COLIN GUILLEMET
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COLIN GUILLEMET
Galerie Le point Fort
L’exposition FIL ROUGE de Colin Guillemet est présentée par la galerie Le point Fort, dont le siège est situé en l’ancien abri d’artillerie n°A28A, sis rue de la Côte – RD31, 67206 Mittelhausbergen (Strasbourg).
Couverture : Flamingo in a paper bag 2013 Flamant rose accessoire vitrine (modèle «feeding», taille 1:1), sac en papier, cales en bois, socle sur mesure/hauteur plafond 45 x 17 cm, hauteur variable
Direction artistique et commissariat de l’exposition Aurélie Arena, Arthur Van Hoey Graphisme Doriane Laithier Design, Zurich Traductions Colin Guillemet, who else? Lectorat Colin Guillemet, Arthur Van Hoey © Le point Fort, octobre 2015
ÉDITO 1917. Au Salon des Indépendants de New-York, Marcel Duchamp présente sa pièce Fountain sous le pseudonyme de Richard Mutt. Elle ne sera finalement pas exposée au Grand Central Palace mais dévoilée quelques semaines plus tard par Alfred Stieglitz dans sa galerie, et immortalisée sur l’un de ses clichés. Certains y sont restés indifférents, quelques uns ont crié au scandale, d’autres ont applaudi ce qui fut qualifié de coup de génie. Incontestablement, l’œuvre constitue un jalon dans l’histoire de l’art contemporain et une source d’inspiration pour de nombreux artistes, comme en témoigne par exemple l’installation de Saâdane Afif, The Fountain Archive, visible il y a peu à Marseille. Et c’est aussi la force du travail de Colin Guillemet que de provoquer et diviser les spectateurs en créant surprise voire inconfort. « Fil rouge », première exposition monographique lui étant consacrée par une galerie française, après plus d’une cinquantaine de projets solo ou de group shows déjà réalisés sur la scène internationale, est l’occasion de découvrir Fuse corners, une installation dans laquelle les fils de dynamite se consument et nous interrogent au gré des salles d’exposition. La Galerie Le point Fort est ainsi heureuse de proposer cette carte blanche à l’artiste dont la rencontre s’est faite à l’occasion du 59ème Salon de Montrouge et dont la collaboration est régulière depuis. Fidèle à sa tradition d’accompagner chaque exposition d’une publication, le présent catalogue, à travers les contributions de l’artiste Florence Jung et du commissaire Chris Fite-Wassilak, permet de mieux appréhender l’œuvre de Colin, qui résolument aime à penser « outside the box ». Nous avons également souhaité présenter un panorama de la création protéiforme de cet artiste aux multiples talents. Fuse corners laissera sans doute certains visiteurs indifférents, et en indignera peutêtre d’autres. La majorité applaudira. L’installation s’intègre parfaitement dans les espaces de notre ancien abri d’artillerie A28A. Et s’offre aux visiteurs pour une exposition qui, nous l’espérons, fera date. Aurélie Arena Arthur van Hoey Directeurs artistiques
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LE BATON QUI FAIT LE BRUIT D’UNE CLAQUE Florence Jung / Colin Guillemet « Art is what happens at any time in history when the rich and powerful decide to spend money in celebrating their own tastes. » Tu te souviens quand tu m’as dit ça (citant Tom Wolfe) ? Vraiment ? C’est dur comme phrase, mais si on parle du marché: oui. Mais comment continuer ensuite ? Je pense qu’il faut séparer « art » comme ensemble culturel, de « art » comme activité définie par les artistes, la communauté de ceux qui la pratiquent. Et ces deux termes ne s’entendent pas forcément entre eux. Par choix, j’évite de me répéter ; c’est une manière de résister à l’idée de faire des produits, qu’ils soient thématiques ou sur des histoires de spécificité de médium. En plus, se poser comme expert sur tel ou tel thème, ou encore sur une technique particulière, cela m’a toujours paru un peu horssujet, artistiquement parlant. De même, l’idée de devoir me répéter, soit pour affirmer un produit niche, soit pour appuyer un soi-disant style personnel, me dérange. C’est en grande partie par ennui – ça me donne juste l’impression de radoter. Tu répètes donc le fait de ne pas te répéter… C’est un peu rapide comme raccourci. Si je me répète, c’est seulement en évitant de me répéter ! Les écrivains aiment souvent dire qu’ils réécrivent sans cesse le même livre. Je comprends très bien ce qu’ils veulent dire, et il y a certainement du vrai làdedans aussi pour les artistes. Mais je trouve que cette poursuite devient beaucoup plus excitante quand les romans ou les œuvres sont aussi différentes que possible entre elles ou de l’une à l’autre. Comme Georges Pérec, grand schizophrène, ne s’attachant jamais à aucun sujet ni aucune forme ? Personnellement, je me sens plus proche de quelqu’un comme John Cage. Dans le sens où il peut toujours se passer quelque chose avec ce qui se trouve sous nos yeux. Pour John Cage, tous les sons possibles existent déjà ; la question c’est finalement de savoir reconnaître et décider quand ils sont musique. Moi, j’ai tendance à réutiliser beaucoup d’objets, mais pas tellement à en produire de nouveaux. Je récupère et puis je transforme. Il y a comme une présomption à comprendre les objets, alors qu’au fond ce n’est pas si évident : c’est à dire qu’ils peuvent glisser très vite. Je trouve assez illusoire de penser savoir comment les objets se comportent. Il suffit de placer un objet à côté d’un second pour que le sens du premier s’en trouve bouleversé. Est-ce que tu penses que l’une des raisons de ce malentendu sur le sens des objets vient du fait qu’on transforme les objets en mots ? Ce glissement dont tu parles est-il d’origine sémantique ? 4
THE STICK THAT MAKES A SLAPPING SOUND Florence Jung / Colin Guillemet “Art is what happens at any time in history when the rich and powerful decide to spend money in celebrating their own tastes.” Do you remember telling me that (quoting Tom Wolfe)? Is that really true? It’s a harsh sentence. But if we’re talking about the art market, then yes. But how does one carry on, then? I think you have to separate “art” as a cultural whole from “art” as an activity defined by the artists, the community of those who practise it. And these two terms are not necessarily in agreement. Out of choice, I avoid repeating myself; it’s a way of resisting the idea of making products, whether theme-based or medium-specific. Positioning oneself as an expert on this or that subject, or on a particular technique, has always seemed a bit off-topic to me, artistically speaking. Likewise, I find disturbing the idea of having to repeat myself, either to affirm a niche product, or to assert a socalled personal style. It’s in large parts out of boredom, it only makes me feel like I’m rambling. So you repeat the fact that you’re not repeating yourself… That’s quite a shortcut! And if I do it, it’s only by avoiding doing it! Writers often like to say they are rewriting the same book over and over again. I understand very well what they mean, and there is certainly some truth in it for artists too. But I also find that this pursuit becomes much more exciting when novels or artworks are as different as possible from one to the next. Like Georges Pérec, a great schizophrenic, never becoming attached to any subject or form? Personally, I feel closer to an approach like that of John Cage, in the sense that something can always be done with what’s in front of us. For Cage, all possible sounds already exist; the question is ultimately about knowing when to decide they are music. In my case, I tend to reuse a lot of objects, and not so much produce new ones. I appropriate and then transform them. There is a kind of presumption that we understand objects, whereas deep down it’s not that simple: objects can shift very quickly. I find it quite deluded to think we know how objects behave. One just needs to place an object next to another for both their meanings to be upset. Do you think one of the reasons for this misunderstanding of the meaning of objects comes from the fact that we transform objects into words? This shift you’re talking about, is it semantic in origin? Yes. If you mention a chair for example, it will be understood as a generic chair. Whereas a generic chair doesn’t exist. Every chair is made in a certain way, with certain means of production and a certain attitude too. These are all things you cannot 5
Canari shift, 2005 6
