Aurélia PONTE - Mémoire ESBAM 2007/2008

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Aurélia PONTE 1ère année 2007-2008


Aurélia, 25 ans. Après des études de tourisme et l’obtention de ma carte de guide interprète régional, je travaille comme rédactrice pour un site internet. Au bout de quelques mois, je sens que je ‘‘dépéris’’ de jour en jour. Je m’ennuie. Tout ce que j’ai laissé de côté pour ‘‘avoir un vrai métier’’ revient de plus en plus à mon esprit. Mes études d’histoire de l’art abandonnées, le concours d’entrée aux Beaux-Arts échoué à 20 ans, la peinture, la photographie, la musique, auxquels je n’ai plus assez de temps à consacrer... Du jour au lendemain, je décide de tout plaquer avant qu’il ne soit trop tard et de me donner une nouvelle chance. Je quitte mon emploi et m’inscris en prépa, au Cours Lieutaud. Pendant des mois je me consacre à préparer mon dossier de présentation pour le concours d’entrée, afin d’y suivre le cycle court design d’espace. Je réussis le concours, et l’année débute. Au fur et à mesure, je m’aperçois que le design n’est finalement peutêtre pas ce dont j’ai envie, et ce pour quoi je suis faite. Mais l’idée

de m’engager dans un cycle de 5 ans d’études me fait peur. Terminer mes études à 30 ans ? Vais-je le supporter psychologiquement ? Et puis j’ai un déclic. Je me dis que, tant qu’à faire les Beaux-Arts, autant me faire plaisir jusqu’au bout. Cela va me demander des sacrifices. J’ai 25 ans, je vis toujours chez mes parents car je n’ai pas les moyens de prendre mon indépendance, j’ai un contrat étudiant dans un supermarché pour subvenir un minimum à mes besoins. Ce n’est pas toujours facile psychologiquement et physiquement. J’ai encore des périodes de doute, où je me demande si je fais les bons choix, si tout cela n’est pas vain, si j’ai vraiment ce qu’il faut pour aller au bout de ces études. Où cela va-t-il me mener ? Je ne le sais pas encore. Ce que je sais c’est que je fais ce que j’aime, et j’essaie de le faire au mieux, de me concentrer sur l’essentiel, même si j’ai parfois tendance à me disperser un peu. Aujourd’hui, j’essaie de me consacrer plus spécifiquement à la photographie et à l’écriture. C’est au



travers de ces médias que j’arrive le mieux à m’exprimer. Voilà pourquoi j’ai choisi de ne montrer dans ce mémoire que cette partie de mon travail. Ce que j’ai envie d’exprimer ? Robert Franck a dit : ‘‘Mes photographies sont des cartes postales que j’envoie au monde pour dire comment je me sens’’. Je crois qu’on a le même bureau de poste.



De 1984 à 1997, John Coplans a photographié des parties de son corps nu. Les postures et les cadrages qu’il choisissait, associés à une prise de vue toujours en noir et blanc, apportent au sujet de ses photographies un aspect très sculptural. C’est ce qui m’intéresse dans les ‘‘portraits de mains’’ sur lesquels j’ai travaillé. J’ai toujours été intriguée et fascinée par les mouvements que sont capables d’effectuer nos mains, et par tout ce qu’elles peuvent communiquer. J’ai choisi de photographier des mains en pleine réalisation artistique, qu’elle soit musicale ou plastique : se pliant, se courbant, s’étirant, la main impose alors ses propres lois esthétiques.





Des instants que je connais bien, des fractions de secondes où je ne suis plus là mais je ne suis pas loin, juste un peu en arrière, dans mes douleurs passées ou dans l’angoisse de celles à venir.

sans force, peut-être pour reprendre les siennes.

Des instants ‘‘d’intériorité’’, où le regard se perd dans le vide, souvent en direction du sol, comme si le temps se figeait et que tout ce qui nous entoure disparaissait, juste le temps de quelques respirations, comme pour reprendre du courage avant de continuer à avancer.

Une pause, un recul sur soi-même et sur la vie, un instant où malgré tous nos efforts pour se voiler la face, on prend conscience que nous ne sommes pas une grande famille, une grande communauté, un groupe de personnes qui se ressemblent et qui vivent ensemble, mais juste des êtres seuls, posés les uns à côtés des autres, qui ont l’illusion de partager leurs vies alors que celles-ci ne font que se frôler.

Quand je reconnais cet instant chez quelqu’un, j’essaie de le capturer. J’éprouve une fascination pour cette expression de visage, ou plutôt cette ‘‘non-expression’’. Sans doute parce que j’ai la sensation que c’est un moment où on semble toujours perdu dans ses pensées, mais qu’en réalité on ne pense réellement à rien. Je crois qu’il s’agit plus d’une sensation que d’une reflexion. C’est un instant de ‘‘vide’’. Comme une pause, où l’esprit et le corps se détachent, où l’esprit abandonne le corps, le laisse sans mouvement,

