Frances Stark Lætitia Paviani Lina Viste Gronli Katarina Burin Nana Oforiatta-Ayim Géraldine Gourbe Dorothée Dupuis Emmanuelle Lainé Clara Meister Kitty Krauss Lili Reynaud-Dewar Kathy Acker Fiona Jardine Mathieu Kleyebe Abonnenc bell hooks Sisters of Jam Spartacus Chetwynd Elizabeth Diller
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PA project by Katarina Burin, 2009-2011
The designer, known only by her initials as PA, emigrated from Eastern Europe to the United States in the mid-20th century, late in her neglected career. The many drawings, plans and photographs, carefully documenting her life’s work is currently being collected and assembled in a new monograph.
PA—Designs for a monogram (vers la mer), detail and full view, date unknown
Project for refurnishing the architect André Malizard’s apartment in Saint-Jean-Cap-Ferrat, 1959, black pencil on tracing paper, façade and floor plan
Vienna Pavilion窶認rankfurt trade fair, c. 1920
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Extract of The Architect & The Housewife by Frances Stark (1999, p.7-16), one of four publications commissioned by Matthew Higgs as part of Book Works Projects/Open House (1998-2001), printed offset in an edition of 1.500 copies, 36 pages, soft cover. Designed by Secondary Modern, 200 x 155 mm
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— Désolé. — Ça ne fait rien. C’est bien aussi comme ça. D’ailleurs ça me rappelle même quelque chose d’assez grandiose, figure‑toi : la Grande Muraille de Chine ! — C’est ça… — Laisse-moi te raconter. C’était il y a plus de dix ans. On était en voyage à Pékin avec plusieurs autres personnes et il était prévu évidemment qu’on fasse un tour sur la Muraille. Un bus est venu nous prendre très tôt le matin, les routes étaient dégagées, le ciel aussi et le temps du trajet absorbé par une conversation quelconque ne m’a pas semblé trop long. Toujours est-il que je ne sais plus pourquoi ni comment mais lorsqu’on est descendu du bus on était en fait très loin de l’entrée touristique habituelle. On s’était fait planter là, au flanc de ce monument qui nous semblait alors… inaccessible. — Faut pas exagérer quand même je ne suis pas… — De là où on se trouvait, on a très vite repéré un accès possible par un pan de mur effondré. En revanche pour y arriver, on était obligés de traverser une zone touffue au nivellement assez problématique, mais c’était jouable. À peine le temps de réfléchir, on avançait déjà, tantôt griffés par des milliers de petites feuilles, tantôt bousculés par
Vue de la Muraille de Chine © Photoeverywhere
de grosses branches raides et sèches. L’accueil inamical, un peu brusque, n’était pas si désagréable. Les buissons avalaient nos mains méfiantes et nous recrachaient bras tendus un peu plus loin pour nous absorber à nouveau et nous reprendre encore et encore, pendant plusieurs dizaines de minutes. On s’accrochait où on pouvait, ça n’en finissait pas ! On tentait de garder le même rythme, sans se voir. On ne s’entendait que gémir et souffler et nos cœurs lâchaient chaque fois qu’un caillou se dérobait sous nos pieds. Le sol n’était vraiment pas fiable et quand j’y repense le sourire qui ne quittait pas mon visage ne devait pas l’être non plus ! Et puis… enfin… elle s’est dressée devant nous, au moment où on ne s’y attendait plus. Mais ce n’est pas tout… Tu me suis ? — Qu’est-ce que… — Tourne-toi. — Ah… — Imagine un garçon d’origine indienne très beau, à moitié nu. Il est là depuis un moment à nous observer. Il doit
C’est infernal d’ailleurs ces ados qui se draguent, comme ceux-là en face. Je ne les ai pas vu venir. Ils ont déboulé à trois, deux filles, un garçon et se sont installés sans que j’y prenne garde, tout autour de moi. Pour fréquenter régulièrement des lieux où la densité d’adolescents au mètre carré est spectaculaire, je dois dire que j’ai eu ma dose de divertissement cette année. Bien malgré moi, je me retrouve souvent à les observer, ça m’agace mais j’ai du mal à ne pas écouter les sottises qui jaillissent en cascade de leurs visages sans poils, sans parler des SMS qui rebondissent en vibrant sur environ trente centimètres de distance et des petites phrases sur des petits bouts de papier qui empruntent à peu près le même trajet. Bavardages,
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avoir seize ans environ et il porte un short en toile. Rose, si je me souviens bien. On sympathise avec lui le temps de reprendre notre souffle et il nous raconte un tas de trucs en anglais, dont ça : il existe une tradition, dans le culte de Shiva — je m’étais un peu documentée par la suite — qui veut que lorsque l’on érige un temple, on se base sur les proportions des membres de son architecte. Le pouce et la coudée principalement, c’est-à-dire la première phalange, celle-ci… et… de là… à là… la distance qui sépare le coude du poignet. Donc l’architecte identifie son corps à son œuvre et offre les proportions de sa propre anatomie comme garantie de l’efficacité du temple. Ça te file la chair de poule on dirait ! Ensuite, sur le même principe d’osmose, de communion du corps et de l’esprit — enfin tout ça à des fins d’érection monumentale — il y a aussi l’importance de la disposition des membres. Ils appellent ça l’« homme‑plan » ou la « personne du plan ». C’est une sorte de diagramme magique où le plan du corps se superpose à celui du futur temple dans le but de répartir à l’identique les différentes facultés subtiles et autres centres… ah… névralgiques. Non, j’aime bien, continue. À l’endroit du sexe de l’« homme-plan »… oui là … c’est ça… on dresse le symbole de Shiva, le linga, un autel-phallus source de vie. Le linga est fait d’une pierre carrée à sa base, octogonale lorsqu’il traverse une sorte de récipient — la partie féminine de l’autel — et cylindrique dans sa partie phallique montée au dessus. Sur le plan… sur le plan… qui est… attends, attends… sur le plan qui est quadrillé, chaque membre occupe une place bien précise. Et à l’une des intersections de ce quadrillage, on trouve… l’anus de l’« homme-plan » ! Sur le dessin, l’homme a les pieds joints… comme ça… en position du lotus… et là… mais je n’ai pas trouvé beaucoup d’informations quant à des constructions spécifiques à cet endroit. Pourtant, d’après ce que nous a raconté l’adolescent, il en existerait au moins une, pas vraiment une construction supplémentaire mais plutôt quelque chose qui viendrait se soustraire à partir de cet endroit précis, une sorte de couloir souterrain, comme une variante anale du linga. Un tunnel clandestin qui aurait été creusé sur plusieurs centaines de mètres, et dont l’entrée se situerait à l’endroit exact où, sur le diagramme magique, est symbolisé… l’anus de l’« homme-plan »… Ici !… La rumeur voudrait que ce couloir soit devenu une sorte de club des jeunes. Parmi eux, notre jeune interlocuteur nous raconte que certains vouent un culte pacifiste à Adolf Hitler. Ce type de dévotion rétroactive est un phénomène qui aujourd’hui a pris de l’ampleur en Inde, j’ai encore lu ça quelque part il n’y a pas si longtemps1. Ils se retrouvent pour faire des fanzines et discuter de 1. http://news.bbc.co.uk/2/hi/ leur héros, pour louer son sens de la south_asia/8660064.stm discipline et son patriotisme. Ceux qui n’en sont pas traînent dans le coin pour profiter de l’ambiance. Il n’y a jamais de discussions violentes, les galeries sombres et tentaculaires sont confortablement aménagées pour y pratiquer toutes sortes d’activités, dont la drague. Je t’ai presque fait mal là, non ? — Je ne dirais pas ça, non… Mais vas-y mollo.
Mandala Vâstu-Purusha (homme-plan), extrait de Alain Daniélou, L’érotisme divinisé, Paris, Éditions du Rocher, 2002. © Éditions du Rocher, 2002
— Il y a aussi cette nouvelle d’Ursula K. Le Guin. Je t’en ai déjà parlé. Je crois que je l’ai par là, ne bouge pas. C’est une auteure de science-fiction qui a tendance à faire de l’anthropologie du futur. Elle invente des post communautés dont elle tisse les habitudes et les comportements sociaux. Ah le voilà ! Le recueil s’appelle L’Anniversaire du monde2 et l’histoire en question revisite un thème classique du genre, 2. The Birthday of the World le navire interstellaire à générations : and Other Stories, 2002. L’Anniversaire du monde, Paris, une population quitte une planète Robert Laffont, coll. « Ailleurs pour une autre, le temps d’un voyage et Demain », 2006. long de plusieurs vies, durant lequel les voyageurs intermédiaires… ouh, c’est bien ça… ne connaîtront ni la planète de départ… ça t’inspire, on dirait… ni… ah… ni la planète d’arrivée. Des générations qui flottent quoi… et qui… et qui se débrouillent avec des souvenirs et un futur qui ne sont pas… qui ne sont pas les leurs. Ça commence par… Tu m’écoutes ?… Si, si, continue… ça commence par « Les amants ne s’enfuient pas. Où iraient-ils ? » N’est-ce pas ?… Et plus loin — je te lis le passage : « Le Dale ou Dédale, était le premier endroit où beaucoup de jeunes s’installaient quand ils quittaient le foyerspace parental. C’est un ensemble de corridors dans le Quad Quatre, près de l’université ; tous les espaces étaient des simples ; du fait de la géométrie de l’enveloppe de l’accélérateur principal, les cloisons dans le Dale n’étaient pas à angle droit et quelques-uns des espaces étaient plus petits que la moyenne. Les étudiants déplaçaient les cloisons ici et là, et créaient un labyrinthe
de petites cellules et d’espaces partagés. Le Dale était bruyant, anarchique et sentait le linge sale. On y dormait de façon occasionnelle, et les relations sexuelles y étaient informelles. Mais chacun se présentait en temps et en heure à la clinique pour sa piqûre. » « Les activités sexuelles dans l’aquarium » C’est le titre du chapitre. À ces quelques mots, j’étais déjà conquise. J’avais lu en diagonale très rapidement le début, repéré cette histoire de Dale de l’espace et rangé ça dans un coin de ma tête. Mais entre-temps, j’avais diamétralement fantasmé ce labyrinthe d’adolescents aux angles arrondis dédié à une activité sexuelle communautaire et balisée. J’avais hâte d’y revenir, j’étais toute excitée, j’avais imaginé des choses, j’avais laissé gonfler le tendre bourgeon de cette architecture érotique quelque part dans mon cerveau, à un endroit sombre, chaud et humide. — Et ?… non… attends ! C’est quoi la suite… ? — Ben rien, pas grand-chose en fait, l’histoire se poursuit entre les deux personnages principaux, mais le Dale n’est pas développé. Un client qui parle assez fort attire mon attention. Je suis encore chez ce traiteur chinois de la rue Rambuteau où j’ai pris l’habitude de me retirer en compagnie d’un thé au jasmin et d’une paire de boules coco lorsque la bibliothèque est infréquentable. L’endroit, assez vaste, dispose d’alcôves propices à la réflexion et de quelques prises électriques accessibles. Le gargouillis flûté et inintelligible d’une chaîne câblée orientale remplit le fond de la boutique. Échappées de la même source, des images phosphorescentes froufroutent sur le visage du patron hors d’usage. Le tout complète la vacuité de mes rêveries sans les féconder. Dans cet écrin idéal, mon esprit, comme partout, reste néanmoins susceptible d’être distrait par la moindre irruption anecdotique. Maintenant, le ton sur lequel l’homme qui vient d’entrer s’adresse au serveur me fait penser que c’est aussi un habitué. « Je vais manger rapidement » lance‑t-il. « Comme ça ce sera fait. Je dois retourner bosser toute la soirée, j’ai un client psychotique qui s’est coupé le pénis pour avoir une indemnisation ! » Il balaye des yeux la vitrine réfrigérée. « En fait, plus exactement, c’est un borderline. » Il pointe du doigt derrière la vitre ce qui semble être son dîner sans s’arrêter de parler. « Ce ne sont pas des cas psychiatriques mais des cas où les névroses psychotiques évoluent vers une limite qu’on appelle borderline. » Le jeune serveur chinois n’a pas l’air de saisir cette subtilité clinique. « Vous ne voyez pas ce que ça veut dire borderline ? Ah, il n’y a pas une chanson de Philippe Katherine qui dit (il chante) ‹ Tu es borderline ! Tu es borderline ! › ». Il accompagne du regard une barquette de travers de porc caramélisé jusqu’au micro‑onde. « Mais c’est un escroc. Il y a des traces. Il a parlé devant témoins. Maintenant tout ce qu’il a gagné c’est qu’il va se retrouver sans bite et sans argent. » Il s’assoit et avale en deux minutes ce qu’il n’a pas mis beaucoup plus de temps à commander puis il vient payer à la caisse et finit son histoire en cherchant sa monnaie : « Et vous savez la raison pour laquelle il déclarait ne plus avoir besoin de son pénis ? C’est parce qu’il disait avoir une prostatite et que de toute façon il préférait se faire sodomiser. » Le serveur rigole par commodité et ils se disent au revoir. — Tu dors ? Je garde les yeux fixés au plafond en t’attendant, je promène mon regard autour, mes mains. Je visite. Je pense à Poliphile, baladé par Logistique et ses copines les nymphes à travers des bâtiments et des jardins 3. Polia dont le nom est proche magnifiques en quête de l’Amour. de polis, la cité en grec. Poliphile est celui qui aime Polia Polia 3, une bien-aimée qu’il finira par mais aussi celui qui aime la cité. retrouver « avant d’être réveillé, seul
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gloussements, je reste suspendue, ébahie par l’inlassable élasticité de ces paires de lèvres qui susurrent et pouffent sans jamais, jamais, jamais s’interrompre, ne serait-ce que le temps d’une ridicule petite dizaine de minutes. Et bientôt, alors que ça fait déjà un moment que je les scrute, bientôt arrive l’immanquable numéro, celui que je me surprends à attendre comme le tout petit chapeau venu se placer sur ma grosse irritation en abandonnant même jusqu’à l’espoir de leur faire au moins pitié : la fille veut emprunter son stylo au garçon (ou portable, ou calculette, ou autre) et… il ne veut pas. Généralement, je soupire et l’âme à la défaite, je reviens à mes affaires tandis qu’en fond sonore j’en prends pour un bon quart d’heure de « Non mais attends, vas-y sois cool, prête-le moi ton stylo » « Nan, oublie » « Putain mais t’es trop con, je vais te le rendre ton stylo, c’est juste pour deux minutes » « Je m’en sers là, tu vois pas » « Ben ouais je vois que ça fait une heure que t’as pas écrit une seule ligne » « Ouais, c’est parce que je réfléchis » « Faut avoir un cerveau pour réfléchir », etc. Pourquoi ? Mais pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ? Évidemment qu’il doit y avoir un rapport d’influence, une certaine forme de tension érotique dans ces lieux que sont les bibliothèques. Moi-même qui prêterais volontiers mon stylo pour détendre l’atmosphère, j’avoue être parfois soumise avec plaisir à la tension générée par l’ambiance de ce type d’architecture. Car c’est bien de tension érotique dont sont victimes ces jeunes personnes. Serait-ce la lumière tamisée, la promiscuité ou la simple présence en surnombre de tous ces corps étrangers ? L’interdiction de faire quoique ce soit ? (Il y a un programme télé comme ça qui à l’origine est japonais où les règles ne sont qu’un prétexte à de multiples sévices corporels étouffés dans le silence disciplinaire d’une bibliothèque. L’hystérie communicative et le plaisir d’infliger ou de subir ces sévices en sont, dans ce cadre bien précis, démultipliés). Serait-ce l’impossibilité de l’acte physique dans un lieu où les pensées, elles, s’en donnent à cœur joie ? Et tous ces livres qui sont là, toutes ces connaissances physiquement présentes auxquelles on ne goûtera jamais. Trop de choses à désirer, à fréquenter, à assimiler… Une amie, elle, me disait que les bibliothèques lui donnaient systématiquement envie d’aller aux toilettes.
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Poliphile, raide mort. Gravures de l’édition italienne attribuées à Mantegna ou à l’un de ses élèves. © Adelphi Edizioni S. P.A Milano.
Polia ramène Poliphile à la vie. Gravures de l’édition italienne attribuées à Mantegna ou à l’un de ses élèves. © Adelphi Edizioni S. P.A Milano.
Mais de tension érotique, oui. C’est cet aspect plutôt que celui de l’Amour que je recherche dans ce texte. La quête de Poliphile, insatiable errance de l’extase, prend la forme d’un désir qui ne s’achève jamais. Hypnerotomachia Poliphili4 est un étrange traité d’architecture italien qui date de la Renaissance. Alors que les 4. Hypnerotomachia Français en ont restitué une version Poliphili , Francesco Colonna. Reproduction de l’édition de tronquée et édulcorée au titre niaiseux 1499 aux éditions Gli Adelphi en 2006 pour la version italienne Le Songe de Poliphile, les Anglais, et Le Songe de Poliphile eux, ont eu le chic de garder le titre reproduit en 1996 aux éditions original souligné d’une traduction de l’Imprimerie Nationale pour la version française. La version littérale plus inspirante : The Strife anglaise Hypnerotomachia of Love in a Dream. Le combat de Poliphili, A Strife of Love in a l’amour dans un rêve. Mais néanmoins Dream est parue en 2003 puis 2005 aux éditions Thames & il s’agit essentiellement d’architecture. Hudson. Des monuments, des portails, des fontaines, des festivals et des processions, des plans de bâtiments et de jardins, des hiéroglyphes, des objets rituels, Poliphile découvre, traverse, décrit, pénètre, se perd et se laisse guider au milieu de ces chefs-d’œuvre antiques qu’il prend soin de raconter avec force prolifération de détails et autres fantaisies suggestives. « Le contenu érotique, direct et efficace, quoique rempli de clichés, est parsemé de termes techniques empruntés à l’architecture et à la botanique. Il s’agit d’un dialecte étrange, à la fois artificiel et ‹ populaire ›, une véritable ‹ contamination › du langage technique5 ». Ce traité apparaît comme une tactique de résistance à une période qui voit le 5. Alberto Pérez-Gómez, fondement de bases normatives et Hypnerotomachia Poliphili. La dimension érotique de méthodologiques en architecture, dans l’architecture, dans Chris la tradition de la technè grecque. Cette Younès, Philippe Nys et Michel Mangematin (dir.), histoire d’amour destinée à révéler L’Architecture au corps, la présence du sens dans l’espace Bruxelles, Éditions Ousia, 1998. du désir déplace l’emphase canonique des règles techniques. Chaque fois la mathemata est associée à un souvenir amoureux, l’exactitude formelle des nombres mariée aux qualités sensuelles des matériaux. « En fait, Hypnerotomachia est le premier exposé narratif qui présente une vision poétique introduisant une limite temporelle à l’expérience de l’architecture, soulignant que l’architecture ne parle pas seulement de forme et d’espace mais aussi de temps, de la présence de l’homme sur Terre ». L’accent mis sur le désir comme origine du sens convoque un espace intermédiaire, celui de l’imaginaire et du temps présent. Un temps, entre mémoire et espoir,
Jardin. Gravures de l’édition française attribuées, parfois à Jean Cousin, parfois à Jean Goujon. © Imprimerie nationale Éditions. 1994
où le désir devient bavard dans la tension d’un « ici et maintenant ». Dans ce temps intermédiaire, qui est aussi celui de l’expérience de la lecture et de ce qu’elle révèle au fil de son découvrement, le voyage onirique de Poliphile, son œuvre virtuelle, n’est autre qu’un acte de séduction. — Tu me disais quelque chose ? — Non, non. En revanche toi tu as parlé dans ton sommeil. — Ah oui ? — C’était assez confus. Tu parlais d’une maison en Italie. Une maison vide, non… pas vide, une maison qui ne servait pas d’habitation. Il y avait une histoire de chauffeur et de filles ramassées dans la rue qu’on amenait ensuite à la maison. D’après ce que j’ai compris, le propriétaire du lieu était un riche architecte, mais aussi un érotomane, photographe, décorateur, tu disais qu’il dessinait des objets, des robes, des voitures de course, un fan de ski qui a fini écrivain, un excentrique. Tu l’as répété plusieurs fois — excentrique. Il faisait venir des filles pour les prendre en photo. Tu as dit aussi qu’il avait construit cette maison dans le seul but de s’en servir comme d’un théâtre idéal de prises de vue érotiques. Tu parlais de décors mobiles, de tentures coulissant le long de tringles curvilignes, de miroirs, de trompe-l’œil, de dispositifs complexes d’éclairage et de sonorisations coquines, tout cela, toute cette typologie du loisir sexy, avait été soigneusement pensé en vue de réaliser une véritable « architecture de la persuasion ». Tu as évoqué aussi un chemin spécial, long et tortueux, que cet homme faisait emprunter aux filles avant d’entrer dans la maison. Tu ne te souviens de rien ? C’était un rêve ? — Non. Enfin, si. Cette maison a vraiment existé : l’architecte, c’est Carlo Mollino. Elle a été détruite. J’ai vraiment raconté tout ça ? — C’est venu quand j’ai commencé à te caresser. Je n’arrivais pas à dormir. Oui, tu t’es mis à parler de choses incompréhensibles et puis de ce lieu improbable. C’était bien d’« imaginer » cet endroit, je veux dire d’en fabriquer une image… au fur et à mesure… alors j’ai continué… pour que tu en dises plus. Je voulais entrer dans toutes les pièces, traverser les couleurs de chaque chambre, je voulais… je voulais deviner (ou pas) l’utilité des objets au sol, aux murs, abandonnés et… encore… l’image de l’absence de toutes ces filles, dans cette… dans cette… architecture persuasive. Ensuite… ensuite… tu as parlé d’un autre espace de Mollino, cette fois un appartement… que tu avais visité… à Turin et… stop, attends… je n’arrive plus à respirer… tu parlais de pyramide, de tombeau… Et c’est là… c’est là, que… lentement… mon corps
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et triste par le chant d’un Rossignol ». À ton réveil, tu me raconteras ce que tu as vu car je ne suis pas celle que tu cherches et qu’entre nous il n’est pas question d’amour.
