Tribunes de l’addictologie Travailler sur les lieux festifs
Daniel Lenoir Adolescence et conduites
Se situer en amont des futurs troubles addictifs
addictives. De la dépendance
Par David Le Breton p.6-7
Fonctionnement familial et dépendances aux substances chez l’adolescent
Par Jean-Louis Nandrino p.8-9
A
dolescences et adaptations Si l’écran fait écran
Par Serge Minet
p.10-11
année 2011 - numéro 3 Financé par le Conseil Régional du nord - pas-de-calais
Cécile Bourdon Développer une culture de prévention globale et transversale
Michel Lefebvre Accroître la palette de réponses aux questions des adolescents
Hervé Poher
Actualités Tabac
Patrick Perreti-Watel et Jean Constance Dépénalisation.
Marie Villez
Troubles alimentaires
Dewi Guardia
Binge-drinking
Véronique Vosgien
Les cahiers de l’addictologie n°3 Année 2011
Les tribunes de l’addictologie
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Points de vue de Daniel Lenoir, Cécile Bourdon, Michel Lefebvre et Hervé Poher.
Actualités
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Tabac. Prendre le contre-pied des promoteurs du tabac. Par Patrick Peretti-Watel et Jean Constance. l Dépénalisation. Pour un débat sur les drogues dépassionné, constructif, raisonné. Par Marie Villez. l Troubles alimentaires. Interview de Dewi Guardia. l Binge-drinking. Un nouveau rite de passage ? Par Véronique Vosgien
Dossier
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Adolescence et conduites addictives. De la dépendance. Par David Le Breton. « Un garçon se sent toujours plus fort qu’une fille face à la consommation de produits. » Interview d’Olivier Cottencin. Fonctionnement familial et dépendances aux substances chez l’adolescent. Par Jean-Louis Nandrino. « La lutte contre les conduites addictives passe par la bonne gestion des émotions. » Interview de Stéphane Rusinek. Si l’écran fait écran. Par Serge Minet. « Au casino de Lille, on suit de près les joueurs sensibles. » Interview de Dorothée Plagnes. 4 questions à François Ducrocq sur la santé mentale des adolescents. Trois paris gagnants en région. Les apprenti-es du Nord - Pas-de-Calais pleinements conscients de leurs choix ? Par Loïc Cloart et Benoît Dejonghe. l Opération « un été en or » Par Samuel Tourbez. l « Boire ou fumer, c’est risqué encore plus quand bébé annoncé. » Par Elisabeth Dooghe. Trois structures qui accompagnent les adolescents dépendants. La Maison des adolescents à Lille. Interviews Karlheinz Cerny et de Valérie Rochart. l Département d’alcoologie et de conduites addictives du centre hospitalier du pays d’Avesnes. Par Jacques Yguel. l L’association Boulogne Drogue Info (BDI) : La consommation du cannabis, un symptôme à interroger. Interview de Damien Quéval
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Les tribunes de l’addictologie
S ommaire
Travailler sur les lieux festifs
Daniel Lenoir Directeur de l’Agence régionale de santé Nord – Pas-de-Calais
Pour Daniel Lenoir, directeur de l’Agence régionale de santé Nord – Pas-de-Calais, la priorité va à l’information et la prévention. Une action importante a été menée avec les grands opérateurs régionaux tels que l’Anpaa, Eclat-Graa, ou Anitea qui ont eu la bonne idée de se réunir au sein d’une coordination des associations régionales d’addictologie. La prévention doit être développée à l’avenir, tout comme la formation des acteurs. L’accent doit aussi être mis sur le repérage précoce, afin que les personnes en situation d’addiction aient un recours plus hâtif aux soins. Parallèlement, il est nécessaire de développer les consultations de proximité et de premier recours, (il en existe actuellement 28 dans la région, implantés essentiellement dans des établissements de soins et d’accompagnement) ainsi que des consultations spécifiques pour les jeunes consommateurs. Nous avons développé le dispositif de ville, en partenariat avec l’association de médecins « Généralistes et Toxicomanies 59-62 ». Il est essentiel d’élargir le maillage avec les associations et les médecins généralistes, ce qui permet de mener des actions vis-à-vis des usagers. De façon générale, les jeunes sont notre cible prioritaire. Pour les sensibiliser, il est nécessaire de travailler sur les lieux festifs. Il faut trouver avec les associations le moyen de toucher les jeunes sans gâcher les plaisirs de la fête, afin de les informer sur les risques encourus. Les actions de sensibilisation sur l’alcool au volant ont été efficaces parce qu’elles ont été menées par les jeunes. L’impact est beaucoup plus fort qu’avec une campagne lancée par l’agence. J’aimerais que le prochain projet régional de santé se donne les moyens de mener des actions similaires sur les addictions. Il faut s’appuyer sur les associations existantes, et insister sur les effets néfastes sur la santé. Lorsqu’on questionne les jeunes sur les freins à la consommation, le côté illicite des produits arrive en dernier. Leur vraie crainte concerne leur santé et la peur de la dépendance. C’est donc sur ces leviers qu’il faut agir et sensibiliser les jeunes consommateurs.
Tribunes
Adolescences et adpatations
Développer une culture de prévention globale et transversale
Se situer en amont des futurs troubles addictifs
Accroître la palette de réponses aux questions des adolescents
Cécile Bourdon
Michel Lefebvre
Hérvé Poher
Vice-présidente chargée de la santé et du plan anticancer au Conseil régional Nord - Pas-de-Calais
Vice président du Conseil général du Nord en charge de la santé
Vice-président du Conseil général du Pas-de-Calais en charge de la santé
La thématique des addictions a toujours été une préoccupation de la Région, en particulier en ce qui concerne les lycéens, les apprentis, les jeunes des missions locales et d'une manière générale, les personnes les plus fragiles. Nous intervenons largement sur le champ de la prévention, en encourageant notamment des initiatives vers les publics qui permettent de développer la connaissance dans ce domaine. Nous soutenons les conférences organisées au niveau régional et dans les territoires, et nous accompagnons les associations porteuses de ce type de thématiques (Granitéa, ANPAA 59/62...). Au niveau des territoires, dans une logique de proximité, le Conseil Régional favorise par le biais de temps d'information et de sensibilisation, les personnels qui travaillent en contact avec les jeunes : éducateurs de centres d’accueil ou de centres sociaux et autres… Avec le Groupement régional de promotion de la santé, nous permettons la mutualisation des savoir-faire et favorisons le partage d'expériences. Au niveau des consommations, l’alcool chez les jeunes semble régresser légèrement depuis quelques années. Nous restons en revanche vigilants sur les autres formes d'addictions, car il ne s’agit pas seulement d’un phénomène de comportements. Il faut en rechercher les raisons : le stress et le malêtre des jeunes peuvent être des « portes ouvertes » sur des comportements à risques. Et la Région doit jouer son rôle à ce niveau. Nous aidons largement les dispositifs de prévention mis en place dans les lycées, en partenariat avec l’Education nationale, et depuis deux ou trois ans, nous menons une action spécifique en direction des apprentis. Des référents-santé ont été installés dans chaque bassin d’emploi comportant un Centre de formation des apprentis afin de renforcer la sensibilisation de ces jeunes salariés. Nous sommes attentifs aussi au développement des « addictions sans produit » (jeux vidéos, jeux en réseaux internet...) qui plongent les jeunes dans une logique d’isolement. Beaucoup de partenaires nous font part de ce phénomène qui révèle un mal-être des jeunes et peut mener à un geste fatal. C’est un nouveau sujet sur lequel nous nous penchons avec attention. Il est clair que la question des addictions s’inscrit pour la Région dans une perspective de prévention : on se situe en amont de futurs troubles qui pourraient aussi développer des pathologies cancéreuses. Sur notre région, les indicateurs de cancers du poumon et des voies aéro-digestives supérieures, par exemple, restent très préoccupants comparés aux moyennes nationales. Sans adopter une attitude sectaire, notre rôle est de sensibiliser la population aux risques liés à une consommation de substances toxiques. Nous venons en amont de la maladie pour « éveiller les consciences », permettre à chacun de préserver son capital santé. Après, chacun prend ses responsabilités.
