Sylvain ORY Mastère spécialisé Création et Technologie Contemporaine École Nationale Supérieure de Création Industrielle 14 juillet 2017
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Sommaire
Introduction
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Rituels et préparation
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1.1 | (s’) Observer 10 Souvenir 10 1.2 | (s’) Orienter 14 Transversalité 14 Inspirations 17 1.3 | (se) Poétiser 21 Glaner 23 Les traces du temps 25 Image poétique 27
Travail en suspension
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2.1 | (se) Poser 34 Attendre 34 « Dormeurs éveillés, rêveurs lucides » 37 Paysage en mouvement 41 2.2 | (se) Connecter 47 2.3 | (se) Lier Lien transgénérationnel Lien de formation
49 51 52
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La réception
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3.1 | (se) Révéler 56 Sérendipité 57 3.2 | (s’) Interroger Au hasard Balthazar La sagacité
61 62 63
3.3 | (se) Libérer 68 Sidération 68 Surréalisme 71 Retour à l'enfance 73 Retour sur la poésie 77
Conclusion 81 Bibliographie
82 Ouvrages 82 Films 83 Bandes sonores 83 Internet 83
Remerciements
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6 | Rituels et préparation
Renaud LAVILLENIE dispute la finale de la perche, 16 août 2014 © AFP PHOTO | Franck FIFE
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Introduction
S'élancer dans la création équivaut à sauter dans l’inconnu. Nous savons d’où nous partons, mais nous savons rarement où nous atterrirons. La création peut être comparée à la discipline du saut à la perche qui se passe en trois temps. En premier lieu, la phase de préparation consiste en un échauffement. L’athlète met en place des rituels et repense à ses longues heures d’entraînements. Il attend, prend ses marques et s’élance. Puis il plante la perche, son corps emmené par l’élan quitte le sol ; le temps se suspend. Il lâche la perche, flotte un moment dans les airs, plus rien ne le lie à la Terre. Seul dans le ciel, il passe la barre. Durant ce laps de temps infini, l’athlète est connecté à des questionnements inconscients. Il percute ensuite le sol. L’impact arrive dans un instant bref, il a rejoint la Terre. Après un moment de sidération, tout s’éclaire à nouveau. C’est le relâchement, dans la contemplation de l’exploit accompli. Ma pratique transversale me fait intervenir sur des projets très différents en paysage, en architecture, en graphisme et en design. Leurs différences font naître une approche quasi unique à chaque fois. Je me suis construit une méthodologie propre à chaque domaine concerné. Dans la présente étude, ne souhaitant pas privilégier un thème, je me suis intéressé à la naissance du concept ou d’une idée. Mon processus de création est avant tout une expérience intérieure résultant d’une série d’échanges. À l’image du perchiste, je vais présenter mon processus comme une suite d’événements en perpétuelle évolution qui s’est construit : avec le temps, la rêverie et la création de liens. Le temps est perçu comme le fil conducteur de mon récit. Le travail de recherche se fait à chaque instant pour trouver des sources d’inspiration, il se réalise sur le long terme. Cette recherche est entrecoupée de temps de pause, où le temps semble s’arrêter. Puis c’est la venue subite de l’idée qui survient dans un instant fugace, une sorte de révélation, suivie d’une libération. Je vais m’attacher à conter l’histoire d’une impulsion créative, d'un grand saut dont les chapitres prennent un double sens.
Andy GOLDSWORTHY Pour le clair de lune Blocs de sable creusé et compacté Lake Michigan, Michigan, 24 août 1991
1 Rituels et préparation
«Voir ce qui avait toujours été là, mais qu’on ne voyait pas » Andy GOLDSWORTHY, in Rivers and Tides – Andy Goldsworthy et l’œuvre du temps, Mediopolis Film et Fernsehproduktion GmbH, 2001
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1.1 | (s’) Observer
Le projet de création se nourrit des sensations et des images emmagasinées au cours des années d’observation dans mon quotidien. C’est une phase préparatoire longue avec de petits rituels nécessitant de la persévérance et de la patience.
Souvenir Enfant, l’appel à regarder le ciel rythmait mon temps. Je ne comprenais pas ce besoin, mais j’étais hypnotisé. Durant ces moments, mon esprit vagabondait et m’emmenait très loin de mon exercice de conjugaison du verbe partir. J'étais un « doux rêveur », comme mon arrière-grand-père maternel, avec qui l’on faisait un parallèle dans ma famille. Il était poète durant son temps libre et cordonnier de métier. René Lavergne, que je n’ai pas connu, maniait habilement ses mains et les mots. Cette comparaison était pour moi plutôt flatteuse, mais j’avais du mal à me projeter en tant que poète. Ce qui Observer : considérer avec attention, m'intéressait à cette époque, c'était la compréavec application. hension des objets du quotidien. Je les démonObserver avec soin, scrupuleusement. tais, prenais ce qui m’intéressait et construisais Examiner (un objet de connaissance des objets hybrides. Fruit des récupérations de scientifique) pour (en) tirer déchets plastiques, j’ai créé une maquette de des conclusions scientifiques. ville lunaire peinte à la bombe. L’ensemble D’après la définition du site : cnrtl.fr était constitué d’un plateau de contre-plaqué sur lequel étaient représentés des chaos lunaires en plâtre. Dissimulé à l’intérieur des bâtiments, se trouvait un réseau de câbles électriques reliant des lumières et des haut-parleurs. J’ai construit une main-robot articulée manuellement, récupéré un vieux microscope pour en faire un nomade, inventé un jeu de morpions en trois dimensions, toujours avec des chutes de matériaux récupérés dans l’atelier de mon père et de vieux objets destinés au rebut.
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Alfred Kubin est écrivain, dessinateur, Sur le sable graveur et illustrateur ; je me réfère fréquem- de René Lavergne ment au cours de mon exposé à son travail Corno – budéus d’écrivain à travers lequel il précise son processus de création. Dans le recueil Le travail Revenant de l’école, à midi, du dessinateur 1, sont rassemblés ses écrits Jean-René, au bord de l’allée sur le dessin. Il y aborde notamment la place Trouva, d’un escargot gris, du rêve et de l’observation. L’auteur présente La coquille inoccupée. comment s’est construit son mode de travail à travers des inspirations de sa jeunesse. Dans le Tout près rampait une limace. chapitre Souvenirs d’un pays à moitié oublié – Tiens ! Tiens ! fit le rêveur, Sur la fécondation artistique, Kubin montre le Je vais en faire un escargot de classe ; rôle de son attirance pour les images glanées Et le voilà au labeur. au fil de ses pérégrinations enfantines. « Les Par la ruse et l’acharnement, livres d’images ont joué chez moi un rôle très Il tente de convaincre la pauvrette, particulier qui a encore des effets aujourd’hui. À s’intégrer au vide logement. Parce que j’étais connu de tous les habitants L’affaire ne va pas comme il le souhaite… du marché – mon quartier – je pouvais aller et venir chez chacun et j’avais ainsi, au bout d’un Dans sa fertile imagination, certain temps, pris connaissance du contenu Il crée une bête extraordinaire ; de chaque almanach, de chaque livre de Oh ! là-là ! quelle belle invention ! contes, de chaque journal illustré qui étaient Déjà ses pieds quittent la terre. disponibles dans les différents foyers. Je dévo- Il pêche la lune, ce petit sauvageon, rais des yeux les innombrables scènes et per- Hélas ! mère Pauline arrive, leste, sonnages qui y étaient dessinés, je les coloriais Sa main adroite maniant le jonc, aussi quelquefois et ils se perdaient ensuite Au détriment des cuisses du poète… dans les profondeurs de ma conscience. Je me rappelle particulièrement bien d’une étude Adieu limace, limaçon, ethnographique consacrée à la Dalmatie et à Vite vite ! vas te mettre à table ! ses habitants, richement illustrée de nombreux Troubadour rêveur qui fait des chansons dessins – elle s’intitulait Souvenirs d’un pays Au bord des chemins, sur le sable. à moitié oublié.2 » Un peu plus loin, en parlant des livres d’images : « J’avais à peu près cinq ans et ces dessins ont fécondé mon imagination d’une façon indélébile. La surface mélancolique et désolée de la mer, ses rivages rocailleux et inhabités, les 1
KUBIN (Alfred), Le travail du dessinateur, Paris, Allia, 1999, 142 p.
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Ibid., p. 58
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personnages à moitié orientaux, tout cela, dessiné à la plume avec une plus grande économie de traits, m’a comblé et s’est gravé pour toujours dans ma mémoire, si profondément, d’ailleurs, que les voyages que j’ai entrepris plus tard, une fois adulte dans ces régions, n’ont jamais pu rivaliser avec ses impressions de jeunesse.3 » On comprend son rapport à l’iconographie, et son travail de dessinateur. Kubin montre la fécondation de son esprit par tout ce qu’il a découvert lorsqu’il allait de maison en maison rechercher les précieux livres remplis d’images. L’impact de celles-ci était si fort, qu’il n’a pu s’en défaire une fois adulte. De la même manière, je me suis construit sur des images fortes qui ont fécondé mon inconscient et ressurgissent encore aujourd'hui dans mes souvenirs. Néanmoins, les souvenirs sont souvent déformés, amplifiés, retravaillés par le filtre du temps. Ainsi lorsque l’on se remémore un souvenir d’enfance on imagine toujours des événements plus forts et plus grands que la réalité. Qui n’a jamais redécouvert un lieu de son enfance, en constatant que celui-ci est bien différent ? Le rapport entre la puissance de ce que nous vivons enfant et nos souvenirs d’adultes est intimement lié. Kubin ajoute « Pour moi l’art est indissociablement lié à l’inconscient.4 » En effet les traces du passé fixées dans l’imaginaire constitué dans l’enfance, forment une base, une trame sur laquelle un travail créatif peut prendre naissance. De la même manière, enfant unique, j’ai toujours beaucoup observé. Observé les adultes, les paysages depuis la voiture lorsque nous partions en vacances, ou depuis le train avec ma mère lorsque nous allions chez mes grands-parents en Dordogne. Je passais des moments seuls dans leur jardin en été. Je m’inventais un monde intérieur, je concevais des jeux, construisais des barrages et des moulins dans le ruisseau tout proche. J’observais les moindres détails de la vie du dehors. Dans le jardin, les allées recouvertes de pierre calcaire étaient pour moi des craies pour dessiner. En y regardant de plus près, on était projeté dans Ces formidables pierres devaient certainement un espace temps différent. Véritable fouille appartenir à l’homme de Cro-magnon ! archéologique, pleine de fossiles de coquil3 KUBIN (Alfred), « Souvenirs d’un pays à moitié oublié » in Le travail du dessinateur, Paris, Allia, 1999, p. 58-59
4 Ibid., p. 62
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lages et de quelques silex. La visite des grottes locales me nourrissait de mythes et de légendes. Je gardais les petits trésors amassés dans une sorte de coffre-tirelire, s’alourdissant d’été en été. La diversité de la Nature était pour moi source d’émerveillement et de questionnement. La découverte des nymphes de libellules accrochées sur les jeunes pousses, la libellule quittant son ancienne cuticule pour accéder au monde aérien. Dans les bassins à truites, j’étais fasciné par la capacité des araignées d’eau 5 à pouvoir marcher sur une surface liquide. Mon agilité et ma patience me permettaient d’attraper de petites rapiettes 6. Mon premier « acte d’art contemporain » a été de créer une œuvre mouvante autonome en perpétuelle évolution. En effet, après avoir capturé un énorme escargot possédant une belle coquille beige, j’empruntai de la peinture à ma grand-mère et commençai une œuvre miniature sur « sa maison », le temps qu’il traverse la table de la cuisine. Deux ans plus tard, comme chaque début d’après-midi lors de ma promenade solitaire, mon œil fut attiré par un objet coloré en bordure de massif. Après quelques minutes d’oisiveté, je revins à moi, mais l’objet s’était déplacé de quelques centimètres. Le temps faisant son œuvre, l’escargot toujours en vie exhibait sa coquille dont les traces de peintures se recouvraient progressivement de nouvelles cernes.
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Les araignées d’eau sont en réalité des punaises d’eau, appelées aussi Gerris, elles ont bien 6 pattes comme tous les insectes et non huit comme les araignées terrestres.
