par groupe de deux, trois, quatre ou davantage. L’éditeur confia à Aveline, Bacquoy, Chedel, Audran, Herisset et Huquier le soin d’interpréter ce cycle iconographique. Just-Aurèle Meissonnier (1695-1750), le plus grand artiste rococo. Né à Turin d’une famille d’orfèvres d’origine provençale, il créa des motifs dans tous les registres des arts décoratifs, des boiseries aux chandeliers. Arrivé à Paris dès 1715, il devint en 1725 orfèvre du Roy et travailla à la manufacture des Gobelins. Succédant en 1726 à Jean-Baptiste II Bérain, fils du grand Jean Bérain, en tant que dessinateur de la chambre et cabinet du Roy, il acquit une réputation internationale et travailla pour le comte de Maurepas, M. Brethous, la princesse Sartorinski de Pologne, M. le comte Bielenski, grand maréchal de la couronne de Pologne, le baron et la baronne de Bezenval et le duc de Mortemar. Le nombre de ses réalisations qui lui survécurent est restreint, son œuvre reste aujourd’hui connue par la gravure. On peut tout de même citer les deux terrines en argent créées pour le second duc de Kinston, que l’on

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reconnaît ici sur l’une des doubles pages du recueil. L’une d’elles est conservée au Cleveland Museum of Art, l’autre a appartenu au baron Thyssen-Bornemisza et fut vendue par Sotheby’s à New York le 13 mai 1998 ; elle est aujourd’hui conservée dans une collection sud-américaine. L’un des livres illustrés les plus rares du XVIIIe siècle. Ouvrage spectaculaire à la mise en pages originale, ce recueil est d’une grande rareté. Cohen - de Ricci ne cite aucun exemplaire en maroquin de l’époque, et dans cette condition, aucun n’a été présenté sur le marché international ou national depuis 1977. Sa rareté peut s’expliquer par la nomination, en cette fin d’année 1751, du marquis de Marigny au poste de surintendant des Bâtiments du roi, alors rentrant d’un voyage en Italie où l’avaient accompagné Cochin et Soufflot. La découverte de Pompéi et de Herculanum lors de son périple l’incita en effet à imposer le goût néo-classique à la cour et parmi les amateurs français. Le style rococo fut alors progressivement délaissé, alors qu’il suscitait enthousiasme et passion en Allemagne, Italie et Russie. Cette évolution du goût explique l’origine allemande de la présente reliure. Publié en 1734 à l’initiative de Meissonnier par la veuve de François Chéreau sous la forme de quelques cahiers, la mention « première partie » dans le titre y fait référence. Meissonnier obtint un privilège en 1733 pour lancer la publication et un tirage par la veuve Chéreau est attesté par un recueil unique de 20 planches conservé dans la collection de Waddesdon Manor. Le graveur Gabriel Huquier reprit ce projet à peine ébauché en 1738 et commença la publication de l’œuvre complet


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qu’il édita sous le titre que l’on connaît. Modifiant le format en un volume in-folio, il commanda à Meissonnier un dessin pour la page de titre, un temps propriété de Jacques Doucet, aujourd’hui conservé à la Fondation Angladon-Dubrujeaud d’Avignon. Il compléta le recueil avec l’autoportrait. Parallèlement à la publication de l’Œuvre, Huquier continua à vendre les suites séparément. Les travaux de Peter Fuhring datent maintenant le premier tirage de 1748 bien que l’ensemble des exemplaires soient imprimés sur un papier d’Auvergne portant la date de 1742. L’un des trois exemplaires connus reliés en maroquin rouge de l’époque. Il est probable que le relieur fit graver spécialement pour cette occasion des fers de style rocaille. Exemplaire de Georgui Nesterovitch Gamon-Gaman (18801964). Artiste d’origine danoise, né en 1880 à Riga, il arriva en 1904 à Saint-Pétersbourg après avoir étudié le dessin dans sa ville d’origine ; il poursuivit ses études à l’Académie impériale des Beaux-Arts, dans la section gravure. Il fut arrêté à plusieurs reprises en 1927 et 1936, accusé d’espionnage, envoyé en Sibérie puis au goulag sur la presqu’île de Kola. Il ne put retrouver Moscou que grâce au « Dégel » en 1961, et fut nommé l’année suivante, à l’âge de 82 ans, professeur de dessin à l’Institut d’architecture de Moscou. Habitant à la fin

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de sa vie un appartement communautaire, il mourut dans l’anonymat le 30 septembre 1964. Après sa mort, trois cents de ses œuvres (eaux-fortes, aquarelles, dessins) furent transmises aux archives de l’Institut d’architecture de Moscou. Dimensions intérieures : 581 x 420 mm. Provenance : Georgui Nesterovitch Gamon-Gaman, notes manuscrites en caractères cyrilliques au crayon sur la première garde signifiant « De la bibliothèque de l’artiste Gamon-Gaman » ; Sir Robert Abdy (Cat., 1975, n° 228) ; Edmond L. Lincoln (ex-libris). Exposition : Patterns of style. Designs for Ornament & the Decorative Arts 1675-1850, New York, Grolier Club, 1993, p. 2 (Cet exemplaire). Guilmard, pp. 155-158 ; Cohen-de Ricci, 696-697 « Magnifique ouvrage, l’un des plus beaux livres d’ornementation du style Louis XV qui existe. Très rare. » ; Berlin Kat., 378 ; Nyberg 1969, p. 34 ; Millard, French Books, n° 119 ; Fuhring, chapitres I.2, III.3 (cat. des gravures) et p. 312, note 5 (cite cet exemplaire) ; Foulc, Importante collection de livres d’architecture et de recueils d’ornements, 1914, n° 273 (« Un des plus beaux livres d’ornement et de décoration de l’époque Louis XV, c’est aussi l’un des plus rares », pour un exemplaire relié par Petit).


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[BELLIN (J.-N.)]

LE NEPTUNE FRANÇOIS, OU RECUEIL DES CARTES MARINES RELEVÉES ET GRAVÉES PAR ORDRE DU ROY S. l. n. d., [1753] Grand in-folio, maroquin rouge, large roulette feuillagée autour des plats sertie de filets festonnés, fleur de lys en angles, armes au centre, dos à nerfs orné d’une fleur de lys plusieurs fois répétée, tranches dorées (reliure du XVIIIe siècle). Un frontispice, 10 pages de texte et 29 cartes. Le Neptune, une entreprise officielle initiée par Colbert. Les mathématiciens et astronomes de l’Académie des sciences et les ingénieurs hydrographes de la Marine y collaborèrent. Les deux principaux maîtres d’œuvre en furent Joseph Sauveur (1653-1716), maître de mathématique des enfants royaux et membre de l’Académie des sciences, et Jean-Mathieu de Chazelles (1657-1710), hydrographe et membre de la même académie. Une première édition vit le jour en 1693, contrefaite, en Hollande, la même année par Pieter Mortier en trois versions (française, anglaise et hollandaise). En 1751, Antoine-Louis Rouillé (1689-1761), alors secrétaire d’État à la Marine, fit racheter les cuivres de l’édition de 1693 – devenue rare – et les fit déposer au Dépôt des cartes et plans de la Marine afin qu’ils fussent remis en état, corrigés et complétés en vue d’une réimpression [1753]. Deux cartes manquaient, l’Entrée de la Meuse et de l’Escaut (c. [7]) et les Côtes occidentales d’Irlande (c. [11]), qui furent refaites au modèle de celles de 1693. La grande correction apportée aux cartes par les hydrographes du Dépôt de la Marine fut de faire partir la graduation des longitudes du méridien de Paris et non plus de l’île de Fer, tout en faisant figurer celles de Londres, de l’île de Fer, du pic de Ténérife et du cap Lézard. Cette réédition fut accompagnée d’un « examen critique de

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l’ingénieur hydrographe Jacques-Nicolas Bellin » (17031772), après avoir reçu l’approbation de l’Académie de Marine. Une dernière édition vit le jour en 1773. Elle fut complétée par une carte générale de la Bretagne. Exemplaire luxueusement relié en maroquin rouge aux armes royales, soigneusement monté sur onglet. La Carte générale des Costes de Bretagne de l’édition de 1773 a été placée en fin de volume au moment de sa reliure. Dimensions intérieures : 642 x 480 mm. Aucune marque de provenance. Pastoureau (M.), Les Atlas français, XVIe-XVIIe siècles, BN, 1984, pp. 351-356 ; Polak, 602 (collation erronée) ; Pastoureau (M.), Voies océanes, BNF, 1992, p. 155 (« Le besoin de cartes maritimes grandissait… Le Dépôt développa assez tôt une activité éditoriale, publiant et vendant cartes et atlas de sa fabrication, intitulés Neptunes et Pilotes… Le premier ouvrage de génie, en France, avait été Le Neptune français qui, en 1693, présentait pour la première fois une vision des côtes françaises géométriquement exacte »).


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[WHATELY (Th.) ]

[OBSERVATIONS SUR LE JARDINAGE MODERNE] [Londres, circa 1765-1770] In-4°, maroquin vert, filets droits et dentelés autour des plats, soulignés de roulettes florales, en angles, fleurons dorés, dos à nerfs avec pièce de titre « observation sur jardinage », tranches dorées (reliure de l’époque). Manuscrit d’une traduction française inédite du chefd’œuvre sur l’art de former des jardins à l’anglaise de Thomas Whately, sans doute antérieure à la traduction française de François de Paule Latapie de 1771. Nous n’avons pas localisé d’autres manuscrits de ce texte dans les collections publiques. Composé de 250 pages réglées sur papier vergé de Hollande filigrané L[ubertus] V[an] Gerrevink, il est soigneusement calligraphié. Un intellectuel au service de l’art du jardin. Nous savons peu de choses sur Thomas Whately (17261772), connu comme politicien, économiste et homme de lettres. Il se serait établi à Nonsuch Park (Surrey), au sud de Londres, où il aurait rédigé son traité sur les jardins anglais vers 1765. Après la publication de ses Observations on Modern Gardening, il devint secrétaire du Earl of Suffolk et secrétaire du Trésor (Secretary to the Treasury). Il apparaît qu’une version manuscrite des Observations on Modern Gardening circulait dès 1765 (voir I. W. Chase, 1943, p. 71). L’originale a paru à Dublin (James Williams and John Exshaw) et à Londres (T. Payne) en 1770. La première traduction française suivit de peu en 1771, désormais donnée à François de Paule Latapie (1739-1823), sous le titre L’art de former les jardins modernes ou L’art des jardins anglois. A quoi le traducteur a ajouté un discours préliminaire sur l’origine de l’art, des notes sur le texte, & une description détaillée des jardins de Stowe, accompagnée du plan, publiée à Paris par Charles-Antoine Jombert (Musset-Pathay, Bibliographie agronomique (1810), n° 119 ; il y aura cinq éditions successives avant 1793). La traduction de Latapie a aussi circulé sous forme

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manuscrite avant sa publication comme le traducteur l’indique dans son Discours préliminaire : « Quelques personnes de goût, à qui je l’ai communiquée en manuscrit… » (trad. éd. Jombert, 1771, p. lviii). Bien que d’une importance capitale pour les études de paysagisme et pour l’histoire des jardins, il n’existe pas encore d’étude complète ou d’édition critique de l’ouvrage de Thomas Whately et de ses traductions (on connaît également une traduction allemande). Parmi les jardins pris en exemple par Whately, on trouve ceux de Blenheim, Claremont, Hagley Park, Leasowes, Painshill, Stowe. L’intérêt documentaire de son ouvrage réside aussi dans la description de jardins aujourd’hui disparus ou entièrement modifiés. Selon la théorie d’alors, le jardin, espace dont l’homme prend possession en le délimitant, en l’organisant, en le structurant est conçu pour être parcouru. La révolution du « jardin anglais » (English Garden) ou jardin irrégulier, moderne, pittoresque, paysager, répondit à une volonté de pénétrer dans le paysage, en créant des tableaux à trois dimensions, pour explorer un espace sans borne et sans enceinte, à la découverte d’un paradis perdu et retrouvé. Ceci s’oppose au « jardin français » ou classique, traditionnel et régulier dont la représentation se fait sans difficulté à l’aide d’un plan très lisible. L’ouvrage de Whately aborde les divers éléments relatifs à l’art des jardins et la manière de les agencer selon les nouvelles règles de l’esthétique et de la théorie du paysage anglais (The English Landscape Garden). Le traité provoqua un tel engouement, largement entretenu par le succès de la traduction française avec cinq éditions successives avant 1793, au point d’évoquer un public que Cross qualifie de « gardening-mad » (cité dans


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Cross, 1997, p. 269). En sublimant le paysage, Whately se réclame de la théorie du « pittoresque » de William Gilpin (1724-1804), transposant les thèmes formels de la peinture au jardin, tout en insistant sur l’importance d’utiliser les éléments de la Nature à laquelle le jardinier doit se subordonner. L’art du jardin s’élève donc à une expression proche de celle des arts libéraux. Deux traductions et le rôle d’Alexander Baxter, consul général de Russie à Londres. Une lecture de la présente traduction demeurée manuscrite et celle parue en 1771 signée François de Paule Latapie révèle immédiatement qu’il s’agit de deux travaux bien distincts. La présente traduction inédite prend beaucoup moins de libertés avec le texte, ne serait-ce que dans la traduction du terme « gardening », traduit par « jardinage », alors que Latapie retient la périphrase « l’art de former les jardins ». À noter également, la traduction manuscrite comprend des corrections, des hésitations. Il ne s’agit pas non plus d’un premier jet du traducteur Latapie : il y a trop de différences. Notre traduction constitue donc une autre tentative réalisée avant ou après celle de Latapie : pour l’heure, il est impossible de trancher. On se situe forcément après 1765, date à laquelle Whately fait circuler son traité sous forme manuscrite et sans doute avant 1771, année où paraît la traduction de Latapie chez Jombert. Le volume porte l’ex-libris armorié d’Alexander Baxter, personnage peu documenté (il est absent du Dictionary of National Biography), mais qui joua un rôle important comme homme de confiance, et diplomate en tant que consul général de Russie en poste à Londres au service de Catherine II de Russie (règne 1762-1796). Il fut également une sorte de « courtier en art » : il supervisa et négocia le superbe service de table de Wedgwood (dit Green Frog) commandé par l’impératrice, qui présente des vues des jardins et monuments anglais ; il participa à la vente de pièces de la superbe collection de Sir Robert Walpole (le père de Horace) dite la Houghton Collection à Catherine II de Russie (la collection de tableaux Houghton-Walpole est maintenant au musée de l’Ermitage). Baxter fut donc en quelque sorte un trait d’union entre la culture anglaise dont Catherine II était friande et la Russie impériale. Le français étant la langue de la diplomatie et de la culture par excellence au XVIIIe siècle, les élites et a fortiori Alexander Baxter et Catherine II de Russie, communiquaient en français : « Ma carrière dans le service de Sa Majesté

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Impériale commença l’an 1768, lorsque je fus nommé agent ici pour approvisionner pendant la guerre de Turquie, les flottes de S.M.I. à leur passage de la Méditerranée et durant leur séjour dans l’Archipel » (Alexander Baxter, cité par Cross, 2001, p. 15). La présence de ce manuscrit dans la bibliothèque d’Alexander Baxter n’est pas fortuite. Appartenant au cercle rapproché de l’impératrice, il connaissait forcément l’intérêt que Catherine portait aux jardins, et plus particulièrement son engouement pour les jardins anglais. L’ouvrage de Whately avait retenu l’attention de ladite « Sémiramis du Nord », qui recopia elle-même entre 1771 et 1773, mais en l’adaptant, la traduction de Latapie en vue d’une traduction russe (qui ne sera jamais publiée) qu’elle fit précéder d’une dédicace, également restée manuscrite, adressée à ses sujets (Moscou, Archives des actes anciens de l’État russe, f. 10, opis’1, ed. khr. 383 : « Principes pour former le jardin dans le goût anglois », Russie, vers 1771-1773 ; voir Cross, 1990, pp. 21-27 ; Cross, 1997, pp. 268-269 ; Schönle, 2007, p. 359). Ce travail de traduction en russe, de réadaptation de la traduction française de Latapie entrepris par Catherine II de Russie, n’est pas le fruit du hasard. Elle vouait une admiration sans bornes aux jardins anglais. Ainsi s’exprime-t-elle dans une lettre adressée à Voltaire en 1772 : « J’aime à la folie présentement les jardins à l’anglaise, les lignes courbes, les pentes douces, les étangs en forme de lacs, les archipels en terre ferme, et j’ai un profond mépris pour les lignes droites, les allées jumelles. Je hais les fontaines qui donnent la torture à l’eau pour lui faire prendre un cours contraire à sa nature : les statues sont reléguées dans les galeries, les vestibules, etc. ; en un mot, l’anglomanie domine ma plantomanie » (Bestermann (éd.), Correspondance de Voltaire, LXXXII, Genève, 1963, 130 ; voir aussi A.G. Cross, « Catherine the Great and the English Garden », in J. O. Norman (éd.), New Perspectives on Russian and Soviet Artistic Culture, London, 1994, pp. 1724). POUR CATHERINE, LE JARDIN DEVIENT L’EMBLÈME DE SON POUVOIR SUR LA RUSSIE. Dès 1762 elle donna ses premières instructions concernant les jardins de Tsarskoïe Selo (Palais Catherine à SaintPetersbourg) qu’elle voulut façonner selon le goût anglais (elle cherchera clairement à imiter les jardins de Stowe à Tsarskoïe Selo). Elle s’informa des avancées et expériences menées en Angleterre, y envoya ses jardiniers et paysagistes, et elle s’entoura de jardiniers (et autres corps de métiers) anglais et écossais : « Catherine’s demand for


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British gardeners was insatiable, matched only, it seems, by the desire of British gardners to enter her service » (Cross, 1997, p. 283). Ces artisans et jardiniers étaient, entre autres, recrutés par ses agents. Ainsi Alexander Baxter signa par exemple les contrats des jardiniers Munro et Reid en 1782, dont il dit : « Munro et Reid ne sont pas formés au dessin, mais ils peuvent tracer un plan après avoir examiné le terrain qui doit être travaillé dans le goût anglais » (cité dans Cross, 1997, p. 283). Cette traduction a-t-elle été commanditée par Alexander Baxter pour Catherine II de Russie, avant la parution de la traduction de Latapie ? Le texte de Whately circulait depuis l’accession de Catherine au trône impérial – sous forme manuscrite, puis imprimée –, et il est tentant de croire que Alexander Baxter aurait anticipé l’intérêt que présenterait une traduction française de l’ouvrage pour Catherine de Russie. En effet, Catherine de Russie commença à apprendre l’anglais en 1757 mais elle n’a jamais acquis un niveau suffisant pour le lire aisément (voir A. G. Cross, « Did Catherine II Know English? », in Newsletter of the Study Group… 22 (1994), pp. 13-17). Peut-il s’agir d’une traduction commanditée par Baxter en vue d’être présentée à l’impératrice, voire sa propre traduction personnelle qu’il lui destinait ? Il est clair que le niveau de français de ce manuscrit n’est pas celui de Latapie, et la traduction pourrait bien avoir été effectuée par un « english native ». Ou s’agit-il d’une traduction complètement indépendante du personnage de Catherine II de Russie, et qui figura simplement dans la bibliothèque de Baxter ? Il faut admettre que le hasard est toutefois troublant, au vu des liens qui unissaient Alexander Baxter et Catherine II de Russie, au vu du projet manuscrit de version bilingue français-russe de la main de l’impératrice conservé à Moscou, au vu de l’anglomanie de l’impératrice néanmoins plus à l’aise en français. La page de titre – malheureusement restée muette – aurait certainement révélé le commanditaire et le dédicataire de cette traduction française anonyme du plus important traité sur l’art des jardins de ce dernier tiers du XVIIIe siècle : le français se pose ici comme trait d’union entre culture anglaise et culture russe sur fond de… culture des jardins.

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Provenance : 1. Alexander Baxter, Esq., avec son ex-libris armorié. Plutôt que son fils aussi prénommé Alexander, il s’agit bien d’Alexander Baxter, consul général de Russie en poste à Londres à partir de 1773 (jusqu’en 1803, voir Cross, 2001, p. 17), membre écossais de la Compagnie de Russie depuis 1752, riche marchand d’import-export. Il fut le courtier et l’homme de confiance de l’impératrice Catherine II de Russie, son intermédiaire dans les échanges artisticolittéraires entre Angleterre et Russie. De par ses contacts dans la City et dans le monde industriel britannique, Baxter contribua activement à l’avancement des intérêts commerciaux russes en Angleterre. Whately, Thomas, Observations on Modern Gardening, London, 1770 (édition originale) ; Whately, Thomas, trad. François de Paule Latapie, L’art de former les jardins modernes ou L’art des jardins anglois, Paris, Charles Antoine Jombert, 1771. – Chase, Isabel Wakelin Urban, Horace Walpole : Gardenist…, Princeton, 1943. – Cross (A.G.), « Catherine the Great and Whately’s Observations on Modern Gardening », in Study Group on EighteenthCentury Russia. Newsletter, 18 (1990), pp. 21-29. – Cross, (A.G.) By the Banks of the Thames : Russians in 18th century Britain, Newtonville, 1980. – Cross (A.G.), By the Banks of the Neva : Chapters from the Lives and Careers of the British in Eighteenth-Century Russia, New York, 1997, en part. le chapitre « Masters of the Arts », pp. 262-328. – Hunt, James Dixon et Willis P., The Genius of the Place. The English Landscape Garden 1620-1820, London, 1979. – Schönle, (A.) The Ruler in the Garden. Politics and Landscape Design in Imperial Russia, Bern, Peter Lang, 2007.


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PAPILLON (J.-M.)

TRAITÉ HISTORIQUE ET PRATIQUE DE LA GRAVURE EN BOIS… OUVRAGE ENRICHI DES PLUS JOLIS MORCEAUX DE SA COMPOSITION & DE SA GRAVURE… SUPPLÉMENT DU TRAITÉ HISTORIQUE ET PRATIQUE DE LA GRAVURE EN BOIS… Paris, Pierre Guillaume Simon, 1766 3 tomes en 2 vol. in-8°, veau fauve, filets dorés autour des plats, dos à nerfs ornés de branchages et d’étoiles dorés, roulettes et filets dorés intérieurs, tranches mouchetées (Antoine Chaumont). Première édition de ce manuel de gravure sur bois. Contributeur de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, le graveur sur bois Jean-Michel Papillon (1698-1776), ancien ouvrier de l’Imprimerie royale, était un fin connaisseur du bois de fil. Il est notamment connu pour ses culs-de-lampe qui ornent l’édition des Fables de La Fontaine illustrées par Oudry. Le traité de Papillon vise à remettre à l’honneur la pratique de la gravure sur bois tombée en désuétude. Organisé selon trois parties, l’ouvrage propose, d’abord, une partie historique suivie d’une Table générale des graveurs en bois pour les estampes, les camayeux et les livres, puis une partie technique relative à la pratique de cette discipline, enfin, une dernière partie autobiographique assortie d’une table des matières. Un portrait de l’auteur gravé par Caron, une gravure en camaïeu d’après Le Sueur représentant saint André, 12 planches d’instruments imprimées in-texte, 5 planches

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hors-texte figurant la décomposition des couleurs d’une gravure, et 397 vignettes, bandeaux et ornements variés. Exemplaire dans de fraîches reliures d’Antoine Chaumont, artisan parisien ayant exercé au début du XIXe siècle, et dont les veaux fauve sont cités avec éloge par Brunet. Deux feuillets d’avis de publication ajoutés à la fin du dernier volume. Dimensions intérieures : 250 x 126 mm. Provenance : ex-libris non identifié portant la devise Arte labore. Rahir, Bibliothèque de l’amateur, 570 ; Bigmore et Wyman, II, 116 ; BNF, Anatomie de la couleur, p. 38 (« Michel Papillon… premier historien de cette technique ») ; Hind, History of Woodcut, pp. 43-44.


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[DOW (A.)]