Les études épidémiologiques confirment les inégalités géographiques persistantes en ce qui concerne les cancers et les maladies cardio-vasculaires. Les taux de mortalité restent préoccupants et justifient une politique volontariste pour agir sur les facteurs de risques : alcool, tabac, cannabis, et depuis quelques années, l’association des trois produits. En 1992, le Nord a été l’un des premiers départements à signer avec l’Etat un contrat d’action et de prévention de la toxicomanie. Depuis, le Département est resté innovant dans ce domaine. En 2004, après avoir étendu son action aux produits licites, il a voulu renforcer la prévention en finançant une plate-forme de services de prévention des consommations à risques. Baptisée Prévention 59, elle regroupe le comité de lutte contre les maladies respiratoires, Eclat-Graa et l’Anpaa 59. Le Conseil général a également installé l’espace de prévention Epicéa, qui est aujourd’hui reconnu dans toute la France pour son expertise en matière de prévention. Ce service du département défend l’idée d’une culture de prévention globale et transversale promouvant l’éducation au bien-être et le mieux vivre ensemble, la citoyenneté et la qualité de vie. Cette conception comportementale intègre des notions d’autonomie mais aussi d’éducation au risque et au plaisir. Epicéa dispose d’un centre de ressources très riche, ouvert au public et aux professionnels – avec nombre d’ouvrages et d’outils pédagogiques. Il a également une équipe de huit accompagnateurs pédagogiques en formation, (un par territoire de santé) qui va sur le terrain former des publics-relais. La grande implication du Département dans la prévention des conduites addictives commence à montrer des résultats tangibles. La dernière enquête de l’Office français des drogues et des toxicomanies (OFDT) fait état d’une moindre consommation de tabac et d’alcool chez les jeunes nordistes au regard d’autres régions. En matière de cannabis, on dénombre 5% d’usagers réguliers contre 11% en Languedoc Roussillon, autre région frontalière. Cela dit, on constate toutefois une banalisation des conduites à risques chez les 12-25 ans, et souhaitons porter notre réflexion sur le sens de ces comportements. L’approche préventive des politiques publiques montre ses limites, et le Département entend insuffler une nouvelle conception, plus transversale, plus globale.
Hervé Poher souligne que la politique en matière de toxicomanie est une politique à la fois volontariste et centrée sur la prévention. Dès 1997, les élus ont interpellé le préfet sur cette problématique émergente dans le Département et la trop faible offre pour y répondre. A l’époque, le Pas-de-Calais ne disposait que d’une structure d’accueil et de soins pour les toxicomanes, ABCD à Saint-Omer. Pour les adolescents, notre angle d’approche consiste à leur apporter la plus large palette de réponses à leurs questions, à leurs problèmes de sorte qu’ils puissent s’épanouir en responsabilité visà-vis de leur santé. Une écoute généraliste de proximité leur est proposée par le biais des Points Accueil Ecoute Jeunes. Le Département accompagne les collèges dans leurs projets de prévention des addictions, entre autres, en moyens humains et financiers. Nous menons également des actions en direction des jeunes qui nous sont confiés – relevant de l’Aide sociale à l’enfance- et qui sont souvent porteurs de problématiques de santé multiples et importantes. Les parents d’adolescents sont aussi au cœur de notre action. Le Conseil général du Pas-de-Calais a fait de sa politique en faveur des jeunes un axe fort pour les années à venir. La création des deux maisons des adolescents, en lien avec l’Agence régionale de santé sur le territoire départemental en est l’une des composantes. Ces maisons proposeront une offre de service complémentaire sur l’ensemble du département tant pour les adolescents et leur famille que pour les professionnels. Elles favorisent la mise en synergie des professionnels et les prises en charge pluri-professionnelles à la fois sanitaires et sociales. La Maison des adolescents de l’Artois ouvrira ses portes en avril prochain à Henin Beaumont. Elle couvrira les territoires d’Hénin-Carvin, de Lens-Liévin, de l’Artois, de l’Arrageois et du Ternois. Dans un deuxième temps, la Maison des adolescents du Littoral ouvrira à Saint-Omer et Boulogne pour répondre aux besoins des territoires du Calaisis, du Boulonnais, du Montreuillois et de l’Audomarois.
Adolescences et adaptations 3
Actualités
Adolescences et adpatations
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Tabac
Prendre le contre-pied1 des promoteurs du tabac
Apparue en France vers 1830, la cigarette n’a connu son essor qu’à la fin du XIXe siècle. En 1888, elle se vendait à hauteur de 900 millions d’unités dans le pays contre quelques dizaines de milliers vers 1840. Sa consommation a augmenté tout au long du XXe siècle pour atteindre les 54 milliards d’unités vendues en 2009 (source de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies). Cette popularité croissante de la cigarette n’est pourtant pas le fruit d’un goût spontané pour l’inhalation de sa fumée. Durant la période de l’entre-deuxguerres, l’industrie du tabac, encore insatisfaite de ses ventes au regard des nouvelles capacités techniques de production, a cherché à séduire un public pour qui fumer n’allait pas nécessairement de soi, voire inspirait de la répugnance. L’industrie du tabac s’est très tôt emparée des techniques de la propagande et des médias audiovisuels pour populariser la cigarette, notamment auprès des femmes. En 1929, Edward Bernays, neveu de Sigmund Freud et inventeur des « relations publiques », réussit à donner une image positive des cigarettes en les qualifiant de « flambeaux de la liberté ». Edward Bernays parvient à briser le tabou des femmes fumeuses et permet à celles-ci de s’emparer d’un symbole phallique (la cigarette), représentatif du pouvoir sexuel des hommes. Il utilise alors un ressort politique et social, celui de leur émancipation, pour susciter chez elles le désir de fumer. Si la cigarette a ainsi pu être associée à l’image d’une vie meilleure, la prévention travaille aujourd’hui à en défaire l’évidence en utilisant des techniques identiques à celles de la publicité. Campagne après campagne, elle ne cesse en effet de prendre le contre-pied exact des promoteurs du tabac. Là où la cigarette était censée rendre l’individu séduisant et performant, la prévention se réapproprie le message pour en montrer le résultat inverse. « Il s’agit désormais, en jouant sur l’image du corps et sur l’attention portée au regard d’autrui, de détourner les gens du tabac en leur montrant un fumeur repoussant ». C’est également en défendant la nécessité d’une « éducation permanente », d’une répétition incessante des messages contre le tabac, que la prévention cherche à faire face à une publicité qui s’est imposée sans relâche auprès des consommateurs. 1. Tiré de « Prévenir le tabagisme par l'image », Ethnologie française 1/2011 (Vol. 41), p. 67-78. www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2011-1-page-67.htm.