6 Rapiette est le nom donné au lézard des murailles dans le sud-ouest de la France.
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1.2 | (s’) Orienter
Arrivé à la charnière entre collège et lycée, un choix devait être fait. Il m’était conseillé de suivre un cursus professionnel. Pas question de choisir entre « gardien de volcans » et « chercheur de pierres précieuses », irréalistes métiers dont je rêvais enfant. Je me tournai alors vers le domaine du paysage. Les études Orienter : disposer, tourner dans au sein d’une école en pleine Nature 7, furent telle ou telle direction favorable. une étape importante dans mon épanouisseIndiquer la direction à prendre; ment personnel. Je m’ouvris à de nombreux remettre sur le bon chemin. domaines mêlant arts et techniques. Le travail D’après la définition des sites : n’était plus incompatible avec la contemplacnrtl.fr et larousse.fr tion de la Nature. Bien plus tard, j’appris par hasard que l'état de « vagabondage spirituel » était une manière de penser, ou plutôt un état de la pensée, nécessaire à la formulation des idées 8. Sans le savoir, je m’étais construit un « processus créatif », commençant par l’observation des détails du monde.
Transversalité Je travaille en bureau d’études de paysage depuis l'an 2000, date à laquelle j’achevais une formation pour devenir « Assistant concepteur paysagiste », terminant un cycle d’études de six ans dans l’aménagement paysager. Durant cette dernière formation, j’apprends l’usage des logiciels de traitement de l’image. Il s’agit également de retranscrire et de transmettre le message du paysagiste à un large public par l’intermédiaire de plans de masse, de photomontages et de mise en forme de dossiers d’études. À cette époque, je prends conscience de la puissance de l’outil informatique pour le travail de 7
Tecomah, Jouy-en-Josas (78), École dépendant de la Chambre d Commerce et d'Industrie de Paris (CCIP).
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MILLETRE (Béatrice), Petit guide à l’usage des gens intelligents qui ne se trouvent pas très doués, Payot, 2013, 189 p.
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l’image et des possibilités offertes pour la représentation de l’espace. J’oriente ensuite mes recherches vers un poste d’assistant d’étude dans un bureau d’aménagements paysagers et d’urbanisme au sein d’une société travaillant dans les infrastructures. Familiarisé avec le milieu professionnel, j’expérimente la représentation graphique des projets d’urbanisme et de paysage. En parallèle, j’obtiens quelques distinctions pour des concours personnels de graphisme, de packaging et de photographie. Dans le même temps je me passionne pour la recherche de textures. J’alimente en permanence une base de données issues de photos prises dans la vie quotidienne et au cours de voyages. Ce catalogue me fournit la matière première qui me permet de concevoir de nouvelles images. Après quelques années passées à côtoyer le paysage urbain, je cherche une autre échelle de projets. Je change de société et j'aborde le grand paysage au niveau du territoire. En lien direct avec des écologues, des ingénieurs environnementalistes, des concepteurs routiers, ferroviaires et industriels, j’intègre le pôle paysage et architecture au sein du service environnement d'un bureau d'étude. Je participe à des projets d'ouvrages d’art et d'écrans acoustiques. Mon approche graphique, permet de créer des liens entre les différents domaines. Je développe une activité de free-lance dans l’infographie. Ceci me donne un cadre afin de tester davantage d’outils créatifs, peu représentés dans ma société. Le travail de paysagiste et d’infographiste intègre en premier lieu la notion d’observation. Ainsi le regard du paysagiste est exercé à comprendre le relief de l’aire d’étude, reconnaître les essences végétales, comprendre les interactions entre les parties prenantes d’un territoire, trouver les relations dans l’écosystème et mettre en avant les points de vue intéressants. Le regard de l’infographiste s’attache à retranscrire les ambiances d'un lieu, trouver le meilleur angle de vue, être attentif aux détails dans l’image, harmoniser les couleurs et apporter des textures vivantes. Cette observation est déterminante dans la création, elle induit un point d’entrée dans le sujet défini. C’est une recherche permanente, une veille technique et artistique permettant de capter des connaissances. Une sorte d'entraînement au quotidien.
16 | Rituels et préparation
Sylvain ORY Le projet Bïkoo présenté ici en gros plan, 2010 Exposition «Pignon sur rue» à Lille, Photographie © DR
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Certains clients me proposent de créer des panneaux signalétiques. Un déclic se produit. L’approche du design par le biais du graphisme et du paysage est prometteuse et intéressante. Après cette première expérience, je reste attentif aux concours de design et tente ma chance à plusieurs reprises. En 2010, je suis sélectionné pour le prix du public lors de la création d’un abri à vélo inspiré du tatou. Ce projet sera publié dans Intramuros 9 et dans le livre Objets urbains - Vivre la ville autrement de Sophie Barbaux10. D’expérience en expérience, je me suis forgé des connaissances sur le design d’objets s’appuyant sur des codes graphiques et une culture de l’espace. En 2013, je souhaite prendre des cours de design, en intégrant l’école Créapole en cours du soir. La formation pour adulte propose une approche orientée sur l’expérience du dessin en travaillant sur des thématiques variées, telles que le packaging de parfum et le design de transport.
Inspirations Mes sources d’inspiration s’orientent vers différents courants de la création industrielle. Le design français, américain, nordique, italien et suisse des années 50 aux années 70 deviennent des références conceptuelles. Une certaine épure formelle s’en dégage, une sorte de sobriété heureuse qui laisse une place importante à l’utilisateur. Le design global devient l’apanage de certains créateurs tels que Alvar Aalto architecte et designer moderne, poussant la réflexion sur l’espace dans son ensemble. Il intervient sur l’architecture, la conception des meubles et la scénographie. Il crée un véritable dialogue entre les espaces intérieurs et les espaces extérieurs (voir photo en page suivante).
9 « Vélos à vue » Intramuros n°48, Juin 2010, p. 38 - 41 10 BARBAUX (Sophie), Objets urbains - Vivre la ville autrement, ICI Interface, 2010, p. 264 - 267
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Joseph Muller BROCKMANN Affiche d’un concert à Zurich en 1955
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Maison de Louis Carré, située sur les hauteurs de Bazoches-sur-Guyonne (78) conçue par Alvar Aalto et réalisée en 1959.
D’autres domaines m’inspirent, dont le travail de certains graphistes sur les affiches. J’affectionne tout particulièrement les recherches de Joseph Muller Brockmann dont les réalisations s’échelonnent des années 50 jusqu'aux années 90. Il prend notamment comme source d’inspiration le Constructivisme Russe. La simplicité des formes et l’épure mettent en avant le sujet. La rigueur de la grille en trame de fond laisse toutefois une place importante à l’envolée formelle. Le vide est l’élément principal de la composition et devient matière à son tour. On retrouve cette dynamique dans les créations de Ruedi Baur, designer franco-suisse qui navigue entre l’espace, la perception et la poésie dans la ville. Il réalise à la fois la signalétique de nombreux édifices comme le Centre Pompidou et des œuvres artistiques au sein de la ville (voir photo en page suivante).
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La Phrase, Karelle Ménine, Ruedi Baur et le laboratoire Irb. Ce projet réalisé à plusieurs mains, propose une lecture active dans les rues de Mons, capitale européenne de la culture en 2015.
La notion de transversalité est présente dans mon travail de paysagiste et de graphiste. Questionner l’espace urbain, les liens entre l’usager et l’environnement, la création de repères, sont des recherches au cœur de mon travail. Les études à l’ENSCI me permettent de créer des liens entre les domaines du paysage, de l'urbanisme, de l'architecture et du graphisme.
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1.3 | (se) Poétiser
À l'image des dessins dont parle Kubin et qui ont fécondé son imaginaire, je me suis constitué des images mentales fortes, qui rejaillissent par moment. Toutefois me concernant, il s’agissait non pas de livres d’images, mais d’observation de la Nature, d’objets du quotidien, de paysages, d’architecture, de modes de vie et de « petites choses sans importance » Poétiser : rendre propre à susciter une émotion qui sembleraient anecdotiques pour certains. d’ordre poétique, donner une dimension, Dans ma pratique professionnelle et person- une valeur, un caractère poétique nelle, ce besoin reste en veille permanente. Transfigurer, embellir, idéaliser. J’éprouve sans cesse le besoin de chercher Se complaire dans des rêveries poétiques. une quantité suffisante d’informations afin D’après la définition des sites : de pouvoir ensuite puiser dans ce catalogue cnrtl.fr et larousse.fr interne. Parmi les données récupérées, j’analyse succinctement, je cherche, je fouille, je sélectionne, je combine, je tricote et détricote. Peu à peu, une arborescence mentale rhizomatique se construit, m’amenant rapidement à des germes d’idées. Je les stocke dans de petits carnets de notes que j’emporte constamment avec moi.
Carnets personnels de notes, schémas et croquis.
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Sylvain ORY Le temps rouillé, Longjumeau, février 2003
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Glaner La prise de notes sous forme d’écrits ou de schémas est un premier contact avec la création, une sorte d’ébauche. Vient ensuite un travail de recherche plus poussé. Internet intervient à ce stade, où les mots clés deviennent essentiels pour trouver les sources d’inspirations. Selon le thème de mes recherches, je me dirige majoritairement vers des images. J’utilise à ce titre le moteur de Google et le site Pinterest. Ce site alimenté en permanence par une communauté d’internautes curieux représente un outil très adapté. Je prends néanmoins le soin de recouper avec d’autres sources d’informations : des sites internet, des livres et ma base de données personnelle. Fruit d’une récolte de longue haleine, ce catalogue est une banque d’images qui, au fil du temps, a pris une dimension colossale, me rappelant le petit coffre-tirelire de mon enfance. Aussi, comme mon carnet de notes, je me déplace toujours avec un appareil photo. Je glane au gré des balades : des idées d’aménagements, des ambiances insolites, des objets incongrus, des matières et des textures remarquables. Travaillant majoritairement sur Photoshop durant mes premières années professionnelles, la volonté de recherche permanente d’éléments visuels à intégrer dans mes photomontages a pris tout son sens. Le réalisme et la diversité des images virtuelles produites en dépendent. À tel point que je passe à cette époque des journées entières à classer, améliorer, renommer les éléments de ma banque d’images. Toutes les textures récupérées ont du sens. Certains vont voir tel ou tel animal dans un nuage ; de mon côté, je vois dans les textures une variété visuelle étonnante. Dans la mousse dodue, je vois une forêt vue du ciel, certaines étoffes me font penser à de grandes parcelles agricoles, un mur décrépi devient un sol accueillant un massif fleuri, dans un silo rouillé je vois les traces du temps.
Ceci n'est pas une photo satellite.
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Georges NOËL Tableau sans titre, 2003 Pigments purs, sable et colle, Ektachrome © DR
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Les traces du temps Il m’a été donné de faire une expérience texturale étonnante. Il y a quatorze ans, après avoir répondu à un concours photo, je sors du laboratoire photo Picto 11, et je fais la connaissance d’un monsieur âgé cherchant un photographe apte à faire des clichés d’un de ses tableaux et de les imprimer dans l’heure. Intrigué, je le suis dans son atelier d’artiste en plein Bastille, rue Sedaine. Il se présente : Georges Noël. Je ne connais pas ce nom, mais il me dit que ses toiles se vendent beaucoup aux États-Unis. Je prends les photos et nous les imprimons ensemble. Georges est satisfait du résultat et transmet les clichés à un galeriste italien pour une exposition prochaine. Ce jour-là, j’ai le sentiment d’avoir fait une rencontre artistique majeure. Il a le sens de la matière, travaille la texture, le relief et la couleur. Ses œuvres entrent en résonnance avec des sensa- « C'est le souvenir d'expériences tactiles qui tions ressenties lorsque je cherche justement nous permet d'apprécier la texture.» à capturer des textures. Les toiles vibrent et T. HALL (Edward), La dimension cachée, témoignent d’une énergie folle. Il m’invite Points, 1978, p. 85 à plusieurs reprises dans son atelier, en me contant quelques anecdotes de son passé, de ses amis dont un certain Prouvé. Il me propose même de tester sa technique picturale. Technique qu’il invente très tôt dans sa pratique, consistant en un mélange de pigments purs, de sable et de colle. La surface créée prend alors un aspect brut, tantôt texturé, tantôt velouté, selon les dosages souhaités. Le médium ainsi réalisé accueille son écriture faite de signes pouvant être empruntée aux premières formes d’écritures ou à des symboles tribaux magiques, inspirés des cultures archaïques. Ses toiles deviennent des métaphores du passé, sortes de palimpsestes jouant avec la superposition des couches et des échelles de temps 12. La recheche de textures me permet à la fois de trouver « matière » à réalisation pour les photomontages, mais me permet également de nourrir mon esprit de concepts, d’idées prises sur le vif, de fixer des instants éphémères et les traces du temps. Une dimension tempo11 Picto est un laboratoire photographique situé à Paris 11° et réputé pour son professionnalisme.