Claude-Nicolas Ledoux, Vue perspective de la maison des directeurs de la Loue, Ville de Chaux (Arc-et-Senans). Extrait de L’Architecture. Éditions Ramée. Planche 6. Dans Anthony Vidler, Ledoux, Paris, Éditions Hazan, 2005. © Éditions Hazan, Paris, 2005 © Saline Royale d’Arc-et-Senans, 2005
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Dans le groupe de recherche pour lequel je travaille en ce moment, il y a un jeune chercheur que j’aime bien. Déjà, parce que lorsqu’ il s’est présenté il a expliqué avoir fait un « master ambiance », j’ai trouvé ça cool ! Et puis on s’est tout de suite bien entendu. Quand je lui ai parlé de ce projet de texte, il m’a trouvé un tas d’anecdotes et de documents remarquables. Notamment, deux études sociologiques qui traitent de l’appropriation érotique de la ville et de l’espace public par certaines communautés et selon de nouvelles typologies. Je tente de te les raconter ne sachant pas si tu m’écoutes, il fait sombre et tu me tournes le dos.
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— C’est à cause de ça le titre ? — Non, enfin pas vraiment… c’est autre chose. Il y a quelques mois, je rigolais avec un ami de l’éventuel remplacement d’un amant indécis et austère par un godemiché moins capricieux. J’étais exaspérée et je commençais à perdre patience. Mon ami, serviable et toujours prêt à dire des conneries, m’avait alors proposé pour me réconforter un moulage de son propre sexe. Il avait ajouté : « On l’appellera doucement, doucement. »
La première est un article de Bart Lootsma, paru dans le magazine HUNCH qui commente la recherche « Erotic Maneuvers: Territories of desire6 » de Jan Kapensberger. Kapensberger vient du Berlage 6. Bart Lootsma, Jan Kapsenberger research about Institute, un laboratoire de recherche gay software, HUNCH, n° 2. néerlandais en architecture et en urbanisme. Au-delà du concept du « flâneur » développé par Baudelaire, Benjamin ou Walser, à la fin du xixe siècle, Kapensberger voit aujourd’hui dans la flânerie urbaine, une série d’actions et de stratégies se dégageant du jeu du désir, de l’attraction, de la distance et des négociations, dans lesquelles le regard (the gaze) et le voyeurisme ont des rôles clés. De ce point de vue, il s’intéresse à la communauté gay comme active dans la modification du paysage urbain contemporain. Ainsi, il compare le processus selon lequel les personnes se trouvent, négocient et finalement établissent un contact intime avec le processus d’« agrégation » où un matériau, sujet à un changement de température, passe à un état gazeux, liquide ou solide. Chacun de ces états correspond, dans sa méthode appliquée à l’architecture, à un Erotic State Of Aggregation Domain (ESOAD©). La genèse des ESOAD© définît alors les éléments nécessaires à la création de zones de flânerie, de chasse et d’intimité. Le premier de ces ESOAD©, le « Domaine de la Flânerie » (Domain of Flanery) est le territoire des mouvements évasifs et des regards (gaze) où le comportement des individus s’apparente aux molécules d’un gaz (gas). L’état liquide est atteint sur le « Terrain de Chasse » (Hunting Ground) où tensions et forces entre individus s’intensifient.
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entier est devenu humide… mais plus que ça encore… chaque centimètre carré de ma peau est devenu comme embarrassé et liquide… mes genoux, mes chevilles, mon crâne, mon ventre se sont transformés en flaques chaudes et inconvenantes… j’étais trempée. Je me suis éloignée de toi, je n’osais plus bouger. Je ne pouvais plus te toucher. Tu n’as plus parlé. Quand je suis angoissée, je rêve souvent d’eau qui monte, dans des maisons, dans des ruines, tout doucement… jusqu’à ce que l’instant critique soit là… trop près… trop tard… on ne s’est pas rendu compte. Parfois, je me demande si je ne deviens pas moi-même cette eau qui monte, cette volupté, cette inquiétude… je déborde… tout doucement.
Carlo Mollino, photographie prise au Leica et retouchée. Extrait de Carlo Mollino: Photographs 1956-1962, Torino, Museo Casa Mollino, 2006. © Carlo Mollino.
Tu ne réagis pas, je continue. La seconde étude, Geography of Girl Watching d’Aurora Wallace7, traite de ce loisir pratiqué par des groupes d’hommes en villes, en l’occurrence 7. Aurora Wallace, Geography of Girl Watching in Postwar dans la ville de Montréal, qui consiste Montréal, (New York University), à mater les filles et d’en faire un art Space and Culture, 2007. dont les fondements en seraient le regard, la notion de spectacle, l’expertise et l’authenticité. Ces groupes d’hommes forment une communauté dévouée à l’observation de la gente féminine, activité qui comprend des codes et des sites dédiés. Dans les années 1970, des groupes féministes se serviront de cette implantation géographique et urbaine du désir masculin pour faire passer leurs revendications en manifestant sur les lieux mêmes de ces regroupements péniens. Leur public-cible déjà en place, elles n’avaient plus qu’à profiter de cette logistique de zieutage pour enfin se faire voir, lire et entendre telles qu’elles le souhaitaient. Après ces dérives urbaines gays et féministes, je n’espère plus aucune réaction et j’enchaîne à l’aise sur les moines franciscains.
— Ah, sinon il m’a aussi raconté cette histoire du couvent de la Tourette. C’est une anecdote qu’un ami lui avait rapportée. Dans ce couvent construit par Le Corbusier dans les années 1950, je crois même que c’est sa dernière construction, enfin bref… Le moine en charge de l’accueil du public est réputé pour la nature très personnelle de ses commentaires sur les lieux et l’architecture. Lorsqu’il conduit les visiteurs dans l’une des chambres, ces cellules où les moines dorment et passent de longues heures à méditer, il leur parle du béton, du vide… et il leur parle des nuages. De ceux qui passent… lentement… d’un bord à l’autre du chambranle nu et anguleux de l’unique fenêtre… traversant… tout en douceur… le cadre serré de cet « ici et maintenant » du ciel immense. Le moineguide leur explique… qu’à certains moments… voir passer ces nuages… là… comme ça… c’est incroyablement érotique. Je ne sais plus trop quoi te raconter Pour arriver à mes fins. Je ne vais pas te faire un poème… Quand même ! Ça craint. En manque d’inspiration, Sans y penser, Je glisse en remontant le long de tes fesses, Entre tes deux fesses, Du bout d’un seul de mes deux seins. Je pense déjà à autre chose. Je suis déjà loin. Est-ce que cela ressemble au défilé d’un nuage À la fenêtre de la cellule D’un moine franciscain ? Possible… Car, C’est alors que – Surprise – Tu te retournes et m’honores, avec gravité, De cette interpellation parfaite, Aussi tendue que pleine de promesses : — Est-ce que tu veux que je te pénètre ?
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Et finalement dans la « Zone d’Intimité » (Intimacy Zone), un état de solidité éphémère peut aboutir. En réponse aux problématiques d’une société multiculturelle, de ses besoins spécifiques et de ses désirs, Kapensberger propose, sur le modèle de cette méthode, l’hypothétique reconversion des célèbres bains de Peter Zumthor à Vals en Suisse (1996) en un véritable paradis gay !
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Image extraite de Cafe Flesh, film de science-fiction pornographique américain réalisé par Rinse Dream en 1982. Il s’agit de l’une des représentations donnée par le cabaret érotique : « Do You Want Me To Type A Memo? » La musique est de Mitchell Froom. http://www.youtube.com/watch?v=FwaYNgciHj8 VCA pictures
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Extract of Nana Oforiatta-Ayim’s upcoming novel. The writer is based in London and Accra.
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Not been seen before by whom? Maya wanted to scream out. She looked around with disgust at the infinitely civilised West. She wondered if they all thought she was little more than an alien anomaly, a female Tarzan that had escaped from the savage wilds and taken on their garbs and mannerisms. She had to leave. [...]
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The only hint at any evolution was the inclusion of a photograph by the Malian photographer, Seydou Keita whom, an Italian collector—having recognised contemporary African art as a good business investment and knighted himself with the execrable title Ambassador of African Art with the insistence that none of his artists have any formal education—had made into an art star. This picture with the trademark patterned backdrop was of a young couple with contrasting patterns leaning into each other. It might have been the exhibition’s small saving grace, if not for the plaque, which read: “Despite his basic technical obstacles, he revealed his subjects as they had not been seen before, wearing Western suits and bow ties, sitting on motorbikes and holding radios.”
Nana Oforiatta-Ayim, Here Be Lions
they were, rather than as the exoticised objects they had been reduced to. Maya looked at the plaque next to a picture of four crouching men with large feather headdresses and skins wrapped around their waists, which quoted the inscription on the back of the picture: “The dance symbolises a continuous, unchanging element in the lives of the people—their ancient traditions and tribal lore.”
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[...] Maya turned to look at the black and white photographs on the wall. They were even worse than she had imagined. Mostly they were of naked girls with pert breasts, like you would see in Victorian peep show pictures, arms lifted behind their heads or crossed coyly over their breasts. They had no titles or ones like Benin Girl or North African Nudes. The girls in the latter were no older than thirteen or fourteen and were wearing large jewels or smelling flowers or had scarves draped loosely over their heads. They were alongside portraits of Egyptian and Moroccan women, wholly veiled showing only their kohled beguiling cried out, with all the semantic subtlety of an African child with flies on its face and a distended belly, “Save us, oh brave liberal-minded Westerners from our savage fates and entrapments.” Maya looked on the plaques for some context or explanation as to why they were side by side, but found none. She moved on to a picture taken by that harbinger of aesthetic fascism, Leni Riefenstahl, of a young virile oiled woman, ready to dance or pounce, or whatever else the Occidental imagination would have her do. The plaque read, Nuba Dancers of Kau and Riefenstahl heroically described the physical strain and difficulties she had endured in capturing these trophies. At least, Maya thought, they did not have the generic ones of older women with drooping breasts. She wanted to leave. She turned around to look for James Murray and saw him through the throng of people sipping a glass wine with his left hand and reaching into a bowl of crisps with his right. He was listening with one ear to a thin wiry gesticulating man in a cream suit with a silk scarf tied around his neck and a chubbier younger man in a navy blue suit with a rucksack on his back that gave him the air of being packed off to school any moment. Maya turned back to the photographs, skipped the rest of the nudes and started looking at images of the men, the gender division was the only concession to curatorial arrangement that she could see. The first image of a man in a long white robe and a brocade decorated joho mantle, was described only as an: African man with a fierce look. I’m sure he’d look fiercer still if he knew how he was being portrayed here, she thought. She remembered the stories Kojo had told her of the palace drums, that when played in the olden days on the battlefield, could awaken all the dead to fight on their kingdom’s side. She wished she had this drum to hand now to animate all the figures frozen in the photographs—the half-naked boy carrying a dead leopard upside down and the giraffe in the typical scene of an ‘African landscape’—to step out of the pictures, stand face to face with the throng of English Tribal Art lovers and show themselves as
Tu veux dire que le féminisme est pour toi plutôt un outil qu’un positionnement idéologique propre, et qu’il est détaché de quelque chose d’essentialiste, ce qui est toujours reproché par un certain milieu français, bien que ce ne soit pas que français, au féminisme. On voit bien encore en France que les productions de savoir féministe sont souvent réduites à des caractéristiques essentialistes type savoir des femmes ou savoir féminin. Ce n’est pas encore ancré dans les mentalités qu’il s’agit surtout d’une épistémologie, en ce qui me concerne philosophique, qui permet certes de penser les rapports des femmes et du féminin à l’art mais surtout de re-problématiser perpétuellement les questions propres à la marge, à la différence depuis un champ d’expérimentations sociales et culturelles, c’est‑à‑dire accessible à tous, donc universel et légitime en tant que production de savoir. Même si le féminisme a été initié depuis le Mouvement de Libération des Femmes, des pratiques militantes du Consciousness Raising, des productions de savoirs qui en découlaient, aujourd’hui ce rapport au féminisme est désessentialisé. Je citerais Marie-Hélène Bourcier qui dit quelque chose comme « Aujourd’hui, le féminisme ce n’est plus seulement un sexe, un genre ni une sexualité ».
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Interview de Géraldine Gourbe par Dorothée Dupuis à propos d’Off the Record, séminaire de recherche féministe mené depuis deux ans à l’École supérieure des beaux-arts de Marseille.
Géraldine Gourbe, Dorothée Dupuis Off the Record
Chère Géraldine, Plusieurs points m’intéressent dans ton approche : quand tu parles de méthodologie féministe, de la question de la recherche en école d’art, de l’idée selon laquelle les pratiques sont génératrices de savoirs, des savoirs légitimes/illégitimes, des usages liés à ce qu’on appelle les théories du « standpoint » ou positions situées, et, de façon générale, la portée politique de tout cela, dans une logique de reconfiguration des représentations dans le lieu qu’est l’école d’art qui forme ceux qui inventeront les représentations de demain justement, des représentations qu’on souhaiterait plus diversifiées dans l’idée qu’elles vont impacter (et impactent déjà) le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. Mais peut-être peut-on revenir sur les origines d’Off the Record ? L’approche féministe dans ce projet de recherche en école d’art n’est pas sans lien logique avec mon arrivée dans l’école. Mon CV étant ouvertement fléché gender et queer studies, un représentant du Ministère a clairement évoqué, lors du concours d’entrée, les dérives possibles d’un tel engagement dans une école d’art, notamment du côté d’une portée ou d’un impact idéologique, sous‑entendu manipulateur, sur les étudiants. Cette orientation gender et queer posait donc d’entrée de jeu question quant à sa légitimité dans le champ des savoirs. Il me fallait donc répondre par une recontextualisation des enjeux critiques et méthodologiques de mon travail de recherche. J’ai alors positionné mon approche du féminisme non pas depuis les binarités homme/femme, masculin/ féminin ou encore homo/hétéro mais depuis des expériences de la différence et des dynamiques collectives. J’ai modélisé ce rapport altérité/commun depuis l’idée suivante à savoir que chacun(e) d’entre nous était amené(e) à faire l’expérience ou les expériences dans sa vie, que ce soit dans le champ professionnel, collectif, public ou intime, d’arriver dans un espace dont il ne connaissait pas les codes, les personnes, les modalités, et que ces dernières étaient des processus ou pragmatiques de vie de la différence. Ces processus étaient accessibles à tous, quel que soit son genre, sa sexualité, sa race, ou son positionnement social, et constituaient une expérience de la différence en tension avec le collectif.