Par Patrick Peretti-Watel, sociologue de l’Inserm UMR 912 et à l’Observatoire régional de la santé Provence-Alpes-Côte d’Azur et Jean Constance, sociologue, ingénieur d’étude à l’Inserm UMR 912
Dépénalisation L’été a semblé propice par médias interposés, à l’ouverture des débats sur les politiques envers les drogues menées dans notre pays. Expérimentation des salles de consommation l’an dernier, dépénalisation et légalisation cette année. Pour les mois à venir, on peut craindre ou espérer un débat et des prises de positions sur ces questions par les candidats à l’élection présidentielle : prudence, fin de non recevoir, promesse ? Il est important que les professionnels de l’addictologie contribuent à poser les termes de ce débat. La Fédération Française d’Addictologie et la Fédération Addiction ( fusion de l’Anitea et de la F3A) proposent de s’entendre sur un certain nombre d’éléments de langage pour sortir de la confusion et des malentendus. Les premiers repères méthodologiques amènent à distinguer d’une part, les actes liés à l’usage et ceux liés à l’offre et à l’accès aux drogues et d’autre part, de distinguer les actes qui portent atteinte à autrui de ceux qui ne peuvent affecter que soi-même. Dans le débat sur les drogues, dépénaliser signifie renoncer à punir péna-
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Pour un débat sur les drogues dépassionné, lement l’acte de consommer des drogues (passible d’une peine de prison d’un an et d’une forte amende actuellement). La suppression de l’incrimination ou déjudiciarisation de l’usage privé de toutes les substances serait le premier pas marquant une volonté de sortir l’acte visé du domaine de la justice pour l’inscrire dans celui de la santé et de l’éducation. Cela supposerait de préciser dans quelles circonstances l’usage reste une infraction (conduite d’engin, usage public, etc.) et quelles sont les sanctions ou obligations qui en découlent. Légaliser signifie donner un cadre légal à quelque chose ou à un acte qui n’en avait pas. Cette ouverture à un accès légal à la substance peut prendre différentes formes, par un système de contrôle de l’état de la production jusqu’à la vente. Réguler signifie rechercher les moyens politiques et juridiques les plus appropriés pour permettre aux individus et à la société de limiter les dommages liés à l’usage de substances. Il ne s’agit alors ni de prétendre éradiquer ces substances, ni d’exclure des mesures très res-
Troubles alimentaires L’anorexie, une addiction comme les autres ?
Quelles sorte de pathologie est exactement l’anorexie ? Depuis une dizaine d’années, elle est considérée comme une addiction, ce qui oriente le traitement à apporter aux patients. Le docteur Dewi Guardia, chef de clinique au service de psychiatrie du CHRU de Lille, nous explique pourquoi. On parle beaucoup de l’anorexie mentale. Est-elle une pathologie en hausse, ou est-ce avant tout la manière de la considérer qui a changé ? Nous sommes en manque d’études épidémiologiques détaillées à ce niveau. Si l’on considère les chiffres de 2009, 4,5% des Français étaient atteints d’un trouble du comportement alimentaire, parmi lesquels 0,5% touchés par l’anorexie mentale. La maladie est essentiellement féminine : 90% des anorexiques sont des filles. Mais la vision médicale de l’anorexie a évolué : désormais l’anorexie est assimilée à une pratique addictive, c’est-à-dire que l’on considère qu’elle correspond à la mise en place d’un comportement que l’on sait néfaste mais qu’on ne peut contrôler. A la différence de l’alcoolisme ou de la toxicomanie qui sont des addictions de produit, l’anorexie est une addiction de comportement. Les études neurobiologiques le prouvent : l’anorexie active les bases cérébrales de la dépendance. Les zones du cerveau sollicitées sont les même, les circuits de récompenses activés aussi. Notons quand même que l’anorexie est une addiction dite « en circuit fermé » : l’hyperactivité, la perte de poids libèrent un neurotransmetteur endogène, qui crée l’état de bien-être. Déjà dans les années 40, certains chercheurs
évoquaient une « toxicomanie sans drogue ». Plus tard, les visions psychanalytiques et comportementales ont validé cette hypothèse : l’impossibilité de résister aux impulsions, le plaisir, puis le soulagement sont caractéristiques de la dépendance. La classification de l’anorexie comme addiction a-t-elle fait évoluer la manière de la traiter ? Le traitement médical nécessite un sevrage préalable, qui passe par une re-nutrition du patient. Comme pour toute addiction, l’anorexie a souvent à la fois des causes génétiques, psychologiques et sociales. La prise en charge de suivi doit ensuite se faire à plusieurs niveaux : un accompagnement individuel, des ateliers d’écoute, une thérapie familiale. Les groupes d’entraide mutuelle, qui sont ancrés dans la ville davantage que dans le milieu hospitalier, sont désormais très répandus. Tout ceci est accompagné d’un apport diététique médicalisé, d’une psychothérapie et d’ateliers corporels comme la kinésithérapie ou la balnéothérapie. Les médicaments n’interviennent qu’en appoint, en cas de troubles de l’humeur. En réalité, il n’y a pas de patient-type touché par l’anorexie : il s’agit d’une maladie éminemment multifactorielle, que l’on traite au cas par cas.
constructif, raisonné trictives selon les cas. Il faudra bien modifier une loi qui, 40 ans après sa promulgation en 1970, est inadaptée aux comportements et besoins des usagers de drogues mais demeure le socle législatif autour duquel s’organisent la répression et les soins. Ceci appelle dès maintenant à poser les principes d’une loi d’orientation ayant pour objet de réduire les dommages liés aux consommations. Elle devra s’appuyer sur un large débat politique et sociétal, sortir des clivages anciens sur l’aspect illicite ou licite des produits, protéger les plus vulnérables notamment les mineurs, supprimer l’incrimination de l’usage privé, être accompagnée de très nombreuses mesures éducatives et d’actions de prévention d’envergure. Et puis, il faudra encore et toujours réfléchir à l’origine de nos peurs sur ces questions complexes pour ouvrir ce débat avec raison et s’engager dans de nouvelles réponses.
Par Marie Villez, directrice de l’association Le Cèdre Bleu, membre de la FFA et de la Fédération Addiction.
Binge-drinking Un nouveau rite de passage ?
