Marc Debène la charte de l'éducation de Polynésie française

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La Charte de l’Education de la Polynésie française

1-« L’éducation est la priorité du Pays » affirme l’article 1er de la « loi du pays » n° 2011-22 du 29 août 2011 approuvant la Charte de l’éducation qui s’ouvre par la même formule. Son but est de mobiliser la communauté éducative, l’ensemble des acteurs et des partenaires de l’Ecole, et au delà la société toute entière pour assurer « la réussite de tous les élèves » à laquelle l’Ecole doit apporter le savoir (les connaissances), le savoir faire (les compétences) et le savoir être (respect de soi, des autres et de l’environnement) en tenant compte des caractéristiques du pays et des intérêts propres de sa population. 2- L’idée de Charte est souvent utilisée pour souligner l’importance d’un texte et des valeurs qu’il porte tant sur le plan international (Charte des Nations-unies de 1945) ou constitutionnel (Charte des droits et libertés du Canada), le mot charte pouvant alors être synonyme de Constitution. Dans l’ordre administratif, la formule peut être reprise comme outil de mobilisation. Récemment, le ministre de l’éducation nationale a présenté, en annexe d’une circulaire, une Charte de la laïcité soulignant l’importance de cette valeur de la République et constituant un rappel à la loi. En Polynésie, le mot a été choisi dès 1992 avec l’adoption d’une première Charte de l’Education soulignant les principes et objectifs fondamentaux de l’éducation. 3- Conçue pour une décennie, la Charte de l’éducation de 2012, devait faire l’objet d’un bilan. Une première réflexion eut lieu au début des années 2000, débouchant en 2003 sur une série de décisions ouvrant de nouvelles perspectives d’action. Un séminaire pour une nouvelle charte de l’éducation fut organisé en 2005 soulignant les points forts et points faibles du système, débouchant sur des propositions « pour notre école » (améliorer les conditions de la scolarité, promouvoir la réussite de tous, dynamiser l’école, s’adapter davantage aux réalités locales, améliorer la formation des personnels). Un rapport de l’Inspection générale de l’éducation nationale de 2007 relevant la faiblesse des résultats scolaires (scores inférieurs à ceux des élèves des zones d’éducation prioritaire de métropole en français comme en mathématiques)

et

les

difficultés

récurrentes

(absentéisme,

décrochage

scolaire,

redoublement, retard scolaire) permit d’approfondir le diagnostic. Sur cette base, le ministre de l’éducation de la Polynésie française Jean-Marius Rapoto réunit un comité de rédaction de la charte qui insiste sur la dimension pilotage. Le document ainsi mis au point est présenté en

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mai 2011 au Conseil supérieur de l’éducation par le ministre Moana Greig. Le gouvernement soumet le projet de « loi du pays » au Haut conseil de la Polynésie française puis au Conseil économique, social et culturel avant qu’il ne soit débattu et adopté par l’Assemblée de Polynésie française. 3- La « loi du pays » est courte ; elle contient dix articles. En annexe, la Charte de l’éducation est présentée par un préambule. La première partie rappelle les finalités de l’éducation en Polynésie française. La deuxième partie affiche les objectifs et les principes généraux qu’elle regroupe en trois rubriques mobilisatrices : une Ecole pour tous ; une Ecole performante ; une Ecole ouverte. La Troisième partie est consacrée au pilotage de l’école, soulignant notamment l’importance de la démarche de performance pour assurer la qualité, l’efficacité et l’efficience (par l’optimisation des moyens) du service public de l’enseignement en Polynésie française). 4- La Charte de l’éducation de 2011 a été publiée. Encore faut-il s’assurer qu’elle a bien été diffusée et en souligner l’importance pour que chacun puisse se l’approprier. C’est en effet un texte fondamental, expression de l’autonomie dans la République (I), expression des valeurs que portent les principes et les objectifs de l’Ecole (II) conçue comme un instrument de pilotage (III) et un outil de mobilisation (IV). Elle doit être considérée comme un document vivant, reflet d’un chantier permanent. I-