Oui. Si l’on évoque une chaise, par exemple, elle sera comprise comme une chaise générique. Alors qu’une chaise générique, ça n’existe pas. Chaque chaise est faite d’une certaine manière, avec certains moyens de production et une certaine attitude, aussi. Ce sont toutes ces choses qu’on ne peut pas généraliser. Et si on place cette chaise à côté d’une autre, il se passe forcément quelque chose, même s’il s’agit exactement du même objet. C’est cette présomption du générique qui mérite d’être malmenée. En même temps, je trouve excitant de pouvoir faire des sauts elliptiques, de substituer un objet pour sa programmation sémantique et vice versa. L’inverse – c’est-à-dire comprendre, définir, fixer, bloquer une certaine perception avec des mots – te semble-t-il dangereux ? Forcément arbitraire ? Il y a ce problème en médecine aujourd’hui où tout a déjà été appréhendé par le principe de causalité. Les effets ont toujours une cause particulière. On a longtemps pensé qu’il suffisait d’identifier la cause et de s’attaquer à elle pour régler un problème, si bien que tous les liens de causalité directe ont à peu près été trouvés. Maintenant la frontière de recherche en médecine doit faire face aux protéines complexes, et là personne ne comprend plus rien. On s’aperçoit alors que le principe de causalité n’était peut-être pas le meilleur, en tout cas pas l’unique façon d’appréhender la médecine. Les protéines complexes sont impossibles à contrôler, complètement erratiques. Le monde des objets, le monde dans lequel on vit, est fait d’une manière similaire : si tout à été construit, il nous reste à penser notre degré d’interaction avec les objets, ce que les choses font, nous font et font entre elles. Et quand bien même, si tout a déjà été construit, cela ne veut pas dire qu’il ne reste plus rien à faire, ou qu’on ne peut plus jouer avec ce qui est déjà là. Toutes ces relations entre les objets sont absolument infinies. En revanche, ce qui est impossible d’admettre, c’est que la signification peut rester universelle, que ceci veut dire cela et que c’est le cas pour tout le monde. On peut seulement tendre au sens plutôt qu’à la signification. Reconsidérer ces rapports, c’est accepter la part de science-fiction du réel et aussi concevoir l’inverse, c’est-à-dire qu’il existe une part de réel dans la sciencefiction. Je pense à ton canari jaune, qui devient orange au fil d’une l’exposition, et qui déplace ainsi le spectateur dans une autre dimension (Canari shift, 2005). À partir du moment où on prend conscience qu’un canari jaune peut devenir orange – et n’en rester pas moins un canari – on passe d’un état de pragmatisme un peu borné à une forme d’humilité éclairée. On devient John Cage. On peut aussi se dire que ce sont nos yeux qui avaient un problème. Le canari n’était peut-être pas jaune au départ. Peut-être que les canaris sont d’une autre couleur ? En tout cas, l’idée que le jaune est le référentiel définitif du canari devait en prendre un coup. Tes pièces donnent l’impression que tu t’es beaucoup amusé en les faisant, elles donnent envie d’aller jouer avec toi. En même temps, elles sont conceptuellement
generalise about. And if you place this chair next to another, something inevitably happens, even if it’s exactly the same object twice. It’s this presumption of the generic that deserves to be tempered with. At the same time, I find very exciting to be able to make elliptical leaps, to substitute an object for its semantic programming and vice versa. The other way round – that is, understanding, defining, fixing, blocking a certain perception with words – does that seem dangerous to you? Inevitably arbitrary? There is a problem in medicine today, whereby everything has already been approached following the causality principle. Effects always have a particular cause. For a long time people thought that it was enough to identify the cause and tackle it in order to solve a problem, to the point that all direct causal links have pretty much been found. Yet now those at the frontiers of medical research have to deal with complex proteins, and no-one understands anything anymore. So we see that the causality principle was maybe not the best way, at least not the only way, of approaching medicine. Complex proteins are impossible to control, completely erratic. The world of objects, the world in which we live, is made in a similar way: if everything has been built, we are left to consider our degree of interaction with objects, what things do, do to us and to each other. And even if everything has already been built, that doesn’t mean there is nothing left to do, or that we can no longer play with what is already there. All these relationships between objects are absolutely infinite. On the other hand, what is impossible to accept is that signification can remain universal, where this only means that and that it should mean the same for everyone. We can only really aim at making sense rather than at meaning. Reconsidering these relationships means accepting there is an element of science-fiction in reality and also of being able to speculate the opposite, that there is an element of reality in science-fiction. I’m thinking of your yellow canary, which becomes orange during an exhibition, and which thus takes the spectator into another dimension (Canari Shift, 2005). From the moment we realise that a yellow canary can become orange – and yet still remain a canary – we go from a slightly stubborn state of pragmatism to a kind of informed humility. We become John Cage... You could also say we are the problem, that our eyes have a problem. Maybe the canary wasn’t ever yellow to start with. Maybe canaries are another colour altogether… In any case, the idea that yellow is the definitive benchmark of a canary had to take a knock. Your pieces give the impression that you had a lot of fun making them, they make us want to come and play with you. At the same time, they are conceptually loaded and vigorously referenced. I’m not saying it is a paradox, but you, how would you like the viewer to respond to that? I’m not scared of the viewer understanding nothing of my work. Or of the viewer overlooking it. As I said before, I don’t believe in unequivocal meaning, or in a 7
armées et vigoureusement référencées. Je ne dis pas que c’est un paradoxe, mais toi, comment voudrais-tu que le spectateur se place ? Je n’ai pas peur que le spectateur ne comprenne rien à mon travail. Ou qu’il passe à côté. Comme je le disais avant, je ne crois pas aux significations uniques, ni à une compréhension prétendument correcte. Mon boulot, c’est simplement de faire en sorte que ça soit assez jouissif et généreux pour que le spectateur ait envie d’y entrer. Mais quand tu est dans ton atelier, seul, tu procèdes en jouant ? Oui. En fait, si je ne m’amuse pas, un projet reste en attente. Parfois tout vient très vite, parfois un travail met plusieurs années à être développé. Une autre influence très importante pour moi, c’est Jean-Luc Godard, sa manière d’appréhender ses films à la fois comme une narration et le documentaire de la mise en œuvre de cette narration. C’est une idée empruntée à la littérature, tout simplement. Dans le cas de Godard, le rapport aux moyens de production devient tout aussi picaresque que les aventures qui sont racontées dans les films. Ma part de jeu se trouve surtout dans le fait de rendre visible les écarts entre mes intentions et leur réalisation. L’inverse du labeur, de l’artisanat. Artisanat dans le sens « devenir très bon dans un domaine par la besogne » ? L’artisanat, ce serait être fier de ses compétences, voire de prendre ses compétences comme horizon. J’aime apprendre à manipuler un médium, ne serait-ce que par politesse vis-à-vis de sa grammaire. Parfois, j’ai envie de faire quelque chose, mais je m’en éloigne si je vois que cela va devoir être un acte de bravoure technique pour que ça fonctionne. Je cherche perpétuellement à mettre les éléments en place pour qu’ils s’enchaînent d’eux-mêmes. Comme un procédé en dominos : il suffit de placer les éléments judicieusement, et ensuite de pousser au bon endroit pour que le travail se fasse quasiment tout seul. À cela, paradoxalement, je peux mettre beaucoup de labeur. Bien plus qu’à l’ouvrage directement. C’est peut-être de la procrastination ? … Ou de la stratégie. C’est vraiment là que la part de jeu survient. Je m’applique à trouver le meilleur processus de travail, plutôt que de m’appliquer au travail lui-même. J’aime beaucoup Don Cherry, qui était un trompettiste de jazz. Il était certainement très doué à la trompette, mais il a laissé la virtuosité de côté pour faire des disques expressifs et grisants. C’est très sérieux, tout en étant drôle et en montrant à quel point il a du plaisir dans la pratique de cette musique. Ce qui m’intéresse en particulier chez lui, c’est que l’improvisation trouve son plein intérêt dans la précision clinique, dans le plaisir de pouvoir retomber sur ses pieds. À l’écoute de certains disques, on a l’impression que c’est Tom et Jerry qui jouent du jazz. Ils se précipitent, se poursuivent, se débattent, mais partent dans un autre mouvement dès que ça semble un peu trop chorégraphié. Ça nous ramène à cette attitude proche de John Cage, de Jean-Luc Godard, des 8
1 “We dig dig dig dig dig dig dig in our mine the whole day through / To dig dig dig dig dig dig dig is what we really like to do”. Frank Churchill and Larry Morey, HeighHo, Snow White and the Seven Dwarfs, Bourne Co., New-York, 1937. 2 “Laisser, Laisser faire”, Marcel Duchamp as quoted by Georges Charbonnier in Entretiens avec Marcel Duchamp, André Dimanche Éditeur, Marseille, p.29.
