Après - Eric Baudelaire - Centre Pompidou

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Du 6 au 18 septembre 2017 Centre Pompidou—Galerie 3 Un projet d’Eric Baudelaire

September 6 to 18, 2017 Centre Pompidou—Gallery 3 A project by Eric Baudelaire

Après est un projet sur le temps présent. Un temps ressenti comme un enchevêtrement constant d’après : après l’événement, après la catastrophe, après le bouleversement des certitudes. Un enchevêtrement qui conditionne l’espace de la pensée, un temps dominé par les impératifs de l’urgence. Après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis, j’ai ressenti l’urgence de chercher une forme pour penser ce qui était en train de se dérouler. Le premier ministre avait déclaré : « il ne peut y avoir aucune explication qui vaille. Car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser. » Le philosophe Alain Badiou avait répondu : « La déclaration de l’impensable c’est toujours une défaite de la pensée, et la défaite de la pensée c’est toujours la victoire précisément des comportements irrationnels, et criminels. » Il y a, il y a toujours eu urgence à interroger l’embrasement des violences et des contreviolences. Mais interroger les violences, ce n’est pas les expliquer, c’est nous interroger nousmêmes face à elles. J’ai abandonné les outils que je maniais auparavant, ceux des sciences politiques, parce qu’ils ne me permettaient plus de restituer ce que je discernais du monde. Je cherche, depuis, un principe de travail qui admette que l’on se sente perdu face à l’indicible, en sachant que l’indicible doit pourtant avoir ses raisons.

Après [after] is a project about the present time. A time experienced as a constant entanglement of afters: after the event, after the disaster, after the upheaval of certainties. An entanglement that conditions our thoughts, a time that is dominated by the imperatives of urgency. After the attacks of 13 November 2015 in Paris and Saint-Denis, I felt it was urgent to find a form to reflect on what was occurring. The French prime minister had stated, “there can be no meaningful explanation. To explain is akin to wanting to find excuses.” The philosopher Alain Badiou replied, “The declaration of the unthinkable is always a defeat of thought, and the defeat of thought is always a victory, precisely, of irrational and criminal behaviour.” There is, and always has been, an urgent need to question spirals of violence and counterviolence. But questioning violence does not mean explaining it, it means questioning ourselves in the face of it. I left behind the tools I was used to handling—those of political science—because they no longer helped me render what I perceived of the world. I have since sought a working principle that accepts being at a loss in the face of the unspeakable, while acknowledging that the unspeakable must have its reasons. I began working on Also Known As Jihadi, the starting point of this exhibition, with the idea of

après


J’ai commencé à travailler sur le film Also Known As Jihadi, point de départ de cette expo­sition, avec l’idée de faire le portrait d’un jeune Français qui a choisi de partir en Syrie. C’est un film qui ne donne pas à voir un personnage mais qui tente de tracer son cheminement par l’auscultation quasi-méthodique des lieux dans lesquels il a vécu et des paysages qu’il a traversés. La clinique où il est né à Vitry, les ensembles où il a grandi, son lycée, l’université, le travail, et puis l’envol pour l’Égypte, la Turquie et finalement la route d’Alep, où il a rejoint le Front al-Nosra en 2012. C’est un film sans paroles. Un film où les mots sont donnés à lire, où les mots font image. Ils sont extraits du dossier judiciaire impliquant le protagoniste : procès verbaux d’interrogatoires de police, écoutes téléphoniques, filatures, perquisitions. La rencontre de ces mots-images avec les paysages visuels et sonores crée un espace dans lequel le personnage n’est plus singulier. Il pourrait être un autre. Il pourrait être soi-même. Il ne s’agit pas de déceler de vérité, il n’y en a pas dans cette histoire. Il s’agit plutôt de poser un cadre. Un cadre dans lequel s’exprime, pour reprendre les mots de Pierre Zaoui, « une sorte de volonté constamment double, volonté de comprendre et de ne pas comprendre, volonté de comprendre ce que l’on ne comprend pas et volonté de ne pas comprendre ce que l’on craint de comprendre trop bien. Ce qu’on pourrait écrire : volonté de (ne pas) comprendre, en son triple sens de voir, entendre et partager. » Cette volonté, ce principe de travail, m’ont mené à vouloir montrer le film au sein d’un projet plus large. Interroger les événements qui nous inquiètent non pas en tant que journalistes, politologues ou spécialistes, mais dans un rapport à l’art. Chercher dans les réserves du Centre Pompidou des œuvres et des documents qui dialoguent avec le film, et les présenter au sein d’un programme d’événements et de discussions quotidiens. Ce journal est la partition du projet. Il est organisé, comme l’exposition, selon un principe d’abécédaire incomplet, arbitraire et intuitif : A pour Architecture, C pour Commémorer, H pour Hyp­nose, R pour Rendre des comptes, T pour le Temps presse… Douze lettres qui ont instruit les discussions avec Marcella Lista, commissaire de cette exposition, lorsque nous avons choisi des œuvres, initié des invitations, et rédigé des textes. Douze jours pour penser ensemble le rapport entre art et actualité, entre image et événement. L’urgence évoquée ici s’inscrit dans un temps long. Les certitudes qui me permettaient, avant, d’imaginer un horizon meilleur

drawing the portrait of a young Frenchman who chose to go to Syria. The film does not show a character. It tries instead to trace his story through a quasi-methodical auscultation of the places where he lived, the landscapes he inhabited—the clinic where he was born in Vitry, the housing estates he grew up in, his high school and university, his workplaces. And then, the flight to Egypt, Turkey, and finally the road to Aleppo, where he joined the al-Nusra Front in 2012. It is a film without words. Or rather, a film where the words are read on screen, where words become images. They are excerpts from the protagonist’s judicial file: transcripts of police interrogations, wiretaps, surveillance reports and search warrants. The encounter of these words-as-images with the visual and sound landscapes of the film creates a space in which the character is no longer singular. He could be another. He could be oneself. It is not about finding truth: there is none in this story. Rather, it is a matter of establishing a framework. A framework to express, in the words of Pierre Zaoui, “a kind of ever-divided desire: the desire to understand and to not understand, the desire to understand what we do not understand and the desire not to understand what we are afraid of understanding all too well. Or it could be written: the desire (not) to understand, in its threefold sense—to see, to hear, and to share.” This desire, this working principle, led me to want to show the film within a broader project, one that would allow us to examine the events that trouble us not as journalists, political scientists or specialists, but in relation to art. To experience other works and documents drawn from the Pompidou collection that interact with the film, and present them as part of a programme of daily events and discussions. This journal is the score of the project. It is organised, like the exhibition, around an incomplete, arbitrary and intuitive list of words and corresponding letters: A for Architecture, C for Commemoration, H for Hypnosis, R for Reckoning, T for running out of Time... Twelve words that guided my discussions with Marcella Lista, curator of this exhibition, as we selected works, drew up invitations, and drafted texts. Twelve days to reflect on the relationship between art and actuality, between images and events. The urgency evoked here has settled in, we will face its duration. The certainties that allowed me, before, to envision a brighter horizon have deteriorated along the way. The solutions proposed today are usually driven by haste and short-term considerations. So we must rethink duration.


se sont abîmées en chemin, et les solutions proposées aujourd’hui sont le plus souvent celles de la précipitation et du court terme. Alors il faut repenser la durée. Chercher, du côté de l’histoire de l’art, des formes critiques et des idées. Le temps presse d’envisager le temps autrement.

We must seek, within the history of art, critical forms and ideas. Time is pressing to consider time differently. Eric Baudelaire

Eric Baudelaire

Du 6 au 18 septembre 2017 Also Known As Jihadi, d’Eric Baudelaire 2017, 101 min Séance chaque jour à 11 h, 13 h, 15 h et 17 h

Mercredi 6 septembre, 19 h A pour Architecture Échange entre Patrick Bouchain, architecte, Salika Amara, auteure et militante associative, et Eric Baudelaire, modéré par Xavier Wrona, architecte. Jeudi 7 septembre, 19 h C pour Commémorer La Bombe, de Peter Watkins, 1965, 48 min. Vendredi 8 septembre, 19 h E pour École Discussion avec trois enseignants : Philippe Mangeot, Laurence de Cock et Anne Tristan, et des élèves de la région parisienne.

Samedi 9 septembre, 19 h F pour Fûkeiron, la théorie du paysage AKA Serial Killer, de Masao Adachi, 1969, 86 min ( japonais, sous-titré en anglais). Projection suivie d’une discussion avec Claire Atherton, monteuse, Nicole Brenez, historienne et théoricienne du cinéma, et Eric Baudelaire. Dimanche 10 septembre, 19 h H pour Hypnose Discussion avec Zohra Harrach-Ndiaye, juriste et directrice de services, Sauvegarde de Seine-St-Denis, Camilo Ramirez, psychanalyste, et Catherine Perret, philosophe, modérée par Ariane Chottin, psychanalyste. Lundi 11 septembre, 19 h J pour Justice Plaidoirie à charge par un procureur et plaidoirie à décharge par Negar Haeri, avocate. Rapport d’enquête par Zineb Dryef, journaliste. Discussion sur les enjeux de justice animée par Antoine Garapon, magistrat. Mercredi 13 septembre, 19 h L pour artistes en Lutte Conversation avec Jon Hendricks, membre fondateur du GAAG (Guerrilla Art Action Group).

Jeudi 14 septembre, 19 h M pour Mouvement-image Mohamed Salah Azzouzi (Collectif Mohamed), cinéaste et militant, en conversation avec Olivier Marboeuf, auteur, critique et commissaire. Vendredi 15 septembre O pour Ô mon pays ! Deux spectacles du Théâtre Pôle Nord : Chantal dans les étoiles à 14 h, et Sandrine à 19 h. Samedi 16 septembre, 19 h P pour Présent / Passé Reprise, de Hervé Le Roux, 1997, 185 min. Dimanche 17 septembre, 19 h R pour Rendre des comptes The Emperor’s Naked Army Marches On, de Kazuo Hara, 1987, 122 min (en japonais, sous-titré en anglais). Projection suivie d’une conversation avec Eric Baudelaire, Marcella Lista et Hyeseon Jeong. Lundi 18 septembre, 19 h T pour le Temps presse Discussion avec Pierre Zaoui, Hala Abdallah, Salam Kawakibi et Véronique Nahoum-Grappe, du Comité Syrie–Europe.



Du 6 au 18 septembre 2017 Also Known As Jihadi d’Eric Baudelaire Séance chaque jour à 11 h, 13 h, 15 h et 17 h

September 6 to 18, 2017 Also Known As Jihadi by Eric Baudelaire Screening each day at 11 am, 1 pm, 3 pm and 5 pm

L’histoire possible d’un homme, Aziz, racontée à travers les paysages qu’il a traversés : la clinique où il est né à Vitry, les quartiers où il a grandi, son lycée, l’université, le travail, et puis l’envol pour l’Égypte, la Turquie et finalement la route d’Alep, où il a rejoint le Front al-Nosra, en 2012. Un trajet jalonné par une seconde strate de récit, portée par des extraits d’une archive judiciaire : interrogatoires de police, écoutes téléphoniques, filatures… Des documents, comme les pages d’un scénario, qui se mêlent aux images et aux sons, pour composer un film qui porte moins sur un sujet singulier, Aziz, que sur le paysage architectural, politique, social et judiciaire dans lequel son histoire s’est déroulée. Eric Baudelaire, Also Known As Jihadi, 2017, couleur, français sous-titré anglais, 101 min.

The possible story of a man, Aziz, told through the landscapes he traversed: the clinic where he was born in the Parisian suburb of Vitry, the neighbourhoods he grew up in, his schools, university and workplaces. Then, his departure to Egypt, Turkey and the road to Aleppo where he joined the ranks of the al-Nusra Front in 2012. A journey tracked by a second storyline, made of extracts from judicial records: police interrogations, wiretaps, surveillance reports... Documents, like pages from a script, intertwined with images and sounds to compose a film that pertains less to a singular character, Aziz, than to the architectural, political, social and judicial landscapes in which his story unfolds. Eric Baudelaire, Also Known As Jihadi, 2017, colour, French, English subs, 101 min.




Le film Also Known As Jihadi s’ouvre sur un panorama du Val-de-Marne. On y discerne plusieurs strates de bâti : les cheminées des sites industriels, les pavillons d’une banlieue ouvrière, et les barres des grands ensembles. L’abécédaire d’Après débute avec la lettre A pour Architecture, il ouvre sur la réalité de cette périphérie. Cette nouvelle forme de ville, inspirée des préceptes de l’urbanisme moderniste, a été promue dans l’après Seconde Guerre mondiale. Progrès social considérable que cette fin provisoire des bidonvilles, comme en témoignent de nombreuses images documentaires des années 1960. Envi­­ron­ne­ ment rapidement aliéné et aliénant, que les politiques publiques peinent à réin­venter depuis plusieurs décennies.

The film Also Known As Jihadi opens with a panorama of Val-de-Marne. We see several layers of construction: the chimneys of industrial sites, the houses of a working-class suburb, and rows of high-rise housing estates. Après [after] begins with the letter A for Archi­tecture, opening the exhibition with the reality of this urban periphery. A new type of city plan, inspired by the principles of modernism, was promoted after the Second World War. Numerous documentary images from the sixties show how this temporary solution to shantytowns was seen to represent consider­ able social progress. But these same urban landscapes rapidly became an alienated and alienating environment, which public policy has been trying to reinvent for several decades.

A pour Architecture A for Architecture

L’utopie annoncée par la vision moderniste a cédé la place à un réel dystopique dans les banlieues. Une histoire complexe qui ne saurait se résumer à des questions d’architecture — à moins d’étendre le sens du terme à tout un système politique, comme l’a fait George Bataille. Quelques étapes de cette histoire nous paraissent importantes pour envisager d’autres futurs.

The utopia of the modernist vision has given way to the dystopian reality of the banlieue. This complex history cannot be reduced strictly to issues of architecture—unless we expand the meaning of the term to an entire political system, as Georges Bataille did. A few stages in this history seem particularly relevant if we are to envision alternative futures.

Œuvres exposées

Exhibited works

En 1922, l’architecte Le Corbusier décrit la « crise intense » qui traverse selon lui les villes : il les juge inadaptées, malades, propres à « déclencher des révolutions » et annonce qu’elles « ne peuvent répondre aux transformations de la vie moderne. Il faut les transformer. » La même année, il présente à Paris son premier projet de cité idéale, la Ville Contemporaine de 3 Millions d’Habitants. Usant de dispositifs immersifs, dont un immense diorama, il dévoile sa vision du futur mode de vie urbain. Conçue autour d’unités d’habitation groupées, sa cité contemporaine veut créer les conditions d’une « collectivité harmonieuse » : mise à disposition de services communs, orientation solaire optimale pour chaque appartement,

In 1922, the architect Le Corbusier described a “severe crisis” he believed was sweeping across towns and cities: he deemed them to be unsuit­ able, sickly, likely to “spark revolution”, and declared that they were “incapable of responding to the transformations of modern life. They must be transformed”. That same year, in Paris, he presented his first plan for an urban ideal, titled Contemporary City for 3 Million Inhabitants. Using immersive techniques, including a huge diorama, he unveiled his vision of a future urban way of life. Conceived around grouped living units, his contemporary city sought to create the con­di­­ tions for a “harmonious collectivity” that included common services, optimal solar orientation


des espaces extérieurs, des jardins… Un projet de société monumental, égalitaire dans ses intentions, où viendraient vivre les mal logés des bidonvilles de Nanterre et d’ailleurs. Le film documentaire Le Joli Mai (1962) de Chris Marker et Pierre Lhomme montre la promesse de cette vision, notamment dans une scène où une famille nombreuse, après plusieurs requêtes auprès de l’administration, voit sa demande de relogement aboutir. Les cinéastes filment l’émotion de la mère quittant le baraquement exigu où elle vit avec ses neuf enfants, et sa joie lorsqu’ils emménagent dans l’appartement spacieux d’une cité toute neuve. L’usage et le temps tempèreront l’enthousiasme des habitants, comme en témoigne un document de l’INA datant de 1992. L’architecte Georges Candilis retourne à Toulouse, au Mirail, un des ensembles massifs qu’il a dessinés vingt ans plus tôt avec une ambition qui renvoie à l’imaginaire de la Ville Contemporaine de 3 Millions d’Habitants du Corbusier. À la question « Reconnaissez vous Le Mirail ? », l’architecte répond « Oui et non ». L’habitant lui dit « Je ne vous félicite pas monsieur ». L’architecte poursuit sa visite chez un couple de retraités, très heureux de l’appartement de 110 m2 qu’ils occupent : « Avoir un F4 à ce prix-là à Toulouse, je me demande si je retrouverais ça… Certainement pas. » Il ne pourrait y avoir de procès de l’architecture sans procès des politiques économiques et sociales qui ont déterminé les conditions de vie dans les grands ensembles de banlieue. Il ne suffit pas de détruire le bâti pour résorber le malaise. Au moment où l’on dynamitait les barres du quartier Balzac à Vitry, devenu emblématique du problème de délabrement et de criminalité dans les cités, les habitants pleuraient. Quelques mois avant le krach de 1929, dans un article pour le deuxième numéro de la revue Documents, l’écrivain Georges Bataille repense le terme Architecture, qu’il ne considère plus comme « le jeu savant correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière » qu’y voyait Le Corbusier. Aux yeux de Bataille, l’architecture n’est plus la production d’un bâti exemplaire qu’il faut démocratiser, mais la soumission à un ordre, la mise en projet d’une société toute entière « où tout est prévu dans une existence sans air ». Une autre perspective sur la portée et la méthodologie du travail architectural nous semble pertinente aujourd’hui, alors que le Grand Paris se dessine sans consultation effective de ses habitants. Au Portugal, au lendemain de la Révo­ lution des Œillets de 1974, le SAAL (Serviço

for each apartment, outdoor spaces, gardens and more. It was a monumental social project, egalitarian in its intent, where the bereft inhabitants of shantytowns in Nanterre and elsewhere would come live. The documentary film Le Joli Mai [The Lovely Month of May] (1962) by Chris Marker and Pierre Lhomme shows us the promise of this vision, in particular in a scene where a large family finally has its application for rehousing granted after several requests to the authorities. The filmmakers capture the emotion of the mother leaving the cramped shack where she lives with her nine children, and her joy when they move into a spacious flat in a brand new housing estate. But time and wear were to temper the enthusiasm of the inhabitants, as demonstrated by an archival document from 1992: the architect Georges Candilis returns to Toulouse to visit Le Mirail, one of the massive complexes he designed twenty years earlier with a scale and ambition that seems drawn from Le Corbusier’s Contemporary City for 3 Million Inhabitants. Asked “Do you recognise Le Mirail?”, the architect replies, “Yes and no.” The inhabitant tells him, “This is nothing to be proud of.” Continuing his visit, the architect drops in on a retired couple who are very happy with their 110 m2 living space: “A three-bedroom flat at this price in Toulouse... I doubt I would be able to find anything like this now—surely not.” Architecture alone cannot be put on trial without also calling to the stand the economic and social policies that have determined living conditions in these grim suburban housing estates. Destroying buildings and erecting new ones is not enough to cure the malaise. When the highrises of Vitry’s Balzac estate, which had become emblematic of dilapidation and high crime rates, were finally demolished, the inhabitants were in tears. A few months before the 1929 crash, in an article for the second issue of the journal Docu­ ments, Georges Bataille re-examined the word Architec­ture, no longer seeing in it “the masterly, correct and magnificent play of masses brought together in light” that Le Corbusier believed it to be. In Bataille’s view, architecture no longer meant producing an exemplary type of building that is to be democratised, it meant submitting to an order, the organising of an entire society “where everything was planned ahead in an airless existence”. A different perspective on the range and methodology of architectural work appears relevant today, as an expanded Paris continues