12 Consulter à ce sujet le site : georgesnœl.org, visité le 02-2017.
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Andy GOLDSWORTHY Glaçons collés à un rocher - exécuté en trois jours, le premier jour je suis tombé dans l’eau, le second j’ai trouvé des glaçons plus longs, le troisième, de la gelée forte. Scaur water, Dumfriesshire, 12-15 janvier 1991
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relle se dégage à travers la composition même de la texture donc de la matière. Matière qui s’est constituée au fil du temps. Les fossiles de ma jeunesse ramassés dans le jardin de mes grands-parents ont mis des millions d’années à se constituer. Prendre une photo de texture revient à fixer la matière dans le temps.
Image poétique Les textures renvoient également au côté tactile de la matière, la sensualité qui s’en dégage transparaît au-delà des images. Cette quête de l’esthétisme m’amène régulièrement à chercher l’image poétique qui ne décrit pas précisément, mais qui évoque une part d’onirisme à travers la ville, la Nature. Andy Goldsworthy est un artiste qui travaille avec la matière brute en lui faisant ressortir sa nature poétique. Au gré de ses déambulations et découvertes, il laisse la Nature guider son travail. Les formes créées sont en relation directe avec la sobriété des matériaux utilisés in-situ. Les œuvres se transforment avec le temps, le mouvement des marées, l’eau, le vent et le soleil. Tantôt œuvres pérennes, comme les murs serpentant à travers les forêts d’Écosse, tantôt éphémères comme les jetées de pigments dans l’eau ou le ciel, Andy Goldsworthy fixe des instants Andy Goldsworthy. Sable rouge lancé dans un ciel poétiques, construits méthodiquement avec bleu, photo de Fiona Maclchlan, Australie, 1991. patience et persévérance. Il livre son processus de création à travers le film Rivers and Tides 13. Lors d’une création d'une série d’œuvres sur les cairns, il s’inspire des monticules de pierres disséminées à travers l’Écosse, sur des collines à la croisée des chemins. Il les perçoit comme autant de 13 RIEDELSHEIMER (Thomas), Rivers and Tides – Andy Goldsworthy et l’œuvre du temps, Mediopolis Film et Fernsehproduktion GmbH, 2001, 90 min.
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gardiens et protecteurs mystiques des lieux. Tous ces amoncellements de pierres sont reliés les uns aux autres. En travaillant sur ce sujet, il se sent également relié d’une certaine manière à eux. Lors de la création d’un cairn sur une plage du Canada, il lui faudra 5 tentatives pour faire tenir cet amas en forme de graine à partir de pierres récupérées sur la plage avec son équipe. Si l’œuvre s'écroule, c’est qu’il n’a pas encore suffisamment compris la pierre. Se tromper et recommencer fait partie du processus pour saisir le sens profond du matériau. Il compose avec les aléas de la Nature. À ce titre, il dira « qu'un contrôle total est néfaste pour l’œuvre 14 ».
Andy Goldsworthy, Galets ronds difficiles à travailler. Première tentative : effondrement. Placé juste hors de portée de la marée demeuré en place plusieurs semaines jusqu'aux fortes marées, Australie, 1992.
14 RIEDELSHEIMER (Thomas), Rivers and Tides – Andy Goldsworthy et l’œuvre du temps, Mediopolis Film et Fernsehproduktion GmbH, 2001, 90 min.
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L’ensemble de son travail intègre la notion du temps. Il intervient à deux niveaux : d’abord pour comprendre les liens à travers l’observation profonde des choses afin de s’en imprégner puis de laisser la Nature faire son œuvre. Ainsi les sculptures et installations ne sont pas détruites, mais sont « emportées dans une autre dimension15 » et deviennent dès lors « d’autres œuvres constituées par la Nature ellemême 16 ». Elles font partie d’un tout, elles sont intégrées dans un cycle. C’est une sorte La coquille d'escargot de mon enfance porte-tde dialectique entre l'œuvre artistique et les elle toujours les traces de ma peinture ? éléments naturels. Le processus de création ne commence pas entre ses mains, mais au sein même de la terre. Il réalise à ce titre une œuvre constituée de fougères dont la base se trouvant dans la terre est noircie, comme brûlée. Les tiges portent la trace d’une année de croissance et laissent place aux nouvelles pousses de l’année du printemps suivant. Son travail intègre la dimension d’une globalité, il ne doit pas être vu comme un aboutissement, mais plutôt comme un passage d’un stade à un autre, d’une continuité de la vie. Ainsi la matière vivante sera recyclée dans un cercle vertueux. « Voir ce qui avait toujours été là, mais qu’on ne voyait pas 17 ». À travers cette phrase, Goldworsthy dit l’essentiel et pose le socle de son travail. Par la recherche constante de beauté dans la Nature, il conduit notre regard et invite le « profane » à découvrir la poésie cachée des éléments naturels. Pour saisir et transmettre son travail éphémère, la photographie est indispensable et devient un « passeur », une sorte de révélateur. Il cite à ce propos Brancusi : « Pourquoi parler de sculpture quand on prend des photographies ? 18 » Les images parlent d’ellesmêmes. Après une journée de création, il a besoin de temps, de se poser et le retour sur ses photographies lui redonne une vision nouvelle en lui permettant de prendre du recul. Goldworsthy intègre de manière récurrente la dimension de la rivière. Rivière qui s’écoule, tel un fil conducteur, qui est perçue 15 Ibid. 16 Ibid. 17 Ibid. 18 Ibid.
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Sylvain ORY Sur une plage de l’Île d’Oléron, octobre 2016
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comme un lien entre plusieurs éléments. Il affectionne particulièrement la morphologie de ses méandres, rappelant les cours d’eau des paysages traversés. L'artiste y trouve un apaisement. Il crée de manière méditative, dans l’attente que la Nature œuvre à son tour. L’art est pour lui une forme de nourriture. C’est un besoin, une nécessité de faire ressortir certaines formes obsédantes dans sa tête. L’ensemble de l’œuvre d’Andy Goldsworthy est profondément ancrée dans l’essence même des éléments naturels. Il propose une démarche globale intégrant les caractéristiques des matériaux permettant de réagir entre eux avec le temps et recherche une part de poésie à nous transmettre. Dans le cadre de mon travail, je tente également de transposer une part de poésie. La démarche du paysagiste dans la réalisation de diagnostics paysagers, est de mettre en avant certains aspects du « genus loci » (génie des lieux). Cette recherche m’amène quelquefois à trouver des aspects plus profonds, des particularités pour des morceaux de territoires. Les sensations qui se dégagent du paysage font ressortir une poésie propre à des lieux spécifiques comme les fonds de vallées humides, les petites parcelles agricoles délimitées par des haies bocagères, les plateaux ouverts parsemés de clos-masures... Ainsi, la photographie prise en toute occasion au cours de mes excursions me permet de dévoiler la poésie du paysage. L’observation continue consciente et inconsciente est toutefois très prenante en temps et en énergie. À l'image du travail d'Andy Goldsworthy, je m’aménage des temps de pause pour prendre du recul et me permettre d’effectuer un « tri poétique » issu des recherches contemplatives.
Nils UDO Balanรงoire en feuilles de robinier Valle di Sella, Italie, 1992
2 Travail en suspension
«Avant la pensée il y a le songe » Gaston BACHELARD, La poétique de l’espace, Paris : Les Presses universitaires de France, 3e édition
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2.1 | (se) Poser
Après m’être nourri mentalement, mon esprit a besoin d’effectuer une pause afin de digérer. Ce moment est propice à la rêverie. Il permet de créer des connexions intérieures. Je prends de la hauteur, c’est un moment charnière. Il y a quelques années en lisant le Petit guide à l’usage des gens intelligents qui ne se trouvent pas très doués 19, j’ai appris que mon raisonnement était intimement lié au fonctionnement du cerveau droit. D’après l'auteure Béatrice Millêtre, ce lobe est en effet dédié au raisonnement global et à l’intuition. J’ai pu comprendre certaines de mes capacités et les aspects pouvant passer pour Poser : mettre dans un endroit qui assure des défauts se sont révélés être de véritables un support, un appui. forces. Ainsi, mon esprit reste inconsciemS’asseoir quelque part, s’y arrêter. ment en veille ; il vagabonde et ne s’arrête S’attribuer tel rôle. pour ainsi dire jamais. Il effectue des « tâches D’après la définition des sites : de fond », à l’image des ordinateurs effectuant cnrtl.fr et larousse.fr des opérations routinières, non visibles par l’utilisateur. Mais nécessairement mon attention se relâche. Avec le temps, j’ai adopté une méthode simple, consistant à faire une pause plus ou moins longue dans mes recherches, afin que l’inconscient fasse des choix. Cette attente permet la formulation d'idées et intervient aléatoirement dans différents lieux.
Attendre Dans À la recherche du temps perdu – Du côté de chez Swann 20, Marcel Proust parle du temps que l’on a perdu pour certaines choses 19 MILLETRE (Béatrice), Petit guide à l’usage des gens intelligents qui ne se trouvent pas très doués, Payot, 2013, 189 p.
20 PROUST (Marcel), À la recherche du temps perdu, Quarto Gallimard, 2006, 2408 p.
Travail en suspension | 35 et le temps que l’on perd à s’en souvenir. Il y a une certaine nostalgie, puisque notre conscience cherche à retrouver ce temps. Le tumulte des souvenirs de l’auteur arrive durant la nuit, alors qu’il ne parvient pas à dormir. Chacun d’entre nous a déjà fait cette expérience, parfois agréable, parfois douloureuse, troublante ou obsédante. Ces visions du passé viennent troubler notre sommeil. Toutefois, l’accueil des souvenirs est nécessaire pour le travail de mémoire. Cependant, les sollicitations du monde actuel nous empêchent bien souvent de réaliser ces temps de pauses dans la vie quotidienne. À ce titre, la contemplation se fait rare. C’est pourquoi nous mettons parfois en place des stratagèmes nécessaires à sa réalisation. Certaines personnes vont littéralement se vider la tête en s’adonnant à leur sport favori, certains marchent en forêt, d’autres enduisent les murs de leur salon, vont boire un café à la terrasse d’un bistrot, lézardent au soleil, dessinent, tricotent, colorient, plient, collent, méditent… Profitent des moments passés dans un train de banlieue pour contempler les paysages qui s’animent lors de leur trajet. Je fais partie de cette catégorie de personnes. Même s’il m’arrive de déconnecter dans d’autres situations, le réseau ferré reste mon médium de prédilection. Je patiente sur le quai, le train arrive, je monte. Je choisis mon fauteuil proche d’une fenêtre s’il reste une place libre. À l’extérieur commence alors un défilé d’espaces urbains et de parcelles agricoles résiduelles. Depuis quelques années, je parcours des dizaines de kilomètres pour me rendre sur mon lieu de travail. Je dois effectuer plusieurs changements entre métro, RER et train de banlieue. Véritable parcours du combattant lorsque les grèves, le froid, les feuilles d’automne, les inondations ou la canicule interviennent sur le trajet. Ces aléas sont propices à la germination d’idées. En faisant un rapide calcul du nombre d’heures passées dans les transports en commun, cela équivaut pour moi à passer environ 24 jours pleins par an dans ces lieux transitoires. La durée du trajet est variable, non pas seulement à cause des ralentissements divers sur les lignes, mais par le manque de repères temporels. Le temps y est flexible, telle une corde tendue entre deux points que sont : mon appartement et mon entreprise. Cette corde élastique, peut être lâche, posséder une tension élevée, proportionnelle
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au ressenti du voyage accompli. Le temps se distend, se suspend. L'action du perchiste effectuant son saut est comme ralentie. « Ce que j’ai appris à cette époque sur les mœurs des hommes et des animaux s’est évanoui au cours de mon évolution ultérieure alors que ma mémoire a gardé le souvenir des lieux déserts, des voûtes, des greniers, des écuries et des cabanes abandonnées que je m’étais choisis comme terrain de jeux : ils ressurgissent de temps en temps, ce qui me surprend moi-même, à la surface de ma conscience comme baignée d’une lumière fantomatique 21 ». Dans cet extrait de texte, Kubin évoque la notion de sélection naturelle effectuée par le temps. Il a gardé en mémoire non pas les événements appris dans le passé, mais plutôt l’enveloppe. Le contenu qu’il cherchait à retenir s’est littéralement évaporé en laissant toute la place au profit du contenant : les greniers, les cabanes et autres lieux abandonnés. À l’inverse, Proust nous donne une autre vision. Il est méthodique dans les descriptions qu’il réalise des instants vécus. Il élabore un récit qui prend forme dans cette nuit sans fin. Son esprit semble avoir consigné une infinité de détails variés, depuis la description de l’atmosphère de la maison de Combray jusqu’aux relations sociales des différents protagonistes de l’histoire, en passant par des détails olfactifs et des descriptions d’œuvres d’art. Comment se fait alors une telle sélection ? Est-ce par la suspension du temps ? Serait-ce le seul facteur déterminant ? Ma pratique professionnelle n’aborde pas directement l’idée du temps qui passe, mais utilise le temps comme un substrat, une frise chronologique qui déroule les étapes d’un projet et qui le fait germer. De là, s’égrainent les idées une à une. Certaines prendront racine rapidement, d’autres resteront à un stade germinatif durant de longs mois. Et depuis le train, la sélection s’effectue à mesure que le temps s'écoule. C’est une vie parallèle au monde extérieur qui s’élabore dans deux espaces temps distincts. Le train est un passeur de temps mouvant. Cet espace devient lieu puisqu'il y a une véritable appropriation de celui-ci lors du trajet. Certains dorment, d’autres pianotent sur leur téléphone, écoutent de la musique, mangent, lisent, discutent… 21 KUBIN (Alfred), « Souvenirs d’un pays à moitié oublié » in Le travail du dessinateur, Paris, Allia, 1999, p. 63
Travail en suspension | 37 rêvassent. On s’imagine la vie des gens dehors, dans leur ville, qui s’affairent dans leur quotidien, avec leurs habitudes et leurs petits rituels. Nous sommes là, à les observer, depuis nos sièges confortables. Depuis les hauteurs, le perchiste observe son public passant du statut de spectateur à celui d'acteur. Dans cet espace temps suspendu, des échanges subtils internes et externes se mettent en place entre deux mondes – diurnes et nocturnes. Ce n'est pas un rêve de dormeur.