En 2006, 80 millions d’européens de plus de 15 ans ont signalé au moins un épisode de binge drinking au cours duquel selon leur appartenance, ils ont ingurgité environ quatre ou cinq verres en moins de deux heures. La prévalence ne cesse d’augmenter depuis les années 90 en Europe et aux États-Unis et inquiète par l’âge de plus en plus précoce des usagers. L’enquête Escapad en 2009 montre qu’à 17 ans, 65 % des garçons de 17 ans et 54 % des filles ont présenté au moins une ivresse dans l’année, et pour 12% des garçons et 4.6 % des filles, plus de 10 ivresses annuelles. L’absence de liens familiaux, l’exclusion scolaire et le chômage, mais aussi le passage à l’université avec le nouveau mode de vie, les bizutages et les soirées d’intégration favorisent ce phénomène. Dans le cadre du binge drinking, la consommation se fait en groupe. C’est une consommation essentiellement d’alcools forts, seuls ou en association : shooter, TGV (tequila, gin, vodka). Elle est associée principalement au tabac, parfois aux benzodiazépines et plus rarement au cannabis. Il existe souvent des rituels de consommations qui s’exécutent sous le regard encourageant des camarades qui congratulent celui qui réussit la « prouesse ». Heureusement, tous les binge drinkers ne deviendront pas alcoolo-dépendants : l’âge, les responsabilités professionnelles et familiales viendront mettre un terme à ces comportements. Certains auteurs considèrent qu’un homme sur trois et une femme sur sept présenteront toujours ce comportement à 40 ans, d’autres que la moitié de ces buveurs souffriront d’alcoolo-dépendance à l’âge adulte. Devant ce phénomène, les législateurs ont voulu protéger les jeunes par des restrictions de vente selon l’âge (interdite désormais au moins de 18 ans) et de lieu et par des mesures répressives. Pour être efficaces, ces mesures doivent être corrélées à des actions de prévention : informations sur les risques certes, mais aussi discussion et évaluation de la connaissance du problème par le jeune. Bien entendu, la prise en charge est parfois nécessaire et se fait par le médecin traitant ou dans des centres spécialisés. La famille doit être intégrée dans l’accompagnement. Le plus difficile reste le repérage des situations à risque pour une intervention précoce. Pour en savoir plus : A. Petit, L. Karila, A. Benyamina, M. Reynaud, H-J. Aubin - Le binge drinking chez les jeunes. Psychiat.csi.hum.neurosc.7 :122-126 (2009)•A.Crego and al. Attentionnal and visual working memory processing in young university students Alcoholism : clinical and experimental research ;33(11):1870-9 (2009) • M.Reynaud, Clinique, neuropsychologie et neuroimagerie du binge drinking - Enquête Escapad (2008), Ofdt (2009).
Par Véronique Vosgien, psychiatre, chef du service d'addictologie de l'hôpital de Lens
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Dossier
Adolescences et adpatations
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e la dépendance
Adolescence & conduites addictives
Le jeune expérimente différents produits en quête du sésame qui lui procurera les sensations attendues. La quête est celle de se sentir enfin exister. Mais ces médicaments de l’existence, renvoient étymologiquement au pharmakon, terme ambivalent signifiant à la fois remède et poison. David Le Breton, professeur de sociologie à l’université de Strasbourg, membre du laboratoire URA-CNRS « Cultures et sociétés en Europe »
C
ette passion de se sentir enfin assuré de soi amène à boire pour boire, ou à user de toutes sortes de produits ou de mélanges pour aboutir à différentes formes de sensation de soi. Et les rites de virilité propres aux groupes masculins, ou l’effet d’incitation dû à la présence des autres, poussent le jeune à la surenchère même s’il sait que des lendemains nauséeux l’attendent. Toute expérience positive d’un membre du groupe avec un produit incite les autres à tenter de la vivre à leur tour. En outre, pour les jeunes les mélanges de médicaments dans une recherche de sensations aléatoires ou spécifiques ne sont nullement associés à un danger. A leurs yeux les médicaments sont faits pour soigner ou soulager, et non pour rendre malade ou mettre en péril. La dépendance implique une résonance intime qui fasse sens pour l’acteur. Ce n’est pas le produit qui la provoque, ni l’imitation des autres, mais la cristallisation opérée entre ses propriétés pharmacologiques et une histoire de vie. C’est le sujet qui fait sa drogue et non l’inverse. Les conséquences personnelles des molécules ne sont pas les mêmes selon les attentes de l’acteur et les manques à être qu’il tente de combler. La dépendance n’est pas nécessairement à la clé. La consommation peut demeurer une expérience sans lendemain, ou sporadique, l’individu n’éprouvant envers elle aucune forme de fascination. L’élection du produit comme régissant désormais l’existence implique une « rencontre initiatique1» qui semble soudain apporter les réponses, colmater les brèches. Le produit est un ciment pour un sentiment de soi fragile, il efface d’un trait une dépressivité chronique, une impression de vide, mais il en fait payer le prix par la dépendance et l’organisation de toute l’existence autour de lui. Un certain nombre d’étapes s’imposent sur le parcours2. Le sujet demeure acteur de son expérience, il lui donne sens et valeur, il n’est pas une marionnette mue par les molécules, mais il s’organise autour de la recherche de son produit. Différents degrés d’engagement se déclinent entre l’usage unique ou ponctuel et la dépendance. Les drogues « dures » ne s’opposent aux drogues « douces » qu’en termes de substances. S’agissant d’usage, il y a parfois un usage « dur » des drogues douces, et un usage « doux » des drogues dures. Certains acteurs connaissent une lourde dépendance au shit et se sentent incapables de mener à bien leur vie quo-
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tidienne sans le soulagement qu’il leur procure. A l’inverse, d’autres sont des usagers occasionnels, ils profitent seulement des circonstances. Ils exercent une réflexivité sur les doses, la qualité du produit, la crédibilité de leurs pourvoyeurs, la manière de ritualiser la prise du produit, le moment choisi, etc. Comme les autres formes de dépendance, l’usage régulier des drogues est une solution face aux conflits affrontés par l’individu. Le recours aux drogues est une forme de fabrique de soi, une manière de se construire ou plutôt de se maintenir comme individu en dépit des difficultés. Automédication sous une forme chimique pour se rendre le monde vivable à défaut de changer soi ou de changer l’ordre des choses. Le manque à être disparaît, vite remplacé par le manque du produit. Mais il est plus facile de se procurer le produit que de l’être. Sous une forme combattue par la société, le recours aux drogues est une médication profane du rapport au monde, une forme subtile de contrepoint à la maintenance banale du normal que réalisent les psychotropes sous l’égide du médecin. Elle assure un étayage de l’existence en en payant le prix, nous sommes dans une logique de sacrifice3. Mais l’individu n’a pas d’autre moyen pour assumer sa condition. S’il a trouvé une formule de mise en mouvement de son existence, il en ignore la formule d’arrêt et reste dépendant de son produit. Il s'agit non plus d'en jouir mais de s'arracher aux affres du manque, de soulager le terrible sentiment du vide, la fatigue infinie qui alourdit le moindre geste, l'obsession. La situation de manque est un abîme, une dissolution de soi qui lève toutes les préventions du sujet, désormais incapable d’échanges, de compréhension, emporté par l’hémorragie du vide qu’il importe de remplir au plus vite pour ne plus en ressentir les affres. La toxicomanie déplace l’incontrôlable de la souffrance sur la douleur du manque, elle joue la douleur contre la souffrance en donnant à l’individu une position relative d’acteur et de contrôle3. Le produit donne une prise pour fixer l’insaisissable du manque à être en le transférant en douleur du manque relevant d’une maîtrise propre. Ne plus être en manque devient la satisfaction suprême. Entre le manque et son effacement, le toxicomane occupe tout son temps et se trouve fixé dans un emploi du temps dont il pense contrôler tous les paramètres. Il l’ignorait lors de son initiation, mais il se