Ambulatório de Apoio Local / Service Ambulant de Soutien Local) a réalisé 170 projets impliquant plus de 40 000 familles pendant deux ans. SAAL fut une expérience architecturale autant que politique. Rompant avec la pratique démiurgique de l’urbanisme, les « brigades » de SAAL, animées par des architectes, ont tenté de développer des solutions de logement destinées aux quartiers les plus délabrés, conçues et dessinées avec la contribution directe des résidents eux-mêmes. Xavier Wrona, Eric Baudelaire & Marcella Lista

to be developed without effective consultation of its inhabitants. In Portugal, in the wake of the Carnation Revolution of 1974, SAAL (Serviço Ambulatório de Apoio Local /A   mbulatory Local Support Service) carried out 170 projects involving more than 40,000 families over a two-year period. SAAL was as much an architectural experience as a political one. Breaking with the demiurgic practices of urban planning, SAAL’s “brigades”, steered by architects, sought to develop housing solutions for the most dilapidated neighbourhoods, conceived and designed in direct collaboration with the residents themselves. Xavier Wrona, Eric Baudelaire & Marcella Lista

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Programme 6 septembre à 19 h Échange entre Patrick Bouchain, Salika Amara et Eric Baudelaire, modéré par Xavier Wrona

Programme 6 September, 7 pm Discussion between Patrick Bouchain, Salika Amara and Eric Baudelaire, moderated by Xavier Wrona

C’est sous le signe de la définition de Georges Bataille que Xavier Wrona, architecte, propose d’échanger et de regarder des documents d’archives qui jalonnent cette histoire de la construction de la banlieue, du début du XXe  siècle, et du second Après Guerre. Ce moment de discussion collective rassemblera l’architecte Patrick Bouchain, conseiller de Jack Lang sous la présidence de François Mitterrand, Salika Amara, auteure et militante associative, et Eric Baudelaire.

In light of Georges Bataille’s definition, architect Xavier Wrona proposes a discussion and exami­ nation of archival documents punctuating this history of the construction of the “banlieue”, both in the early 20th century and in the period after the Second World War. The group debate will feature architect Patrick Bouchain, adviser to Jack Lang, minister of culture during François Mitterrand’s presidency, Salika Amara, a writer and community activist, and Eric Baudelaire.

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A  Le Corbusier, Ville Contemporaine de 3 Millions d’Habitants,

pers­­pec­tive aérienne, 1922, encre de chine sur calque cuir B  Le Corbusier, Ville Contemporaine de 3 Millions d’Habitants, perspective en couleur, 1922, gouache sur papier  C  Le Corbusier, Ville Contemporaine de 3 Millions d’Habitants, diorama, 1922, tirage n&b D  Documents, n o 2, mai 1929  E  Chris Marker et Pierre Lhomme, Le Joli Mai, 1963, 16 mm (numérisé), n&b, 156 min  F  Les Courtillières, Pantin, 1999, tirage couleur

A  Le Corbusier, Contemporary City for 3 Million Inhabitants, aerial view, 1922, China ink on tracing paper  B  Le Corbusier, Contemporary City for 3 Million Inhabitants, 1922, gouache on paper  C  Le Corbusier,

Contemporary City for 3 Million Inhabitants, diorama, 1922, b&w print D  Documents, n o 2, may 1929  E  Chris Marker and Pierre Lhomme, Le Joli Mai [The Lovely Month of May], 1963, 16 mm (digitised), b&w, 156 min  F  Les Courtillières, Pantin, 1999, colour print




Faire un film après une catastrophe, c’est aussi faire un film avant les nouvelles catastrophes qui suivront inéluctablement. Faire œuvre dans un rapport avec les tragédies du présent ouvre donc la question de la commémoration. Pour Maurice Blanchot, « il y a une limite où l’exercice d’un art, quel qu’il soit, devient une insulte au malheur ». Certains artistes ont abordé le problème en sens inverse : ce serait faire insulte au malheur que de ne pas exercer l’art pour en repousser les limites. Dans les deux cas, une chose est certaine : la prolifération de monuments commémorant les catastrophes n’endigue aucunement la prolifération des catastrophes. Alors à quoi bon cet acte de mémoire ? Commémorer pour quoi, et comment ?

To make a film after a catastrophe is also to make a film before the catastrophe that will inevitably follow. Work that draws on current tragedies naturally engages the question of commemoration. For Maurice Blanchot, “there’s a limit beyond which practicing art, whatever it may be, becomes an insult to misfortune”. Some artists have approached the problem from the opposite angle: it would be an insult to misfortune not to practice art to push back its limits. In either case, one thing is certain: in no way does the proliferation of monuments commemorating catastrophes halt the proliferation of catastrophes themselves. So, what good is there in the act of remembrance? Why commemorate—and how?

C pour Commémorer C for Commemoration

À contre-courant des cycles ultra-rapides, du bruit constant de l’information et de l’inéluctable récupération politique des tragédies hebdomadaires, certaines œuvres problématisent l’échelle temporelle dans la forme du mémorial lui-même, aspirent à briser le rythme des catastrophes et de leur commémoration dans le silence, ou l’infini. D’autres proposent d’inverser la séquence catastrophe / mémorial, et de commémorer non pas un événement passé, mais les tragédies à venir. Pour ces artistes, il faut ériger des monuments de manière préventive, comme autant de pamphlets anticipatoires de cataclysmes éminents mais évitables.

Against the grain of ultra-rapid news cycles, the constant clamour of information and the inevitable political hijacking of weekly tragedies, some works problematise timescales within the very form of the memorial: seeking to disrupt the pace of catastrophe, invoking silence, tending towards infinity. Others mean to reverse the catastrophe / memorial sequence by commemorating, not the past, but future tragedies. For these artists, monuments must be erected as checks—like anticipatory denunciations of imminent yet avoidable catastrophes.

Œuvres exposées

Set along an axis stretching 1300 metres east to west is a group of three sculptures by Constantin Brancusi, commissioned in 1935 by a citizens’ association from the artist’s hometown to commemorate Romanian soldiers fallen while defending Târgu Jiu in 1916. A table like a clock face surrounded by twelve hourglass-shaped stools set just far enough from the table to prevent leaning on it (Table of Silence); a marble arch with sensually-adorned pilasters to walk through, its title inviting contemplation on the notion of reconciliation (Gate of the Kiss); and an abstract

S’étirant d’ouest en est sur un axe de 1300 mètres, un ensemble de trois sculptures de Constantin Brancusi répond à une commande d’une association citoyenne de sa ville natale, en 1935, pour commémorer les soldats roumains tombés en défendant Târgu Jiu en 1916. Une table, comme un cadran d’horloge entouré de douze tabourets en forme de sabliers, suffisamment éloignés de la table pour qu’on ne puisse s’y accouder : c’est la Table du silence. Un portique en marbre

Exhibited works


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A  Constantin Brancusi, Maquette pour le pilier de la Porte du Baiser, vers 1935–1937, plâtre, crayon  B  Constantin Brancusi, Porte du Baiser

achevée, vue de face, vers 1938, épreuve gélatino-argentique C  Constantin Brancusi, La table du silence à Târgu Jiu, vers 1938, épreuve gélatino-argentique  D  Constantin Brancusi, Vue générale de la Colonne sans fin de Târgu Jiu, 1938, épreuve gélatino-argentique E  Robert Filliou, Sans objet, 1984, brique

A  Constantin Brancusi, Model for the Pillar of the Gate of the Kiss, circa 1935–1937, plaster and pencil  B  Constantin Brancusi,

The Completed Gate of the Kiss, Front View, circa 1938, gelatin-silver print  C  Constantin Brancusi, The Table of Silence in Târgu Jiu, circa 1938, gelatin-silver print  D  Constantin Brancusi, General View of the Endless Column in Târgu Jiu, 1938, gelatin-silver print E  Robert Filliou, Without Object, 1984, brick


dont on traverse les pilastres ornés de formes sensuelles ; son titre donne à méditer l’idée d’une réconciliation : la Porte du baiser. Une structure modulaire abstraite, haute de près de trente mètres, chargée d’une transcendance muette : la Colonne sans fin. Brancusi dialogue avec le site par l’agencement sobre et pudique de formes élémentaires, ouvrant un habitacle mental à la mémoire. Dédié aux morts de la Première Guerre mondiale, cet ensemble fut inauguré le 27 octobre 1938, quelques mois à peine avant que n’éclate la Seconde. Deux pièces de Robert Filliou sont mises en regard des photographies du mémorial de Brancusi. D’abord une brique, toute simple, dont le titre révèle qu’elle est Sans Objet (1984). Ensuite, un portfolio qui documente le projet COMMEMOR (Commission Mixte d’Échange de Monuments aux Morts) de 1970. Robert Filliou y orchestre, avec la légèreté puissante qui le rend ici indispensable, un échange fictif de monuments aux morts entre des villes de Hollande, d’Allemagne et de Belgique en lieu et place de guerres véritables. Le projet est annoncé par un communiqué de presse illustré par de simples collages qui montrent le déplacement des mémoriaux, pour en faire des ante-mémoriaux, par inversion des temps de la commémoration.

modular structure nearly thirty metres tall, all silent transcendence (Endless Column). Brancusi communed with the site through a sober, chaste arrangement of elemental shapes, carving out a mental niche to memory. The works were inaugurated on 27 October 1938 to honour the victims of the First World War, just months before the outbreak of the Second. Two works by Robert Filliou serve as companion pieces to the photographs of Brancusi’s memorial. First, a simple brick, titled Without Object (1984). Next, a portfolio documenting the 1970 project COMMEMOR (Commission Mixte d’Échange de Monuments aux Morts, or Joint Commission on the Exchange of Monuments to the Dead). In it, Filliou—with the powerful levity that makes him so crucial here—orchestrates an imaginary exchange between cities in Holland, Germany and Belgium of monuments to the dead, as a substitute for real wars. The project was announced in a press release with simple collages depicting the rotation of the memorials from one city to the next, thus transforming them into ante-memorials by reversing the temporality of commemoration. Eric Baudelaire & Marcella Lista

Eric Baudelaire & Marcella Lista

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F  Robert Filliou, Commemor, 1970, portfolio, 29 feuillets, Aix-la-Chapelle : édition Neue Galerie  G  Peter Watkins, La Bombe,

1965, 16 mm (numérisé), n&b, 48 min

F  Robert Filliou, Commemor, 1970, portfolio, 29 pages, Aix-la-Chapelle: edited by Neue Galerie  G  Peter Watkins, The War

Game, 1965, 16 mm (digitised), b&w, 48 min


Programme 7 septembre à 19 h Projection du film La Bombe de Peter Watkins

Programme 7 September, 7 pm Screening of The War Game by Peter Watkins

En écho à l’urgence politique de l’ante-mémorial de Filliou, projection de La Bombe (1965) de Peter Watkins. Le monument factographique du cinéaste était à l’origine une commande de la BBC, et le film en reprend les codes documentaires : voix-off froide et factuelle accompagnant des séquences noir et blanc d’un simili-reportage décrivant les conséquences dévastatrices d’un bombardement nucléaire dans le Kent. Tourné en pleine Guerre Froide, le film a été refusé et longtemps censuré par la chaîne nationale britannique. Sa brutalité graphique démontre pourquoi il faut commémorer l’apo­calypse nucléaire avant qu’elle n’advienne : parce qu’après il sera trop tard. Peter Watkins, La Bombe, 1965, n&b, anglais sous-titré français, 48 min.

To echo the political urgency of Filliou’s ante-memorial, there will be a screening of The War Game (1965) by Peter Watkins. Originally commissioned by the BBC, the filmmaker’s factographic monument uses documentary devices: a cold, factual voice-over narrating black-and-white footage in a mock-reportage, describing the devastating aftermath of a nuclear attack in Kent. Made in the middle of the Cold War, the film was rejected and for a long time censored by the British national network. Its graphic brutality demonstrates why nuclear apocalypse must be commemorated before it occurs—after, it is too late. Peter Watkins, The War Game, 1965, b&w, English, French subs, 48 min.

G




Des jeunes gens élevés en France avant de s’engager dans ce qu’ils tiennent pour une guerre sainte ont fréquenté une institution républicaine plus que toute autre : l’École. Ils y ont été accueillis, écoutés, lus. Ou pas. Impossible, à cet égard, de ne pas tenir l’École pour comptable de leur destin. Difficile, pour un enseignant de ne pas interroger ses propres pratiques et ses propres convictions à l’aune des existences de ceux qu’il a, un moment, accompagnés.

Before enlisting in what they see as a holy war, young people, raised in France, attend one institution of the French Republic far more than any other: school. There they were enrolled, acknowledged, heard. Or not. It’s impossible not to hold school accountable for their fate. And difficult for a teacher not to question his own practices and convictions with respect to the lives of those he once helped to educate.

E pour École E for Education

Un jour on apprend qu’un ancien élève est mort de l’autre côté de la frontière syrienne. On avait été l’un de ses professeurs en seconde. On peine à remettre un visage sur son nom : c’était il y a dix ans. On consulte des archives, on retrouve un brouillon d’appréciation pour son bulletin scolaire : c’était un adolescent sans drame apparent, manifestement assez intégré dans sa classe pour en avoir été élu délégué. Aucune aspérité à laquelle accrocher la mémoire, la volonté de savoir et de comprendre. Ce jeune homme n’est pas le djihadiste du film d’Eric Baudelaire. Mais il a croisé la même histoire, il s’y est engagé, il y a laissé sa peau. Comme lui, il a connu l’école primaire, le collège, le lycée. Sa mort confère à sa brève existence la courbe incertaine et désolante d’un destin. Elle nous engage. Elle engage au premier chef la respon­sabilité de ceux qui ont été ses professeurs. Responsabilité impossible : l’idée qu’on eût pu infléchir le cours des choses est invérifiable. Et puis l’École ne peut pas tout, c’est tant mieux : on ne saurait lui demander à la fois d’ouvrir, chez chacun, l’espace d’une liberté et d’en repérer à l’avance les débordements imprévisibles et possiblement dangereux. Mais responsabilité fatale, aussi. Éduquer, c’est accompagner dans la recherche d’une place et d’un sens. Si, chez certains, cette quête ne trouve d’autre forme que l’aventure mortifère proposée par Daech, cela nous oblige : pour aujourd’hui, pour ce que nous faisons dans nos classes avec de très jeunes gens.

One day, you find out a former student of yours was killed on the other side of the Syrian border. You were his teacher two years before he graduated. You struggle to put a face to his name: it was 10 years ago. You consult your records, come across scribbled comments for his report card. He had been a young man with no obvious issues, apparently well enough integrated into the school to have been elected class representative. Nothing remarkable jogs your memory; nothing helps your need to know and understand. This young man is not the jihadi featured in Eric Baudelaire’s film. But his story is similar; he enlisted in the war, lost his life there. He, too, went to primary, then secondary school here in France. His death lends his brief existence the sad and uncertain arc of destiny. It implicates us. It implicates above all the responsibility of those who were his teachers. Ours is an impossible responsibility: the notion that one can change the course of things is doubtful. Besides, school is not everything—and that’s a good thing. How can it be expected both to provide a space of freedom, and detect, early on, signs of unpredictable and potentially dangerous behaviour? But it’s an inevitable responsibility, too. To educate a person is to accompany them in their search for place and meaning. If, for some, this quest finds no other form than a life-negating adventure provided by Daesh, we remain responsible: for today, for what happens in our classrooms.