DISSERTATION SUR LES MŒURS, LES USAGES, LE LANGAGE, LA RELIGION ET LA PHILOSOPHIE DES HINDOUS, SUIVIE D’UNE EXPOSITION GÉNÉRALE ET SUCCINCTE DU GOUVERNEMENT ET DE L’ÉTAT ACTUEL DE L’HINDOSTAN, OUVRAGES TRADUITS DE L’ANGLOIS, PAR M. B*** Paris, Pissot, 1769 In-12, maroquin rouge, filets dorés autour des plats, armes au centre, dos lisse orné, roulette intérieure, doublure et gardes de papier doré dominoté d’Augsbourg, tranches dorées (reliure de l’époque). Première édition de la traduction française abrégée par Claude-François Bergier de l’History of Hindoustan ; from the earliest accont of time, to the death of Abkar d’Alexander Dow, dont l’originale fut publiée à Londres, chez T. Becket et P. A. De Hondt en 1768, en 2 volumes in-4°. Cet ouvrage est lui-même en grande partie une traduction par Dow de l’œuvre du chroniqueur indo-musulman Muhammud Casim Hindu-Shah Astarabadi Ferishta (15521623) de Dehli. Alexander Dow (ca. 1735-1779), l’un des deux principaux auteurs anglais du XVIIIe siècle avec John Holwell, à avoir consacré ses travaux à l’histoire de l’Inde, pour l’Occident. Originaire d’Écosse, il dut fuir sa terre natale à la suite d’un duel et embarqua comme marin sur un navire en partance pour l’Indonésie, où il devint secrétaire du gouverneur. Il arriva ainsi en Inde pour entrer au service de la East India Company, à Calcutta. Il embrassa la carrière militaire pour servir dans un corps d’infanterie du Bengale dès 1760. Il fut nommé lieutenant en 1763, puis capitaine en 1764. Il retourna en Angleterre en 1768 et publia la même année deux traductions d’ouvrages persans – dont celui de Ferishta – qui eurent un grand succès. Il repartit en Inde l’année suivante, où il fut promu lieutenant-colonel. En 1772, il publia la suite de son histoire de l’Hindoustan. Il mourut dans sa terre d’élection, en 1779. Le traducteur français Claude-François Bergier (ca. 17201784), avocat au Parlement de Paris, et frère du célèbre théologien Nicolas-Sylvestre Bergier (1718-1790), fut

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secrétaire du fermier-général Dujard. Il cultiva les belleslettres et publia plusieurs ouvrages, dont quelques traductions. L’Orient avait toujours suscité un puissant attrait sur les Occidentaux et ils entreprirent plusieurs voyages en terre indienne dès la fin du XIIIe siècle avec Marco Polo et ses continuateurs. La mise en place du commerce maritime entre l’Europe et l’Inde va permettre d’approfondir nos connaissances sur cette civilisation et sa culture. Peu de traités avant celui-ci firent état des mœurs et de la philosophie indienne de manière aussi précise, ce qui incita Alexander Dow à entreprendre la traduction de ce texte fondateur. Cette traduction française correspond à un moment décisif dans l’histoire des deux grandes compagnies rivales, l’anglaise East India Company et la Compagnie française des Indes qui en vinrent à se livrer une concurrence féroce. Sa publication coïncide avec la suppression, en 1769, du privilège dont jouissait la Compagnie française des Indes sur le commerce de marchandises telles que toiles de coton ou « indiennes », soieries, mousselines, thés, épices, poivre, etc. provenant de la péninsule indienne. Elle semble avoir joué un rôle informatif auprès des décisionnaires qui, en 1785, créèrent une Nouvelle Compagnie des Indes, et de manière incontestable, elle est à l’origine de nombreuses publications françaises sur ce sujet.


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Deux planches dépliantes gravées sur cuivre par P.-L. Charpentier : la première présente l’alphabet sanscrit avec sa translittération latine et la seconde montre un exemple de métrique employé dans les Bédas. L’ouvrage, quant à lui, est divisé en deux parties : la première s’intitule Dissertation sur les mœurs, les usages, le langage, la religion et la philosophie des Hindous, et la seconde, Exposition générale et succincte du gouvernement & de l’état actuel de l’Hindoustan. Exemplaire aux armes de César-Gabriel de Choiseul-Praslin (1712-1785), secrétaire d’État aux Affaires générales. Il passa au département de la Marine, en 1766, puis fut disgracié en même temps que son cousin, le duc de Choiseul, en 1770. L’exemplaire passa ensuite aux mains de son fils Renaud-César-Louis de Choiseul-Praslin (17351791), qui prit le titre de duc de Praslin, à la mort de son père. Le volume a figuré au catalogue de sa vente après décès (Catalogue des livres de Monsieur de Choiseul-Praslin, dont la vente se fera en son hôtel rue de Bourbon, le 19 mars 1792, Paris, Pissot, Boileau, 1792, n° 922). On peut lire les armes de la famille de Choiseul ainsi : « d’azur, à la croix d’or cantonnée de 20 billettes du même ; 5 dans chaque canton posées en sautoir, posées 2, 1, 2 » ou indistinctement « d’azur, à la croix d’or cantonnée de 18 billettes du même, 5 en chaque canton du chef posées en sautoir, et 4 en chaque canton de la pointe, posées 2, 2 », en revanche, dans plusieurs ouvrages héraldiques, il est précisé que la branche des Choiseul-Praslin n’a que 18 billettes dans ses armoiries. Coins émoussés avec petit manque de peau. Dimensions intérieures : 164 x 95 mm. Provenance : César-Gabriel de Choiseul-Praslin (17121785) ; Renaud-César-Louis de Choiseul-Praslin (Cat. 19 mars 1792, n° 922) ; Château de Tidö, avec son ex-libris gravé.

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[MERCIER (L.-S.)]

L’AN DEUX MILLE QUATRE CENT QUARANTE. RÊVE S’IL EN FÛT JAMAIS À Londres, [Amsterdam, E. van Harrevelt], 1772 In-8°, maroquin rouge, encadrement de triple filet doré sur les plats, dos à nerfs orné, tranches dorées (reliure de l’époque). L’une des toutes premières éditions de ce texte précurseur de la littérature de science-fiction. De l’édition originale, publiée en 1771, il y eut pas moins de cinq états, dont on ne connaît aucun exemplaire pour le premier. La Bibliothèque nationale ne possède qu’un exemplaire du troisième. « Nulla dies sine linea : pas un jour sans écrire une ligne » ! Telle fut la devise de Louis-Sébastien Mercier (1740-1814). Parisien du siècle des Lumières, il fut un homme de lettres prolifique. Dramaturge, journaliste et chroniqueur, sa plume fut aussi infatigable que sa curiosité était insatiable. Toute son œuvre, très éclectique et spontanée, puise largement dans le quotidien de ses contemporains. Il s’en fait le commentateur attentif, parfois acerbe et volontiers paradoxal. Grand coureur de rues, il dresse la chronique de la ville, qu’il croque sur le vif et publie très vite, comme sans se relire. Il dit de lui qu’il écrit avec ses jambes. Le succès vient très tôt avec ses nombreuses pièces de théâtre. Mais L’An 2440 et le Tableau de Paris, qu’il publie respectivement en 1771 et entre 1781 et 1788, lui confèrent une notoriété qui s’étend bien hors de France. La Révolution, dont il assurera qu’il avait prophétisé certaines avancées dans L’An 2440, lui offre un rôle dans ses assemblées : il siège à la Convention, avec les Girondins, et est élu au Comité d’instruction publique. Mais, en 1793, il en connaît aussi les geôles. Ensuite, malgré sa grande admiration pour le génie de Bonaparte, il ne lui pardonne ni le 18 Brumaire ni l’Empire et se tient à l’écart des ors impériaux. Il s’éteint à Paris, en 1814, presque oublié. Il a collaboré à l’édition des Œuvres complètes de Rousseau, dont il fut l’ami, parues chez Poinçot, entre 1788 et 1793.

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« L’An 2440, un livre excellent qui mérite des statues, et qui méritera à son auteur une place à Bicêtre, s’il est découvert. » Ainsi s’exprime, dans une lettre datée de 1771, l’écrivain allemand C. M. Wieland, qui s’inspirera de L’An 2440 pour son propre roman utopique Der Goldene Spiegel (1772). Il résume ainsi parfaitement l’opinion contemporaine qui, lors de sa parution, fut inextricablement partagée entre l’admiration pour la verve de son auteur et la certitude de sa folie ! Mercier y met en scène un personnage rêvant qu’il se retrouve quelque 700 années plus tard dans un Paris métamorphosé par les progrès de l’Humanité et où chacun, désormais, est gouverné par l’exercice de la raison. Mercier y souligne le contraste entre une société soumise à l’arbitraire de l’absolutisme et une autre qui serait libre. Il y développe ses convictions en matière d’éducation, de politique et de morale, qui témoignent de sa confiance dans le progrès qui anime son siècle. Perçu par le pouvoir comme un pamphlet contre son autorité, l’ouvrage fut interdit, mais son auteur ne fut pas inquiété. Son succès fut immense. Il connut de très nombreuses rééditions, dont plusieurs l’année même de sa parution, et fut presque immédiatement traduit en allemand, en anglais et en russe. L’auteur y mettant en scène une utopie dans le futur, L’An 2440 fut considéré pendant longtemps comme le premier roman d’anticipation, avant d’être détrôné par l’Épigone, histoire du siècle futur, publié par Michel de Bure, en 1659. Exemplaire très bien conservé, relié en maroquin rouge, à l’époque, pour un bibliophile au goût sûr. Rarissime dans cette condition. Dimensions intérieures : 198 x 123 mm. Aucune marque de provenance. Cloutier (A.), Un corps et une plume pour habiter le temps : l’œuvre en miettes de Louis-Sébastien Mercier, Thèse de doctorat à l’Université de Laval, Québec, 2011, passim ; Wilkie (E. C.), Mercier’s L’An 2440 : Its Publishing History During The Author’s Lifetime, Cambridge, Mass., Harvard University Library, 1986, pp. 8-17 et 36-86 ; […], Utopie, la quête de la société idéale en Occident, BNF/Fayard, 2000, pp. 18 et 151.

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VOLTAIRE (F.-M. AROUET, dit)

ROMANS ET CONTES DE M. DE VOLTAIRE À Bouillon, Aux dépens de la Société typographique, 1778 3 vol. in-8°, maroquin rouge, filets dorés autour des plats, dos lisses finement ornés, roulette dorée intérieure, tranches dorées (reliure de l’époque). Première édition illustrée. Des fantaisies de cours éclairées par l’esprit des Lumières. C’est pour distraire ses hôtes des cours de Sceaux et de Lunéville que, vers 1750, Voltaire (1694-1778) se lance dans la composition de contes philosophiques. Le genre alors très en vogue offre, sous l’apparente fantaisie du conte, de pouvoir sans trop craindre la censure faire la critique de la société et du pouvoir. Voltaire y excelle. Dans la lignée des Rabelais, Bergerac ou Swift, son imagination et son talent s’y donnent libre cours avec verve et un sens inné de l’ironie. Le succès est immédiat qui ne se démentira jamais : Candide (1759), Zadig (1748) ou Micromégas (1752) sont aujourd’hui encore de toutes les œuvres de Voltaire celles qui sont les plus lues et rééditées. Pierre Rousseau et Voltaire : l’éditeur des philosophes et « son champion ». Dans les années 1740, Voltaire fait à Paris la connaissance d’un jeune journaliste et auteur dramatique, Pierre Rousseau (1715-1785). Après quelques succès mitigés, celui-ci va fonder à Liège Le Journal encyclopédique (17561793). L’entreprise, à laquelle il fait participer ses amis parisiens (d’Alembert (1717-1783), Chamfort (1740-1794) ou Naigeon (1738-1810)…), contribuera largement à diffuser pendant près de trente ans en France et dans toute l’Europe les idées philosophiques et politiques nouvelles. Voltaire en est un des contributeurs les plus importants. Bientôt contraint de déménager, Rousseau, par l’entremise de Voltaire, vient placer son activité éditoriale sous la protection du duc Charles de la Tour d’Auvergne (1706-1771) en sa principauté de Bouillon. Après des débuts difficiles, l’entreprise se développe. Une maison d’édition, la Société typographique

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de Bouillon, vient s’y adosser. Aux frontières du royaume de France, elle peut, contournant censure et privilège, publier librement des ouvrages soutenant des idées avancées ou de luxueuses éditions littéraires richement illustrées, telles que Les Fables choisies de La Fontaine (1776) ou ces Romans et contes de M. de Voltaire. Ce recueil, dont c’est la première édition illustrée, réunit une vingtaine de contes en prose, dont les célèbres Zadig, Candide, Micromégas, ainsi que plusieurs en vers. Il est publié l’année même de la mort de Voltaire. Des contes qui inspirèrent au peintre Charles Monnet (1732-1816) ses meilleures compositions. Des 57 planches, cinquante, ainsi que les 13 fleurons allégoriques, sont gravées d’après les dessins du peintre Charles Monnet (les 7 autres planches d’après Marillier, Moreau et Martini). Monnet, après avoir été l’élève de Jean II Restout (16921768) et voyagé longuement en Italie, est nommé peintre du roi, vers 1765. Auteur de grands sujets historiques vantant les mérites des régimes successifs sous lesquels il vécut, il est avant tout un illustrateur fécond, qui excelle principalement dans le rendu des corps dénudés. Ainsi, cette édition des Romans, Candide en particulier, lui offre-t-elle de donner toute la mesure de son talent dans des scènes déshabillées qu’il traite très librement. Parmi ses autres réussites, on peut citer Les Métamorphoses d’Ovide (Paris, 1767) et Les Liaisons dangereuses de Laclos (Londres, 1796). Les planches des Romans et contes comportent deux types de tirage : l’un, comme ici, sans les numéros et l’autre avec. Les 57 dessins originaux des planches et les 14 des allégories ont été rassemblés en un recueil qui, après avoir appartenu aux bibliothèques Renouard (Cat., 1854, n° 2420) et Rothschild (Picot, I, 1884, n° 228), est aujourd’hui conservé à la Bibliothèque nationale, à Paris. L’un des rarissimes exemplaires du premier tirage à avoir été relié à l’époque en maroquin rouge. Cohen n’en cite qu’un seul dans cette condition. Exemplaire parfaitement conservé. Sans le faux-titre du tome II. Dimensions intérieures : 202 x 122 mm. Provenance : René Decamps-Scrive (Cat., I, 1925, n° 96 « exemplaire exceptionnel dans une reliure de Derome »),

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ex-libris ; Auguste-Pierre Garnier (ex-libris gravé sur bois par Pierre Gusman). Cohen, 1038-1039 ; Bengesco (G.), Voltaire. Bibliographie de ses œuvres, I, Kraus, 1977, pp. 475-476 (cite cette édition) ; […], Voltaire, BN, 1979, pp. 121-134 (cite cette édition) ; Portalis (R.), Les Dessinateurs d’illustrations…, I, Morgand et Fatout, 1877, pp. 399-413 ; Ray (G. N.), The Art of the French Illustrated Book, Pierpont Morgan Library, 1986, pp. 70-74 (« Monnet’s most attractive book where he had demonstrated his mastery of erotic subjects ») ; Birn (R.), Pierre Rousseau and the Philosophes of Bouillon, Genève, Studies on Voltaire…, XXIX, 1964, pp. 78-142 ; Birn (R.), « Le Livre prohibé aux frontières : Bouillon », dans Histoire de l’édition française, II, 1984, pp. 334-341.


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BORSCH (M.-J. comte de)

LETTRES SUR LES TRUFFES DU PIÉMONT ÉCRITES PAR M. LE COMTE DE BORSCH EN 1780 Milan, Reycents, 1780 In-8°, cartonnage souple crème, non rogné (cartonnage de l’époque). ÉDITION ORIGINALE. Il s’agit des deux espèces de truffes blanches (tuber albidum et bianchetti), qui croissent dans le Piémont et dont la finesse est proverbiale. L’auteur, un naturaliste et voyageur polonais, commença sa carrière dans l’armée de Pologne. Vers 1776, il voyagea dans le midi de la France, en Suisse et en Italie, séjourna à Naples, à Rome et en Sicile puis se fixa quelque temps à Milan, en 1780, avant de s’établir sur ses terres en Russie. On lui doit plusieurs ouvrages d’histoire naturelle et une traduction en vers français de l’Obéron de Wieland. Outre son intérêt mycologique, ce petit volume possède un attrait bibliophilique pour son illustration. 3 planches dépliantes dessinées par l’auteur et gravées en trois couleurs par Louis Gautier d’Agoty. Cinquième fils du célèbre graveur Jacques-Fabien Gautier d’Agoty (1716-1781) auquel on doit les grands ouvrages d’anatomie gravés en couleurs, d’après le fameux procédé inventé par Le Blon. Ce procédé, appelé « trichromie », consistait à imprimer avec trois planches préparées au berceau, l’une encrée en bleu, l’autre en jaune et la troisième en rouge, afin que les autres couleurs fussent obtenues par superposition et les valeurs par le jeu du brunissoir sur le cuivre bercé de chaque planche. Les fils de ce graveur ont exploité le même procédé. On connaît très peu de pièces de Louis d’Agoty et ces 3 planches ont échappé aux rédacteurs de l’Inventaire du fonds français, tome X, p. 92 et sq.

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Exemplaire pur, très bien conservé dans son cartonnage de l’époque, présentant de nombreux témoins. Il est bien complet du feuillet d’errata. Rare dans cette condition. Attaches renouvelées (?). Dimensions intérieures : 219 x 144 mm. Vicaire, 104 ; Georg, 172 ; Schraemli, 62 ; Pritzel, 996 ; Inconnu de Bitting, Nissen, Simon, Horn, Drexel et Westbury.


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CHODERLOS DE LACLOS (P.A.F.)

LES LIAISONS DANGEREUSES Amsterdam et Paris, Durand Neveu, 1782 4 parties en 2 vol. in-12°, veau marbré, dos à nerfs ornés, tranches rouges (reliure de l’époque). ÉDITION ORIGINALE, devenue rare. L’un des chefs-d’œuvre de la littérature française. S’inscrivant dans la tradition prisée au XVIIIe siècle du roman épistolaire, Les Liaisons dangereuses connurent dès leur publication un retentissement considérable, dû en partie au parfum de scandale que l’ouvrage provoqua. Classé en second par André Gide parmi les dix plus grands romans français, l’ouvrage dépasse son genre littéraire pour acquérir un statut d’œuvre incontournable. Récit des aventures libertines de deux membres de la noblesse licencieuse, la marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont, la réussite du roman consiste en l’élaboration d’une double narration dans laquelle le simple jeu dévoyé des protagonistes s’altère au fil du récit en rivalité destructrice. Le libertinage, symbole de l’esprit des Lumières, permet de combattre les valeurs bien-pensantes, la vertu, la morale, la religion. L’ouvrage est en réalité un pamphlet politique dirigé contre l’aristocratie au profit de la bourgeoisie.

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Unique œuvre écrite par l’officier d’artillerie Choderlos de Laclos (1741-1803), composée entre 1779 et 1782 pendant ses garnisons à l’île d’Aix et l’île de Ré. Employé à la défense des côtes d’une menace britannique et désespérant de voir arriver l’ennemi, l’auteur se résolut « de faire un livre qui sortît de la route ordinaire, qui fît du bruit et qui retentît encore sur la terre après qu’il y serait passé ». Il fut adapté à l’écran à trois reprises, en 1959 par Roger Vadim, en 1988 par Stephen Frears couronné de trois oscars et enfin, en 1989, par Milos Forman sous le titre de Valmont. Exemplaire à belles marges du PREMIER TIRAGE. Coins du tome I anciennement restaurés. Dimensions intérieures : 160 x 93 mm. Pléiade, Œuvres complètes, pp. 1140-1141 ; Dictionnaire des lettres françaises, Le XVIIIe siècle, T. II, pp. 9-11 ; Bibliothèque nationale, En français dans le texte, p. 183 ; Brun (M.), Bibliographie des éditions des Liaisons dangereuses portant le millésime 1782, 1963, pp. 6-10, pp. 40-41.


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ASSELIN (Abbé)

DISCOURS SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION ET DE MORALE… Paris, Delalain, 1786 2 vol. in-12, maroquin rouge, filets dorés autour des plats, fleur de lys aux angles, armes au centre, dos lisses ornés, doublures et garde de soie moirée bleue, tranches dorées (reliure de l’époque). ÉDITION ORIGINALE. Prédications de l’abbé Asselin, ancien vicaire général de Glandèves, souvent confondu avec Gilles-Thomas Asselin, proviseur du collège d’Harcourt. Précieux exemplaire en maroquin aux armes de Madame Élisabeth (1764-1794), sœur du roi Louis XVI. La bibliothèque de Madame Élisabeth est le reflet de ses habitudes d’austère piété et d’un goût constant pour l’étude des sciences, principalement les mathématiques ; la plupart des volumes étaient sobrement reliés en veau fauve marbré. Ils furent confisqués sur ordre de la Convention et déposés à la Bibliothèque nationale, sur intervention de Chamfort qui avait été secrétaire de son cabinet. Refusant les propositions de mariage, elle adorait son frère qu’elle voyait tous les jours à la cour. Énergique, elle n’essaya jamais de faire prévaloir ses vues : « La monarchie, écrit-elle en 1789, ne pourrait se soutenir que par un coup de vigueur. Mon frère ne le fera pas, et je ne me permettrai pas de le lui conseiller. »

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Enfermée au Temple, elle partagea jusqu’à la fin le sort de la famille royale. Provenance rare. Quentin-Bauchard a recensé 46 ouvrages provenant de sa bibliothèque, celui-ci a échappé à ses méticuleux travaux de recherche. Le faux-titre du tome I n’a pas été conservé pour des raisons que nous ignorons. Dimensions intérieures : 163 x 95 mm. Provenance : Madame Elisabeth ; Hermitage du SaintSépulcre, mention manuscrite portée sur le faux-titre du t. II ; Lucius Wilmerding (Cat. III, 1951, n° 51) ; baron Erich von Goldschmidt-Rothschild (Cat., 1988, n° 219). […], Dictionnaire de biographie française, III, 1288 ; OlivierHermal, planche 25.15, fer n° 3.


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NERCIAT (A. R. ANDREA DE NERCIAT, dit)

LE DIABLE AU CORPS, ŒUVRE POSTHUME DU TRÈS-RECOMMANDABLE DOCTEUR CAZZONÈ, MEMBRE EXTRAORDINAIRE DE LA JOYEUSE FACULTÉ PHALLO-COÏRO-PYGOGLOTTONOMIQUE [Paris], s. n., 1803 3 volumes in-8°, cartonnage rose à la bradel, dos lisses avec pièce de titre de maroquin vert, non rogné (reliure de l’époque). ÉDITION ORIGINALE, publiée trois ans après la mort de l’auteur. Tour à tour militaire, bibliothécaire, agent double… Dans l’Europe de la seconde moitié du XVIIIe siècle, qui est aussi celle de Casanova, le chevalier André Robert Andrea de Nerciat ne tient pas en place. D’ascendance napolitaine, il naît à Dijon le 17 avril 1739. Doté d’une solide éducation classique, ayant du goût pour les langues et des talents divers pour les arts, il choisit toutefois d’embrasser la carrière des armes. Celle-ci, de Bourgogne, le conduit au Danemark. Puis, en 1771, rentré en France, il sert dans la garde ordinaire du roi. Son régiment dissous, il prend sa retraite, en 1776, pour se consacrer à l’écriture. Il voyage en Suisse, en Allemagne et aux Pays-Bas. En 1780, il accepte les fonctions de conseiller et sous-bibliothécaire de Frédéric II de Hesse-Cassel. Il les quitte bientôt pour devenir intendant des bâtiments du prince de HesseRheinfels-Rothenburg. En 1786, en chemin pour Ceylan… il s’arrête en Hollande où il reprend du service, avec le grade de colonel. La Révolution survient en France : Nerciat, royaliste, publie un virulent pamphlet contre les « brigands soi-disant citoyens ». En 1791, il émigre et s’engage dans l’armée de Condé. Il devient rapidement aide de camp du duc de Brunswick, commandant en chef des armées prussiennes. C’est alors qu’on le retrouverait à Paris, en 1792, en mission auprès de la République pour obtenir des garanties concernant le roi déchu. Mais, des documents d’archives

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laissent apparaître que de cette République naguère honnie, il reçoit bien vite une mission en Autriche pour évaluer les chances d’une paix séparée. Les messages sont cryptés en notes de musique ! … En 1797, il est à Milan où il est chargé de surveiller « Mme Buonaparte ». Puis Talleyrand l’envoie comme agent à la cour de Naples, et renonce presque aussitôt à ses services… que Nerciat offre naturellement à Marie-Caroline de Naples. Celle-ci l’envoie auprès du pape. Rome vient à peine d’être investi par les Français : il est aussitôt arrêté pour trahison et emprisonné au château Saint-Ange d’où il ne sortira qu’en 1799, pour s’éteindre peu de temps après. … et écrivain libertin, toujours. Lorsqu’en 1776, il se trouve rayé des cadres militaires, Nerciat a déjà composé, sinon publié, l’essentiel de son œuvre littéraire. L’année précédente est parue, anonymement, Félicia ou Mes Fredaines, qui connaîtra de très nombreuses éditions du vivant même de l’auteur et lui apportera la notoriété. Sa comédie, Dorimon ou le marquis de Clairville, a été jouée à Versailles. Dans ces mêmes années, il a commencé la lente composition d’un « roman dramatique » en plusieurs tableaux dialogués, qui ne sera publié qu’après sa mort sous le titre Le Diable au corps, mais dont une ébauche assez différente, intitulée Les Écarts du tempérament, parut – à son insu (?) – en 1785. Parmi ses autres œuvres célèbres, on peut citer Les Aphrodites, éditées en 1793.