“ La dépendance implique une résonance intime qui fasse sens pour l’acteur. Ce n’est pas le produit qui la provoque, ni l’imitation des autres, mais la cristallisation opérée entre ses propriétés pharmacologiques et une histoire de vie. C’est le sujet qui fait sa drogue et non l’inverse. “ drogue pour être accroché et saturer son rapport au monde pour ne plus penser à autre chose. En interposant le produit entre soi et les autres, soi et le monde, il s'abandonne aux contraintes liées à la recherche du produit, aux moyens d'en financer l'achat, aux rituels de son usage, etc. Les exigences d'un tel mode de vie lui octroient un mode d'emploi pour exister en réduisant la complexité du monde à une poignée de données élémentaires. La drogue se mue en mode de vie. Sa journée est occupée par la recherche du produit ou des moyens pour l’obtenir et par le temps fort de la prise. Ce contre-corps de sensations inhérent au manque et à sa suppression enracine dans un contre-monde en abandonnant le corps de la vie courante. Il fixe provisoirement une identité morcelée, rassemble les fragments de soi et rend l’existence enfin supportable. L’individu
Interview
reprend la maîtrise du vide mais au détriment d’un monde réel désinvestit. Sa peau n’est pas une frontière de sens suffisante à assurer le lien intérieur-extérieur, dedans-dehors sans être en permanence affectée par l’adversité. Moi-peau perforée par une hémorragie et une invasion du monde en soi dans l’impossibilité de poser des limites pour se protéger. Le corps de sensations crée enfin une assise, même si celle-ci se trace dans l’impalpable du sensoriel et implique les affres du manque. Il donne une limite symbolique suffisante pour que le consommateur souhaite la retrouver au plus vite dès qu’elle s’éloigne de lui. S’il y a ailleurs une « vraie vie », pour Rimbaud, pour le toxicomane le « vrai corps » est dans les sensations suscitées par son produit et le manque qui en découle. La toxicomanie est une traversée de la mort
régulièrement rejouée3. Le produit est le balancier qui autorise la poursuite de la vie, la dose infime de mort qui triomphe de la mort réelle dans un jeu ordalique où il s'agit d'arracher journellement une certitude d'être légitimement au monde. Ce rapport ambigu au produit qui donne simultanément vie et mort étaye une existence sur le fil du rasoir. Il s’agit de vivre en se jouant de la mort, tout en acceptant d’en payer le prix le jour venu. Surtout si le contrat symbolique implique de perdre un peu plus sur elle quand les rites se dégradent. Bibliographie 1. J-L. Pedinielli, G. Rouan, P. Bertagne, Psychopathologie des addictions, Paris, PUF, (2000) 2. A. Lindesmith, Opiate addiction, Bloomington, Principia Press, (1947) A. Lindesmith, The addict and the law, Bloomington, Indiana University Press, (1965). 3. D. Le Breton, En souffrance. Adolescence et entrée dans la vie, Paris, Métailié, (2007).
« Un garçon se sent toujours plus fort qu’une fille face à la consommation de produits » La dépendance de l’adolescent repose-t-elle sur des ressorts particuliers ? A un âge où les habitudes se cristallisent, comment définir une addiction ? Le professeur Olivier Cottencin, responsable du service d’addictologie au CHRU de Lille, explique les spécificités de ces usages et mésusages. Interview.
Olivier Cottencin Responsable du service d’addictologie du Chru de Lille
Peut-on distinguer des habitudes propres aux filles et d’autres propres aux garçons dans la consommation de produits addictifs ? Oui. Au niveau des produits consommés d’abord : les garçons sont généralement plus touchés par le cannabis et l’alcool. Chez les filles, on observe une forte augmentation de la consommation de tabac depuis des années. Ceci s’explique en partie par le changement des codes sociaux : il y a trente ans, une fille qui fumait était très mal vue. Désormais, c’est très courant, tout comme une fille qui participe à une soirée estudiantine où l’alcool est omniprésent. La perception des comportements a changé, entraînant de nouvelles habitudes. Y a-t-il des causes plus profondes ? D’une façon générale, une fille n’aime pas perdre le contrôle, et adapte en fonction son comportement de consommatrice. Souvent, les fumeuses ont peur d’arrêter car elles ne veulent pas grossir ! Le garçon, lui, se sent plus fort que le produit. Il est plus souvent en recherche de sensations fortes, il va souvent consommer de l’alcool à outrance pour tester son niveau de performance. Les filles ne sont pas du tout dans ce fonctionnement chevaleresque voire ordalique. Elles créent d’autres codes pour affirmer leur leadership au sein d’un groupe : la séduction, le contrôle des autres, une certaine emprise. Le garçon veut
prouver qu’il est le plus résistant. Il ne faut pas perdre de vue le fait que l'adolescent cherche la conformité au groupe des pairs : à cet âge, on crée ses propres codes et on les respecte. Et si la consommation d’alcool est valorisée dans le groupe, le garçon qui s’abstient devra se justifier, expliquer qu’il est sportif par exemple, et ainsi cultiver sa différence. Le passage à l’âge adulte est effectif quand l’adolescent accomplit son inscription psycho-sociale en se démarquant des codes sociaux de l'adolescence. Si les habitudes de consommation sont différenciées entre garçons et filles, en est-il de même pour le passage à la dépendance ? L’addiction, c’est-à-dire la perte de la liberté de s’abstenir, n’est pas directement liée au genre. La maladie est liée à l’individu, à son environnement, à la nature du produit consommé et aux habitudes de consommation. Ainsi, un jeune qui consomme du cannabis comme anxiolytique, pour dormir par exemple ne présente pas les mêmes risques qu’un jeune qui fume de manière récréative. Et quand un adolescent franchit le pas de l'automédication par le toxique, il y est souvent contraint. Notre travail consiste avant tout à donner du sens aux comportements et à remettre au premier plan l’interaction parentale. La famille fait partie de la solution, pas du problème.
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onctionnement familial aux substances
Parmi les facteurs favorisant les conduites addictives, certaines caractéristiques du fonctionnement familial sont souvent évoquées dans le développement de conduites de dépendance aux substances chez l’adolescent. Jean-Louis Nandrino, professeur de psycho-
« La lutte contre les par la bonne gestion
pathologie, laboratoire URECA EA 1059, unité de recherche en sciences cognitives et affectives, Université Lille 3.