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A  Anida Ait Abdesselam, Andres Castro Henao, Assia Chaihab,

Melinda Damis, Alyssa David, Dafa Diallo, Louaye Dolla, Océane El Faqir, Sabou Fofana, Gaëtan Gichtenaere, Lina Ikhlef, Bintou Kamate, Guy-Yanis Kodjo, Ibrahima Konate, Basile Leignel, Gabriel-David Pop, Aissé Sacko, Rabyatou Saho, Mohammed Samassa, Fatimata Sarr, Manelle Zigh, 2015, 16 dessins, crayon sur papier  B  Isidore Isou, L’école des créateurs, cours n o 1, 2, 3, 4, 1967 – 1968, feuillets polycopiés édités par Isidore Isou, Paris  C  Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville, France / tour / détour / deux / enfants, 1978 – 1980, série diffusée sur A2 dans le cadre du Cinéclub, vidéo, BVU PAL, couleur, 12 épisodes de 26 min, co-production A2 / INA / Sonimage

A  Anida Ait Abdesselam, Andres Castro Henao, Assia Chaihab,

Melinda Damis, Alyssa David, Dafa Diallo, Louaye Dolla, Océane El Faqir, Sabou Fofana, Gaëtan Gichtenaere, Lina Ikhlef, Bintou Kamate, Guy-Yanis Kodjo, Ibrahima Konate, Basile Leignel, Gabriel-David Pop, Aissé Sacko, Rabyatou Saho, Mohammed Samassa, Fatimata Sarr, Manelle Zigh, 2015, 16 drawings, pencil on paper  B  Isidore Isou, L’école des créateurs [School for the Creative], courses n o 1, 2, 3, 4, 1967–1968, photocopied edition self-published by Isidore Isou, Paris C  Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville, France / tour / détour / deux / enfants [France / tour / detour / two / children], 1978–1980, show broadcast on French public network A2, video, colour, 12 episodes, 26 min each, co-production A2 / INA / Sonimage


Repartir, donc, de cette inquiétude où se joue le sens du métier d’enseignant ; la partager avec des élèves, en déplaçant le terrain de la discussion hors de l’espace de la classe et de ses hiérarchies, pour reposer les questions de la démocratie scolaire, des formes de la laïcité, de la place de l’École, de la distance juste — s’il en est — qu’elle peut adopter à l’égard de chaque enfant, de chaque adolescent, dans sa singularité. C’est ce qu’on tentera de faire, dans l’ombre portée d’Also Known As Jihadi, et à la lumière oblique des œuvres qu’Eric Baudelaire a choisies pour penser ce qu’est, ce qu’a été, et ce que pourrait être l’École.

We must go back to this concern that is crucial to the job of teaching; we must share it with students, by taking the discussion outside the classroom and away from its hierarchies; we must revisit the question of democratic education, forms of secular education, a school’s place in society, and the proper distance—if there is one—between school and these students, these adolescents, in all their singularity. This is what we’ll attempt, in the shadow of Also Known As Jihadi, and in the oblique light of the works chosen by Eric Baudelaire, as we consider what education in schools is, what it once was, and what it could be.

Œuvres exposées

Exhibited works

Les douze épisodes de la série réalisée pour la télévision publique en 1978 – 1980, France / tour / détour / deux / enfants, où Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville rejouent, déplacent et font dérailler la relation pédagogique. À travers Camille et Arnaud, l’inconnu et l’individualité de l’enfance prennent leurs droits, exposent l’adulte dans l’échange verbal capté par la caméra et, à un autre niveau, dans le langage filmique contraint de sortir du bois. « Les enfants », disait Godard à l’époque, « sont des prisonniers politiques. » Les manuels, précis et rêveurs, imaginés par Isidore Isou en 1967 – 1968 pour une École des créateurs. Les quatre cahiers prolongent méthodiquement l’appel des Manifestes pour le soulève­ ment de la jeunesse, lancés depuis les années 1950 par le poète roumain. Un soulèvement contre la prise d’otage de la productivité, passant par une réinvention complète de l’enseignement et des branches mêmes du savoir, parce qu’« il faut transformer les programmes scolaires pour que les créateurs soient compris. » Pour finir, seize dessins réalisés par des élèves de sixième du collège Dora Maar, à Saint-Denis (93), une semaine après les attentats du 13 novembre 2015. Depuis 2015, et jusqu’en 2019, Eric Baudelaire travaille avec un groupe de 22 collégiens. Il prépare une série de films réalisés dans un premier temps sur eux, puis progressivement avec eux, avant de terminer avec des films par eux, pendant leur année de troisième. Ces dessins sont des « story-boards », imaginés par les élèves, comme une étape de travail pour tourner des images dans les jours qui ont suivi les attentats.

All twelve episodes of a series made for television in 1978–1980—France/tour/détour/deux/enfants [France/tour/detour/two/children] by Jean-Luc Godard and Anne-Marie Miéville—in which the pedagogical relationship is reviewed, transformed and derailed. As we follow Camille and Arnaud, the mystery and individuality of childhood are given their due; adults are exposed through the verbal exchanges captured by the camera, and, on some level, by a film language laid bare. “Children,” said Godard at the time, “are political prisoners.” Isidore Isou’s detailed, visionary manuals written in 1967–1968 calling for a “school for the creative”. The Romanian poet’s four notebooks meticulously develop his Manifestes pour le soulè­ vement de la jeunesse [Manifestos for the Uprising of Youth] launched in the 1950s. An uprising against stifling productivity, and a call for the reinvention of education and the very branches of knowledge, because “we must rewrite school programmes so that they embrace creativity”. Finally, sixteen drawings made by grade 7 students at Dora Maar secondary school in SaintDenis, a suburb of Paris, one week after the attacks on 13 November 2015. Since 2015, Eric Baudelaire has been working with a group of 22 school­ children for a project that will last until 2019. Together they are preparing a series of films that will initially be made about them, then gradually made with them, and eventually made by them. The drawings exhibited are story-boards they made in the days following the attacks, as the first step in creating a film. Philippe Mangeot

Philippe Mangeot


Programme 8 septembre à 19 h Discussion avec Philippe Mangeot, Laurence de Cock et Anne Tristan, enseignants, et des élèves de la région parisienne

Programme 8 September, 7 pm An open discussion with three teachers— Philippe Mangeot, Laurence de Cock and Anne Tristan—and students from the Paris region

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Une discussion, ouverte à tous, avec des élèves scolarisés à Paris et en région parisienne et trois enseignants : Laurence de Cock, Anne Tristan, et Philippe Mangeot, qui ont en commun d’avoir travaillé dans des établissements très différents, avec une grande diversité d’élèves. On projettera également un extrait d’un film tourné par Eric Baudelaire au Collège Dora Maar en novembre 2015.

A public discussion with schoolchildren from Paris and its suburbs, and three teachers: Laurence de Cock, Anne Tristan, and Philippe Mangeot. All three have worked in very different schools, with a great diversity of students. An excerpt from a film shot by Eric Baudelaire at Dora Maar secondary school in November 2015 will also be screened.

D  Eric Baudelaire, Dora Maar, Début (2015 – 2019),

D  Eric Baudelaire, Dora Maar, Début (2015–2019),

film en cours de tournage, vidéo HD

work in progress, HD video




En Japonais, fûkei signifie paysage. Fûkeiron : la théorie du paysage. Dans la tradition du documentaire social engagé des années 1960, le sujet est au centre. La caméra cadre les hommes et les femmes révoltés, en lutte, et au son on entend leurs paroles. Que se passe-t-il si l’on tourne la caméra à 180 degrés, pour filmer non pas le sujet, mais ce que le sujet a vu ? C’est ce qu’a tenté Masao Adachi en 1969 dans un film nommé AKA Serial Killer. Filmer les décors d’une vie : la ville où le sujet est né, le quartier où il a grandi, les lieux où il a étudié, les sites de son travail. Et par ce geste de cinéma, chercher à déceler, avec la caméra, des indices dans le paysage, des signes des structures de pouvoir qui ont contribué à son aliénation, à ses choix. Telle est la proposition de la théorie du paysage, principe repris explicitement dans Also Known As Jihadi, et peut-être, implicitement, dans d’autres œuvres de la collection qui interrogent à leur manière les traces de l’homme dans le paysage.

In Japanese, fûkei means landscape. Fûkeiron, landscape theory. In socially engaged documentaries from the 60s, the focus was traditionally on the subject. The camera centred on men and women in struggle; the sound captured their speech. What happens when the camera shifts 180 degrees—instead of filming the subject, it films what the subject has seen? This is precisely what Masao Adachi attempted in 1969 with AKA Serial Killer. To film the landscapes of the subject’s life: the city he was born in, the neighbourhood where he grew up, the institutions he frequented, the places in which he worked. Through this cinematic gesture, Adachi’s camera sought clues in the landscape, signs of the power structures that may have contributed to the subject’s alienation and led him down the path he chose. This is what landscape theory advances, a hypothesis revisited in Also Known As Jihadi and, perhaps, implicitly, in other works from the Pompidou collection that are searching, in their own way, for traces left by men within the landscape.

F pour Fûkeiron, la théorie du paysage F for Fûkeiron, the landscape theory

Le terme fûkeiron émerge en 1969 alors que Masao Adachi tourne AKA Serial Killer avec un groupe de cinéastes de l’avant-garde japonaise. Leur intention est d’éclairer l’énigme d’un jeune Japonais, Norio Nagayama, arrêté quelques mois plus tôt pour avoir tué quatre personnes avec un pistolet volé dans une base de l’armée américaine. Le jeune homme n’a jamais expliqué ses actes, mais Adachi et ses co-réalisateurs ont l’intuition qu’une lecture politique de ces meurtres est importante, alors que les manifestations étudiantes enflamment les rues de Tokyo. Pendant le tournage des images de repérage du film, Adachi introduit cette idée radicale : les images de repérage suffisent, elles sont le film. AKA Serial Killer est composé d’une série de paysages — de Hokkaido où Nagayama est né, aux différents lieux où il a voyagé pendant les dix-neuf années de sa

The term fûkeiron emerged in 1969 as Masao Adachi was filming AKA Serial Killer with a group of avant-garde Japanese filmmakers. Their aim was to shed light on the mystery surrounding a young man, Norio Nagayama, arrested a few months earlier for the murder of four people with a gun he stole from an American army base. Though Nagayama never explained why he did what he did, Adachi and his fellow filmmakers felt that a political reading of these murders was essential at a time when student demonstrations were setting the streets of Tokyo ablaze. While location scouting for the film, Adachi was struck with a radical idea: the location shots were all that was needed, they would be the film. AKA Serial Killer consists of a series of landscapes: from Hokkaido where Nagayama was born, to the various places he travelled over the nineteen years of his


courte vie jusqu’aux meurtres à Tokyo. La voix-off d’Adachi égraine quelques éléments biographiques. Ce que le paysage révèle de Nagayama dans le film d’Adachi, ou ce qu’il révèle du jeune Français qui part au front en Syrie dans Also Known As Jihadi, est loin d’être limpide. Il est probable que le fûkeiron opère plus fortement comme question que comme réponse. Il s’agit moins d’un outil structuraliste précis (et quelque peu déterministe) que d’une manière d’interroger le sens du paysage, la signification politique et sociale du bâti. Il s’agit donc, ici, de penser la dimension critique de l’acte de faire image.

Œuvres exposées Alors que l’image de l’Irlande du Nord pendant la période des « troubles » est dominée par le photojournalisme, Paul Graham y a photographié le paysage avec un regard plus proche de la peinture. Mais en observant de plus près les grands formats de sa série Troubled Land (1984 – 1988), on s’attarde sur certains détails : dans Paint on Road, Gobnascale Estate, Derry [Peinture sur route, domaine de Gobnascale à Derry], des traces sur l’asphalte, aux couleurs du drapeau républicain, infusent le paysage d’une narration politique et sociale déterminante. Dans le sud-ouest de l’Angola, Jo Ractliffe sonde un territoire désertique, habité par les seuls vestiges militaires. Ici, une piste pour hélicoptère croise un sentier rectiligne. Là, des pierres s’alignent en coursives ouvertes sur le néant. La guerre de la frontière sud-africaine, entre 1966 et 1988,

brief life, to where the murders took place in Tokyo. Adachi’s voice-over narration adds a few biographical details. What the landscape reveals about Nagayama in Adachi’s film—and what it reveals in Also Known As Jihadi about the young French man who travelled to fight in Syria—is far from clear. Fûkeiron is probably more effective as a way to ask questions than to provide answers. Rather than a precise (and somewhat deterministic) structuralist tool, it helps examine the meaning of landscape, the political and social significance of the built world. Here we consider the critical dimension of the act of making images.

Exhibited works During “The Troubles”, most images of Northern Ireland were photojournalism. Paul Graham, however, photographed landscapes there in a manner more closely associated with painting. A closer look at the large formats in his series Troubled Land (1984–1988) draws the eye to linger on a few details. In Paint on Road, Gobnascale Estate, Derry, stains on the asphalt in the colours of the Irish Republican flag instil in the landscape a prescient social and political narrative. In southwest Angola, Jo Ractliffe explores a deserted landscape inhabited only by military remains. A helicopter pad carves a circle around the straight line of a footpath. Stones lined up on the ground curve their way into the void. The 1966–1988 war along the South African border permanently “militarised” the landscape of the

A A  Paul Graham, Paint on road, Gobnascale Estate, Derry

[Peinture sur route, domaine de Gobnascale à Derry], 1985, de la série Troubled Land, épreuve chromogène

A  Paul Graham, Paint on road, Gobnascale Estate, Derry, 1985,

from the series Troubled Land, c-print


a durablement « militarisé » le paysage de l’ancienne colonie portugaise, soutenue dans sa lutte d’indépendance par l’URSS et par Cuba. Dans une série de photographies réalisée en 2009 – 2010, Ractliffe interroge cette topographie persistante du conflit, loin des regards et de tout travail de mémoire. Eric Baudelaire & Marcella Lista

former Portuguese colony, backed in its struggle for independence by the USSR and Cuba. In a series of photographs from 2009–2010, Ractliffe surveys this lingering topography from the conflict, miles away from any human gaze or act of remembrance. Eric Baudelaire & Marcella Lista

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B  Jo Ractliffe, SAM missile bunkers, Cuban base, Namibe [Abris

anti-missile surface-air, base cubaine, province de Namibe, Angola], 2010, de la série As Terras do Fim do Mundo [Les terres de la fin du monde], épreuve gélatino-argentique  C  Jo Ractliffe, Runway with helipad at Longa [Hélisurface à Longa, Angola], 2009, de la série As Terras do Fim do Mundo [Les terres de la fin du monde], épreuve gélatino-argentique  D  Jo Ractliffe, Stone cairns and circles, Cuban base, Namibe [Cercles et cairns de pierre, base cubaine, province de Namibe, Angola], 2010, de la série As Terras do Fim do Mundo [Les terres de la fin du monde], épreuve gélatino-argentique  E  Masao Adachi, AKA Serial Killer, 1969, 35 mm (numérisé), couleur, 86 min

B  Jo Ractliffe, SAM missile bunkers, Cuban base, Namibe, 2010,

from the series As Terras do Fim do Mundo [The Lands of the End of the World], gelatin-silver print  C  Jo Ractliffe, Runway with helipad at Longa, 2009, from the series As Terras do Fim do Mundo [The Lands of the End of the World], gelatin-silver print  D  Jo Ractliffe, Stone cairns and circles, Cuban base, Namibe, 2010, from the series As Terras do Fim do Mundo [The Lands of the End of the World], gelatin-silver print  E  Masao Adachi, AKA Serial Killer, 1969, 35 mm (digitised), colour, 86 min


Programme 9 septembre à 19 h Projection de AKA Serial Killer de Masao Adachi, suivie d’une discussion avec Claire Atherton, Nicole Brenez et Eric Baudelaire

Programme 9 September, 7 pm Screening of AKA Serial Killer by Masao Adachi, followed by a discussion with Claire Atherton, Nicole Brenez and Eric Baudelaire

E

Projection d’une copie nouvellement restaurée du film AKA Serial Killer (1969) de Masao Adachi. La séance sera suivie d’une discussion avec Eric Baudelaire et la monteuse de Also Known As Jihadi, Claire Atherton, dont le travail questionne souvent le rapport entre histoire et paysage, notamment dans les films de Chantal Akerman. La soirée sera modérée par Nicole Brenez, qui a programmé la rétrospective de Masao Adachi à la cinémathèque Française en 2010, et édité le livre Masao Adachi, Le Bus de la révolution passera bientôt près de chez toi. Écrits sur le cinéma, la guérilla et l’avant-garde (1963 – 2010). Masao Adachi, AKA Serial Killer, 1969, couleur, japonais sous-titré anglais, 86 min.

A screening of a newly restored print of AKA Serial Killer (1969) by Masao Adachi, followed by a discussion with Eric Baudelaire and the editor of Also Known As Jihadi, Claire Atherton, whose work often probes the relationship between history and landscape, especially in the films of Chantal Akerman. The talk will be moderated by Nicole Brenez, who programmed a Masao Adachi retrospective at the Cinémathèque Française in 2010, and edited the book Masao Adachi, The Revolutionary Bus Will Soon Be Stopping Near You. Writings on Cinema, Guerrilla and the Avant-Garde (1963–2010). Masao Adachi, AKA Serial Killer, 1969, colour, Japanese, English subs, 86 min.




Désir fou d’ailleurs. Fugue. Exil. Voyage hypnotique : celui dans lequel on s’engouffre, par choix ou par nécessité, dans un état psychique ou par aspiration spirituelle autre que la disposition de ceux qui restent. Voyage qui mène parfois à la mort, par désir d’un ailleurs inconnu, par la force d’attraction d’une promesse, par épuisement, par impossibilité de vivre ici. Aucun de ces voyages n’est l’équivalent des autres. Peut-on mettre en corrélation l’actuel phé­nomène occidental du voyage djihadiste avec le voyage hypnotique des « aliénés voyageurs » de la fin du XIX e siècle, étudié par Tissié et Charcot ? Ou avec ces vers de Charles Baudelaire dans le dernier poème des Fleurs du mal : « Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme, Le cœur gros de rancune et de désirs amers, Et nous allons, suivant le rythme de la lame, Berçant notre infini sur le fini des mers » ? Quel fil conducteur entre le « dernier voyage » des poètes romantiques et la quête contem­­­ poraine d’une perte de soi, tentée par une promesse d’altérité rédemptrice ?

A desperate longing to be elsewhere. To escape. A thirst for exile. The hypnotic journey: where one plunges, by choice or necessity, into a psychic state or spiritual aspiration that is emphatically not the one in which those who remain find themselves. A journey to death, at times, driven by a craving for an unknown elsewhere, the attraction of a promise, exhaustion, or simply the impossibility of living here. None of these journeys resemble any other. What parallels can be drawn between current Western jihadist journeys and the hypnotic wanderings of “alienated travellers” at the end of the 19th century as studied by Tissié and Charcot? What correspondences are to be found in the verses of Charles Baudelaire’s last poem of Flowers of Evil? “One morning we set out, our minds filled with fire, We travel, following the rhythm of the seas, Hearts swollen with resentment and bitter desire, Soothing, in the finite waves, our own infinities.” What common thread between the “last voyage” of Romantic poets and contemporary trips to lose oneself, drawn by a promise of redemption through otherness?