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Cas rarissime jusqu’alors, l’œuvre de Nerciat relève presque entièrement de la littérature libertine. Elle l’est, dans toute la tradition du mot, autant face aux lois des hommes que face à celles de Dieu. Nerciat ne semble avoir en vue que le plaisir dans l’instant contre la perspective de l’Éternité. S’il ne fait pas œuvre de philosophe, ses textes parlent pour lui, qui vantent l’égalité dans le plaisir, quelque chose qui s’appellera plus tard une sexualité sans complexe : ni naissance, ni charge, ni puissance, ni gloire, seul compte l’appétit des sens. Ainsi, ses héroïnes, toutes femmes qu’elles soient, sont-elles les égales de leurs partenaires dans leur quête sans fin. Les intrigues se nouent et se compliquent mais personne ne domine personne… En cela, son œuvre, s’inscrivant naturellement entre la Régence et l’époque révolutionnaire, est une « cheville indispensable » à la compréhension de la littérature du XVIIIe siècle.

rien ou presque de la publication de cette édition posthume. Si le texte est précédé d’un avertissement dans lequel l’auteur – son prête-nom, le docteur Cazzonè – relate l’anecdote du vol d’une partie du manuscrit qui, en 1785, aboutit à la publication « frauduleuse » des Écarts du tempérament, il ne dit rien, et pour cause, de la genèse de notre édition de 1803. Nous suivrons les bibliographes qui attribuent les illustrations, très explicites, de notre texte au peintre et miniaturiste français Claude Bornet (1733-1804). On lui doit, entre autres, celles du Gil Blas d’Alain-René Lesage, dans l’édition Didot de 1795. Et, de la même manière, lui sont attribuées les gravures libres qui illustrent plusieurs des œuvres du marquis de Sade, parues « en Hollande », en 1797. On connaît, de sa main, un portrait au pastel de Denis Diderot.

20 gravures libres attribuées à Claude Bornet. La longue histoire de la gravure érotique prend ses racines dans la Renaissance italienne avec les Modi (Les Postures) ou Amours des dieux gravés par Marc-Antoine Raimondi (ca. 1480-1527) d’après les dessins de Jules Romains. C’est alors, dans « l’aura du divin Arétin » et de ses Ragionamenti, que se multiplie bientôt ce genre d’estampes qui, bien que décrié et poursuivi, connaît un immense succès. Des artistes majeurs tels que Titien et les frères Carrache participent à la mise au point de types iconographiques qui, à force d’être reproduits, déclinés, interprétés et combinés, deviendront les modèles « le plus souvent inconscients de l’imagerie libertine » postérieure et particulièrement de celle du XVIIIe siècle. À cette époque, la spécialité des « gravures en petit », c’est-à-dire des gravures destinées à illustrer des ouvrages de petit format, plus aisés à dissimuler, se développe considérablement dans le contexte de l’édition clandestine des textes dits « philosophiques » – ils ne le sont pas tous, loin s’en faut ! – qui prend alors son plein essor. Ces entreprises d’illustration qui ornent les œuvres libertines et qui exigent souvent plus de discrétion que d’art, sont fort dispendieuses. Et, comme l’écrit Robert Darnton dans son ouvrage sur la littérature clandestine au XVIIIe siècle, la présence et le choix des gravures libres ne sont généralement pas le fait des auteurs, mais celui des éditeurs qui cherchent à satisfaire une clientèle de plus en plus friande d’images licencieuses. Ainsi, nous ne savons

L’un des rares exemplaires au format in-octavo, celui-ci imprimé sur vergé, dans de séduisants cartonnages roses de l’époque, avec les illustrations, avant la lettre, encadrées. La même année a paru une édition au format in-12°, en 6 volumes, avec les figures sans encadrement. Dimensions : 212 x 132 mm. Juin (H.), « Un portrait d’Andrea de Nerciat », dans Les Aphrodites, II, Paris, L’Or du Temps, 1969, pp. 1-39 ; Raynaud (J.-M.), Notice sur Nerciat dans Romanciers libertins du XVIIIe siècle, II, NRF, Bibliothèque de la Pléiade, 2005, pp. 1476-1492 ; […], L’Enfer de la bibliothèque. Éros au secret, BNF, 2007, pp. 94 et 96 ; Darnton (R.), Édition et sédition. L’Univers de la littérature clandestine au XVIIIe siècle, Paris, NRF Essais, 1991, passim ; Dutel (J.-P.), Bibliographie des ouvrages érotiques…, III, Paris, 2009, p. 95, n° A-271 ; […], Eros invaincu. La Bibliothèque G. Nordmann, Paris, Cercle d’Art, 2004, n° 44, pp. 106-115 ; Dubost (J.-P.), « Notice sur les gravures libertines », dans Romanciers libertins du XVIIIe siècle, I, NRF, Bibliothèque de la Pléiade, 2005, pp. LXI-XCIX ; Jeffares (N.), Dictionary of Pastellists before 1800, online edition, 2011.


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[…]

JOURNAL DES CHASSEURS, SPORTING-MAGAZINE FRANÇAIS. REVUE LITTÉRAIRE Paris, Bureaux, rue Neuve-des-Bons-Enfants, 1836-1870 49 volumes in-8°, demi-basane maroquinée, dos lisses ornés de filets dorés, tranches lisses (reliure de l’époque). « Le livre d’or de la vénerie française. » Les débuts, en France, du journalisme cynégétique. Cette revue de cynégétique littéraire et illustrée, créée sur le modèle du Sporting-Magazine anglais (Londres, 17921870), dont l’existence s’étend de 1836 à 1870, constitue une « véritable encyclopédie de la chasse » (Houdetot). D’abord mensuelles, ses livraisons deviennent bimensuelles en 1855, formant 49 volumes. Elle fut dirigée par son fondateur, Léon Bertrand, puis, après 1861, par Charles Godde. Par la variété et la qualité de ses contributions autant que par celles de ses illustrations, cette revue représente l’un des plus remarquables ensembles dédiés à tout ce qui concerne la chasse en France. Y participèrent de nombreux spécialistes de la vénerie ou de la littérature de chasse, parmi lesquels on trouve, entre autres, le marquis de Foudras (1800-1872), qui excellait dans la peinture de récits de chasse, souvent hauts en couleur, inspirés de souvenirs familiaux (Mémoires d’un veneur (1852) ; Le Bonhomme Maurevert (1857)), Alphonse Toussenel (1803-1885), à qui l’on doit de nombreuses études d’histoire naturelle, et Elzéar Blaze (1788-1848), lequel, après une carrière d’officier de la Garde impériale, publia de nombreux ouvrages consacrés à la cynégétique (dont les classiques Chasseur au chien courant (1836) et Chasseur au chien d’arrêt (1836)). Mais il faut mentionner aussi Théophile Deyeux, Joseph Lavallée, Adolphe d’Houdetot ou encore Léon Bertrand, tous auteurs cités par Thiébaud dans sa Bibliographie de la chasse. Une large part donnée à l’illustration : 414 planches lithographiées.

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Dès la deuxième année de parution, les volumes offrent de nombreuses planches lithographiées, souvent tirées en deux tons, d’après les dessins d’artistes renommés. Parmi ceux-ci, on peut citer le peintre animalier, spécialiste de la peinture équestre, Alfred de Dreux (1810-1860), Eugène Cicéri (1813-1890), qui réalisa de nombreuses lithographies d’après ses dessins de voyages et participa à l’illustration des Voyages pittoresques du baron Taylor et de Charles Nodier, ainsi que Victor Adam (1801-1886), à qui l’on doit des éditions illustrées des Fables de la Fontaine, de la Bible… Jusqu’en 1850, la revue put également être souscrite avec les lithographies coloriées, mais cette version de luxe fut interrompue, faute d’un assez grand nombre de souscripteurs. Exemplaire d’Henri Gallice, bien complet des 49 volumes, condition rare. Il contient 367 planches, la plupart sur chine appliqué ; celles de la 8e année ont été coloriées à l’époque. La page 7 de la 2e année est déchirée, sans manque. Le feuillet de table du tome XXIX est déchiré, avec manque. Au tome 32, manque le feuillet « Clôture de la chasse » ; au tome 33, manque le feuillet « Saison 1862-1863, ouverture de la chasse » ; au tome 36, manquent le feuillet « Jugement » et celui contenant une notice de l’éditeur ; au tome 38, manque le feuillet « Exposition canine » ; au tome 45, manquent les suppléments pour mai et juin. Traces de mouillures marginales ayant occasionné quelques petits manques de papier. Les 6 derniers volumes sont en reliure postérieure et l’ensemble présente quelques épidermures au dos.


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Provenance : Henri Gallice (1854-1830), avec son ex-libris contrecollé sur les 43 premiers volumes. Négociant en vin d’Épernay, il constitua, sur les conseils d’Émile Nourry, une collection exceptionnelle d’éditions françaises des XVe et XVIe siècles. Ses livres de vénerie furent achetés en bloc par le bibliophile Marcel Jeanson.

Thiébaud (J.), Bibliographie de la chasse, 1934, 523-525 ; Schwerdt (R.), Hunting, Hawking, Shooting, 1985, pp. 274279 ; Petit (P.), Additions à… Souhart, 1888, 119-120 ; Houdetot (A. d’), préface à Dans mon carnier de Léon Bertrand, Hachette, 1862, pp. I-VII ; […], Des Valois à Henri IV, Paris, Pierre Berès, 1994.

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JONGKIND (J. B.)

CAHIER DE SIX EAUX-FORTES. VUES DE HOLLANDE Paris, Chez l’auteur (Imp. Delâtre), 1862 Suite d’un frontispice et de 6 eaux-fortes, couverture gris-vert de l’éditeur comportant le titre gravé. Suite complète de sept eaux-fortes du premier état (excepté pour le frontispice et Le Chemin de halage) composée de :

toujours ses toiles en atelier. Ainsi, ses sujets hollandais (peintures ou estampes) seront composés à Paris d’après les croquis rapportés de ses séjours dans son pays natal.

- frontispice, état II/II, sur vergé filigrané « Hallines », 520 x 359 mm. Delteil, n° 1. - Le Canal, état I/II, sur vergé filigrané « Hudelist », 517 x 356 mm. Delteil, n° 2. - Maisons au bord du canal, état I/II, sur vergé filigrané « Hudelist », 519 x 356 mm. Delteil, n° 3. - La Nourrice, état I/II, sur vergé filigrané « Hudelist », 519 x 354 mm. Delteil, n° 4. - Le Chemin de halage, état II/III, sur vergé filigrané « Hallines », 520 x 357 mm. Delteil, n° 5. - Barque amarrée, état I/III, sur vergé filigrané « Hallines », 522 x 360 mm. Delteil, n° 6 (« fort rare »). - Les Deux Barques à voile, état I/II, sur vergé filigrané « Hallines », 520 x 356 mm. Delteil, n° 7.

Vues de Hollande : les 7 premières gravures connues d’un précurseur de l’Impressionnisme. Jongkind a très peu pratiqué l’estampe. On ne connaît de lui que 20 eaux-fortes réalisées entre 1862 et 1878 (deux premiers essais, gravés à la fin des années 1850, étant perdus). Cependant, son nom apparaît parmi les membres de la Société des aquafortistes dès la fondation de celle-ci par Alfred Cadart (1828-1875) en octobre 1862. Son trait est concis, fait d’incisions rapides. Ses eaux-fortes, peutêtre plus sûrement encore que sa peinture, manifestent son infaillible faculté de choisir dans un paysage les seuls éléments utiles à rendre l’expression qu’il souhaite. Baudelaire, dans Peintres et aquafortiste (Le Boulevard, 14 septembre 1862), écrit son admiration pour les eaux-fortes de Jongkind, ces « rêveries, calmes comme les berges des grands fleuves et les horizons de sa noble patrie – singulières abréviations de sa peinture ».

Johan Barthold Jongkind (1819-1891) : le peintre des tonalités et des variations d’atmosphères. À son arrivée à Paris en 1846, le Hollandais Jongkind étudie auprès du peintre Eugène Isabey (1803-1886). Bientôt il découvre la Normandie et se rapproche des peintres de l’École de Barbizon. Il adopte alors une touche plus souple et tend à s’éloigner d’Isabey et de la tradition du paysage romantique. L’attention qu’il porte dès lors aux variations lumineuses (transparence et nébulosité des ciels, miroitements sur l’eau…) témoigne d’un regard en quête d’une autre vérité que celle du sentiment. Son œuvre a exercé une influence considérable sur des peintres tels que Claude Monet (1840-1926) et Eugène Boudin (1824-1898). Mais contrairement aux Impressionnistes, s’il exécute ses croquis et aquarelles sur le motif, il peindra

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Lorsqu’en 1872, Monet peindra Impression soleil levant – œuvre qui donnera son nom à l’Impressionnisme, il se souviendra, autant par le sujet et sa composition que par son souci des effets lumineux, de l’eau-forte que Jongkind avait composée en 1868, Soleil couchant, port d’Anvers. D’après la correspondance de l’artiste, le tirage aurait été de 150 exemplaires, imprimés, semble-t-il, à ses frais et vendus pour partie par lui, pour partie par l’imprimeur Eugène Delâtre (1822-1907) et par l’éditeur Cadart. Nous n’avons rencontré que des suites tirées sur vergé. Celle-ci, à grandes marges et avec sa fragile couverture, condition rare, est préservée dans une boîte.

Delteil (L.), Le Peintre graveur illustré, I, Millet, Rousseau, Dupré, Jongkind, New York, Da Capo, 1969, 1-7 ; Melot (M.), L’Œuvre gravé de Boudin, Corot, Daubigny, Dupré, Jongkind, Millet, Théodore Rousseau, AMG, 1978, pp. 284-286 (y attribue le titre gravé de la couverture à Jongkind, et le décrit sous le numéro J.1 bis) ; Bailly-Herzberg (J.), L’Eauforte de peintre au XIXe siècle. La Société des aquafortistes (1862-1867), II, Laget, 1972, pp. 121-123 ; […], La Gravure impressionniste. De l’école de Barbizon aux Nabis, Somogy, 2001, p. 32 ; Hefting (V.), Jongkind. Sa vie, son œuvre, son époque, AMG, 1975, nos 231, 251, 253-259 et pp. 334-348 ; Fossier (F.), La Fleur de l’Impressionnisme, Milano, Fabbri, 1990, pp. 180-184 ; Baudelaire (C.), Œuvres complètes, II, La Pléiade, 1968, pp. 735-741 et 1436-1440.

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DAUBIGNY (C.-F.)

VOYAGE EN BATEAU. CROQUIS À L’EAU-FORTE [Paris, A. Cadart, éditeur], 1862 Suite d’un frontispice et de 15 eaux-fortes. Suite complète des 16 eaux-fortes, composée de : - un titre-frontispice, état I/III, sur japon, 275 x 201 mm. Delteil, n° 99, 1 (« très rare »). - 1. Le Déjeuner du départ à Asnières, état III/III, sur japon, 201 x 275 mm. Delteil, n° 100, 3. - 2. L’Emménagement au Bottin, état III/III, sur japon, 202 x 276 mm. Delteil, n° 101, 3. - 3. L’Héritage de la voiture, état III/III, sur japon, 202 x 277 mm. Delteil, n° 102, 3. - 4. Le Mousse tirant le cordeau, état III/III, sur japon, 202 x 277 mm. Delteil, n° 103, 3. - 5. Avallant, état III/III, sur japon, 202 x 277 mm. Delteil, n° 104, 3. - 6. Le Mot de Cambronne, état III/III, sur japon, 201 x 277 mm. Delteil, n° 105, 3. - 7. La Recherche d’une auberge, état VII/VII, sur japon, 201 x 277 mm. Delteil, n° 106, 7. - 8. Intérieur d’une auberge, état III/III, sur japon, 202 x 275 mm. Delteil, n° 107, 3. - 9. Voyage de nuit ou La Pêche au filet, état III/III, sur japon, 203 x 276 mm. Delteil, n° 109, 3. - 10. Le Mousse à la pêche, état III/III, sur japon, 203 x 275 mm. Delteil, n° 110, 3. - 11. Le Bateau-atelier, état II/II, sur japon, 201 x 276 mm. Delteil, n° 111, 2. - 12. Les Bateaux à vapeur, état III/III, sur japon, 201 x 277 mm. Delteil, n° 112, 3. - 13. Coucher à bord du Bottin, état III/III, sur japon, 202 x 277 mm. Delteil, n° 113, 3. - 14. Réjouissances des poissons au départ du mousse, état III/III, sur japon, 202 x 276 mm. Delteil, n° 114, 3. - 15. Le Départ, état III/III, sur japon, 202 x 275 mm. Delteil, n° 115, 3.

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Les aventures du Bottin : de Barbizon… Proche de Corot (1796-1875), Charles-François Daubigny (1817-1878) est, avec Théodore Rousseau (1812-1867) ou Jean-François Millet (1814-1875), de ces peintres qui, à la fin des années 1840, abandonnent l’atelier pour aller peindre la nature sur le motif. Ils fréquentent la forêt de Fontainebleau et le village de Barbizon donnera son nom à leur « École ». Les commandes bientôt régulières incitent Daubigny à multiplier ces paysages de bords de rivières qu’il affectionne. En 1857, il acquiert et aménage une embarcation, le Bottin, de manière à pouvoir aussi bien y peindre qu’y dormir. Cet atelier flottant lui permet d’accéder à de meilleurs points de vue et le libère des contraintes de l’hébergement. Accompagné par son fils, il entreprend de véritables virées nautiques autour de Paris, sur la Seine et la Marne, mais aussi jusqu’en Normandie… Ces voyages sont très productifs. Daubigny peint en toute liberté et réalise, outre ses toiles, plusieurs dizaines de croquis qui sont comme le journal de bord de ses aventures fluviales. De ses dessins, il tire bientôt quinze eaux-fortes que l’éditeur Cadart commercialise, précédées d’un frontispice, sous le titre du Voyage en bateau. De planche en planche, l’artiste semble décrire non sans humour et familiarité sa vie sur le bateau. … aux avant-postes de l’Impressionnisme. Par son apparence anecdotique et sa simplicité d’exécution ce travail passa longtemps auprès de nombre d’amateurs pour une suite de pochades destinées à amuser les proches du peintre. Cependant, il n’est rien de plus abouti que ces planches dont l’artiste préserve la spontanéité et la fraîcheur en ne travaillant presque pas ses cuivres. Renonçant au détail, il


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saisit d’une pointe rapide la réalité fugace du moment : l’anecdote du quotidien mais surtout le rayon de soleil qui frappe l’intérieur de l’atelier, la lumière de la lampe qui perce le crépuscule, la course des nuages… Si le Voyage en bateau semble raconter l’histoire du Bottin et de ses occupants, son ambition est tout autre : traduire simplement et immédiatement les sensations telles qu’elles furent perçues. Ainsi, en 1862, Daubigny observe et s’exprime par des moyens qui sont ceux-là mêmes de l’Impressionnisme naissant. Et, lorsqu’en 1873, Claude Monet décide à son tour de se faire aménager un bateau-atelier, nul doute qu’il ne se souvienne de ce que le Bottin apporta à Daubigny. L’un des très rares exemplaires sur papier fin du Japon. Des suites ont également été tirées sur vélin d’Arches, sur chine appliqué ou sur vergé. Les planches sont ici montées sous passe-partout ; l’ensemble est conservé dans une boîte de toile signée James Macdonald CC., New York City. Delteil (L.), Le Peintre Graveur illustré, XIII, Daubigny, Da Capo, 1969, 99-115 (Cite une suite complète sur japon à la vente H. Giacomelli (1905)) ; Melot (M.), L’Œuvre gravé de Boudin, Corot, Daubigny, Dupré, Jongkind, Millet, Théodore Rousseau, AMG, 1978, pp. 279-280 (Melot indique que la planche décrite sous le n° 108 par Delteil correspond à une première version du Voyage de nuit qui, pour des raisons techniques, a dû être effacée et regravée sur le même cuivre (planche décrite à la suite sous le n° 109). Il précise en outre que « cette planche n’appartient évidemment pas au tirage de l’album qui comporte 15 planches non compris le frontispice ») ; Bailly-Herzberg (J.), L’Eau-forte de peintre au XIXe siècle. La Société des aquafortistes (1862-1867), II, Laget, 1972, pp. 60-63 ; […], La Gravure impressionniste. De l’école de Barbizon aux Nabis, Somogy, 2001, pp. 27-35 ; Henriet (F.), Daubigny et son œuvre gravé, A. Lévy, 1875, pp. 54 et 56-59 ; Wickenden (R. J.), Charles-François Daubigny : Painter et Etcher, Boston, 1914, pp. 15-30.

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HUGO (V.)

L’ART D’ÊTRE GRAND-PÈRE Paris, Calmann-Lévy, 1877 In-8°, broché, couverture imprimée. ÉDITION ORIGINALE de ce recueil de poèmes inspirés à Hugo par ses petits-enfants. L’Art d’être grand-père : un patriarche parmi les siens… En 1871, Charles Hugo, le fils aîné du poète, meurt brutalement. Quelques années plus tard, sa veuve se remarie, contre l’avis de Hugo. Entre-temps, il s’est profondément attaché aux deux enfants du couple. Il est dès lors très présent dans leur éducation. L’insouciance et les espiègleries de Georges (1868-1925) et Jeanne (18691941), qui seront ses seuls petits-enfants, le reposent de la littérature et des engagements politiques qu’il soutient activement depuis son retour d’exil. De son côté, il éveille leur curiosité par le jeu et la découverte de la nature, de l’histoire, des idées… Hugo compose alors une série de poèmes inspirés par ce qu’il partage avec les deux enfants. Il y chante la douceur de la jeunesse, évoque ses attentions de grand-père compréhensif et patient. … et un chant à la gloire de l’éducation républicaine. Car ces poèmes ne sont pas la seule expression d’une tendresse familiale. Hugo ne serait plus Hugo s’il ne faisait pas œuvre militante ! Ne se doit-il pas d’être un modèle pour ses contemporains ? Aussi bien, le titre choisi ne fait pas référence au simple bonheur d’être grand-père mais insiste sur la manière de bien l’être. En cette Troisième

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République naissante dont il est un des pères fondateurs, Hugo, idéaliste par nature, est résolument engagé en faveur de l’instruction laïque et obligatoire. Aussi ne peut-il pas ne pas voir dans son complément, une éducation attentive au sein de la famille, la promesse d’un avenir meilleur. Une enfance choyée et épanouie fera seule une maturité solide, fidèle aux idéaux républicains qui lui auront été transmis. On connaît plusieurs photographies de Victor Hugo le représentant en grand-père affectueux, avec ses deux petits-enfants sur les genoux, dont celle qu’Achille Mélandri (1845-1904) réalisa en 1881. Jeanne Hugo épousera en 1891 le polémiste d’extrême droite Léon Daudet (1867-1942), puis ayant divorcé, se remariera avec le navigateur et explorateur Jean-Baptiste Charcot (1867-1936). Comme une réponse, Georges Hugo publiera, en 1902, des souvenirs intitulés, Mon Grand-Père. Il est le père du peintre Jean Hugo (1894-1984). Un des 20 exemplaires sur papier de Chine (n° 13). Il est conservé dans une chemise-étui. Dimensions : 256 x 188 mm. Vicaire, Manuel, IV, 1898, 355-356 ; Laffont – Bompiani, Le Nouveau Dictionnaire des œuvres, I, p. 407.