En tout cas tu peux utiliser cette idée de l’entretien de plusieurs façons différentes, elle sert de cas pratique qui emmène les étudiants sur le terrain de leur propre pratique mais aussi vers une autre façon de penser le rapport à la théorie, à l’écrit, etc. On voit bien que tu pars d’un objet pratique pour arriver à une théorisation. Je n’ai pas cherché à faire entrer ma pensée dans des objets artistiques. J’ai observé ce qui se passait, et surtout j’ai pris en compte les besoins et les manques des étudiants dans l’école, et l’un d’entre eux était le rapport entre la pratique et l’écrit. En école d’art, l’enseignement passe beaucoup par l’oralité, de façon informelle et autant individuelle que collective. Cette construction intellectuelle, cognitive, sensible n’est pas immédiatement transposable, du moins pour les étudiants, dans le rapport à l’écrit et la conceptualisation de leur propre rapport à l’art, que ce soit la production des autres ou leur propre production. J’ai trouvé là que l’entretien était vraiment le maillon manquant aux étudiants. Il y avait quelque chose à reconsidérer du point de vue de la construction théorique et analytique que j’avais précédemment mise en place dans le champ de la performance, plutôt historique (les années 60-80) et nord-américain. L’entretien d’artiste est le parent pauvre de la théorie de l’art, il est certes au cœur d’une recherche mais il n’est pas forcément considéré comme un objet entièrement légitime d’un point de vue épistémologique. C’est un objet qui sert à produire de la pensée mais ce n’est pas en soi un objet de pensée. Autant il y a beaucoup d’ouvrages, de bibliographies sur la pratique de l’exposition, autant sur l’entretien d’artiste, comment, pourquoi, une épistémologie, et bien il n’y a pas grand‑chose. Ce creux est révélateur d’une difficulté pour les étudiants, et même les artistes, à passer d’une pratique à une théorisation. On a donc commencé à mettre en place des principes d’entretien pour élaborer leur mémoire : on leur a fait faire des jeux de rôle, et comme Anita [Molinero] avait anticipé ce travail avec les étudiants on s’est retrouvées à travailler ensemble sur ce projet Off the Record, collaboration qui surprend toujours parce qu’Anita n’est pas féministe et n’est pas particulièrement intéressée par la performance tandis que moi-même je n’étais pas une spécialiste de la sculpture, et je ne connaissais pas très bien son travail. Anita pourtant, d’une façon un peu décentrée par rapport à elle-même et comme on a pu le voir dans un article d’Émilie Renard qui l’avait mentionnée dans le premier
Géraldine Gourbe, Dorothée Dupuis, Off the Record
En temps qu’universitaire, tu te sens attirée par la création de domaines de recherche en école d’art parce qu’il te semble que la construction des savoirs là-bas ouvre la porte à des protocoles plus libres, plus expérimentaux. Cela rejoint cette idée que les pratiques sont aussi génératrices de savoirs, que ce sont les choses qui se font, qui sont dynamiques dans une logique de production, c’est encore une fois une idée foucaldienne que le producteur façonne de façon même plus dynamique que les lois et les contextes établis. Pour toi, l’école d’art est un lieu opérant pour la recherche, même si ses protocoles paraissent plus flous, vu sa réputation de partir un peu dans tous les sens… Tu penses que cette créativité peut être redirigée ? Au-delà de cette notion de créativité, il y a la notion de ne pas avoir à justifier la légitimité de ce savoir. Je pense que si j’avais eu tout de suite un poste à la fac, il m’aurait fallu beaucoup plus batailler sur la question de la reconnaissance de ce type de pensée. Être par exemple plutôt dans une prospection des généalogies ou montrer comment certaines personnes déjà reconnues, d’un point de vue international ou historique, ont déjà validé ces savoirs ou fait de ces savoirs des choses qui sont reconnues comme scientifiques. Cela m’aurait moins permis d’être directement dans mes propres projets de recherche. C’est un constat qui s’est imposé suite à un échange avec Thierry de Duve que j’avais rencontré lors d’une conférence en Slovénie. Il m’avait dit être intéressé par ma façon de repenser la question de la performance non seulement à travers le prisme de la performativité du genre de Judith Butler, mais en ouvrant vers d’autres concepts et d’autres problématiques. Je l’avais invité à mon jury de thèse et il m’avait répondu quelque chose comme : « Je soutiens votre pensée féministe mais je ne suis pas sûr qu’elle puisse avoir lieu dans un contexte scientifique ». Je me suis rendue compte qu’au-delà de la position personnelle de Thierry de Duve sur le féminisme, il y avait une position académique à laquelle je me reconfronterais tôt ou tard. J’ai alors compris que l’école d’art me permettrait d’aller plus vite théoriquement et plus au cœur de ce que j’avais envie de mettre en place. C’était un intérêt personnel, intellectuel.
Là encore tu t’es basée sur un objet pratique, très concret qui avait plusieurs entrées, quelque chose qui aurait été difficile à faire à l’université parce que trop transversal, trop transdisciplinaire… …ou alors trop spécialisé !
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C’est une méthodologie inclusive. C’est une position foucaldienne, deleuzienne, guattarienne, braïdotienne. Il y a là toute une généalogie élective bien évidemment. Pour revenir à ce recrutement dans l’école, j’ai positionné une épistémologique féministe non pas comme une pensée dogmatique minoritaire mais comme une pensée critique très opérante pour décrypter les différentes formes d’énonciation idéologique. Une position qui a d’ailleurs été soutenue par Jean‑Louis Connan, le directeur de l’école. De plus en plus de personnes avec un profil féministe, soit historienne de l’art soit philosophe, sont plus facilement recrutées dans les écoles d’art que dans les universités. Qu’estce que cela montre ? Aujourd’hui, les écoles d’art possèdent une ouverture dynamique vers la construction de départements de recherche orientés gender et queer studies et qu’elles sont plus sensibles aux pensées contemporaines, plus poreuses à ces épistémologies-là que ne le sont certains départements d’université.
Ensuite, j’ai découvert ce qu’était vraiment une école d’art. J’avais fait certes des conférences, des workshops mais je ne savais pas ce qu’était la production et sa réalité. C’est en grande partie Anita Molinero qui m’a appris à voir, à comprendre et à dire des choses qui pouvaient être plus ou moins pertinentes sur ce qui était en train de se faire là, maintenant. Le projet Off the Record est né dans ce contexte précis. C’est une recherche, en apparence plutôt loin de mon champ de recherche initial puisque ce n’était pas strictement sur la performance, ni une recherche féministe mais plutôt une méthodologie féministe. Les objets qu’elle prend en compte ne sont pas a priori des questions qui ont été traitées en tant que telles dans le champ de la pensée féministe en France, à savoir, les entretiens d’artiste.
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C’est en quoi il rejoint le domaine plus contemporain des positions situées dont le féminisme serait soit la source soit l’avatar, selon l’angle depuis lequel on le considère. Cela permet ainsi de déjouer la seule antinomie opposant ceux/celles qui en seraient et ceux/celles qui n’en seraient pas.
...et ce n’est pas parce qu’on ne se dit pas féministe qu’on n’a pas une pratique qui remet en cause certaines catégories de genre ! En tout cas qui ne produit pas de choses qui pourraient être interprétées par des études de genre. Je rapprocherais la position d’Anita de celle de Lynda Benglis, une artiste qui compte par ailleurs dans les affinités électives d’Anita. Pour Benglis, la réappropriation des gestes modernistes passe par l’acte de rejouer le mouvement du dripping, geste par excellence qu’on pourrait être qualifié d’hétéro-machiste. Lynda Benglis se le réapproprie en utilisant non pas un petit pinceau mais des gros bidons de peinture qu’elle jette avec une force vitale impressionnante. Cette ambiguïté-là est assez comparable à celle présente dans la production d’Anita. Par ailleurs, Benglis se moque d’un certain dogmatisme dans le mouvement des artistes femmes et les mouvements féministes. La vidéo intitulée Female sensibility (1973) critique la dimension purement essentialiste d’un geste artistique. C’était assez novateur pour l’époque, assez résistant. Les temps n’étaient pas favorables à ce genre d’énonciation critique qu’on remet maintenant en perspective dans l’histoire via les gender et les queer studies. Effectivement, Anita produit des gestes et des formes qui peuvent être relues depuis une pensée critique gender ET, en même temps, elle a toujours dénoncé une forme de dogmatisme dans le mouvement d’émancipation des femmes tel qu’elle le percevait en France (Foucault avec la publication du premier tome d’Histoire de la sexualité a été perçu comme conservateur alors même qu’il exprimait un pessisme quant à une libération personelle et individuelle via des formes spontanées et repétées de sexualité. Il est d’ailleurs intéressant de relire ses critiques sur les usages français du marxisme en opposition avec ce qu’il observait en Tunisie en 68 et qu’il admirait comme une vitalité éthique et politique). Anita revient souvent sur les interpellations de l’époque autour du maquillage : pour être féministe (marxiste), il ne fallait pas s’approprier les codes de la féminité. Cette collaboration avec Anita s’est fait alors autour de l’entretien d’artiste comme articulation entre une pratique et une pensée. Le premier séminaire a été mené par Marie-Hélène Bourcier que je connais depuis longtemps. Je l’avais rencontrée quand j’étais étudiante avec Beatriz Preciado à Paris 8. Ce qui m’intéressait dans le travail de Bourcier était qu’elle avait une formation media studies. Elle avait écrit une thèse sur l’approche des médias dans la première guerre du Golfe à l’Ehess avec Alain Touraine et elle avait notamment beaucoup travaillé sur la dimension de la technologie du genre de la télévision et du cinéma. Elle a fait un premier séminaire sur pourquoi et comment la télévision, qui est un champ de production et d’expérimentation d’entretiens important, avait effectivement configuré un « genre » télévisuel latent. Sur la base d’archives mais aussi d’une introduction aux medias et cultural studies, elle a montré comment la télé était associée à la passivité, genrée féminin. De là, elle est passée à une analyse des philosophes face à la caméra dont
Jacques Derrida et Gilles Deleuze, et elle a souligné comment les philosophes étaient réticents à passer à l’exercice de l’entretien télévisé alors même que l’entretien écrit ou enregistré était considéré comme plus acceptable, plus louable. Elle a fait une articulation assez intéressante entre cette technologie du genre féminin de la télévision et une pratique philosophique plutôt masculine et plus à l’aise dans le champ de l’écrit ou de l’enregistrement radiophonique. Dans un troisième temps du séminaire, elle a enfin montré comment les minorités, représentées ici par Jean Genet, Toni Morrison et Marguerite Duras (qu’elle incluait dans les minorités) étaient beaucoup plus habiles à maîtriser l’exercice de l’entretien parce qu’ils étaient sensibles et vigilants aux situations d’énonciation. Ce séminaire a été fondateur pour Off the Record et a été suivi par un workshop mené par Marie-Hélène, Anita et moi-même où nous avons fait travailler les étudiants sur les corrélations entre technologie du genre et entretien. Cela a donné lieu a une performance qu’on a retrouvée dans une exposition qui n’en était pas vraiment une : c’était plutôt un temps de restitution en fin d’année qui s’appelait « Et si Moïse n’avait pas bégayé » (on reviendra tout à l’heure sur ce titre un peu énigmatique). Cette performance avait configuré notre plateau télé où il y avait effectivement une réalisatrice de film porno qui parlait depuis New York de sa compétence de réalisatrice, c’est-à-dire de quelque chose de très carré, appartenant à l’industrie du cinéma porno et un entretien qui était mené par deux critiques d’art qui essayaient plus ou moins de sublimer ce qui était dit et ce qu’ils voyaient du film par une rhétorique de la critique d’art où effectivement la pop culture devenait un enjeu esthétique mais dépolitisée. C’était vraiment intéressant parce que ce travail d’étudiants était pertinent par rapport à ce qui s’était passé de façon théorique et intellectuelle. Ce n’était pas une illustration mais une incarnation très sensible au sein d’un dispositif de tout ce qui avait été mis en jeu du point de vue d’une méthodologie et d’une pensée féministes. Je n’ai assisté qu’à la troisième et finale « représentation », au sens théâtral du terme, de cette « fiction » d’un plateau télé et ce qui m’a vraiment intéressée dans ce procédé de restitution, même si on devrait se fiche de savoir si au final ça a réussi ou raté, puisqu’on est dans l’expérimentation… ...ou si c’est bien ou pas bien, où si ça a une autonomie en tant qu’œuvre ou pas, ce qui n’est pas l’objectif d’Off the Record d’ailleurs… ...c’est comment justement cette troisième occurrence était la plus réussie parce que les étudiants se sont éloignés de leurs propres stéréotypes de genre. En effet, dans la version finale, la réalisatrice de film porno était jouée par un homme, et les deux critiques d’art, qui avaient cette parole très autosuffisante, étaient joués par deux filles, ce qui faisait que les décalages, l’analyse que l’audience extérieure avait des discours qui lui étaient restitués était complètement brouillée par l’incarnation physique des personnages joués et donc tout ce discours est devenu visible par l’interchangeabilité, la performativité des rôles qui est typiquement une méthodologie à l’œuvre dans le champ de l’art féministe. C’était très flagrant, et je pense que les étudiants et les spectateurs l’ont senti : pour moi c’était l’exemple type d’une micro méthode qui, appliquée, ouvre un questionnement par rapport au discours, qui parle, d’où il parle ; quand l’espèce d’esthéticien de l’art, traditionnellement blanc, hétéro, quadragénaire, est joué par une petite nana de 20 ans en minijupe, le décalage du discours est d’autant plus compréhensible quand bien
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numéro de Pétunia, est un peu un cas d’école puisqu’elle a aussi une position ambiguë par rapport à son genre et à la sculpture. Donc, même si elle ne se revendique pas comme féministe, elle a ainsi une pratique de sculpture qui questionne un rapport genré à sa propre production. Ça, c’est toute l’ambiguïté du féminisme et des femmes artistes. Élisabeth Lebovici et Catherine Gonnard en parleraient mieux que moi…
Ils plaquent sur leur travail des discours extérieurs qui ne sont pas du tout les leurs. Et là où des intellectuels reconnus voyaient dans l’entretien quelque chose d’impur, les étudiants y ont vu quelque chose de très opérant et de salvateur.
Cela me fait penser à des problématiques en cours dans le champ de l’anthropologie. Alban Bensa décortique dans La Fin de l’exotisme (2006) cette méfiance paradoxale vis-à-vis de l’oralité, dans la méthode de l’entretien qui est au cœur de cette discipline. En s’entretenant oralement avec des populations qui n’ont soit disant aucune culture écrite, l’ethnologue essaye de voir ce qu’il y a derrière la parole pour ensuite coucher sur le papier le substrat qu’il en aura décanté. La thèse de Bensa est que toute la partie spontanée liée à ces entretiens, dans lesquels les anthropologues cherchent à déceler le mythe universel derrière la parole individuelle de l’indigène, a été trop souvent évacuée et a laissé un grand pan de cultures de côté, les choses qui se transmettaient avant tout à travers les individualités, et qu’on ne pouvait pas séparer de la façon dont les choses étaient dites de leur contenu. Comme l’histoire de la voix d’ogre, ça réactive de façon interminable ces questions de rapport fond/forme et de rapport entre oralité/écrit et de savoirs légitimes/
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Claude Jaeglé est une autre des personnes qui est intervenue dans le séminaire puis dans un workshop pour Off the Record. Il est un des rares auteurs français à avoir travaillé sur la question de l’entretien. Il a écrit un livre qui s’appelle L’interview aux PUF (2007). Avant celui‑là, il avait aussi publié le magnifique Portrait oratoire de Gilles Deleuze aux yeux jaunes aux PUF (2005) où il s’était concentré sur l’analyse de la voix et de la prise de parole chez Deleuze. Il abordait le hiatus entre la fragilité physique de Deleuze et sa voix qu’il qualifie d’ogre. Elle annihilait ou neutralisait un comportement plutôt chétif. Ce paradoxe fascinait les gens qui l’écoutaient. C’est comme s’il avait sa propre ventriloquie, comme s’il n’était plus totalement luimême quand il parlait. C’est un résumé très rapide mais Jaeglé a un parcours très intéressant pour nous et pour ce projet. Il a fait partiellement Normale Sup et il a arrêté pour faire l’École du cirque avec Annie Fratellini. Aucun lien en apparence si ce n’est que ce lien se retrouve à la fois dans sa production intellectuelle, ses différents livres autour de la voix et aussi dans sa dimension de praticien puisqu’il est aujourd’hui média trainer. Il entraîne des chercheurs français (CNRS, INRA…) à parler de leurs recherches pour la télévision. Il a une pratique théorique qui vise à montrer que la prise de parole est quelque chose de considéré comme sale depuis un contexte judéo-chrétien. « Et si Moïse n’avait pas bégayé » est une référence à Claude Jaeglé. Claude affilie la notion de souillure de la parole par rapport à la propreté de l’écrit, évoquée par Gilles Deleuze dans l’abécédaire à la lettre C comme culturel, à cette dimension judéo‑chrétienne. En effet, les protestants et la culture anglo-saxonne en général ont beaucoup plus de facilité avec la prise de parole, notamment à l’école ou à l’université. Moïse bégaye : la parole divine ne peut pas passer par lui. C’est donc son frère Aaron qui va être le porteur de cette parole. Aaron qui lui n’est pas en lien direct avec le divin. C’est l’origine de cette dissociation de la parole divine qui fait acte de Vérité et de sa transmission. Je discutais de ce projet avec Patricia Falguières qui m’avait beaucoup encouragé pour ce projet et qui m’avait donné la référence du livre de Claude. On se disait qu’en France, la transmission, notamment chez les philosophes, passait pourtant souvent par une oralité improvisée dans le cadre des cours et des conférences, contrairement aux Américains qui ont cette tradition du paper. Jaeglé parle aussi de comment les jazzmen, rodés à l’improvisation, sont plus prompts à faire de bonnes interviews télévisées et radiophoniques que certains intellectuels (dont Derrida et Deleuze mais pas Foucault).
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même ce sont les mêmes mots qui sont proférés et c’est ça qui m’a paru le plus intéressant. Il y avait aussi d’autres modes de décalages. Cette filiation entre le jeu de rôle et la pratique et la pensée féministe des années 1970 a été beaucoup caricaturée, du coup on a justement essayé d’éviter de le faire, par exemple en évitant les fétiches de la féminité ou de la masculinité. Par contre, on a beaucoup opéré depuis des dispositifs brechtiens. Une pensée brechtienne qui a été extrêmement influente pour Martha Rosler par exemple dans Semiotics of the Kitchen (1975), une des premières vidéo-performance qui représente une situation type de plateau télé. Les étudiants avaient privilégié les signes qui pouvaient faire penser qu’on était dans ce contexte plutôt que de le reproduire fidèlement. Autre signe de distanciation brechtienne, Adrien Monfleur jouait l’actrice-réalisatrice porno, et comme il admire Marguerite Duras, il a proféré des propos très pragmatiques sur un contexte de réalisation porno avec une voix durassienne. Les deux étudiantes dont tu parles, Anaïs Mischler et Anaïs Derderian, lisaient le texte, c’est-à-dire avec une volonté très stricte de non-interprétation de ce qui est dit et évoqué : aucune empathie, aucune sympathie chez ces deux critiques d’art. De plus, il y avait une étudiante un peu punkette, et une étudiante plus posée, donc tous ces modes-là brouillaient ce qui était en train de se dire. La confusion était importante entre ce qui était vu, représenté et ce qui était dit. Réactiver la pratique du jeu de rôle féministe était effectivement intéressant dans ce sens, à condition qu’elle soit associée avec une certaine distanciation brechtienne et le tout ancré dans des enjeux d’art contemporain. Ce devait être une logique d’aller retour : le processus montrait qu’il était possible d’altérer le sens sacralisateur de l’écrit, et en retour les étudiants se rendaient compte de la façon dont ils pouvaient, par le biais de l’entretien, accéder à une parole un peu plus neutre, notamment vis-à-vis de leur propre pratique où ils sont toujours emmêlés dans des enjeux personnels dont ils n’arrivent pas du tout à se dépêtrer. À la fin de la performance, j’ai fait une conférence où j’ai évoqué un ouvrage qui s’appelle De l’entretien (1997) de Louis Marin où il évoque la difficulté d’être soi‑même dans l’entretien. Dans ce dialogue avec l’autre, il y a des moments de séduction qui font vraiment penser à des mouvements de drague explicite. Celui qui était interviewé pouvait prendre le risque d’être hors soi et Marin voyait là le danger de l’égarement. C’est quelque chose qu’on peut retrouver chez Gilles Deleuze, chez Jacques Derrida, cette idée que l’entretien, surtout filmé et rediffusé en temps réel, pouvait amener à dire des choses que l’on ne peut pas complètement contrôler. C’est paradoxal car ce sont quand même des penseurs de la déconstruction du sujet qui justement « paniquent » dans une pratique où ils peuvent être amenés à ne pas être complètement eux‑mêmes. Alors qu’au contraire, les étudiants y voyaient un véritable enjeu d’articulation entre leur pratique et sa conceptualisation, c’est-à-dire que le fait de ne pas être complètement soi-même dans l’entretien leur permettait d’être eux-mêmes dans la conceptualisation de leur propre travail. Toute la difficulté, dans les mémoires des étudiants, repose sur le fait que les étudiants sortent d’eux-mêmes, au lieu de produire des essais sensibilo-anecdotiques.