« Dormeurs éveillés, rêveurs lucides 22 » Emporté par le roulement du train, l’espace transitoire où les corps subissent le trajet, provoque une sensation de bercement, d’apaisement, de moment hypnotique appelant des souvenirs lointains au même titre que Kubin ou Proust. Ces moments dont le souvenir est très faible, ressurgissent précisément lorsqu’on se laisse porter dans une rêverie passagère. « Je suis aussi l’un de ces excentriques qui «[...] Et un heurt violent me tira soudain croient que l’on ne rêve pas seulement dans d’ma rêverie [...]» Serge GAINSBOURG, le sommeil, mais tout le temps et que c’est Mélodie Nelson. l’éblouissante lucidité de l’entendement qui Une panne de courant subite vient de nous rend la plupart du temps aveugles au déclencher le freinage d’urgence. De ma rêve éveillé.23 » Kubin parle de cette prédispo- rêverie détournée, les idées embrumées se sition à rêver durant des phases d’éveils, mais mettent alors en mouvement, j’en profite pour la raison induite par notre culture et notre édu- lire, dessiner et retourner dans mes pensées. cation nous pousse à ne pas être à l’écoute de cet état. À tort, on a tendance à penser que ces pauses ne servent à rien. De la même manière, on me sortait de cette « rêverie créatrice » lorsque j’étais enfant. Aujourd’hui encore, une coupure forcée avec le monde onirique résonne toujours comme un réveil me tirant du sommeil, emportant avec lui les souvenirs déjà lointains de songes étranges. 22 BACHELARD (Gaston), Nous sommes des dormeurs éveillés, des rêveurs lucides, première difusion 19 janvier 1954, France culture 05-06-2016, 40 min. 23 Ibid., p. 67.
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Jean-Christophe BALLOT Saint-Valéry en Caux, France, 2014 Photographie Dans le cadre de l’exposition « La pente de la rêverie » à la Maison Victor Hugo (Paris).
Travail en suspension | 39 Gaston Bachelard évoque dans une causerie philosophique, l’état particulier dans lequel nous devenons des dormeurs éveillés, des rêveurs lucides 24. Tout d’abord, il oppose la rêverie diurne et la rêverie nocturne : « Un être qui éveillé est assailli par un monde d’images précises et qui endormi rêve dans une pénombre de formes qui se meuvent ; des formes inachevées 25». Il existe une différence notable entre ces deux mondes, le dormeur éveillé possède dans le même temps un esprit songeur et un esprit clair, lui permettant notamment de réaliser une synthèse par une forme active de la rêverie. En d’autres termes, le rêve éveillé, à ne pas confondre avec un état de torpeur, connecte les deux mondes nocturne et diurne. Dans la journée, notre esprit analysera consciemment ce qu’il a vu de manière inconsciente dans la rêverie nocturne. Bachelard raccroche la poésie à cet état particulier de rêve éveillé et cite Paul Eluard : « Le poète est celui qui inspire, celui qui nous donne l’exacte énergie de l’imagination et nous aide à satisfaire à ce besoin de poésie qui est au cœur de l’homme ». Le besoin de poésie, comme nous l’avons vu plus haut avec le travail d’Andy Goldsworthy, fait naître une nouvelle dimension dans notre quotidienneté. Bachelard utilise à juste titre la référence du poète surréaliste Eluard pour mettre en exergue la nécessité de poétiser notre environnement. Ce besoin ne serait finalement que le reflet intérieur, la projection de notre être sur le monde extérieur afin de ressentir celuici et de pouvoir évoquer des sensations. Il parle ensuite de la notion de « l’eau dormante », étrange métaphore qui appelle des souvenirs lointains. L’image d’une eau qui dort, dont les profondeurs sont insondables et qui détient une vérité. Elle n’est autre que le miroir de notre être caché, une sorte de « conscience de notre inconscient 26 ». Accéder à l’eau dormante, revient à méditer sur la vie, de se placer à l’origine du songe et de permettre par là même la réalisation d’une synthèse poétique dans cette prise de conscience. Dans la dernière partie de son exposé, le philosophe présente une différence entre la rêverie comme énoncée précédemment, c’est-à-dire 24 BACHELARD (Gaston), Nous sommes des dormeurs éveillés, des rêveurs lucides, première difusion 19 janvier 1954, France culture 05-06-2016, 40 min.
25 Ibid. 26 Ibid.
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Sylvain ORY Bercé par le vent Nuages à la fenêtre Un enfant songe. «Crystal», juin 2005
Travail en suspension | 41 une recherche poétique avec la rêverie comme médium de pensée. Il prend comme référence l’exemple d’un mathématicien qui au cours de ses réflexions sur quelques théorèmes, pratique l’expérience du sommeil bref afin de pouvoir se reposer d’une part puis se réveiller (ou s’éveiller) avec la naissance d’idées novatrices d’autre part. Et finalement de pouvoir continuer l’étude en cours. Ainsi le dormeur éveillé connaît une expérience de l’image instantanée c'est-à-dire de « l'image qui réveille de la rêverie profonde.27 » Les images mentales arrivent subitement lors de rêveries éveillées et viennent perturber notre voyage onirique. « L’imagination et la réflexion s’animent dans une dialectique incessante 28 ». Autrement dit, l’une anime l’autre dans un cercle vertueux de prise de conscience. Nous verrons plus en détail l’arrivée des idées dans la partie suivante. À présent, on comprend mieux les propos tenus par Kubin lorsqu’il dit être une personne pratiquant le rêve éveillé de manière permanente. D’ailleurs, comme nous l’avons vu en introduction de ce chapitre, cet état si particulier de la pensée que l’on pourrait qualifier « d’hypnose autonome », permet au cerveau de trier, mémoriser, inventer, synthétiser les souvenirs et les informations acquises. Contrairement à la rêverie nocturne passive, ce travail réalisé dans la journée permet de tirer parti des idées qui arrivent et d’être consciemment connecté à la partie inconsciente de notre esprit. Ainsi en ayant moi-même la « tête dans les nuages » contre la vitre du wagon, je réalise aussi l’expérience du dormeur éveillé, du rêveur lucide.
Paysage en mouvement De l’intérieur du train, je regarde le monde qui m’entoure. Mon attention se relâche. Je relâche mon regard. Mon regard parcourt le paysage. Un paysage fait de nuages, des nuages plein la tête. La tête légère, j’en profite pour m’attarder à de petits détails sans importance. 27 BACHELARD (Gaston), Nous sommes des dormeurs éveillés, des rêveurs lucides, première difusion 19 janvier 1954, France culture 05-06-2016, 40 min.
28 Ibid.
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Dans cette grisaille parisienne, j’entends furtivement le chant d’une mésange bleue, je m’interroge sur l’agencement des rues d’une ville traversée, j’admire la faculté de la végétation à recouvrir les talus de la SNCF. Lierres, pervenches, cyclamens, narcisses, digitales, perces-neige, houblons, vignes vierges, participent au paysage au même titre que les forêts et villes alentour. Tous les éléments perçus deviennent sources d’inspiration.
Le rossignol Sur cent personnes Combien le remarquent ? CHENG (Wing Fun) et COLLET (Hervé), Ryokan pays natal – Haikus, Millemont, Moundarren, 2009, p 33
Mon regard traverse la vitre. Dehors le paysage mute, se transforme. La verticalité des édifices prend une autre allure avec l’accélération du train. Leurs silhouettes se métamorphosent, des pointillés apparaissent et se transforment en lignes. Jochen Gerner a travaillé sur cette notion de mutation des formes dans le paysage depuis l’intérieur du train. Il illustre les changements de décor entre villes et campagnes. La vitesse du train transforme notre perception. La succession des dessins de l’artiste montre l’évolution et les changements opérés en fonction des paysages traversés. D’un bout à l’autre de l’installation se succèdent des silhouettes d’abord précises ; les enseignes de magasins sont lisibles, des détails sont perceptibles. Puis au fil des planches, les formes évoluent, s’aplatissent, les détails sont moins nombreux, le
Extraits de l'oeuvre Grande Vitesse, 2005. Carnet de dessins ferroviaires. Photos réalisées au Collège des Bernardins – exposition L’arbre de vie 15/02/2013 au 28/07/2013.
Travail en suspension | 43 trait moins précis. Les éléments verticaux se confondent aux trames de parcelles agricoles et deviennent des traits. En tant qu’usager du train, qui plus est à grande vitesse, la notion de mutation de l’espace est récurrente. « L’expérience utilisateur » a permis d’adapter l’intégration visuelle des infrastructures au sein du paysage. Dans le cadre professionnel, j’ai eu l’occasion de travailler sur des projets de Lignes Grandes Vitesses (LGV). Le rôle du paysagiste est de « donner à voir le paysage » pour les passagers du train. Les aménagements proposés, tels que les plantations de massifs, les reconstitutions de lisières boisées dans les forêts traversées et le confortement des ripisylves 29, sont autant de mesures permettant de filtrer les vues depuis les habitations riveraines vers la LGV. Ces plantations proches de la voie ferrée ne sont donc pas perceptibles à grande vitesse par les usagers. Leur silhouette est floue, perçue comme des lignes furtives et n’ont un intérêt que pour les relations visuelles alentour. On pourrait parler également de profondeur de champ. Cette perception visuelle est déterminante dans la création de projets paysagers. Elle participe à la lecture du territoire et permet sa compréhension. La vision des éléments plus ou moins grands renseigne sur la distance qui nous sépare d’eux. La couleur de l’atmosphère joue également un rôle important, dont on peut tenir compte pour évaluer la distance. La plupart des maîtres de la Renaissance se sont attachés à retrouver cet aspect par une désaturation progressive de la couleur avec une dominante bleutée à mesure de l'éloignement avec le premier plan. Dans la réalité, on doit cela à la présence de gouttelettes d’eau et de particules fines en suspension dans l’air. La quantité de ces dernières aura une influence sur la diffraction des rayons solaires. Plus on monte en altitude et plus les gouttelettes d’eau se font rares. Dans certains coins reculés des États-Unis, l’atmosphère est si pure, 29 « Les ripisylves sont des formations végétales qui se développent sur les bords des cours d’eau ou des plans d’eau situés dans la zone frontière entre l’eau et la terre (écotones). Elles sont constituées de peuplements particuliers en raison de la présence d’eau sur des périodes plus ou moins longues : saules, aulnes, frênes en bordure, érables et ormes en hauteur, chênes pédonculés et charmes sur le haut des berges. » d’après la définition relevée sur le site : actu-environnement.com.