Nous ne sommes pas un grand tout mais plein de petits riens acollés les uns aux autres et qui ne fusionneront jamais, contrairement à ce que l’on essaie de croire, car au fond chacun d’entre nous naît seul, vit seul et meurt seul avec lui-même, même s’il aime et est aimé. Voilà tout ce que cette ‘‘pause’’ connote pour moi, et c’est pour cela que j’ai envie de la fixer sur papier photo, pour donner à cette fraction de seconde une notion d’éternité. Peut-être pour dire que, souvent, on peut penser que ces instants sont un simple déraillement



et que la vie reprend vite le dessus, alors qu’en fait ce sont peut-être ces moments là qui sont les plus réels, les plus honnêtes, les plus sincères, et c’est tout le reste qui n’est qu’un grand déraillement. Pour moi, ces photos expriment la vérité de l’être humain, qui fait semblant toute sa vie que tout va bien et qui avance, comme si c’était normal, et qui tout à coup trébuche, réalise, s’avoue à lui-même que tout ce qui l’entoure, tout ce qu’il vit, tout ce qu’il voit, tout ce qu’il fait est loin d’être normal, naturel, facile ; et se dévoile, perd son masque l’espace d’un instant, mais finit toujours par vite reprendre le rôle qu’il s’est lui-même attribué pour parvenir à avancer. Capturer ces instants d’intériorité chez les autres... pourquoi ? Pour leur ouvrir les yeux sur la vie, sur eux-mêmes, pour mieux les comprendre, pour mieux me comprendre, pour qu’ils me comprennent... Pour me rassurer ? Sans doute... Me dire que je ne suis peut-être pas la seule à me sentir seule.



Notre image : la représentation extérieure de notre moi intérieur. Dès notre plus jeune âge, nous la découvrons, tout d’abord face au miroir, puis dans le regard des autres, à moins que ce ne soit l’inverse... Dans ses différentes séries de portraits, Valérie Belin oppose le réel et l’artifice, opposition accentuée par l’utilisation du noir et blanc. Pour ma part, j’imagine la vie comme un décor en noir et blanc, dans le reflet duquel chacun de nous décide de mettre, ou non, de la couleur. Nous ne pouvons pas agir sur ce qui nous entoure, mais nous pouvons choisir la façon dont nous allons le percevoir. Par extension, nous essayons de diriger la perception qu’ont les autres de nous-mêmes par l’image que nous leur renvoyons. La question que je me pose est la suivante : est-ce toujours notre personnalité profonde qui influence notre image ou, pris à notre propre jeu, ne nous laissons-nous pas parfois inluencés par elle ?





Le temps semble s’être arrêté Ils attendent Quelque chose va se passer, mais quoi ? Qu’attendent-ils ainsi ? L’atmosphère est inquiétante Lourde Pesante Dans leurs costumes noirs, ils attendent Ils observent Ils se préparent Mais à quoi ? Où sommes-nous ? Que se passe-t-il ? Qui sont-ils ? L’atmosphère est angoissante Sourde Ecrasante Dans sa robe blanche, elle les regarde attendre Qu’attendent-ils ainsi ? Quelque chose va se passer, mais quoi ? Ils attendent Le temps semble s’être arrêté





Tous les soirs après le repas, les femmes de ma famille partent dans leur chambre pour laisser le salon à mon père. Il s’installe confortablement, seul, devant la télévision, jusqu’à ce qu’il tombe de fatigue vers 1h ou 2h du matin en général. Parfois il s’endort, assis, la tête penchée en avant, mais ne se résout pas pour autant à quitter l’objet de son affection. Tous les soirs après le repas, mon père ne nous laisse pas le choix. Il ne cherche pas à savoir ce que nous voulons regarder ce soir à la télé, il s’est déjà fait son petit programme. Quand plusieurs films l’intéressent, il zappe de chaîne en chaîne pour arriver à tout suivre. Mais on le sait, nous, que quand on veut tout suivre au final on ne suit rien. Alors on le laisse à sa télécommande et on quitte la pièce. Tous les soirs après le repas, parfois il n’attend pas que nous soyons parties, il effectue son rituel. Lorsque celui-ci débute, nous n’existons plus, plus rien d’autre n’existe. Il ne nous entend plus, ne nous voit plus. Il est en communion avec la télévision.

Tous les soirs après le repas, je me poste là, toujours au même endroit moi aussi, et il ne me voit pas. Il ne s’aperçoit pas que je suis en train de le prendre en photo, il est trop absorbé par ce qui se passe sur l’écran qui lui fait face pour en détourner la tête et apercevoir ce qui se passe autour de lui. Tous les soirs après le repas, mon père est seul face à l’écran. Parfois ma mère est avec lui, alors ça crée un changement dans les habitudes, ça me surprend, me fait sourire même de voir que ce soir la scène a été modifiée, une nouvelle comédienne a fait son apparition, le metteur en scène a déplacé les personnages. Tous les soirs après le repas, je me dis que la vie est un jeu où le quotidien se renvoie la balle à lui-même : les jours se suivent et se ressemblent, mais pas tout à fait, il y a des mouvements presque imperceptibles qui les modifient légèrement et les rendent uniques ; pourtant, même si chaque jour est différent, au fond il n’est qu’une imitation du précédent et une prévisualisation du suivant.



Tous les soirs après le repas, mon père regarde la télé. Et moi, je regarde mon père.



‘‘J’aimerais terminer sur un message d’espoir. Je n’en ai pas. En échange, est-ce que deux messages de désespoir vous iraient ?’’

Woody Allen




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