supposedly correct understanding. My job is simply to make sure it’s joyous and generous enough for the spectator to want to engage. But when you’re in your studio, alone, do you proceed by playing? Yes. In fact, if I’m not having fun, a project is put on hold. Sometimes everything comes very quickly, sometimes a piece of work takes several years to be developed. Another very important influence for me is Jean-Luc Godard, his way of approaching his films as both a narrative and a documentary on the making of this narrative. It’s an idea borrowed from literature, quite simply. In Godard’s case, the relationship with his means of production becomes just as picaresque as the narrative itself. The playfulness for me often lies in making the gaps between my intentions and their execution visible. The opposite of labour and craftsmanship. Craftsmanship in the sense of “becoming very good in an area through hard work”? Craftsmanship would be taking pride in your skills, or even considering these skills as a horizon. I like to learn how to handle a medium, if only out of politeness towards its own grammar. Sometimes, I feel like making something but I move away from it if I see it will have to be an act of technical bravura for it to work. I’m perpetually seeking to put the elements in place so they bind by themselves. Like a domino effect: I just need to align the elements judiciously and then push on the right spot for everything to fall into place and the work to virtually make itself. Paradoxically, I can put a lot of labour into doing this. Much more than into the artwork directly. Maybe it’s procrastination? … Or strategy. That’s really where the playfulness comes from. I apply myself to finding the best work process, rather than to the work itself. I really like Don Cherry, who was a jazz trumpet player. He was certainly very gifted at playing the trumpet, but he put his own virtuosity to one side in order to make expressive, intoxicating records. It’s very serious while also being fun and showing how much he enjoys playing this music. What particularly interests me about him is that the main point of improvisation is its clinical precision, the pleasure of being able to land on one’s feet. When you listen to some of his records, you get the impression of Tom and Jerry playing jazz. They rush about, chase each other, fight, but go off in another movement as soon as it starts to seem too obvious or choreographed. That brings us back to this attitude similar to John Cage, Jean-Luc Godard, or the Seven Dwarves (“We dig dig dig dig dig dig dig/In our mine the whole day through / To dig dig dig dig dig dig dig / Is what we really like to do”) 1. Or Marcel Duchamp and his famous: “Laisser, laisser faire” (“Let things be, let things be done”) 2. Like all of these, your work process, its form and you as an individual converge. There’s a kind of casualness, the firm intention to stay away from truisms, things that are too clear and too obvious. You seem to let ideas surge forth rather than seeking them out. 9
1 «We dig dig dig dig dig dig dig in our mine the whole day through / To dig dig dig dig dig dig dig is what we really like to do». Frank Churchill et Larry Morey, Heigh-Ho, Blanche-Neige et les Sept Nains, Bourne Co., New-York, 1937 (« On pioche tic tac, tic tac / Dans la mine, le jour entier / Piocher tic tac, tic tac / Notre jeu préféré » selon l’adaptation française de Marcel Ventura et Alfred A. Fatio.) 2 Marcel Duchamp, cité par Georges Charbonnier dans Entretiens avec Marcel Duchamp, André Dimanche Éditeur, Marseille, p. 29. 3 « Yes and No are lies ». Henry David Thoreau, cité par John Cage dans M. Writings ’67- ’72, Wesleyan Univeristy Press, Middletown, 1973, p. 3. 4 Bruce Nauman, The true artist is an amazing luminous fountain, 1966. Crayon et encre sur papier. Collection Sonnabend, New York. 10
Septs Nains (« On pioche tic tac, tic tac / Dans la mine, le jour entier / Piocher tic tac, tic tac / Notre jeu préféré. 1 ») À Marcel Duchamp et son célèbre : « Laisser, laisser faire. 2» Comme pour ces derniers, ton processus de travail, sa forme et toi en tant qu’individu convergent. Une forme de désinvolture, la ferme intention de rester loin du truisme, du trop net et du trop évident. Tu sembles laisser surgir les idées plutôt que de les rechercher. Je fonctionne beaucoup en mettant en doute ma propre pratique. Essayer de retirer la chaise dès que mon travail est un peu trop confortablement assis. Peut-être que mes pièces ne sont là que pour révéler l’espace négatif entre elles. En cela l’installation des œuvres est très importante. Quelle œuvre va avec quoi. Il y a une épaisseur dans cet interstice. J’ai toujours essayé même dans les expositions collectives de montrer au moins deux travaux plutôt qu’un seul. Il y a dialogue entre les œuvres bien sûr, mais aussi un écart, comme pour essayer de monter un spectrum dans lequel le travail pourrait se situer, plutôt que de le laisser être fermement dans les œuvres. Mais dans ce sens là, je trouve qu’il y a une grosse différence entre justement rendre la complexité plus évidente et trop simplifier les choses. Là, il y a un véritable effort. J’aime particulièrement cette phrase de Thoreau : « Oui et non sont des mensonges 3, » que Duchamp s’appropria en parlant de « co-intelligence des contraires. » Est-ce que tu vas au-delà en proposant que les choses n’ont même plus besoin d’être contraires pour être en co-intelligence ? Ce que j’aime chez Duchamp plus que son coté petit malin qui raffole des contradictions, c’est cette idée que l’artiste apporte du sens, du jeu, de la générosité (même si dans son cas précis c’est à relativiser.) Tout ce qui relève de la signification et ce qui se passe après est finalement le problème du spectateur. L’artiste peut seulement amener le spectateur à s’avancer, à jouer ou à dialoguer avec lui; finalement, il est le seul à ne pas pouvoir regarder son propre travail. Ma bible c’est Alice au pays des merveilles, qui est à la fois un livre pour enfant et un traité de linguistique. Ces deux aspects y co-existent parfaitement. Il n’y aurait aucun intérêt à dire à un enfant qu’il n’a pas compris le livre. De la même façon, dans mon travail tous les sens se valent, sans que l’un – fusse-t’il le mien – y soit plus dominant qu’un autre. Justement, les imbroglios d’Alice me font penser à ton petit lampadaire qui fonctionne grâce à un système laborieux mais instable, relié au mur par une débauche d’outils, de bric et de broc totalement inappropriés (Hardly an explanation, 2011–13). « Hardly an explanation » signifie à la fois une explication qui vient avec difficulté et une explication pas très valable. Une explication qui ne tient pas la route. Cette pièce est-elle importante pour toi ? J’ai l’impression qu’elle catalyse beaucoup des questions qui t’importent. Au départ c’est une citation de Bruce Nauman (The true artist is an amazing luminous
Hardly an explanation, 2011–13
3 “Yes and no are lies”. Henry David Thoreau as quoted by John Cage in M. Writings ‘67-’72, Wesleyan University press, Middletown, 1973, p.3. 4 Bruce Nauman, The true artist is an amazing luminous fountain, 1966. Pencil and ink on paper. Sonnabend Collection New York.
A lot of work involves casting doubts on my own practice. Trying to pull away the chair as soon as my work is too comfortably seated. Maybe my pieces are only there to reveal the negative space between them. In that respect, the installation of the works is very important. Which piece goes with which. I find this in-between space very relevant and worth paying attention to. I’ve always tried, even in group shows, to show at least two pieces of work rather than just one. There is a dialogue between the pieces of course, but also a distance, as if to try and show a spectrum in which the work could be situated, rather than letting it be firmly placed within the pieces themselves. But in this sense, there’s a big difference between making complexity more evident and blatantly oversimplifying things. There’s real effort and hard work involved there. I particularly like this quote from Thoreau, “Yes and no are lies 3”, which Duchamp appropriated by talking about the “co-intelligence of opposites”. Do you go beyond that by proposing that things don’t even need to be opposite to be in co-intelligence? What I like about Duchamp, more than his mischievous side that loves contradictions, is the idea that the artist brings sense, playfulness and generosity (even if that has to be put into context in his case). Everything that relates to signification and what happens afterwards is ultimately the viewer’s problem. The artist can only prompt the viewer, play and dialogue with him; at the end of the day, the artist is the only one who isn’t able to look at his own work. My bible is Alice in Wonderland, which is both a children’s book and a treatise on linguistics. These two aspects co-exist perfectly. There would be no point telling children they haven’t understood the book correctly. In a similar way, in my work I think of all these senses as equally valid, without any one of them – even mine – being more dominant than another. Precisely, Alice’s imbroglios put me in mind of your little streetlamp that works with a laborious but unstable system, connected to the wall by a jumble of tools and totally unsuitable bits and pieces (Hardly an explanation, 2011-13). “Hardly an explanation” can mean both an explanation that’s hard to summon, and an explanation that’s not very valid. An explanation that doesn’t stand up. Is this piece very important for you? I get the impression that it catalyses many of the questions that are important to you. It started with a quote by Bruce Nauman (The true artist is an amazing luminous fountain, 1966). I thought that a streetlamp fulfilled the function of a “luminous fountain” quite well. And that – as I’m tall and slim – it would also be a good substitute for me, with a view to being this “luminous fountain”. Or even the Wanderer above the sea of clouds (Caspar David Friedrich), who could easily be seen as a streetlamp at the centre of a very, very precarious situation. It’s a tiny thing running on a big car battery, so potentially it will run for a very long time. When visiting IKEA, I realised that their desktops – which are precisely work spaces – are completely empty inside. There’s no substance, they are hollow, fundamentally hollow. The structure only exists in the 11
Hot for day for night, 2014 12
fountain 4, 1966). Je me disais qu’un lampadaire remplissait bien la fonction d’une « luminous fountain. » Et que – étant grand et mince –, ce serait aussi un bon substitut pour moi, en vue d’être cette « luminous fountain. » Ou même que le Voyageur contemplant une mer de nuages (Caspar David Friedrich), pourrait tout à fait être considéré comme un lampadaire au centre d’une situation très, très précaire. Il s’agit d’une toute petite chose qui fonctionne sur une grosse batterie de voiture, donc potentiellement pour très longtemps. Lors d’une virée à IKÉA, je me suis rendu compte que leurs bureaux – qui sont précisément des espaces de travail – sont complètement vides à l’intérieur. Il n’y a aucune substance, c’est creux, fondamentalement creux. La structure n’existe que sur les côtés des plateaux de travail. Souvent les gens demandent aux artistes : « Qu’est-ce que tu fais ? » et immanquablement, les artistes prennent le plus long chemin possible en passant par d’improbables méandres pour expliquer leur travail. Alors voilà, il y a une lumière assez têtue à un bout, et l’autre est ancré au mur. Entre les deux, c’est un jeu incertain et instable qui va tant bien que mal. Cette pièce est une série, j’en ai fait plusieurs différentes sous le même titre. J’aime que le spectateur se raconte son histoire, crée une narration à partir de ce que je lui propose. D’ailleurs, est-ce que ça part du mur ou du lampadaire ? De la poule, ou de l’œuf. … Ou des deux en même temps ! Ou un œuf qui se grille tout seul sur une plaque de métal ! (Hot for day for night, 2014). La perception fuit, les convictions, les évidences sont prises au piège. Dans cette attitude, il y a comme un doute de tout. Des objets, de leur sens, de leur représentation, du vrai et du faux, de l’absence de tout cela et de l’illusion aussi. Tu sembles te méfier des solutions et avoir une certaine tendresse pour la contradiction. Ce sont plus des glissements délibérés que des doutes. C’est assigner un autre rôle aux choses que celui qu’on leur prête normalement. Hot for day for night partait d’une platitude (« Il fait tellement chaud qu’on pourrait cuire un œuf à même le sol. ») C’est un œuf qui cuit sur une plaque de métal laissée en plein soleil. Je l’ai filmé en Super 8 et filtré « day-for-night », (« nuit américaine » en français). L’image finale évoque un coucher de soleil en utilisant un autre cliché : soleil/œuf « sunny side up. » C’est le glissement d’une idée rebattue vers le point où sa logique s’effondre et devient autre chose. Ce qui m’importe, c’est que ce glissement soit réel, matériel, dans le sens où ce n’est pas une vision éthérée ou loufoque de mon imaginaire. C’est plutôt une sorte de glissement poétique qui se joue des équations trop faciles, mais qui reste sculptural, matériel. Mais cet aspect poétique, il n’est pas évident ni direct. On ne retrouve chez toi aucune des habituelles ficelles dédiées aux zones poétiques. Les ficelles dont tu parles sont poétiques comme programmation sémantique facile.