Je trouve que c’est très actif politiquement, ce pouvoir de la parole particulière, produite pour un contexte spécifique, et qui du coup ne s’adresse plus à cette idée effrayante de l’universel. Même dans un contexte plus large qui est celui de la société française, où, sous couvert de ce grand idéalisme républicain, chacun devrait se départir de ses particularités pour parler pour tous, il y a quelque chose de très dangereux qui nie l’individualité et les particularités des gens. Je pense que l’école d’art et l’art en général sont des endroits importants où prendre en compte les paroles individuelles au lieu de les marginaliser et de les repousser vers une parole communautaire, qui soi-disant ségrègue. Ça montre le pouvoir de la compréhension des choses individuelles, au sein d’anecdotes comme tu peux les restituer ici, mais aussi l’importance politique, au-delà de l’école d’art, de donner une place à ce genre de protocole. Ce qui est intéressant, c’est que ce sont des jeux, des temps où on met des outils à disposition, par exemple,
expérimenter la télé comme un genre, expérimenter la prise de parole en dehors d’une tradition judéo‑chrétienne, etc. Ce n’est pas de la production au sens strict comme on peut la retrouver dans les ateliers à l’école. Il est important de réinsuffler en école d’art cette idée de dilatation du temps, d’abord parce que c’est quelque chose dont on éprouve de plus en plus le besoin à l’extérieur, en dehors de l’école d’art, puisqu’il y a une compression du temps qu’on vit tous, voire qu’on subit pour la plupart. De plus, l’école d’art est parfois mise en danger idéologiquement, en termes de format et de raison d’être, parce qu’on travaille justement sur ces dilatations du temps, qu’il faut toujours justifier. Les étudiants ont aussi une vision très dilatée du temps qui ne me convient pas toujours (rires). Mais la dilatation du temps comme expérimentation, ce n’est pas le dilettantisme. Donc pour contrer cette idée reçue, il faut des protocoles d’expérimentation clairs. Et le projet de recherche permet cela : être dans des processus de dilatation du temps où des choses vont apparaître sans jamais être acquises. Ça veut seulement dire que ces choses auront existé. Ça a eu lieu, ça existe, ça a été observé, ça a été une expérience, tout ce que tu disais sur la question des différents modes de prise de parole, mais en revanche ça ne veut pas dire que c’est acquis. C’est très fragile. Il faut toujours réactiver ces protocoles de dilatation du temps de manière très différente pour surprendre à chaque fois les étudiants et c’est ça le projet Off the Record. On a droit à l’échec, à la perte, à la bêtise, à l’abandon. Ce qu’on observe, ce qu’on met en jeu, ce qu’on associe, ça produit du sens, un intérêt, des désirs, des envies, des projections pour la suite, pour son ancrage dans l’école ou son devenir d’artiste, mais ça ne produit pas forcément des objets immuables… C’est aussi un temps de résistance à une certaine injonction de productivité qui serait en vigueur au sein de l’école d’art… ...un temps de définition de son travail, à l’inverse d’une formalisation quand parfois les étudiants veulent trouver un mécanisme, des formes, des formats, qui vont être reconnus, très vite, assurer un diplôme, un devenir artiste, là où peut-être, quelques années plus tard, ils peuvent réaliser qu’ils avaient envie de faire d’autres choses… C’est donc permettre ces temps-là aussi pour les étudiants, de s’assurer qu’il n’y a pas une voie vers une formalisation ou des formats qui ne sont pas les leurs. C’est très perturbant pour les étudiants mais c’est ça que je trouve bien. L’autre dimension d’Off the Record qui est peut-être plus proche du féminisme — puisque pour moi le féminisme c’est le rapport du un et du multiple, ce que vous expérimentez à trois à Pétunia par exemple, ce que tu expérimentes en faisant des co‑commissariats — c’est comment tu travailles à plusieurs tout en t’accommodant de la formation, des compétences et de la personnalité des personnes avec qui tu travailles, tout en arrivant à travailler ensemble : et donc pour ça il faut expliciter pourquoi et comment on travaille ensemble avant même de le faire. De plus, en considérant mon expérience personnelle, ce qui a été le catalyseur de mon individualité ça a clairement été le collectif, c’est-à-dire que je ne vois même pas comment on peut définir des positions individuelles si elles ne s’articulent pas au collectif, pour moi c’est une expérience née d’une pratique. Tu sais que je suis commissaire d’exposition après avoir étudié en école d’art, et, pour moi, ça a toujours été quelque chose sur lequel je n’ai pas pu mettre des mots tout de suite mais qui est complètement lié à la façon dont ma pratique personnelle
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illégitimes, à savoir que cette question liée aux sciences sociales et à l’anthropologie, à savoir que l’intervieweur choisit d’évincer ce qui lui semble illégitime et fait le choix de sanctifier par l’écrit ce qui lui semble légitime, c’est très politique, parce que ça configure la réalité de façon effective. Quand tu dis qu’un représentant du ministère se méfiait au départ de ton profil féministe, ça pose la question que quand on travaille les représentations, on se pose les vraies questions sur ce qui filtre de toutes ces productions de savoir, dans quelle mesure elles ont une vraie effectivité politique, même le fait que ça se veuille apolitique, comment on reconfigure les représentation, même, par exemple, quand tu donnes la parole à des jeunes femmes ou à telle ou telle minorité dans le cadre d’Off the Record en quoi est-ce que c’est aussi donner la parole à tout le monde pour plus tard, déconstruire ce monolithisme des expressions, des représentations ? Sur la question des étudiants eux-mêmes, est-ce que ça allait produire une prise de parole différente selon leur sexe ou leur orientation sexuelle, honnêtement je ne sais pas. Cela n’a pas été mon axe de considérer si j’avais affaire à des étudiants ou des lesbiennes, des homos ou des hétéros, je me suis plutôt concentrée sur la manière dont ils allaient s’approprier les outils que je proposais. Peut-être que c’était différent, peut-être pas, je n’ai pas réellement observé ça. Par contre, ce que j’ai remarqué, et c’est le travail qu’ils ont fait avec Claude l’après midi, c’était qu’il y avait des personnalités différentes, alors que c’était la même personne qui parlait, et ça grâce aux protocoles de training d’entretien mené par Claude. J’ai vu des plasticités physiques changer, c’était très impressionnant. C’était quasiment un travail de directeur d’acteurs ou d’actrices. On avait fait ce travail avec les étudiants une semaine avant leur diplôme blanc, certains collègues avaient peur qu’on fasse du marketing avec les étudiants, qu’on les formate à parler sur leur pratique, mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Claude leur demandait juste de changer d’adresse. Par exemple, Justine Giliberto a fait cette vidéo sur les archives de son père qui revient du Maroc et qui arrive à Marseille sous Deferre, etc. Justine était crispée, elle avait une plasticité crispée, antipathique. Claude lui a demandé de parler à sa petite sœur trisomique parce qu’elle a fait tout un travail sur elle, sur les films de famille de Noël avec elles deux. Il y a eu une adéquation entre ce qu’on voyait et ce qu’on connaissait de Justine. Elle a pu parler de son travail à tout le monde. Et c’était un moment magique, et c’est là où tu te dis que la dimension du jeu de rôle est très opérante, en termes d’usage, de réception, et aussi de façon de modifier les adresses et donc les situations d’énonciation.
C’est très important dans cet objet paradoxal qu’est l’école d’art, de garder cette dimension collective, parce que beaucoup de choses vont la contredire à la sortie de l’école : le monde de l’art continue d’être le reflet le plus caricatural du système capitaliste dans sa logique individualiste. Si l’école d’art ne rappelle pas ça au niveau pédagogique, même de façon un peu autoritaire, je ne vois pas comment on va pouvoir conserver un monde de l’art qui continue à se préoccuper d’autrui, surtout dans le contexte actuel. C’est aussi important parce que ça permet de redéfinir sa pratique individuelle comme un choix. Au moment où les étudiants quittent Off the Record et reviennent à leur propre pratique, ils sont passés par différentes étapes pédagogiques, de recherche et d’expérimentation, par l’épreuve du collectif, qui ramène à une définition de ce que c’est d’être artiste, et comment devenir artiste. Je ne sais pas si c’est une critique ou une résistance au capitalisme mais ce qui est sur c’est que ça réactualise, comme on met à jour un logiciel, ça rescanne les désirs et les besoins des étudiants, ce qui est très important et jamais acquis, même pour nous, en tant que professionnels et enseignants. La difficulté en école
Et ta formation de chercheur aussi non ? J’ai cette endurance mais auprès des étudiants, ce n’est pas toujours évident. Ponctuellement, tu arrives à fédérer, mais sur la durée, un an, deux ans… C’est la deuxième année donc Off the Record grandit, des séminaires, des workshops, on en arrive à des nuits d’études, des projets de publications et c’est formidable parce que c’est un projet qui a pris pour base les désirs et les manques des étudiants. Ce n’est pas le placage d’une recherche conceptuelle en école d’art qui rate souvent parce qu’elle considère que la distinction entre théorie et pratique est quelque chose d’acquis. Off the Record a pour enjeu justement de reterritorialiser ces notions, comme nous reterritorialisons commissariat et recherche ensemble avec K.Acker : The Office1, 1. K.Acker : The Office est une plateforme de travail l’intérêt est de travailler entre les réunissant deux personnes deux. C’est sur ce petit bout de aux compétences situées, Dorothée Dupuis (commissaire terrain, ni l’un ni l’autre, qu’est selon d’exposition) et Géraldine moi la façon opérante aujourd’hui de Gourbe (philosophe), et opérant depuis, par et à travers faire de la recherche en école d’art, les univers romanesques de débouter plein de gimmicks sur la de l’auteure Kathy Acker. transversalité, l’hybridation qui n’ont Écrivaine juive américaine, proche de William Burroughs, pas du tout été pensés. elle a fortement influencé Le projet Off the Record ne se de façon aussi ouverte que souterraine nombre d’artistes définit pas comme transversal ou et d’auteurs de sa génération hybride mais utilise simplement le et sûrement d’autres plus collectif pour permettre d’aborder proches de nous. Le projet dans son ensemble révèle de façon plus sereine, et en tout des frictions, des aspérités, cas moins éprouvante, la notion des concrétations depuis l’espace mental d’Acker et opérante d’amateurisme éclairé et favorise leur contamination d’endurance dans des temporalités virale dans d’autres récits, des savoirs, des formes dilatées. et des espaces légitimes ou non encore à déplacer, reconfigurer ou hacker.
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Tu apprends autant que tes étudiants en fait. Oui, tout le temps, parce qu’il y a aussi des choses qui dysfonctionnent. Par exemple, l’élément le plus dysfonctionnant, c’est le rapport à l’écrit, qui était l’un des objectifs premiers du projet. Ça va demander du temps. Et puis l’autre difficulté, c’est de travailler à plusieurs. Par exemple, Anita va avoir une exigence légitime sur une pratique d’atelier : « Mais pourquoi tu fais ça, pourquoi cet objet nous intéresse, est-ce qu’il a une autonomie, etc. ? » Et moi c’est autre chose… Cette dynamique permet de tenir ce travail-là dans l’année, d’avoir une endurance. Je parlais tout à l’heure de l’expérimentation de la dilatation du temps, et c’est éprouvant, de dilater ce temps dans une dimension expérimentale, cognitive et de recherche. Il faut toujours remobiliser les étudiants à la fois d’un point de vue intellectuel et pratique autour de cette dimension d’endurance collective et d’amateurisme. Elle nous est permise par Anita et les différents intervenants d’Off the Record.
Géraldine Gourbe, Dorothée Dupuis, Off the record
d’art c’est que ces mises à jour sont permanentes, et c’est effectivement lourd, laborieux, déstabilisant, parce que de nombreuses fois, tu dois refaire ces mises à jour dans ta formation. Et l’autre chose sur laquelle je voulais revenir est que cette dimension de la standpoint théorie telle qu’elle est envisagée dans Off the Record permet aussi aux étudiants d’aller vers une forme d’amateurisme éclairé. Avec cette dimension de l’amateurisme éclairé, la prise en charge du groupe est extrêmement importante, on essaye de trouver une adéquation avec les outils en train de se mettre en place (Wikipedia, Google), cet accès massif à l’information et au savoir, mais cet accès individuel est encadré. Il y a un protocole et il y a le temps, borné par l’expérimentation.
Pétunia iii
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de curatrice a émergé, de trouver toujours des protocoles de collaboration avec les autres. Tu me demandais tout à l’heure de revenir sur cette idée du « standpoint », la théorie du point de vue ou des savoirs situés. Cette théorie est originaire du Mouvement des Femmes, notamment le Consciousness Raising qui a existé pour parler en dehors d’une pensée qu’on appelait à l’époque patriarcale, qui modelait des représentations de femmes, des habitus. Cette pratique du standpoint est devenue une épistémologie, c’est‑à‑dire qu’elle s’est nourrie et s’est associée à d’autres théories, la théorie marxiste notamment, je pense à Lukács, et on peut aussi la rapprocher de la question de la formation de la subjectivité chez Kant, comment Kant pense la dimension de la subjectivité, Kant qui n’était absolument pas féministe, ni marxiste d’ailleurs (rires) mais qui a pensé le rapport entre subjectivité et universalisme : on peut peut-être dire que la standpoint théorie remonte jusque-là. C’est évident que la période des Lumières est un laboratoire pour comprendre l’articulation entre subjectivité et particularisme ainsi que leur articulation vers l’universalisme. Et c’est pourquoi c’était intéressant dans ma thèse de revenir sur l’articulation entre la pensée féministe et la critique de la faculté de juger parce qu’à la fois cela prenait en compte cette production conceptuelle, et en même temps elle la nuançait. D’autres l’avaient conceptualisée, je pense à Arendt, à Sandra Harding (pour les sciences dures et qui a beaucoup travaillé sur cette épistémologie du standpoint), à Donna Haraway, à Rosi Braidotti qui est une personnalité extrêmement influente, Elizabeth Grosz ou encore Luciana Parisi qui réinsuffle la dimension du désir comme machine productrice deleuzienne et guattarienne dans cette optique de la prise en compte des standpoints theories…mais pas dans champs de l’esthétique. On a essayé de mettre en pratique tous ces apports-là avec les étudiants en travaillant ensemble. Ils ont fait des projets collaboratifs, puis individuels à l’inverse du schéma le plus classique du workshop où chacun travaille dans son coin, et ce furent des moments assez violents en terme d’émotions et de sentiments parce qu’en école d’art, les étudiants ne sont pas tellement habitués à travailler ensemble. Je crois que c’est absolument fondateur et fondamental ce travail à plusieurs, comprendre ce que l’autre veut faire, en quoi c’est légitime aussi ; qu’il n’a pas forcément tort, qu’il ne veut pas s’opposer à, ou qu’il n’est pas seulement concurrent en, qu’il n’est pas un chieur. Il fallait mettre un peu d’huile dans tout ça.
Effet cocktail, Prises de vue : André Morin. Courtesy Triple V, Paris
Emmanuelle Lainé
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“The worth of a piece of art doesn’t depend on its resemblance to something which was produced technically. It depends on artistic perfection. All devices reach their goal through movement, which cuts through space. The tendency of composition in space is to communicate with space.” (Kobro, 1933)
Clara Meister Katarzyna Kobro’s tobacco stand and nursery school
In early 1920s Europe, in the aftermath of the Russian revolution a variety of new artistic ideas linking art and architecture evolved, fostered by artists such as Kasimir Malevitch, Vassily Kandinsky and El Lissitzky. Among them, a young woman named Katarzyna Kobro developed her artistic understanding and shaped her own idea of the Unistic Sculpture, which lead to her concept of sculptures shaping space. She composed her sculptures with the pre-existing forms of Suprematism, such as the circle and the cross, which she often connected by a metal band. These hanging structures formed closed waves appearing in a constant dynamic movement, thus referring to other concurent artistic approaches to overcome gravity. Kobro coated most of the Unistic series in a white monochrome paint, thereby disguising her use of wood and metal. She further dematerialized her work through her stringent composition—offering a clear concentration on the structure. Kobro’s sculptures addressed the emerging scientific, philosophical and artistic concepts about multidimensional space and space-time. They were composed to define the seeming inconceivability of the infinity of space, which in her opinion did not define objects but was their essence and affecting their forms. Once asked about her thoughts on art, she replied, “Sculpture is neither literature, nor symbolism, nor individual psychological emotion. Sculpture is nothing but the shaping of space. Sculpture addresses all people and speaks to them in the same language. Its language is form and space. Hence the objectivism of the most economical expression of form. There are no multiple solutions—there is only one—the simplest and the most appropriate. A sculpture is part of its ambient space. That is why it should not be separated from space. A sculpture enters space, and space enters it in turn.”1 She intended to give her sculptures an organic 1. Katarzyna Kobro, “Sculpture and solid,” EUROPA, no. 2, 1929. character, which supersedes the sculpture’s ability to be solely a body in space and challenges it to be a spatial phenomenon. Kobro’s theory of sculpture as a spatial expansion into the infinity of space was directly linked to her endeavors to choreograph the movement of viewing. Her sculptures’ dynamic character derived, on the one hand, from the structure and its own movement in space and, on the other hand, from the viewer moving around the sculpture. According to the artist, a sculpture is defined not only by its appearance in space, but also by viewing, and the temporal process of perceiving it. Kobro worked together with her husband Wladyslaw Strzemi�ski, one of her biggest supporters and partner in thinking, to experiment with three-dimensionality in search of a reciprocal influence between space and sculpture. As a result, Kobro’s series of Spatial Compositions is characterized by an architectonical style. All made of metal that folds up in space, the compositions were thought to be “anti gravitational” as they have no traditional base or fixed position in space. Each composition’s construction is proportional and open to space. They consist of a combination of a right angle metal band and an arch in the three primary dimensions: height, depth and width. Or in other words, for the two artists, these compositions created their own “sculptural zones” following mathematical calculations of the artists to determine the limits of the shaped space. The antagonism of “the closed” and “the open” drove them to monitor and experiment with the characters of sculptures and through this the composition of space. A way of thinking in which they still remain pioneers. A colleague recalls that “their studio looked funny at that time. The whole interior was crammed with boxes, sheet metal, sawdust, and 2. Janusz Zagrodzki, “Inside Space,” in glass articles. This was the Katarzyna Kobro 1898‑1951, exh. cat., Leeds, Henry Moore Institute, 1999. palette of Constructivism.”2
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Model Project for a Functional Nursery School Forma, no. 5, 1936
Model Project for a Functional Nursery School Budowa, no. 2, 1936
Clara Meister, Katarzyna Kobro’s tobacco stand and nursery school 45
Pétunia iii
Together with architect friends they formed the group PRAESENS, which explored architectural issues in the form of a journal and various exhibitions. One exhibition was co‑organized with the De Stijl Group, in which Kobro’s work was highly discussed and well received. Her sculpture Spatial Structure 3 shows her interest in architecture and can be seen above all as an architectural design. The growing disagreement between the architects, who followed mostly their technical interest and their orientation towards functionalism, and the artists, who cardinally pursued the concept of sculptural aspects of architecture, most probably lead to the breakup of the group. Still Kobro’s artistic thoughts continued to be driven by the organization of space and led to an “architectonization of sculpture.”3 In her search for new forms and a flexible principle of proportionality of 3. Ibid. dimension for a harmonic relation of forms, she turned to the laws of nature and mathematical approaches such as the Pythagorean doctrine and the Golden Section. Kobro not only formulated her own theories about this approach and brought it to form in her objects, but also tried to apply her thoughts in two more practical attempts at architectural design, which were both for public spaces. With Strzemi�ski, she collaborated in 1928 on an architectural draft for an open competition announced by the Warsaw authorities to re-organize the city’s architecture. Kobro pushed the idea of sculptures serving as a basic understanding of architectural and urban spaces. She wanted to understand the city as a functional organism through the prism of contemporary art, science and technology. In one essay she endorses that “the essential basis of sculpture is space and the manipulation of this space, the organization of the rhythm of proportions, the harmony of form, bound with space. Sculpture should reflect the organizational and technical possibilities of its time. Our cities suffocate because of the lack of organization and urban planning. Our sculptures stand in city squares like stone markers of guilt serving to commemorate and decorate this chaos.”4 Both chain-smokers, Kobro and Strzemi�ski designed a movable kiosk for the sale of tobacco, 4. K. Kobro, “For people unable to think…,” FORMA, which consisted of a light framework of no. 3, 1935. walls easy to install and remove, which protected the customer and salesman from weather conditions. The inside was equipped with a couple of shelves to store and display the merchandise. The only remaining photograph of the sketch is in black and white but shows clear contrasts, which leads to the conclusion that the planar walls were painted according to Kobro’s color theory. Whereas Kobro’s Unistic Sculpture Theory demanded monochrome white to avoid the perception of a sculpture as a complete body in space and therefore separate and independent from its surrounding space, she claims however that the composition of space requires colors. The colors for spatial composition have to have great energy and intensity, such as red, blue and yellow and also black and white. Color nuances, which only differ slightly from each other, were considered useless and passive. Her color theory, as well as her use of straight lines and correct angles, follows aspects of Mondrian’s use of primary colors and non-colors. Two opposite elevations displayed the offered wares of “Cigarettes” and “Tobacco.” The flexible and purposefull design was stood out from all other proposals with its simple construction, but apparently it was never manufactured. The second, and this time solo, architectural attempt by Kobro was the Project for a Functional Nursery School in 1932-1934. From this project only two photographs of the model remain, both of which are from two different angles allowing for a closer analysis of the model.