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Sylvain ORY Où s’arrête la mer ? Où commence le ciel ? La rêverie traverse quel espace ? Baie de Somme, décembre 2012
Travail en suspension | 45 que la notion de distance est faussée. Certains touristes ont pu en faire l’expérience, lors de séjours au milieu de ces grands espaces. Les nouveaux venus souhaitent se dégourdir les jambes avant le déjeuner. Ayant aperçu à proximité une petite colline, ils pensent en faire le tour et être revenus pour le repas. Or, après plusieurs heures de marche, ils s’aperçoivent que la colline est en réalité une montagne distante de plusieurs kilomètres. Ceci montre bien notre rapport important à la perception visuelle des éléments constituant les paysages qui nous entourent. Ces notions de perspective et de profondeur de champ sont très présentes dans mon travail, pour décrire les territoires lors de la réalisation de diagnostics paysagers, de la création de photomontages et de croquis d’ambiances. La ligne d’horizon, la ligne de terre et le point de fuite sont disposés de telle manière à reproduire et à créer un cadre dimensionnel. Sans ces éléments, la composition flotte, la perspective est faussée et bancale. Au même titre qu’un projet sans structure, l’adhésion du projet par le public ne se fera pas.
Extrait d’un photomontage réalisée dans le cadre du projet de création d’un verger conservatoire au sein de l’Abbaye de Chaalis.
Toutefois, la perception du paysage dépend de la culture et du rapport que l'on entretient avec son environnement. En 1959, l’anthropologue Edmund Carpenter publia le livre Eskimo 30. « Texte et illustrations montrent que le monde perceptif des Esquimaux diffère complètement du nôtre, en particulier à cause de la façon dont les Esquimaux 30 CARPENTER (Edmund), Eskimo, University of Toronto Press; Première édition 1959, 223 p.
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se servent de leurs sens pour s’orienter dans l’espace. Il arrive en effet que dans la région arctique aucune ligne d’horizon ne sépare la terre du ciel 31 ». Ainsi, les Esquimaux ont développé une capacité à faire appel à tout leur sens pour percevoir l'espace : l'odeur des différents types de neiges selon les périodes de l'année, la couleur de l'atmosphère, la résistance de la neige sous leurs pieds... Pour cela, une connexion totale à l'environnement est indispensable.
31 T. HALL (Edward), La dimension cachée, Points, 1978, p. 102-103.
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2.2 | (se) Connecter
Une connexion à l'environnement est nécessaire pour comprendre la relation des éléments entre eux et pouvoir en saisir l'essence. Au XIXe siècle, un artiste peintre coréen nommé « Ohwon » Jang Seung-Ub connu pour son art qu’il maîtrise à la perfection est adepte de l’observation. Le film Ivre de femmes et de peintures 32 retrace sa vie et fait ressortir son processus de création. Le jeune Ohwon est issu d'une famille pauvre dans un village reculé de Corée. Un aristocrate sensible à l'éducation chez les jeunes enfants le prend sous son aile pour le sortir de la misère et le fait travailler sur de petites tâches en échange d'une éducation, d'un gîte et de nourriture. Après quelques années, il est recommandé auprès d'un peintre où il apprend les bases de sa future passion. Connecter : unir des choses en les mettant en Pour gagner sa vie, il répond à des commandes relation entre elles. de dessin pour des nobles. Sa faculté prodi- Établir des liaisons conductrices entre gieuse de pouvoir reproduire de tête tout ce différents dispositifs conducteurs. qu’il observe durant son errance dans les pay- D’après la définition du site : larousse.fr sages coréens lui confère une réputation de maître du dessin. Durant des phases d’observation, il laisse errer son imagination dans la Nature où il puise toute sa force et son inspiration. Le vol des oies sauvages, les grandes vallées humides, les ruisseaux enclavés l’imprègnent littéralement. Le film montre que son regard ne passe pas uniquement par les yeux, mais par la totalité de son Être. Il se confronte aux éléments de la Nature et se connecte à eux. De retour à l’atelier, il laisse sortir les images et les accumule sur le papier jusqu’à retrouver l’essence même des choses et accoucher d’un chef d’œuvre. « L’imagination doit embraser la peinture ». Il est question ici de connexions internes ayant une force inouïe. On ne les crée pas implicitement, elles se lient, se délient, changent de direction, se démultiplient dans une totale autonomie. En effet, 32 IM (Kwon-taek), Ivre de femmes et de peintures, Pathé Distribution, 2002, 1h57min.
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ce travail est réalisé à notre insu, durant nos phases de connexion intense au monde. Pour se connecter à ce qu'il veut dessiner, Ohwon s'imprègne de ce qu'il perçoit durant son errance dans la Nature. Ainsi, il se crée un dialogue qui relie les éléments externes et les images internes. De là germent des idées. Pour créer une connexion, il est nécessaire d’être attentif, à l’écoute du monde pour alimenter cette machinerie formidable. Il faut avoir une totale disponibilité d’esprit pour accueillir cela. La capacité à se connecter est propre à chacun et peut prendre des dimensions différentes. Pour cela, il faut être attentif, à l’écoute du monde et à l’écoute de l’autre. Être à l’écoute de l’autre c’est créer un lien avec lui. Une rencontre entre différentes cultures, différentes époques.
"Ohwon Jang Seung-Ub, encre de Chine sur papier,deuxième moitié du XIXème siècle.
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Henri FRICK Détail des cordages sur le Harvey, Clipper américain Photographie de Sylvain ORY, Parcoul, juillet 2008
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2.3 | (se) Lier
Lier des choses les unes aux autres, lier entre eux des événements, des souvenirs et des personnes. La liaison est une rencontre. Une rencontre du passé et du présent. Le lien créé est un fil d’Ariane qui aide à s'orienter et à retrouver un état particulier.
Lien transgénérationnel « Ces dernières années, des chercheurs spécialisés dans ces questions ont identifié bon nombre de mes fantômes comme des impressions originelles, comme des restes métaphoriques d’expériences faites par de nombreuses Lier : réunir, joindre (deux ou plusieurs choses) générations et déjà par l’humanité préhisto- par un élément d’assemblage ou de liaison. rique, filtrées ensuite par ma personnalité 33 ». D’après la définition du site : cnrtl.fr Il est certainement possible de remonter très loin, comme le décrit Kubin ici. Mais les savoirs directs transmis par nos aïeux créent des liens forts et reconnaissables. Un pont temporel fait ainsi rejaillir les souvenirs du passé. À l'image de mon grand-père, j’ai expérimenté la création d’objets. Du plus loin que je me souvienne, je voyais mon grand-père maternel construire des objets. Que ce soit pour le jardin, la maison, la pêche, les voisins, il trouve toujours du temps pour créer. Sa grande passion est la réalisation de maquettes de bateaux, d’avions, de voitures, des maquettes techniques pour comprendre le fonctionnement de certains navires. Dans son atelier, de nouvelles réalisations en cours parsèment son établi. Les petits outils pour lilliputiens qu’il possède encore aujourd’hui sont étonnants et adaptés à la réalisation de travaux minutieux. Toujours en recherche de matériaux se rapprochant de ceux réellement utilisés dans la marine, mon grand-père pousse au maximum 33 KUBIN (Alfred), « Souvenirs d’un pays à moitié oublié » in Le travail du dessinateur, Paris, Allia, 1999, p. 67
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le réalisme de ses maquettes. Il est à ce titre expert dans la réalisation de nœuds marins : nœud de chaise, nœud de cabestan, nœud d’arrêt, nœud de huit et nœud de petite ancre. L’utilisation de cordages est universelle et adaptable. Les cordages permettent de lier, d’accrocher entre eux des objets de même nature ou de nature différente ; ils permettent de tendre, de créer des mouvements de charnière et de transformer l’espace. Symboliquement, la réalisation de nœuds à l’aide de cordage est la projection même de création de liens, lien entre deux éléments, lien entre la matière et l’homme, lien entre les hommes par la transmission transgénérationnelle du savoirfaire. Le lien qui s’opère franchit les années. Ainsi, mon grand-père me transmet une technique apprise lorsqu’il était jeune homme et qu’il a fait progresser avec le temps. Il me livre son expertise pour que se transmette à travers moi sa propre connaissance et sa propre existence.
Lien de formation La transmission de connaissances est un acte de partage. Un acte qui crée un lien. Un lien entre un émetteur et un receveur, un sachant et un apprenant. Le lien pédagogique est historique et fait partie intégrante de l’évolution. C’est grâce à cette transmission que l’homme a su évoluer et s’adapter. Ainsi le lien de filiation s’opère lorsque je transmets mon savoir à ma fille et lorsque nous passons du temps ensemble. Lors d’un weekend avec Crystal, j’ai justement souhaité expérimenter avec elle la réalisation de nœuds sur certains arbres dans le jardin pour vérifier leur résistance. L’opération a été assez concluante avec la création d’une assise solide (type balancelle), mais malheureusement inconfortable. D’autres expériences suivront et nous nous perfectionnerons dans notre technique. L’important ici n’est pas forcément l’objet final, mais le cheminement effectué pour y arriver. Dans ces moments de complicité partagée, l’acte de créer agit comme un catalyseur, c’est un moment privilégié, nous sommes dans l’instant présent qui permet de nous retrouver, simplement. La magie de la transmission opère de nouveau.
Travail en suspension | 53 Toutefois, transmettre mes connaissances n’a jamais été pour moi une évidence. Cette notion est apparue à mes yeux pendant et après mes études d’Assistant concepteur paysagiste, où j’ai appris l’usage des logiciels de traitement de l’image. Ma connaissance des logiciels idoines était proportionnelle à ma curiosité et m’a valu l’endossement du rôle de formateur interne sur la suite Adobe dans ma société. Nous organisions de petites sessions avec quelques collaborateurs, afin de les initier ou de compléter leurs connaissances sur Photoshop et Illustrator. Je suis devenu un référent dans ce domaine, transmettant conseils et astuces. Avec le temps, suite à mes différentes évolutions de carrière, j’ai gardé en moi une volonté de transmettre. La transmission s’est effectuée à différents moments par l’encadrement de dessinateursprojeteurs et de stagiaires. Aujourd’hui, je pense pouvoir dire que je suis un bon pédagogue. Les qualités mises en avant sont la patience et l’adaptation vis-à-vis de l’apprenant. Au même titre que l'entraîneur avec son athlète, la formation permet donc de créer des liens, de partager ses connaissances et audelà, de pouvoir hiérarchiser activement sa pensée. Des connexions internes se sont formées dans les moments de rêverie suspendus dans le temps. Ce substrat fait germer des idées qui affluent de l’intérieur vers l’extérieur dans une poussée créatrice et produit finalement un élément déclencheur.
Zao WOU-KI Huile sur toile, 15 février 1993 162x152 Extrait du livre Zao Wou-Ki, éd. Cercle D’Art
3 La réception
« Un événement, c’est ce qui vient ; la venue de l’autre comme événement n’est un événement digne de ce nom, c’est-à-dire un événement irruptif, inaugural, singulier que dans la mesure où précisément on ne le voit pas venir. » Jacques DERRIDA, in Penser à ne pas voir, Essais Editions de la Différence, 2013
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3.1 | (se) Révéler
Des connexions ont eu lieu, un déclic se produit. Imperceptible, impalpable, une idée arrive dans un instant fugace. C’est le moment où le concept prend corps à l’extérieur. Après les étapes de rêverie et de mutations de pensées à partir de situations vécues, intervient l’instant où comme par magie une idée arrive, un concept prend forme. Nous l’avons Révéler : faire connaître à quelqu’un vu précédemment, les idées arrivent au fil quelque chose qui était ignoré, de l’eau, mais ne sont que des fragments, des inconnu, caché ou secret. concepts vagues et épars. Il est ici question Rendre manifeste, laisser d’un autre niveau. D’un stade plus élevé, qui apparaître clairement. arrive de plus loin de plus profond, caché D’après la définition du site : cnrtl.fr dans les méandres neuronaux. Dans son ouvrage Penser à ne pas voir 34, Jacques Derrida livre un recueil de ses différentes interventions pour suivre les concepts issus de la déconstruction, il détaille ainsi : « Un événement, c’est ce qui vient ; la venue de l’autre comme événement n’est un événement digne de ce nom, c’est-à-dire un événement irruptif, inaugural, singulier que dans la mesure où précisément on ne le voit pas venir.35 » Il parle de « l’autre » en tant que chose matérielle ou immatérielle. Cet autre peut être toute sorte d’événement naturel, artificiel ou conceptuel. Et c’est justement par cette singularité de l’irruption que l’on peut parler d’événement. Cet événement singulier peut être nommé de différente manière : hasard, magie, sérendipité. Pour ma part, je ne pense pas que les idées arrivent totalement par hasard, j'aborderai toutefois ce sujet plus loin. La magie quant à elle renvoie aux éléments inexpliqués et inexpli34 DERRIDA (Jacques), Penser à ne pas voir, Essais Editions de la Différence, 2013, 390 p 35 Ibid, p. 61.