edges of the work surfaces. Often people ask artists, “What do you do?” and unfailingly, artists take the long way around to explain their work, via unlikely twists and turns. So there there’s a rather stubborn light at one end and the other is anchored to the wall. Between the two is an uncertain and unstable game which carries on somehow. This piece is actually a series, I’ve made several different ones under the same title. I like the idea of the viewers telling themselves their own stories, creating their own narrative based on what is in front of them. Besides, does the piece start at the wall or with the streetlamp? With the chicken or the egg. ...Or both at once! Or an egg frying on a metal plate! (Hot for day for night, 2014). Perception slips away, convictions and foregone conclusions are caught in the trap. In this attitude, it’s like everything is in doubt. Objects, their meaning, their representation, true and false, the absence of all that and the illusion, too. You seem to be wary of solutions and have a certain fondness for contradiction. These are deliberate shifts rather than doubts. It’s about assigning things a different role from the one usually conferred upon them. Hot for day for night started with a platitude (“it’s so hot you could fry an egg on the pavement”). This is an egg cooking on a metal plate left out in the sun. I filmed it in Super 8 and filtered it day-for-night. The final image evokes a sunset using another sun/egg cliché, “sunny side up”. It’s a shift of an idea taken to the point where its logic collapses and becomes something else. What matters to me is that this shift is real, material, in the sense that it’s not an ethereal or wacky vision from my imagination. It’s more a sort of poetic shift making fun of too facile equations, but it remains sculptural, material. Yet this poetic aspect is neither obvious nor direct. We don’t see any of the usual tricks associated with poetic zones. The tricks you speak of are poetic as a facile form of semantic programming. We are programmed to see a flower as something sensitive, for example, but it’s still arbitrary. For me, the poetic aspect is more about stretching the moment when you know you’ve understood something but you don’t yet know what it is you’ve understood. It’s a case of extending this space, this window where many things can be slipped into it and many certainties will fall. An aim of slapstick is to enlarge and stretch this window. We know something’s going to happen, that it’s going to unravel, but we don’t know how, or what. Between the initial situation and the conclusion there is a moment. How can it be made to last? Buster Keaton was very good at it. He was able to constantly reintroduce moments to amplify and prolong this pleasure, on top of the visual gags. I find this space very playful, poetic and full of promises. We’re being suffocated with literal poetics, intentional sensibility and cheap tears. 13
On est programmés pour voir une fleur comme quelque chose de sensible, par exemple, mais cela reste arbitraire. Pour moi, le poétique serait plus une question de faire durer le moment quand tu sais que tu as compris quelque chose mais que tu ne sais pas encore ce que tu as compris. Il s’agit de prolonger, cet espace, cette fenêtre ; plein de choses peuvent s’y glisser et beaucoup de certitudes y tomber. Le but du slapstick est d’aller agrandir et étirer cette fenêtre. On sait qu’il va se passer quelque chose, que ça va dérailler, mais on ne sait pas comment, ni quoi. Entre la situation initiale et la conclusion, il y a un moment. Comment le faire durer ? Buster Keaton le faisait très bien. Il arrivait à constamment ré-introduire, en plus des gags visuels, des moments qui amplifient et font durer ce plaisir. Cet espace-là, je le trouve très joueur, poétique, riche de promesses. On étouffe du poétique littéral, de la sensibilité intentionnelle, de la larme pas chère. Or avec toi, il n’y a pas de romantisme programmé, c’est l’absurde qui programme le romanesque. J’ai énormément appris du slapstick, justement. On le traduit par « burlesque » en français, ce qui fait tout de suite penser à du cabaret. Je préfère de loin le terme anglais « slap stick » qui a une notion très matérielle de timbre, littéralement: « Le bâton qui fait le bruit d’une claque. » L’aspect du slapstick le plus important pour moi, c’est que le héros est toujours quelqu’un qui essaye de bien faire, de faire ce qu’on attend de lui. C’est une sorte d’obéissance au « bon sens » poussée jusqu’à son comble, jusqu’à l’absurde. Maintenant si on transpose ça à l’art, l’idée de rapport au spectateur devient particulièrement intéressante. Cela devient une affaire de correspondre au mieux aux attentes du spectateur de ce qu’une œuvre d’art devrait être, et de faire dérailler ces attentes en même temps. Mais encore une fois, c’est cet espace entre la correspondance et le déraillement qu’il m’importe de prolonger. Littéralement, comme dans l’une de tes dernières pièces qui montre un pingouin avec un masque de cochon, un flamand rose avec une gueule d’âne et un bélier avec une tronche de canard (Imposteurs, 2014.) Bizarrement, il s’agit d’un travail assez réactif. Quand je vivais à Londres, il y a eu une période où toutes les galeries montraient du « Berlin Art. » Tu pouvais en visiter trente dans la même journée et ne voir que ça ; genre plaque de plâtre cassée, posée sur un bout de bois avec une ficelle orange fluo qui pend du plafond … Les communiqués de presse donnaient toujours un sens très différent à ces œuvres pourtant très similaires, voire même quasi identiques (si bien qu’avec un copain, on s’était amusé à échanger les textes des galeries entre elles.) De la même façon, un pingouin, s’il a une tête de pingouin, une taille de pingouin et puis un corps de pingouin, c’est forcément un pingouin. Mais là, il a une tête de porc ! Le masque personnifie bien l’idée d’un discours qui n’aurait rien à voir avec son porteur : c’est un porc qui prétend être un pingouin … Ou c’est un pingouin qui prétend être un porc … 14
Imposteurs, 2014
Yet with you, there’s no programmed romanticism, it’s the absurd that programmes the romanesque. I did learn a great deal from slapstick. The French translation is “burlesque”, which instantly makes me think of cabaret. I far prefer the English term “slapstick”, which has a very tangible notion of timbre, literally: “the stick that makes a slapping sound”. The most important aspect of slapstick for me is that the hero is always someone who tries to do the right thing, to do what’s expected of him. It’s a sort of obedience to common sense taken to the extreme, to an absurd conclusion. Now if we transpose that to art, the idea of the relationship with the viewer becomes particularly interesting. It becomes a matter of meeting the spectator’s expectations of what an artwork should be, and of derailing these expectations at the same time. However once again, it’s this space between meeting and derailing expectations that it’s important to me to prolong. Literally, like in your recent piece showing a penguin with a pig’s mask, a flamingo with a donkey’s snout and a ram with a duck’s face (Les imposteurs, 2014)... Oddly, this was quite a reactive piece. When I was living in London, there was a period when all the galleries were showing “Berlin Art”. You could visit 30 in one day and see only that; for instance a broken plaster board on a piece of wood, with a neon orange string hanging from the ceiling… Press releases all gave a very different meaning to these pieces although they were actually very similar, virtually identical (to the point that a friend and I had fun swapping the galleries’ texts around). In the same way, a penguin is inevitably a penguin, if it has a penguin’s head, a penguin’s size and a penguin’s body. But here it has a pig’s head. The mask personifies well the idea of a discourse that has nothing to do with its bearer: it’s a pig pretending to be a penguin… Or maybe a penguin pretending to be a pig… Maybe it’s an artist? Maybe! The penguin was the first in the series in 2008 or 2009. It took me several years to make the other ones, precisely because the production process is a bit laborious. All three were shown as an installation at a fair, I thought it was a good context for this work. They were exhibited on rather tall, imposing piles of pallets, half Golden Calves, half fairground chimeras. And with the idea that you don’t know if it’s meant to be art or a pig. Or a penguin… Or all those things at once ultimately, provided we can speculate about it. Seriously, do you think the art market’s enthusiasm can change the way art is produced? It’s a strange market that doesn’t seem to know whether it is based on supply or demand. Or even claims to be dictated by one while actually obeying the other. It’s impossible to know what can be gained or lost. More pressing, I think, is the nature of objects that change and our relationship with them. Art production still follows a modernist principle: form and function are in a dialogue. Yet now there’s a whole side of industrial production that has dissolved this complementarity. A smartphone 15
The parrot is the message, 2011 16
C’est peut-être un artiste ? Peut-être ! Le pingouin a été le premier dans la série en 2008 ou 2009. Ça m’a pris plusieurs années pour lui faire des frères. Justement parce que le processus de fabrication est un peu laborieux. Les trois ont été montrés comme installation dans une foire. Je trouve que c’est un bon contexte pour ce travail. Ils étaient exposés sur des piles de palettes assez hautes et dominantes, mi-Veaux d’Or, mi-bêtes de foires chimériques. Et avec cette idée qu’on ne sait pas si c’est de l’art ou du cochon. Ou un pingouin … Ou tout à la fois finalement, pourvu qu’on puisse spéculer dessus. Sérieusement, penses-tu que l’emballement du marché de l’art peut modifier la production de l’art ? C’est un marché étrange qui ne sait pas s’il fonctionne sur l’offre ou sur la demande. Ou même prétend être dicté par l’un alors qu’il obéit à l’autre. C’est impossible de savoir ce qui peut être gagné ou perdu. Plus pressant, je trouve, c’est la nature des objets qui changent et notre rapport à eux. La production d’art fonctionne encore sur un principe moderniste : la forme et la fonction dialoguent. Or maintenant toute une fange de la production industrielle a dissout cette complémentarité. Un smartphone, pour quelqu’un qui n’en aurait jamais vu, ne ressemble à rien. Il n’y a aucune manière de savoir à quoi ça sert simplement en le voyant. Au niveau software en particulier, il y a beaucoup d’objets qui ne font rien tout seuls, qui ne sont spécialistes en rien, mais qui font tout à peu près bien. Ils ne sont plus vraiment des objets, ils sont devenus des matrices, des couteaux suisses sans formes propres. Maintenant cela, qu’est ce que ça veut dire pour la manière dont on attache une signification à un signe, si ce signe n’a rien de défini au départ ? J’aimerais revenir sur le marché de l’art et ton travail. En effet, en évitant de répéter un sujet, une technique ou un style, tu effaces la possibilité même d’une signature. D’une pièce à l’autre, les liens sont de l’ordre de l’attitude, mais jamais formels. Et c’est alors plus compliqué de se faire une place dans le marché. Je fais un travail qui est à la fois simple et compliqué, et qui échappe au littéral. Donc, non, pas toujours facile de se faire une place. J’ai fait une œuvre récemment en pensant justement à ça : The parrot is the message. C’est une chaussette perchée à une branche qui ressemble on-ne-peut-plus clairement à un perroquet. J’imagine que le monde de l’art fonctionne finalement sur la redite; et celle-ci n’émane pas forcément de ce que l’artiste énonce, mais plutôt de ce que quelqu’un va pouvoir expliquer de son œuvre à une tierce personne en ayant l’air intelligent. C’est l’idée qu’une œuvre d’art a une existence par la répétition : Combien de personne vont pouvoir répéter ces bons mots à une autre, puis à une autre, et ainsi de suite. Je voulais que celui qui décrit ma pièce en disant The parrot is the message devienne lui-même le perroquet qui délivre le message. Ce faisant, soit il s’enfonce dans des explications impossibles sur la distribution des rôles dans la répétition, soit il a l’air ridicule à démontrer que la chaussette ressemble effectivement à un perroquet. Je trouvais cette pièce assez emblématique de la position dans laquelle mon travail peut mettre les gens.