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LOUŸS (P.)

LES CHANSONS DE BILITIS. TRADUITES DU GREC PAR PIERRE LOUŸS Paris, Société du Mercure de France, 1898 In-8°, demi-maroquin parme, dos à nerfs, couverture, tête dorée, non rogné (V. Champs). Deuxième édition en partie originale. Un poème élégiaque et amoureux, sommet de l’inspiration parnassienne de Pierre Louÿs. Les Chansons de Bilitis sont l’une des œuvres majeures inspirées à Pierre Louÿs (1870-1925) par son goût pour l’Antiquité. Il assura avoir découvert cette suite de poèmes lyriques et érotiques en prose et les attribua à Bilitis, une poétesse de son invention prétendument contemporaine de Sappho de Mytilène. La première édition du texte, en 1894, était dédiée à André Gide (1869-1951) avec lequel Louÿs avait été très lié jusquelà. Le nom de Gide y était suivi de trois lettres mystérieuses, M.b.A., qui dissimulaient le nom d’un second dédicataire, Meryem bent Ali, jeune fille rencontrée en Algérie en 1894, et dont il avait partagé les faveurs amoureuses avec Gide et leur ami commun, l’écrivain André-Ferdinand Hérold (18651940). Dans une lettre à son frère, Louÿs écrivit que sa rencontre avec la jeune fille l’avait amené à « recommencer entièrement [son poème] d’après elle ». Claude Debussy (1862-1918) créa sur quelques-uns des poèmes de Bilitis des pièces pour chant et piano qui sont parmi ses plus belles pages, proches de Pelléas et Mélisande qu’il composait alors. Excepté leur correspondance, ces mélodies sont l’un des seuls témoignages de l’amitié fidèle qui unit les deux artistes et de leurs nombreux projets de collaboration. Un frontispice en couleurs d’après un dessin de Paul-Albert Laurens. Le titre annonce que ce frontispice a été exécuté d’après un buste polychrome de Bilitis conservé au musée du Louvre. Proche ami de l’auteur et d’André Gide, avec lequel il visita l’Afrique du Nord en 1893, l’artiste Paul-Albert Laurens (1870-1934) était le fils du peintre d’histoire Jean-Paul Laurens (1838-1921). Il enseigna à l’Académie Julian.

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Il a aussi illustré un autre texte de Louÿs, Lêda, rêverie poétique parue en 1898. L’exemplaire est enrichi d’un envoi de l’auteur au compositeur Ernest Chausson :

Ernest Chausson (1855-1899) fut l’élève de Massenet et de César Franck (1822-1890). Son œuvre, influencée par Franck et par Wagner — il a fait le « pèlerinage » de Bayreuth en compagnie du compositeur Vincent d’Indy (1851-1931) — présente cependant une manière très personnelle et un caractère français par son élégance et sa clarté. Relativement peu abondante, elle comporte plusieurs opéras, des poèmes symphoniques, des pièces vocales ou chorales ainsi que de la musique de chambre.


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C’est dans l’entourage de Claude Debussy, dont il était l’ami, qu’il fut amené à rencontrer Pierre Louÿs. Édition tirée à 609 exemplaires, celui-ci l’un des 550 sur vélin (n° 238).

Provenance : Ernest Chausson. Goujon (J.-P.), Pierre Louÿs, une vie secrète, 1870-1925, Seghers, 1988, pp. 125-148 ; Baker (T.) et Slonimsky (N.), Dictionnaire biographique des musiciens, I et II, Laffont, 1995.

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SIGNAC (P.)

D’EUGÈNE DELACROIX AU NÉO-IMPRESSIONNISME Paris, Éditions de la Revue blanche, 1899 In-8°, demi-maroquin rouge, plats de plastique transparent, titre en long, couverture et dos conservés (reliure moderne). ÉDITION ORIGINALE, rare. Manifeste capital de l’esthétique naissante, dédié par Signac à son grand ami Georges Seurat, D’Eugène Delacroix au néo-Impressionnisme parut d’abord dans les livraisons de mai, juin et juillet 1898 de la Revue blanche des frères Natanson, avant d’être repris en volume l’année suivante aux Éditions de la Revue blanche. Ce manifeste aura, au tournant du siècle, « la plus grande influence sur l’évolution de la peinture européenne » (Bourrelier), de Matisse à Kandinsky. Issu de la désintégration de l’Impressionnisme pratiqué par la génération précédente, l’« Impressionnisme scientifique » (Pissarro) — celui du pointillisme à la Seurat d’abord, mais qui s’avérera ensuite porteur de nombreuses conceptions nouvelles — y est théorisé par Signac dans la droite ligne de la pensée de Delacroix, selon laquelle « l’art du coloriste tient évidemment par certains côtés aux mathématiques et à la musique ».

Or cette période allant de 1884 à 1899 — parcourue comme d’un saut par cet envoi de Signac à un disciple de la première heure — est fondamentale pour la modernité artistique. Car le premier néo-Impressionnisme qui vit le jour dans les années 1884-1891, autour du pointillisme de Seurat, fut relayé à l’orée du XXe siècle par une seconde vague dont Signac, par son œuvre picturale et théorique, fut l’initiateur. Et si le néo-Impressionnisme prôné dans ce manifeste n’a constitué, en tant que mouvement artistique, qu’une période transitoire de l’histoire de la peinture, son influence a été essentielle pour l’évolution de l’art. Couverture dessinée par Théo Van Rysselberghe, l’un des principaux représentants du pointillisme en Belgique. Bel exemplaire, malgré de petits manques de papier au dos de la couverture. Comme toujours, le papier, de petite qualité, a légèrement bruni. Accolades marginales au crayon. Dimensions : 211 x 157 mm.

Envoi autographe signé à Henri-Laurent Jaudin : à mon ami Jaudin cordialement P. Signac. Peintre de paysages surtout, Henri-Laurent Jaudin (18511929) avait rejoint dès sa création en 1884 la Société des artistes indépendants, fondée par Signac et Seurat, et exposé avec eux au premier Salon des Indépendants, organisé dans le Pavillon de la ville de Paris.

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Signac (P.) [F. Cachin (éd.)], D’Eugène Delacroix au néoImpressionnisme (Hermann, 1978) ; Bernier (G.), La Revue blanche, ses amis, ses artistes (1991), pp. 174-175 ; Bourrelier (P. H.), La Revue blanche, une génération dans l’engagement (2007), p. 541 ; Lobstein (D.), Dictionnaire des Indépendants (2003).


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[WIENER WERKSTÄTTE] LOUŸS (P.) LAURENS (P. A.)

LÊDA OU LA LOUANGE DES BIENHEUREUSES TÉNÈBRES Paris, Éditions du Mercure de France, 1898 In-4°, maroquin gris perlé, premier plat orné en son centre d’une mosaïque de maroquin de diverses couleurs figurant un cygne stylisé, serti d’une large bande de damiers alternativement à fond d’or ou mosaïqués de fines pièces de veau blanc, de part et d’autre, losanges mosaïqués de pièces à enroulements de veau blanc, l’ensemble dans un cadre à fond or aux mêmes motifs décoratifs, second plat orné de même, avec en son centre, les marques des différents intervenants et celle de la Wiener Werkstätte, dos titré, à nerfs, orné de fers à enroulements, doublure de maroquin vert orné de losanges dorés, l’ensemble serti de maroquin gris, garde de soie grise, premier plat de couverture conservé, tranches dorées sur témoins, boîte à rabats (Josef Hoffmann, Carl Beitel et Ludwig Willner pour la Wiener Werkstätte). Première édition illustrée de ce conte mythologique paru pour la première fois en 1893. Une œuvre de jeunesse empreinte de l’esthétique symboliste. Au tournant des années 1890, alors qu’il n’a encore guère publié, Pierre Louÿs (1870-1925) compose une série de rêveries poétiques sur le thème des nymphes, parmi lesquelles ce portrait de Lêda. Cette jeune fille « bleuâtre comme la nuit, mystérieuse comme la lune mince, et douce comme la voie lactée » connut les amours de Zeus, métamorphosé en cygne. Le texte est dédié à son ami André Gide. 5 lettrines et 5 culs-de-lampe en couleurs, très décoratifs et d’inspiration symboliste par Paul-Albert Laurens. Proche d’André Gide, en compagnie duquel il visita l’Afrique du Nord en 1893, l’artiste Paul-Albert Laurens (1870-1934) était le fils du peintre d’histoire Jean-Paul Laurens (18381921). Il enseigna à l’Académie Julian. Exemplaire sur papier vergé d’Arches (n° 567), enrichi, sur le faux-titre, d’un grand dessin à pleine page aux crayons

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de couleur par le peintre-graveur belge Armand Rassenfosse (1862-1934) qui fut le disciple et le collaborateur de Félicien Rops. Une reliure historique commandée en 1907 par l’esthète belge Adolphe Stoclet à l’architecte-designer Josef Hoffmann. La composition de son décor tout autant que l’attention apportée à tous les détails de son exécution font de cette intéressante reliure une réalisation caractéristique de la Wiener Werkstätte. Hoffmann en dessine la maquette tout comme il conçoit les moindres éléments du mobilier ou de l’orfèvrerie du palais qu’il construit dans les mêmes années pour Stoclet. Outre les qualités artistiques de l’ensemble, l’extrême raffinement du travail se manifeste ainsi, entre autres, dans l’étui à rabats recevant la reliure et dont le dos est doublé de velours afin d’en protéger les nerfs, ou encore dans le signet tissé d’un délicat damier noir et blanc. Le dépouillement du décor n’est pas sans évoquer ce que sera bientôt l’Art déco en France. Josef Hoffmann et la Wiener Werkstätte. En 1903, les artistes viennois Josef Hoffmann (1870-1956) et Koloman Moser (1868-1918) s’associent avec l’industriel


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Fritz Wärndorfer (1868-1939) pour fonder la Wiener Werkstätte. En réaction à la massification industrielle, ce regroupement d’artistes et d’artisans souhaite renouveler les arts appliqués par un égal souci apporté tant à la création de modèles « qui témoignent de l’esprit de leur temps » qu’à leur parfaite réalisation technique ainsi qu’au choix de leurs matériaux. Des artistes de renom, tels Gustav Klimt (1862-1918), Josef Wimmer-Wisgrill (1882-1961) ou Dagobert Peche (1887-1923), produiront, sous la marque de cette association, des œuvres dans des domaines aussi variés que l’architecture, la mode et la bijouterie, l’orfèvrerie et le mobilier, ou encore l’édition et la reliure. Influencé par les théories esthétiques formulées en Angleterre par William Morris (1834-1896), Hoffmann, dès le programme initial de la Wiener Werkstätte, donne une large part au livre. Convaincu, comme Morris, qu’un « livre est un tout », qui exige aussi bien les meilleurs papiers, les plus belles mises en pages que les reliures les plus soignées, il ouvre avec le relieur Carl Beitel (1866-1917) un atelier d’où sortiront toutes les reliures de la Wiener Werkstätte jusque dans le milieu des années 1920. Moser et lui-même, ainsi que plus tard Dagobert Peche, fournissent les maquettes dont Beitel supervise l’exécution en collaboration avec le doreur Ludwig Willner. L’atelier réalisera aussi bien des modèles destinés à être reproduits à plus ou moins grande échelle que des commandes privées particulièrement ambitieuses. La première exposition de reliures de Hoffmann et Moser eut lieu en février 1905 à la galerie Miethke, à Vienne. Adolphe Stoclet (1871-1949) : un collectionneur belge entre Vienne et Bruxelles. Pendant son séjour à Vienne, entre 1902 et 1904, l’ingénieur et financier belge Adolphe Stoclet s’enthousiasme pour les créations de la Wiener Werkstätte. Découvrant les villas réalisées par Hoffmann, dont le travail connaît déjà une certaine renommée internationale, son épouse et lui décident de lui confier, sans « restrictions […] d’aucune sorte », la supervision de la construction et des

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aménagements intérieurs et extérieurs de l’hôtel particulier qu’il souhaite se faire construire : ce sera le Palais Stoclet, construit d’une seule traite entre 1905 et 1911. De nombreux artistes du groupe y collaboreront, parmi lesquels Gustav Klimt qui réalise en mosaïque le cycle décoratif mural de la salle à manger. Le bâtiment et ses aménagements, conçus comme une œuvre d’art totale (Gesamtkunstwerk) et qui restent aujourd’hui tels qu’ils furent créés, sont considérés comme l’œuvre-manifeste de la Wiener Werkstätte et le chefd’œuvre de Josef Hoffmann. On considère généralement que les lignes très épurées du Palais Stoclet ont influencé le style moderniste de l’architecte français Robert Mallet-Stevens (1886-1945), neveu par alliance de Stoclet. Édition limitée à 600 exemplaires. Dimensions : 274 x 221 mm. Provenance : Adolphe Stoclet (le volume est conservé dans une boîte à rabats, exécutée également par la Wiener Werkstätte, orné d’un décor à répétitions composé de son monogramme). Goujon (J.-P.), Pierre Louÿs, une vie secrète, 1870-1925, Seghers, 1988, pp. 38, 115, 123 ; […], « The Stoclet house, 1905-1911 » in Yearning for Beauty, The Wiener Werkstätte and the Stoclet House, Hatje Cantz, MAK, 2006, pp. 355415 ; […], Vienne, 1880-1938, l’apocalypse joyeuse, Éditions du Centre Pompidou, 1986, pp. 274-285 ; Hoffmann (J.), Autobiography, Hatje Cantz, 2009, pp. 76-141 ; Schweiger (W. J.), Wiener Werkstätte. Art et artisanat, 1903-1932, Bruxelles, Pierre Mardaga, 1986, pp. 30, 183 et 248 ; […], Wiener Werkstätte Lederobjekte, Wien, MAK, 1992 ; […], Reflet de la bibliophilie en Belgique III, 1976, n° 64, pp. 4849 et pl. 17 (reliure de Hoffmann qui, après avoir appartenu à John Roland Abbey, se trouvait alors dans la collection de M. et Mme Jacques de Bruyn-Stoclet).


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VERHAEREN (E.) LE CLOÎTRE Bruxelles, chez l’Éditeur É. Demand, 1900 Grand in-8°, maroquin rouge, plats ornés d’un décor à répétition de filets dorés formant une succession de carrés avec, en leur centre, des motifs décoratifs de types animaliers…, dos titré à nerfs, orné d’un fer floral plusieurs fois répété, doublure et garde de soie rouge, couverture et dos, tranches dorées sur témoins, boîte à rabats (Josef Hoffmann, Carl Beitel et Ludwig Willner pour la Wiener Werkstätte). ÉDITION ORIGINALE. Le poète Émile Verhaeren (1855-1916), ami de James Ensor et de Georges Rodenbach, admirateur de Mallarmé, met en scène dans ce drame de la vie monastique des personnages âpres qui évoluent dans une sombre tension autour de la culpabilité et des remords de l’un d’eux. La pièce, d’esprit symboliste, qu’il eut autant de peine à terminer qu’à faire jouer, est la première et la meilleure contribution théâtrale de l’auteur des Villes tentaculaires. L’ornementation de la couverture est due à l’artiste belge Théo van Rysselberghe (1862-1926). L’un des 10 premiers exemplaires sur papier du Japon (n° 5). Une reliure historique commandée en 1907 par l’esthète belge Adolphe Stoclet à l’architecte-designer Josef Hoffmann. Le rythme et la parfaite sobriété du décor, qui évoque, en le stylisant, le cloître du titre de Verhaeren, préfigurent l’esthétique de l’Art déco en France. Dimensions : 227 x 159 mm.

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Provenance : Adolphe Stoclet (le volume est conservé dans une boîte à rabats, exécutée également par la Wiener Werkstätte, dont le décor à répétitions est composé d’un monogramme à ses initiales). Worthing (B.), Émile Verhaeren, 1855-1916, Mercure de France, 1992, pp. 244-254.


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[PROUST (M.)] - Ruskin (J.)

LA BIBLE D’AMIENS. TRADUCTION, NOTES ET PRÉFACE PAR MARCEL PROUST Paris, Mercure de France, 1904 In-12°, demi-vélin vert émeraude à coins, à la bradel, dos lisse avec pièces d’armes en pied, non rogné (Carayon). ÉDITION ORIGINALE. Ruskin et La Bible d’Amiens : l’antichambre esthétique de La Recherche. Marcel Proust (1871-1922) découvre en 1899 les œuvres du théoricien de l’art anglais John Ruskin (1819-1900). Pendant une petite dizaine d’années, il y fait avec passion l’apprentissage de l’art médiéval : les grandes cathédrales gothiques, Venise… À la mort de Ruskin, qui avait interdit la traduction de ses livres de son vivant, Proust entreprend celle de The Bible of Amiens. Maîtrisant assez mal l’anglais, il travaille sur la traduction littérale que lui prépare sa mère. Il en corrige le style et émaille le texte de nombreuses notes. Dans la longue préface dont il accompagne l’ouvrage, Proust, après s’être entièrement approprié les conceptions esthétiques de Ruskin, les rejette résolument. Ce faisant, il manifeste combien l’œuvre de son mentor fut nécessaire autant à la genèse de sa propre esthétique qu’à la révélation de son écriture dans ce qu’elle aura de plus singulier. Henri Bergson salua cette traduction lors d’une conférence qu’il présenta à l’Académie des sciences morales et politiques. En 1906, Proust publiera encore la traduction de Sesame and Lilies, pour laquelle fut écrite sa célèbre préface, Sur la lecture, puis la mort de sa mère le fit renoncer définitivement à poursuivre ses traductions des œuvres de Ruskin. Précieux exemplaire offert par Marcel Proust à la marquise de Clermont-Tonnerre, avec un délicat envoi. La « Duchesse rouge » et le « petit Marcel ». C’est le 9 juin 1903 que Marcel Proust rencontre Élisabeth de Gramont (1875-1954), marquise puis duchesse de

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Clermont-Tonnerre, lors d’une fête grecque organisée par l’artiste alors fort en vue, Madeleine Lemaire (1845-1928). Celle que l’on surnommera plus tard, pour ses sympathies politiques, son avant-gardisme et plus encore son anticonformisme, la « Duchesse rouge » entretiendra bientôt avec celui qu’elle nomme le « petit Marcel » une longue amitié. Femme de caractère, Élisabeth de Gramont défraya la chronique du Tout-Paris, lorsque, quittant mari et enfants, elle emménagea avec l’écrivaine américaine Natalie Clifford Barney (1876-1972). Femme de lettres, elle publia plusieurs volumes de Mémoires et de nombreuses biographies, parmi lesquelles deux sont dédiées à ses amis Robert de Montesquiou et Marcel Proust. Alors que dans La Recherche, ce dernier ne cite presque aucun auteur contemporain, il mentionne deux fois le nom et les œuvres de la duchesse. Enfin, en 1948, elle révéla avoir été l’un des modèles de la duchesse de Guermantes. Exemplaire sur papier d’édition, avec mention fictive. Provenance : Élisabeth de Clermont-Tonnerre (ex-libris). […], Marcel Proust. L’Écriture et les arts, Gallimard-BNF, 1999, pp. 152-177 ; Rapazzini (F.), Élisabeth de Gramont : avant-gardiste, Fayard, 2004, pp. 128-133 (cite notre exemplaire : « [Quand en février] Proust publie sa traduction […], il en fait cadeau à Lily avec une dédicace particulièrement charmante. Élisabeth, en ce même été 1904, […] lit la préface de Proust, saute en voiture et [fait] un pèlerinage à la cathédrale d’Amiens pour voir si elle aussi aura “des battements de cœur quand, au sortir de la route bordée de longs peupliers, la flèche de Notre-Dame jaillit de la plaine amiénoise“ »).


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ALAIN-FOURNIER

LE GRAND MEAULNES Paris, Émile-Paul Frères, 1913 In-12, maroquin janséniste lie-de-vin doublé de maroquin vert émeraude, garde de soie, couverture et dos, tête dorée, tranches dorées sur témoins, chemise et étui bordés de même peau (G. Cretté, succ. de Marius-Michel). ÉDITION ORIGINALE de l’unique roman publié du vivant de l’auteur. Quand, en 1913, paraît Le Grand Meaulnes, l’Europe de la Belle Époque vit sa dernière année de paix avant la Première Guerre mondiale. En littérature, cette année singulière voit naître quelquesunes des œuvres majeures qui façonneront l’esthétique du nouveau siècle. Ainsi, Proust ouvre avec Du côté de chez Swann sa fresque monumentale de la Recherche du temps perdu, Apollinaire publie son recueil Alcools avec lequel la poésie brise définitivement les « rigueurs du Parnasse & les suavités symbolistes », tandis qu’Edmund Husserl jette les bases de la philosophie moderne dans ses Ideen einer reinen Phänomenologie und phänomenologischen Philosophie. De même en art, Marcel Duchamp assemble son premier ready-made quand Nijinsky affole le Tout-Paris avec sa chorégraphie pour le Sacre du printemps d’Igor Stravinsky… C’est donc, vers la fin de cette année-charnière, qu’AlainFournier, de son vrai nom Henri-Alban Fournier, jeune auteur qui n’a encore publié que quelques articles et poèmes épars, fait paraître son œuvre maîtresse, la seule qu’il lui sera quasiment donné d’écrire. La genèse de l’œuvre en avait été lente et d’abord hasardeuse. Admirateur de Laforgue, le jeune AlainFournier avait, dans un premier temps, été tenté par une fresque symboliste très désincarnée, puis il avait penché pour un roman rural, avant, pour finir, de composer une manière de roman-poème dans lequel transparaît l’expérience sensible totale d’un Claudel et qui fond intimement le rêve et la réalité, un roman de l’adolescence où l’aventure le dispute à la quête mystique. Dans les

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paysages de la Sologne de son enfance, l’auteur met en scène des héros adolescents auxquels il offre la révélation de l’Idéal, pour le leur retirer aussitôt et ne leur en laisser que le souvenir aussi puissant qu’insaisissable. Je veux montrer mon visage, je veux atteindre, au milieu de la vie même, ce qui est le plus merveilleux de moi-même. Ainsi Alain-Fournier définissait-il, en 1910, l’œuvre sur laquelle il travaillait dans une lettre à son ami et beau-frère Jacques Rivière, futur directeur de la NRF. Et certes, il parvint d’emblée à composer une œuvre subtile et forte, essentiellement personnelle tout autant qu’universelle, dans laquelle des générations de jeunes gens, jusqu’à nos jours, reconnaîtront leurs propres aspirations et désillusions, faisant du Grand Meaulnes l’un des succès d’édition les plus remarquables du XXe siècle. Dès sa parution, l’accueil fut unanime et, s’il manqua de peu le prix Goncourt, décerné cette année-là à Marc Elder, ce premier et unique roman fut vivement salué par la critique pour son style autant que pour la manière novatrice avec laquelle il s’écartait de ce que le symbolisme pouvait avoir de trop éthéré. Cependant, c’est peut-être la mort tragique de l’auteur, fauché dans sa vingt-huitième année lors de l’un des premiers engagements de la Grande Guerre, le 22 septembre 1914, qui, stoppant net la destinée et les promesses du jeune écrivain, acheva de transformer sa toute jeune notoriété en gloire et conféra à l’homme et à son œuvre, laissée unique et orpheline, l’aura mystérieuse de la légende, celle-là même, en quelque sorte, qu’il s’était attaché à saisir dans son roman. Le texte, sans cesse réédité, fait l’objet d’une actualité régulière : il a connu plusieurs adaptations pour le cinéma, la dernière, en 2006, par Jean-Daniel Verhaeghe.


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L’un des 20 exemplaires sur papier de Hollande, comportant la faute d’impression (« chapitre I ») à la page 133 ainsi que la date de septembre 1913 à la grébiche qui caractérisent les exemplaires de première émission. Bel exemplaire sobrement relié de maroquin janséniste par Georges Cretté. Leuwers (D.), « Préface et commentaires » in Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes, Le Livre de poche, 1983, pp. 5-8 et

pp. 229-247 ; Laffont – Bompiani, Le Nouveau Dictionnaire des auteurs, Robert Laffont, Bouquins, 1994, I, pp. 37-38 ; Laffont – Bompiani, Le Nouveau Dictionnaire des œuvres, Robert Laffont, Bouquins, 1994, III, pp. 3068-3069 ; Talvart & Place, Bibliographie des auteurs modernes de langue française (1801-1927), 1928, I, p. 47 ; Desprechins (R.) in Le Livre et l’estampe, nos 63-64, 1964, pp. 177-185 ; Hermans (G.) in Le Livre et l’estampe, nos 69-70, 1972, pp. 9-16.