La réception | 57 cables. Bien qu’utilisant le terme au sein de cette étude, je la définis en tant que prestidigitation d’une arrivée inattendue et subite. C’est surtout la sérendipité qui intéresse mon propos. Curieux mot, qui possède une définition et une histoire étonnantes.
Sérendipité La sérendipité est issue du terme anglophone « serendipity » créé par Horace Walpole 36 dans le but de décrire le talent de trois princes dans le conte Voyages et aventures des trois Princes de Serendip 37. Ce récit d’origine persane a traversé le temps. Il est inspiré de faits historiques transmis par les traditions orales de l’Inde et faisant référence aux contes des Mille et une nuits. En 1719 Louis de Mailly, traduisit un conte italien par- Au gré des parcours, des rencontres, des clics, lant de ce récit et fut repris plus tard par Mr. il m’arrive de m’égarer. La curiosité me pousse Walpole, en voici le résumé. « Afin de parfaire à chercher davantage d’éléments. Il m’est l’éducation de ses trois fils, Giafer, souverain arrivé de faire cette expérience à partir de de Serendip, les pousse à parcourir le monde. laquelle on découvre un procédé absolument Chemin faisant, les princes rencontrent un incroyable. Quelque chose que l’on cherchait chamelier, fort marri de la perte de l’une de depuis des années et sur lequel on peut enfin ses bêtes. Ils lui décrivent si bien l’animal que mettre un nom. le chamelier est convaincu d’avoir affaire à des voleurs. Les trois frères sont alors conduits devant le roi Behram, qui découvre leurs remarquables facultés d’observation et de déduction. Séduit par ces jeunes philosophes, le roi finit par leur confier toutes sortes de missions plus ou moins magiques ou galantes, mais toujours délicates...38 » Les définitions du mot évoluent avec le temps, selon les points de vue et les usages. La vraie sérendipité, est celle de la découverte accidentelle de quelque chose que l’on ne cherchait pas particulièrement,
36 Horace Walpole (1717-1797) – Homme politique, écrivain et esthète britannique
37 Serendip étant le nom donné au Sri Lanka autrefois. 38 Extait du résumé en ligne sur le site : editions-marchaisse.fr, consulté le 02-2017
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SĂŠrendipity shop Magasin inspirant et inspirĂŠ Photographie de Sylvain ORY, Bruges, juin 2017
La réception | 59 ou pas du tout. Philippe Quéau 39 en 1986, emploie une formule intéressante : « l’art de trouver ce que l’on ne cherchait pas, en cherchant ce que l’on ne trouve pas.40 » Il emploie ici le mot « art » en tant que notion technique. Autrement dit, s’il nous vient une idée forte sans l’avoir prévu, c’est bien qu’il y a eu dans notre tête des connexions qui se sont créées indépendamment de notre volonté, afin de faire advenir cette miraculeuse idée. D’autres citations témoignent de cette étonnante faculté : • « Rechercher quelque chose, trouver autre chose et réaliser que ce que vous avez trouvé convient mieux à vos besoins » de Lawrence Block • « Dans le champ de l’observation le hasard ne favorise que les esprits préparés » de Louis Pasteur • « Toutes les choses sont prêtes si nos esprits le sont » de William Shakespeare À ce propos, je vous livre une anecdote qui m’est arrivée en cherchant ce livre de conte. Me rendant à une bibliothèque de Montreuil afin de chercher quelques ouvrages intéressants pour mon sujet d’étude, je demande de l'aide à un bibliothécaire. Il me renseigne, discute pour cerner un peu le sujet et me dirige vers des écrits d’artistes. Je lui demande si par hasard, il aurait Voyages et aventures des trois Princes de Serendip de Louis de Mailly. Il s’interrompt soudainement, l’air étonné, un large sourire sur le visage. Il m’explique avoir lui-même réécrit l’histoire de ce conte en 2005 d’après une version pour enfants, qu'il a nommée Dix-huit chameaux dans la vie des Michel Gay, illustration issue du livre Dix-huit chafrères Sérendip. À cet instant, je me remé- meaux dans la vie des frères Sérendip. 39 Philippe Quéau (né en 1952) – Ingénieur diplomé de l’École Supérieure des Télécommunication 40 QUÉAU (Philippe) d’après la citation relevée sur le site : serendipite-strategique. com/
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more l’événement irruptif, inaugural, singulier de Derrida. Après cette euphorie passagère commune, il me montre un site internet sur lequel est encore présent ce conte 41. Depuis, nous l'avons lu à la maison avec ma fille. Elle connaît maintenant cette incroyable histoire et cette notion étonnante.
41 GEFFROY (Yannig), Les trois fils du chamelier, 2005, en ligne : krashwar.over-blog. com/article-748320.html
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3.2 | (s’) Interroger
Les exemples de découvertes liées au principe de sérendipité ne manquent pas : la pénicilline inventée par Alexander Fleming en 1928 en découvrant l’invasion de champignons dans ses boîtes de pétri, les rayons X inventés par Wilhelm Röntgen en 1895 et plus proche de nous James Dyson qui s’inspire d’un appareil cyclonique permettant l’aspiration des particules sur un bâtiment industriel de sa ville pour créer ses aspirateurs. D’autres Interroger : examiner avec attention pour exemples de sérendipité existent par l’inspira- trouver un enseignement, une réponse à une tion de la Nature. Le biomimétisme, démarche question que l’on se pose. qui consiste à s’inspirer du vivant pour trouver Se poser à soi-même une ou des applications techniques ou organisation- plusieurs questions. nelles. La Nature a évolué au fil des siècles, entre D’après la définition des sites : hasard et nécessité, inspirant l’humanité. Ainsi cnrtl.fr et larousse.fr les ailettes verticales (winglets) sur les avions, permettant d’accentuer leur performance, s'inspirent des ailes de l’aigle des steppes. On ne présente plus le velcro inventé par George de Mestral en 1941 qui lors d'une balade avec son chien remarque que des fruits de bardanes se sont accrochés sur ses poils. Certaines peintures intègrent l'aptitude super-hydrophobe inspirée des feuilles de lotus et
Extrait d’une vidéo personnelle sur l’effet perlant d’une feuille de lotus.
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découverte par Wilhelm Barthlott en 1976, dont le procédé permet de minimiser au maximum la surface de contact avec la goutte d'eau.
Au hasard Balthazar Au-delà de la sérendipité, certains parlent de hasard, d’autres d’erreurs. Ainsi, quelle ne fut pas la surprise de Mélies lorsqu’il découvrit le procédé de trucage quand, lors du tournage du film L’escamotage d’une Dame chez Robert-Houdin en 1896, la pellicule resta coincée dans la caméra 42. « En projetant la bande, ressoudée au point où s’était produite la rupture, je vis subitement un omnibus MadeleineBastille changé en corbillard et des hommes changés en femmes ! 43 » Le hasard peut être également provoqué. L’exemple d’Hokusaï est très parlant. Il participe à un concours au Japon et doit improviser une œuvre dont l’action se déroule sous les yeux du jury. « L’artiste reproduit une rivière, il enduit les pattes d’un coq de peinture rouge et le laisse courir sur la toile. Il expliquera que ces traces représentent des feuilles d’érable rouge descendant la rivière et gagnera ainsi le concours 44 ». Je me souviens d'une découverte fortuite lors de l'utilisation des premiers photocopieurs couleur durant un stage au Conseil départemental des Hauts-de-Seine. Souhaitant faire quelques photocopies d'un ouvrage sur le land art, je laisse poser mes mains sur la vitre pour plaquer correctement l'ouvrage. À cette époque, quatre passages de la tête de lecture sont nécessaires. Après une minute, le premier A3 sort. La photo est fidèlement reproduite, mais je découvre des formes aux couleurs vives en dehors du cadre du livre. Il s'agit de ma main qui a été scannée à chaque passage. Ayant légèrement bougé durant la photocopie, l'effet donné me rappelle alors des œuvres de Pop Art. S'ensuit 42 BUSSON (Caroline), Le hasard, Mémoire DSAA (master) Design Graphique de l’ESAAT Roubaix, 2014, p. 86. 43 D’après le site : odysseeducinema.fr/GeorgesMelies.php, consulté 03/2017 44 D’après
le
site
ommentfaiton.com/fiche/voir/39277/comment-connaitre-kat-
sushika-hokusai, consulté le 03-2017 et d’après BUSSON (Caroline), Le hasard, Mémoire DSAA (master) Design Graphique de l’ESAAT Roubaix, 2014, p. 86.
La réception | 63 une série de tests avec différents objets, en les laissant statiques ou en mouvement. Le scan d'une toupie a d'ailleurs été remarquable. Tous ces exemples montrent que si une erreur heureuse s'est produite, c'est bien que nous en ayons pris conscience, aussi il est nécessaire de posséder beaucoup de disponibilité pour se rendre compte de son potentiel.
La sagacité Les facultés à trouver les choses soit par sérendipité, par hasard ou par erreur sont intéressantes, mais ces instants fragiles doivent être captés par notre propre jugement. Nous devons être suffisamment réceptifs, ouverts et enclins à l’accueil. Pour cela, il faut laisser faire les choses, s’abandonner, ne pas chercher à décortiquer le concept fortuit, pas tout de suite. « Il est nécessaire de se laisser surprendre, accorder du temps à cette surprise 45 ». Le point commun de toutes ces notions est la sagacité, autrement dit : c'est l'action de pouvoir tirer les meilleures conclusions d'un l’événement singulier. Également appelé abduction, c’est le fait d’élaborer des hypothèses à partir de faits surprenants. Ce raisonnement par lequel on restreint dès le départ le nombre d’hypothèses susceptibles d’expliquer un phénomène donné. Charles Peirce, l’un des fondateurs du courant pragmatiste à la fin du XIXème siècle, donne une définition très équivoque : « l’abduction est le processus de l’imagination, un raisonnement qui permet de construire des hypothèses éventuelles à partir d’un ensemble de données qui ne sont a priori reliées en rien.46 » L’abduction suggère seulement que cela serait possible et qu'il existe 45 CATELLIN (Sylvie) est maître de conférences à l’université de Versailles SaintQuentin-en-Yvelines et chercheur au Centre d’Histoire Culturelle des Sociétés Contemporaines, La sérendipité ou l’art de la découverte, Conférence donnée dans le cadre de la sixième édition de l’Agora des Savoirs, Montpellier, 21-01-2015. 46 Article de Jean-Louis Swiners dans le blog d’Automates Intelligents en 2005, in GERY-FRIOUD (Caroline), Sérendipité, Mémoire de 3ème année DNAP Design Graphique - ESAD Amiens, 2014, p. 13
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Carrelage mosaĂŻque sur un piler de la gare du RER A Photographie de Sylvain ORY, La DĂŠfense, octobre 2016
La réception | 65 un véritable dialogue entre la raison et l’imagination. Il m’est arrivé de faire souvent l’expérience de sérendipité incluant cette notion de sagacité. Le RER A aux heures de pointe à la Défense est comparable à la visite d’une cathédrale moderne. Des icônes publicitaires sont exhibées, des œuvres d’art sont présentes à chaque bout de quai. De gros piliers massifs sont présents pour soutenir la masse de béton en surface. Je suis sur le quai à attendre l’arrivée du train. Mon esprit vagabonde, j’observe les gens, ma vision s’égare sur quelques décors désuets salis par le temps. Je m’arrête sur un détail. Détail qui entre en résonance en moi. Devant mes yeux se trouve une piste de recherche à explorer. Les piliers énormes et les murs porteurs sont recouverts d’un carrelage constitué de petits ronds émaillés. De loin, l’assemblage en quinconce me fait penser aux innombrables alvéoles d'une ruche. Quelques jours auparavant, j’avais en tête de développer une matière intelligente pouvant prendre n’importe quelle forme selon des plans techniques 3D définis. Le concept induit par cette révélation consistait en l’élaboration de petites billes ou plus exactement d’icosaèdres 47, intégrant des électroaimants et pouvant se déplacer, s’organiser de proche en proche de manière autonome. Chaque face a sa propre couleur. Un tel amas de ces petites billes peuvent s’organiser sous l’impulsion électrique apportée par un émetteur connecté à un ordinateur. Le courant servant à l’alimentation des électroaimants internes est également porteur d’une information incluant une carte 3D issue des plans techniques et représentant l’emplacement de chaque entité pour créer la forme souhaitée. Cela me rappelle également les billes en néodyme aimantées achetées pour ma fille, avec lesquelles il est possible de réaliser toute sorte de figures (voir photo en page précédente). Sylvie Catellin affirme que si l’on examine bien cette question de la sagacité et de la sérendipité, toute découverte serait sérendipitienne. Car on ne peut pas prévoir une découverte, mais être mis sur la piste de celle-ci. Cette notion est bien ancrée dans notre processus interne et permet de créer, en nous mettant sur la bonne voie. Par là même, l’être humain serait entièrement responsable de son talent. Nombre d’artistes, poètes, peintres, plasticiens ou musiciens, avouent avoir eu 47 L’icosaèdre est une forme géométrique 3D comportant 20 faces et douze sommets.