La Charte de l’Education, expression de l’autonomie dans la République

La Polynésie française dispose depuis 1977 de la compétence de principe qui donne à ses autorités le pouvoir de prendre des décisions dans toutes les affaires à l’exception de celles attribuées expressément à l’Etat et aux communes. La loi organique du 27 février 2004 relative au statut d’autonomie de la Polynésie française réservant à l’Etat l’enseignement universitaire et la délivrance des diplômes nationaux (notamment le brevet et le baccalauréat), la collectivité d’outre mer, encore appelée le pays, est responsable de l’enseignement scolaire qu’il s’agisse du premier degré (assuré dans les écoles mises en place par les communes), du second degré ou des classes supérieures au baccalauréat (organisés dans les collèges et lycées qui sont des établissements publics territoriaux d’enseignement). L’Etat assure en outre le financement de l’enseignement en rémunérant les professeurs des écoles (mis à la disposition du pays) et les professeurs des collèges et lycées (détachés auprès la Polynésie) et d’autres personnels, comme les membres des corps d’inspection ou les personnels de direction. Cette répartition des missions entre l’Etat (vice-recteur) et la Polynésie française (ministre de 2


l’éducation) impose un travail en commun qui peut être encadré par des conventions (art.170 de la loi statutaire pour l’enseignement secondaire). L’autonomie de la Polynésie française est organisée dans le cadre de la République. Si l’Assemblée de Polynésie française peut fixer les règles concernant les principes fondamentaux de l’enseignement, elle doit le faire dans le respect des valeurs de la République telles qu’elles sont exprimées par la Constitution (liberté, égalité, fraternité ; laïcité, gratuité de l’enseignement) ou par « les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » selon la formule introduite dans le préambule de la Constitution de 1946 pour viser la liberté de l’enseignement. A noter que si les lois votées par le Parlement qui portent sur l’enseignement ne sont pas en principe applicables en Polynésie française, elles ont pu être considérées comme une source d’inspiration. Ainsi, la Charte de l’éducation de 1992 a repris la thématique principale de la loi d’orientation de 1989 en plaçant l’élève au centre du système éducatif ; de même, la Charte de l’éducation de 2011 a repris l’idée centrale de la loi d’orientation et de programmation de 2005 sur l’avenir de l’école selon laquelle l’objectif de l’école est la réussite de tous les élèves et en reprenant la notion de socle commun de connaissances et de compétences conçu comme une garantie du droit à l’éducation ; enfin, nul ne doute que la loi du 8 juillet 2013 de refondation de l’Ecole de la République inspirera l’action éducatrice polynésienne en reprenant les avancées qu’elle constitue pour une « école inclusive », luttant contre l’illettrisme et l’innumérisme, mobilisant les ressources numériques, donnant la priorité à l’école primaire et refondant la formation des maîtres. Comme tous les autres territoires éducatifs, qu’il s’agisse des académies de métropole et d’outre mer ou des collectivités autonomes, notamment la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française doit prendre en compte les particularités locales (les difficultés rencontrées comme les atouts)

qui imposent tant un diagnostic adapté qu’une réflexion autonome sur les

orientations. La Charte de l’éducation souligne les questions posées par l’isolement géographique, et fixe des orientations pour les transports, l’organisation des internats ou l’enseignement à distance ; de même son plaidoyer pour une école ouverte insiste sur les relations internationales, notamment dans la zone Pacifique. La volonté de s’adapter aux réalités polynésiennes devrait fonder une politique ambitieuse tant pour les programmes que pour les rythmes scolaires. L’autonomie spécifique dont la Polynésie française dispose lui permet d’aller plus loin en prenant en considération ses « intérêts propres » (article 74 de la

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Constitution). Ainsi la loi statutaire donne une place privilégiée aux langues polynésiennes, fondant les propositions de la Charte pour le développement de leur enseignement dans le cadre d’une stratégie plurilingue. II-

La Charte de l’éducation, normes et objectifs.

Après avoir présenté les finalités de l’éducation, la Charte de l’éducation met en lumière les objectifs et les principes généraux. Si les premiers sont autant de buts à atteindre, les seconds sont souvent des normes, des règles générales dont le respect s’impose à tous. Certaines sont spécifiques à la Polynésie ; ainsi, l’instruction est ici obligatoire non pas à partir de 6 ans mais de 5 ans ; logiquement, la règle relève de la loi du pays (art. LP 2, Loi du pays 2011-22).. Mais, de nombreux passages de la Charte peuvent s’analyser comme un rappel de la loi ; il en est ainsi pour les affirmations concernant les droits et les obligations des parents comme de ceux des élèves qui doivent d’ailleurs être précisés par le règlement intérieur de l’école ou de l’établissement ; on peut aussi citer les règles concernant l’orientation. Mais souvent, l’application de la norme juridique impose qu’elle soit accompagnée d’actions concrètes auxquelles il est nécessaire de donner un sens en précisant les objectifs. Certains sont très généraux et peuvent être rangés au rang des orientations ou des finalités. Tel est le cas de « la réussite de tous les élèves», objectif national fixé par la loi de la République, objectif local mis en exergue par la Charte de l’éducation qui