H pour Hypnose H for Hypnosis

Le XIX e et le XX e siècles ont mis en acte ces déchirures individuelles où se jouent des césures plus profondes, culturelles, sociales, anthropo­ logiques, engageant le psychisme au plan collectif. Des prémisses de la modernité jusqu’à l’époque contemporaine, ces césures ont été objets de l’art autant que de la culture clinique.

The 19th and 20th centuries set the stage where individual lacerations of this kind allowed deeper cultural, social and anthropological schisms of the collective psyche to play out. From early modernity through to contemporary times, such schisms have provided relevant material to both art and clinical culture.

Œuvres exposées

Exhibited works

« Il ne pouvait s’empêcher de partir quand le besoin l’en prenait ; alors saisi, captivé par un désir impérieux, il quittait famille, travail, habitudes et allait tout à coup devant lui, marchant vite, faisant 70 kilomètres à pied dans la journée, jusqu’à ce qu’enfin il fut arrêté comme vagabond et mis en prison. » Ainsi le Docteur Philippe-Auguste Tissié décrit le trouble psychologique d’Albert Dadas, employé de la Compagnie du Gaz à

“He could not stop himself from leaving when the desire took hold. Captivated by imperious desire, held in its grasp, he left family, work, daily life and suddenly walked straight ahead, fast, covering 70 kilometres in a day, until he was finally arrested for vagrancy and imprisoned.” Dr. Philippe-Auguste Tissié’s description of Albert Dadas’ psychological trouble was part of his 1887 thesis focusing on the Bordeaux gas company


Bordeaux, dans la thèse qu’il lui consacre en 1887 : Les aliénés voyageurs : essai médico-psychologique. Dans son étude parue en 2002, Les Fous voyageurs, le philosophe des sciences Ian Hacking fait remarquer que l’épidémie de fugues pathologiques, diagnostiquée à la fin du XIX e siècle en Europe, a partie liée avec une mutation sociale et culturelle dont participe la démocratisation du tourisme, qui élargit l’horizon fantasmatique. Dans ces états altérés de conscience, auxquels il tentait d’accéder par l’hypnose, Tissié voyait un phénomène d’hystérie masculine. Ian Hacking, quant à lui, observe que les voyages incontrôlables d’Albert « sont moins des voyages de découverte de soi que des tentatives de s’éliminer soi-même ». Il y discerne une maladie créée conjointement par le médecin, le patient, et l’Europe fin de siècle. En 1937, Kurt Schwitters quitte Hanovre et l’Allemagne nazie pour s’exiler en Norvège, où il effectuait des séjours réguliers depuis 1929. L’artiste s’était mis dès les années 1920 en marge de l’avant-garde. Il avait créé dans son domicile le Merzbau, sorte d’habitacle proliférant contenant, parmi des cavités dédiées à d’autres artistes, des grottes « des meurtriers », « des héros désap­ prou­vés », ou encore une grotte contenant une fiole de sa propre urine. Ici, deux collages, Et Minne fra Norge [Souvenir de Norvège] (1930) et Nsport Bu (1948), mettent la photographie au service de constructions oniriques, parlent d’un exil intérieur autant que géographique. Dans le même temps, le strasbourgeois Jean Arp chemine de ses papiers découpés au massicot des années 1910 à des formes plus brutes de fragmentation du matériau. Ses Papiers déchirés (1930) se prennent à décrire, à l’échelle d’une miniature, des constellations d’entités disjointes, flottant à la manière de continents à la dérive. Homme vu par une fleur (1958) propose une autre image de la trajectoire humaine : l’artiste cède l’anthropocentrisme à une rêverie d’altérité absolue. The Slogan, une action menée par Andrei Monastyrsky le 9 avril 1978, nous fait penser au poème Le Voyage de Charles Baudelaire, dont on montre ici une édition de 1859. Le voyage de Baudelaire clôt les recherches du poète pour échapper au spleen, et il aboutit à la mort. Celui de Monastyrsky aboutit, lui, à Zvenigorod, près de Moscou, dans une clairière enneigée où une banderole suspendue annonce : « Je me demande pourquoi je me suis menti à moi-même, en pensant n’avoir jamais été ici et tout ignorer de ce lieu — en réalité, ce lieu est comme tout autre lieu, seulement le sentiment est plus fort, l’incompréhension plus profonde. »

employee and entitled Les aliénés voyageurs: essai médico-psychologique [Alienated travellers. Medico-psychological essay]. In his 2002 study, Mad Travellers, Ian Hacking, a philosopher of science, notes that the epidemic of mad travelling, diagnosed at the end of the 19th century in Europe, was linked to social and cultural mutations informed by the popularisation of tourism and the resulting widening of imaginative horizons. Tissié considered such altered states of consciousness, which he attempted to reach through hypnosis, a manifestation of male hysteria. Ian Hacking, for his part, noted that Albert’s uncontrollable travelling was “less a voyage of self-discovery than an attempt to eliminate the self ”. To his mind, the pathology was created collectively by doctors, patients and late 19thcentury Europe. In 1937, Kurt Schwitters left Hanover and Nazi Germany to go into exile in Norway, which he had visited regularly since 1929. As of the 1920s, the artist had positioned himself at the margins of the avant-garde. In his house, he created the Merzbau, a kind of multifarious habitation containing, among chambers dedicated to other artists, grottoes for “murderers”, “deplored heroes” and even one with a vial of his own urine. Here, two collages, Et Minne fra Norge [Memory from Norway] (1930) and Nsport Bu (1948), use photographs to create dreamscapes about exile; exile from both place and self. At the same time, Jean Arp, from Strasbourg, was making his way from cutting paper with a mechanical cutter in the 1910s to more accidental ways of tearing it. His pieces Papiers déchirés [Torn Papers] (1930) depict, in miniature, a constellation of disjointed entities, floating like so many drifting continents. Homme vu par une fleur [Man Seen by a Flower] (1958) presents another vision of the arc of humanity: Arp abandons the human perspective as the central fact of the universe and dreams of absolute otherness. The Slogan, an action performed by Andrey Monastyrsky on 9 April 1978, reminds us of Charles Baudelaire’s Le Voyage, presented here in an edition from 1859. Baudelaire’s journey concludes his search for means to escape his spleen with hopes for death, the only true unknown. Monastyrsky’s travels end in a snowy clearing in Zvenigorod, near Moscow, where a hanging banner states “I wonder why I lied to myself that I had never been here and was totally ignorant of this place—in fact, it’s just like anywhere else here, only the feeling is stronger and incom­ prehension deeper.”


Une Carte postale de Francis Alÿs (2010) retrace l’itinéraire d’un voyage effectué entre San Diego (USA) et Tijuana (Mexique), de l’autre côté de la frontière, empruntant non pas le trajet le plus court, mais au contraire la circumambulation la plus longue — tout en réfutant toute implication critique autre que « le déplacement du corps de l’artiste. »

Francis Alÿs’ Carte postale [Postcard] (2010) describes a trip from San Diego, USA, to Tijuana, Mexico just across the border. In his journey the artist did not follow the shortest route but rather the very longest—all while rejecting any critical implications other than “the physical displacement of the artist”.

Eric Baudelaire & Marcella Lista

Eric Baudelaire & Marcella Lista

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Programme 10 septembre à 19 h Discussion avec Zohra Harrach-Ndiaye, Camilo Ramirez et Catherine Perret, modérée par Ariane Chottin

Programme 10 September, 7 pm Discussion with Zohra Harrach-Ndiaye, Camilo Ramirez and Catherine Perret, moderated by Ariane Chottin

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De Rimbaud à Dostoïevski, jusqu’aux récits actuels de départs pour la Syrie, diverses figures du voyage seront évoquées dans une discussion ouverte, modérée par Ariane Chottin, psycha­ nalyste, rassemblant Catherine Perret, philosophe, Zohra Harrach-Ndiaye, juriste et directrice de services à l’association Sauvegarde de SeineSaint-Denis, et Camilo Ramirez, psychanalyste.

Stories of various journeys, from Rimbaud to Dostoyevsky and current travellers to Syria, will be considered in an open discussion moderated by psychoanalyst Ariane Chottin, with philosopher Catherine Perret, Zohra Harrach-Ndiaye, services director of Sauvegarde de Seine-Saint-Denis [Protecting Seine-Saint-Denis], a civil society organisation, and psychoanalyst Camilo Ramirez.

A  Kurt Schwitters, Et Minne fra Norge [Souvenir de Norvège] 1930, photocollage  B  Jean Arp, Papier déchiré, 1932, papiers déchirés et collés sur papier  C  Fernand Panajou, Photographies d’Albert

A  Kurt Schwitters, Et Minne fra Norge [Memory from Norway] 1930, photocollage  B  Jean Arp, Papier déchiré [Torn Paper], 1932, torn papers glued on paper  C  Fernand Panajou, Photographs of Albert

Dadas, in : Albert Pitres, Leçons cliniques sur l’hystérie et l’hypnotisme, tome 2, Paris, Octave Doin, 1891  D  Andrei Monastyrsky et le groupe Actions collectives, The Slogan [Le Slogan], 1978, 8 mm (numérisé), n&b, silencieux, 2 min 29 s  E  Le docteur Tissié hypnotisant Albert en présence du professeur Azam, in : Ian Hacking, Les Fous Voyageurs, Paris, Le Seuil, 2002

Dadas, in Albert Pitres, Clinical Lessons on Hysteria and Hypnotism, vol. 2. Paris : Octave Doin, 1891  D  Andrey Monastyrsky and the Collective Actions Group, The Slogan, 1978, 8 mm (digitised), b&w, silent, 2 min 29 s  E  Dr. Tissié hypnotizing Albert in the presence of Professor Azam, in Ian Hacking, Les Fous Voyageurs [The Mad Travellers], Paris: Le Seuil, 2002




Dans le film Also Known As Jihadi, il ne s’agit pas de cerner une vérité, puisqu’il n’en existe aucune qui soit unique et partagée par ceux qui partent et ceux qui jugent leurs départs. Mais il est question de « justice » puisque le scénario du film est tiré de documents produits par des magistrats. Comment rendre justice quand il y a peu de preuves matérielles, et que le climat politique réclame ce qui ressemble parfois à une justice préventive, à la « Minority Report » de Philip K. Dick, nouvelle d’anticipation où les criminels sont arrêtés avant de passer à l’acte ?

In Also Known As Jihadi, there is no truth to discern, since none exists that is shared by those who have left for Syria and those who judge them for having been there. Yet the film does raise the matter of “justice”, since its script is based on documents written for or by judges. How can justice be rendered in such cases where material proof is usually quite scarce, and when the political climate clamours for what may seem like preventative justice, reminiscent of Philip K. Dick’s “Minority Report”, a science-fiction short story in which criminals are arrested before they commit their crimes?

J pour Justice J for Justice

On s’interroge, ici, sur le fonctionnement de la justice et sur les idées qui la portent, en conviant des artistes qui s’y confrontent, et des acteurs de cette même justice qui en déplieront avec nous les rouages.

Here, we examine the inner workings of our justice system and the ideas that uphold it, with the help of legal professionals who are directly involved, and various perspectives from artists who have explored the subject in more indirect ways.

Œuvres exposées

Exhibited works

Souvent, Lawrence Abu Hamdan ne se décrit pas comme artiste, il préfère dire qu’il est « private ear », détective privé de l’oreille. Abu Hamdan est un expert acoustique reconnu dans l’examen de dossiers judiciaires, et ses projets autour du son mêlent dispositif d’enquête et réflexion politique. Dans la vidéo Rubber Coated Steel, l’artiste réunit les spectrogrammes résultant de coups de feu tirés par un soldat israélien sur des jeunes Palestiniens sans armes, le jour de la Nakba en 2014, enregistrés fortuitement par la chaîne CNN. L’étude d’Abu Hamdan prouve que les balles meurtrières n’étaient pas des balles en caoutchouc mais des balles bien réelles, tirées depuis un équipement destiné à en déguiser le son. L’asso­ ciation Defence for Children International, qui a commandité l’enquête, n’est pourtant pas parvenue à porter le dossier devant la justice. Rubber Coated Steel met donc en scène un tribunal non advenu où, comme le dit Abu Hamdan, « quelque part, d’une certaine manière, ces sons de meurtres en série sont mis en accusation ».

Lawrence Abu Hamdan doesn’t always describe himself as an artist; at times he prefers to be called a “private ear”. He is an acoustic expert, well known for his studies of legal cases. His sound projects combine investigation and political reflection. In his video Rubber Coated Steel, the artist renders spectrograms from gunshots fired by Israeli soldiers on unarmed young Palestinians on Nakba Day in 2014, recorded by chance by CNN. Abu Hamdan’s study proved that the fatal bullets were not rubber-coated but, in fact, live ammunition fired from weapons equipped to mask their sound. The organisation commissioning the study, Defence for Children International, was never able to bring the case to trial. As such, in Rubber Coated Steel, Abu Hamdan stages a court hearing that was never held, “in which,” he says, “somewhere, somehow, these serial killing sounds are put on trial.” Many of Carl Andre’s poems, created from found text, stripped and reassembled, confront American society with its violent history and


De nombreux poèmes de Carl Andre, composés à partir de textes trouvés, prélevés et assemblés, renvoient à la société américaine son histoire violente et le poids de son idéologie. Dans Oswald in Russia [Oswald en Russie], l’artiste invoque le séjour de jeunesse en Union Soviétique de l’assassin présumé de John Kennedy. La poétique dactylographique pourrait être lue comme un supplément à l’immense archive judiciaire, littéraire, cinématographique, et conspirationniste qui entoure la figure mystérieuse, et non-jugée, de Lee Harvey Oswald. La pièce de Vito Acconci s’appelle Security Zone [Zone de sécurité]. Une performance, sur un ponton à New York, en 1971. Marchant à l’aveugle au bord de l’eau alors qu’il ne sait pas nager, Acconci se laisse guider par une personne envers qui

the weight of its ideology. In Oswald in Russia, the artist alludes to the time JFK’s presumed assassin spent in the Soviet Union as a young man. His typed poems can be read as supplementing the extensive legal, literary, cinematographic and conspiracy-related archive surrounding the mysterious—and never-tried—figure of Lee Harvey Oswald. Vito Acconci’s work—a performance piece set on a pier in New York in 1971—is called Security Zone. In it, Acconci allows himself to be guided by a person for whom his “feelings are ambiguous” as he walks, blindfolded, at the edge of the water, despite his not being able to swim. The artist writes: “I’m blindfolded, my hands are tied behind me, my ears are plugged; in my deprived position, I’m forced to have trust—there’s only

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B A  Carl Andre, Oswald in Russia [Oswald en Russie], 1964, double au carbone et mine graphite sur papier, 6 feuillets  B  Lawrence Abu

Hamdan, Rubber Coated Steel [Acier gainé de caoutchouc], 2016, vidéo HD, couleur, 21 min 49 s

A  Carl Andre, Oswald in Russia, 1964, carbon copy and graphite on paper, 6 pages  B  Lawrence Abu Hamdan, Rubber Coated Steel, 2016,

HD video, colour, 21 min 49 s


il dit avoir « des sentiments ambivalents ». L’artiste écrit : « On me bande les yeux, on m’attache les mains dans le dos et on me bouche les oreilles. Dans cette position démunie, je suis obligé de faire confiance — il n’y a qu’une seule personne ici qui peut m’empêcher de tomber dans l’eau. Cette pièce mesure ma confiance ; plus que ça, elle renforce ma confiance. (La question est : la confiance durerat-elle — cette confiance mérite-t-elle de durer — une fois la pièce terminée ?) »

one person here who can stop me from walking off into the water. The piece measures my trust; more than that, it builds up trust. (The question is: will the trust last—does this trust deserve to last— once the piece is over?)” Eric Baudelaire & Marcella Lista

Eric Baudelaire & Marcella Lista

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C  Vito Acconci, Pier 18 : Security Zone, New York [Pier 18 : Zone

de sécurité, New York], action photographiée par Harry Shunk et Janos Kender, New York, 28 février 1971, tirages gélatino-argentiques D  Eric Baudelaire, Also Known As Jihadi, 2017, photogramme

C  Vito Acconci, Pier 18: Security Zone, New York, action photographed

by Harry Shunk and Janos Kender, New York, 28 February 1971, gelatinsilver prints  D  Eric Baudelaire, Also Known As Jihadi, 2017, film still


Programme 11 septembre à 19 h 1. Plaidoirie à charge par un procureur, et plaidoirie à décharge par Negar Haeri. 2. Rapport d’enquête par Zineb Dryef. 3. Discussion sur les enjeux de justice animée par Antoine Garapon

Programme 11 September, 7 pm 1. An exchange of oral arguments between a state prosecutor and defence lawyer Negar Haeri. 2. Investigation report by Zineb Dryef. 3. Summary and discussion moderated by Antoine Garapon

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Une soirée en trois actes pour déplier, étape par étape, la mécanique du parcours judiciaire d’un prévenu hypothétique. À partir d’une poignée de pièces judiciaires d’un « dossier terro » comme on les appelle désormais, deux plaidoiries : la première à charge, par un procureur, et la seconde, à décharge, par une avocate, Negar Haeri, ancienne Secrétaire de la Conférence. Après la joute oratoire, une chronologie précise des étapes que traverse un prévenu, présentée par la journaliste Zineb Dryef : quid des conditions d’incarcération et des programmes de « dé-radicalisation » ? Existe-t-il un « Guantanamo intérieur » ? Que se passe-t-il après la prison ? Et pour finir, une discussion collective des enjeux de justice autour de la question des « djihadistes » présumés, présentée et orchestrée par Antoine Garapon, magistrat et chroniqueur sur France Culture.

An evening in three acts to examine, step by step, the mechanics behind the legal journey of a hypothetical defendant. Based on a handful of legal documents taken from what is nowadays called a “dossier terro” (“terror case”), two arguments will be heard: the first, by a state prosecutor, and the second, for the defence, by attorney Negar Haeri. The legal joust will be followed by an in-depth account by journalist Zineb Dryef of every step in the process a defendant must go through, raising a series of questions: What are the current detention conditions in these cases? What are so-called de-radicalisation programmes? Is there currently an “internal Guantanamo” in France? What happens after prison? Finally, a group discussion around the question of justice and presumed jihadis will be held, introduced and led by Antoine Garapon, judge and radio columnist at France Culture.