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CENDRARS (B.) - LÉGER (F.)

LA FIN DU MONDE FILMÉE PAR L’ANGE N.-D. Paris, La Sirène, 1919 In-4°, maroquin orange, sur les plats, grand décor par la lettre (nom de l’auteur et titre de l’ouvrage) mosaïqué de box de diverses couleurs, doublure de papier argenté, couverture et dos, tête dorée (J.-Antoine Legrain). ÉDITION ORIGINALE. La Fin du monde filmée par l’Ange N[otre]-D[ame] avait été le scénario prévu par Cendrars pour paraître dans Le Livre du cinéma en 1918. Il paraît finalement en 1919, séparément, illustré par Fernand Léger dans un mélange de typographie foisonnante et d’illustrations très colorées. Le volume est reconnu comme un modèle de la production de la Sirène mais aussi de la production éditoriale de cet immédiat après-guerre, en particulier pour sa modernité. Rachilde en rendra compte de façon amusante dans le Mercure de France du 15 avril 1920 : « Un ange se mord férocement le doigt sur la couverture, comme s’il regrettait de s’y compromettre […] Ça coûte 20 fr., et c’est pour rien, étant donné la somme de couleurs très rares dépensée. » (Pascal Fouché, La Sirène, p. 71). Illustrations de Fernand Léger (1881-1955). Son amitié pour Cendrars avec lequel il partageait l’amour du cinéma, l’amena à collaborer avec le poète en illustrant ses textes : en 1918, J’ai tué, en 1919, La Fin du monde filmée par l’Ange N.-D. « Pour ce dernier, il conçut têtes de chapitre sur double page et illustrations de façon à faire date dans l’édition moderne. Les illustrations étaient des reproductions de dessins dont les couleurs furent ajoutées au pochoir d’après les indications précises du peintre… » (L. Saphire, Fernand Léger, L’Œuvre gravé, p. 11).

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23 pochoirs en couleurs, 7 dessins reproduits au trait et un dessin, selon la même technique, sur la couverture. Exemplaire sur papier Registre Vélin Lafuma. Intéressante reliure au décor par la lettre de JacquesAntoine Legrain, qui exerça des années 1930 à 1950. Les exemplaires de ce livre en reliure ancienne décorée et signée sont rares. Fouché (P.), La Sirène, n° 38 ; Saphire (L.), Fernand Léger, L’Œuvre gravé, p. 299 ; Johnson-Stein, Artists’ Books in the Modern Era 1870-2000, The Riva and David Logan Collection, n° 26 (« A message of modernity is evident on every page of this bibliophilic masterpiece ») ; Peyré (Y.), Peinture et Poésie, p. 116 (« Ce livre hors norme (son tirage excessif, ses moyens d’exécution) retentit très haut… Leur livre, si incompris, si merveilleux, est bien une production de magicien ») ; Andel (J.), Avant-garde page design 19001950, nos 96-99 (« Léger intègre des éléments compositionnels clés du style cubiste, notamment lettres au pochoir, intersections de plans, juxtapositions de perspectives de vues différentes ») ; Berès (P.), Collection Gildas Fardel, n° 23 (« Premier livre illustré en couleurs, génialement par Fernand Léger »).


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ÉLUARD (P.) - ERNST (M.)

LES MALHEURS DES IMMORTELS RÉVÉLÉS PAR PAUL ÉLUARD ET MAX ERNST Paris, Librairie Six, 1922 In-4°, broché, couverture imprimée. ÉDITION ORIGINALE. Une rencontre fusionnelle d’où naîtront des Malheurs « cocasses » et « inquiétants ». En 1920, Max Ernst (1891-1976) obtient de Tristan Tzara (1896-1963) qu’il a connu au sein du mouvement Dada de faire sa première exposition à Paris. L’année suivante, Paul et Gala Éluard se rendent à Cologne chez le peintre. Leur rencontre prend spontanément le tour d’une relation fusionnelle. Séduit autant par l’homme que par son œuvre, le poète acquiert deux toiles de l’artiste, Œdipus Rex et L’Éléphant Célèbes, et choisit plusieurs collages pour illustrer son recueil Répétitions, qui paraîtra en mars 1922 et s’ouvre sur le poème Max Ernst. Cependant, aux yeux d’Éluard, Ernst est lui aussi un poète. Des messages à deux mains qu’ils adressent à Tzara leur vient bientôt l’idée de concevoir ensemble de brefs poèmes en prose qu’accompagneront de nouveaux collages d’Ernst. De novembre 1921 à juin 1922, les deux hommes échangent ainsi à distance de courts textes, surréalistes avant la lettre, qu’ils modifient, imbriquent et développent mutuellement. Fin juin, Éluard annonce à Tzara l’arrivée d’une « belle plaquette mariant des textes cocasses ou lyriques à 21 collages inquiétants ». Du collage comme recomposition poétique du réel. Les 21 collages de Max Ernst dialoguent beaucoup plus avec les 20 poèmes en prose qu’ils n’en sont les illustrations immédiates. De fait, textes et images constituent la matière d’autant de collages qui résultent également de la combinaison d’éléments arrachés au réel tel qu’il existe. Ce travail de transformation qui intervient aussi bien sur le texte que sur l’image aboutit à la recomposition d’une réalité nouvelle, imaginaire celle-là, à laquelle le détournement de sens ou la contradiction confère cette poésie tour à tour provocante, ludique ou sinistre qui sera l’une des clefs du surréalisme.

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Pour Werner Spies, « Les Malheurs des immortels, en tant que travail élaboré en commun […] prend ici une importance que tous les travaux collectifs dadaïstes ou surréalistes n’atteignirent jamais ». Une réédition du texte et des illustrations sera publiée en 1945. Exemplaire offert par Paul Éluard à l’écrivain hongrois Jozsef Molnár avec cet amical envoi :


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Tirage non précisé, sur papier simili-japon. Dimensions : 250 x 190 mm. Provenance : Jozsef Molnár (1918-2009). Écrivain et journaliste hongrois, il s’exile en Suisse peu de temps après le début de l’occupation soviétique. Il part ensuite pour les États-Unis, puis revient s’installer à Munich. Là-bas, il participe comme journaliste politique à Radio Free Europe, organisme financé par la CIA produisant des émissions à destination des pays du bloc communiste. Il fonde la revue

Új Látóhatár (L’Horizon nouveau) ainsi que la maison d’édition Aurora où seront publiés de nombreux auteurs hongrois. Gateau (J.-C.), Paul Éluard ou le frère voyant, Laffont, 1988, pp. 93-101 ; Éluard (P.), Œuvres complètes, I, La Pléiade, 1968, pp. 121-133 et 1352-1353 ; Spies (W.), Max Ernst. Les Collages, Gallimard, 1984, pp. 111-113 et nos 138-159 ; […], From Manet to Hockney, Victoria and Albert Museum, 1985, pp. 186-187.

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PEIPER (T.) - GRIS (J.)

ZYWE LINJE. POEZJE. RYSUNKAMI OZDOBIL JUAN GRIS Cracovie, Zwrotnica, 1924 In-4°, cartonnage d’éditeur. ÉDITION ORIGINALE et premier tirage. L’Avant-Garde de Cracovie : une modernité venue d’Espagne. Figure majeure de l’avant-garde artistique polonaise des années 1920-1930, Tadeusz Peiper (1891-1969) fut poète, critique d’art et théoricien de la littérature. Alors qu’il est en France, en 1914, le déclenchement de la Première Guerre mondiale l’oblige à s’exiler en Espagne. À Madrid, parmi une large communauté d’artistes exilés (au nombre desquels figurent Robert et Sonia Delaunay…), Peiper fréquente les membres d’Ultraísmo, mouvement d’avant-garde espagnol qui rassemble les influences novatrices du cubisme, du futurisme italien ou encore de Dada. Aux côtés des poètes Guillermo de Torre (1900-1971) et Rafael Cansinos-Asséns (1882-1964), il participe certainement à la création de la revue Ultra. Lorsqu’en 1920, il retourne en Pologne, il rapporte de son expérience espagnole « le vocabulaire formel et les outils conceptuels nécessaires » à la fondation de l’avant-garde polonaise, dont il sera le théoricien. Le premier, il traduit en polonais les œuvres de ses amis espagnols, ainsi que celles de Vicente Huidobro ou de Jorge Luis Borges, qui collaborèrent à la revue Ultra. Avec Julian Przybos (19011970), il fonde Awangarda Krakowska [l’Avant-Garde de Cracovie] et, en 1922, il crée la revue Zwrotnica [L’Échangeur] dans laquelle il publie sous le titre « Miasto, Masa, Maszyna » [« Métropole, Masse, Machine »] le manifeste du mouvement. D’esprit constructiviste, il y définit l’œuvre d’art comme une composante active de la société.

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Zywe linje [Ligne de vie] est son deuxième recueil. L’écriture en est d’une construction rigoureuse, qu’il veut semblable à l’ouvrage de l’artisan : « Le poète n’est ni un prêtre, ni un play-boy, mais un artisan sérieux, œuvrant sur le motmatière. » Il n’hésite pas cependant à y faire usage d’ellipses et de métaphores quasi surréalistes par lesquelles il réalise la transfiguration poétique de la réalité dans ce qu’elle offre de plus moderne : ainsi « les flancs d’or chaud de la tour Eiffel », des camions ou encore le football prennent-ils place dans ses textes… L’année suivante, Peiper publiera, à Lwow, chez Ateneum, un autre recueil, Nowe usta. Odczyt o poezji [Les Lèvres nouvelles. Lire de la poésie], illustré de trois compositions de Fernand Léger. Trois compositions de Juan Gris (1887-1927). Réalisées par l’artiste en septembre 1924, elles sont à rapprocher des peintures intitulées La Femme à la guitare (Cooper, n° 477), Pierrot aux mains jointes (n° 463) et Citron et carte à jouer (n° 462) exécutées, toutes trois, entre février et décembre 1924. Si nous savons que Peiper a manifesté un vif intérêt pour les arts visuels et particulièrement pour les travaux de Léger ou de Le Corbusier, auxquels il consacra des articles dans la revue Nowa Sztuka (Art nouveau), nous ne savons en revanche ni quelles relations il entretint avec le peintre espagnol, ni comment ils convinrent de leur collaboration. La plaquette, quant à elle, imprimée à Cracovie en octobre 1924, nous annonce seulement que les poèmes furent composés entre juillet et août, et les dessins en septembre.


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Exemplaire du peintre Moïse Kisling avec cet amical envoi, en polonais : Kislingowi [A Kisling] Którego kocham [que j’adore] Tadeu. 8-11-24 Tadeusz Peiper et Moïse Kisling sont nés la même année à Cracovie. Kisling s’installe à Paris, en 1910. À la déclaration de guerre, il s’engage dans la Légion étrangère, évitant ainsi de devoir s’exiler comme ses compatriotes. Il sera grièvement blessé lors de la bataille de la Somme, en 1915, ce qui lui vaudra d’être naturalisé français. Peiper a consacré à l’œuvre de Kisling un article publié en février 1922 dans la revue Nowa Sztuka [Le Nouvel Art].

Provenance : Moïse Kisling (1891-1953). Amsellem (G.), L’Imaginaire polonais, Paris, L’Harmattan, 2006, pp. 143 et 159 ; Laffont – Bompiani, Le Nouveau Dictionnaire des auteurs, Robert Laffont, Bouquins, 1994, III, pp. 2462-2463 ; Delaperrière (M.), Les Avant-Gardes polonaises et la poésie européenne, Paris, 1991, passim ; Jelenski (C.), Anthologie de la poésie polonaise, L’Age d’homme, 1981, pp. 261-263 ; Quintana (E.) & Palka (E.), Jahl y Paszkiewicz en Ultra (1921-1922). Dos Polacos en el nacimiento de la vanguardia española. RILCE, II-I, 1995, pp. 120-138 ; Branciard (L.), Art et Littérature : Paris/Madrid/Barcelone, Alicante : Biblioteca Virtual Miguel de Cervantes, 2007 ; Cooper (D.) Juan Gris. Catalogue raisonné de l’œuvre peint…, II, Berggruen, 1977, nos 462, 463 et 477.

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ZÁRRAGA (Á.)

DESSIN À LA PLUME ET AU LAVIS D’ENCRE VIOLETTE 18 avril 1925 23,9 x 15,5 cm, sous-verre. Dessin en guise d’invitation du peintre Ángel Zárraga (1886-1946) au critique d’art Gustave Kahn et à sa femme. Un Mexicain à Paris : Ángel Zárraga. Après avoir visité la Belgique, l’Italie et l’Espagne, Ángel Zárraga s’installe à Paris vers 1909, où il découvre l’art de Renoir et de Cézanne. Au Salon d’Automne de 1911, ses toiles, inspirées par le cubisme, sont remarquées et lui donnent une première reconnaissance. En 1917, Zárraga illustre de 5 compositions Profond aujourd’hui de Blaise Cendrars. Par la suite, parallèlement à une carrière de portraitiste et de peintre de nus, il développe une importante œuvre murale au caractère allégorique et décoratif qui mêle les influences du Symbolisme à celles de l’Art déco. Il exécute de nombreuses fresques, près de Versailles, au château de Vert-Cœur, ou à Paris, à la Cité universitaire internationale et à l’ambassade du Mexique… Après la débâcle de 1940, obligé de quitter Paris précipitamment avant l’arrivée des Allemands, il retourne au Mexique, où il réalise là encore de grands programmes muraux, dont celui de la cathédrale de Monterrey. Son art empreint d’un profond sentiment du sacré semble faire écho à cette prédiction d’Apollinaire, qui fut son ami : « Zárraga sera l’ange du cubisme. » Ses œuvres sont présentes dans de grands musées internationaux.

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Provenance : Gustave Kahn (1859-1936). Critique d’art, Gustave Kahn encouragea plusieurs courants artistiques d’avant-garde. Poète, il fut proche du mouvement symboliste et de La Revue blanche et publia de nombreux recueils. En outre, il fut un intellectuel engagé, participant aux importants mouvements d’idées de son temps, tels le socialisme, l’anarchisme ou le sionisme. Il prit parti pour Émile Zola lors de l’affaire Dreyfus. Proche des milieux anarchistes, il participa à cet élan culturel libertaire qu’incarnèrent aussi Félix Fénéon ou Blaise Cendrars. Ses importants textes sur l’Art l’avaient fait connaître de Zárraga, avant même que celui-ci ne vienne en France. Mais ce n’est qu’aux alentours de 1920 que les deux hommes se rencontrèrent et se lièrent d’amitié dans l’entourage du comte René Philipon (1870-1936), qui fut un important mécène du peintre et le commanditaire du décor du château de Vert-Cœur. Arambasin (N.), La conception du sacré dans la critique d’art en Europe entre 1880 et 1914, 1996, p. 287.


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COLIN (P.)

LE TUMULTE NOIR Paris, Succès, [1927] In-folio, en ff., portefeuille d’éditeur avec premier plat gaufré. Des artistes qui ont « le tonnerre dans le ventre » : La Revue nègre. En 1925, le Music-hall des Champs-Élysées programme un spectacle de danse venu de New York, La Revue nègre. Paul Colin (1892-1985) reçoit commande de l’affiche. Le rythme, le mouvement, l’art sans complexe des danseurs et danseuses, qui vont bientôt bouleverser Paris, exercent sur Colin une fascination immédiate… Parmi eux, une ensorcelante beauté : Joséphine Baker (1906-1975) ! 43 lithographies en couleurs et 2 calligrammes de Paul Colin. Avec Tumulte noir, Paul Colin rend hommage aux artistes qui, à la suite de La Revue nègre, mirent le Tout-Paris des années 1920 à l’heure des rythmes endiablés du jazz et du charleston. Au fil des planches, Colin narre l’arrivée, la réception et la fascination que la revue et sa tumultueuse étoile exercèrent sur le public parisien. Le rythme de ses compositions enlevées semble faire écho à celui des musiques, tandis que la souple silhouette suggestive de Joséphine Baker crève les planches… Mais Colin n’hésite pas aussi à saisir en satiriste la condescendance avec laquelle le public, tout en se laissant séduire, regarde cette « sauvagerie ». Son crayon alerte croque avec parfois une ironie mordante les personnalités d’alors qui se laissèrent « négriser » : Mistinguett, Maurice Chevalier, Ida Rubinstein, Suzanne Lenglen… De même ne lui échappe pas le ridicule de ces dames de la société bientôt exsangues d’avoir été happées autant par le rythme que par les corps des danseurs…

de revues, Georges Thénon, dit Rip (1886-1941), pour lequel Colin réalisa de nombreux décors et costumes, et du facsimilé d’une lettre de Joséphine Baker. En 2011, une réédition du Tumulte noir a paru chez Anthèse (imprimerie Draeger). Exemplaire sur papier vélin teinté des Papeteries Aussédat offert par Paul Colin à Max Pellequer, avec un dessin à la plume accompagné d’un envoi autographe. Neveu par alliance du financier et amateur d’art André Level (1863-1946), qui avait été le fondateur de l’association de collectionneurs La Peau de l’Ours, Max Pellequer était luimême banquier. Ami de Picasso, dont il fut le conseiller financier, il posséda plusieurs toiles de sa période bleue, parmi lesquelles La Célestine et Bibi la purée, et entretint avec lui une volumineuse correspondance (338 de ses lettres sont conservées aujourd’hui au musée Picasso à Paris). Exemplaire bien conservé. Bien que le tirage annoncé soit de 520 exemplaires dont 500 sur vélin, il est rare de rencontrer aujourd’hui cet album bien complet de toutes ses illustrations. Joint : SAUVAGE (M.), Voyages et aventures de Joséphine Baker, Paris, Éditions M. Seheur, 1931, in-12°, broché. Édition originale (?) illustrée de photographies et de nombreux dessins en noir et en couleurs. Dimensions : 495 x 332 mm. Provenance : Max Pellequer.

Les planches, directement dessinées par l’artiste sur pierre lithographique et tirées sur les presses de l’imprimerie Chachoin puis rehaussées de couleurs vives au pochoir, sont précédées d’une préface du caricaturiste et concepteur

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Pétry (C.), « Le Tumulte noir », dans Paul Colin et les spectacles, Nancy, Musées des Beaux-Arts, 1994, pp. 26-39.


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ZWEIG (S.)

LA CONFUSION DES SENTIMENTS (NOTES INTIMES DU PROFESSEUR R. DE D.) Paris, Librairie Stock, 1929 In-12°, demi-maroquin rouge à coins, dos à nerfs pincés, tête dorée, non rogné, couverture et dos ([Huser]). ÉDITION ORIGINALE de la seule traduction française. D’un cosmopolitisme humaniste et pacifiste à un exil sans issue. Stefan Zweig est né, en 1881, dans une famille juive viennoise aisée. Dès ses premiers feuilletons publiés autour de 1903, il connaît une certaine notoriété. Il parcourt l’Europe, séjourne à Berlin, Londres, Bruxelles ou Paris où il rencontre l’écrivain pacifiste Romain Rolland (1866-1844). Zweig le considérera toujours comme l’un de ses maîtres. Dans l’entre-deux-guerres, son talent, qui s’attache si bien à rendre les mouvements de l’âme et des sens comme ceux de l’histoire, s’exprime avec autant de bonheur dans des biographies, célèbres encore aujourd’hui, comme celles de Fouché ou de Marie-Antoinette, que dans des œuvres de fiction, dont il suffit de citer La Confusion des sentiments, Vingt-quatre heures de la vie d’une femme ou enfin Le Joueur d’échecs. Mais bientôt sa sensibilité extrême et son élan humaniste vers cette culture paneuropéenne qui le rapproche tant de Romain Rolland, se retrouvent aux prises avec les convulsions de l’époque : la grande lucidité avec laquelle il envisage, très tôt et contre l’avis de ses amis, les graves périls que l’avènement du nazisme, en Allemagne, fait peser sur l’Europe, et jusque sur la civilisation même, le convainc, non sans déchirements, de la nécessité de l’exil. Celui-ci, de désillusions en désespoir, d’Angleterre en Amérique, s’achèvera par son suicide, au Brésil, en 1942. Un texte dont Freud loua la description de la passion dans ce qu’elle a de troubles et de malaises mêlés. Le sujet de La Confusion des sentiments est particulièrement bien résumé en son titre. Sous la forme de souvenirs, cette longue nouvelle narre la relation complexe et passionnée qui fut celle d’un jeune homme de 19 ans avec l’un de ses professeurs. Tour à tour proche et

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distant de celui dont il est le mentor, le professeur provoque chez son jeune ami des bouleversements qui confinent aux sentiments amoureux, et qui le marqueront définitivement, bien après ce qu’il n’est pas exagéré d’appeler leur rupture. L’audace du sujet et la manière subtile avec laquelle Zweig le traita suscitèrent la vive admiration de son ami Sigmund Freud. L’œuvre connut un succès immédiat. Elle avait paru originellement à Leipzig en 1927, sous le titre Verwirrung der Gefühle dans le recueil du même nom, qui comprenait également Vingt-quatre heures de la vie d’une femme. Ces deux nouvelles fameuses parurent


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séparément, en France, la même année, traduites par Alzir Hella aidé d’Olivier Bournac. Alzir Hella (1881-1953) : « La plume française de l’œuvre de Zweig ». C’est un bien étrange parcours que celui qui, des Ardennes, devait mener cet ouvrier du livre, proche de l’anarchisme, à la traduction des ouvrages et à l’amitié chaleureuse d’un fils de grand bourgeois viennois. En 1910, militant syndicaliste, Hella a fréquenté, dans les ateliers typographiques du journal L’Anarchie à Romainville, les futurs membres de la Bande à Bonnot. Infatigable et curieux, il voyage souvent en Belgique et en Allemagne. Il apprend l’allemand. À l’issue du premier conflit mondial, il collabore, aux côtés de Romain Rolland, à l’aventure de La Revue européenne. C’est là qu’il contribuera, par ses traductions faites souvent avec l’aide d’Olivier Bournac (pseudonyme du publicitaire Louis Angé (1885-ca. 1931)), à faire découvrir, en France, la littérature allemande, tant contemporaine (Rainer Maria Rilke, Thomas Mann…) que passée (Jean-Paul Richter…). En 1929, sa traduction d’À l’Ouest rien de nouveau, le bestseller pacifiste de l’écrivain allemand Erich Maria Remarque (1898-1970), connaît un succès retentissant, qui lui vaut la notoriété. Si la rencontre avec Zweig nous reste mystérieuse, très vite celui-ci, cherchant un nouveau traducteur français, confie à Hella non seulement le soin de ses textes mais aussi celui de ses intérêts en France. La longue et très affectueuse correspondance qu’ils échangèrent jusqu’au suicide de l’écrivain, et qui reste toujours en partie inédite, témoigne de la grande amitié que Zweig avait pour l’homme et ses idéaux et de la totale confiance qu’il accordait au talent du traducteur. La Confusion des sentiments est toujours rééditée en français dans la seule traduction d’Alzir Hella et Olivier Bournac. L’un des 25 premiers exemplaires sur papier pur fil du Marais (n° 10). Sa qualité et la provenance de l’exemplaire permettent raisonnablement d’attribuer la reliure à Georges Huser. Provenance : Charles Hayoit (Cat. 30 nov.-1er déc. 2001, n° 1224, avec son ex-libris).

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LEIRIS (M.)