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Bille de nĂŠodyme Permettant la crĂŠation de nombreuses formes Photographie de Sylvain ORY, Montreuil, mars 2017
La réception | 67 affaire à cette force émanant d'une énergie créatrice dans leur pratique. Durant ce stade on constate que l’arrivée d’idées de manière fortuite, sérendipitienne ou arrivant par erreur, est la résultante des facteurs énoncés dans les chapitres précédents et doit, en toute logique être nourrie par les éléments externes qui nous arrivent. Actuellement, nous avons un nombre important d’outils nous aidant et permettant d’accéder à une grande masse d’informations : l’internet, la télévision, la radio et les livres. Tout est prétexte à se perdre. Il est toutefois indispensable de faire preuve de mansuétude afin de ne pas accorder trop d'importance à la dispersion.
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3.3 | (se) Libérer
La sérendipité va à l’encontre de l’esprit cartésien qui tente de tout rationaliser en cloisonnant chaque concept. Vu comme empirique ce processus lié à l’intuition, résonne avec un besoin de détachement, de légèreté, de liberté et d’ouverture de la conscience. « Un appel à la déprogrammation, qui s’oppose en particulier à l’innéisme, nous rappelant que nous avons encore tant de choses à apprendre et à découvrir.48 »
Sidération Libérer est donc un passage à l’acte, la suite de la révélation de l’idée, qui se traduit par une tension liée à l’excitation. Jacques Derrida parle d’un rapport de jouissance entre l’artiste et l’impulsion créée à l’outil. « Le rapport de jouissance – précédemLibérer : dégager, détacher quelque chose; ment évoqué – devant cette concentration, où mettre un mécanisme en position de cette crise trouve dans le dessin sa meilleure fonctionnement. Permettre à quelque chose de forme, c’est la jouissance, c’est l’extase. L’arse manifester, d’évoluer, de fonctionner tiste atteint alors une sorte d’acmé, d’instant sans gêne, sans contrainte. pointu, ponctuel, et la pointe du dessin tend D’après la définition du site : cnrtl.fr vers ça. En grec, l’instant se dit stigmê, c’est le point, la ponctualité du dessin, la ponctualité de l’instant qui est à la fois critique et extatique. Dès que la crise trouve sa bonne forme suspendue, c’est l’extase, la jouissance comme sortie hors de soi.49 » Le moment extatique est ce moment où tout bascule. D’un côté, l’idée est là, présente en soi et de l’autre c’est le prolongement de son 48 GERY-FRIOUD (Caroline), Sérendipité, Mémoire de 3ème année DNAP Design Graphique - ESAD Amiens, 2014, p. 14. 49 DERRIDA (Jacques), « » Extase, crise « » in Penser à ne pas voir, Essais Editions de la Différence, 2013, p. 216.
La réception | 69 esprit qui prend vie dans sa main et qui va laisser sortir dans un geste conscient ou inconscient la naissance du projet dans le monde réel. Que l’on soit artiste, créatif en art graphique, designer ou perchiste, ce moment est le basculement de l’irréel vers le réel. Après avoir mis ses idées au clair afin de tirer le meilleur parti de sa découverte ou de sa vision, l’artiste prend son outil et commence alors son œuvre. Dans son entretien avec Jacques Derrida, Valerio Adami décrit ce moment précis : « Un récit incorporé dans l’intelligible de la forme même. Tout est là, entre l’intelligible et le non intelligible – et la forme, ce précipité chimique, prend ainsi corps. Je commence à dessiner avec la tête vide. Bien sûr, il y a une épaisseur derrière le vide – l’expérience personnelle, la vie, la philosophie, la politique, l’art… J’appuie alors le crayon sur le papier, je fais un point et la main bouge : ce point devient donc ligne, cette ligne devient le profil d’une montagne… C’est un chemin vers l’émerveillement, la découverte, en rapport direct avec l’instinct et la mémoire – la mémoire instinctive. La main bouge parce que je parviens vraiment à me vider de tout, en lui laissant, à elle, la liberté. Liberté de soi, plutôt que liberté pour soi – il faut se débarrasser physiquement de tout désir.50 » Dans cet exemple, Adami semble utiliser une forme Adami Valerio (1935) Italie « d’écriture automatique ». Cette méthode Dessin au crayon, 35,5 x 47,3 cm consiste à laisser parler son inconscient et à lâcher prise. On comprend alors pourquoi il parle de liberté lorsque sa main bouge pour dessiner. Il ne se donne pas de contrainte, ou tout du moins pas de contrainte consciente. Il ajoute que derrière cet automatisme du dessin, il y a de la substance, c’est à dire de la connaissance assimilée puis digérée et qui lui permet justement de se détacher de sa conscience dans l’acte créatif. Ainsi lorsque l’artiste prend du recul sur ce qu’il vient de produire et qu’il « ouvre les yeux », il découvre alors ce qu’il a produit : une liberté de soi. Il m'arrive d'avoir cette sensation de liberté lorsque j'utilise une technique rodée pour la création de 50 Ibid, p. 208.
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Man RAY La soufflĂŠe, 1931 Rayogramme
La réception | 71 photomontage. J'utilise alors une tablette graphique. Le stylet parcourt librement la surface de la tablette. Le geste maîtrisé laisse place à une chorégraphie dont les traces subtiles naissent dans l'image pixellisée. Les cours donnés à l'école des Beaux arts de Paris enseignent une certaine rigueur. Des lignes de constructions sont d'abord créées tout comme la perspective, qui a besoin d'un cadre. Puis le sujet principal prend corps. Cependant, il arrive que ce principe soit contourné, le professeur invite alors les étudiants à débuter un dessin par la mise en place d'un détail. Un petit détail à partir duquel le reste du sujet prendra forme. On retrouve ici une similitude avec le processus d'Adami laissant place à une forme de liberté. Une certaine liberté d'exécution du dessin dans la transgression des règles imposées.
Surréalisme Le courant surréaliste illustre la notion de liberté ou plutôt de transgression des règles allant l’encontre des principes imposés jusqu’alors. L'utilisation des rêves, l’écriture automatique et l’inconscient font partie du processus. En effet, les surréalistes refusent de se soumettre aux codes dictés de l'époque. Le texte des Champs magnétiques 51 écrit par Philippe Soupault et André Breton propose un certain nombre de rituels, une méthode précise qui introduit la notion d'écriture automatique. « Au cours de nos recherches, nous avions constaté en effet que l'esprit dégagé de toutes les pressions critiques et des habitudes scolaires, offrait des images et non des propositions logiques 52. » L'expérience poétique de l'automatisme, qui est au cœur de ce texte fondateur, se poursuit à Max Ernst, L'avion meurtrier, 1920, Collage et travers l'échange créé entre le texte et l'image. crayon sur papier. 51 SPIES (Werner), « Du mot à l’image », La révolution surréaliste, Paris, Centre Pompidou, 2002, p. 17. 52 SOUPAULT (Philippe), Profils perdus, Paris, Mercure de France, 1963, p. 166, in « Du mot à l’image », La révolution surréaliste, Paris, Centre Pompidou, 2002, p. 17.
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Toutefois contrairement à l'écriture automatique, considérée à l'époque comme la véritable technique du surréalisme littéraire, la peinture ne possède pas cette immédiateté, puisqu'elle implique un temps pour la « réflexion technique et l'appel à la mémoire.53 » En effet, cet appel conduit à une censure. Les collages de Max Ernst exécuté en 1920 (voir en page précédente) apportent une réponse technique et iconographique à la spontanéité de l'approche automatique. Les images créées sont des photomontages absurdes évoquant la libre association mentale dans une rêverie dérangeante. La rapidité d'exécution permet dans un premier temps d'évacuer les inhibitions et de minimiser l'approche consciente pour favoriser l'inconscient dans le processus 54. Car d'après le Second manifeste du surréalisme de Breton, l'idée fondatrice est bien d'amener toute la force psychique dans « la descente vertigineuse en nous, l'illumination systématique des lieux cachés et l'obscurcissement progressif des autres lieux 55 ». Très tôt Man Ray met au point une technique appelée rayogramme, permettant de saisir justement cette immédiaMax Morise, Man Ray, Yves Tanguy, Joan Miró, teté par la mise en scène d'objets sur du papier Sans Titre, 1927, crayon et encre de chine photo exposé directement à la lumière (photo sur papier, 36 x 23 cm, © Successió Miró/ ADAGP, en page précédente). Paris. 53 SOUPAULT (Philippe), Profils perdus, Paris, Mercure de France, 1963, p. 166, in « Du mot à l’image », La révolution surréaliste, Paris, Centre Pompidou, 2002, p. 18. 54 SPIES (Werner), « Du mot à l’image » La révolution surréaliste, Paris, Centre Pompidou, 2002, p. 24.
55 BRETON (André) « Second manifeste du surréalisme » Manifestes du surréalisme, Paris Gallimard, coll. Idées, 1963, p. 92, in « L'œil à l'état sauvage », La révolution surréaliste, Paris, Centre Pompidou, 2002, p. 25.
La réception | 73 Les surréalistes s'intéressent également à la notion d'échange au sein de divers jeux, leur permettant de révéler certaines facettes de leur inconscient. Ainsi, ils organisent des déambulations urbaines où le hasard des chemins empruntés et des rencontres fortuites fait partie des règles, ils testent la technique du dessin successif, le jeu des questions et des réponses56 et bien sûr le cadavre exquis qui devient une sorte de médium idéal pour la création d'une œuvre à plusieurs mains. « L'expérimentation est au cœur de leur processus, ils comparent à ce titre leur méthode à une pratique scientifique en suivant des protocoles de laboratoires 57 ». Ainsi, ils arrivent à susciter l'étonnement lors d'expériences hasardeuses où la sérendipité intervient de toute évidence.
Jackson Pollock travaillant dans son studio sur une toile posée au sol et utilisant la technique du dripping. Photographie de Martha Holmes, The LIFE Premium Collection, Getty Images. 56 Jeu des questions et des réponses : quelqu'un est sommé de répondre avant que l'on ne lui pose la question, in SPIES (Werner), « La machinerie de l'amitié », La révolution surréaliste, Paris, Centre Pompidou, 2002, p. 27.