Artistes en lutte ou art en lutte ? Depuis les mouvements civiques des années 1960, l’activisme a bousculé le régime critique du langage de l’art. Si, comme le proposait Michel Foucault en 1978, la critique « est un instrument, un moyen pour un avenir ou une vérité qu’elle ne saura pas et qu’elle ne sera pas », l’activisme passe par la déclaration directe, la prise à partie de l’opinion, l’effraction dans l’espace public. À la question « que peut l’art ? » les artistes répondent alors par un pur et simple débrayage de l’habitus social, économique et institutionnel de l’art.

Artists’ struggles or art’s struggles? Since the civil rights movements of the 1960s, activism has shaken up the critical paradigm of the language of art. If, as Michel Foucault stated in 1978, critique “is a tool, an instrument for a future or a truth that it will neither know nor embody”, activism occurs on a different playing field, channelled through straight talk, the battle for public opinion, and direct action in the public sphere. To the question “What can art do?” artists answer purely and simply by disrupting art’s social, economic and institutional habitus.

L pour artistes en Lutte L for drawing the Line (artists in struggle)

À la fin des années 1960, un groupe d’artistes américains réunis sous le nom de Art Workers’ Coalition déclare les Art Strikes (grèves artistiques), et appelle les musées new-yorkais à prendre position contre la Guerre du Vietnam. Plusieurs musées répondent par un jour de fermeture symbolique. Le Metropolitan Museum fait la sourde oreille : les artistes bloquent l’entrée du musée. Composé à l’automne 1969 par Jon Hendricks et Jean Toche, le Guerrilla Art Action Group est issu de ce mouvement. « L’art peut-il encore répondre à nos besoins humains élémentaires, s’il continue à se compromettre avec une société culturelle qui est engagée dans le processus même d’aliénation des masses et ignore continuellement, consciemment, les besoins mêmes de cette race humaine ? » Ces mots de Jean Toche, dans son manifeste « J’accuse » du 10 mai 1968, ouvrent la voie à une expérimentation activiste radicale.

Œuvres exposées L’affiche And Babies ? [Des bébés aussi?], datée du 26 décembre 1969, était destinée à une reproduction à large échelle. Elle reprend une photo réalisée un an plus tôt par le photographe de guerre Ronald R. Haeberle du massacre des villageois de My Lai par les forces américaines. Sur la photo, en lettres rouge sang, une question et une réponse tirées de l’interview de l’un des soldats

At the end of the 1960s, a group of American artists joined together under the name Art Workers’ Coalition and declared Art Strikes, calling for New York museums to take a stand against the Vietnam War. Several museums responded by closing their doors for a symbolic day. The Metropolitan Museum did not, and artists blocked its entrance. Founded in the fall of 1969 by Jon Hendricks and Jean Toche, the Guerrilla Art Action Group was born of this movement. “Can art still fulfill our basic human needs, if it continues to compromise with a cultural society which is engaged in the very process of alienation of the masses, and repeatedly ignores, consciously, the very needs of that human race?” These words, by Jean Toche in his manifesto “I Accuse” dated 10 May 1968, opened the way to radical activist experimentation.

Exhibited works And Babies?, a poster from 26 December 1969, was intended for wide-scale reproduction. It presents a photograph taken a year earlier by war pho­to­ grapher Ronald R. Haeberle of the massacre of villagers in My Lai by American troops. A question and an answer drawn from an interview with one of the soldiers involved in the killings, and published in The New York Times on 24 November 1969, are printed in blood red letters onto the


auteurs de la tuerie, paru dans le New York Times du 24 novembre 1969. L’Art Workers’ Coali­tion avait obtenu l’accord du MoMA pour la prise en charge de l’édition et de la diffusion mais le conseil d’administration du musée, comportant des proches du gouvernement Nixon, mit son veto à l’opération. Tirée à 50 000 exemplaires avec les seuls moyens des artistes, l’affiche fut exhibée par ceux-ci près de Guernica — la grande toile de Picasso était alors conservée au MoMA — et largement diffusée à travers les États-Unis et l’Europe. En novembre 1970, Jon Hendricks et Jean Toche participent avec Faith Ringgold à l’orga­­­ nisation de l’exposition « The People’s Flag Show » [Dra­peau du peuple] dans les locaux de la Judson Memorial Church. L’affiche, dessinée par Faith

photograph. MoMA had agreed to print and distribute the poster for the Art Workers’ Coalition, but the museum’s board, which included members close to the Nixon administration, vetoed the initiative. The artists themselves printed 50,000 copies and the poster was exhibited alongside Picasso’s Guernica, which MoMA displayed at the time, and was widely distributed across the United States and Europe. In November 1970, Jon Hendricks and Jean Toche, along with Faith Ringgold, took part in organising “The People’s Flag Show” at Judson Memorial Church. The poster, designed by Faith Ringgold, defied legislation banning “desecration” of the American flag, and called on artists and non-artists to exhibit works that freely re-appropriated the national symbol. On the day of the

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C A  Frazer Dougherty, Jon Hendricks, Irving Petlin, Q. And Babies?

A. And Babies. [Question. Des bébés aussi ? Réponse. Des bébés aussi.], 1970, lithographie offset sur papier, à partir d’une photographie de Ronald L. Haeberle, publié par l’Art Workers’ Coalition, New York B  Faith Ringgold, People’s Flag Show [Exposition drapeau du peuple], 1970, affiche de l’exposition, lithographie offset sur papier C  John Reilly et Rudi Stern, People’s Flag Show, 11 – 15 novembre 1970, Judson Church Theater, New York, bande vidéo (numérisée), 61 min

A  Frazer Dougherty, Jon Hendricks, Irving Petlin, Q. And Babies?

A. And Babies, 1970, offset print on paper, from a photograph by Ronald L. Haeberle, published by the Art Workers’ Coalition, New York B  Faith Ringgold, People’s Flag Show, 1970, exhibition poster, offset print on paper  C  John Reilly et Rudi Stern, The People’s Flag Show, 11–15 November 1970, Judson Church Theater, New York, video tape (digitised), 61 min


Ringgold, défie la loi qui interdit la « profanation » du drapeau américain et appelle artistes et nonartistes à exposer des œuvres se réappropriant librement le symbole national. Le jour de l’ouverture, Yvonne Rainer présente Trio A, sa choré­gra­ phie abstraite de 1966, accompagnée de cinq autres danseurs entièrement nus, le drapeau noué autour du cou. Un film documente l’expo­­ sition, la performance et un « Symposium sur la Répres­sion » précédé d’une action de Jean Toche, lisant une déclaration de son Gouvernement Belge en Exil devant le drapeau américain en flammes. L’arrestation des révérends pères Howard Moody et Al Carmines, programmateurs de la Judson Memorial Church, eut lieu le lendemain, et celle des « Judson Three » : Jon Hendricks, Faith Ringgold et Jean Toche, quelques jours plus tard. Les manifestes et photographies réunis dans le volume GAAG. The Guerrilla Art Action Group, 1969 – 1976 : A Selection (1978) documentent l’essentiel des actions du groupe contre le militarisme, le racisme, le sexisme, et l’emprise croissante du marché sur l’activité artistique et la politique muséale : du décrochage du Blanc sur Blanc de Kazimir Malévich au MoMA, en 1969, pour demander qu’un certain nombre des œuvres de la collection soient vendues au profit « des pauvres de toutes races de ce pays », à la mobilisation pour la libération d’Angela Davis en juin 1971.

opening, Yvonne Rainer presented Trio A, her abstract choreography from 1966, in the company of five other dancers, all completely naked save for the flag tied around their necks. The exhibition, performance and a “Symposium on Repression”, which was preceded by Jean Toche reading a declaration by his Belgian Government in Exile in front of a burning American flag, are documented on video. The next day, Reverends Howard Moody and Al Carmines, coordinators of this Protestant congregation that was open to artistic experimentation, were arrested. Jon Hendricks, Faith Ringgold and Jean Toche, known as “The Judson Three”, were arrested a few days later. The manifestos and photographs published in GAAG. The Guerrilla Art Action Group, 1969­–1976: A Selection (1978) document the main actions carried out by the group against militarism, racism, sexism, and the growing power of the market over artistic activity and museum policy. Actions ranged from taking down Kazimir Malevich’s White on White at MoMA in 1969, as a demand that some works in the collection be sold to benefit “the poor of all races of this country”, to mobilising to fight for Angela Davis’ freedom in June 1971. Marcella Lista & Eric Baudelaire

Marcella Lista & Eric Baudelaire

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Programme 13 septembre à 19 h Conversation avec Jon Hendricks, membre fondateur du GAAG (Guerrilla Art Action Group)

Programme 13 September, 7 pm A conversation with Jon Hendricks, founding member of GAAG (Guerrilla Art Action Group)

Artiste, activiste et curateur, Jon Hendricks a été le directeur artistique de la Judson Gallery, logée dans la Judson Memorial Church à New York, de 1966 jusqu’en juin 1968, lorsqu’il fut renvoyé par le révérend père Al Carmines pour avoir accueilli une action de Destruction Art par Jean Toche. Le Guerrilla Art Action Group, qu’il a fondé avec l’artiste d’origine belge peu après, développe une critique institutionnelle et un activisme politique à partir d’une position de marge. En parcourant les archives audiovisuelles du GAAG, la soirée propose de revenir avec lui sur cette cristallisation d’une lutte artistique.

Jon Hendricks, artist, activist and curator, was artistic director of the Judson Gallery at Judson Memorial Church in New York from 1966 to June 1968, when he was fired by Reverend Al Carmines for hosting a Destruction Art action by Jean Toche. Guerrilla Art Action Group, which he founded shortly thereafter with the Belgian artist, pursued critical analysis of institutions and political activism as directed from a marginal position. A review of GAAG audio­ visual archives in his company will be the focus of an evening discussing how that artistic struggle took shape.

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D  Jon Hendricks, Poppy Johnson, Jean Toche, GAAG : The Guerrilla

Art Action Group, 1969 – 1976 : A selection, New York, Printed Matter Inc., 2011, réédition de la première édition de 1978  E  The Judson Three, Artist Benefits for Civil Liberties [Tombola d’art au profit de la liberté d’expression], 1972, lithographie offset sur papier  F  Les Judson Three (Jon Hendricks, Faith Ringgold et Jean Toche) à la sortie du tribunal après décision du procureur de New York de fermer le People’s Flag Show.

D  Jon Hendricks, Poppy Johnson, Jean Toche, GAAG : The Guerrilla

Art Action Group, 1969–1976 : A selection, New York, Printed Matter Inc., 2011, reprint of the first edition of 1978  E  The Judson Three, Artist Benefits for Civil Liberties, 1972, offset print on paper  F  The Judson Three (Jon Hendricks, Faith Ringgold and Jean Toche), appearing outside the courthouse after the People’s Flag Show was shut down by the New York district attorney’s office.




Tout cinéma qui se propose de représenter les banlieues populaires en France affronte immédiatement une difficulté. Ces banlieues résistent à s’inscrire comme les images ordonnées d’une Histoire dans les catégories du paysage français. Terroirs sans qualité, patrimoines indéchiffrables. Paysages fantômes qui ne sauraient exister sans ceux qui les animent, les affectent et les décodent, en un mot, les produisent. Communauté de destins de corps étrangers avec le béton des tours.

When cinema sets out to portray working-class suburbs in France, it faces an immediate challenge. These urban territories refuse to fall in line with other expressions of the French landscape as orderly historical images. They are spaces without qualities, indecipherable legacies. Ghost landscapes that would not exist but for the bodies that bring them to life, bodies that shape and interpret them—in short, that produce them. A community of fortunes formed by foreign bodies and the brick and mortar of housing estates.

M pour Mouvement-image M for Movement-image

La cité, le quartier, vibrent et souffrent de concert avec ceux qui les habitent, comme un seul et même corps que l’on ne saurait voir, figures innommables que seule la violence — souvent policière — fait apparaître. Motif récurrent de l’histoire secrète du peuple qu’observe l’historienne Arlette Farge dans la littérature de l’administration policière du XVIII e siècle, le meurtre d’un jeune homme ou même parfois d’un enfant des classes populaires est immanquablement le récit liminaire de ce paysage marron d’Occident qu’est la Cité. Aussi la tâche d’un cinéma, qui ne parle pas des quartiers populaires mais qui est parlé par eux, n’est pas immédiatement de faire récit mais de constituer avant tout une communauté au-delà de ce destin morbide. Assemblée vive et vivante qui fait irruption dans le monde du visible, qui négocie son apparition, qui trafique la photo nationale pour y poser son visage.

Œuvres exposées C’est clairement ce que réussissent, chacun à sa manière, le Collectif Mohamed à Vitry et le Black Audio Film Collective à Londres à l’orée des années 1980. Et ce n’est pas un hasard si Mohamed Salah Azzouzi, bien qu’il soit seul à réaliser ses films, s’attache à l’appellation « collectif » tant

The housing project and the neighbourhood tremble and ache with those who live in them; as one and the same body, painful to behold— unspeakable figures that appear only when an act of violence occurs, often at the hands of the police. Historian Arlette Farge notes a recurring theme in the secret history of the masses in police literature of the 18th century: the murder of a young man, sometimes even a child, from the lower classes. Undoubtedly, such stories are the liminal narrative behind the maroon occidental landscape that is the suburban housing project. Which is why a cinema that speaks not about working-class immigrant neighbourhoods, but is spoken by them, does not dive straight into the narrative. First, it builds a community that reaches beyond this morbid fate. A vibrant, vital congregation that bursts into the world of the visible, that negotiates its presence, that cuts up the portrait of the nation to insert its own face.

Exhibited works This is clearly what Collectif Mohamed [Mohamed Collective] in Vitry and Black Audio Film Collective in London succeeded in doing in the early 80s, each in its own way. There was a reason why Mohamed Salah Azzouzi, albeit the


Zone immigrée et Ils ont tué Kader sont aussi des films fabriqués par ceux qui les peuplent. S’il est question dans les films d’Azzouzi de se saisir soimême de la caméra, de s’auto-documenter pour échapper à la manipulation de la presse et de la télévision — et jusqu’à celle du Parti Com­muniste — il est aussi urgent de constituer par un cinéma fruste un monde où des jeunes prennent crânement la parole et prononcent les impasses politiques d’un pays qui leur refuse une histoire tout autant qu’un avenir. Dans un cinéma direct, tourné en Super 8, le Collectif Mohamed réussit en seulement deux films courts remarquables à faire entendre ce qui était inaudible jusqu’alors : le désarroi et la vitalité des jeunes des banlieues populaires, leur quête d’identité entre pays d’origine et Rockabilly. Faire entendre et faire apparaître surtout une communauté invisible au lendemain du meurtre d’un adolescent à Vitry. Donner à voir en quelques scènes les enjeux politiques d’une banlieue communiste et la clairvoyance

only one behind his films, insisted on being called a “collective”: Zone immigrée [Immigrant Zone] and Ils ont tué Kader [They Killed Kader] are films made also by those who inhabit them. Azzouzi understood the importance of taking control of the camera oneself, self-documenting to avoid manipulation by the media and television (and even by the [French] Communist Party). For him, it was urgent to build, through raw cinema, a world where young people boldly grab the mic and verbalise the political deadlock of a country that denies them not only a history, but a future as well. Espousing direct cinema and filming in Super 8, Collectif Mohamed managed, in just two remark­ able short films, to give voice to things that had never been heard before: the energy and turmoil of young people from tough neighbourhoods searching for an identity somewhere between their countries of origin and the rockabilly trend of the 80s. It managed above all to give a voice and a face to an invisible community in the wake of

A

B

A  Collectif Mohamed, Zone immigrée, 1980, Super 8 mm (numérisé), couleur, 35 min 37 s  B  Collectif Mohamed, Ils ont tué Kader, 1980,

Super 8 mm (numérisé), couleur, 21 min 4 s

A  Collectif Mohamed, Zone immigrée [Immigrant Zone], 1980, Super 8 mm (digitised), colour, 35 min 37 s  B  Collectif Mohamed,

Ils ont tué Kader [They Killed Kader], 1980, Super 8 mm (digitised), colour, 21 min 4 s


de sa jeunesse qui saisit très tôt que tout se jouera dorénavant, au-delà de l’idéologie, dans la maîtrise de l’empire des images. L’opération du Black Audio Film Collective est autre, même si, là aussi, les violences policières dans l’Angleterre des années 1980 fabriquent le début de l’histoire. Avec son magistral Handsworth Songs, John Akomfrah et ses compagnons inventent un dub cinéma. Fabriqué presque intégralement par le montage musical d’images d’archives de la BBC, le film nous donne à ressentir une généalogie des émeutes raciales, le surgissement d’un corps qui n’a pas encore de nom et se présente à nous sans annonce. Plus qu’un film, c’est l’instrument d’un rituel sans cesse à reconduire. Une fresque musicale bâtie comme une reprise et un désenvoûtement du matériau de la BBC qui va transporter dans le temps cet héritage populaire en le rejouant à l’infini et en faisant ainsi des morts les alliés des vivants. Comme Ils ont tué Kader, Handsworth Songs saisit l’urgence du rituel de la parole, mais n’oublie pas l’impératif d’un cinéma qui trafique le temps. Il fabrique ainsi un vocabulaire qui pressent une nouvelle circulation possible des images et des sons sans propriétaire — comme celle d’Internet et des DJs. Il ne s’agit pas de simples récits contestataires qui retournent la puissance de la télévision, mais de films animistes qui font parler les images et rompent la fatalité de la répétition de l’Histoire. Olivier Marboeuf

the murder of a teenager in Vitry; to show, in just a few scenes, the political stakes in this communist suburb, and how its clear-sighted youth quickly understood that from then on, more than any ideology, everything would be about conquering the realm of the image. Black Audio Film Collective differs in its method, though here, too, the story is triggered by police violence in the 1980s—this time in England. In the masterful Handsworth Songs, John Akomfrah and his companions created dub cinema. Made up almost entirely of a musical montage of images taken from BBC archives, the film takes us through a history of race riots, the rising of a yet unnamed body that presents itself to us with no warning. More than a film, it’s the instrument of an endlessly repeated ritual. A musical fresco created as if by repossessing and exorcising material from the BBC, transporting this legacy of the people through time by playing it in an endless loop, and in so doing making the dead the allies of the living. Like Ils ont tué Kader, Akomfrah’s Handsworth Songs fully embraces the importance of speech as a ritual, without forgetting the need for a cinema that manipulates time, and so creates a language that foresaw a new way of circulating images and sounds owned by no one—as did the DJs, and as would the Internet. These are not simple protest narratives aiming to reverse the power of television; they are animist films that let images speak for themselves, and so disrupt the inevitable course of history repeating itself. Olivier Marboeuf

C

C  John Akomfrah / Black Audio Film Collective, Handsworth Songs, 1986, 16 mm (numérisé), couleur, 58 min 33 s  D  Collectif Mohamed,

Ils ont tué Kader, 1980 , Super 8 mm (numérisé), couleur, 21 min 4 s

C  John Akomfrah / Black Audio Film Collective Handsworth Songs, 1986, 16 mm (digitised), colour, 58 min 33 s  D  Collectif Mohamed,

Ils ont tué Kader [They Killed Kader], 1980, Super 8 mm (digitised), colour, 21 min 4 s


Programme 14 septembre à 19 h Projection de Zone immigrée et Ils ont tué Kader du Collectif Mohamed. Suivi d’une discussion entre Mohamed Salah Azzouzi, cinéaste et militant, et Olivier Marboeuf, auteur et commissaire

Programme 14 September, 7 pm Screening of Zone immigrée and Ils ont tué Kader by Collectif Mohamed, followed by a discussion between Mohamed Salah Azzouzi, filmmaker and activist, and Olivier Marboeuf, author and curator

D

Il y a trente-sept ans, Mohamed Salah Azzouzi réalisait Zone immigrée et Ils ont tué Kader, avec le soutien de René Rodriguez et Laurent Huet. Certains extraits avaient été diffusés au Journal Télévisé en mars 1980, puis les films ont circulé de manière plus confidentielle. Après ces gestes forts, Azzouzi n’a pas poursuivi son travail de cinéaste. Nous consacrons la soirée à ses deux courts-métrages, l’occasion d’aborder aussi avec lui le mouvement (au sens militant) qu’il a animé pendant qu’il faisait les images de ses films. Collectif Mohamed, Zone immigrée, 1980, couleur, 35 min 37 s. — Ils ont tué Kader, 1980, couleur, 21 min 45 s.