doesn’t look like anything much to someone who’s never seen one before. There’s no way of telling what it is for just by seeing it. At the level of software in particular, there are many objects that do nothing on their own, are specialists in nothing, but can do everything seemingly well enough. They aren’t really objects any more, they’ve become arrays, sort-of Swiss army knives with no form to speak of. Now what does that mean for the way we attach a signification to a sign, if this sign has nothing definite about it to begin with? I’d like to return to the art market and your work. By avoiding repeating a subject, technique or style, you erase the very possibility of a signature. The pieces are related in terms of their attitude, but never formally. And that makes it much more complicated to make a place for yourself on the market. The work I do is at the same time simple and complicated, and tries to elude the literal. So yes, let’s just say it’s not always easy... I recently made a piece with that in mind, The parrot is the message. It’s a sock perched on a branch, which very clearly resembles a parrot. I imagine that the art world ultimately functions on repetition; not necessarily from what the artist has to say, but rather on what someone will be able to explain when describing the work to a third party while making themselves sound smart. It’s the idea that a work of art has an existence through reiteration, how many people will be able to repeat these clever words to another person, then another and so on. I wanted the person describing the piece saying “The parrot is the message” to become the parrot delivering the message. And either they get bogged down in impossible explanations about the distribution of roles in the repetition, or they look ridiculous demonstrating that the sock does effectively look like a parrot. I do think this piece is quite emblematic of the position in which my work can put people. Anyone wanting to explain this work would have to take off their sock and put their fist into it, for a start! There are many things around us which ignore their material footprint, or are deceitful about it. The Internet is a good example. We talk about cloud computing, we imagine the information stored in transparent clouds, it’s very cute. In reality, it all happens in a huge refrigerator in the middle of the Nevada desert. In fact, soon they’ll run out of room and a new refrigerator will have to be built, which in turn will use an insane amount of energy. Some things that operate on quite temporary effects can in fact have an immense material footprint, so gargantuan as to be grotesque. Inversely, there is some fun to be had at reminding gravitas that it’s maybe just a load of hot air. Is that why you work quite economically in terms of resources, using what you have to hand (or on your foot)? It is largely to do with my own means of production, if only for the documentary aspect I was talking about before. But I like the idea of the hand as a starting point. 17
Quiconque voudrait expliquer cette œuvre devra, au minimum, enlever sa chaussette et l’enfiler jusqu’au poignet ! Il y a beaucoup de choses autour de nous qui ignorent leur empreinte matérielle. Internet en est un bon exemple. On parle de cloud-computing, on s’imagine les informations stockées dans des nuages transparents, c’est très mignon. En réalité, ça se passe dans un énorme réfrigérateur en plein milieu du désert du Nevada. D’ailleurs, il n’y a bientôt plus de place et il faudra construire un nouveau réfrigérateur, qui dépensera à son tour une énergie folle. Parmi les choses qui marchent sur des effets assez éphémères, certaines peuvent avoir une empreinte matérielle immense, quasiment bouffonne tellement elle est gargantuesque. Inversement, il y a aussi du jeu à rappeler à la gravité qu’elle est peut-être juste baudruche, de l’air brassé. C’est pour cela que tu travailles avec une certaine économie de moyens, utilisant ce que tu as sous la main (ou sur le pied) ? C’est en grosse partie par rapport à mes propres moyens de production, ne serait-ce pour l’aspect documentaire dont je parlais avant. Mais j’aime l’idée de la main pour point de départ. La main comme échelle ? Oui, la main comme échelle des possibles. Je pense souvent à l’idée d’un magicien. Aller voir un spectacle de magie, c’est aller voir quelqu’un comme toi et moi qui va essayer de faire croire qu’il peut défier les lois de la physique. Mais il reste la mesure de ce qui va se passer. S’il avait de vrais super-pouvoirs (comme Dieu ou Harry Potter, par exemple) l’audience serait paniquée et partirait en courant. Le monumental ne m’émeut pas et me rend plutôt soupçonneux. Par contre, ce qu’il est possible de faire soi-même comme échelle d’un rapport au monde m’importe beaucoup. Je trouve même que c’est là que la sculpture trouve son plein intérêt. Florence Jung est artiste. Vit et travaille à Bienne, Suisse.
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The hand as a scale? Yes, the hand as a scale of possibilities. I often think about the idea of a magician. When you go to see a magic show, you’re going to see someone like you and me who’s trying to make you believe he can defy the laws of physics. Yet, as human, he remains the measure of what is going to happen. If he had real superpowers (like God, Harry Potter, etc.), the audience would scream in panic and run away. The monumental doesn’t move me and I’m even suspicious of it. However, the notion that what you can make on your own can act as the scale of your relationship to the world is very dear to me. I would even say that’s the whole point of sculpture. Florence Jung is an artist. Lives and works in Biel, Switzerland.
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SMOOTHED OPERATORS: Metaphor as Instruction in the work of Colin Guillemet Transcription of a lecture recorded on April 23, 2015. By Chris Fite-Wassilak. Let us begin with a look at that most emblematic of Romantic poets: For oft when on my couch I lie In vacant or pensive mood, They flash upon that inward eye Which is the bliss of solitude, And then my heart with pleasure fills And dances with the daffodils. Consider, for a moment, where the poem places us, the reader. The titular opening line of Wordsworth’s oft-cited poem ‘I wandered lonely as a cloud’ (1807) gives us a simile that presents the image of an anthropomorphised, forlorn cloud. As if we are outdoors watching the poet on a pleasant outdoor stroll, it puts us firmly in the role of a standby spectator, or maybe a fellow rambler. But as we approach the closing lines above, it turns out instead that we have the whole time been indoors, as he lounges dejectedly on his sofa. More specifically, inside his head: the vision we’ve been subject to is that of his ‘inward eye’. We finish the poem trapped in this space, standing next to a dancing, stuffed heart, as if we’re at some sort of internal organvegetation wedding party. The point is, of course, that Wordsworth’s journey is achieved overtly through his visual imagery, but more effectively through his quietly unusual metaphors – lonely clouds, blissful eyes, dancing hearts – that direct us towards and hem us in to the peculiar mood he seems to find himself in. Which is to say: metaphor is instructional. Now, let us look to a more contemporary example, which we shall draw from the second most successful song of all time and the final number one hit of the last millennium: It’s just like the ocean Under the moon, It’s the same as the emotion That I get from you. Here, similarly, we are initially given a simile that sets an outdoor scene, this time at night; we might be at the shore, looking at the reflection of the moon in the water and thinking of the planetary cycle, how the effect of the moon’s gravity manifests itself in our ebbing tides. The chorus of Santana and Rob Thomas’ ‘Smooth’ (1999) 1 then, like Wordsworth, draws back into the interiority of the singer’s emotions. But 20
1 The song is listed as Billboard’s second most successful song of all time, only following Chubby Checker’s ‘The Twist’ (1960). The song spent 12 weeks at number one in the USA, though it only reached a highest ranking of 15th place in France.
SMOOTHED OPERATORS: La métaphore comme instruction dans le travail de Colin Guillemet Transcription d’une conférence donnée le 23 avril 2015. Par Chris Fite-Wassilak. Commençons par nous intéresser au plus emblématique des poètes romantiques : Car souvent lorsque je m’allonge Que je sois rêveur ou pensif, Elles brillent pour l’œil intérieur, Félicité des solitaires, Et de plaisir mon cœur s’emplit Et danse parmi les jonquilles. Considérons un instant la place que nous octroie, à nous, lecteurs, le poème. Le premier vers éponyme de l’ode très citée de Wordswoth « J’errais solitaire nuage » (1807), est le parfait exemple d’une comparaison nous livrant l’image d’un nuage esseulé, anthropomorphisé. Alors que nous suivons des yeux, dehors, le poète dans une plaisante flânerie aérienne, nous entrons de plein pied dans le rôle de l’observateur en faction, voire du compagnon d’errance. Mais alors que, ci-dessus, nous nous rapprochons des lignes finales, il apparaît que nous avons en réalité été tout ce temps à l’intérieur, le poète se prélassant, las, sur un sofa. Plus précisément, nous sommes à l’intérieur de sa tête : la vision dont nous avons été le sujet était celle de son « oeil intérieur ». Nous terminons le poème prisonnier de cet espace, près d’un cœur emplit et dansant, comme si nous assistions à une sorte de noce interne organique-végétative.