RITES DE CIRCONCISION NAMCHI Paris, Société des Africanistes, 1934 Grand in-8°, demi-maroquin à grains longs vert d’eau à coins, dos lisse avec titre en long, couverture, non rogné (Honnelaître). ÉDITION ORIGINALE. Extrait du Journal de la Société des Africanistes, tome IV. Il semble qu’il n’ait jamais été réédité. De mai 1931 à février 1933, la mission Dakar-Djibouti, dirigée par Marcel Griaule (1898-1956), a traversé l’Afrique de part en part et rassemblé une importante collection d’informations ethnographiques de terrain sur les peuplades africaines. Michel Leiris en était le secrétaire archiviste. Au retour de cette longue équipée, durant laquelle il a régulièrement tenu son journal de bord, Leiris le publie sous le titre L’Afrique fantôme. Par son ton, l’ouvrage fait polémique dans les milieux académiques de l’ethnologie française. Quelques mois plus tard, il livre au Journal de la Société des Africanistes un article très spécialisé : Rites de circoncision namchi. Il y décrit le rituel à caractère initiatique par lequel les jeunes hommes des tribus Namchi, âgés de 10 à 20 ans, gagneront d’accéder au statut d’adulte et pourront désormais tenir leur rôle dans la vie sociale du village. L’article reprend les quatre phases qui en constituent le cérémonial : la préparation, l’opération, la retraite et la réintégration. Il en détaille le déroulement (pratiques vestimentaires et alimentaires, danses, combats, épreuves physiques…) que ponctuent les paroles ou les chants des différents protagonistes. Le protocole en avait été recueilli, en janvier et février 1932, durant le séjour de la mission dans deux villages de cette peuplade non islamisée du Nord Cameroun.

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2 planches de photographies noir et blanc, extraites du fonds iconographique de la mission. Exemplaire d’Olga et Pablo Picasso, avec un affectueux envoi de la main de l’auteur.

L’hommage d’une ethnologie nouvelle au peintre des Demoiselles d’Avignon… Michel Leiris et Pablo Picasso se sont rencontrés, au milieu des années 20, par l’intermédiaire du marchand d’art Daniel-Henry Kahnweiler (1884-1979). Celui-ci avait été l’un des premiers marchands de Picasso avant la guerre.


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Leiris, qui fréquentait assidûment sa galerie, épousa en 1926 sa belle-fille et collaboratrice, Louise Godon (19021988). En 1941, Kahnweiler céda sa galerie à Louise Leiris, qui lui donna dès lors son nom. La relation entre Leiris et Picasso devint rapidement une vive amitié. Une mutuelle estime intellectuelle, mais aussi leur engagement et leurs communes inquiétudes politiques contribuent à les rapprocher. Dès 1926, Leiris a publié, dans Documents, sa première étude consacrée à l’œuvre de l’artiste. Pour le jeune ethnologue qui, en 1934, vient de dénoncer incidemment l’esprit très colonialiste qui règne au sein de l’ethnologie française, il n’est certainement pas indifférent que l’ami à qui il adresse ici sa plaquette soit aussi le peintre qui, en 1907, avait créé Les Demoiselles d’Avignon. En peignant cette œuvre, Picasso avait résolument secoué le joug des conventions de l’art occidental en recourant à une esthétique primitiviste née de la découverte des premières statues africaines présentes en Europe. Il avait été alors, avec Matisse, Derain et Apollinaire, parmi les premiers à voir dans ces « objets insolites » de véritables œuvres d’art. En 1938, Picasso recevant l’artiste cubain Wifredo Lam (1902-1982) dit à Leiris : « Apprends à Lam l’art nègre ! » L’ensemble des textes de Leiris consacrés à Picasso et à son œuvre sera rassemblé dans Un génie sans piédestal et autres écrits sur Picasso, publié en 1992. Provenance : Olga et Pablo Picasso. Danseuse de la troupe des Ballets russes de Serge de Diaghilev, Olga Kokhlova (1891-1955) fut la première femme de Picasso. Ils se séparèrent au milieu des années 1930. Daix (P.), Dictionnaire Picasso, Laffont, 1995, pp. 498-503, 522-524, 716-720 ; Leiris (M.), La Règle du jeu, Gallimard, La Pléiade, 2003, pp. XLIX-CI (Chronologie par Louis Yvert).

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MALRAUX (A.)

L’ESPOIR Paris, Gallimard, NRF, 1937 In-8°, maroquin janséniste lie-de-vin, dos lisse, doublure et garde de box gris, couverture et dos, tranches dorées sur témoins, chemise et étui bordés de même peau (P.-L. Martin). ÉDITION ORIGINALE. Le roman de la fraternité dans l’action, emblématique de la « littérature engagée ». André Malraux (1901-1976), qui dès 1933 milite contre le fascisme et le nazisme, s’engage en août 1936 aux côtés des troupes républicaines espagnoles contre l’insurrection franquiste. Il participe aux combats en tant que chef de l’escadrille España. Rédigé peu après les faits d’après les notes prises pendant ses mois de guerre, L’Espoir relate les débuts de la guerre civile en Espagne, du putsch militaire du général Franco jusqu’à la victoire républicaine de Guadalajara, alors que les loyalistes semblent encore pouvoir défaire les troupes nationalistes. Écrit dans l’urgence à la manière d’une chronique, ce roman « bouillonnant » aux accents lyriques, scandé en trois parties pleines de soubresauts, est moins le récit d’un drame individuel que le tableau de la guerre elle-même, dans sa totalité et sa diversité. Tout au long de ces « 600 pages de bruit et de fureur » mêlant scènes de guerre et dialogues, Malraux dresse aussi le portrait de l’engagement, celui de ses hommes, incarnés par le communiste Manuel, dont l’action collective et disciplinée seule est le corps et l’avenir de la Révolution : l’Espoir. Gide ne s’y trompa point qui écrivit à Malraux : « Vous n’avez jamais rien écrit de meilleur, ni même d’aussi bon. » « Ce livre […] parmi tous les livres parus depuis vingt ans, est celui qu’on voudrait le plus avoir vécu et avoir écrit », lisait-on sous la plume d’un critique de l’époque. Il souligne par là même que L’Espoir, à mi-chemin du roman et du reportage, est avant tout l’œuvre d’un poète et d’un combattant, d’un écrivain et d’un aventurier, d’un romancier et d’un journaliste. Rarement, en littérature, ces deux fonctions auront été aussi indissociables. Dans le

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sillage de Malraux, Hemingway et Orwell seront eux aussi, quelques mois plus tard, avec Pour qui sonne le glas et Hommage à la Catalogne, les acteurs et les témoins de la guerre civile espagnole. L’année même de sa parution, Malraux réalisa lui-même l’adaptation cinématographique de son roman. Intitulé Espoir, sierra de Teruel, le film ne sortit en salle qu’en 1945 après avoir été d’abord interdit, en 1938, à la demande de Philippe Pétain, alors ambassadeur de France auprès du régime franquiste. Exemplaire offert par l’auteur à Robert Lattès, avec un envoi. La citation célèbre de l’envoi, extraite de la préface du Temps du mépris (1935), exprime ce qui selon Malraux est la mission de l’Art. L’un des 6 premiers exemplaires sur papier de Chine (n° V). Bel exemplaire sobrement relié de maroquin janséniste par Pierre-Lucien Martin (1913-1985). Dimensions : 209 x 144 mm. Provenance : Robert Lattès (1927-2008). Agrégé de mathématiques, il rejoint la Société des mathématiques appliquées où, pour répondre aux besoins du Commissariat à l’énergie atomique en calculateurs puissants, il initie le premier « centre de calcul électronique » français. On lui doit la création du néologisme « informatique » pour désigner l’ensemble des méthodes et des techniques de traitement de l’information. Il fut membre fondateur de l’Académie des technologies. Todd (O.), André Malraux, une vie, NRF, 2001, pp. 217-279.


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PICASSO (P.)

LE DÉSIR ATTRAPÉ PAR LA QUEUE Paris, s. n., [1944] In-4° agrafé, couverture imprimée. ÉDITION ORIGINALE hors commerce de cette pièce en six actes. Fac-similé du manuscrit, illustré de quatre croquis de mise en scène et d’un autoportrait de l’auteur. Une farce ubuesque créée clandestinement sous l’Occupation nazie par l’intelligentsia parisienne. En 1941, Pablo Picasso (1881-1973) écrit une farce érotique dans la lignée des Mamelles de Tirésias d’Apollinaire. Proche de l’écriture automatique, la pièce conte les amours de Gros-Pied et de La Tarte, qui se déroulent sous la table du Sordid’s Hôtel, tournant ainsi en dérision l’atmosphère délétère de l’Occupation. Interdite par l’occupant, la pièce est cependant montée pour une lecture entre amis, le 19 mars 1944, dans l’appartement de Michel et Louise Leiris. Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Raymond Queneau ou encore Dora Maar prêtent leur voix à des personnages aux noms loufoques : GrosPied, Sa Cousine, La Tarte, Les Deux Toutous, Le Bout rond ou L’Angoisse grasse… La direction est assurée par Albert Camus et les musiques choisies par Georges Hugnet. La lecture a lieu devant un portrait de Max Jacob apporté par Picasso, comme un hommage au poète mort le 5 mars 1944 au camp de Drancy. Parmi l’assistance se trouvent notamment Jacques Lacan, Maria Casarès, Georges Braque, Valentine Hugo, Henri Michaux et Pierre Reverdy. Quelques semaines plus tard, pour remercier les participants, Picasso les réunit à nouveau, cette fois dans son atelier et Brassaï (1899-1984) réalise plusieurs portraits du groupe. La pièce, caractéristique du théâtre onirique surréaliste, retint l’attention de l’avant-garde théâtrale de la seconde moitié du XXe siècle. Elle sera créée en mars 1952 à New York par le Living Theater, en 1956 par Daniel Spoerri à

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Berne (décors d’Otto Tschumi, costumes et masques de Meret Oppenheim), puis en 1967 par Jean-Jacques Lebel et le groupe rock psychédélique anglais de Robert Wyatt, Soft Machine, à Saint-Tropez pour le IVe Festival de la LibreExpression (le maire de la ville interdit la pièce, ne voulant pas « d’une autre bataille d’Hernani ! »). La première édition dans le commerce fut publiée par Gallimard, en 1945 dans la collection Métamorphoses. Exemplaire du critique de cinéma Léon Moussinac, avec cet envoi de Picasso : Pour Mosiñak hommage de l’auteur Avec Louis Delluc (1890-1924), Léon Moussinac (1890-1964) fut l’un des précurseurs de l’histoire du cinéma en France. Écrivain engagé et membre du Parti communiste, il assure la critique cinéma au journal L’Humanité. On lui doit la première projection française du Cuirassé Potemkine d’Eisenstein en 1926. En 1932, il fonde avec Paul Vaillant-Couturier et Aragon, l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires. De 1947 à 1949, il est directeur de l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC), puis de l’École nationale supérieure des arts décoratifs (ENSAD), jusqu’en 1959. Édition tirée à petit nombre, réservée aux amis du peintre. Nous avons localisé les exemplaires de Simone de Beauvoir, Dora Maar, Tristan Tzara et Georges Hugnet, qui tous portent un envoi de Picasso au paraphe illisible. Provenance : Léon Moussinac. Daix (P.), Dictionnaire Picasso, Robert Laffont, 1995.


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CENDRARS (B.)

LA MAIN COUPÉE Paris, Denoël, 1946 In-12°, broché, couverture. ÉDITION ORIGINALE. Une vie tumultueuse… Après avoir connu l’Égypte, l’Allemagne, la Russie ou encore les États-Unis, en 1912, Blaise Cendrars (1887-1961) arrive à Paris. Sans le sou mais avec quelques textes dans ses carnets, il fréquente les anarchistes et les artistes de l’AvantGarde : Max Jacob l’appelle « le Suisse errant ». L’année suivante, en collaboration avec Sonia Delaunay, à qui Apollinaire l’a présenté, il publie La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France. Sa forte personnalité et sa verve, la hardiesse stylistique et rythmique de son long poème lui ouvrent les portes du Paris artistique. Le 2 août 1914, c’est la guerre. Aussitôt, le 3, il s’engage – étant suisse - dans la Légion étrangère. Le 28 septembre 1915, un obus lui arrache le bras droit. Mais son amputation ne lui arrache pas son envie d’écrire et de bourlinguer ! Le 16 février 1916, il est naturalisé français. Il est correspondant de guerre, grand reporter… Il reprend ses voyages qui le mènent au Brésil et, à nouveau, aux États-Unis. Il crée un ballet avec Fernand Léger et Darius Milhaud, est l’assistant d’Abel Gance au cinéma, publie de nombreux livres. Deux lui apporteront la célébrité : L’Or, en 1925, et Moravagine, en 1926. … et ses « Mémoires » décousus. Après la défaite de 1940, Cendrars s’est retiré à Aix-enProvence. À la suite d’une conversation avec un ami, il écrit quelques souvenirs revenus brusquement à sa mémoire, et, dira-t-il : « Alors, j’ai pris feu dans ma solitude… » Si rien ne semble lui être plus étranger que l’idée de rédiger un récit continu de sa vie, de ses souvenirs, repris au gré de son humeur et de sa fantaisie, allant d’une époque à une autre, de continent en continent, il compose bientôt la matière de plusieurs volumes de Mémoires. Très différents

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les uns des autres, ils paraîtront séparément : d’abord, L’Homme foudroyé, en 1945, rapidement suivi de La Main coupée, en 1946, Bourlinguer, en 1948 et, enfin, Le Lotissement du ciel, en 1949. La Main coupée est le seul des quatre textes qui se réfère à une même époque de sa vie : la Première Guerre. Campés en plein « cauchemar », ses portraits et ses anecdotes sont « une évocation extrêmement vivante et dramatique de la Grande Guerre », entre horreurs et fraternité. Dès 1918, Cendrars avait commencé une première version de La Main coupée, restée inachevée et très différente de celle qui sera publiée. La même année, il avait publié J’ai tué, dont le récit repose aussi sur sa terrible expérience de la guerre. Sur le faux-titre, Cendrars a porté un émouvant envoi autographe à Raymone Duchâteau. Alors qu’il est marié à Féla Poznanska, Cendrars rencontre à Paris, en 1917, la comédienne Raymone Duchâteau (1896-1986). Elle sera dès lors l’indéfectible amie, celle qu’il nomme son « amour mystique ». Devenu veuf en 1943, il l’épouse en 1949. L’Hôtel des Deux Mondes se trouvait au n° 22 de l’avenue


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de l’Opéra. Il fut fermé dans les années 1940. En 1924, Scott Fitzgerald y écrivit Gatsby le Magnifique. Sont joints : • un portrait photographique de Blaise Cendrars assis, en uniforme du régiment de marche de la Légion étrangère, portant ses décorations (médaille militaire et croix de guerre avec palmes). Au dos, on lit la mention manuscrite autographe « Dimanche de Pâques 1916 » : quelques mois à peine après son amputation du bras droit. Il est alors correspondant de guerre.

Tirage argentique d’époque, sur papier Kodak, 160 x 116 mm (3 angles écornés). Il remplace la même photographie imprimée, présente dans l’édition, et qui, ici, a été soigneusement enlevée. • un billet tapuscrit signé d’André Malraux (1901-1976) à Cendrars, daté du 30 octobre [1958], dans lequel il demande à être informé d’une date par l’éditeur Denoël, afin qu’il soit « assuré de n’avoir pas de Conseil ». À la fin de 1958, Cendrars est fait commandeur de la Légion d’honneur par Malraux qui est alors, depuis juin, ministre délégué à la présidence du Conseil, avant d’être nommé au ministère des Affaires culturelles, en 1959. Exemplaire sur papier d’édition. Provenance : Raymone Cendrars.

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PICASSO (P.) - PÉTRARQUE

CINQ SONNETS Paris, À La Fontaine de Vaucluse, 1947 In-4°, en ff., couverture. Recueil de 5 sonnets extraits du Canzonière, dans une traduction d’Aragon. Une eau-forte, Tête de femme-Françoise, est placée en frontispice. Elle a été gravée à Paris en 1945. Exemplaire offert par Picasso à Max Pellequer, enrichi d’un dessin original au stylo à bille de l’artiste, Femme de profil, daté 11/6/49, et d’un envoi autographe d’Aragon. Édition limitée à 110 exemplaires, tous sur vélin d’Arches et numérotés à la main par le traducteur.

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Chacun d’entre eux porte en lieu et place de la signature, un proverbe manuscrit d’Aragon ; ici, Au parler ange, au faire change. Dimensions : 327 x 246 mm. Provenance : Max Pellequer, neveu par alliance d’André Level, ami banquier et collectionneur de Picasso (cf n° 47). Cramer, Pablo Picasso, Les livres illustrés, n° 47 ; BaierGeiser, III, 698.


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LUCIEN DE SAMOSATE - LAURENS (H.)

LOUKIOS OU L’ÂNE… Paris, Tériade, 1947 In-4°, maroquin citron, plats et dos ornés de pièces de box et de maroquin gris aux formes aiguës, rehaussés d’un travail de filets dorés, doublure et gardes de daim gris, couverture et dos, tranches dorées, chemise et étui gainés de maroquin noir (P.-L. Martin, 1952). Deuxième volet de la trilogie publiée par Tériade avec Henri Laurens comme illustrateur. Henri Laurens (1885-1954) et Tériade (1897-1983). L’éditeur grec éprouvait une véritable amitié pour cet artiste d’une parfaite intégrité. Cette relation amena Tériade à lui proposer de participer à la réalisation de ces trois livres apparentés autant par le choix des textes – trois auteurs de l’Antiquité grecque – que par la technique d’illustration retenue : la gravure sur bois, dont c’est la seule apparition dans l’aventure éditoriale de Tériade. Traduction d’Émile Chambry. Lucien de Samosate (ca. 125-ca. 192), natif de Syrie, narre sur le ton de la fable les aventures d’un homme transformé en âne par sa maîtresse magicienne. 66 bois originaux d’Henri Laurens, dont 23 à pleine page. Le texte inspira à Laurens une « suite d’illustrations délicieuses, tracées comme en se jouant, et pleines d’humour (cet humour léger qui se manifestait déjà dans

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ses eaux-fortes exécutées en 1921 […] pour […] Les Pélicans). Le parti adopté par Laurens ici est tout différent : toujours la gravure sur bois, mais un graphisme très libre, en noir et blanc, un trait capricieux et bondissant pour décrire l’âne et ses parcours amoureux. » La typographie, l’impression du texte et des illustrations sont l’œuvre de Pierre Bouchet. Les ornements typographiques, tirés à l’or, sont un travail de sculpteur. L’un des 40 premiers exemplaires, comportant une suite à part, sur papier de Chine, de toutes les illustrations ; celle-ci, signée par l’artiste. Précieux exemplaire comportant 4 dessins originaux, au format des illustrations, monogrammés H.L. par l’artiste. Ce sont des études préparatoires pour les bois, mais toutes n’ont pas été retenues : - « Groupe de trois chiens ». 98 x 140 mm. Dessin inversé par rapport à la gravure de la page 31.


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- « Homme de dos ». 140 x 84 mm. Projet non retenu. - « Femme accoudée ». 178 x 94 mm. Ce dessin, caractéristique de la manière du sculpteur, présente des variantes avec le résultat final, p. 78. - « Homme couronné de lauriers ». 226 x 165 mm. Il correspond au dernier bois du volume, p. 93. Reliure de l’époque de P.-L. Martin (1913-1985), qui reprend le motif des ombres obtenues par un système de hachures, procédé employé par Laurens tout au long du livre. En 1950, Martin relia l’exemplaire de la Bibliothèque nationale.

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Édition limitée à 250 exemplaires, tous sur vélin d’Arches pur fil. Dimensions : 292 x 210 mm. Provenance : Vente anonyme (Cat., 1991, n° 110) ; OrtizPatiño (Cat., 1998, n° 172). […], Tériade, Les Livres de peintres, Musée Matisse, 2003, p. 94 ; Berès (A.) et Arveiller (M.), Henri Laurens, 1885-1984, n° 153 (cet exemplaire).


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LÉVI-STRAUSS (C.)

LA VIE FAMILIALE ET SOCIALE DES INDIENS NAMBIKWARA. THÈSE COMPLÉMENTAIRE PRÉSENTÉE À LA FACULTÉ DES LETTRES DE L’UNIVERSITÉ DE PARIS Paris, Musée de l’Homme, Société des américanistes, 1948 Grand in-8°, broché, non coupé, couverture imprimée. ÉDITION ORIGINALE. La première publication ethnographique du père du structuralisme anthropologique. Tout juste agrégé de philosophie, Claude Lévi-Strauss (1908-2009) se voit proposer en 1935 de rejoindre la mission universitaire française au Brésil en tant qu’enseignant en sociologie. Cette nomination va décider de sa carrière. Lors de son séjour, qui dure jusqu’en 1939, il dirige avec sa première épouse plusieurs enquêtes de terrain dans le Mato Grosso et en Amazonie. Celle de 1938 le mène chez les Indiens Nambikwara. Elle est l’occasion de réunir une riche documentation ainsi qu’environ 200 photographies qui seront le matériau de ce travail. Après une présentation géographique et historique, l’auteur décrit et analyse d’abord les règles qui régissent les relations au sein des groupes familiaux (sexualité, liens parent-enfant, organisation de l’espace d’habitation…), puis celles de la vie sociale (hiérarchie, guerre, commerce, croyances et magie…). Enfin, il tente de synthétiser la psychologie de ces populations semi-nomades (rapport à l’environnement, saisons et jours, nombres, couleurs…). Une approche linguistique étaye l’ensemble de l’étude, LéviStrauss transcrivant tout au long des chapitres les expressions qui manifestent l’organisation physique et psychologique de la société Nambikwara.

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Les observations et les conclusions de ce travail resserviront une première fois pour la thèse, Les Structures de la parenté, que l’ethnologue soutiendra en 1949. Puis il les réutilisera dans son célèbre Tristes Tropiques, paru chez Plon en 1955, qui révèlera son auteur au grand public, fera découvrir l’existence de cette peuplade indigène de l’Amazonie et initiera l’application du structuralisme aux sciences humaines. Joint : Bulletin de convocation de la Faculté des Lettres de l’Université de Paris pour la soutenance de thèse établi au nom de Claude Lévi-Strauss. L’exemplaire est placé dans une chemise et un étui de Devauchelle. Dimensions : 277 x 185 mm.


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CENDRARS (B.) - DOISNEAU (R.)

LA BANLIEUE DE PARIS Lausanne, Éditions de Clairefontaine [La Guilde du Livre], 1949 In-4°, cartonnage imprimé d’éditeur. MAQUETTE DE L’ÉDITION ORIGINALE, telle qu’elle fut publiée par la Guilde du Livre. Les pages de texte (faux-titre et titre compris) sont constituées de 55 feuillets d’épreuves imprimés sur le seul recto, suivis des photos. Les dernières pages qui, dans les éditions Seghers et La Guilde, comportent la table des illustrations et l’achevé d’imprimer ne sont pas présentes ici. Le dos du cartonnage est resté muet. Une Banlieue de Paris née sous le soleil de Provence. En octobre 1945, à la demande de Maximilien Vox (18941974), directeur littéraire aux éditions Denoël où paraît L’Homme foudroyé de Blaise Cendrars, Robert Doisneau (1912-1994), jeune photographe méconnu, se rend à Aixen-Provence pour réaliser une série de portraits de l’écrivain. La sympathie est immédiate. Quelques jours après son retour à Paris, Doisneau envoie quelques travaux (Montrouge, la Porte d’Orléans, les fortifs…) à l’auteur de L’Or qui s’enthousiasme et propose bientôt d’en faire un livre. Il écrira le texte et son nom aidera à trouver un éditeur. Un éditeur… il y en aura deux ! C’est d’abord Pierre Seghers (1906-1987) qui accepte de le publier dans sa jeune maison toute dédiée à la poésie. Mais le coût de l’impression des 130 photographies est élevé. Il sera réduit par une édition hors commerce proposée simultanément aux membres de la Guilde du Livre, fondée à Lausanne en 1936 par Albert Mermoud. Un monument de la photographie humaniste : 130 photographies de Robert Doisneau. La genèse de La Banlieue de Paris donne lieu à un véritable dialogue entre l’écrivain et le photographe. Si Doisneau réutilise quelques clichés déjà publiés dans la revue Regards

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(les usines Renault, l’usine à gaz d’Aubervilliers…), d’autres sont pris sous la direction même de Cendrars qui n’hésite pas non plus à leur adapter son texte. En mars 1949, celuici écrit : « Les photos priment et je m’en inspirerai pour écrire. Il faut que cet album soit votre livre à vous. Vous avez du génie. Compris ? » Le « style brutal et rugueux » de Cendrars paraît par sa noirceur s’opposer aux images de Doisneau. Mais si le regard du photographe est affectueux, il n’en est pas moins réaliste : il condamne lui aussi la vétusté, fût-elle pittoresque, pour exalter l’espoir en l’avenir. Contrairement au regard rétrospectif porté généralement sur cet ouvrage, Doisneau n’est pas tourné vers le passé, il témoigne de cet élan du pays qui, se relevant de la guerre, aborde confiant la modernité des Trente Glorieuses. La maquette fut offerte par Cendrars et les éditeurs à Raymone Duchâteau : Pour Raymone, cette maquette / au nom de jeune fille, l’éditeur et ami Seghers l’autre éditeur / & ami pour la charmante Raymone qui a illuminé le Signal, sa maison / suisse Alb. Mermoud 12. 10. 49 et le troisième éditeur / et ami, saint Benoît Labre, sous les yeux de qui j’ai écrit / La Banlieue de Paris pour que nous puissions prendre le / train pour Sigriswil. Blaise / Lausanne, le 13 octobre 1949.