Thirty-seven years ago, Mohamed Salah Azzouzi directed Zone immigrée [Immigrant Zone] and Ils ont tué Kader [They Killed Kader] with encouragements from René Rodriguez and Laurent Huet. Some excerpts had been broadcast on the national network news in March 1980, before circulating in underground networks. After these two strong statements, Azzouzi did not pursue his work as a filmmaker. This evening will be dedicated to him and to his films. It will also be an opportunity to talk about the movement, in the militant sense of the word, which he initiated while capturing images for his films. Collectif Mohamed, Zone immigrée [Immigrant Zone], 1980, colour, 35 min 37 s — Ils ont tué Kader [They Killed Kader], 1980, colour, 21 min 45 s.




On aurait pu choisir la lettre P pour Pays. Mais le Ô exprime de manière plus forte la déférence, et la douleur, que la question de l’appartenance nationale nous évoque. En filigrane, derrière chaque lettre de cet abécédaire, se pose, d’une manière ou d’une autre, la question du pays, ou de la nation, et de l’inclusion ou non-inclusion à cette « communauté imaginaire », comme l’appelait l’anthropologue Benedict Anderson.

The letter P, for Patria, could also have been chosen here. But O, land of mine! seemed more powerful an expression for the deference and pain that questions of national identity and belonging raise in today’s world. Every letter in this alphabetical primer is illuminated, in one way or another, by the unspoken question of country or nation, what anthropologist Benedict Anderson called an “imagined community”, and the sense of inclusion or non-inclusion that these concepts engender.

O pour Ô mon pays ! O for O, land of mine!

Pour Ernest Renan, la nation est un principe spirituel, une âme constituée de deux choses : « la possession en commun d’un riche legs de souvenirs » et « le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. » Aujourd’hui, l’héritage dont parle Renan est-il encore indivis ? Comment faire durer la nation lorsque ce désir n’est plus commun ? Il est possible que les blessures qui nous préoccupent ici soient les symptômes de la difficulté à répondre, désormais, à ces questions. Ou peut-être est-il temps de trouver des définitions alternatives à la nation, pour remplacer celle de Renan.

To the mind of Ernest Renan, nation is a spiritual principle, a soul made of two parts: “the possession in common of a rich legacy of memories” and “present-day consent, the desire to live together, the will to perpetuate the value of the heritage that one has received in an undivided form.” Is the heritage Renan refers to still undivided? How does one extend the life of the nation when the desire to live together is no longer shared? It is possible that the wounds addressed in Après are symptomatic of the complexity raised by answering these questions today. Or perhaps it is time to find alternative definitions of the nation to replace the principles enumerated by Renan.

Œuvres exposées

Exhibited works

« Préférez-vous que la France soit un hexagone ou un triangle équilatéral ? Pourquoi ? » « Préférezvous mettre en danger votre identité nationale ou votre produit national brut ? Pourquoi ? » L’artiste Esther Ferrer a quitté l’Espagne franquiste pour la France en 1973. Ici, elle adresse quatre « Questions aux Français » sur une affiche issue d’un portfolio collectif intitulé Art ? L’artiste américain Paul Thek peint, sur des pages du New York Times, des figures de la culture populaire. Dans cette pièce de 1974, il représente Bojangles, surnom de Bill Robinson, danseur de claquettes américain qui commença sa carrière dans la rue et la termina au cinéma, devenant l’une des premières vedettes noires du show business

“Would you prefer France to be hexagonal or an equilateral triangle? Why?” “Would you rather put your national identity or your gross domestic product at risk? Why?” The artist Esther Ferrer left Franco’s Spain in 1973 to move to France. Here, she asks “Four Questions for the French” on a poster from a collective portfolio titled Art? American artist Paul Thek paints figures from popular culture onto pages of The New York Times. In this piece from 1974, Thek paints Bojangles, as American tap dancer Bill Robertson was known. Robertson started his career in the streets and ended in Hollywood, becoming one of the first black stars in show business at a time when America was still segregated. Bojangles is also


dans une Amérique encore ségréguée. Bojangles est aussi le clochard qui raconte son histoire en taule, héros d’une chanson de Jerry Jeff Walker, composée en 1968 avant d’être reprise par Nina Simone et par Bob Dylan. Dans son portrait de l’Amérique en vignettes sur fond de pages de journal, Paul Thek rend hommage à cet homme qui danse, à la fois showman et martyr, indifférent, semble-t-il, à la souffrance. « On ne peut pas aller chez les gens comme ça et leur dire : Racontez-nous votre vie », dit Nil Yalter. Avec Ris-Orangis, l’artiste turque née au Caire prend le temps de réaliser un réel travail de mémoire sur l’immigration, en collaboration avec des sociologues, des associations et des municipalités. En 1983, elle filme des ouvriers et leurs familles au sein de la communauté portugaise d’une cité-dortoir en banlieue parisienne. Ils évoquent leur vie en France, la nostalgie du pays qu’ils ont quitté, la volonté d’intégration, les conditions de leur travail, et la difficulté de trouver une place dans la patrie-refuge. Dans un entretien accordé en 2009, Nil Yalter est revenue sur ce travail en disant : « Rien n’a évolué, seules les populations ont changé. »

the hero of an iconic Jerry Jeff Walker song, covered by Nina Simone and Bob Dylan among others. Here, Paul Thek pays homage to a man who tap-dances, his body on fire, part showman part martyr, seemingly untouched by suffering. “You can’t just go up to people and say: tell us about your life,” says Nil Yalter. In Ris-Orangis, the Turkish artist born in Cairo takes the time to develop an actual analysis of immigration, with the help of sociologists, civil society groups, and municipal employees. In 1983, she filmed workers and their families from Portuguese communities in dormitory towns in the Paris suburbs. They speak about their lives in France, their nostalgia for the country they left, their desire to integrate, their working conditions, and their trouble finding a place for themselves in their host country. In a 2009 interview, Nil Yalter looked back at this piece, saying, “Nothing has evolved. Only the population has changed.” Eric Baudelaire & Marcella Lista

Eric Baudelaire & Marcella Lista

A

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C A  Nil Yalter, Ris-Orangis, 1979, Betacam, n&b, 33 min  B  Paul Thek,

Bojangles in flames [Bojangles en flammes], 1974, peinture acrylique sur papier journal (The New York Times)  C  Esther Ferrer, tirage n o  29 issue du portfolio Art ?, 1998, sérigraphie en couleurs sur papier, imprimeur-éditeur : Alain Buyse et Frédéric Schlanser

A  Nil Yalter, Ris-Orangis, 1979, Betacam, b&w, 33 min B  Paul Thek, Bojangles in flames, 1974, acrylic paint on newspaper (The New York Times)  C  Esther Ferrer, print n o 29 from the portfolio

Art?, 1998, colour silkscreen on paper, printer / publisher: Alain Buyse and Frédéric Schlanser


D

D  Théâtre Pôle Nord, Sandrine, 2017, affiche

D  Théâtre Pôle Nord, Sandrine, 2017, poster


Programme 15 septembre Deux spectacles du Théâtre Pôle Nord, Chantal dans les étoiles à 14 h, et Sandrine à 19 h

Programme 15 September Two plays by Théâtre Pôle Nord, Chantal dans les étoiles at 2 pm, and Sandrine at 7 pm

Dans mon pays on oublie. Dans mon pays on défait. Dans mon pays on disparaît. Ô mon pays !

In my country we forget. In my country we undo. In my country we disappear. O, land of mine!

Ô mon pays ! est le nom d’une création de Lise Maussion et Damien Mongin du Théâtre Pôle Nord. Ce diptyque théâtral nous a inspiré. Il décrit l’itinéraire de plusieurs personnages, Sandrine, enferrée dans sa vie comme dans un bloc de granit, et Chacal, sans racines et sans nom, à travers l’actualité française et le sentiment d’une misère diffuse. Nous accueillons, à 14 h, un troisième chapitre à cette galerie de portraits, Chantal dans les étoiles, une création en cours de travail, dont nous savons ceci : Nous traversons la vie d’une femme de son enfance à sa disparition. Chantal a rendez-vous dans les étoiles, et dans sa dernière heure resurgiront les traces de vies gravées sur sa peau, comme un fruit qu’on presse pour en boire le jus, avant de le jeter. Chantal dans les étoiles émerge d’un long chemin, à travers le recueil de paroles brutes récoltées par le Théâtre Pôle Nord autour des questions de l’appartenance, de la foi et de l’empreinte. À 19 h, nous reprendrons Sandrine, qui retrace la destinée d’une trieuse de verre : Sandrine mène une vie normale : elle fait du 6 h / 13 h 30 (ou du 13 h 30 / 21 h — ça dépend) dans l’usine de tri U-Pack, à séparer le verre des « corps étran­ gers ». Elle appelle sa mère 5 fois par jour. À ses heures libres, Sandrine reste assise dans sa cuisine. Seulement… Les glaces fondent quelque part dans la Baltique, et au-delà. Sandrine entend la mer, qui approche. Elle sent l’eau qui traverse subreptice­ ment, par en dessous… Le monde bascule et l’ordre des choses, lentement, se désagrège. Production : Théâtre Pôle Nord,  Coproduction : La Traînée Bleue,  Écriture, jeu et scénographie: Lise Maussion et Damien Mongin, Musique : David Georgelin et Yellow Flight.

Ô mon pays ! [O, land of mine!] is the title of a play created by Lise Maussion and Damien Mongin of Théâtre Pôle Nord. Their theatrical diptych has inspired us. Two characters, Sandrine, locked into her life as into a block of stone, and Chacal, rootless and nameless, travel through French current events burdened by a vague feeling of wretchedness. At 2 pm, we will unveil a third chapter in this theatrical portrait gallery: Chantal dans les étoiles [Chantal in the Stars]. A work in progress, about which we know this: We watch the life of a woman from childhood until death. Chantal is expected among the stars. In her last moments, traces of her life, inscribed in her very skin, resurface—like pressing fruit to draw out its juices before throwing it away. Chantal dans les étoiles is the result of lengthy travels through a compendium of raw words collected by Théâtre Pôle Nord around questions of belonging, faith and the traces we leave. At 7 pm, a performance of Sandrine, tracing the destiny of a worker in a glass recycling plant: Sandrine leads a normal life, working from 6 am to 1.30 pm (or 1.30 to  9 pm—it depends) in the U-Pack plant, separating glass from “foreign bodies”. She calls her mother 5 times a day. In her spare time, Sandrine sits in her kitchen. Meanwhile... The ice melts somewhere in the Baltic and beyond. Sandrine hears the sea approaching. She feels the water surreptitiously progressing, from below... The world is tilting and the order of things is slowly disintegrating. Production: Théâtre Pôle Nord, Coproduction: La Traînée Bleue, Text, performance and scenography: Lise Maussion and Damien Mongin, Music: David Georgelin and Yellow Flight.




Le paysage politique, autant que le paysage artistique, apparaissent aujourd’hui hantés par ce qui, du XX e siècle, semble refaire surface et demande examen tout en restant pris dans le flux ressassé de l’information. Le « mal d’archive » que théorisait Derrida au seuil des années 1990, pointant la prolifération documentaire et son pouvoir propre, n’est pas indifférent à ces arrêts sur images. La densification matérielle de la mémoire a irréversiblement transformé l’espace et le mouvement de la pensée. Mais si la nostalgie des combats d’idées du XX e siècle anime aujourd’hui les débats, elle expose aussi cette mémoire fragile à ce qui est l’inverse du travail historique : les fétichisations douteuses et autres détournements idéologiques. Du présent au passé et retour : ce mouvement à double-sens reste à penser, non pas dans l’image figée d’un reflet en miroir mais dans une circulation tâtonnante, attentive aux taches aveugles, aux fausses évidences et aux perspectives biaisées. Les artistes de cette section en font l’objet spéculatif de leurs œuvres. Entre présent et passé, plus largement, l’exposition tout entière s’attache à proposer un espace de réflexion commun.

These days, political and artistic landscapes alike appear haunted by aspects of the 20th century that resurface and demand our attention, while also being entangled in a constant flow of information. The “archive fever” theorised by Derrida in the early 1990s, which draws attention to the proliferation and inherent power of the document, is not without relevance to this contemporary desire to linger on the past. The material densification of memory has irrevocably transformed the space and movement of thought. But if nostalgia for the “battles of ideas” of the 20th century is a driving force behind current debate, it also exposes this fragile memory to dubious processes of fetishisation and ideological distortion—in other words, the opposite of historical work. From present to past and back again: this two-way movement needs careful thinking. Rather than contemplation of a frozen mirror image, it takes a circular process of exploration that guards against blind spots, false axioms and biased perspectives. For the artists in this section, this process is the speculative subject of their work. Between past and present, the exhibition as a whole seeks to create a broader shared space for reflection.

P pour Présent / Passé P for Present/Past

La pensée critique de la modernité a cristallisé une série de questions quant à la construction du sujet face à l’Histoire — autant de dilemmes au regard des utopies modernistes : continuité et rupture, mémoire et oubli, réflexion et action. Pour Antonio Gramsci, qui écrivit le plus gros de son œuvre dans les prisons fascistes, le rapport entre passé et présent ne peut être que dialectique. Il suppose de répondre au programme d’« Histoire contemporaine » des régimes totalitaires par une étude critique du passé et une adhérence créative au présent.

Modern critical thought has returned again and again to a series of questions regarding the construction of the subject in the face of history, each constituting a dilemma as far as modernist utopias are concerned: continuity and rupture, memory and forgetting, reflection and action. For Antonio Gramsci, who wrote the bulk of his work in fascist prisons, the relationship between past and present could only be dialectical. His proposed response to the programme of “Contem­ porary History” prescribed by totalitarian regimes involves a critical examination of the past and a creative involvement in the present.