57 SPIES (Werner), « Une esthétique de la distance », La révolution surréaliste, Paris, Centre Pompidou, 2002, p. 28.
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Cy TWOMBLY Quattro stagionni : Estate, 1993-1995 Photographie de l’exposition au Centre Pompidou, 2017
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Retour à l'enfance Dans la continuité du mouvement surréaliste, on pourrait citer également Pollock, Newman ou Rothko qui se réapproprient certaines de leurs techniques et utilisent entre autre le « dripping » (mais sans le biomorphisme) utilisé par les surréalistes à la fin des années trente. Dans la même lignée quelques années plus tard, un autre artiste américain utilisera les principes érigés par ces prédécesseurs influencés par le surréalisme. L'œuvre de Cy Twombly se situe à l'émergence des formes et s'intéresse particulièrement à la naïveté des dessins d'enfants. Leurs gribouillis effectués dès le plus jeune âge avant tout apprentissage, reflètent la rencontre fortuite d'un crayon et du papier. Le geste est purement moteur. Il y a une totale liberté dans le mouvement. Mouvement qui est une promesse de libération des préceptes induits par l'éducation. Puis l'enfant découvre qu'il peut s'amuser à réaliser des formes plus complexes avec un meilleur contrôle de l'outil. Une partie des travaux de Cy Twombly est basée sur cette inspiration de liberté apportée par l'observation des dessins d'enfants. Il entre lui aussi dans un amusement où il teste différents matériaux pour réaliser ses toiles. Ainsi à l'aide de tracés à la cire blanche faite de boucles et de circonvolutions il retourne aux sources du dessin et de l'écriture.« Cy Twombly se meut avec aisance au cœur d’un monde très archaïque, toutes les civilisations ayant connu ces balbutiements du geste, du dessin, de l’écriture [ ... ] 58 ». La recherche de liberté d'expression dans la peinture et les arts est une quête permanente. Les quelques exemples cités précédemment montrent une recherche de déconnexion avec l'apprentissage passé du geste et de la forme. Cependant, comme le met en évidence Cy Twombly, les enfants sont à même de faire l'expérience du dessin libre de manière consciente. Pour rappel dans l'échange entre Jacques Derrida et Valerio Adami, il est question d'une consistance derrière le trait. Si la consistance du trait équivaut à des valeurs acquises durant les 58 Extrait du site florencedemeredieu.blogspot.fr/2017/, consulté le 03-2017
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Roland SIMOUNET Vue sur l'un des patios du musée de la préhistoire de Nemours Photographie Sylvain ORY, octobre 2013
La réception | 77 phases d'apprentissage, elles ressortent de manière inconsciente dans l'action. S'il n'est donc pas possible d'exprimer une totale liberté dans une œuvre, il sera cependant possible de faire advenir une forme de poésie.
Retour sur la poésie « [ L’image poétique ] devient un être nouveau de notre langage, elle nous exprime en nous faisant ce qu’elle exprime, autrement dit elle est à la fois un devenir d’expression et un devenir de notre être. Ici, l’expression créée de l’être 59 ». Nous avons vu dans la partie précédente « Le travail en suspension », que la poésie était une manière de prendre du recul sur les choses, de comprendre l'interaction entre les éléments externes et notre imagination en révélant l'essence même des choses. Ici, « l'Être » évoqué par Bachelard comprend cette essence de la matière et de son existence. La création de l'Être est donc bien synonyme d'une poésie transposée de notre propre existence à celle de la Nature. « La poésie est ce qui nous permet de faire émerger un sens personnel dans notre rapport au monde, à la fois par un dépassement de la nature des choses et une densité de significations possibles, superposées qui résonnent en même temps 60 ». À la différence de l'approche de Goldsworthy qui est d'exprimer la poésie grâce au cycle de la Nature, il est question ici de faire naître la poésie dans un projet. Selon Roland Simounet : « l’architecte est un technicien et non un poète. La poésie cela peut arriver après et vous avez réussi.61 » Un créatif n’est donc pas forcément un poète, mais sa création entre en relation avec son environnement proche et peut donner lieu à une rencontre entre l'œuvre et le spectateur. Autrement dit, il se crée une sorte de symbiose, un écosystème avec l’ensemble de ces éléments. Alors, si 59 BACHELARD (Gaston), La poétique de l’espace, Presses universitaires de France, 1957 (1961), p. 14 60 PRA (Benjamin), Processus de poétisation de la structure, Mémoire ENSAS, 2015, p. 9. 61 SIMOUNET (Roland), propos rapportés in PICON-LEFBVRE (Virginie) et SIMONNET (Cyril), Les architectes et la construction, Parenthèses, 2014, p. 128.
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nous mettons l'énergie nécessaire à faire un projet et que nous y mettons de notre « Être », l'expérience poétique peut survenir. Cela met en exergue une forme d'engagement avec l'usager, une invitation à partager la poésie créée. Le célèbre architecte Perter Zumthor dira à ce propos : « L’étincelle d’une construction réussie ne s’allume qu’entre la réalité des choses dont traite la construction et l’imagination.62 » Simounet propose dans son processus une notion fondamentale, chère aux paysagistes, c'est l'intégration du bâtiment dans le site. « Je crois qu’il faut d’une manière générale respecter le site. Ça ne veut pas dire qu’il faille s’effacer, mais tenir compte du relief, de la végétation, d’un certain nombre de choses parmi lesquelles le bâtiment doit prendre sa place. Et, quand l’ensemble est bien réussi, l’architecture
Aménagement des remparts de la commune de Denée (49) en vue de créer un parc urbain multifonctions (jardins à thèmes, parc de jeux pour enfants, théâtre de plein-air). Proposition d’une scénographie avec recherche des ambiances, intégration visuelle au sein du site, proposition de palettes végétales et recherche d'une ambiance lumineuse. Sylvain Ory pour Bouygues Énergies et Services, 2010. 62 ZUMTHOR (Perter), Penser l’architecture, Birkhauser, 2010, p. 36.
La réception | 79 apparaît dans toute sa vérité.63 » Toute construction réussie est une poésie réussie entre l'édifice réalisé et son environnement. Lors de la réalisation d'un projet, je m'attache également à gérer cette intégration au sein du site. C'est le propre du travail du paysagiste. Rechercher l'essence même du site et intégrer son projet de manière harmonieuse en trouvant une relation symbiotique entre l'objet rapporté et le contenant environnemental et qui ouvre un dialogue poétique. Pour résumer, la magie de la poésie opérante n'est autre que la part de liberté de soi qui transparaît dans l'œuvre créée. La dialectique entre nous et la Nature nous permet de mieux comprendre notre propre dessein et notre propre existence.
63 SIMOUNET (Roland), propos rapportés depuis le site musee-prehistoire-idf.fr, consulté le 03-2017.
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Conclusion
Le perchiste a atteint son objectif et regagne les vestiaires. Il gardera, pour un prochain saut, les réflexes acquis, stockés dans son inconscient. En tant que créatif j'effectue à ma façon un saut. Un saut dans la création. Comme l'athlète, mon processus créatif repose principalement sur le temps. Nourri par mes souvenirs, mes rituels et la contemplation, des images poétiques émergent en moi comme autant de photographies d'instants fugaces, d'ambiances, de textures et de concepts. Fort de cette moisson d'images glanées dans les villes, les campagnes et dans la Nature, je connecte toutes les données qui entrent en résonance dans mon inconscient. Lors des voyages hypnotiques au gré des ber- La rêverie appelle la poésie, cements d'un train, où le temps est suspendu, la poésie appelle la rêverie. le dormeur éveillé, le rêveur lucide que je suis, effectue un tri dans ses images mentales afin de proposer des concepts. Puis quelque chose prend corps, c'est l’impact des idées naissantes, un événement irruptif, inaugural et singulier. Cet instant laisse place à la sidération, le perchiste réalise le chemin accompli jusqu'à cet exploit. En tant que créatif, je prends mon crayon et je peux laisser place à ma liberté d'expression, une impulsion laissant surgir les traces de mon inconscient. Une poésie nouvelle apparaît entre la rencontre de l'oeuvre et de son public. Le processus décrit dans ce dossier a été éprouvé pendant sa rédaction. J'ai ainsi réalisé des relectures lors d'un aller / retour Paris - Provins et durant les trajets quotidiens sur la ligne La Défense - Saint Quentinen-Yvelines. Aujourd’hui je souhaite continuer à développer cette pratique. Mais je cherche également à intégrer davantage l’aspect ludique et la création avec d’autres personnes afin de partager l'exploit du saut dans la création.
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Bibliographie
Ouvrages • BACHELARD (Gaston), La poétique de l’espace, Paris : Les Presses universitaires de France, 3e édition, 1961, 215 p. Disponible sur https://gastonbachelard.org/ • BARBAUX (Sophie), Objets urbains - Vivre la ville autrement, ICI Interface, 2010, 320 p. • BUSSON (Caroline), Le hasard, Mémoire DSAA (master) Design Graphique de l’ESAAT Roubaix, 2014, 155 p. • BORY (Jean-François), Dix-huit chameaux dans la vie des frères Sérendip, Ecole Des Loisirs, Coll. « Mouche », 1997, 63 p. • CARPENTER (Edmund), Eskimo, University of Toronto Press; Première édition 1959, 223 p. • CHENG (Wing Fun) et C OLLET (Hervé), Ryokan pays natal – Haikus, Millemont, Moundarren, 2009, 109 p. • DERRIDA (Jacques), Penser à ne pas voir, Essais Editions de la Différence, 2013, 390 p. • GERY-FRIOUD (Caroline), Sérendipité, Mémoire de 3ème année DNAP Design Graphique - ESAD Amiens, 2014, 43 p. • GOLDSWORTHY (Andy), Pierres, Anthèse, 1994, 120 p. • HAMAIDE (Chantal), « Vélos à vue », Intramuros n°148, juin 2010, p. 38-41. • KUBIN (Alfred), Le travail du dessinateur, Paris, Allia, 1999, 142 p. • LAVERGNE, (René), Corno – budéus / Cabrioles, La Bugue, Ol Contou, 1967, 43 p. • MAILLY (Louis de), Les aventures des trois princes de Serendip suivi de Voyage en sérendipité, Thierry Marchaisse, 2013, 240 p. • MILLETRE (Béatrice), Petit guide à l’usage des gens intelligents qui ne se trouvent pas très doués, Payot, 2013, 189 p. • PASSERON (René), Pour une philosophie de la création, Mayenne : Klincksieck esthétique, 1989, 263 p. • PRA (Benjamin), Processus de poétisation de la structure, Mémoire ENSAS, 2015, 104 p.
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• PROUST (Marcel), À la recherche du temps perdu, Quarto Gallimard, 2006, 2408 p. • SPIES (Werner), La révolution surréaliste, Paris, Centre Pompidou, 2002, 448 p. • T. HALL (Edward), La dimension cachée, Points, 1978, 254 p. • YASUMOTO (Jun), Deux minutes de répit, Mémoire de fin d’étude Création industrielle – ENSCI les Ateliers, 2001, 73 p.
Films • IM (Kwon-taek), Ivre de femmes et de peintures, Pathé Distribution, 2002, 1h57min. • RIEDELSHEIMER (Thomas), Rivers and Tides – Andy Goldsworthy et l’œuvre du temps, Mediopolis Film et Fernsehproduktion GmbH, 2001, 90 min.
Bandes sonores • BACHELARD (Gaston), Nous sommes des dormeurs éveillés, des rêveurs lucides, première difusion 19 janvier 1954, France culture 05-06-2016, 40 min.
Internet • GEFFROY (Yannig), Les trois fils du chamelier, 2005, en ligne : http://krashwar.over-blog.com/article-748320.html • www.editions-marchaisse.fr • www.georgesnœl.org • www.odysseeducinema.fr/GeorgesMelies.php, consulté 03/2017
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Remerciements
Je remercie l'équipe pédagogique pour son soutien et particulièrement Caroline Bougourd et Armand Béhar qui m'ont aidé à faire ressortir de manière synthétique des notions clés de mon processus. Je remercie chaleureusement ma compagne Valérie Zaborski pour ses relectures, ses conseils avisés et son soutien. Merci également à ma fille Crystal qui a su faire preuve de compréhension pour son papa qui a été accaparé par son mémoire, pour avoir bien aidé dans la réalisation de noeuds et pour avoir été attentive aux lectures des Trois Frères Sérendip. Un grand merci à Caroline Gery-Frioud avec qui nous avons beaucoup échangé autour de son mémoire sur la Sérendipité. Merci à Yannig Geffroy de m'avoir transmis son récit sur l'histoire des frères Sérendip. Merci à Domitille Chaudieu, photographe qui a retrouvé une référence artistique in-extremis. Merci à l'équipe du centre de documentation de l'ENSCI pour les partages et conseils de lectures. Et enfin merci à l'ensemble de mes chers camarades de promomotion pour leur bienveillance.