The nursery is composed as a closed system with walls, flat roofs and big windows protecting the inside, but at the same time the structure opens to the “ambient space” of the garden and outside area. The building is an oblong with one part elevated with windows stretching from the ground to the roof. The lower part is crested by an arched shape with rectangular windows covering the sides. This arch strongly recalls the metal bands in her sculptures bringing the forms into relation. Two almost freestanding walls are attached to the main building; one is supporting the name of the building resembling a billboard, and the other seems to function as a separation wall towards the back of the building with painted or engraved forms on one side.
Drawings Tabacco Stand Architektura / Budownictwo, no. 8, 1928
The model can be seen as an aspiration to fulfill the artist’s desire to treat a work of art equal to an architectural model and thereby address certain formal problems. In Kobro’s understanding, architectural models should be the result of formal considerations, which did not necessarily have to be realized in a building but should serve as an organization of social space. The model thus need not obey rules of usability or functionalism but can be rather seen as conferment of artistic experiments into another field. Kobro was devoted to the idea that sculpture should become an architectural issue—a “laboratory experiment into methods of resolving space.”6 The possibilities provided by art in understanding 6. K. Kobro, “For people the organization of space ought to challenge unable to think…”, id. the organization of urban space as a functional organism. Yet it should not be forgotten that her artistic approach was strongly supported by Utilitarianism, one of the doctrines of Functionalism. This brings her understanding of sculpture closer to architecture and therefore the sculpture’s “usability” for people—in contrast to other sculptures of mere art objects. In one of her many essays she states, “Functionalism is not a tendency in art for art’s sake. Its aim is to allow the forms of art to influence the shape of everyday life, according to the principles of the scientific organization of work […] the main principles of Functionalism are: 1) utilitarianism; 2) economy; 3) planning.” To be more precise, for her this utilitarianism involves “the direct organization of life by means of regulating current utilitarian production (architecture, in the sense of organizing individual and group movement).”7 Because Kobro’s 7. K. Kobro, “Functionalism,” architectural drafts were never built FORMA, no. 4, 1936. and therefore never fully realised, her achievements in theory never stepped out of their utopian concept to be ultimately approved by reality.
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It is unknown on which occasion this project was developed and why it was never built. The fact that her only architectural model is a nursery school can be understood by the context of her engaging motherhood for her premature daughter, her teaching in various schools, and her interest in functionalist buildings and conditions of working. Her sculpture Spatial Composition 8 served as a skeleton for the nursery school model. For Kobro, “the spatial composition, in becoming architecture, organizes the rhythm of human movement in space. The rhythm of a work of art then becomes the rhythm of movement of crowds and individuals.”5 Her approach of transference of 5. K. Kobro, “A sculpture is…,” Glos Platyców, no. 1-7, p. 42-43. artistic understanding into real life and especially the implementation of these ideas in buildings of daily life are also visible on a smaller scale in her classes on “interior aesthetics” and her understanding of fashion.
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Die Zeichnung geht aus von einer fiktiven Lichtstrahllinie, die an den W채nden einer geschlossenen Spiegelbox gebrochen wird. Der Reflexionswinkel ist der rechte Winkel, so erreicht das Licht die Lampe nicht.
We are people who regularly leave home for exhibition spaces. We set ourselves there for a while, be it short or long. In some weird way, we fill (furnish?) those empty places, although some of us tend to keep them pretty empty. Most often when we visit them prior to an exhibition project, some shows by other artists are on (there are already some tenants there?). We have a discussion with the curator (the landlord?), who has seen many artists (tenants?) there, and quite as many responses to the nature of the space itself (spaces which curators, a bit like if they were valuing properties, always tend to think of as exceptional, different, particular, singular). When we come back it is often different from what we remembered or had
Lili Reynaud-Dewar, Partly unsettled 51
I have been married for 7 years now. I have rented three different apartments in three different cities during those 7 years. I guess I am not exactly what you could call an unsettled or erratic figure. By the way, I realized that the English has two adjectives: “erratic,” describing a certain instability and discontinuity, and “errant,” describing a sexual instability: infidelity, even a certain deviance or decadence, because of course some judgment inevitably comes together with this kind of “behavior.” Getting back to my own private life, which I am somehow making public writing those lines, I mean to say that I am now, aged 35 (probably an age when you should fully realize yourself within some important life achievements), facing the impossibility to actually project myself into the idea of owning a home, or possessing a fixed place. There are financial reasons to that of course. Like we were recently reminded in a controversial press release by Claire Fontaine, introducing their show “No Family Life” at Air de Paris “Living a life at 7 500 € per square meter or 1 800 € rent a month is possible. Paris air is on sale by the cubic meter, but this isn’t an effect of social segregation, it isn’t a form of exclusion—it’s just that the value of the ground under our feet has changed, and our lives with it.” This is a situation not only experienced by artists but by everyone leaving in a city today. I do not want to romanticize the economic reality, but there might be other reasons than financial—more tightly connected to our profession, our activity—why it seems to me that so many artists and more specifically women artists are unable to envision themselves through the lens of private property and settlement.
Pétunia iii
Lili Reynaud-Dewar Partly unsettled
I write this text in English, not as a way to reach a wider, more international audience, but as a way to find a certain unsettlement within my own text. English is not my language, and although I speak, work and teach in English, writing in English is a different story: my vocabulary is not the most expanded, my syntax is sometimes inadequate, my style is borrowed from other writers and people’s style. I don’t own English like I own “my” French: English language certainly doesn’t belong to me. The reason why I am seeking for a certain unsettlement in my use of language is because my text is precisely about unsettlement, about the refusal for owning a fixed place, that is to say a home, a property. I would like to envision this unsettlement not as a condition of the globalized present, but as a condition of the emancipated woman artist. I would like to think of this not as a contemporary form of nomadism (we all know too well how compromisingly adequate to the contemporary demand for an ever faster circulation of ideas this kind of so-called nomadism is) but as a strategy of resistance for an artist and for a woman, and for a woman artist.
Last year, one of my students at the art school in Bordeaux, Caroline Bagot, wrote a thesis entitled Les Disloquantes (a neologism that could be translated as “The Dislocators”). She discussed her own practice, the figure of the site specific artist as a tenant, the models of the studio and the exhibition space as rented spaces. “Being a tenant brings into question the site specific work in a particular manner. How can an indoor space, with no partitions, be reorganized from multiple activities but with no major alterations, given that this space has to be returned in the same condition? How can the partition of the space be thought about and considered in a limited amount of time? What will be the modes of shifting and moving in this re-organized space? How can we think altogether about a site specific work and about its moving? What will be moved, preserved, modified? Being a tenant means thinking about the localization and re-localization as such, about the things we own, the knowledge and the materials we own, it means being detached from the ideas of property and durability. This situation where rented space and studio are blurred, where artistic practice faces the impossibility of fully appropriating a place brings me to question the various possibilities I am given. Thinking as a tenant brings into question the place, its spacetime continuum, its partitions and divisions, and the consequent movings and shiftings. It is a way to think about dislocation.” Caroline did not write her amazingly good thesis as a manual for artists’ private lives (she was more interested in discussing the work and the practices’ status), but I did read it as such (that is to say I decided to misread it). Again, I was more interested in considering the consequences of this type of practices on our lives, than in thinking exclusively about the work. This is probably where I might trespass the boundaries of what is acceptable in terms of art writing and speculation. Art writing, even the most speculative, certainly shouldn’t seek to produce authoritative “life style” models, certainly shouldn’t prescribe certain modes of privacy over others… But I guess the art and life model is still an accurate and relevant one, and that some meaning should be found and shared in the situations we experience on a personal and professional level.
In order to emphasize on the possibly over exaggerated prescriptive position I am taking with this text, and its tendency to essentialize and romanticize artistic practice, while still questioning notions—private and real estate property—typical of a certain bourgeois anxiety, I would like to make use of two extreme figures, two women belonging altogether to reality and myth. They are not artists, but figures of radical unsettlement and wandering lives. The first one is Sojourner Truth, slave, feminist and civil rights activist of xixth century, and also a central figure in feminist studies. The second one is Mona Bergeron, the main character of Agnes Varda’s movie Sans Toit Ni Loi, (Vagabond for the English version, but it could also be translated as something like “No Roof, No Rule”), depicting the life and death of a young vagabond woman in rural France of the 1980s, beautifully played by Sandrine Bonnaire. Sojourner Truth was born Isabella Baumfree and a slave in New York at the end of XVIIIth century. She was first the property of a Dutch colon, then sold three times to English ones, and forced to marry, in 1817, to a slave with whom she had 5 children. She was never taught how to write or read. Her language itself was unsettled, traveling between Dutch, English and Slave patois. She escaped in 1826 “believing that to be all right” after being promised by her master she would be set free and, of course, deceived. The state of New York where she lived had begun, in 1799, to legislate the abolition of slavery, but the process of emancipating New York slaves was not complete until July 4, 1827. She had to fight to get her children, whom she had left behind when fleeing, back, sued her master and won the case. After a few years of activism in New York, she is said to have told her friends “The truth calls me and I have to go” and from then traveled the US, walking across states, finding refuge at local peoples’ homes, preaching and telling her own story in feminist conventions and elsewhere. Her most famous speech, known as Ain’t I a Woman, was given in Akron, Ohio, in 1851. It was reproduced a few months later in The Anti-Slavery Buggle (1951), and several years later in The History of Woman Suffrage (1863). None of the two versions was exact in rendering Truth’s speech and her language specificities. The first one was a kind of translation, into clean, polished English, the second was a caricatural version of slave’s dialect characteristics, using a great deal of southern slave expressions and accent. Except that Truth never was a southerner: she spent all her slave life in the state of New York. So her speech itself travels, gets amended, interpreted, reworked, hence surfing on the instability derived from its orality, on the particularities of the composed language of its orator, and on the fantasies and clichés of its listeners and reporters. I would like to quote the two different versions, and move from one to another. “I was boun’ a slave in the State of Noo Yo’k, Ulster County, ‘mong de low Dutch. W’en I was ten years old, I couldn’t speak a word of english, an hab no eddicati’n at all. Dere’s wonder what dey has done fur me. […] I am≈a woman’s rights. I have as much muscle as any man, and can do as much work as any man. I have plowed and reaped and husked and chopped and mowed, and can any man do more than that? I have heard much about the sexes being equal. […] And ain’t I a woman? I have borne thirteen chilern, and seen ‘em mos’ all sold off to slavery, and when I cried out with my mother’s grief, none but Jesus heard me! And ain’t I a woman? Den dey talks ‘bout dis ting in de head; what dis dey call it? (“Intellect,” whispered someone near.) “Dat’s it, honey. What’s dat got to do wid womin’s rights or nigger’s rights? […] The poor men seem to be all in confusion, and don’t know what to do. Why children?
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imagined by looking at the photographs and floor maps. We can start installing ourselves. Sometimes we bring objects, they arrive in large trucks, less or more well packed and crated. Other times we build some objects, structures, display arrangements especially for those spaces. We often do both (of course a lot of artists don’t exactly bring objects… but however “immaterial” their work might be, they still give their own interpretation of how this space should be occupied). Along the way, we learn how to measure a space, appreciate its light, to take into account all its details: ceiling, floor, walls, and so on. We become indoor spaces specialists, not in the sense of an estate agent, more in the sense a person moving house every two or three months. Of course this parallel between the domestic space and the exhibition space can be read as a pretty bourgeois understanding of what an exhibition might be. But I am more interested in reflecting on how this “practice” of exhibition spaces has a direct effect on our personal, intimate desires and our private lives, than in providing a general definition of the “exhibition.” I remember a talk by Pierre Joseph, around 1999 or 2000. He said that when proposed to do a solo show at the Consortium in Dijon, he had decided to use only a small part of it, the surface approximately the same as his apartment’s, and around 10% or 15% of the exhibition space he was allocated.
According to the accounts of observers and listeners, Mona and Sojourner look like men, live like men, work like men, eat like men, drink like men, walk like men and speak (or don’t speak) like men, but they are women, hence rejection, lack of understanding, fascination, repulsion. A farmer discusses Mona: “A girl on the road like that. Rare, very rare.” A mason: “Dare I speak to her? I did not know if I should.” A prostitute: “Don’t stay around, please. You’ll scare the clients.” The biologist’s assistant, a young scholar: “She’s revolting. A wreck. Makes me sick. This confusion, I can understand, even
“The home is a powerful metaphor. It is alternatively a site of disenfranchisement, abuse and fulfillment with which women have historically been expected to identify. Just as men have been encouraged to earn a≈good living, women are still expected to “keep house”, writes Cara Mertes as an introduction to the exhibition “Dirt and Domesticity,” held at the Whitney Program nearly 20 years ago (1992). Beyond (or in addition to) racism and sexism, what makes Mona and Sojourner inadequate to standards associated with femininity is the simple fact that they are wanderers, vagabonds, drifters, thus functioning as counter examples of what is usually associated with women: home, confinement, cleanliness, domesticity. Their non-conformity to those notions makes them “unacceptable,” belonging to the domain of abjection. The most notable aspects of Mona are her smell, her dirtiness, her scruffiness. Varda said that she had made a film “about freedom and dirt.” The biologist, whom we see naked in her bath giving a≈phone call, says of Mona: “ My Lord. How she stank! When she got in, I nearly choked. […] It really hit me.” I would like to quote the original version of the text by bell hooks we invited Mathieu Kleyebe Abonnenc to translate into French for this issue of Pétunia: Choosing the Margin as A Space of Radical Openness: “For me this space of radical openness is a margin—a profound edge. Locating oneself there is difficult yet necessary. It is not a ‘safe’ place. One is always at risk. […] It was this marginality that I was naming as a central location for the production of a counter-hegemonic discourse that is not just found in words but in habits of being and the way one lives. As such, I was not speaking of a marginality one wishes to lose—to give up or surrender as of moving into the center—but rather a site one stays in, clings to even, because it nourishes one’s capacity to resist. It offers
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Mona Bergeron’s relation to speech is quite the opposite. She barely talks. She has nothing to preach or plead for. When asked by a woman (Macha Méryl, fantastic as an upper middle class emancipated biologist fascinated by Mona), who takes her on a ride, if she likes to talk to the drivers who take her on board (Mona hitchhikes), Mona plays the car’s radio louder. The whole film is constructed as a series of remembrances of the people who encountered her during the last weeks of her life. Quite like Sojourner’s Ain’t I a Woman speech, we perceive Mona’s words through the reports of its listeners. What separates Sojourner and Mona is their relation to an audience and a community. Sojourner walks to find it, Mona walks to avoid it. When the biologist, bringing her champagne and canapés and letting her sleep in her car, apologizes for not taking her to a symposium where she’s giving a lecture, Mona replies: “I don’t like crowds, anyway.” She rejects the ideas of any community, of any cell. She stays for a moment with the family of a young philosopher turned shepherd, who tells her he was on the road too. “I know what it’s like to be on the road. We moved with the herds. Six months in the hills, six months in the valley” to which Mona replies “With a wife and herd, it’s different, more like moving house.” After a couple of nights, he proposes her to stay in an old trailer outside the sheepfold. Mona: “It’s better like that. You three plus the herd is quite a crowd.” He offers her a piece of land to grow potatoes, but she stays in the trailer all day and reads. After a while he asks her to go away: “You sleep all the time. We work all the time. It’s not fair. […] We give you land. You don’t touch it.” This too, separates Mona and Sojourner, who, during the last years of her life, tried to secure land grants from the federal government to former slaves, and settled in a house. But what they have in common, beside this portion of their lives on the road, is their radical non-conformity to expectations related to femininity as well as a specific relation to space and territory. Varda’s film depicts the countryside of France as much as it depicts Mona’s traveling life. The long tracking shots on deserted fields, roads, villages are combined with shots of Mona walking alone in these landscapes. In French the word for this kind of camera moves is adequately: ‘travellings’ (with two l). They intersect with various scenes of confinement, in squats, in the trailer, in an old lady’s mansion, in a railway station, in a room shared by North African workers, etc. where Mona halts at. The camera travels, just as Mona does, and maps a territory that appears both vast and repetitive, wide and monotonous, but that conveys a sense of freedom and openness. During the 1850s, Sojourner, then aged more than fifty and looking quite older, engaged into her “lecture tours.” She traveled from the Massachusetts to New England to New York to Ohio to Michigan and Midwest, then back to New York and≈New≈England again and back on the roads again.
me I’m lost sometimes. But to sink that low. She said to me ‘Do I scare you?’ Yeah she scares me. She scares me because… she revolts me.” Sojourner is told to have shown her breast in a convention, to an audience who thought she was a man. “I have as much muscle as any man, and can do as much work as any man.” Anywhere her apparitions are described as problematic, controversial, people fear her, she’s an alien to them and their cause. Gage, the women’s right activist who transcribed the second, folklore version of Truth’s famous speech, also described its context. Although her account is debated, the story is symptomatic of racial fear, Truth being perceived purely and simply as a creature, both powerful and extra-human. “The leaders of the movement trembled on seeing a tall, gaunt black woman in a gray dress and white turban, surmounted with an uncouth sunbonnet, march deliberately into the church, walk with the air of a queen up the aisle, and take her seat upon the pulpit steps. A buzz of disapprobation was heard all over the house, and there fell on the listening ear, “An abolition affair!” “Woman’s rights and niggers!” “I told you so!” “Go it, darkey!” […] “Don’t let her speak!” gasped half a dozen in my ear. She moved slowly and solemnly to the front, laid her old bonnet at her feet, and turned her great speaking eyes to me. There was a hissing sound of disapprobation above and below. I rose and announced, “Sojourner Truth,” […] The tumult subsided at once, and every eye was fixed on this almost Amazon form, which stood nearly six feet high, head erect, and eyes piercing the upper air like one in a dream. At her first word there was a profound hush. She spoke in deep tones which, though not loud, reached every ear in the house, and away through the throng at the doors and windows.”