Œuvres exposées

Exhibited works

Un livre cloué au mur, affiché, ramené à un signe : Passé et Présent, le quatrième volume des Cahiers de prison de Gramsci. Elisabetta Benassi a fait ce geste net et précis dans l’ancienne usine automobile Lancia à Turin, un édifice des années 1930 devenu l’espace d’exposition de la Fondation Mario Merz. Dans son œuvre, l’artiste italienne s’emploie à mettre au travail l’Histoire du XX e siècle à travers ses indices : comme dans sa série d’images de presse dont elle ne reproduit que le verso et ses informations lacunaires, elle dit ici, par une expérience indirecte du document, l’éloignement d’une certaine mémoire sociale et politique. Son propre Passato e presente (2013), dont les pages sont devenues illisibles, matérialise une coupe elliptique à travers le temps. À la « philologie vivante » de Gramsci, le livre cloué répond par l’immédiateté d’une question persistante, laissée ouverte, interpelant le spectateur. « Comment retourne-t-on ? À un pays, à un lieu de naissance, à un endroit où empestent les sensations remémorées ? Mais que sont ces sensations ? Est-il possible de tracer la manière dont elles font irruption ? Et pourquoi sont-elles accompagnées d’effroi autant que d’anticipation ? » Dans sa vidéo de 1996, Partially Buried [Partielle­ ment enterré], Renée Green aborde frontalement ce qu’elle observe comme une « vogue des années 1970 ». Elle revient sur le campus de l’université de Kent où, enfant, elle avait aidé sa mère à installer un instrumentarium inédit dans un atelier de musique expérimentale. En 1970,

A book nailed to the wall, put on display, brought back to a sign: Past and Present, the fourth volume of Gramsci’s Prison Notebooks. This clear and strong gesture was initially presented by Elisabetta Benassi at the old Lancia automobile factory in Turin, a 1930s building converted into an exhibition space for the Mario Merz founda­tion. In her work, the Italian artist seeks to engage with 20th-century history through the clues it has left behind. As in her series about press images where she only reproduces the backs of the photos and the incomplete information they provide, here she expresses, via an indirect experience of the document, the distancing of a certain social and political memory. Her own Passato e presente (2013), the pages of which we can no longer read, represents an elliptical cross-section through time. To Gramsci’s “living philology”, the impaled book responds with an immediate, insistent, and unresolved question for the viewer. “How does one return? To a country, to a place of birth, to a location which reeks of remembered sensations? But what are these sensations? Is it possible to trace how they are triggered? And why they are accompanied with as much dread as anticipation?” In her 1996 video Partially Buried, Renée Green tackles head-on a nostalgia for the 70s: “The 1970s are in vogue now. Were they in vogue then?” She returns to the Kent State University campus where, as a child, she helped her mother install a set of instruments in an experimental music studio. In 1970, while her

A A  Elisabetta Benassi, Passato e Presente

[Passé et Présent], 2013, livre, clou en fer forgé

A  Elisabetta Benassi, Passato e Presente

[Past and Present], 2013, book, wrought iron nail


alors que sa mère y étudiait, quatre étudiants furent abattus par la garde nationale pendant les manifestations contre la Guerre du Vietnam, et Robert Smithson réalisait Partially Buried Woodshed [Abri partiellement enterré], une œuvre entropique consistant à ensevelir presque entièrement, sous un monticule de terre, un abri abandonné situé aux abords du campus. Une expérience conflictuelle que ce cheminement de l’artiste dans ces objets de mémoire épars. « Ils occupèrent brièvement le même temps et le même lieu. Est-ce important ? Pas nécessairement, mais elle pondère la conjecture. » L’œuvre de Smithson se fait le paradigme muet de l’architecture semi-émergée, précaire et encombrante, du souvenir. Disparue sous la terre peu avant que Renée Green ne parte à sa recherche, elle renvoie le site au site, la mémoire à la mémoire.

mother was studying there, four students were shot dead by the National Guard during protests against the Vietnam War, and Robert Smithson created Partially Buried Woodshed, an entropic work in which he used a mound of earth to almost completely bury an abandoned woodshed on the outskirts of the campus. The artist’s journey among these scattered objects of memory results in a confrontational experience. “They occupied the same time and location briefly. Is that important? Not necessarily, but she ponders the conjecture.” Smithson’s work emerges as a silent paradigm for the half-buried, precarious and burdensome architecture of memory. The work, which disappeared into the ground not long before Renée Green began her search, brings back the site to the site, and memory to memory. Marcella Lista & Eric Baudelaire

Marcella Lista & Eric Baudelaire

B

B  Renée Green, Partially Buried [Partiellement enterré], 1996, Betacam PAL, couleur, 20 min  C  Hervé le Roux, Reprise, 1996,

35 mm (numérisé), couleur et n&b, 185 min

B  Renée Green, Partially Buried, 1996, Betacam, colour, 20 min C  Hervé le Roux, Reprise [Back to Work], 1996, 35 mm (digitised),

colour and b&w, 185 min


Programme 16 septembre à 19 h Projection du film Reprise d’Hervé Le Roux

Programme 16 September, 7 pm Screening of Reprise by Hervé Le Roux

C

Documentaire sur le documentaire, Reprise d’Hervé Le Roux (1996) fait retour sur les images filmées le 10 juin 1968 par trois étudiants de l’IDHEC devant les usines Wonder à Saint-Ouen. La reprise du travail vient d’y être votée après trois semaines de grève. Une ouvrière en larmes tranche d’une voix forte avec l’inertie de la foule : « Non, j’y rentrerai plus là-dedans, je foutrai plus les pieds dans cette taule ! » Sa rébellion sans partage, à contrecourant du compromis syndical, reste intacte au regard d’aujourd’hui. Elle dit les 54 heures de travail hebdomadaires, la plongée quotidienne dans la crasse, les insoutenables impératifs de la chaîne : « on ne peut pas aller aux toilettes, on n’a pas le droit », lance la jeune femme, que l’occasion autorise à habiter, fugitivement, le cadre de l’image. L’enquête d’Hervé Le Roux part à la rencontre de cette histoire et de ses acteurs, déplie leurs paroles, donne à cet épisode une deuxième impression, questionnant en filigrane une culture ouvrière proche d’un demi-siècle et néanmoins révolue. S’y reflète, inversée, la sortie d’usine de 1895 qui donnait le coup d’envoi à l’industrie cinématographique elle-même et à sa rhétorique des loisirs. La projection sera suivie d’une conversation avec Eric Baudelaire et Marcella Lista. Hervé le Roux, Reprise, 1996, n&b et couleur, 185 min.

In Reprise [Back to work] (1996), a documentary about the documentary process itself, Hervé Le Roux revisits footage filmed on 10 June 1968 by three students of the French Institute for Advanced Film Studies (IDHEC) in front of the Wonder battery factories in Saint-Ouen. The workers have just voted to return to work after three weeks of strikes. The protests of one female worker, in tears, contrast sharply with the inertia of the crowd: “No, I’m not going in there again, I’ll never set foot in that prison again!” Viewed today, her solitary rebellion against the compromises made by the trade union has lost none of its power. It echoes the 54–hour working week, the filthy conditions they endured daily, and the impossible demands of the production line: “We can’t go to the toilet, we’re not allowed!” she shouts, fleetingly able to inhabit the frame. Hervé Le Roux sets out to discover this history and its protagonists, gives them a voice, and allows the episode to play out for a second time, implicitly examining a working-class culture that is only half a century old and yet already a thing of the past. It also evokes, in a kind of inverted reflection, the 1895 scene of workers leaving the factory that kick-started the film industry and its discourse of leisure. The screening will be followed by a conversation with Eric Baudelaire and Marcella Lista. Hervé le Roux, Reprise [Back to Work], 1996, b&w and colour, 185 min.




Considérer l’art dans son rapport à la vérité, comme forme sensible du vrai ou création d’une vérité propre. Cette idée aristotélicienne de l’art prend avec la modernité une tournure politique : elle confie au geste artistique la production d’une vérité autre, capable, comme le disait Harun Farocki, de « déblayer les décombres qui obstruent les images ». Cette contre-vérité est à construire, à faire émerger pied à pied dans un rapport dialectique au réel. Le travail de terrain et d’investigation docu­ mentaire qui s’y emploie n’y suffit pas. Car la vérité artistique ne peut se réduire à une « image accusatrice », elle reste une aporie et renvoie sans cesse l’artiste à sa propre posture. De quelle vérité l’art peut-il alors se prévaloir ? C’est dans sa tentation extrême, de traverser le réel en retour, d’en altérer le cours, que l’artiste met à l’épreuve cette aporie.

In its relationship to truth, art has been considered both as an external realisation of a true idea and as the creation of a truth of its own. In the modern age, Aristotle’s notion of art takes on a political dimension: it entrusts the artistic act with creating alternative truth, capable of “sweeping away the rubble obstructing images”, in the words of Harun Farocki. This countertruth is constructed, drawn out step by step in a dialectical exchange with the real. Field­work, the investigative documentary, is not sufficient, for artistic truth cannot be reduced to an “accusatory image”; it remains an aporia, constantly confronting the artist with his or her own position. To what truth can art lay claim? Sometimes, through radical attempts to interact with the real through refraction to alter its course, the artist challenges this aporia.

R pour Rendre des comptes  R for Reckoning

Demander à l’œuvre de faire justice, de combler les failles de l’Histoire, c’est aussi exposer ses propres failles. Rendre des comptes : par quels chemins lucides, dans quelles limites ?

To expect art to render justice, and compensate for the flaws of History, is to expose one’s own flaws. R for reckoning: but with what clear reasoning to guide us, and under what terms?

Œuvres exposées

Exhibited works

Der Lachende Mann [L’homme qui rit] (1966), réalisé pendant la Guerre Froide par le duo documentariste de RDA Walter Heynowski et Gerhard Scheumann, va droit au but. Le film nous livre la face cachée de la guerre au Congo, non du point de vue des victimes, mais à travers le témoignage d’un bourreau. Face à la caméra, Siegfried ‘Kongo’ Müller, ex-Lieutenant de la Wehrmacht et désormais chef d’une troupe de mercenaires au Congo, expose les crimes commis au nom de ce qu’il appelle une « guerre de libération » anticommuniste. Mais sa confession n’est pas complètement consciente : Heynowski et Scheumann ont mis à disposition de leur sujet, qui aime boire, une bouteille de Pernot. Au fur et à mesure de l’interview, l’ivresse s’installe et le masque tombe : l’alcool au service du geste filmique

Made during the Cold War by East German documentary filmmakers Walter Heynowski and Gerhard Scheumann, Der Lachende Mann [The Laughing Man] (1966) gets straight to the point. The film shows the hidden face of the Congo Crisis, not from the point of view of the victims, but through the testimony of a persecutor. Straight to camera, Siegfried ‘Kongo’ Müller, a former Wehrmacht lieutenant who headed a group of mercenaries in the Congo, recounts acts of violence committed in the name of what he called an anti-Communist “war of liberation”. But his confession was not completely cognisant: Heynowski and Scheumann had provided their subject, who liked to drink, with a bottle of Pernot. Over the course of the interview, Müller gets progressively drunk and his mask falls—alcohol becomes


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D D A  Gerhard Scheumann et Walter Heynowski, Der Lachende Mann [L’homme qui rit], 1966, 35 mm (numérisé), n&b, 65 min  B  Rosemarie

Trockel, Vorstudien [Études préliminaires], 1989, acrylique sur papier C  Rosemarie Trockel, Sans titre, 1985, gouache sur papier D  Zineb Sedira, Mother Tongue [Langue maternelle], 2002, installation composée de trois vidéos, français, anglais, arabe, 14 min 14 s

A  Gerhard Scheumann and Walter Heynowski, Der lachende Mann

[The Laughing Man], 1966, 35 mm (digitised), b&w, 65 min B  Rosemarie Trockel, Vorstudien [Preliminary Studies], 1989, acrylic on paper  C  Rosemarie Trockel, Untitled, 1985, gouache on paper D  Zineb Sedira, Mother Tongue, 2002, 3 channel video installation, French, English, Arabic, 14 min 14 s


et de la vérité. Au montage, un contraste vertigineux s’installe entre le visage souriant du protagoniste et les images photographiques des corps noirs mutilés, brutalisés, abattus puis froidement exposés aux caméras des photojournalistes. Un ensemble de gouaches de Rosemarie Trockel montre des figures de dos ou de profil, se dérobant aux regards. Dans la RFA des années 1980, le travail de Trockel active cette zone critique de la perception qui est un lieu de doute, où ce que l’on voit ne peut être décidé. Dans Sans titre (1985), une tête à la chevelure féminine se détourne tout en laissant pointer un long nez rectiligne, attribut de marionnette et symbole phallique, arme primitive et allégorie du mensonge. Image trouble et burlesque, indirecte, où l’(auto-) accusation le dispute à l’aveu. Une série d’Études préliminaires, datées de 1989, évoque le code visuel de la photographie de presse : images volées, portraits à l’arraché. Là, l’artiste a maculé trois silhouettes masculines — dont l’une porte l’uniforme SS — de giclures blanches. Le coup porté dans le dos, littéralement, vient trouer l’image dans un geste diffamatoire qui est lui-même à la fois infâme et infâmant. Avec des images semblables à des invectives visuelles, l’artiste donne matière à réfléchir sur le choix des armes, exhibe ses propres manœuvres aux yeux du spectateur.  Trois scènes de dialogue entre différentes générations de femmes, unies par un lien de sang et éloignées par leur « langue maternelle ». Mother Tongue (2002) de Zineb Sedira est une trilogie. Dans la première vidéo, l’enfance de Sedira est l’objet d’interrogation : en dialoguant avec sa mère, retournée en Algérie après l’émigration française, l’artiste cherche à réunir les facettes de sa mémoire. Elle questionne en français et sa mère lui répond en arabe. Dans la deuxième vidéo, un pivot s’opère et Sedira échange avec sa propre fille sur leurs enfances respectives. L’artiste continue de s’exprimer en français tandis que l’enfant lui répond en anglais. Dans le dernier volet du triptyque, le silence s’installe entre la grand-mère et sa petite-fille — il n’y a pas de langage commun — laissant la place à l’éloquence d’un flottement. Dans la transparence du dispositif de Sedira, chacune est renvoyée à son présent, dans l’impossibilité de rendre compte. Hyeseon Jeong, Eric Baudelaire & Marcella Lista

a tool in the service of cinema and truth. The editing provides a stark contrast between the lieutenant’s broad smile and images of murdered and mutilated black bodies callously exposed to photojournalists’ cameras. A series of gouaches by Rosemarie Trockel shows figures drawn from the back, or in profile, avoiding the viewer’s gaze. In 1980s West Germany, Trockel worked in the critical zone of perception as locus of doubt, where what one sees is uncertain. In Untitled (1985), a head with woman’s hair is turned away from the viewer, though its long straight nose like a marionette’s can still be seen: phallic symbol, primitive weapon and allegory of falsehood. A troubling and burlesque image, an indirect enigma, where (self-)accusation cohabits with confession. Her Preliminary Studies from 1989 address the visual conventions of press photography: stolen images, snatched portraits. In them the artist has splashed three male silhouettes, one of them in an SS uniform, with white paint. Literally stabbing the figures in the back, the image is pierced in a defamatory gesture both debased and debasing. With these visual invectives, Trockel provides food for thought about possible angles of attack, and exposes some of her own manœuvres to the viewer. Three dialogues between three generations of women, united by blood yet divided by their native languages. Zineb Sedira’s Mother Tongue (2002) is a trilogy. In the first video, Sedira’s childhood is the subject: speaking with her mother, who returned to Algeria after emigrating to France, the artist attempts to tie together parts of her past. Her questions to her mother are in French while her mother answers in Arabic. The second video switches to Sedira in conversation with her own daughter about their respective childhoods. The artist continues to speak in French while the child answers in English. In the last video of the triptych, silence settles between grandmother and granddaughter—they have no common language—drawing attention to the eloquence of the pregnant pause. In Sedira’s clear triptych structure, each woman is forced back to her present, faced with an inability to render account. Hyeseon Jeong, Eric Baudelaire & Marcella Lista


Programme 17 septembre à 19 h Projection du film The Emperor’s Naked Army Marches On de Kazuo Hara

Programme 17 September, 7 pm Screening of The Emperor’s Naked Army Marches On by Kazuo Hara

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Tourné à travers le Japon pendant 5 ans, The Emperor’s Naked Army Marches On [L’Armée nue de l’empereur poursuit sa marche] (1987) fait déborder tous les questionnements sur la responsabilité éthique et politique d’un cinéma qui veut faire rendre des comptes. Le film accompagne l’itinéraire de Okuzaki Kenzō, un vétéran de l’expédition coloniale nippone en Nouvelle Guinée, alors qu’il fait des recherches sur les exactions commises par ses supérieurs à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans un climat d’amnésie historique sur les crimes de guerre de l’armée impériale, Hara filme l’enquête de Kenzō, jalonnée d’accidents et de confrontations qu’il initie : le protagoniste devient justicier, à la fois sujet filmé et auteur d’actes de violences allant jusqu’à l’assa­ ssinat d’un vieillard qui refuse d’admettre ses crimes de guerre d’antan. Kazuo Hara, The Emperor’s Naked Army Marches On [L’Armée nue de l’empereur poursuit sa marche], 1987, couleur, japonais sous-titré anglais, 122 min.

Filmed over five years throughout Japan, The Emperor’s Naked Army Marches On (1987) brings to a boil questions relating to film’s moral and political responsibility in reckoning with the past. The film follows Okuzaki Kenzō, a veteran of the Japanese campaign in New Guinea, in his quest to uncover crimes committed by his superiors at the end of the Second World War. At a time when the imperial army’s war crimes were buried in historical amnesia, Hara films Kenzō as he leads an investigation marked by incidents and confrontations that he himself provokes. Protagonist becomes vigilante, both filmed subject and per­petrator of violent acts that include the killing of an old man who refuses to admit to his past war crimes. Kazuo Hara, The Emperor’s Naked Army Marches On, 1987, colour, Japanese, English subs, 122 min.

E  Kazuo Hara, The Emperor’s Naked Army Marches On [L’Armée nue

E  Kazuo Hara, The Emperor’s Naked Army Marches On, 1987,

de l’empereur poursuit sa marche], 1987, 16 mm (numérisé), 122 min

16 mm (digitised), 122 min




Toute œuvre, de la plus précieuse à la plus modeste, se veut peut-être toujours en dernière instance un cri et une alarme. Mais comment crier au milieu du vacarme des guerres et des attentats ? Comment sonner encore l’alarme en plein « état d’urgence », surtout en plein état d’urgence qui dure ? À certains égards, un état d’urgence qui dure est une contradiction dans les termes, à d’autres, c’est peut-être le trait dominant de notre temps. Pour mieux le comprendre, il peut être utile de finir cet abécédaire incomplet par la parole de ceux qui expérimentent cette contradiction de la manière la plus déchirante et la plus centrale : les révo­ lutionnaires syriens.

Perhaps in the end, every work of art, from the most precious to the most unassuming, always means to be a cry and a warning. Yet how can cries be heard amid the din of war and terror? How does one sound the alarm in the middle of a “state of emergency”, especially when the state of emergency is unending? It could be said that an everlasting state of emergency is a contradiction in terms, but it might also be the dominant feature of our times. To better make sense of this, it may help to conclude this incomplete alphabetical primer by hearing out those living the contradiction in the most dreadful and fundamental way: Syrian revolutionaries.