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Le 27 octobre 1949, à Sigriswil, dans l’Oberland bernois d’où sa famille est originaire, Cendrars épouse Raymone Duchâteau (1896-1986), son « amour mystique », rencontrée en 1917 à Paris. Quelques jours auparavant, à Lausanne, le couple est reçu, en compagnie de Pierre Seghers, par Albert Mermoud. À la veille de la parution simultanée des éditions suisse et française, Cendrars et ses deux éditeurs font l’hommage d’un exemplaire de travail à celle qui va devenir la nouvelle madame Cendrars. Il n’est pas anodin que Cendrars, le bourlingueur, place son affectueuse dédicace sous le signe de saint Benoît Labre (1748-1783), le vagabond de Dieu, l’un des saints emblématiques auxquels il est attaché. Il pensera longtemps lui consacrer un livre.

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Dimensions : 233 x 173 mm. Provenance : Raymone Cendrars. Cendrars (M.), Blaise Cendrars, Balland, 1984, pp. 766-787 ; Cendrars (B.), Œuvres complètes, 12, Denoël, 2005, pp. 359441 et 479-486 ; […], La Photographie humaniste, 1945-1968, BNF, 2006, pp. 67-71 ; Desachy (E.) et Mandery (G.), La Guilde du livre, les albums photographiques, Lausanne – 1941-1977, Les Yeux ouverts, 2012, pp. 7 et 1821 ; Parr-Badger, The Photobook : A History, I, pp. 187 et 201 (« Doisneau’s best book » ; éditions Seghers) ; Roth (A.), The Book of 101 Books, pp. 132-133 (Éditions Seghers) ; Sinibaldi-Couturier, Regards sur un siècle de photographie à travers le livre, 1996, n° 94 (« jaquette repliée illustrée (photomontage) uniquement pour l’édition parisienne »).


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CENDRARS (B.) - DOISNEAU (R.)

LA BANLIEUE DE PARIS Paris, Pierre Seghers, 1949 In-4°, cartonnage, jaquette illustrée d’éditeur. ÉDITION ORIGINALE, publiée simultanément à Lausanne et à Paris. Texte de Blaise Cendrars.

proviennent de ses reportages pour le magazine Regards : les usines Renault et de gaz d’Aubervilliers, le mariage sur les bords de la Marne. La plupart furent réalisées pour le livre.

130 photographies de Doisneau, dont quelques-unes

Exemplaire bien conservé.

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ROSKOLENKO (H.) - ZAO WOU-KI

PARIS POEMS. LITHOGRAPHS BY ZAO WOU-KI Paris, Éditions Euros, 1950 In-4° en feuilles, couverture à rabats, chemise et étui d’éditeur. ÉDITION ORIGINALE. An American in Paris. Romancier, poète et journaliste américain, Harry Roskolenko (1907-1980) a publié plusieurs livres de littérature de voyage, tels que Poet on a scooter ou White Man Go ! Souvent qualifié d’écrivain gauchiste, il est aussi l’auteur de Black is a Man, une fiction fantastique dénonçant le racisme, parue en 1954, un an avant les premières manifestations de l’African-American Civil Rights Movement. Originaire du ghetto juif new-yorkais, autodidacte, il a exercé diverses activités (posant même, vers 1934, pour la fresque que Diego Rivera a peinte au Rockefeller Center) avant de s’engager dans l’US Army, en 1942. Basé dans le Pacifique sud, il fréquente alors plusieurs mouvements poétiques australiens et publie deux recueils de poèmes. Après la guerre, il retrouve à New York l’artiste japonais Foujita, dont il avait fait la connaissance à Paris, dans les années 30, et qu’il aide à reprendre pied aux États-Unis après les désordres du conflit. Il collabore également, aux côtés d’André Frénaud, Robert Lebel ou encore Pierre Seghers, à la revue bilingue Hémisphère, éditée à New York. En 1949, il est à nouveau à Paris, correspondant free-lance pour plusieurs magazines américains. D’après ses archives, déposées à la Syracuse University Library (NY, USA), les textes du recueil Paris Poems furent composés pendant les premiers mois de 1950. Nous ne savons ni quand ni comment il rencontra Zao Wou-Ki. 6 lithographies par Zao Wou-Ki. Tout jeune professeur, curieux de l’art occidental et admirateur de Picasso et de Matisse, Zao Wou-Ki fait la connaissance, en 1946, de l’attaché culturel français en Chine, Vadime Elisseeff. Celui-ci acquiert une vingtaine de ses œuvres qu’il fait exposer cette même année à Paris et incite fortement l’artiste à se

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rendre en France. Il y arrive en 1948. Dans le foisonnement culturel parisien de l’après-guerre, où il rencontre Giacometti, Riopelle, de Staël, Vieira da Silva ou encore Michaux, Zao WouKi va bientôt « se saisir de sa propre voix ». C’est en 1949 qu’auprès de l’artiste américain Henri Goetz, Zao Wou-Ki s’initie aux techniques de l’eau-forte. Parallèlement, il s’essaie avec bonheur à la lithographie chez l’imprimeur Edmond Desjobert. Elisseeff le présente alors à M. Chou-Ling, président des Artistes chinois à Paris et directeur des Éditions Euros. Y paraîtront ses deux premiers ouvrages, dont les planches seront tirées sur les presses de Desjobert. Une alchimie technique et poétique entre Orient et Occident. Issu d’une longue dynastie de lettrés, Zao Wou-Ki ne pouvait être que sensible à la relation que l’image noue avec le poème. Parmi les six lithographies du livre, dont deux sont en couleurs, plusieurs se rapprochent des œuvres encore figuratives que Zao peint dans ces mêmes années. On y retrouve les grands plans monochromes constellés de taches sur lesquels il installe des paysages et des personnages schématiques qu’il traite à la manière de graffiti. À rebours de la technique classique de la lithographie, l’artiste délaye beaucoup ses couleurs, son trait qui diffuse souvent rappelle l’encre de Chine ou l’aquarelle. Une seule des six estampes se détache résolument de cette manière : sur un fond vert réservé d’une grande trouée de blanc très lumineuse, se détache, vivement, un chat noir aux yeux hypnotiques, comme électrisé par la présence d’un plat de poissons « incisé » dans la couleur. Chats et poissons reviennent plusieurs fois dans l’œuvre de l’artiste à cette époque, ainsi Les Deux Poissons (eau-forte et aquatinte, 1949) ou Le Chat (eau-forte, 1950).


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Exemplaire de Vivian Campbell, avec un double envoi de l’auteur (non signé) et de l’artiste :

Tirage à 99 exemplaires sur Auvergne Richard de Bas. Provenance : Vivian Campbell.

To Vivian Campbell With affection, June 19, 1950 Paris

À Vivian Campbell avec les hommages de Zao Wou-Ki [en caractères chinois] Paris le 21 juin 1950.

Vivian Campbell était une poétesse américaine, proche amie de Harry Roskolenko. On leur connaît une abondante correspondance entre les années 1940 et 1947. Elle a publié, en 1947, A Christmas Anthology of Poetry and Painting.

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Ågerup (J.), Zao Wou-Ki. The Graphic Work. A Catalogue Raisonné, 1937-1995, Skørping, 1994, nos 42-47 ; Villepin (D. de), Zao Wou-Ki, 1935-2008, Flammarion, 2009, pp. 941, 66-67, 104, 347-366, 382-383 ; […]. Zao Wou-Ki. Estampes et livres illustrés, BNF, 2008, pp. 10-11, 19-20, 130 et 139, pl. 4 et 9.


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DURAS (M.)

LE MARIN DE GIBRALTAR Paris, Gallimard, 1952 In-12°, broché, couverture imprimée de l’éditeur. ÉDITION ORIGINALE. Dans ce quatrième roman, Marguerite Duras narre l’errance d’un homme qui veut changer d’existence. Ayant quitté sa femme et son emploi pour s’engager sur un bateau, il rencontre une femme qui fait le tour du monde à la recherche du marin de Gibraltar, un homme qu’elle a aimé et qui a disparu. Tous deux deviennent amants et partent ensemble en quête du marin, de Sète à Tanger et jusqu’au Congo. De facture romanesque encore classique, Le Marin de Gibraltar met en scène les principaux thèmes de l’écriture de Marguerite Duras : la quête impossible de l’amour perdu, la séparation, l’absence, les non-dits, les silences, l’errance, l’attirance pour l’élément marin… Tony Richardson en réalisera, en 1967, une adaptation cinématographique. Exemplaire du service de presse, comportant un envoi autographe signé. Hypocrite ou ironique, la formule mérite d’être relevée : il semble bien qu’à aucun moment de sa vie Duras n’ait ressenti quoi que ce soit comme de l’amitié pour l’intellectuel français le plus en vue de l’époque. Même, on sait que Duras et Simone de Beauvoir se détestaient pour avoir eu le même amant en la personne de Jacques-Laurent Bost, mais aussi parce que l’œuvre de chacune déplaisait à l’autre. L’hostilité de la compagne de Sartre vaudra notamment à Duras le refus que celui-ci lui opposa quand elle voulut publier dans Les Temps modernes. Mais si elle détestait Beauvoir, elle était loin également de ressentir de l’amitié pour Sartre. Laure Adler écrit même que « tant sur

le plan philosophique qu’amical, ses sentiments envers Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir ne furent jamais tendres… ». Quant à Bernard Sarrut, il dit de Duras, qu’il connaissait bien : « Elle déteste Sartre. Elle dit que ce n’est pas un écrivain. C’est un journaliste, un homme politique, un démontreur de thèse, il est tout sauf ça : un écrivain. » Après la mort de Sartre, Duras déclara même à la télévision : « Des gens très très célèbres, pour moi, n’ont pas écrit. Sartre, il n’a pas écrit. Pour moi, il n’a pas su ce que c’était, écrire. » (Apostrophes) Il y a pourtant davantage dans cet envoi qu’une formule forcée d’un écrivain à ses débuts s’adressant à celui qui devenait alors le maître à penser de la France. Non seulement Sartre et Duras passeront leur vie à se croiser – dans le « Comité des intellectuels contre la poursuite de la guerre », en Algérie, en 1955, autour du journal La Cause du peuple, en 1968 et dans divers manifestes et assemblées –, mais certains critiques ont même mis en avant une atmosphère sartrienne dans les premiers écrits de Duras, et surtout dans Le Marin de Gibraltar (liée peut-être à leur goût commun pour le roman américain). Car c’est avant tout le rôle que Sartre assignait à l’écriture, un rôle théorique ou idéologique selon Marguerite Duras, qu’elle lui reprocha toujours – elle qui considérait sa propre écriture comme un agent de dissipation et préférait être un « maître à dépenser » plutôt qu’un maître à penser. Adler (L.), Marguerite Duras, Paris, Gallimard, 1998, p. 178 ; Sarrut (B.), Marguerite Duras à contre-jour, 2005, p. 88 ; émission Apostrophes, présentée par Bernard Pivot, diffusée le 28 septembre 1984, sur Antenne 2.

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PICASSO (P.) - MONLUC (Adrian de…, dit Guillaume de Vaux)

LA MAIGRE Paris, Le Degré Quarante et Un, 1952 In-folio, en feuilles, couverture de parchemin illustrée, couverture de papier fibre imprimée, enveloppe de parchemin. La rencontre passionnée d’Iliazd (1894-1975) avec Adrian de Monluc et son époque. Ce récit satirique appartient à un ensemble plus important, Jeux inconnus, écrit, sous le pseudonyme de Guillaume de Vaux, par Adrien de Monluc (1571-1646), comte de Cramail et petit-fils du célèbre auteur des Commentaires, Blaise de Monluc (1500 ?-1577). Iliazd le découvrit par hasard chez un bouquiniste en 1941. La verdeur du style l’avait tout autant séduit que le tempérament de l’écrivain gascon. Ce dernier, à la fois littérateur, danseur de cour et homme de guerre, fut longtemps emprisonné par Richelieu en raison de ses sympathies pour la cause espagnole. Il s’agit, avec Le Courtisan grotesque, de l’une des deux histoires choisies par l’éditeur pour être publiées. Une révolution typographique. Avec cet ouvrage, Iliazd inaugura « l’emploi des espaces variables intercalés entre les lettres ». Dans une lettre à Étienne Dennery, il écrira : « Pour appliquer mes déductions à La Maigre, j’ai choisi les majuscules d’un caractère des plus banals […] et par le moyen des espaces variables, j’ai sublimé la typographie. C’est à La Maigre que l’on doit […] l’aspect clair des livres illustrés d’aujourd’hui. » Par la suite, il devait appliquer à l’ensemble de sa production ce principe destiné à « équilibrer les lettres et [à] alléger les lignes ».

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10 pointes-sèches de Picasso. L’artiste, qui avait accepté le projet mais tardait à l’entreprendre, se mit immédiatement au travail après la lecture du manuscrit. Il acheva les gravures le 13 avril 1951 à Vallauris. L’illustration, parfaitement intégrée au texte, joue sur deux formats différents, le diptyque et la frise, alternant régulièrement. Les premiers s’attachent surtout à décrire des figures, dont celle de la maigre demoiselle, les seconds présentent des scènes de joutes et de chevalerie. L’un des 52 exemplaires sur papier de Chine (n° 8). Sont joints : - l’invitation pour l’exposition à la galerie Bignou, à Paris, où La Maigre fut exposée du 27 au 30 mai 1952. - le prospectus annonçant la parution de Discours de la Maigre et de Cramail. Tirage limité à 74 exemplaires, tous signés par l’auteur et l’artiste, celui-ci au crayon rouge. Dimensions : 430 x 260 mm. Cramer, Pablo Picasso, Les Livres illustrés, n° 63 ; GeiserBaer, IV , nos 877-886 ; Lionel-Marie (A.) et Chapon (F.), Iliazd, Centre Georges Pompidou, 1978, pp. 68, 113-114.


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DE CARAVA (R.) - HUGUES (L.)

THE SWEET FLYPAPER OF LIFE New York, Simon and Schuster, 1955 In-8°, plats de papier, dos de toile blanche avec titre en long, jaquette illustrée et imprimée à rabats (reliure d’éditeur). ÉDITION ORIGINALE. Texte de Langston Hugues (1902-1967), grand poète, prosateur et dramaturge noir, principal artisan de la Harlem Renaissance, c’est-à-dire du renouveau des lettres noires dans les années vingt à New York. Il accepta de collaborer au projet du photographe Roy de Cavara, très attaché à Harlem, et qui venait, après plusieurs démarches, de trouver un éditeur pour le livre. Partant des images, Langston Hugues rédigea un texte purement fictif et s’occupa également de la mise en pages. En rupture avec les traditionnels reportages photographiques des années 30, ce mélange de faits (photographie) et de fiction (texte) relève plutôt du beeldroman, roman-photo hollandais. Telle une enseigne de ce nouveau rapport entre texte et photographie, l’étonnante couverture présente une image et les premières lignes du récit, qui se poursuit page 3. Cette fiction-reportage, s’opposant au documentaire social alors en vogue, obtint un grand succès, les deux auteurs ayant délibérément choisi de montrer les aspects positifs du style de vie de leurs congénères, saisis dans leur vie de famille, leurs moments d’intimité et de partage : « We’ve had so many books about how bad life is », dit Langston Hugues, « Maybe it’s time to have one showing how good it is. » L’ouvrage fut couronné de deux prix, et connut de nombreuses rééditions. 141 photographies en noir et blanc de Roy De Carava (1919- ?). Il fut le premier photographe américain noir à recevoir le Guggenheim Fellowship en 1953, pour ces travaux sur Harlem. Avec ceux consacrés au jazz, ils constituent son œuvre majeure.

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Un des rares exemplaires reliés en cartonnage dur, avec sa jaquette illustrée, présentant ici les habituels petits défauts. Dimensions : 187 x 130 mm. Parr (M.) – Badger (G.), The Photobook, A History, I, p. 242 ; Roth (A.), The Book of 101 Books, pp. 138-139.


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DEBORD (G.) - JORN (A.)

FIN DE COPENHAGUE. CONSEILLER TECHNIQUE POUR LE DÉTOURNEMENT G.-E. DEBORD Copenhague, Le Bauhaus imaginiste, 1957 In-8°, broché, couverture de carton bleu-gris ayant servi de flan pour le clichage d’un journal danois, chemise et étui. ÉDITION ORIGINALE.

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Exemplaire offert par Maud Grotte (?) à Jørgen Nash :

Avec Mémoires, Fin de Copenhague peut être considéré comme l’un des livres réellement révolutionnaires du XXe siècle. Les deux ouvrages ne sont pas seulement les témoins de l’amitié entre les plus importants fondateurs de l’Internationale situationniste mais ils annoncent déjà les futures interventions de ce groupe ultra-radical.

26/12/86 Vœux d’un Joyeux Noël pour mon ami Jørgen, Je te veux côte d’agneau et pas vieille carne Maud Grotte.

16 compositions en couleurs sur double page et collages de textes imprimés en offset. « De 1948 à 1957, des écrivains et des artistes européens venant du surréalisme, de Cobra, ou de la gauche lettriste, se constituèrent en groupe, animèrent des revues (Potlatch, de 1954 à 1957), publièrent des textes en vue d’une révolution moins politique que culturelle. Ce mouvement aboutit en 1957 à la création de l’Internationale situationniste, dont Guy Debord et Asger Jorn furent les membres les plus influents et, dans leur domaine respectif, les théoriciens. Peu avant la fondation de l’Internationale, ils réalisèrent ensemble Fin de Copenhague. Constitué, pour le texte, de collages de coupures de journaux, cet « essai d’écriture détournée » à partir des mythologies véhiculées par la publicité et par la presse peut être vu également comme un livre de peintre, le premier sans doute entièrement imprimé en offset. Deux ans plus tard Guy Debord et Asger Jorn publièrent ensemble chez le même imprimeur Mémoires, qui est aussi intéressant et novateur. » Peu après la parution de Fin de Copenhague et de Mémoires, le Pop’art tira profit des créations de Jorn et de Debord.

Frère d’Asger Jorn, Jørgen Nash (1920-2004), également peintre, participa au mouvement Cobra. Ses œuvres sont présentes dans les collections des plus grands musées d’art moderne. Exemplaire signé par Debord et Jorn, et justifié. Édition limitée à 200 exemplaires, tous sur le même papier, normalement signés par Asger Jorn et Guy Debord au bas de la dernière page et pouvant être justifiés à la mine de plomb au-dessus du colophon. Provenance : Jørgen Nash. Berreby (G.), Documents relatifs à la fondation de l’Internationale situationniste, 1948-1957, pp. 553-592 ; Coron (A.), 50 livres illustrés depuis 1947, n° 19 ; Berreby (G.), Fin de Copenhague, 2001 ; Peyré (Y.), Peinture et poésie, Le dialogue par le livre, pp. 159-161 et p. 243, n° 70 (« Debord et Jorn possèdent à un haut degré ce qui pour nous est l’essentiel, cette propension au génie qui emporte. Fin de Copenhague transperce l’instant et la durée en 1957 : une onde nouvelle commence à courir »).


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MICHAUX (H.)

LA PSILOCYBINE (EXPÉRIENCES ET AUTOCRITIQUE) [Paris, Les] Lettres nouvelles, n° 35, [23 décembre 1959] In-8°, agrafé, couverture imprimée. ÉDITION ORIGINALE. Lorsqu’en 1961, dans Connaissance par les gouffres, dont La Psilocybine constituera le deuxième chapitre, Henri Michaux inscrit en épigraphe : « Les drogues nous ennuient avec leur paradis. Qu’elles nous donnent plutôt un peu de savoir. Nous ne sommes pas un siècle à paradis », il entend prendre en quelque sorte le contre-pied des Paradis artificiels que Baudelaire avait révélés à ses contemporains tout juste un siècle auparavant. En effet, si à partir de 1955, Henri Michaux entreprit de suivre un cheminement qui, pendant plus de dix années, l’amena à la consommation régulière de substances hallucinogènes, telle la mescaline (découverte à la fin du XIXe siècle), l’usage de ces « énergies rebelles » n’est en rien, comme l’écrit Jean-Michel Maulpoix, une échappatoire. Il s’inscrit bien, au contraire, dans une volonté délibérée de « parcourir de bout en bout, sans fin, sans honte [… la] médiocre condition humaine ». Pour le voyageur mobile et immobile que fut Michaux, il s’agit encore et toujours de « se parcourir » en un voyage intérieur dont le parcours n’est jamais autre que celui qu’il cherche par la création même et qu’il tente scrupuleusement de rendre par elle, quand bien même l’écriture ne reste pour lui au pire qu’une « tricherie », au mieux une « traduction ». Sa quête se double d’une enquête qu’il mène de manière quasi scientifique, sous la forme d’auto-expérimentations qu’il consigne, analyse et critique, se rapprochant ainsi des expériences auxquelles Alfred Hofmann (1906-2008) se soumit lui-même lorsqu’en 1938 il découvrit le LSD. C’est d’ailleurs ce même chimiste suisse qui vient tout juste, en 1958, d’isoler la psilocybine (principe actif issu du champignon psilocybe mexicana) à partir d’échantillons cultivés, à Paris, par le Pr Roger Heim (1900-1979). En contact, depuis quelque temps, avec Heim qui venait de

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faire paraître et de lui adresser Les Champignons hallucinogènes du Mexique, Michaux n’attend pas longtemps avant de lui demander qu’il l’admette dans le « cercle expérimental » mis en place en avril 1959, à SainteAnne. La première expérience, trop encadrée, est décevante pour Michaux ; mais dès mars, il écrit à Jean Paulhan : « La fameuse psilocybine enfin essayée m’a roulé dans un autre gouffre, qui m’a obligé à repenser. Toujours à repenser. » N’était-ce pas là le cœur de son mouvement de savoir ? L’un des 30 exemplaires de ce tiré à part, à pagination séparée, des Lettres nouvelles. Exemplaire de Maurice Saillet, fondateur, en 1953 avec Maurice Nadeau, de cette revue, avec un bref et amusant envoi autographe. Dès 1924, Henri Michaux fréquente la Maison des amis des livres, la librairie d’Adrienne Monnier, qui est bientôt l’une des premières personnes à soutenir tant l’œuvre que l’écrivain lui-même. Au début des années trente, il y participe au lancement de la revue Mesures. C’est là très certainement qu’il rencontrera quelques années plus tard, le jeune Maurice Saillet (1914-1990), alors assistant d’Adrienne Monnier et qui deviendra par la suite son associé. L’amitié profonde qui liera les deux hommes prit sans doute naissance dans le climat chaleureux et bouillonnant de la librairie de la rue de l’Odéon. À partir de 1942 (et ce jusqu’en 1980), Saillet entretient avec Michaux – alors interdit de séjour parisien par l’autorité d’occupation – une correspondance régulière. Il n’hésitera pas, en juin de la même année, à en venir aux mains pour défendre les œuvres de son ami, lors d’une exposition consacrée à celles-ci, à Paris. De même, critique littéraire au Mercure de France, Maurice Saillet lui demande


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à de nombreuses reprises des œuvres pour illustrer les différentes revues auxquelles il collabore et s’enthousiasme vivement pour elles dans ses articles. Auteur de nombreux commentaires sur l’œuvre d’Alfred Jarry, Maurice Saillet sera l’un des premiers satrapes du Collège de pataphysique – qui lui doit son nom, dit-on –, dès sa fondation en mai 1948, dans les murs mêmes de la librairie de la rue de l’Odéon. Notre exemplaire, à l’état de neuf, présente également de nombreuses corrections autographes, dont quelques-unes, en particulier celles relativement importantes de la page 13, seront reprises dans l’édition définitive de Connaissance par les gouffres. En revanche, page 16, alors que le texte de notre exemplaire s’arrête après « J’ai essayé de réfléchir pourquoi », trois

paragraphes nouveaux le poursuivront dans les versions ultérieures, et ce dès la parution dans Les Cahiers de la tour Saint-Jacques, au début 1960. Provenance : Maurice Saillet. Coll., Henri Michaux, L’Herne, 1983 (2e éd.), passim ; coll. sous la dir. de J.-M. Maulpoix, Henri Michaux. Peindre, composer, écrire, BNF/Gallimard, 1999, pp. 147-193, 244 ; De Sadeleer (P.), Bibliothèque littéraire R. Moureau et M. de Bellefroi, II, Paris, 10 déc. 2004, n° 472 - qui indique « impression assez fautive (des exemplaires ont été corrigés par l’auteur) » ; Michaux (H.), Œuvres complètes, III, Gallimard, La Pléiade, 2004, pp. 1-161 et 1468-1511 ; Martin (J.-P.), Henri Michaux, Gallimard, 2003, passim ; Murat (L.), Passage de l’Odéon, Fayard, 2003, passim.