Untitled (Vacuum), détail, 2012
Tout l’enjeu du poème réside évidemment en ce que le voyage de Wordsworth soit ouvertement achevé au moyen de son imagerie visuelle, mais encore plus efficacement grâce à ses métaphores paisiblement inhabituelles – nuages solitaires, bienheureux yeux, cœurs dansants – qui nous conduisent à l’humeur particulière dans laquelle il semble se trouver et nous en imprègne. Cela revient à dire que la métaphore est instructive. Maintenant, étudions un exemple plus contemporain, extrait de la seconde chanson ayant eut le plus de succès de tous les temps, et ultime hit numéro un du millénaire dernier : It’s just like the ocean Under the moon, It’s the same as the emotion That I get from you. 1 De la même manière, nous avons tout d’abord l’impression que la scène se déroule à l’extérieur, et cette fois-ci, de nuit ; nous nous trouvons peut-être sur la rive, en train
1 Trad. C’est comme l’océan Au clair de lune, C’est la même émotion Que tu me donnes 21
the singular construction of the line gives us pause. The use of ‘get from you’ makes it ambiguous as to whether it is the singer’s own feelings, or just his understanding of what the object of his affection’s feelings might be. Furthermore, the initial simile doesn’t provide us with what the ocean is being compared to, and by the time we arrive at what we might assume is its corresponding subject – ‘the emotion’- we have been told that it is not similar, or like, or metonymical to the ocean but ‘the same.’ 2 This places us, the listener, in quite an awkward position. Where Wordsworth’s figures of speech are strange invisible entities given unlikely qualities, they remain in the realm of analogy. These curious creatures might teach us, as some claimed of Wordsworth, to make us look again, to ‘open out the soul of little or insignificant things’. In Thomas’ lyrics, though, we have a remarkable transformation where in a brief instant a passing sentiment literally becomes a planetary phenomenon. An incomplete simile is turned into a physical fact. This places us in an odd in-between state where his uttering of ‘just like’ and ‘it’s the same’ both point straight at the metaphor he’s thinking of, while at the same time abolishing it. Here, Thomas leaves us conscious and caught with the impossibility of the statement. 3 Now, let us turn to the true focus of this talk: We enter into a dim room, the sound of a steady wind filling the space, a rhythmic click every few moments. A low wooden platform juts out from one wall for a few metres. A slide projector sits at one end. The projected photographs show the head of a vacuum cleaner being run along a stretch of dark brown sand, pushed in all directions over the sequence in an attempt to smooth it out and erase any footsteps or other marks. The room, the installation Untitled (Vacuum) (2012) by Colin Guillemet, is on a pictorial level placing us as a witness, giving us documentation of the patently ridiculous gesture of someone trying to clean a beach. On a sensory level, we are placed in a sort of beach simulation: the projector mechanisms providing the cheap imitation sounds of wind and waves, the platform acting as a jetty in to this ersatz holiday space. The installation poses a hypothetical answer to a long-delayed question: if the beach is beneath the paving stones, what’s beneath the beach? Standing in this room, we are placed on the beach but perhaps in a potential future where the insane person who has attempted to hoover up all the sand might have actually succeeded. Guillemet’s slogan might thus be: beneath the (kind of) beach, the (kind of) gallery. The ‘kind of’ is important: none of the worlds that Guillemet portrays here are fully immersive or resolved but uneasily reliant on each other, and it leaves the visitor in an imaginary half-state. Like Thomas, Guillemet weaves a concentrated palimpsest of self-digesting half metaphors, ones that call attention to themselves but refuse to disappear. This leads us to the potential of the consciously reified metaphor, 22
2 The clues to the peculiar construction of this line might lie in its unique provenance. The song, originally composed by Ital Shuur, instead had the lines ‘Room one seven, on the seventeenth floor, take the elevator and I’ll meet you at the door.’ After being accepted by the Arista record label for consideration for Santana’s upcoming album of collaborations, one director at the label felt the original line ‘sounded like a groupie meeting a musician after a concert - not something Carlos Santana would be associated with.’ He changed the line to ‘give me the ocean, give me the moon’, which was subsequently further altered by Rob Thomas before the recording session to the immortal line we have today. 3 Rob Thomas on his thinking behind writing the song: ‘[My wife and I] had just moved into New York at the time and were feeling young and hot. I think it’s got to be a moment of inspiration to write a line like, “You’ve got the kind of loving that can be anything.”’
d’observer le reflet de la lune dans l’eau tout en songeant au cycle planétaire et à l’effet de la gravité lunaire sur nos marées descendantes. Le refrain du titre « Smooth » (1999) 2, de Santana et Rob Thomas, nous ramène alors, à la manière de Wordsworth, à l’intériorité des émotions du chanteur. Mais le singulier agencement des vers nous donne ici à penser. L’utilisation de « get from you » laisse planer l’ambiguité : s’agit-il des émotions du chanteur lui-même, ou simplement de la manière dont il ressent les sentiments supposés de l’objet de son affection ? De plus, la comparaison initiale ne nous fournit nullement l’objet avec lequel l’océan est comparé, et lorsque nous arrivons enfin au sujet qui, nous le supposons, lui correspond — « l’émotion » — on nous dit que sa relation avec l’océan n’est pas de l’ordre du similaire, du « tout comme » ou du métonymique, mais qu’il s’agit de « la même chose » 3. Cela nous place, nous, auditeur, dans une position inconfortable. Tandis que les figures de style de Wordsworth ne sont que des entités étranges et invisibles, auxquelles ont été conférées des qualités improbables, elles demeurent du ressort de l’analogie. Ces étranges créatures peuvent très bien nous apprendre, comme Wordsworth l’affirma, à regarder à nouveau, à « ouvrir notre âme aux choses, petites ou insignifiantes ». Dans les paroles de Thomas, en revanche, nous avons affaire à une transformation remarquable qui, en un court instant, métamorphose un sentiment passager en phénomène planétaire. La comparaison incomplète devient ainsi un fait relevant de la physique. Cela nous situe dans un étrange « entredeux » où les deux expressions, « tout comme » et « être la même chose », pointent directement vers la métaphore à laquelle il pense, tout en l’abolissant d’un même mouvement. Ici, Thomas nous laisse, conscients, en proie à l’impossibilité de toute affirmation 4. Maintenant, abordons le véritable sujet de cette conférence : Nous entrons dans une pièce sombre. Le bruit d’un vent régulier emplit l’espace, un « clic », rythmique, est répété à intervalle régulier. Une basse estrade de bois fait saillie du mur sur quelques mètres. A l’une de ses extrémités, un projecteur de diapositives. Sur les photographies projetées, un embout d’aspirateur parcourt une étendue de sable blond, poussé, au travers des différentes images, tentant ainsi d’uniformiser le sol et d’en effacer toutes traces de pas ou marques d’autre nature. L’installation Untitled (Vacuum) (2012) de Colin Guillemet, nous confère, sur le plan pictural, la position de témoins, nous documentant sur la démarche hautement ridicule d’un individu qui tente d’aspirer la plage. Au niveau sensoriel, nous nous trouvons dans une espèce de simulation de plage : le mécanisme du projecteur nous fournit une piètre imitation du bruit du vent et des vagues, l’estrade faisant office de jetée dans cet ersatz de lieu de vacances. L’installation propose une hypothétique réponse à une question longtemps éludée : si la plage est sous les pavés, qu’y a-t-il sous la plage ? Debout, dans cette pièce, nous sommes à la fois sur la plage, mais peut-être déjà dans un possible futur où le fou ayant tenté d’aspirer tout le sable y
2 Sur Billboard, la chanson est classée deuxième des meilleures chansons de tous les temps, seulement précédée par « The Twist » de Chubby Checker (1960). Bien qu’elle n’atteignit que la 15ème place en France, elle fut 12 semaines durant numéro 1 aux USA. 3 Ces lignes tirent leur particularité de leur provenance unique. En effet, dans la chanson originale, initialement composée par Ital Shuur, se trouvait à la place « Room one seven, on the seventeenth floor, take the elevator and I’ll meet you at the door ». Après avoir été acceptée par le label Arista record au regard des collaboration liées autour de l’album à venir de Santana, l’un des directeur du label eut le sentiment que les lignes originales « auraient pu être prononcées par une groupie rencontrant un musicien après un concert – rien à voir avec l’image habituelle de Carlos Santana. Il modifia alors le texte au profit de « Give me the ocean, give me the moon », que Rob Thomas altéra encore avant l’enregistrement, forgeant les paroles aujourd’hui immortelles que nous pouvons entendre. 4 Rob Thomas, sur son état d’esprit lors de la rédaction de la chanson : « Ma femme et moi venions alors d’aménager à New-York. Nous nous sentions jeunes et fougueux. Je pense que « You’ve got the kind of loving that can be anything » ne peut être écrit que dans un instant de profonde inspiration. » 23
the double-crossed and ousted analogy, the non sequitur comparison that might somehow escape into reality. Let us continue: Three animals are each perched on corresponding stacks of shipping pallets. They are, at first glance, stiffly colourful and life-size representations of a blue penguin, a pink flamingo, and a white ram. Each is carved out of polystyrene, at times a bit unfinished and roughly hewn. But there is something else, something you might describe as ‘wrong.’ Each of the animals wears a plastic party mask: the penguin is disguised as a pig, the flamingo as a grey donkey, and the ram as some sort of yellow-beaked bird, perhaps even a penguin. These as a group are the Imposters (Pretender (penguin) (2008), Pretender (ram) (2014), and Pretender (flamingo) (2014)). We might imagine them as an animal-led bank heist gang; or we might take pity on these creatures for what they seem to think passes for a persuasive imitation; or even admire them for their attempts at drag, trying to actualise their inner identities. The attempts, though, remain slight and ultimately unconvincing. Who do you think you’re fooling? The hollows in the eyes of each mask stare back blankly: we’re asking the aspirations of a piece of polystyrene. These wannabes aren’t fooling anyone, but still here they are. Maybe the question should be asked of the artist, or of ourselves. The metaphors that Guillemet gives us here (polystyrene as animal, animal as party trick, animal as animal) place us as surreal detectives, but without any resolution. We’re left working at an impossible knot. Guillemet’s work tends to treat the world as a ready material for use: oversized boneshaped dog chew toys, ‘Flamingo Fun No. 2’ paint from Dulux, snippets of films from Herzog or Godard, a live canary, Sol LeWitt’s wall drawings or a worn out phrase like ‘the cup is half empty’, all are treated equally as starting points. Every thing tells a story; or rather, everything comes from a certain context, and in its relation to us instructs us in the manners and codes of that context. Everything both is itself, but also a metaphor for its context, instructing us, placing us. Guillemet’s role is that of the wayward, mischievous poet, conjuncting things from one context with things from another, to create mixed metaphors and entities that hover unresolved. They butt up against each other, wind around dead-ended corners, disappear in puns and spirals. Guillemet’s conjunctions are deliberately crossed wires, concise confusions, and joyfully pointed failures. What becomes apparent when a metaphor fails or sputters out is that act of instruction: it becomes apparent that we are already well versed and bound into these contexts, bringing with us our own baggage of stereotypes, assumptions, clichés, expectations. But even dead-ended metaphors are instructional: the act of interpellation becomes if not ineffective, then at least visible, an object in itself that can be contemplated.