accompagne cet objectif stratégique par une

série d’objectifs

opérationnels, plus concrets, comme l’acquisition du socle des connaissances et des compétences ou la valorisation des langues polynésiennes. La loi d’orientation de 1989, reprise sur ce plan en 2005, avait introduit un autre objectif stratégique : élever le niveau de qualification, ce qui devait se traduire par deux objectifs chiffrés : 100% d’une classe d’âge au niveau V (CAP, BEP) ; 80% au niveau IV (baccalauréat). La Charte de 1992, tenant compte des données locales, avait repris le premier mais avait limité l’ambition du second en s’en tenant à 50%. L’évolution des effectifs comme les besoins du pays ont justifié la révision de cette exigence portée à 70% par la Charte de 2011. III-

la Charte de l’éducation, instrument de pilotage.

Pour permettre au système éducatif polynésien d’atteindre les objectifs retenus, la Charte de l’éducation a retenu une démarche de pilotage par les résultats, une logique de

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performance reposant sur des concepts et des outils proches de ceux qui ont été introduits pour le budget de l’Etat par la loi organique relative aux lois de finances de 2001 (LOLF). La Charte de l’éducation est accompagnée d’un projet éducatif quadriennal qui la met en œuvre, un plan d’actions pluriannuel permettant d’assurer la continuité des efforts dans le cadre de la programmation budgétaire dont le rythme est annuel. La démarche repose sur la définition d’objectifs opérationnels, déterminés en fonction du diagnostic réalisé à partir des résultats scolaires, accompagnés d’indicateurs pertinents pour mesurer la performance du système éducatif, pour évaluer ses actions. Loin de rechercher à sanctionner ceux qui n’auraient pas atteint la cible, l’évaluation doit permettre de mettre en lumière les réussites (en diffusant à leur suite les bonnes pratiques) et à rechercher les raisons des échecs (l’objectif avait-il été mal conçu ? les indicateurs sont-ils bien pertinents ? les moyens étaient-ils adaptés ? un suivi efficace a-t-il été réalisé ?). La démarche a un caractère récurrent permettant régulièrement d’ajuster les objectifs et d’adapter les dispositifs. IV-

la Charte de l’éducation, outil de mobilisation.

La Charte de l’éducation est un point de départ. La mobilisation de la communauté éducative, des acteurs et partenaires de l’Ecole impose qu’elle soit déclinée. Par les services de l’éducation qui doivent notamment adopter les outils précités (projet éducatif quadriennal, plan pluriannuel, programmation annuelle) les mettant en place après la concertation nécessaire, notamment dans le cadre des instances consultatives présentées par la Charte (haut comité de l’éducation, Conseil général des élèves et étudiants). A noter que le ministre doit veiller à ce que les textes nécessaires (lois du pays, délibérations, arrêtés) soient pris pour assurer la qualité des décisions. C’est sur cette base que la Polynésie française devrait pouvoir négocier avec l’Etat non plus pour délimiter le rôle de chacun mais pour dresser ensemble un diagnostic partagé et s’entendre sur les objectifs et sur les voies et moyens de les atteindre. La convention administrative deviendrait alors un contrat d’objectifs. La Charte de l’éducation doit impérativement être présentée et débattue dans les écoles, les collèges et les lycées. Le projet d’établissement doit en effet reprendre la démarche : un diagnostic partagé, devant être la base d’un questionnement sur la meilleure manière

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d’atteindre les objectifs éducatifs en tenant compte des faiblesses et des atouts des élèves. Il est alors indispensable que les professeurs puissent s’approprier la démarche, notamment dans le cadre de leur formation, initiale puis continue. La Charte de l’éducation n’est pas seulement un document. C’est une problématique, un chantier jamais achevé. Les documents qui l’accompagnent permettent aux acteurs du système de s’adapter. De nouvelles demandes peuvent lui être adressées. Tel est le cas quand, au niveau national, les objectifs sont complétés. Ainsi, la loi du 8 juillet 2013 qui précise que le socle commun des connaissances et des compétences est aussi culturel, ouvre à la Polynésie française devrait ouvrir des perspectives pour de nouvelles actions au profit de la réussite de tous les élèves.

Marc DEBENE

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