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eux voies d'exploration sont traditionnellement envisagées en faisant référence soit aux modèles de vulnérabilité au stress et à sa transmission transgénérationnelle soit à des modèles d'interactions dysfonctionnelles. Concernant l'effet des stresseurs et sa dimension transgénérationnelle, bon nombre de travaux se sont polarisés sur la nature des événements familiaux susceptibles d’entrer dans l’étiopathogénie d’un recours à la toxicomanie. Ils ont permis d'identifier un ensemble de facteurs traumatiques et hautement émotionnels, imprédictibles et incontrôlables qui ont pu survenir au cours du développement ou à l'âge adulte (Pour un développement, voir Sinha 2008). Les thèmes traumatiques les plus fréquents concernent les violences, les pertes, les conflits, l'isolement. Les études soutiennent l'hypothèse d'un effet entre l'accumulation de ces événements négatifs (d'adversité) et une vulnérabilité à l'addiction. Le risque augmentera d'autant plus avec la répétition d'expériences négatives ou traumatiques partagées en famille voire transmises et cumulées entre les générations. Plus ces expériences traumatiques familiales sont répétées et prolongées et plus le sentiment de non contrôle et d'imprévisibilité de l'événement sera important et augmentera également le risque de développer des conduites addictives. Pour notre propos, nous constatons, d'une part que la famille confrontée à un haut niveau de stress, sera progressivement amenée à diminuer ses capacités d'ajustement et
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Comment déceler et guérir les pratiques addictives chez les adolescents ? Selon Stéphane Rusinek, enseignant chercheur à l'UFR de psychologie à Lille 3 et auteur des Emotions (Dunod, collection Les Topos), un comportement sain passe avant tout par une bonne transmission à l’intérieur de la cellule familiale.
de protection du jeune. L'effet cumulé entre les générations renforcent cet épuisement des potentialités d'adaptation du groupe familial. Par ailleurs, le recours à des comportements addictifs par des membres de la famille pour réguler ces événements viendrait marquer une vulnérabilité accrue chez le jeune. De l'autre côté, les modèles décrivant des interactions spécifiques dans les familles d'adolescent souffrant de dépendances aux substances, font l'hypothèse de troubles des interactions en situation émotionnelle et d'un niveau de différentiation faible entre les membres de la famille (modèle de Bowen par exemple), d'une organisation familiale peu cohésive dont les frontières sont perméables (Stanton, Minuchin), ou d'un modèle éducatif autoritaire faiblement axé sur les soins (Hyman et al 2006).
“ nous constatons que la famille confrontée à un haut niveau de stress, sera progressivement amenée à diminuer ses capacités d'ajustement et de protection du jeune “ A l’heure actuelle, si les modèles thérapeutiques de Murray Bowen, de Salvador Minuchin ou Duncan Stanton, font encore référence, un certain nombre de vérifications empiriques a pu mettre à l’épreuve les hypothèses sous-jacentes à ces modèles. Les résultats empiriques sont hétérogènes mais confirment l'hypothèse d'un dysfonctionnement familial dont la sévérité croît proportionnellement avec la sévérité des conduites de dépendance. Ils mettent en évidence des conclusions contradictoires à
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Quel est le rapport entre une mauvaise gestion des émotions et une tendance aux pratiques addictives chez un adolescent ? D’une manière générale, le fait de mal gérer ses émotions peut entraîner des modes de coping problématiques. Quand je parle d’« émotions », je prends en compte les bonnes comme les mauvaises. Le fait que l’on ait intériorisé la fête comme un événement alcoolisé prouve que les problèmes de dépendance ne sont pas seulement liés à l’anxiété ou à la colère. En fait, un mauvais coping ne concerne jamais une émotion en soi : tout repose sur la façon de la gérer, de la recevoir. Et tous les adolescents ne sont pas égaux dans ce domaine. Quelles sont les inégalités observées dans le domaine de la gestion des émotions ? Il peut y avoir un terrain génétique, dans la relation à l’alcool par exemple. Evidemment, les adolescents qui ont un trouble psychique vont être plus sensibles aux pratiques dangereuses. Mais généralement, il s’agit davantage de différences qui ont trait au passé familial et au terrain social. Les ap-
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et DéPeNDANCeS chez l’adolescent
pratiques addictives passe des émotions » prentissages conditionnent les comportements, particulièrement à l’adolescence qui est la période de transition par excellence où l’on tente d’expérimenter les pratiques des adultes, sans une réelle compréhension des risques. Si boire est valorisé à la maison, se laisser aller à un comportement addictif comme l’alcool, par exemple, va être une manière de gérer ses émotions en s’appuyant sur des habitudes familiales. Le tout crée un cercle vicieux : l’anxiété va être compensée par l’alcool qui va être la source d’une plus grande anxiété encore. Si l’environnement familial est déterminant, comment prévenir les pratiques addictives ? Le dépistage des cas « à risques » est possible, mais la prévention passe avant tout par les messages que renvoie l’ensemble de la société. Il faut désacraliser et dévaloriser certains comportements addictifs. Les modes d’écoute doivent également changer, y compris au sein de la cellule familiale. Pourquoi ne pas s’inspirer des pays nordiques et du Canada où l’apprentissage de l’affirmation de soi et la gestion des émotions occupent une vraie place à l’école ? D’une façon générale, la transmission est primordiale pour générer des comportements sains. Or, les parents sont souvent démunis face aux problèmes de leurs adolescents. Quand la pratique addictive est installée, comment y remédier ? 90% des psychothérapies concernant les addictions incluent l’apprentissage de la gestion des émotions. Les thérapies cognitives et comportementales permettent par exemple de remplacer progressivement un problème d’addiction par un comportement sain, à l’aide de mises en situation, de restructurations cognitives sur le long terme. Car l’enjeu ne réside pas dans le sevrage, mais dans la question de la rechute.
Interview
l’égard du niveau d’enchevêtrement intergénérationnel qui se situerait davantage sur un continuum allant d’un fonctionnement enchevêtré/rigide à un fonctionnement désengagé/chaotique (Teichman et Basha, 1996). Des profils différents sont également décrits pour les niveaux de cohésion et de surprotection familiale (Lorber et al., 2007 ; Turner et al., 2005). En revanche, on retrouve de façon stable certaines formes de fonctionnement du groupe : une distance émotionnelle dans les interactions entre les membres de la famille, un sentiment de cohésion familiale faible, un faible niveau de soin parental associé à un haut niveau de contrôle qui pourraient constituer de bons marqueurs de vulnérabilité au développement de ces conduites chez les adolescents. Ainsi, plutôt que de chercher un profil de famille, il est plus important de considérer ces relations dans le cadre d'une approche dimensionnelle dans laquelle chacune de ces caractéristiques pourraient être présente à des degrés variables. Ces caractéristiques du fonctionnement familial pourraient ainsi constituer, en fonction de leur intensité ou de leur fréquence, de possibles facteurs de risques combinés. Par ailleurs, il faut souligner qu'il est bien souvent impossible de repérer les modes relationnels mis en place avant l'apparition des conduites de dépendance. En effet, l’apparition des conduites addictives détériore aussi la qualité de vie du sujet et celle de son environnement familial qui joue un rôle de soutien émotionnel. L’intensité et la durée d’installation de la pathologie addictive pourraient être également impliquées dans la survenue et/ou l’intensification de certains comportements familiaux et certaines réponses émotionnelles correspondraient en fait à des stratégies d’ajustements face aux symptômes de l’adolescent. C’est pourquoi, il est nécessaire de décrire les interactions qui s’organisent entre individu, famille et symptôme au cours du temps et de se dégager des hypothèses étiopathogéniques trop directes. Cette représentation du fonctionnement familial vient ainsi modifier les modalités de travail psychothérapeutiques ou éducatives avec ces familles. Il s’agira en particulier d'impliquer le plus de membres de la famille dans l'accompagnement de ces patients. Il est bien sûr habituel que ces familles d'une part, aient une réticence au suivi psychologique et d'autre part, attendent un changement très rapide et arrêtent les suivis prématurément. Certaines spécificités peuvent être identifiées pour la mise en place d'un travail thérapeutique avec la famille de l'adolescent dépendant aux substances. Elles concernent le temps d'engagement de la famille, la détermination des cibles thérapeutiques avec les membres de la famille, l'intégration des répétitions générationnelles et la gestion des absents.
