I LA FORCE du CORPS en c POLYNESIE FRANCAISE
« Le corps »
est un sujet de préoccupation pour les Polynésiens. Bon nombre d’entre-eux veulent dépasser un corps « subi » pour en faire un corps « choisi ». Les transformations que tout individu entend provoquer sur son corps sont les marques d’une culture que chacun porte à sa façon. Même si les différences corporelles entre une vahine « tout en rondeur » et une vahine « sensuelle », entre un tane corpulent et un tane sculpté font florès, toutes ces caractéristiques corporelles ont un dénominateur commun : une appétence pour le développement de la force. Mais cette force se donne à voir de manière plurielle. Ce sont les caractéristiques de l’adaptation à une situation singulière qui forge sa nature. Ainsi dans un lot de situations où le corps est engagé dans la réalisation ou la production d’actions spécifiques, la force peut ser-
vir différentes activités corporelles comme l’expression par exemple. Nul besoin d’arguties pour déclarer que les danses polynésiennes offrent au corps la possibilité de révéler, d’exprimer des émotions, des sensations internes … La force se conjugue avec la grâce, la sensualité et la beauté physique. Il en va de même pour l’Orero ou le théâtre, le chant et la musique. Le corps en Polynésie traduit une « force expressive ». Outre cette force expressive, le corps en Polynésie entretient un rapport particulier avec la manipulation. Que ce soient les concours de coprah (Pa’aro ha’ari) ou ceux de lever de pierre (A mora’a ofai), tous deux expriment ce besoin manipulatoire du corps où l’explosivité, la puissance, la synchronisation ou encore la coordination s’avèrent indispensable pour réaliser des performances. Cette manipulation se retrouve aussi chez les jeunes générations dans les espaces de musculation afin d’y développer des corps désirés, enviés.
Le contexte aquatique jouant un rôle essentiel en Polynésie, le corps est sans arrêt mis en jeu pour les activités de déplacement. Le mythe de la pirogue en Polynésie est là pour nous le rappeler. Le rendement propre au trajet de l’embarcation exige du corps, une précision dans les postures, une orientation et un déplacement des rames efficaces, un ajustement temporel précis ou la
synchronisation et la coordination des actions sont les clés d’une communication réussie. L’attirance de la mer pousse aussi le corps polynésien à l’exploration sous-marine. Ses capacités respiratoires, sa souplesse naturelle, sa puissance musculaire lui permettent de longues périodes d’autonomie dans la découverte d’une faune et d’une flore luxuriantes.
Quand on aura également invité ce corps à dominer la vague « de la crête blanche » (Teahupoo), on aura perçu l’engouement de la jeunesse polynésienne pour les activités de glisse en général (la planche à voile, le paddle, le kite…) et du surf en particulier.
Cette communication corporelle se donne aussi à voir dans les espaces publics sportifs comme les terrains de volley-ball ou de football. La qualité et la puissance de cette communication corporelle se traduisent par des prestations collectives de très belle tenue. Mais le corps est aussi présent dans les courses utilitaires comme celles des porteurs de fruits (Timau ra’au) ou chez les grimpeurs aux cocotiers. Les notions d’équilibre, de prises, de transfert d’appuis conditionnent ces déplacements. Parler du corps en Polynésie c’est aussi nécessairement le placer dans les rôles sociaux, culturels, artistiques, qu’il remplit ou qu’il investit. Ainsi le corps co-opère dans un bon nombre d’activités physiques sportives, artistiques ou culturelles. Le corps est ici le vecteur de la générosité, de la gentillesse, de l’écoute de l’autre, du respect de l’autre, de la solidarité ou de l’empathie.
La pugnacité des corps en mouvement, dans des espaces organisés ou naturels, traduit, quant à elle, la force d’implication des Polynésiens pour transformer leur corps. La précision et la justesse des actions imposent à ce corps, contrôle, respect et ouverture. Le corps en Polynésie est un corps investi.
prenant les évolutions. Ce peuple voyageur fait preuve d’une inventivité permanente. Chacune de leur pratique « révèle comment les habitudes expriment les techniques du corps (comme M. MAUSS l’avait découvert) qui organisent les modes de vie et les relations avec autrui » (B. Andrieu / G. Boëtsch).
Il est enfin une dernière composante de l’activité humaine qui se révèle dans ce désir de se sentir mieux, dans cette fierté d’expression d’une culture, dans cette estime de soi : c’est cette façon de transformer les corps en réfléchissant, et en en com-
C’est par cette forme de pensée intégrée que les pratiques ancestrales trouvent leur expression dans des activités sans cesse renouvelées. Cette marque de respect, le corps entend la montrer, la rappeler, la vénérer. L’art du « Tatau » (tatouage) puise
ainsi son inventivité, sa créativité, ses motifs, ses techniques à la lisière du sacré et du symbolique. Le corps tatoué devient l’expression vivante « d’un vrai fil rouge patrimonial » qui s’inscrit sur l’espace et le temps, en Polynésie et bien au-delà. Cette immersion rapide au sein de la « vie corporelle polynésienne » marque ce détour nécessaire pour mieux la mettre en valeur et la servir. Au fil de ces lignes se sont révélés le sens des choix, la nature des activités corporelles, les caractéristiques d’un contexte facilitant, ainsi que le statut des acteurs.
C’est en prenant appui sur ces apports éclairants que L’ECOLE se doit d’engager une véritable éducation corporelle afin que les enfants polynésiens comme les autres, soient les acteurs pleinement bénéficiaires de cette culture évolutive. Cette éducation corporelle doit s’appuyer sur une matrice « incarnée » qui précise les finalités d’une telle éducation, les objectifs, les contenus de l’enseignement avec les compétences et les connaissances d’un socle de culture.
On l’aura compris, l’Education corporelle en Polynésie emprunte à l’universalité de la corporéité et de la motricité, les principes et les connaissances du développement de l’individu mais doit aussi faire appel à la singularité de ses contextes pour que les apprentissages tirent leur valeur, leur sens, et leurs contenus, de ce qui au départ fut lié aux contraintes de l’environnement, et offrent ainsi à l’élève les conditions d’une citoyenneté pleine, corps et esprit, en acte. C’est ce projet humaniste que tend à traduire cet essai « corporel ». Claude Volant, IPR EPS