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If you have woman’s rights, give it to her and you will feel better. You will have your own rights, and they won’t be so much trouble. I can’t read, but I can hear.”
Departing from the radical figures of Mona Bergeron, bell hooks, Sojourner Truth, the discussion on the artist’s life, and the notion of private property, may appear inappropriate, if not gratuitous or vain. But it might well be that the main question for an artist remains: how to live, not in the sense of positioning oneself in one of the artistic “centers” of the planet (one of the most cliché conversation for artists when they meet is probably the subject of where to live: Berlin, Paris,
Brussels, Los Angeles, New York, Mexico…), but more as an attempt to challenge the present conditions in which individuals are proposed, or shall I say strongly advised, to insert themselves. Economic pressure is increasingly hard, there is an extremely powerful hegemony of the notions of property, money, safety, banking, which marginalizes the ones who don’t have access to it. In Paris, even renting an apartment is a problem; some of my friends can’t access it. Myself and my husband, like many people we know, had to go through a friend of a friend who doesn’t ask for the usual financial guaranties. If property once seemed to be a protection against the exploitation of “owners” and the incredible prices of rents, it does not seem to be the case anymore, given the costs of mortgages and real estate. In these conditions, what is a “counter-hegemonic” posture/position? How can one really want to integrate and root oneself in a fixed place? Get indebted for a lifetime? Be satisfied with two or three rooms in a part of Paris that will probably be completely transformed in a few years—or months—time (but they say it’s for the best, because these radical transformations value your property)? This reluctance for private property is also an attempt to question the kind of experiences we accept to incorporate to our life, and therefore quite possibly to our work, what we want the work to be the filter of and conversely. I started this text discussing the consequences of my practice on my private life, I am now discussing the consequences of my daily life on my work. “It is as if artistic labor were itself a form of cleaning, or at least repressed the necessity of dirt, despite the time that most of us, even artists, spend on maintenance, cleaning up paint, doing the dishes.” writes Frazer Ward in the Dirt and Domesticy catalogue I mentioned earlier. I understand my reluctance for the possession of a domestic space as a way to repress certain expectations associated to my sex and to property, that is to say certain imperatives of maintenance. I envision those maintenance imperatives as a common thread between the studio and the home (works too have to be maintained). To use a rather domestic metaphor, I try to keep some things at the threshold of my daily life, so they might leave my work free of those constraints, but I understand that they can’t be so hermetically separated. I repress certain aspects of my privacy, fearing that they might “disturb” the work, re‑appear somewhere unexpected and undesired, but I am aware that there is no such thing as a purely hermetical separation. I work in the cellar of the ground floor of the suburban apartment where I live. I don’t want to travel to go to the studio (I already travel a lot). I work “at home,” in some way. The washing machine is also in the cellar, with my husband’s fishing rods. I like the place, I like that there is some confusion between my apartment and my studio. There is a small garden. It’s a lovely place. The staircase of my cellar‑studio is quite small, so some of my sculptural works have to be dismountable or made directly in the exhibition spaces. I also like to use the technical capabilities of the exhibition spaces up to their maximum, I like it if there’s work to do there, and I like it if I manage to get a lot of people working with me, or shall I say: for me, on my exhibitions. There is not much in my studio, I could move in less than an hour (apart from getting the washing machine outside of it). There are a few more things in the apartment, books in particular, some decorative objects with sentimental value. Part of the furniture was there when we moved in. We could move out easily. I like very much moving out, packing stuff, throwing or giving some away.
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one the possibility of radical perspective from which to see and to create, to imagine alternatives, new worlds. This is not a mythic notion of marginality. It comes from lived experience. Yet I want to talk about what it means to struggle to maintain that marginality even as one works, produces, lives, if you will, at the center.” In this short excerpt, bell hooks not only questions how to work, operate and live, but also from where to work and operate and how does one circulate between the so-called center (point from which we can make our efforts visible, open them to discussion, produce possibilities of transmission) and what initially motivated our desires to make work that does not only address art, but the world in general, and reflects our singular experience of it? bell hooks makes the curtain between life and work transparent: she reclaims a fluid movement between the works’ aspirations and the reality of their processes: that is to say the private and the personal. Postmodern discourse has disqualified the artist as a mythified model of difference and exemplarity, thus resulting in the constitution of an impermeable boundary between the work and the persona of its producer. But under the impulsion of feminist and post-colonial discourses, the questions of identity, nationality, gender and sexuality have showed their relevance, and have striped the artist’s persona model of its previous claims for superiority and exemplarity. I am not sure how much an artwork is sufficient to convey a sense of political awareness, although it probably should function as such in the best of worlds. I am not sure that the “art as art” principle can be fully functioning within today’s world, or at least to which extent it can be functioning, given the apparatus within which the work is debated and received, the complexity of its circulation. I am convinced that the personal is the political, that the life we live strongly informs the work we make, that the biographical details of art makers and producers are not trivia, but meaning. I am convinced that we must put ourselves at risk personally in order to keep making relevant art. There are many ways to do so. For me, one of them is to refuse inhabiting or owning a fixed place (or at least one way is to find meaning into this reluctance and incapacity to do it), just as much as I am seeking for situations and ideas within which I can untie my pre‑supposed identity. Quite literally, I see a relation between the writings of Judith Butler, for instance, her vision of identity as a fluid variable that may shift and move according to context, her idea of a subjectivity without grounds, free of the constraints of fixed categories, and the physical, practical notion of not possessing a fixed home. I do not seek to produce categories, or judgmental considerations from this collision, but I conceive that there is a relation between fixed property and sexuality, as much as there is one between the work we make and the place(s) where we live. I find important to not fully belong to a nation, a city or a scene, to be only half-way integrated, to not know exactly for how how long you’ll be somewhere, to keep this openness as a constant flux within which you can define and redefine yourself.
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Extraits de Kathy Acker, Blood and Guts in High School, New York, Grove Press, 1978, p. 46-49.
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Thoughts on La mariée mise à nu par ses célibataires, même and Étant Donnés
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There is an ad for WKD (a bright blue alcopop for boys) that sets up a mise-en-scène with a woman relaxing in her bath. She’s in a small, drab suburban bathroom, a couple of candles burning, a crooner singing through a tinny radio, tendrils of dark blonde hair framing her beatific face, foam spilling onto the floor, a riotous excess of soapy tulle and Eau de Voilette. As gradual as is possible in a 30 sec primetime ad, her head lolls to one side and she drifts off in a day dream… at which point her husband slams through the door, pulls on the light—newspaper under his arm—and says “Sorry, love.” He’s in for a shit, and he’s burst the scented bubble. The private, lockable bathroom—styled by WKD as a sanctuary—is the quintessential 20th century achievement in domestic architecture, and it is one rooted in Victorian municipal responses to disease (particularly cholera). In England, exemplary public sanitation was initially (mis)designed to carry air-borne “miasmatic” germs underground, away from polluting the London atmosphere and spreading disease. There is a fractal, incidental poetry enfolded in the fact that the celebrated engineer of this sewerage system, Sir Joseph Bazalgette, was the ancestor of Peter Bazalgette, whose involvement with the Big Brother reality TV format is credited with popularizing it globally. Anticipating the atomising effects of television and the increasingly filtered exchanges of the Internet, the plumbed-in bathroom, with its dendritic connection to mains water and sewerage, mediates the dichotomy between public and private space as it mediates the essential absurdities that follow our unresolved corporeality, our turpitude. In the bathroom, water becomes a vehicle for sordid commonalities and the medium for individual transformation. Our proximity to neighbors is covert and culvert. The form and function of the bathroom—making clean and hygienic through separation and control—reflects the imperative of the 20th century as whole in its efforts to standardize and sanitize humanity. Amelia Jones writes in “Irrational Modernism: A Neurasthenic History of New York Dada”, that the “New York Dadaists’ obsession with plumbing… is all about flow and containment.” In his collection of essays on punk, “In the Fascist Bathroom,” Greil Marcus muses on Elvis Costello’s song, “Pills and Soap,” and the banality of Hannah Arendt’s fascist as a “family man” transformed “from a responsible member of society, interested in public affairs, to a ‘bourgeois’ concerned only with his private existence and knowing no civic virtue.” In the bathroom, that defining space of modernity, with its rational, wipe-clean surfaces constructed from ceramics, glass, plastic—materials which, according to Robert Harbison1 have forgotten their past—Marcus recalls the 1. Eccentric Spaces, MIT Press, Holocaust: “People can be melted 2000 [1977]. down to pills and soap.” The idea of transformation, as much as sanitization, is implicit in the bathroom. Mirrored cabinets, replete with razors, exfoliants, depilatories, lotions, perfumes, make-up contain the means of instant body modification. At the end of the 19th century, the issue of standardization (and cleanliness) was part of Modernists zeal against “Ornament,” which was styled as dark and dirty. In The Decorative Art of Today, whilst promoting his “Law of Ripolin,” (a law of whitewash), Le Corbusier accused patterned wallpaper of encouraging the “accretion of dead things from the past” which were “intolerable” and “staining.” His doctrine derived in part from a stream of thought concerning Ornament inherited from Adolf Loos. Loos formulated his polemical essay, “Ornament and Crime,” one of the theoretical building blocks of Modernism, in relation to the work of an Italian criminologist, Cesare Lombroso. Lombroso’s supposedly
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Marcel Duchamp, La mariée mise à nu par ses célibataires, même, 1965-1966 Reconstitution de Richard Hamilton Londres, Tate Gallery, présentée par William Copley (American Federation of the Arts)
simultaneously the place where we might, in The Shining type scenario, take refuge from an assailant, never as safe as we hope behind a locked door; unwittingly leave ourselves vulnerable to predators lurking in the depths of domesticity as in Nightmare on Elm Street; or play out arcane rituals—calling Candyman in the mirror. In part this is due to the bathroom’s connectivity: if the Saw films exploit this today, in 1871, the near death of the Prince of Wales due to an accident involving reflux from drains in the bathroom caused “fear of sewer gas and of the social as well as epidemiological risks of interconnection (to inspire) some of the most affluent members of society to rip out their plumbing, disconnect from danger and return to the safety of the stand2. Elizabeth Shove, Comfort, Cleanliness and Convenience: alone basin.”2 Fundamentally, The Social Organisation of however, the bathroom reveals Normality, Oxford, Berg, 2003. the absurd, abject endpoint of all the gross processing which produces flesh. Through a complexity of differently gauged pipes, valves, overflows, taps and plugholes, the bathroom is intestinally connected to that other primordiality—the kitchen. The relationship between the kitchen and the bathroom might be understood as an architectural parallel of the necessary relationship between the mouth and the anus, the means of producing a body in the kitchen, becomes a means of transforming that body in the bathroom. In this respect, the gymnasium and the cosmetic surgery are higher octaves of the kitchen and bathroom as places for the production and presentation of the body: where the gymnasium produces a sturdy musculature through physicality (like the kitchen), the surgery (like the bathroom) produces a deceitful façade through slight of hand and artfulness. Deceit is, as we all know, a feminine trait—like inconsistency, sentimentality and vanity—and takes us back to the debates about Ornament (and “fitness”) which propelled Modernity. In terms of design, process and material, Ornament, as well as being inefficient and criminal, was an aesthetic dumbing-down, guaranteed to appeal to the magpie-like gullibility of the licentious, female consumer who was a victim of their inherent (and inherited) greed and superficiality. Picking up the Loos(e) thread, Modernists believed that the device of using Ornament in mass production “veiled” bad design and cheap materials. Veiling plays its part in horror too (think of the shower scene in Pyscho), but beyond that, it takes us into territory concerned with the presentation of the female body as “object” in art, where the “veil” is the site of subjectivity (so de‑veiling destroys it). In Diderot’s Salon of 1765, he asks “why sculpture, both ancient and modern, removed that veil from women which nature’s modesty and the age of puberty spread over the 3. Johannes Ernes, “Diderot, Hogarth and the Aesthetics of sexual parts, and why it left it intact Depilation,” Eighteenth Century in the case of men.”3 He concludes Studies, vol 38, no. 1, Fall 2004. “that veil”—the human textile—is removed by the “serpentine line” in the serpentine search for Truth. Acceptable Truths are Beautiful (as well as “ideal”). An indeterminate tuft, “connected to nothing”, pubic hair is “a blemish for the woman”… (according to Diderot, pubic hair is clothing for men, whose natural parts “depilated… will look like a small intestine, an unpleasantly formed worm.”) Diderot’s comment on connection is revealing: the horror of connectivity is preceded and underscored by the horror of the void and the horror of indeterminacy. Keeping in mind the notion of abjection, the WKD scenario would be a rather different proposition had the husband interrupted his wife in the bathroom actively attending to her toilette, her personal topiary, rather than lolling in her bath. We can read the actors
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empirical observations linked the specific facial features of prisoners to their criminal tendencies. Modernists like Loos held that the moral character of an object could be discerned from its appearance as easily as a person’s moral character (and criminal tendencies) could be discerned (by Lombroso) from their physiognomy. Lombroso observed similarities between the artistic inclinations of criminals—manifest in their tattoos and graffiti—and those of primitives, hoping, thereby, to substantiate his claims that the former were retarded in evolutionary terms. For Loos (and other Modernists), the decorative impulse itself was criminal and—worse— inefficient: “Ornament is not merely produced by criminals, it commits a crime itself by damaging national economy and therefore its cultural development… In a highly productive nation, ornament is no longer a natural product of its culture, and therefore represents backwardness or even a degenerative tendency.” The giddy and pathogenic distractions of Ornament were seen to hinder progress and innovation in parallel to the way the foul-smelling, dirty population, massed in cities was understood to harbour and spread disease. In “Objects of Desire: Design & Society Since 1750,” Adrian Forty argues that the bourgeois enthusiasm for cleanliness was in part a reaction against the threat posed by the proletariat: “the great unwashed.” In the 18th century, washing and bathing had been an antecedent to dressing—to adornment—when it occurred at all. The dressing rooms of those rich enough to afford them, had been decorated and carpeted much as any other Regency room, without regard for hygiene per se. By the end of the 19th century, “Modern Man” had begun to renounce congested stylizations; reject the practice of adorning and despoiling so beloved of children, primitives, women and criminals; and embrace the principles of standardization, simplicity and hygiene. Architecture for the Modern Man was to be stripped bare, to mechanise living in light, efficient, healthy buildings: the Law of Ripolin must prevail—architecture must be denuded. The relationship between this Modernist impulse and female body is as complex as it is violent. If the bathroom is nowadays a feminized domain, a sanctuary for “me time,” (as it is in the WKD ad), it is not only because it is a place of escape and transformation but because it mimicks the function of the body. In “Irrational Modernism,” Amelia Jones devotes a chapter to “Dysfunctional Machines/Dysfunctional Subjects,” subheading sections “Plumbing: Rationalizing the Bodily Functions” and “Bodily Flux: Smelling Dada.” She characterises Baronness Elsa von FreytagLoringhoven (a poet, artist and model who socialized and worked with Duchamp, Man Ray, Picabia et al. in New York), as a messy bohemian, frightening in her pungency and boundless “life-as-art” in contrast to the engineered objects and diagrams with which the (male) New York Dadaists were obsessed: von Freytag-Loringhoven, with outlandish costumes fashioned from “detritus she found on the street as well as items stolen from department stores… which she would then wear, complete with black lipstick, shaved head or brightly dyed hair, and other body adornments” represents the effluence and eccentricity Modernism needed to contain and process. Julia Kristeva says in The Powers of Horror “It is not lack of cleanliness or health that causes abjection but what disturbs identity, system, order. What does not respect borders, positions, rules. The in-between, the ambiguous, the composite.” So it is not coincidental that horror routinely plays out in the bathroom, the place where we confront the borders of our condition as living beings daily. In horror films, the bathroom is
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as “husband” and “wife” because of the scene’s casual, comedic familiarity, its play on pragmatism and it’s desexualized script. Had WKD portrayed him happening upon her in the act of depilation, they would risk opening the moment out to horror rather than comedy, disrupting an ideal rather than an idyll; disturbing identity, system, order; staging the female explicitly as something in‑between, ambiguous, composite and active. “Horror” is etymologically derived from the Latin “horrere” (to bristle with fear) and therefore intimately bound up with “hair”, and if “horror” is “bristling”, it seems the hairless body (the de-veiled body)—neither displaying nor feeling fear—might exist beyond it, in some given limbo. As “husband”, the horror for the male protagonist in the WKD ad is somewhat mollified by marriage. Properly, such WKD horror is a horror for bachelors, for those who spy on a flickering, female landscape: “She rotates on a sort of potter’s wheel. But who is spinning it? First she squeezes her thighs together, you see nothing; but mouths fill with the heavy water of anticipation. Then slowly she spreads her legs as she moves past several peepholes. He compares her upper part with her lower part, which may be a tad too plump, but he basically enjoys that. He balances the upper part against the lower part. The upper part; just a tad too thin. The lower part: it has its plus… 4. Elfriede Jelinek, The Piano the reverse process would also be Teacher, Serpent’s Tail, 2001. possible, of course.”4
Marcel Duchamp, Étant donnés : 1. La chute d’eau, 2. Le gaz d’éclairage, 1946-1966 Techniques mixtes, 242,6 x 177,8 x 124,5 cm Collection du Musée de Philadelphie, États-Unis
Pour moi, l’effort nécessaire pour parler de ces problématiques d’« espace et de lieu » a été douloureux. Les questions soulevées m’ont contrainte à de difficiles explorations de ces « silences » — ces lieux sans adresse qui jalonnent mon évolution politique et artistique. Avant même de pouvoir formuler des réponses, il m’a fallu faire face à la façon dont chacune de ces problématiques était intimement liée à de profonds bouleversements affectifs en ce qui concerne le lieu, l’identité, le désir. Au cours d’une intense conversation avec Eddie George (membre du Black Audio Film Collective), durant laquelle nous avons parlé toute une nuit de la lutte des peuples opprimés pour faire entendre leur voix, il me fit ce commentaire absolument déprimant que « la nôtre est une voix cassée ». Je lui répondis simplement que lorsqu’on entend une voix cassée, on entend aussi toute la souffrance contenue dans cette cassure — et ce serait là en fait le discours de la souffrance même ; et c’est bien souvent ce son que personne ne veut entendre. Stuart Hall parle à ce propos de la nécessité de créer une « politique de l’articulation ». Après qu’ils ont entendu mon combat pour les mots, Eddie et lui se sont engagés dans un profond dialogue mélancolique avec moi. Un dialogue entre camarades comme un geste d’amour ; et je leur en suis reconnaissante. J’ai travaillé à changer la façon dont je parle et j’écris, afin d’inclure dans ma manière de raconter, un sens du lieu, qui ne dirait pas seulement ce que je suis maintenant, mais aussi d’où je viens, la variété des voix qui m’habitent. Je me suis confrontée au silence, à l’inintelligible. C’est pourquoi, lorsque je déclare que
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« Choosing the Margin as a Space of Radical Openess », Yearnings: Race, Gender and Cultural Politics reproduit dans Gender Space Architecture. An Interdisciplinary Introduction, New York, Routledge, 2000, p. 203-209. Traduit de l’anglais par Mathieu Kleyebe Abonnenc
bell hooks Choisir la marge comme espace d’ouverture radicale
En tant que point de vue, perspective et position radicale, la « politique du lieu » exige nécessairement de celles et ceux d’entre nous qui seraient susceptibles de prendre part à la formation d’une pratique culturelle anti-hégémonique, d’identifier les espaces depuis lesquels engager ce processus de révision. Invitée à m’exprimer sur « ce que signifie le fait d’aimer lire Beloved, de s’extasier devant Schooldaze, tout en ayant une inclination théorique pour le post‑structuralisme » (une de ces questions insensées, soulevée par le Focus Forum du Cinéma du Tiers Monde), j’ai inscrit ma réponse très concrètement dans le champ du combat politique d’opposition. Des plaisirs aussi divers ne peuvent en effet être éprouvés, et même appréciés, que parce qu’il y a transgression, sortie « au dehors de son propre lieu ». Pour beaucoup d’entre nous, ce déplacement exige de repousser les frontières de l’oppression, érigées par la race, le sexe et la domination de classe. Ainsi, dès le départ, il s’agit d’un geste politique provocateur. Par ce déplacement, nous confrontons les réalités de choix et de lieu. Dans ce champ complexe et toujours mouvant des relations de pouvoir, nous devons nous poser la question : sommes-nous du côté de la mentalité colonisatrice ? Ou parvenons-nous à nous maintenir dans une opposition politique aux côtés des oppressés, prêts à offrir nos interprétations et nos analyses, à constituer une culture, et ainsi à mener à bien cet effort révolutionnaire qui cherche à créer un espace dans lequel le plaisir et le pouvoir de la connaissance sont en accès illimités, un espace où le changement est possible ? Ce choix est crucial. Il façonne et détermine notre attitude face aux pratiques culturelles existantes, et notre capacité à imaginer des actes esthétiques d’opposition, nouveaux et alternatifs. Il informe la manière dont nous parlons de ces questions, le langage que nous choisissons. Le langage est aussi un lieu de combat.