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Certaines personnes, le plus souvent des adolescents ou de jeunes adultes, passent un temps considérable devant l’ordinateur qui devient leur priorité, leur principale source de plaisir.Serge Minet, théra-
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nternet met à disposition des adolescents bon nombre de moyens de communications interpersonnelles ou d’espaces ludiques et stratégiques : courrier électronique, chat, forum de discussions, blogs, jeux de rôles, etc. Le monde virtuel devient plus supportable lorsque le joueur mène une vie parallèle par avatar interposé, nain prêtre, elfe chasseur ou orc guerrier en lutte avec plein de trolls hargneux ? La possibilité d’évoluer dans un monde virtuel peut contribuer à révéler chez le joueur ses forces et ses faiblesses et constitue, en ce sens, une expérience constructive de la personnalité chez les adolescents, dès lors que le virtuel signifie bien « qu’il n’est qu’en puissance » (virtualis), à l’état de simple possible, n’existant que par l’acceptation d’une modulation relationnelle réversible et sans lien autre que celui de la connexion. Des échanges labiles, rapides et anonymes Ces nouvelles technologies redéfinissent le temps de la communication solitaire, des échanges labiles, rapides et anonymes, sans engagement autre que la nécessaire connexion fugace ou fortuite. Se dire à l’autre et recevoir les mots de l’interlocuteur fondent une autre transmission sans mémoire et sans autre engagement que celui de déposer l’instant de la mémoire. L’abolition du temps, la brièveté du discours ou les longues plaintes ouvrent à la nécessité première d’apprendre à parler pour ne rien dire. Il n’y a rien à dire. Et ce rien, n’est-il pas le tout de la communication ? Le rapport au virtuel s’inscrit ainsi par un abandon, certes momentané, du réel comme pour souscrire à l’élaboration d’un nouveau monde sans mémoire et sans avenir, au cœur de l’instant et de l’immédiat. Pathologie de l’excès et de l’agir, pathologie des rapports au temps Les nouvelles technologies de l’information et de la communication, la cyberdépendance, les jeux de rôles en ligne, ou encore les achats
compulsifs sont décrits aujourd’hui comme des pathologies du refuge. Ces dépendances se singularisent par la recherche inassouvie et permanente de l’immédiateté du plaisir et de l’absolue nécessité de consommer, de jouir et de prendre des risques, au mépris du principe de réalité. La culture ou le syndrome, du « tout, tout de suite », en a fait une maladie de la modernité qui transfère la pathologie de l’inhibition en une pathologie de l’excès et de l’agir. Le passage d’une société d’obéissance, où l’on demande aux gens de la docilité, à une société de l’autonomie, de la motivation et de l’action, qui suggère l’efficacité, n’est pas sans modifier notre regard sur une clinique de l’addiction. Nouveau monde plus facile à vivre et à accepter, à portée de soi. Les stimuli du mental, constamment activés, viennent inscrire, non loin de la symptomatologie dépressive, des pathologies du rapport au temps : le déprimé se sent sans avenir, le dépendant est incapable d’attendre. Ce type de comportement ne conduit pas forcément à un comportement problématique. Il peut même être, y compris aux yeux des parents, une source de développement cognitif et émotionnel. Un refuge pour l’adolescent ? Le rapport qu’entretiennent certains adolescents avec internet peut être la cause de relations difficiles avec la famille et/ou d’échecs scolaires, de même que des relations parfois conflictuelles avec la famille peuvent amener l’ado à se réfugier de façon excessive dans le virtuel. La fonction du net est rarement consciente, d’autant que le plus souvent, la dépendance au jeu permet d’écarter loin de la conscience le problème réel de l’adolescent et/ou de sa famille. Pathologie ou addiction du refuge pour des personnes souvent plus introverties. L’utilisation des communications virtuelles peut devenir une véritable obsession. Elle met en évidence l’existence d’une dépendance. La séparation et l’angoisse que cette dernière suscite peuvent mener à un besoin permanent « d’être en relation », « connecté à l’autre ».
“ Le passage d’une société d’obéissance, où l’on demande aux gens de la docilité, à une société de l’autonomie, de la motivation et de l’action, qui suggère l’efficacité, n’est pas sans modifier notre regard sur une clinique de l’addiction.“ 10 cahiers de l’addictologie n°3
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“ Généralement le sujet estime mal l’usage qu’il fait d’internet, non sur le contenu, mais sur la forme et l’utilisation de l’objet. Ce qui peut l’éclairer, c’est le regard non condescendant de la norme et de l’altérité sociale qui peut nommer le terme ou préciser la limite de l’isolement social.“ Dire à l’autre notre préoccupation, c’est remettre du sens et anticiper l’appropriation d’un comportement problématique La violence qui est présente dans certains jeux peut avoir, à des doses modérées, un effet positif dans la mesure où le jeune peut exprimer ses pulsions agressives difficilement acceptables en société. On comprend ainsi que l’expression de ces pulsions agressives et de destruction peut être une source de plaisir. Néanmoins, il est généralement admis que les violences répétées vécues au travers de jeux peuvent encourager le désir de se comporter agressivement. Notons qu’au niveau psychologique, deux risques émergent par rapport aux autres : tout d’abord, les possibilités de confusion entre la réalité et la fiction vécue à travers les jeux, ensuite, le comportement solitaire du jeu qui peut exclure une part de sociabilité, favorisant l’isolement et le repli sur soi. Pourtant, il nous faut éviter l’écueil de porter le regard du pathologiste sur un comportement ou une activité qui provoque un enthousiasme somme toute normal, comme par exemple, celui qui, enfin branché, découvre pour la première fois les mille usages et surprises de la machine, le poussant à ne pas voir le temps passé. Généralement le sujet estime mal l’usage qu’il fait d’internet, non sur le contenu, mais sur la forme et l’utilisation de l’objet. Ce qui peut l’éclairer, c’est le regard non condescendant de la norme et de l’altérité sociale qui peut nommer le terme ou préciser la limite de l’isolement social. Dire à l’autre notre préoccupation, c’est remettre du sens et anticiper l’appropriation d’un comportement problématique. Pouvons-nous, provisoirement, conclure en signifiant que si le virtuel contribue à la déformation de la perception de la réalité par l’émergence d’un nouveau monde, il ne donne à voir, ou à montrer, qu’une partie infime d’un sujet sans corps, à ne dire ou à ne lire qu’une partie dicible d’une parole sans verbe ?