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PICASSO (P.) ILIAZD (Ilia Zdanevith, dit)

LE FRÈRE MENDIANT. LIBRO DEL CONOCIMIENTO Paris, Latitud Cuaranta y uno [Iliazd], 1959 In-folio, en feuilles, couverture de parchemin illustrée, couverture d’Auvergne imprimée, étui de l’éditeur. Un hommage aux voyages et à l’Afrique. Ce texte est le récit de voyage d’un moine espagnol du XVIe siècle parcourant les royaumes africains. Il fut exhumé par Iliazd, séduit par cette description d’une Afrique encore vierge de l’influence occidentale. Son intérêt pour le continent avait été avivé par son mariage en 1943 avec une princesse noire, Ronke Akinsemoyin. Cette édition fut établie à partir des manuscrits de la Biblioteca nacional de Madrid. La disposition en colophon du texte et les porte-étendards de Picasso rappellent, de manière ludique, l’origine de l’ouvrage.

configuration de ces dernières n’est pas laissée au hasard. L’artiste s’est fidèlement inspiré de la description par Iliazd des étendards des différents royaumes parcourus par le « frère mendiant ». Le dernier blason porte la croix du prêtre Jean, explorateur mythique d’un fabuleux royaume dont l’existence supposée berça longtemps l’imaginaire occidental. Édition limitée à 54 exemplaires, tous sur japon ancien et signés par Picasso et Iliazd au crayon. Dimensions : 430 x 345 mm.

16 pointes-sèches, dont 8 avec 2 sujets par Pablo Picasso (1881-1973). Picasso les acheva le 23 avril 1958, à l’exception de celle illustrant la couverture, plus tardive. Elles évoquent tantôt le voyage, avec ses paysages, sa flore et ses autochtones, tantôt l’univers médiéval, incarné dans une série de bannières. La

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Cramer, Picasso, Les livres illustrés, n° 98 ; Geiser-Baer, T. IV. nos 1003-1018 ; Peyré (Y.), Peinture et poésie, pp. 208-209 ; Lionel-Marie (A.) et Chapon (F.), Iliazd, Centre Georges Pompidou, 1978, pp. 73-74, 114-115.


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SAINT-JOHN PERSE (Alexis Leger, dit)

CHRONIQUE Paris, Gallimard, NRF, 1960 In-folio, box bleu nuit orné sur les plats d’un grand décor géométrique de même box, formé de bandes mosaïquées, obliques, verticales et horizontales, alternativement en relief et en creux, laissant apparaître des chants gris clair, dos lisse avec le nom de l’auteur et le titre frappés à l’or, tranches dorées sur brochure, doublure de daim bleu nuit sertie d’un filet doré, garde de daim de même, couverture et dos, chemise et étui bordés de même box (P.-L. Martin, 1977). ÉDITION ORIGINALE. Diplomate, exilé et poète. Né en Guadeloupe en 1887, Alexis Leger fit ses études en France, d’abord à Pau, puis, en droit, à Bordeaux. En 1914, il est lauréat du concours des Affaires étrangères. Sa carrière de diplomate le mène d’abord en Chine. Revenu en France, il devient directeur de cabinet d’Aristide Briand (1862-1832), auprès duquel il est amené à jouer un important rôle international, en particulier au sein de la Société des Nations. Il est évincé du secrétariat des Affaires étrangères, en 1940. En complet désaccord avec la politique défaitiste du futur gouvernement de Vichy, le diplomate met alors un terme à sa carrière et, passant par Londres – où il ne reconnaît à de Gaulle aucune légitimité –, il s’exile aux États-Unis, où, dorénavant, il vivra. Il y obtient un poste de conseiller littéraire à la bibliothèque du Congrès. Il ne revient en France que dix-sept ans plus tard et y passe désormais, chaque année, quelques mois sur la presqu’île de Giens. C’est là qu’il s’éteint en 1975. Dès 1911, sa rencontre avec Jacques Rivière et André Gide, par l’intermédiaire de Francis Jammes, connu à Pau, l’avait amené à publier son premier livre, Éloges, chez Gallimard. En 1924, il fait paraître, sous le nom de Saint-John Perse, Anabase. S’il avait décidé de ne rien publier pendant sa carrière diplomatique, installé aux États-Unis, il ne tarde pas à composer de nouveaux poèmes (Exil, Pluies…) qui paraîtront en Argentine, en 1944, avant d’être repris chez Gallimard, après la guerre. Sa notoriété littéraire va dès lors grandissant et s’impose, en 1957, avec la publication d’Amers. Le prix Nobel de littérature lui est décerné en 1960.

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Entre bilan et devenir : l’éternelle condition d’homme. Cette même année, Saint-John Perse publie en volume, chez Gallimard, Chronique, qui a d’abord paru, en 1959, dans la revue Les Cahiers du Sud. Après l’épopée poétique d’Anabase et le déferlement lyrique d’Amers, l’auteur, dans ce long poème d’une inspiration plus intime, redonne à l’homme, sur la terre, la main sur sa destinée. En un double mouvement rétrospectif et prospectif, il y fait, en effet, autant le compte de l’existence humaine que le constat de son devenir perpétuellement à renouveler. Avec Chronique, Saint-John Perse livre un chant plus intérieur, plus frémissant et qui traduit une intense émotion. L’un des 21 premiers exemplaires sur papier du Japon (n° 3). Une composition géométrique en relief de Pierre-Lucien Martin, commandée, à l’époque, par Jean-Pierre Guillaume. Pierre-Lucien Martin (1913-1985), après avoir travaillé avec Gonon, a fondé son propre atelier, en 1940. Il y crée, dès lors, de précieuses compositions aux décors tour à tour typographiques ou géométriques, ou encore inspirés d’empreintes. Traités à plat ou en perspective, il les assemble en de savantes mosaïques de matériaux divers dont il maîtrise les effets de lumière. Ses goûts personnels le rapprochant des poètes de son temps, il exécuta, entre autres, de nombreuses reliures sur les textes de Saint-John Perse pour des bibliophiles tels que Robert et Irène Delmas, Henri Paricaud ou Jean-Pierre Guillaume, ainsi que pour lui-même…, proposant parfois


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plusieurs interprétations pour les mêmes titres. Ainsi, connaissons-nous, pour Chronique, deux de ses travaux sur des exemplaires sur papier du Japon, le nôtre, au décor géométrique, qu’il exécuta pour Jean-Pierre Guillaume – dont il fut le relieur quasi exclusif –, et celui, décoré par la lettre, conçu, en 1974, pour Henri Paricaud (Cat. 2 et 3 juin 1997, n° 418). Exposition : rétrospective consacrée à l’œuvre de PierreLucien Martin par la Bibliotheca Wittockiana, en 1987, n° 153.

Provenance : Bibliothèque J.P.G. [Jean-Pierre Guillaume] (Cat. 17 et 18 mai 1995, n° 316, avec reproduction). Saint-John Perse, Œuvres complètes, NRF, Bibliothèque de la Pléiade, pp. IX-XLIV et 387-404 ; […], Pierre-Lucien Martin, Bruxelles, Bibliotheca Wittockiana, 1987, n° 153 ; Rodocanachi (A.), « À propos de Pierre-Lucien Martin » dans Pierre-Lucien Martin, L’Artisan du Livre, 1978, pp. [1-3] ; […], Bibliothèque Pierre-Lucien Martin, relieur, Paris, 20 mai 1987, nos 164 et 165.

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CARDENAS (A.)

« SALUTATION À LA FAMILLE GLISSANT » 1960 Encre de Chine sur liège. Signée et datée « Cardenas / 60 ». Dimensions : 241 x 189 mm.

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Provenance : Édouard Glissant (1928-2011), avec envoi autographe signé au verso : « Une salutation alla famille Glissan[t] en 1961 ».


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PICASSO (P.)

TROZO DE PIEL Palma de Mallorca, Ediciones de los Papeles de son Armadans, 1960 In-folio, en ff., couverture, chemise, emboîtage. ÉDITION ORIGINALE. Poème de Picasso (1881-1973), composé en castillan en janvier 1959, reproduit d’après le manuscrit original, avec, en regard, sa version typographiée. Une fleur d’après Jacqueline Picasso accompagne l’ouvrage. Exemplaire offert par le peintre et Jacqueline Picasso à Francine Weisweiller. Il a été enluminé par Picasso : 1 - d’un dessin original au stylo à bille, feutre et crayon gras : Le Faune, signé et daté 3.2.61 pour Francine. Dimensions : 350 x 244 mm. 2 - d’ornements au crayon gras rouge autour du facsimilé du poème et au feuillet de justification. 3 - du nom de Francine calligraphié au crayon gras rouge sur le premier plat de la chemise. Jacqueline l’a enrichi d’un envoi autographe : pour Francine chérie, sa Jacqueline, 3.2.61. Édition limitée à 88 exemplaires sur papier de Hilo fabriqué spécialement pour la maison Guarro. Dimensions : 350 x 244 mm. Provenance : Francine Weisweiller (1916-2003).

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MALRAUX (A.)

LES CHÊNES QU’ON ABAT Paris, Gallimard, 1971 In-12°, box brun à encadrement délimitant sur chaque plat quatre parties inégales mosaïquées de pièces de bois déroulé disposées en sens contraire et formant une étoile inscrite dans un ovale, dos lisse avec rappel du décor et titre poussé à l’or et au palladium, doublures et gardes de daim havane, couverture et dos, tranches dorées, chemise et étui bordés de même peau (P.-L. Martin, 1973). ÉDITION ORIGINALE. « Je ne me suis pas soucié d’une photographie, j’ai rêvé d’un Greco » : un portrait posthume de Charles de Gaulle. Avec Les Chênes qu’on abat, André Malraux (1901-1976) veut livrer le dialogue d’un homme de l’Histoire avec un artiste. Le 11 décembre 1969, Malraux a rencontré pour la dernière fois le général de Gaulle (1890-1970) qui s’est retiré des affaires de la France quelques mois plus tôt. De celui dont il est l’ami depuis 1945 et dont il fut ministre, l’écrivain a déjà fait un personnage capital de ses Antimémoires. Mais cette fois, sous la forme d’un entretien imaginaire, tour à tour solennel et jovial, parfois sarcastique, Malraux, que de Gaulle depuis longtemps fascine, souhaite dresser à la manière d’une allégorie le portrait du Grand Homme tel qu’il le porte en lui. Remanié, le texte prendra place dans Le Miroir des limbes publié en 1976. Le titre, Les Chênes qu’on abat, est extrait d’un poème que Victor Hugo avait composé en hommage à Théophile Gautier. L’un des 80 premiers exemplaires sur vergé de Hollande van Gelder (n° 23).

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Élégante reliure de Pierre-Lucien Martin (1913-1985) commandée par le collectionneur Louis de Sadeleer (19131996). Martin sera le premier à employer le bois déroulé, matériau lui permettant de réussir d’heureux et lumineux travaux de marqueterie, comme c’est le cas ici. Au dos de la reliure, le titre de l’ouvrage frappé à l’or se détache des deux vers du poème de Hugo eux-mêmes poussés au palladium. Exposition : Bibliotheca Wittockiana (Cat., Pierre-Lucien Martin, 1987, n° 133, avec reproduction) Provenance : Louis de Sadeleer (ex-libris). Todd (O.), André Malraux, une vie, NRF, 2001, p. 548 ; Laffont-Bompiani, Le Nouveau Dictionnaire des œuvres, I, Laffont, 1994, p. 1086.


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FRÉNAUD (A.) - MIRÓ (J.)

LE MIROIR DE L’HOMME PAR LES BÊTES [Paris], Maeght Éditeur, 1972 Grand in-folio, box vert olive veiné mosaïqué de plusieurs grandes pièces et de pastilles de box colorées, de peau de carpe et d’incrustations de buis teinté et de fragments de noix de coco polis constituant un décor abstrait continu, dos lisse portant, tête-bêche, le nom des auteurs à l’œser marron et rouge, doublures de même box, décorées d’une mosaïque de pièces de box colorées et d’incisions, sur lesquelles le titre, écrit à rebours, se détache en des reliefs de même box vert olive, les empreintes des reliefs des contre-plats frappent le titre à l’endroit sur la garde de daim gris pâle, couverture et dos, chemise et étuis bordés de même box avec rappel du décor (M[onique] M[athieu], 1998 – Y[von] Bramante [et Jean] Lipinski). Première édition séparée. André Frénaud (1907-1993) est l’une des figures les plus remarquables de la génération de poètes qui ont succédé au Surréalisme. Ayant publié ses premiers textes en 1938, il participa, aux côtés de Paul Éluard ou de Jean Lescure (1912-2005), aux aventures clandestines des revues de poésie liées à la Résistance, telles L’Honneur des poètes et Messages. Ami de nombreux peintres, parmi lesquels Raoul Ubac et Jean Bazaine, son œuvre a donné lieu à de très nombreuses éditions illustrées. En 1959, à l’occasion de la publication chez Pierre-André Benoît de Noël au chemin de fer, il rencontre le peintre catalan Joan Miró (1893-1983). Il s’ensuivra une longue et amicale collaboration. André Frénaud reçut en 1973 le grand prix de poésie de l’Académie française, puis le grand prix national de poésie, en 1985. Un jeu de miroir à quatre mains en hommage à Jérôme Bosch. En 1963, Miró écrit : « Le livre me passionne de plus en plus. C’est une architecture. Tout doit y être à sa place ou ça s’écroule. Et puis, j’aime collaborer avec des artisans. […] Je dois beaucoup aux artisans. » Aussi, lorsqu’en 1965, le poète André Frénaud lui envoie le texte encore inédit du Miroir de l’homme (il paraîtra, en 1968, dans le recueil La Sainte

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Face), Miró, conquis, répond : « Il est magnifique, plein de suggestions pour moi. Ceci et l’idée de rendre hommage à Géromus Bosch, m’a poussé, plein d’enthousiasme, à concevoir un livre digne de cette tâche. […] aujourd’hui le 13, je viens de terminer la maquette. » Outre la maquette de l’ensemble, Miró réalise 3 eaux-fortes et aquatinte en couleurs, dont « le bestiaire » vient répondre à celui que Frénaud décrit dans son poème, et deux gravures au carborandum, « deux gribouillis », dont l’un est le négatif de l’autre, disposés « en miroir ». Au Miroir de l’homme, Frénaud adjoint un ensemble de fragments de vers issus d’autres poésies, qu’il intitule La Nourrice noire du poème. Imprimés en regard du texte principal en très légers reliefs, à peine visibles, sur des pages de bristol brillant et coloré, ces fragments sont, comme en écho au poème achevé, « le grondement inépuisable, insaisissable » de l’œuvre en train de se faire. Ainsi le poète, avec la complicité de Miró, interroge-t-il ici autant la nature de l’homme face au fourmillement du monde que l’essence et la genèse de la poésie ellemême. Exemplaire non justifié, enrichi d’une suite des estampes sur vélin d’Arches, toutes signées au crayon et justifiées HC, l’ensemble étant constitué des 3 gravures en couleurs et de 5 épreuves au trait, en noir.


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L’une des cinq reliures exécutées par Monique Mathieu sur ce livre. Monique Mathieu est née en 1927. Elle ouvre son premier atelier de reliure en 1957. En 1961, elle reçoit le prix Rose Adler, décerné par la Société de la reliure originale. Sa rencontre avec le poète André Frénaud, dont elle deviendra l’épouse en 1971, oriente bientôt son travail vers les livres de poètes illustrés par des peintres contemporains. Plusieurs expositions personnelles lui ont été consacrées aussi bien à la Bibliotheca Wittockiana, en 1993, qu’à la BNF, en 2002. Son œuvre est d’une grande richesse plastique, associant à l’usage de cuirs variés des matériaux parfois insolites (acacia, mica, objets…) qu’elle assemble en jouant avec les contraintes du cadre. Il semble que l’artiste ait réalisé cinq reliures sur des exemplaires de ce livre, dont le sien (aujourd’hui conservé à la BNF : Monique Mathieu. La Liberté du relieur, 2002, n° 15) et celui de Marguerite Maeght (Peintres-illustrateurs du XXe siècle, Fondation Maeght, 1986, p. 78, n° 144). Elle reprend ici les doublures à reliefs avec effets d’empreintes

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« en miroir » utilisées, une première fois en 1974, pour son exemplaire personnel. Le relieur Jean Lipinski et le doreur Yvon Bramante ont collaboré à l’exécution de notre reliure. Édition limitée à 225 exemplaires, tous sur bristol, signés par l’artiste et l’auteur. Dimensions : 445 x 347 mm. Little (R.), « André Frénaud et Joan Miró : reflets d’une collaboration heureuse », dans Bulletin de la Bibliothèque nationale, n° 35, printemps 1990, pp. 37-45 ; Cramer (P.), Joan Miró. Les livres illustrés, Genève, 1989, pp. 394-395, n° 159 ; […], Joan Miró, peintre et poète, Bruxelles, Fonds Mercator, 2011, p. 70 ; Monique Mathieu. La Liberté du relieur, BNF, 2002 ; […], Reliures de Monique Mathieu à la Bibliotheca Wittockiana, Éditions Technorama, 1993 ; […], Reliures de femmes de 1900 à nos jours, Paris : Vrain, 1995, pp. 120-127.


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BARCELÓ (M.)

EL LIBROS DE LOS CIEGOS. AVEC UN TEXTE D’EVGEN BAVCAR Paris, Item, 1993 Petit in-folio de [81] ff., montés sur onglets, reliés sous couverture d’attente et boîte titrées de l’éditeur. Un livre d’artiste entièrement conçu par le peintre majorquin. Une figure majeure de la scène internationale de l’art contemporain. Miquel Barceló est né en 1957 sur l’île de Majorque. Peintre et plasticien de renommée mondiale, il est également considéré comme l’un des plus importants dessinateurs et aquarellistes de notre temps. En 1982, il acquiert une première reconnaissance internationale à la Documenta de Kassel, où ses œuvres figuratives vivement colorées rattachent son travail au mouvement néo-expressionniste. À la fin des années 1980, les couleurs de ses toiles s’éteignent et le sujet, pour un temps, y semble disparaître et faire place à un traitement quasi monochrome et de plus en plus plastique de la toile. L’artiste désire alors que le tableau « ne soit qu’une seule image, […] un éclairement ». C’est la période « des grands tableaux blancs », seulement rythmés de reliefs (inclusions de « petits cailloux » noyés dans la couche picturale), qui sont comme des paysages de lumière, et que l’artiste conçoit comme « une sorte d’aveuglement ». Cependant, ce « renoncement » à la figuration n’est pas exclusif et Barceló consacre, en 1990, une importante série de toiles à la tauromachie. De même, il réalise de nombreux portraits de ses amis, parmi lesquels Castor Seibel, Evgen Bavcar ou encore Paul Bowles. Grand voyageur, ses déplacements donnent lieu à des carnets de croquis. Sur les feuillets, techniques et matériaux se mêlent : les scènes paraissent surgir d’elles-mêmes… et seront ensuite l’inspiration de ses travaux picturaux. Ainsi, l’Afrique, l’une de ses destinations privilégiées, marque désormais profondément son œuvre de ses lumières et de ses formes.

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À partir des années 1990, Barceló se tourne aussi vers la pratique de la céramique et de la sculpture. Plusieurs rétrospectives et expositions personnelles lui ont été consacrées dans les plus grands musées d’art contemporain internationaux, de même que dans d’importantes galeries, telles celles de Léo Castelli à New York ou d’Yvon Lambert à Paris. En 2008, il a représenté l’Espagne à la 53e Biennale de Venise. Il vit et travaille aujourd’hui entre Majorque, Paris et l’exceptionnel site de la falaise de Bandiagara, au Mali. Evgen Bavcar, un théoricien de la perception visuelle, écrivain et photographe aveugle. Né en 1946, en Yougoslavie, il devient aveugle à la suite d’un accident à l’âge de 12 ans. Il en a 16 lorsqu’il prend ses premières photographies. Il étudie également la philosophie. Celle-ci l’amène à travailler sur les concepts d’image et de perception à l’Institut d’esthétique des arts contemporains, puis au CNRS. Parallèlement, il poursuit son activité de photographe, bientôt reconnue internationalement. On lui doit Le Voyeur absolu, paru en 1992, dans lequel se mêlent ses textes et ses travaux photographiques. La première exposition de ses photographies a eu lieu, en 1987, à Paris où il réside. Il rencontre Miquel Barceló à l’occasion de la réalisation du livre de celui-ci, El Libro de los Ciegos (Le Livre des aveugles). Toucher et voir : un livre à lire et à « regarder avec les doigts ». À la fin des années 1980, le galeriste Yvon Lambert sollicite Barceló dans le cadre d’un projet de livres d’artistes. Ce dernier réalise alors, sur les presses de l’éditeur d’art Item, à Paris, une série de lithographies inspirées des croquis de ses carnets de voyages et d’estampages qu’il veut proches


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des effets de relief qu’il obtient dans les « grands tableaux blancs » de cette époque. Le projet initial abandonné, Barceló le poursuit pour son propre compte et celui d’Item Éditions. Afin de ne pas en rompre la perception sensorielle, il souhaite que le texte, quel qu’il soit, qui accompagnera son travail, comme une continuation de ces reliefs, soit imprimé en braille. L’éditeur propose alors une brève nouvelle composée par Evgen Bavcar, Les Tentes démontées, ou le monde inconnu des perceptions. Le protagoniste principal en est un psychologue que son arrivée dans une institution pour jeunes aveugles et sa relation avec une jeune femme, non-voyante, amènent à être confronté, non sans incompréhensions, à une autre formulation du monde.

immédiatement autant à la vue qu’au toucher. La sensualité du texte de Bavcar, semble répondre à celle des estampages et des lithographies de Barceló, certaines rehaussées de vernis ambré, qui convoquent aussi bien la plastique des corps que l’espace des paysages.

81 planches, soit 48 lithographies et 33 estampages. Le texte de Bavcar est imprimé en braille à même les planches de Barceló. L’ensemble, El Libro de los Ciegos (Le Livre des aveugles), par ce relief mêlé du texte et des images, forme un tout sensitif indissociable qui s’offre

Bavcar (E.), Les Tentes démontées, ou le monde inconnu des perceptions suivi d’une postface de Castor Seibel sur le travail de Miquel Barceló qui accompagne ce texte, Paris, Item, 1993 […], Miquel Barceló. Mapamundi, Exposition à la Fondation Maeght, 2002, pp. 17-27, 50-57.

Un des 50 exemplaires imprimés en braille espagnol, signé par l’artiste. Si l’édition devait initialement se composer de trois tirages de 50 exemplaires imprimés chacun en braille espagnol, français et anglais, à ce jour, seul le tirage espagnol a été assemblé. Dimensions : 400 x 340 mm.


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La librairie Lardanchet remercie pour leur participation au catalogue : Ariane Adeline, StĂŠphan Auriou, Guillaume Daban, Isabelle Delauney, Jean Lequoy et Thomas Rossignol. Photographe : Christian Baraja - Design: Montpensier Communication - Impression : Drapeau Graphic.




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