Ce n’est pas une tâche facile que de parvenir à concilier la variété de nos voix tout au long des nombreux textes que nous créons — que ce soient les films, la poésie ou la théorie féministe. Ce sont des sons et des images que les consommateurs de la classe dominante ont du mal à comprendre. Ces sons et ces images qui ne peuvent être assimilés et qui sont souvent ce signe que tout le monde remet en cause, désire éliminer, réduire à néant. Je le ressens en ce moment même, alors que j’écris ce texte, comme je pourrais le ressentir en en parlant ou en le lisant, que ce soit d’une manière spontanée, ou en usant d’un ton académique plus orthodoxe ; « Talking the talk » (en faisant des beaux discours) — pour employer une expression tirée du langage vernaculaire noir, ces sons et ces gestes intimes que je réserve normalement à ma famille et aux êtres qui me sont chers. Une parole privée pour un exposé public, une intervention intime, afin d’élaborer un texte différent, un espace qui me permet de recouvrir tout ce que je suis par le langage. Je découvre tellement de lacunes, d’absences dans ce texte écrit. Les évoquer permet au moins d’informer le lecteur que quelque chose manque, ou se maintient par la force de ces quelques allusions — là, au plus profond de la structure. Au long de Freedom Charter, une œuvre qui retrace différents moments du mouvement de lutte contre l’apartheid raciale en Afrique du Sud, on retrouve constamment cette affirmation : « notre lutte est aussi une lutte de la mémoire contre l’oubli. » Dans nombre de pratiques culturelles, d’une nouveauté enthousiasmante, dans nombre de textes culturels — de films, de la littérature d’auteurs noirs, de la théorie critique — il y a un effort de mémoire, qui est l’expression d’une nécessité de créer des espaces
bell hooks, Choisir la marge comme espace d’ouverture radicale
J’ai ressenti le besoin de me souvenir, comme d’une partie d’un processus d’auto-critique, où l’on fait une pause afin de repenser aux choix et aux lieux. J’ai retracé ainsi mon parcours depuis ma vie dans une communauté noire d’une petite ville du Sud des États-Unis, depuis les traditions populaires, depuis mon expérience dans les églises, jusqu’aux villes, jusqu’aux universités, jusqu’à ces quartiers qui ne sont plus ségrégués racialement, jusqu’à ces lieux où je découvre pour la première fois un cinéma indépendant, où je découvre la théorie critique, où je commence à écrire une théorie critique. Tout au long de cette trajectoire, je conserve le souvenir vivace des efforts employés à faire taire ma voix encore balbutiante. Dans mes présentations publiques, j’étais capable de raconter des histoires, de partager des souvenirs. Ici encore, j’y fais seulement allusion. L’essai qui ouvre mon livre Talking Back, décrit mes efforts pour émerger en tant que théoricienne, artiste, romancière, au sein d’un contexte répressif. J’y fais mention de ces punitions, de Maman et Papa me faisant taire avec agressivité, je parle de cette censure au sein même des communautés noires. Je n’avais pas le choix. J’ai dû lutter et résister afin de pouvoir me dégager de ce contexte, et ensuite de bien d’autres lieux, en conservant mon esprit intact, et le cœur ouvert. J’aixdu m’éloigner de ce lieu que j’appelais maison pour en franchir les limites, tout en conservant le besoin d’y retourner. Dans la tradition des églises noires, nous avons une chanson qui dit « j’escalade la face la plus dure de la montagne pour rentrer chez moi ». Il est évident que ce qu’incarne profondément le « foyer » se modifie avec l’expérience de la décolonisation, de la radicalisation. Parfois, ce foyer n’est nulle part. Parfois, on ne connaît plus que ce sentiment extrême d’éloignement (estrangement) et d’aliénation. Le foyer n’est plus alors un endroit unique. Il est des lieux. Le foyer devient ce lieu qui autorise et encourage des points de vue variés et en perpétuelle évolution, un lieu où chacun peut découvrir de nouvelles façons d’appréhender la réalité, les frontières de la différence. Chacun se confronte et accepte alors la dispersion et la fragmentation comme des éléments de la construction d’un nouvel ordre mondial qui n’exigerait plus d’oublier. « Notre lutte est aussi une lutte de la mémoire contre l’oubli. » Cette expérience de l’espace et du lieu n’est pas la même pour les Noirs1 qui ont toujours été privilégiés que pour ceux qui n’aspirent 1. Traduction du terme « Black Folks », qu’à échapper à leur statut utilisé surtout dans le Sud rural de prolétaire et accéder des États-Unis [NDT]. ainsi à certains privilèges ; elle n’est pas la même en effet pour ceux d’entre nous qui sommes issus de milieux pauvres et qui avons eu
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Souvent, lorsqu’une voix radicale s’élève pour parler de domination, nous parlons à ceux qui dominent. Leur présence change la nature et la direction de nos mots. Le langage est aussi un lieu de combat. J’étais encore une jeune fille découvrant peu à peu la féminité, lorsque j’ai lu ces mots d’Adrienne Rich, « c’est la langue des oppresseurs, et pourtant j’en ai besoin pour vous parler. » Cette langue, qui m’a permis de faire des études de troisième cycle, d’écrire un mémoire, de passer des entretiens d’embauche, est la même que celle qui charrie avec elle des relents d’oppression. Le langage est aussi un lieu de combat. Les Aborigènes australiens disent que « c’est l’odeur de l’homme blanc qui nous tue. » Je me souviens des odeurs de mon enfance, des pains de maïs bouillis, des feuilles de navet, des beignets fourrés. Je me souviens de la manière dont nous nous parlions les uns les autres, nos mots lourdement marqués par l’accent propre aux Noirs du Sud. Le langage est aussi un lieu de combat. Nous sommes mariés au langage, sommes contenus dans les mots. Le langage est aussi un lieu de combat. Aurais-je le courage de parler aux opprimés et aux oppresseurs avec la même voix ? Aurais‑je le courage de vous parler dans un langage qui s’élèvera au-delà des frontières de la domination — un langage qui ne vous attachera pas, qui ne vous emmurera pas, pas plus qu’il ne vous immobilisera ? Le langage est aussi un lieu de combat. L’opprimé combat dans le langage pour nous retrouver, nous réconcilier, nous réunir, nous renouer. Nos mots ne sont pas dénués de signification, ils sont action, résistance. Le langage est aussi un lieu de combat.
où chacun serait capable de redécouvrir et de s’emparer du passé, cet héritage de chagrin et de souffrance, et de le surmonter de telle sorte que cela transforme la réalité présente. Des fragments de mémoire ne sont pas simplement exposés comme des documents sans relief, mais conçus pour offrir un nouveau point de vue sur le passé, conçus pour nous amener vers des modes d’articulation différents. C’est ce qui est à l’œuvre dans un film comme Dreaming Rivers ou Illusions, ou dans un livre comme Mama Day de Gloria Naylor. C’est en repensant à ces problématiques d’espace et de lieu, que je me suis rappelé ce : « notre lutte est aussi une lutte de la mémoire contre l’oubli » ; une politisation de la mémoire qui distingue la nostalgie ce désir pour que tout redevienne comme avant — une espèce d’acte inutile — de ce souvenir qui sert à éclairer et à transformer le présent.
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ces mots naissent de la souffrance, je fais allusion à mon combat personnel pour parvenir à nommer ce lieu à partir duquel je fais entendre ma voix — l’espace de ma pensée.
Pour moi, cet espace d’ouverture radicale est une marge, une lisière fondamentale. Se situer à cet endroit est difficile mais nécessaire. Ce n’est pas un lieu sûr. On y est toujours en danger. On a besoin d’une communauté de résistance. Dans la préface de Feminist Theory From Margin to Center (1984), j’ai exprimé ces réflexions sur la marginalité : Être dans les marges, c’est être une partie du tout, mais en dehors du corps principal. En tant qu’Américains noirs vivant dans une petite ville du Kentucky, les voies ferrées étaient des rappels quotidiens de notre marginalité. De l’autre côté des rails on trouvait des rues pavées, des magasins dans lesquels nous ne pouvions entrer, des restaurants dans lesquels nous ne pouvions manger, et des gens que nous ne pouvions regarder en face. De l’autre côté de ces rails, il y avait un monde où nous pouvions travailler en tant que femmes de chambre, concierges, prostituées, aussi longtemps que nous restions dans une position de serviteur. Nous pouvions entrer dans ce monde, mais nous ne pouvions y vivre. Nous devions toujours nous en retourner vers cette marge, systématiquement traverser les rails pour rejoindre les cabanes et les maisons en ruines à la lisière de la ville. Il y avait des lois pour s’assurer de notre retour. Ne pas repartir c’était prendre le risque d’être punis. À vivre comme cela — à la lisière — nous avons développé
une singulière façon de voir la réalité. Nous regardions tout à la fois de l’extérieur vers l’intérieur que de l’intérieur vers l’extérieur. Nous concentrions notre attention tout autant sur le centre que sur la marge. Nous comprenions les deux. Cette façon de voir nous rappelait sans cesse l’existence d’un univers complet, un corps principal composé tout à la fois par la marge et le centre. Notre survie dépendait d’une conscience permanente, dans l’espace public, de cette séparation entre marge et centre, et d’une reconnaissance permanente, dans l’espace privé, que nous étions une partie indispensable, vitale, de ce tout. C’est la structure même de nos vies quotidiennes qui a gravé dans nos consciences cette perception du tout, en nous dotant d’une vision du monde oppositionnelle — une façon de voir inconnue de la plupart de nos oppresseurs, qui nous a soutenus, qui nous a aidés dans notre combat pour surmonter la pauvreté et le désespoir, qui a renforcé notre perception de nous-mêmes et notre solidarité. Bien qu’incomplètes, ces déclarations définissent la marginalité comme beaucoup plus qu’un lieu de dénuement. En fait, je disais même tout à fait l’inverse, que c’est surtout le lieu d’une possibilité radicale, un espace de résistance. C’est cette marginalité que je définissais comme lieu central de production d’un discours anti-hégémonique, qu’on ne trouve pas seulement dans les mots mais aussi dans les habitudes et les mœurs de chacun. En cela, je ne parlais pas d’une marginalité dont on souhaiterait se débarrasser — que l’on souhaiterait abandonner ou céder, comme si c’était une condition sine qua non pour pouvoir emménager au centre — mais plutôt d’un site où l’on demeure, auquel on se cramponne même, car il alimente la capacité de résistance de chacun. Elle offre à chacun la possibilité d’atteindre un point de vue radical à partir duquel regarder et créer, à partir duquel imaginer des alternatives, des mondes nouveaux. Il ne s’agit pas d’une idée mythique de la marginalité. Tout cela naît d’expériences vécues. Cependant j’aimerais parler de ce que cela signifie d’avoir à lutter pour maintenir ce lieu de la marginalité, alors même que l’on travaille, que l’on produit, ou plus simplement que l’on vit au centre. En effet, je ne vis plus depuis longtemps dans ce monde ségrégué, de part et d’autre des rails. Un monde au centre duquel trônait cette conscience continuelle de la nécessité de l’opposition. Quand Bob Marley chante : « Nous refusons d’être ce que vous voulez que nous soyons, nous sommes ce que nous sommes, et ce sera toujours comme ça », cet espace du refus, où chacun peut dire non au colonisateur, non au downpressor3, 3. Néologisme rasta désignant est situé dans les marges. Cette capacité l’oppresseur [NDT]. que chacun a de dire non, de s’exprimer dans cette voix de la résistance, n’est possible que par l’existence d’un contre-langage. Et bien que ce langage puisse ressembler à la langue du colonisateur, il a subi une transformation, il a été irrémédiablement modifié. Quand je m’éloigne de cet espace bien réel des marges, je conserve entières dans mon cœur ces façons d’interpréter la réalité, ces façons qui affirment la primauté de la résistance, mais aussi la nécessité de la résistance, renforcée par le souvenir du passé, qui contient en lui le retour de ces langues brisées qui nous ont transmis ces manières de parler et ont décolonisé nos esprits, nos véritables façons d’être. Un jour Maman m’a dit, alors que je m’apprêtais une fois de plus à intégrer une université composée majoritairement de Blancs : « tu peux prendre ce que
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à mener un combat politique réel, tout autant au sein de la communauté noire, qu’en dehors, afin d’affirmer une présence esthétique et politique. Les Noirs2 issus de communautés défavorisées, pauvres, qui accèdent à l’université ou à toute 2. Ibid [NDT] autre position privilégiée culturellement, et qui ne sont pas disposés à abandonner aucun des vestiges de ce que nous étions avant d’être là, tout ces « signes » de notre classe et de notre « différence » culturelle, ceux qui ne sont pas disposés à jouer le rôle de l’« Autre exotique », ceux-là même doivent créer des espaces à l’intérieur de cette culture de la domination, si nous voulons y survivre entièrement et préserver nos âmes. Notre seule présence est déjà un bouleversement. Il nous arrive bien souvent d’être tout autant perçus comme « Autre », comme une menace, par des Noirs issus de milieux privilégiés, qui ne comprennent ni ne partagent nos opinions, que nous ne le sommes par des Blancs mal informés. Où que nous allions, nous sommes réduits au silence, on utilise nos mots pour mieux les infirmer. La plupart du temps, bien sûr, nous ne sommes même pas là. Nous ne sommes jamais « arrivés » jusque là, où nous « ne pouvons rester ». De retour dans les espaces d’où nous venons, nous nous tuons à force de désespoir, nous nous noyons dans le nihilisme, coincés par la pauvreté d’un côté, l’addiction de l’autre, cernés par toutes les façons de mourir de l’ère post-moderne qui peuvent être nommées. Cependant, quand quelques-uns parmi nous parviennent à demeurer dans cet espace « Autre », nous restons souvent trop isolés, trop seuls. Et là aussi, nous mourons. Ceux d’entre nous qui continuent à vivre, qui « y arrivent », s’agrippant avec passion à tous les aspects de la vie d’ici (downhome) que nous n’avons aucune intention de perdre, tout en cherchant de nouvelles connaissances et expériences, inventent ainsi des espaces d’ouverture radicale. Sans ce type d’espace, nous ne pourrions pas survivre. Notre existence dépend de notre capacité à conceptualiser ces alternatives, qui sont le plus souvent improvisées. Théoriser autour de cette expérience, sur le plan esthétique et critique, est une obligation pour une politique culturelle radicale.
Réduits au silence. Tout au long de mes années d’études, je me suis souvent entendue parler avec cette voix de la résistance. Et je ne peux pas dire que mon discours fut bien accueilli. Je ne peux pas dire que mon discours fut entendu de telle sorte qu’il modifia les relations entre colonisateurs et colonisés. J’ai pourtant pu remarquer que ces spécialistes, plus particulièrement ceux qui se définissent comme des penseurs d’une critique radicale, ces penseurs féministes, participent maintenant pleinement à la construction d’un discours sur « l’Autre ». J’ai été instituée comme « Autre », là, dans cet espace que nous partagions pourtant. Mais pas dans cet autre espace aux marges, dans ce monde ségrégué tellement accueillant de mon passé et de mon présent. Ils ne sont pas venus
Parler depuis les marges. Parler en résistant. J’ouvre un livre. Il y a des mots sur la quatrième de couverture. Never in the shadows again. Un livre qui suggère la possibilité de parler comme des libérateurs. Seulement qui parle et qui est muet ? Seulement qui demeure dans l’ombre — l’ombre dans l’embrasure d’une porte, un espace où les images des femmes noires ne sont que des représentations de femmes sans voix, un espace où nos mots ne sont invoqués que pour servir et apporter une consolation, ce lieu de notre absence. Où ne reste seulement que de faible échos de protestations. Nous sommes ré-écrites. Nous sommes « Autres ». Nous sommes la marge. Qui est en train de parler et pour qui ? Où nous situons-nous, nous et nos camarades? Réduits au silence. Nous craignons ceux qui parlent de nous, qui ne parlent ni à, ni avec nous. Nous savons ce que c’est que d’être bâillonnés. Nous savons que les forces qui nous bâillonnent, parce qu’elles ne désirent pas nous entendre parler, sont différentes des forces qui nous commandent : parle, raconte-moi ton histoire. Seulement ne parle pas dans la voix de la résistance. Parle seulement de cet espace dans la marge qui est un signe de dénuement, une plaie, un désir inassouvi. Parle‑nous seulement de ta souffrance.