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XXL. Mutt, détail, 2015
serait finalement parvenu. Nous pourrions ainsi résumer le propos de Guillemet : sous une (espèce de) plage, une (espèce de) galerie. L’ « espèce de » est important : aucun des mondes que Guillemet invoque ici n’est tout à fait immersif ni parachevé, mais chacun est au contraire précairement dépendant de l’autre, et cela laisse le visiteur dans un « entre-deux » imaginaire. Tout comme Thomas, Guillemet tisse un palimpseste dense de semi-métaphores auto-digérantes, qui attirent l’attention mais refusent de disparaître. Cela nous amène à la possibilité d’une métaphore consciemment réifiée, analogie trompeuse, comparaison non sequitur qui pourrait d’une certaine manière s’échapper dans la réalité. Continuons : Trois animaux sont respectivement perchés sur trois piles de palettes. Ce sont, à première vue, des représentations uniformément colorées et à échelle réelle d’un pingouin bleu, d’un flamant rose, et d’un bélier blanc. Tous sont sculptés dans du polystyrène, par endroit non-finis et grossièrement taillés. Mais il y a autre chose : quelque chose que nous pourrions définir comme « n’allant pas ». Chaque animal porte un masque de fête en plastique : le pingouin est déguisé en cochon, le flamant en âne gris, et le bélier en une sorte d’oiseau au bec jaune, voire, en pingouin. Le groupe s’appelle les Imposteurs (Pretender (penguin) (2008). On pourrait très bien les imaginer formant un gang animal de cambrioleurs de banques ; ou bien avoir pitié de ces créatures en cela qu’elles semblent penser leur imitation convaincante ; ou même les admirer pour leur tentative de travestissement, d’actualisation de leurs identités. Tentatives qui demeurent malgré tout superficielles et échouent à nous convaincre totalement. Qui pensez-vous berner ? En retour, le regard sans yeux de chaque masque nous fixe : nous sommes en train d’interroger un morceau de polystyrène. Ces aspirants à être autre chose ne leurrent personne : ils restent ce qu’ils sont. Peut-être cette question devrait-elle être posée à un artiste, ou a nous-mêmes. La métaphore que Guillemet file ici (le polystyrène comme animal, l’animal comme tour de passepasse, l’animal en tant qu’animal), nous met dans la peau de détectives surréalistes n’ayant rien à résoudre. Nous travaillons à dénouer un impossible nœud. L’œuvre de Guillemet a tendance à considérer le monde comme un matériau prêt à l’emploi : un os à mâcher pour chien surdimensionné, la peinture Dulux « Flamingo Fun n°2 », fragments de films d’Herzog ou Godard, un canari vivant, les dessins muraux de Sol LeWitt ou une phrase rebattues du style « La coupe est à moitié vide », tout cela est traité également, comme autant de points de départ. Chaque chose raconte une histoire ; ou plutôt, chaque chose est issue d’un certain contexte et, dans sa relation avec nous, nous informe des manières et des codes inhérents à ce contexte. Chaque chose est à la fois elle-même, et une métaphore du contexte dont elle est issue : elle nous informe, et nous positionne. Le rôle de Guillemet est celui du poète rétif et espiègle, qui associe des choses issues d’un certain contexte à 25
In one of his more recent works, Guillemet draws a room. Over a set of videos shown on four sequential screens, we see a lit fuse running along the contours of four corners. We can see the scratch of celluloid on the images, and hear the whirring sound of a film projector, but the videos have been transposed from their Super 8 origins to more contemporary, digital projections. The work, Fuse corners (2015), places us in this delineated room, but perhaps what is in the room is up to us. For some, it might call to mind scenes from Mission: Impossible, or any number of cartoons or films where a sparkling fuse draws ever-closer to a waiting incendiary device. The stark outlines might recall, for the more art historically inclined, one of LeWitt’s geometric drawings, or bring to mind Bruce Nauman’s mapping of the mouse-infested corners of his studio. The explosion never arrives, but we remain in this tense room, one that is self-consciously cinematic through its film haze, and incessantly drawing its own perimeters. The question and playful challenge posed by Guillemet’s work, of course, is if we can free ourselves of these hemmed in spaces and these instructions, if by laying bare these bindings we might be able to if not liberate ourselves then at least rewire them. The problem is left for us to solve, or indeed throw out and start again, if that’s at all possible. Wordsworth’s sister, in a diary entry that helped inspire his later poem, described the daffodils as ‘ever-glancing, ever-changing,’ 4 and it is this state that we might ideally aspire to with our relationship with the metaphorical world. But, as Guillemet seems to suggest, it is more likely closer to the tautological assertion and gruesome half-reality that Thomas demands in ‘Smooth’: ‘You’re the reason for my reason… Give me your heart,/ Make it real/ Or else forget about it.’ It is in this doubled-back part-metaphorical existence that Guillemet creates that we might envision our escape, attempting to jog with limbs flailing towards wild, free interpretation. 5
Fuse corners, 2015
Chris Fite-Wassilak is a writer, critic and curator based in London. 4 Dorothy Wordsworth, describing a walk at Gowbarrow Park in the Eastern Fells, Lake District, UK, April 1802. 5 Post Script, July 2015: The recorded lecture and subsequent academic papers were disputed by followers of the New Criticism, and then re-instated the following week by the followers of the newly founded school of Wild Interpretation. The Historicists have as yet declined to comment, though the New Contextualists have made a point to distance themselves from the statements made here. The lecturer is still in hiding. 26
celle d’un autre, afin de créer des métaphores plurielles et des entités qui demeurent largement irrésolues. Elles entrent alors en collision, s’enroulent dans le coin d’une impasse, et disparaissent en jeux de mots et spirales. Les associations de Guillemet sont délibérément embrouillées, concises confusions et échecs joyeusement chargés de sous-entendus. Ce qui devient apparent lorsqu’une métaphore échoue ou dérape, est que nous connaissons déjà ces contextes et y sommes attachés, apportant avec nous notre propre bagage de stéréotypes, d’à-priori, de clichés et d’attentes. Mais même les métaphores en cul-de-sac sont édifiantes. Le fait d’interpeller devient, sinon effectif, du moins visible : un objet qui peut, en lui-même, être contemplé. Dans l’un de ses travaux récents, Guillemet dessine une pièce. Dans une série de vidéos projetées sur quatre écrans disposés en enfilade, apparait une mèche allumée se consumant en épousant le contour de chaque angle. Nous pouvons voir sur les images des rayures de celluloïd, et entendre le son d’un projecteur : traces du film Super 8 sur lequel ces vidéos ont été initialement capturées. L’œuvre, Fuse Corners (2015), ancre notre présence dans cette pièce, ainsi délimitée : mais peut-être que ce qu’il se passe à l’intérieur de cet espace dépend de nous. Pour certains, cela évoquera sans doute des scènes de Mission : Impossible, ou un nombre incalculable de cartoons et de films où une mèche crépitante se rapproche à toute allure d’une machine prête à exploser. La prégnance des contours rappèlera à l’amateur d’histoire de l’art les dessins géométrique de LeWitt, ou lui évoquera les vues du studio de Bruce Nauman infesté de souris. L’explosion n’arrive jamais, mais nous restons dans la crispation continue de cette pièce, qui s’assume consciemment comme cinématographique à travers le brouillard filmique qu’elle diffuse, et qui tout à la fois définit perpétuellement son propre périmètre. L’interrogation, et le malicieux challenge proposé par Guillemet, est évidemment ici de savoir si nous sommes capables de nous libérer de ces espaces enclavés et de ces instructions; si, en mettant à nu ces liens d’inter-dépendance, nous parvenons, à défaut de nous en affranchir, du moins de les recabler. C’est à nous seuls de régler ce problème, ou alors de tout abandonner et de recommencer, si cela est encore possible. La sœur de Wordsworth, sur une page de son journal intime qui inspira le poème ultérieur, décrivait les jonquilles comme « scrutant toujours et toujours changeantes » 5 (ever-glancing, everchanging). C’est exactement à cela que nous devrions idéalement aspirer dans notre relation au monde métaphorique. Cependant, Guillemet semble davantage suggérer que nous nous rapprocherons plus vraisemblablement de l’assertion tautologique et de l’horrible demi-réalité que Thomas revendique dans « Smooth »: « Tu es la raison de ma raison… Donne-moi ton coeur / Rend cela réel / Ou alors oublie-le ». C’est dans cette existence partiellement métaphorique et à double fond, créée par Guillemet, que nous pouvons envisager notre évasion, dans une tentative de course éperdue où nos membres se jetteraient vers une interprétation libre et sauvage 6. Chris Fite-Wassilak est écrivain, critique et commissaire d’expositions, basé à Londres.