T pour le Temps presse T for running out of Time

Au premier abord, on a du mal à se représenter aujourd’hui ce que pouvait signifier pour les premiers Chrétiens l’annonce de la parousie, du retour de Jésus sur terre et de la fin des temps. Ce n’était pas une affaire d’horizon lointain mais d’urgence vitale, cela allait advenir très bientôt, c’était sans doute pour leur génération ou celle d’après. Donc pour eux le temps pressait considérablement : il était plus que temps de tout lâcher et d’œuvrer à son salut. D’un autre côté, quoi qu’en partie pour cette même raison, ils vivaient dans un monde où le temps séculier lui-même semblait figé par la pax romana : l’Empire paraissait éternel, les guerres repoussées aux frontières, la politique réduite aux murs du palais. Les païens ordinaires étaient donc aussi des hommes pressés, mais d’une autre sorte de presse, plus littérale : dans un présent sans promesse d’avenir, il est urgent de cueillir le jour ou de gagner des places, puisqu’après il n’y a plus rien. Autrement dit, si l’on veut se représenter le rapport au temps dans le monde romain des premiers siècles de notre ère, il faut au moins parvenir à concevoir un monde régi par deux temporalités antagonistes, presque incompréhensibles l’une à l’autre, et pourtant rédui­tes aux deux faces d’une même urgence : imminence d’un côté, avidité ou carpe diem de l’autre. Au second abord, mutatis mutandis, ce monde c’est évidemment aussi un peu le nôtre. D’un côté,

At first glance, it is hard to imagine what, for early Christians, The Second Coming of Christ could have meant—his return to earth and the End of Days. It was not something on the distant horizon; it was of vital urgency. It would happen very soon, probably during this generation, or the next. For them, time was running out: it was urgent to drop everything and focus solely on one’s salvation. On the other hand (and perhaps for this very reason), they lived in a world where secular time seemed frozen by the pax romana... the Empire appeared eternal, wars had been pushed to its edges, politics were confined inside the palace walls. Ordinary pagans were also pressed for time, but in another, more literal way. In a present that held no promise of a future, you had to seize the day, improve your station, because after this there was nothing. In other words, to picture Roman society’s relationship to time in the early centuries of our era is to imagine a world ruled by two opposing senses of being in time: each quite inconceivable to the other, yet both confined to two sides of the same urgency: imminence on one side, and greed—carpe diem— on the other. Upon closer look, and all other things being equal, their world was clearly not so different from our own. Here we have, on one side, protean jihadism informed by apocalyptic urgency, and,


un djihadisme protéiforme emporté dans une urgence apocalyptique, de l’autre une impatience de jouissances et de succès qui fait presque aussi peur, l’une et l’autre, urgence et impatience, ne cessant de se nourrir mutuellement. Ce phénomène a été maintes fois décrit en termes de post-modernisme, fin de l’histoire, présentisme, accélérationnisme, ou encore modernité liquide, c’est-à-dire modernité réduite à des micro-temporalités sans durée et sans horizon. Le problème avec de telles analyses est qu’elles finissent par nous faire complètement perdre le sens politique de l’urgence en se cantonnant à décrire la psychologie de l’homme occidental (ou du djihadiste illuminé qui, à certains égards, n’en est que le double spéculaire). Si l’on souhaite retrouver un tel sens, en quelque sorte passer de l’autre côté de cette structure micro-temporelle en miroir, il est nécessaire d’interroger ceux qui vivent en son cœur, c’està-dire les révolutionnaires syriens. Car c’est peutêtre en Syrie que se nouent et pourront peut-être se dénouer seulement là-bas tous les traits de cette crise du temps : le djihadisme sanguinaire (Daech), le djihadisme sunnite de libération (la nébuleuse de ceux qu’on appelle pudiquement « islamistes modérés »), le djihadisme chiite, le totalitarisme d’État, les manœuvres des grandes puissances internationales. Et car seuls peut-être les révolutionnaires syriens peuvent nous apprendre ce que sont les vraies urgences politiques du temps et comment elles ne prennent sens qu’en articulant temps courts et temps longs. Depuis 2011, ils savent en effet ce que signifie l’urgence qui dure et se déplace (à Damas, à Homs, à Yarmouk, à Alep, à Idlib,…) parce que cette urgence est articulée au temps long d’une exigence de liberté, de justice et de dignité qui ne peut plus disparaître. Et ils savent sans doute aussi ce que signifie la perte de sens et de l’urgence et du temps long dans une communauté internationale qui ne cesse depuis six ans de les abandonner. En d’autres termes, pour reprendre les mots de James Baldwin à propos des étudiants noirs au début des années 1960, faisons le pari que les Syriens d’aujourd’hui peuvent nous « prouver indéniablement ce que la plupart des gens dans ce pays ont encore à découvrir : que le temps est réel ».

Œuvres exposées Une note manuscrite de Joseph Beuys : « les pas nécessaires à la survie, nous allons les faire nousmêmes ». La plupart de ceux qui traversent

on the other, an eagerness for pleasure and gain that is almost as scary; each one—eagerness and urgency—perpetually feeding off the other. The phenomenon has often been described as post-modernism, the end of history, presentism, accelerationism, even liquid modernity (modernity reduced to micro-temporalities, without permanence and without perspective). The problem with these interpretations is that we lose sight of any political sense of urgency, confined as we are to describing the psychology of the Western mind (or that of the enlightened jihadi, which, in a way, is merely its mirror image). If we wish to recover this sense, to cross to the other side of the micro-temporal looking glass, so to speak, we should talk to those who live at its core: Syrian revolutionaries. It is in Syria that the threads of this crisis of time are getting tangled—blood-thirsty jihadism (Daesh), Sunni liberation jihadism (a cluster euphemistically described as “moderate Islamists”), Shiite jihadism, state totalitarianism, and the manoeuvrings of the great international powers; and it is perhaps only in Syria that they can be untangled. Maybe only Syrian revolutionaries can teach us what true political urgency is, and how it only takes on meaning if we connect the short term to the long term. Since 2011 in fact they have known an urgency that is ongoing, and drifting—from Damascus, to Homs, Yarmouk, Aleppo and Idlib— an urgency over the long term that can no longer be ignored in its demands for freedom, justice and dignity. And no doubt they know what loss of meaning, and urgency, and permanence means in an international community that for six years has done nothing but repeatedly abandon them. To borrow the words of James Baldwin, referring to black students in the early 60s, let us be confident that today’s Syrians can “prove unmistakably what most people in this country have yet to discover: that time is real.”

Exhibited works A handwritten note by Joseph Beuys stating: “the steps necessary to survival, we will take them ourselves”. Most people who have experienced true survival—not its paranoid, survivalist perversion—are aware of this ambivalence: surviving is no longer really living, forced to exist naked and stripped of everything; and yet surviving is also living superlatively, experiencing new forms of affection and intensity. To take the steps necessary for survival ourselves, says Beuys.


de vraies expériences de survie, avant leur perversion paranoïaque ou survivaliste, en connaissent l’ambivalence : survivre, c’est ne plus vivre vraiment, être voué à une vie nue dépouillée de tout, et survivre, c’est vivre supérieurement, dans des formes d’affection et d’intensité inédites. Faire nous-mêmes les pas nécessaires à la survie, dit Beuys. Prendre son destin en mains et rester dignes jusqu’au bout, disent tous les révoltés. Une conférence de Gilles Deleuze nommée : Qu’est-ce que l’acte de création ? Pour créer, nous dit Deleuze, il ne faut pas se perdre dans des projets ou des intentions vides mais d’abord apprendre à vivre aux aguets, à attendre l’idée qui vient, à se rendre disponible aux forces du dehors. Ce en quoi la création artistique se rapproche peut-être le plus décisivement quoi que le moins visiblement des luttes politiques : dans une même expérience d’un temps où l’attente infinie et le geste fulgurant finissent presque par devenir indiscernables. Pierre Zaoui

To take our destiny in our own hands and keep our dignity until the end, say those who revolt. A conference by Gilles Deleuze entitled: Qu’est-ce que l’acte de création? [What is the creative act?] To create, says Deleuze, we must not lose ourselves in empty projects or intentions; we must learn to be on the lookout, to wait for ideas to come, to be open to outside forces. This may be how the creative act most decisively—yet least obviously—resembles political struggle: a shared experience of time in which the endless wait and the explosive gesture become almost indistinguishable. Pierre Zaoui

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A  Gilles Deleuze, Qu’est-ce que l’acte de création ?, captation vidéo

de la conférence donnée par Gilles Deleuze à La Fémis en mars 1987, 46 min 45 s  B  Joseph Beuys, Die überlebensnotwendigen Schritte werden wir nun selbst unternehmen ! / Gruss ! [Les pas nécessaires à la survie, nous allons les faire nous-mêmes ! Salutations !], 1981, mine graphite sur papier  C  Eric Baudelaire, Also Known As Jihadi, 2017, photogramme

A  Gilles Deleuze, Qu’est-ce que l’acte de création? [What is the

Creative Act?], video recording of a public lecture by Gilles Deleuze at La Fémis in March 1987, 46 min 45 s  B  Joseph Beuys, Die überlebensnotwendigen Schritte werden wir nun selbst unternehmen! / Gruss! [The steps necessary for survival, we are going to take them ourselves! Greetings!], 1981, graphite on paper  C  Eric Baudelaire, Also Known As Jihadi, 2017, film still


Programme 18 septembre à 19 h Discussion ouverte avec Pierre Zaoui, Hala Abdallah, Salam Kawakibi et Véronique Nahoum-Grappe, du Comité Syrie-Europe

Programme 18 September, 7 pm An open discussion with Pierre Zaoui, Hala Abdallah, Salam Kawakibi and Véronique Nahoum-Grappe from the Comité Syrie-Europe

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La séance proposera une discussion, ouverte à tous, avec des membres du Comité Syrie–Europe autour de la question du temps dans un conflit qui dure depuis plus de six ans et ne semble pas prêt de s’achever. Comment survivre aux basculements terribles qui strient ce conflit depuis 2011 : révolution improbable, passage à la lutte armée, sentiment d’imminence de la victoire, sentiment d’imminence de la déroute, statu quo…? Comment expérimenter la démocratie au sein des Conseils de ville quand la guerre presse tout autour ? Qu’est-ce qui est encore urgent aujourd’hui en Syrie après Alep ? (Le sort des prisonniers politiques, le sort d’Idlib, la chute attendue de Daech…). La séance sera entrecoupée d’extraits de films de Hala Abdallah.

An open discussion with members of the Comité Syrie–Europe [Syria–Europe Committee] on the question of time in a conflict that has lasted more than six years with no end in sight. How does one survive the terrible upheavals that have marked this conflict since 2011: unlikely revolution, armed resistance, a feeling of imminent victory, a feeling of imminent defeat, status quo...? How can local city councils implement democracy when war is raging all around them? What remains urgent in Syria after Aleppo? (The fate of political prisoners, the fate of Idlib, the long-awaited fall of Daesh...). The evening will include excerpts from the films of Hala Abdallah.


Collections et crédits photographiques  Fondation Le Corbusier : Architecture (A, B, C) • Centre Pompidou, Musée national d’art moderne-Centre de création industrielle, Paris : Introduction (A), Commémorer (A, B, C, D, E), École (C), Fûkeiron (A, B, C, D), Hypnose (A, B), Justice (A, B, D), Ô mon pays ! (A, B), Présent/Passé (B), Rendre des comptes (B, C, D), le Temps presse (B). Photo : Centre

Pompidou, MNAM-CCI. Dist. RMN-GP/Georges Meguerditchian : Commémorer (B, C, D, E), Fûkeiron (C, D), Hypnose (A), Justice (A), Rendre des comptes (B) ; Philippe Migeat : Commémorer (A), Fûkeiron (A), Ô mon pays ! (B), le Temps presse (B) ; Bertrand Prévost : Rendre des comptes (C) ; droits réservés : École (C), Fûkeiron (B), Hypnose (B) • Centre Pompidou, Musée national d’art moderne-Centre de création industrielle, Bibliothèque Kandinsky, Paris : Architecture (D), Commémorer (F), École (B) ; Fonds Shunk-Kender, Donation Roy Lichtenstein Foundation, 2014 : Justice (C) • Collection de l’artiste : École (A), artistes en Lutte (A, D) • Bibliothèque Interuniversitaire de Santé, Paris : Hypnose (C). Photo : BIU Santé, Paris • Collection M HKA/ Museum of Contemporary Art Antwerp : Hypnose (D) • Jon Hendricks : artistes en Lutte (B, E) • Mohamed Salah Azzouzi : Mouvement-image (A, B, D) • Collection du Centre national des arts plastiques, Paris, FNAC 980569 (29). Photo : Cnap, Yves Chenot : Ô mon pays ! (C) • Elisabetta Benassi et Magazzino d’arte, Rome. Photo : Andrea Rossetti : Présent/Passé (A) • Collections ayant prêté des documents non reproduits ici : Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine, Paris et Bibliothèque municipale de Rouen.

Copyrights  © Adagp, Paris 2017 : Vito Acconci, Carl Andre, Jean Arp,

Eric Baudelaire, Joseph Beuys, Constantin Brancusi, Esther Ferrer, Fondation Le Corbusier, Isidore Isou, Faith Ringgold, Kurt Schwitters, Zineb Sedira, Rosemarie Trockel © Lawrence Abu Hamdan. AKA Serial Killer © Adachi Masao Screening Committee © Francis Alÿs. La Bombe (The War Game) © BBC © Elisabetta Benassi. Der lachende Mann © Deutsches Rundfunkarchiv © Frazer Dougherty. Qu’est-ce que l’acte de création ? DVD disponible aux éditions Montparnasse © 2004 Editions Montparnasse. Tous droits réservés © Marianne Filliou. Shunk-Kender © J. Paul Getty Trust. Tous droits réservés © Paul Graham © Renée Green © Jon Hendricks. La Grande Borne © INA. France/tour/detour/deux/enfants © INA. Reprise © Les Films d’Ici © Andrei Monastyrsky © Irving Petlin. Le Joli Mai © Potemkine Films © Printer Matter Inc., Kunstverein Publishing and the Research Centre for Artists’ Publications at the Weserburg | Museum of Modern Art © Jan van Raay © Jo Ractliffe. Zone immigrée et Ils ont tué Kader © Mohamed Salah Azzouzi. The Emperor’s Naked Army Marches On © Shisso Production. Handsworth Songs © Smoking Dogs Films, vidéo fournie par Lisson Gallery © Théâtre Pôle Nord © Paul Thek © Jean Toche © Nil Yalter © Droits réservés.


Ce livret a été publié à l’occasion de l’exposition Après, un projet d’Eric Baudelaire, du 6 au 18 septembre 2017 dans la Galerie 3 du Centre Pompidou, Paris.

À Patrick Baudelaire qui m’a transmis son amour des livres E. B. Centre national d’art et de culture Georges Pompidou Le Centre national d’art et de culture Georges Pompidou est un établissement public national placé sous la tutelle du ministère chargé de la culture (loi n o 75–1 du 3 janvier 1975) Serge Lasvignes Président Julie Narbey Directrice générale Julia Beurton Directrice générale adjointe Bernard Blistène Directeur Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle Kathryn Weir Directrice Département du développement culturel Jack Lang Président Association pour le développement du Centre Pompidou Didier Grumbach Président Société des Amis du Musée national d’art moderne © Éditions du Centre Pompidou, Paris, 2017 © Éditions Poulet-Malassis, Paris, 2017

Exposition

Remerciements

Commissaire :  Marcella Lista, conservatrice, chef du service des nouveaux médias

Sonia Ahmimou Luc Arasse Claire Atherton Christophe Bousquet Gilles Carles Thibault Carterot Catherine David Arnaud Dercelles Guillaume Désanges Sylvie Douala-Bell Yvon Figueras Mica Gherghescu Isabelle Godineau Stéphane Guerreiro L’Harmënstejn Lora Houssaye Raphaëlle Jeandrot Mathieu Lamy Brigitte Léal Alexandre Lebugle Fabien Lepage Kim Levy Karolina Lewandowska Dov Lynch Olga Makhroff Olivier Marboeuf Anne Paounov Laurence Perrillat François Quintin Didier Schulmann Gaëlle Seltzer Bernard Soens Laurence Soens Jonas Storsve Brigitte Vincens Cédric Walter Sylvain Wolff Galerie Barbara Wien Galerie Greta Meert

Chargés de recherches et coordination : Alexandra Delage, Julie Champion et Etienne Sandrin avec Pauline Roche Chargées de production : Maud Desseigne avec Capucine Borde Architectescénographe : Pauline Phelouzat Édition Éditeurs : Centre Pompidou Poulet-Malassis Conception éditoriale : Eric Baudelaire Coordination éditoriale : Alexandra Delage Graphisme : Jean-Marie Courant & Marie Proyart avec Malou Messien Traduction : Francesca Devalier Sepideh Anvar Jesse Kirkwood Relectures : Alexandra Delage Julie Champion Impression : Cassochrome

Ce projet a bénéficié du soutien de Lafayette Anticipations – Fonds de dotation Famille Moulin, Paris Cassochrome

Nous adressons nos chaleureux remerciements aux participants de ce projet ainsi qu’aux partenaires et institutions qui ont permis par leurs prêts, leur soutien et leurs conseils la réalisation d’Après.


Du 6 au 18 septembre 2017 Centre Pompidou—Galerie 3 Commissaire : Marcella Lista

September 6 to 18, 2017 Centre Pompidou—Gallery 3 Curator: Marcella Lista

Après réunit dans la Galerie 3 du Centre Pompidou, pendant deux semaines, une exposition et une programmation quotidienne. Le dernier film d’Eric Baudelaire, Also Known As Jihadi (2017), est au cœur de ce projet. Il suit le parcours d’Aziz, de Vitry-sur-Seine jusqu’au Tribunal Correction­nel, mène une enquête tâtonnante sur une réalité qui dépasse cet événement précis, une réalité saturée de lectures interprétatives et dont la complexité, pourtant, ne cesse de résister à la compréhension. À ce film, sur le plateau d’exposition ouvert, répondent les œuvres d’autres artistes, du passé et du présent, issues des collections du musée national d’art moderne et de quelques autres institutions, de Constantin Brancusi à Jean-Luc Godard, de Rosemarie Trockel à Andrei Monastyrsky, Jo Ractliffe ou Lawrence Abu Hamdan. Chaque jour à 19 heures, une programmation amorce un moment de débat et d’échange avec le public.

Après [after] brings together, for two weeks in Gallery 3 of the Centre Pompidou, an exhibition and a daily programme of encounters. Eric Baudelaire’s latest film, Also Known As Jihadi (2017), is central to this proposition. It follows the journey of Aziz from his native Vitry-sur-Seine to the criminal courthouse, and focuses on a reality that goes beyond individual events: a reality saturated by interpreta­tions, but whose complexity defies comprehension. In the exhibition space, the works of other artists from the past and present, drawn from the collections of the National Museum of Modern Art and other institutions, respond to the film: from Constantin Brancusi to Jean-Luc Godard, Rosemarie Trockel, Andrey Monastyrsky, Jo Ractliffe and Lawrence Abu Hamdan. Every day, at 7 pm, a public programme of screenings and discussions with the public will take place.

après


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