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J’attends d’eux qu’ils cessent de parler de « l’Autre », qu’ils cessent même de décrire à quel point il est important d’être capable de parler de la différence. Car ce qui est important n’est pas de quoi nous parlons, mais comment et pourquoi nous parlons. Bien souvent, ce discours au sujet de « l’Autre » est aussi un masque, un exposé oppressant dissimulant des vides, des absences, un espace où se trouveraient nos mots si nous étions en train de parler, s’il y avait un moment de silence, si nous étions là. Ce « nous sujet » (we) est ce « nous objet » (us) dans les marges. Ce « nous sujet » (we) qui habite l’espace marginal qui n’est pas un lieu de domination mais un lieu de résistance. Entrez dans cet espace. Souvent ce discours à propos de « l’Autre » annihile, efface. « Je n’ai aucun besoin d’entendre ta voix car je peux parler de toi bien mieux que tu ne pourrais le faire toi-même. Je n’ai aucun besoin d’entendre ta voix. Parle-moi seulement de ta douleur. Je veux connaître ton histoire. Et ensuite je te la redirai d’une nouvelle façon. Je te la raconterai de telle sorte qu’elle sera devenue mienne, à moi. En te ré‑écrivant, je m’écris à nouveau. Je suis encore l’auteur, l’autorité. Je suis encore le colonisateur, le sujet qui parle, et tu es maintenant au cœur de mon exposé. » Stop. Nous vous accueillons comme des libérateurs. Ce « nous sujet » (we) est ce « nous objet » (us) dans les marges, ce nous qui habite cet espace marginal qui n’est pas un lieu de domination, mais un lieu de résistance. Entrez dans cet espace. Ceci est une intervention. Je vous écris. Je vous parle depuis cet espace dans les marges où je suis différente, d’où je vois les choses différemment. Je parle de ce que je vois.
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Il est fondamental de comprendre la marginalité comme position et comme lieu de résistance pour les peuples oppressés, exploités et colonisés. Si nous ne voyons dans la marge qu’un signe marquant le désespoir, un nihilisme profond et destructeur pénètre les fondements les plus stables de notre être lui-même. Et c’est à cet endroit, dans ce lieu du désespoir collectif que la créativité de chacun, l’imagination de chacun est menacée. C’est à cet endroit précis que l’esprit de chacun est totalement colonisé, à cet endroit que la liberté à laquelle chacun d’entre nous aspire, est perdue. En réalité, l’esprit qui résiste à la colonisation lutte pour la liberté d’expression. Et la lutte ne commence sûrement pas avec le colonisateur, elle commence dans la famille de chacun, dans la communauté de chacun, colonisée et ségréguée. Mais je veux faire remarquer que je ne tente pas ici de ré-inscrire de manière romantique ce concept d’espace de la marginalité, où l’opprimé vivrait à l’écart de ses oppresseurs, comme un espace « pur ». J’entends par là que ces marges ont toujours été à la fois sites de répression et sites de résistance. Et comme nous sommes plus à même de définir la nature de cette répression, nous fréquentons plus la marge comme un lieu de dénuement. Nous sommes en revanche plus discrets dès qu’il nous faut parler de la marge comme d’un lieu de résistance. Car nous sommes le plus souvent sommés de nous taire quand nous en venons à parler de la marge comme d’un tel lieu.
à ma rencontre dans ce lieu. Ils m’ont rencontrée au centre. Ils m’ont accueillie en colonisateurs. J’attends d’eux qu’ils m’indiquent la voie de leur résistance, ce qui fut nécessaire pour qu’ils soient capables de capituler au point d’agir comme des colonisateurs. J’attends d’eux qu’ils témoignent, qu’ils passent aux aveux. Ils disent que le discours sur la marginalité, sur la différence s’est maintenant déplacé au-delà d’un débat entre « nous et eux ». Mais ils ne disent pas comment ce déplacement a eu lieu. Voilà une réponse en provenance de l’espace radical de ma marginalité. C’est un espace de résistance. C’est un espace que j’ai choisi.
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les Blancs ont à t’offrir, mais tu n’as pas forcément à les aimer ». Maintenant que je comprends mieux ses codes culturels, je sais qu’elle ne me disait pas de ne pas aimer les peuples d’autres races. Elle me parlait de colonisation et de la réalité de ce que cela représente de recevoir un enseignement dans une culture de la domination, par ceux-là mêmes qui l’exercent. Elle était en train d’insister sur ma capacité à distinguer les connaissances utiles que j’obtiendrais sûrement de ce groupe dominant, de ma participation à l’acquisition de ces connaissances qui pourraient m’amener à cet éloignement (estrangement), l’aliénation, et pire — l’assimilation et la co-optation. Elle était en train de me dire qu’il n’est pas nécessaire de s’abandonner complètement à eux pour apprendre. Bien qu’elle n’ait jamais été dans de telles institutions, elle savait que je serais confrontée encore et toujours à de telles situations, au cours desquelles je serais éprouvée, où l’on me ferait bien sentir que la condition centrale de mon acceptation, signifierait participer à ce système d’échange, pour assurer mon succès, ma « réussite ». Elle était en train de me rappeler cette nécessité de l’opposition, tout en m’encourageant à ne pas perdre de vue cette perspective radicale, formée et conçue dans et par la marginalité.
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Ceci est une intervention. Un message en provenance de cet espace dans la marge qui est un lieu de créativité et de pouvoir, un espace inclusif où nous recouvrons notre être, ou nous avançons solidaires, afin d’effacer les catégories colonisateur/colonisé. La marginalité comme lieu de résistance. Entre dans cet espace. Rencontrons‑nous là. Entre dans cet espace. Nous t’accueillons en libérateurs. Les lieux peuvent être réels ou imaginés. Les lieux peuvent raconter des contes ou dévoiler des histoires. On peut les interrompre, se les approprier et les transformer grâce à l’art ou à la littérature. Comme le note Pratibha Parma, « l’appropriation et l’utilisation de l’espace sont des actes politiques ». Afin de parler de ces endroits d’où mon travail émerge, j’ai choisi un langage politisé et familier, des codes datés, des mots comme « lutte, marginalité, résistance ». J’ai choisi ces mots tout en sachant qu’ils ne sont plus ni populaires, ni « cool ». Mais je tiens à ces termes ainsi qu’à l’héritage politique qu’ils convoquent et affirment, et cela bien que je travaille à changer leur signification, afin de leur donner un sens restauré, bien que différent. Je me situe dans la marge. Je fais une distinction précise entre cette marginalité qui serait imposée par des structures oppressives et cette marginalité que l’on choisit comme site de résistance — comme lieu d’un possible et d’une ouverture radicale. Ce lieu de la résistance se forme en permanence au sein de cette culture ségréguée de l’opposition, qui est notre réponse critique à la domination. Nous sommes parvenus à ce lieu par la souffrance et la douleur, par la lutte. Nous connaissons la lutte, comme ce qui nous procure du plaisir, nous ravit et satisfait nos désirs. Nous sommes transformés, individuellement, collectivement, quand nous fabriquons des espaces de créativité radicaux qui affirment et soutiennent notre subjectivité, et qui nous donnent ainsi un nouveau lieu depuis lequel articuler notre idée du monde.
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Gallery Mehdi Chouakri, Berlin
A Portrait of Kate Millett, a work in progress by S.O.J. Do we live in a “time of loneliness”? With the individual in focus, growing a desire for belonging and the need for community?
S.O.J. received an invitation from the today 78-year‑old Kate, after one and a half years of handwritten correspondence and several phone calls, to visit her legendary Farm — an art colony for women in Poughkeepsie outside New York. The Farm established in 1979 and has been active until a few years ago. Hundreds of women, mostly writers, artists and musicians has spent time there, trying to create a new way to live. The Farm aims to explore the collective and almost as a utopia, so beautiful and peaceful. Nowadays Kate lives alone, with just leftover traces of the collective. From a curiosity about who she is today, S.O.J. stayed at the farm with Kate in October 2010. We worked with video, audio and still images, captured with an analogue medium format camera. Video content focus on Kate’s story and the still images bear witness to an era that has gone to the grave. Our material reflects on Kate’s life and here lifework, but also American history and the issues of historiography. Who allows to become a Hero? We also asked ourselves: what happened to the 60-70 century political ideals and what about our generations recurring fascination for that decade’s ideas about community and solidarity? What expectations and believes do we have about the collective today? Sisters of Jam (Moa Krestesen and Mikaela Krestesen), 2011/03/06 www.moakrestesen.se and www.mikaelakrestesen.se
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Sisters of Jam Who allows to become a Hero?
1968 Kate Millett became world famous by the book Sexual Politics. She went hard against the Patriarchate, wrote seven more books, got a PhD in patriarchal structures and lives here life with the faith in activism as a tool to fight injustice. She has been a spokesperson for the women’s movement, the gay movement and for the mentally ill.
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Sisters of Jam, Who allows to become a Hero?
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Kate Millett Farm—An Art Colony for Women, since 1979 C O M M U N ITY “The farm is about the work you bring to the place. The place itself, its beauty and shelter, a piece of the world that is ours to enjoy; wildflowers, a pond to swim in, fields to dream in, woods to ramble. We are also the experience of living with women in freedom, in friendship, in discussion, the comradeship in nature and at the dinner table, good talk over wine, the sun on our flesh by the pond; everywhere around us flowers and woods, a world we have invented here, are perfecting and enjoying, creating a new way to live. Our enjoyment of the place is built on the many years of pioneer effort by the women who have come over the past twenty years. Time here is precious time; we are few in number and the places offered few and carefully chosen.” Quotes from www.katemillett.com
Spartacus Chetwynd Hi Lili. I wanted to walk to Dover from London in the steps of the small boy in David Copperfield. I think I just wanted to walk out of London and to have a goal and the Walk to Dover fitted. I wanted to just stand up and start walking as if I was never going to come back. Like a nervous break down but a contained one. I went to a map shop to ask for the route and the man advised me to not do the walk, that as a female on my own it was more like committing suicide. I was a bit put off and so I left it. A year later I went back to the same man in the map shop with 2 friends who said they were willing to walk to Dover with me, this time he helped plan our journey. (His name was Mr. Barefoot, so odd how often someone’s name sounds like their life and job). I did not think it worked as an artwork. I thought it was a sort of cheap holiday. Joe Scotland who was on the walk with me and Zoe, Joe saw it as an art work and pushed it to be made into a film a few months after the Walk. He booked a screening date and advertised it so we actually had to make something happen in 10 days. When we screened the 12’ video I felt really ashamed and I was puzzled when people asked if it was intended to be so political! It took 2 years for me to be able to see the project as something good, I love Land art and I did not realize how The Walk to Dover is obviously influenced by Land art. I can see now it was a case of literally walking away from the gallery. I have never earned money from The Walk to Dover, I did not want it to become a product but Joe did to earn money for the non-profit art gallery he runs. Joe made the Walk to Dover video that Zoe edited and shot the 16 mm film, Joe made this into an edition. I made top
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Lili Reynaud-Dewar Dear Spartacus, when I interviewed you for the last issue of Pétunia, you provided very long answers to my questions, quite documented and referenced, intensely thought. The length of your answers was unusually expanded. I guess most people conform themselves to the presumption that an interview should be dynamic and composed of at least four or five Q&A. But you told me that this was actually really important for you to think about what I was asking and to provide answers that really reflect on your position as an artist and individual, which I have to admit, struck me as being quite a marginal position within the epoch’s tendency to provide and display constant and fast information. I also appreciated the fact that you seemed to consider Pétunia as a serious and respectable publication, and therefore a major place for the visibility of your thoughts and posture, when it might appear differently, say more confidential, I suppose, to most people (and actually it is quite confidential, I have to tell you the truth now)… So in the end we found ourselves with just two questions and a very interesting interview, to be continued over the next issues. And here is the new issue of Pétunia, in which we are interested in space and architecture seen through the lens of gender discourses, which is a bit of a classic topic for a “gender magazine.” In connection to that, I am first of all interested in the fact that, even within the frame of an interview you do not conform to the medium-size allotted space. I guess this also applies to the way you work in general. Second, I am wondering about the way you are shifting from art contexts to theater contexts and even much more open or undefined spaces… like the Trip to Dover piece you made a few years ago, consisting into a walk from London to Dover, and which I don’t think you initially planned to show as a video documentation in an exhibition context, but is now part of the Migros Museum collection. Do you want to talk further about this piece?
LRD I read the biography of Ida B. Wells during a trip to Memphis, where I was supposed to make art and finally didn’t. Talking about space and constraint, did you know she had to leave Memphis, where she lived, after her office was ransacked when she was in Philadelphia. She was threatened to be killed and tortured if she ever came back to her city. Her exile lasted 30 years… And it allowed her, indirectly, to prove that the lynching’s were not happening only in the south. It is interesting also to me that you make this connection between your walk to Dover and her story of mapping the American territory to report lynchings, because I am writing a text for this issue of Petunia, bringing together two different figures: Sojourner Truth and Agnes Varda’s character of the vagabond, as a way to symbolically read the woman artist’s life as a figure of non settlement, of constant displacement. Whether it be in terms of work or in more practical, prosaic terms: that is to say, the impossibility for the artist to embrace a life with a static home. I don’t know if that’s clear, it is a very romantic idea… I’ll have to finish writing the text first. Anyway, Sojourner Truth’s story is quite similar to Ida. B. Wells, although she wasn’t so literate and never really wrote, she was more into an oral tradition. After having been a slave for years, she was to be set free, but then wasn’t. So she escaped, and moved to New York where she became very active in the African American community. After a few years, she decided to travel the US and preach against slavery and for black women’s rights and god. She used to interrupt American feminists meetings to
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SC I feel like we are living on farms in the middle of nowhere one hundred years ago writing and feeling out our thoughts as if we are blind. Or at least I feel blind— you seem to know what you are about and can see quite clearly. I was quickly reduced to tears reading Sojourner Truth story. It is very moving and amazing I don’t feel ashamed to say I feel like crying to learn about a story such as that! It is very emotional intense information. And Agnes Varda’s character of the vagabond… I read the review of the film and it made me think of JeanLuc Godard’s Vivre Sa Vie (1962). I was shown this film when I was 16 as part of a philosophy class at a state school; it made a big impression on me. When a woman (presented as a commodity) chooses to drift, she ends in prostitution and death. I have kept it in mind ever since! I can answer your question about official/non-official disruption with the research I have done recently to build “The Folding House” I made. I looked into self build and the trouble anyone is in if they do not go through official planning permission. They have to tear down their constructions and or pay a fine. I think the main logic behind the authority is that people are unable to deal with safety standards, that there has to be an imposed health and safety standard as people are unable to estimate engineering and construction through trial and error. People would just crush themselves to death often by using inappropriate materials and risky corner cutting… I feel sad that we can’t do as we want, when we want at our own risk. I wanted to build a shelter or a platform to live in. I did build it. It is a fold up structure about 4 m high and 3 m wide made from steel and wood and glass. It stands 1.5 m up from the ground and has counter lever balcony. It is not airtight and rain would come in too. But it does feel good being in it. It feels like a cross between an adventure playground and modernism. I watched the documentary “Garbage Warrior” (2008) about Michael Reynolds’ Earthships. It’s a great story about his fight with the state of Texas to gain permission to build Earthships: self-contained units that have an ability to be self heating through a south facing angled glass wall and water harvesting roof structure. They are built from earth compacted into old discarded tires and plastic bottles. The state of Texas took away his title of architect and stopped his building program. After the Tsunami in 2007 Michael Reynolds was invited to travel to the Andaman Islands and to build Earthdships there for the survivors who had no homes (in place of the corrugated iron sheds that had been provided). There were no authorities stopping the construction in this emergency situation. The Earthships were a big success and the State of Texas learned of this endeavor and gave Michael Reynolds his title of architect back. Finally he gained the right to build his Earthships in Texas, but they had to be regulated, all the exact same design repeated, all mapped to a pattern of roads and with other such regulations that the state imposed. The idea to have a house that can be folded up and moved to the next place you stay and to be able to flat pack it with as little as 3 people, this was an ideal for me. I think it weirdly answers your question about official/non-official disruption and is relevant
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have her voice and story heard, she was quite famous, but she somehow still had to infiltrate their meetings, be disruptive, maybe too loud, too visible. She was not officially invited, from what I understood, she invited herself. Today, her famous speech “Ain’t I a woman” is displayed on posters in most women’s community center in the US. What is your relation to this kind of official/nonofficial disruptive kind of thing?
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hats and found insects and we water colored in the info booklets. It was an edition of 10 and Joe sold them and my 50% went to the friends who were involved, Joe, Zoe, Brian, Marta, and Eva. The Walk to Dover was simply something I wanted to do. I really learned through it, that you don’t have to have an audience watching the spectacle that you can do something and the audience can imagine it. I like artists who merge art with life, I like Tehching Hsieh. For the intensity of talking about black people again, I suddenly thought it maybe relevant to talk about Ida B. Wells, I came across her history at the civil rights museum in Memphis. In reaction to her friends (Thomas Moss, Calvin McDowell, and Henry Stewart) being killed, lynched and there being no means to bring the atrocity to justice, she started to methodically document the lynchings that happened, she recorded the time and date and identity when possible of the lynchings and her documentation is the only record of them, it is know as the Red Record. It lists fourteen pages of statistics concerning lynching done from 1892–1895.I thought of this when I read that this edition of Pétunia is linked to gender and space and architecture. Ida B. Wells’ reaction to the violent injustice surrounding her was contained and methodical and brilliant, I found this so interesting. I thought, maybe it is a female reaction, you know you can’t do the things you want to do and so you search for a way to react that is the most effective within your ability. We made a physical theatre interaction inspired by her Red Record, and performed this in Iceland as part of a performance festival called Sequences 2009. It could be hard to see the connection between walking to Dover and a woman who documented lynchings. I am not trying to connect these things. I picture Ida B. Wells physically traveling to find the lynching sites and documenting them. Her relationship with space would have been mapping the lynchings. I have no idea why I think this is relevant? I think possibly because it is a female suffragette and civil rights activist from 1890s who behaved in an interesting way to her immediate environment.
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to the idea of female artist as Vagabond. I do not have a permanent address, I move house every 6 months or 1 year. The longest I have ever lived any where in my life is 3 years. I am not bothered about property or staying still. I do think A Room of One’s Own (Virginia Woolf, 1928) is important for creativity but it does not have to be permanent, just private and affordable. Although, Jane Austen’s relationship with her desk is really interesting. When she had a space to herself — her writing desk — she was prolific and churned out novels, when the family moved house and for some years she had no space she did not write. When she was re-united with her writing desk after the family moved to better conditions, again she wrote many novels straight after one another. LRD I would also like to hear more about what you said previously, when talking about A Walk to Dover, on the fact that you don’t necessarily need an audience for a work or a performance to exist. SC Yes, I guess Chris Burden’s photo documentations are a good example. The audience can look at these years later and feel as if they were part of the moment, or they can feel as if they are the audience. Tehching Hsieh and Linda Montano staying in New York city and tied to each other by a piece of rope for a whole year, the image and concept of the annual endurance and endeavor, it can be imagined and almost experienced alongside them, through imagining the actions they did.
SC I don’t really know how to answer this. This sounds religious… Maybe I am talking about “faith”? Maybe that comes full circle around to talk about Sojourner Truth again? I have a lot of “faith” and I can understand the concept. You either have it or you don’t, it’s not intellectual or in any way definable.
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LRD In art, do you distinguish between what is visible and what just exists?
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From Francesca Hughes (ed.), The Architect. Reconstructing her practice, The MIT Press, London, 1998, p. 75-94.
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