5 Dorothy Wordsworth, décrivant une promenade à Gowbarrow Park, près des lacs de l’Eastern Fells, Royaume-Uni, avril 1802. 6 Post Scriptum, Juillet 2015 : la conférence enregistrée et sa retranscription furent débattues par les partisans du Nouveau Criticisme. Les membres de l’école récemment fondée de l’Interprétation Libre les remirent en débat la semaine suivante. Les Historicistes se sont, quant à eux, jusque là abstenus de tout commentaire, tandis que les Nouveaux Contextualistes ont tenu à se distancier des propos ici tenus. Le conférencier se cache encore. 27
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CATALOGUE
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Untitled (After) 2012–13 Tirage jet d’encre d’après rayon-X encadré, poster noir et blanc collé au mur d’après photo de In Advance of the broken arm par Marcel Duchamp 160 x 100 cm environ 30
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Fuse corners 2015 Installation avec quatre canaux vidéo, film Super 8 transféré sur vidéo SD en boucle Dimension variable 32
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Untitled (Anything but the rabbit) 2006 11 paires de Polaroid SX70 avec cadres en plexiglas 35.5 x 27 x 6 cm chacune, encadrĂŠe 34
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Ticking Sunsets 2014 Cadres photos numériques, JPEGs, piles de chantier en série Écrans 7“, 8“ et 12“, durées de vie variables Projet d’édition pour Éditions Paradise 36
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Pulpheading 2015 Tirages jet d’encre sur papier Muséo 70 x 50 cm (encadrés) 39
Blueprint / Box tropes 2014 Série de cyanotypes, cadres en aggloméré 155 x 105 cm (avec cadre : 200 x 145 cm) Installation Half Full. Half Empty, Dienstgebäude, Zurich
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Charming (Les bourgeois) 2014 Installation avec cordes, caissons de bois, graphite sur mur, tirage photographique plié et encadré Dimension variable; hauteur basée sur 157 cm (hauteur standard d’accrochage pour musées) Installation 59ème Salon de Montrouge Collection Colette et Michel Poitevin 42
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Untitled (Bam !) 2013 Animation binaire sur cadre photo numérique (en boucle), génératrice Écran 12’’, dimension variable 44
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Dos and don’ts 2003–présent Tirages laminés et présentoirs plexiglas muraux, ou tirages acetate sur retro-projecteurs Dimensions variables 47
Canari shift 2005 Canari, canthaxanthine, cage Installation Without boundaries, Waino Altonnen Museum, Turku Dimension variable 48
49
Relax 2005 Installation avec transcript d’une cassette audio de relaxation new-age Arc en ciel, projeté en vidéo sur le mur, à la manière de sous-titres sur écran de cinéma. Dimension variable, 22 minutes Installation Without boundaries, Waino Altonnen Museum, Turku 50
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Sol Lewitt / Fake tan lines 2008 Dessin à la crème auto-bronzante sur peau documentés sur quatre sets de photos d’identité 24 x 20 cm environ 52
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Diseased chairs 2009 Série de sept tirages jet d’encre encadrés 130 x 85 cm chacun 55
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Flamingo fun 2012 Installation avec flamand rose accessoire de vitrine (taille 1:1), peinture Dulux® Flamingo Fun n°2™ et dessin sur tirage jet d’encre Dimension variable Installation Die Fabrik ruft, Brunnen 57
Cette page : Half full. Half empty 2014 Installation avec deux projections-diapo synchrones, 2 x 81 diapositives Dimension variable, 2’30’’ environ Droite : Half full. Half empty (Nina) 2014 Diptyque photographique avec cadres en aluminium poncé 60 x 40 cm (x2) 58
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Hardly an explanation 2011–13 Media mixte, lampadaire de maquette, batteries de voiture Dimension variable 61
Hot for day for night 2014 Film Super 8 transferé sur vidéo 2’20’’ 62
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Gauche et en haut : Imposteurs 2014 Installation avec sculptures en polystyrène bleu, rose et blanc, masques d’animaux et palettes. Dimension variable Installation stand Galerie Le point Fort, St’Art 2014 Droite : Pretender (penguin) 2008 Sculpture en polystyrène bleu, masque Installation exposition Boule to braid, Lisson Gallery 65
Impressions (laser) du soleil couchant 2013 37 photocopies couleur A4, verre 780 x 30 cm 66
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Cette page : Unprincipled certainty 2012 Dessin au pastel sur mur 320 x 270 cm environ Installation GrĂśsser als ZĂźrich, Helmhaus, Zurich 68
Droite : Knock-out I 2011 Dessin au pastel sur mur 220 x 220 cm environ Installation Ha Ha Crystal, Maria Stenfors Gallery, Londres
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Man with guitar 2012–13 Action avec un joueur de guitare chantant pour lui-même le contenu du communiqué de presse de l’exposition, avec grande liberté d’interpretation, comme une visite (non-)guidée, statique et introspective Durée spécifique à l’événement Gauche : Ateliers/résidence, Brunnen, 2012 Cette page : Transform 2, Bern, 2013 71
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Moebius doughnuts 2010–12 Photographies noir et blanc 70 x 50 cm chacune 73
The parrot is the message 2011 Media mixte 135 x 60 x 35 cm environ 74
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Gauche : Untitled (Revolution in a white cube) 2007 Film Super 8 2’30’’ Droite : Untitled (in a white cube) 2008 Film Super 8 2’30’’ 76
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Spielende Kinder 2014 Quatre Polaroids 28 x 11 cm environ Installation Catch of the year 2014, Dienstgebäude, Zurich 78
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XXL. Mutt 2013 Installation avec gros os à mâcher, présentoir sabre samurai, media mixte, rétroprojecteur, cyanotypes Dimension variable Installation Swiss art Awards 2013, Bâle 80
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Untitled (Vacuum) 2012 Projection avec 80 diapositives, palettes Dimension variable 82
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Around the world 2009 Lampe globe et adaptateurs de secteur internationaux Dimension variable 85
Expositions récentes 2015 - Fil rouge, Galerie Le point Fort, Strasbourg - Sea, Forest, Sun, Galerie Le point Fort, Strasbourg - Hmn2 curated by C. Fite Wassiliak and A. Tallentire, London - Involvement requires perception, Museum Bärengasse, Zurich 2014 - Catch of the year 2014, Dienstgebäude, Zurich - (An)suite (group exhibition), La Secu, Lille - Edition project for Edition Paradise, Zurich/Bern - NJIAF international art festival section curated by Ying Yang, Nanjing, China - Picaresque, Hå gamle prestegård, Stavanger, Norway - Eternal September, Aksioma Institute for Contemporary art and Galerija Skuc, Ljubljana - Half full. Half empty, Dienstgebäude, Zurich - 59ème Salon de Montrouge, Montrouge, France - Les échos de la nature, Annex 14, Zurich 2013 - Catch of the year 2013, Dienstgebäude, Zurich - Werkschau, Kanton Zurich Werkbeiträge, F+F Schule, Zurich (prizewinner) - Werkstipendium Stadt Zürich Austellung, Helmhaus, Zurich - Swiss Art Awards, Basel - In search of coherence, with B. Dätwyler und A. Storchenegger, SIC!, Luzern - Un signe à l’horizon, Annex 14, Bern 2012 - Catch of the year 2012, Dienstgebäude, Zurich - Transform 2, project by Franz Krähenbühl and Sybille Heiniger, Bern - Werkschau, Kanton Zurich Werkbeiträge, F+F Schule, Zurich - Die Fabrik ruft, in the old cement factory, Brunnen - accidentalpurpose.net, online project of Accidentally on Purpose, Quad, Derby - Lecture Performance, at G R U P P E temporary structure, Basel - Things that have interested me, Waterside Contemporary, London - Grösser als Zürich, Kunst in AusserSihl, Helmhaus, Zurich - Minimal structures/The new existentialism part 5, curated by Alexandra Blättler, Rapperswil-Jona 86
2011 - Stuff on the wall… curated by Angela De La Cruz, Guest Projects, London - Group show, the Essential Collection, Zurich and Basel - Merz world, Cabaret Voltaire, Zurich - Überleben (organised by bureau d’artiste), Kunst(Zeug)Haus, Rapperswill-Jona - The Ha Ha crystal, Maria Stenfors Gallery, London - An exchange with Sol Lewitt, Cabinet Gallery, New York - The collective show, (with Gibs Mir Family, Zurich), Los Angeles 2010 - Catalogue presents, screening, South London Gallery, London - Back yard, Lucy MacIntosh Gallery, Lausanne - Project for “The Two Jonnys”, web-based project space WackyBacky - The magic show, Hayward Touring, (Grundy Art Gallery, Blackpool/Tullie House, Carlisle/Chapter, Cardiff/Pump House gallery, London) 2009 - The magic show, Hayward Gallery touring exhibition (Quad, Derby) - The voice and its double, curated by Michael Hiltbrunner, PerlaMode, Zurich - Boule to braid, curated by Richard Wentworth, Lisson Gallery
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Toutes les photographies sont prises par l’artiste, à l’exception des pages suivantes: 34 : Gunnar Meier 69 : Claire Lawrie, image courtesy of the artist and Maria Stenfors, London Toute reproduction, totale ou partielle du présent ouvrage réalisée sans l’accord écrit de l’éditeur, expose son auteur à des poursuites. Achevé d’imprimer en septembre 2015 sur les presses des Ets Fluoo (Voiron). ISBN : 979-10-94386-09-5 © Galerie Le point Fort, 2015 Ancien Abri A28A Rue de la Côte – RD31 67206 Mittelhausbergen
www.lepointfort.eu Prix France : 15€ TTC
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