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Interview
Au casino de Lille, nous suivons de près les joueurs sensibles
Dorothée Plagnes est « superviseur jeu responsable » à l’hôtel Casino Barrière de Lille. Une appellation qui recouvre en fait un travail de prévention. Psychologue de formation, la jeune femme forme les équipes, les accompagne dans le jeu responsable, veille sur les joueurs, et essaie de repérer ceux qui glissent dans l’addiction. Je passe beaucoup de temps en salle, à observer les joueurs. Certains signaux traduisent une difficulté comme une augmentation de la fréquence de visite, un changement de comportement, des traces d’énervement ou d’agressivité. Les salariés peuvent me faire également remonter des informations. Dans le groupe Lucien Barrière, tout le personnel en contact direct avec la clientèle est formé au repérage des clients en difficulté et peut m’alerter si nécessaire. Je peux alors proposer à la personne plusieurs solutions : une limitation volontaire d’accès au casino, une interdiction locale momentanée pour faire une pause, ou plus radicale, une interdiction nationale de trois ans dans tous les casinos de France. Peu de joueurs en arrivent là mais il faut être vigilant pour éviter les dérapages. Je suis là pour les amener à prendre conscience de leur début d’addiction. Il se peut que le dérapage commence avec un premier gain important, le joueur ressent alors une sorte d'euphorie et peut être tenté de vouloir retrouver cette sensation… Les visites peuvent alors se multiplier, parfois même plusieurs dans une même journée. Et ce qui n’était qu’un jeu au départ devient alors une addiction. Je constate l’arrivée de joueurs de plus en plus jeunes. L’introduction du poker, un jeu très médiatisé, attire une nouvelle clientèle. La dépendance au jeu est souvent taboue. Les joueurs ont du mal à en parler et ressentent une certaine honte. Lorsque le jeu n’est plus un plaisir mais un besoin et qu’il prend le pas sur la vie personnelle, j'oriente le joueur vers un CSAPA (Centre de soins d’accompagnement et de prévention aux addictions) qui prend le relais. Nous travaillons en réseau depuis que le jeu a été assimilé à une addiction. Je suis allée voir comment travaillaient ces professionnels, et je les ai invités à venir sur place, au casino, pour qu'ils puissent s'imprégner de l'univers des jeux. Je suis de près les joueurs sensibles: aujourd'hui, ils représentent moins de 1% de nos clients.
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Adolescences et adpatations
La santé mentale des adolescents doit devenir un problème de santé publique Comment dépister et traiter les problèmes psychiques des 15-25 ans ? 4 questions à François Ducrocq, psychiatre au Chru de Lille, qui fait un état des lieux et avance ses propositions. Comment mesurer l’ampleur des problèmes psychopathologiques des adolescents ? Il y a des indicateurs discutables comme la consommation de cannabis, qui tient beaucoup de l’effet de mode, et qui n’est donc pas très représentatif de la souffrance adolescente. En revanche, les idées suicidaires et les tentatives de suicide constituent des indicateurs fiables. Avec quelques questions seulement, on peut facilement se rendre compte de la santé psychique globale d’un jeune patient. D’autres indicateurs comme le sommeil ou la qualité de vie perçue sont également utiles, mais plus périphériques. J’attire votre attention sur le fait que nous prêtons un soin particulier aux troubles anxieux dans la recherche des causes du suicide : ils ont un poids considérable dans l’explication de la morbidité, que l’on peut évaluer à 80-90%. Or, on insiste souvent trop sur le « facteur précipitant » : la mauvaise note, le chagrin sentimental etc. Quelles sont les grandes tendances que l’on peut dégager ? D’une façon générale, il est plus difficile de dégager des tendances pour l’adolescence que pour les autres populations.
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Mais nous savons quand même qu’environ 30% des 12-25 ans présentent des signes dépressifs et 10% disent avoir déjà eu des idées de suicide. Il est frappant de voir que les filles sont bien plus concernées : elles sont trois fois plus nombreuses à passer à l’acte que les garçons (9% des filles font une tentative de suicide contre 3% des garçons). Cette vulnérabilité des filles provient probablement à la fois de différences génétiques et d’un terrain familial que l’on peut observer en analyse. Toutefois, l’écart hommes-femmes par rapport au suicide a tendance à se réduire avec l’âge. Et concernant les addictions ? Là, la situation s’inverse. Les garçons ont deux fois plus de chance de tomber dans la dépendance par rapport au cannabis par exemple. 20% des garçons présentent un mésusage de l’alcool contre 8% des filles. Pour le cannabis, 15% des garçons ont une consommation problématique, ce qui n’est le cas que pour 5% des filles. Cette vulnérabilité à la dépendance provient d’éléments sociaux et de représentations symboliques : l’alcool est plus valorisé quand on est un garçon par exemple. Par ailleurs, il y a un lien bidirectionnel
entre anxiété et addiction : un mal-être va mener à la dépendance qui va elle-même être anxiogène, a fortiori pour les adolescents qui ont un problème de phobie sociale et qui vont se désinhiber avec certaines substances. Dans ce cas, comment agir ? Face à de tels chiffres évidemment, le malaise adolescent doit devenir une préoccupation de santé publique. Le dépistage doit devenir systématique et comme il ne peut plus se faire à l’occasion du service militaire, c’est à la santé scolaire et universitaire de prendre le relais. La médecine générale a également un rôle à jouer. Il y a d’une façon générale une sous-évaluation du terrain psychiatrique car beaucoup de médecins sont mal à l’aise face à ces questions ou ne sont pas assez sensibilisés. Nous sommes en présence d’un tabou fondamental par rapport au suicide par exemple. Allons aussi voir ce qu’il se fait ailleurs : au Québec, l’échelle de morosité est un bon outil. Elle regroupe à la fois la santé mentale, psychiatrique, le bien-être psychique. Il faut aussi redonner des moyens au suivi médical et développer la psychiatrie de secteur.
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Les apprenti-es du Nord – Pas-de-Calais pleinement conscients de leurs choix ? A l’orée de sa carrière, l’apprenti a souvent du mal à concilier les impératifs d’une bonne hygiène de vie avec ceux quelquefois lourds de l’engagement professionnel, du travail scolaire et de la vie privée. Certains rencontrent des difficultés d’ordre familial ou social, d’autres des situations de stress, de fatigue voire de démotivation. Une enquête, réalisée en 2007 par le Groupement régional de promotion de la santé sur la santé des apprenti-es révèle, en effet que l’alternance coursentreprise et les nouvelles pressions, devoirs ou responsabilités vis-à-vis de l’entreprise conduit un grand nombre d’apprentis à chercher des béquilles qui les aident à tenir le rythme. Les conduites addictives dans cette population s’en trouvent donc renforcées puisque 51% d’entre eux déclarent avoir été parfois (42%) ou souvent (8%) ivres au cours des douze derniers mois. Par ailleurs, 23% déclarent fumer tous les jours, 10 cigarettes en moyenne. 49% ont fait l’expérience du cannabis et 11% déclarent avoir essayé d’autres drogues. Tous ces chiffres issus de l’enquête sont supérieurs à la moyenne régionale des jeunes de la même tranche d’âge. Fort de cet état des lieux et sachant que la santé peut être un levier d’insertion important, l’Etat et le Conseil Régional Nord - Pas-de-Calais ont confié au Grps l’établissement d’un vaste programme dans le cadre du Contrat d’Objectifs et de Moyens pour le Développement de l’Apprentissage de 2005. L’objectif était de sensibiliser les apprentis, les encadrants et les entreprises aux problématiques d’éducation à la santé. Poursuivi et renforcé en 2011-2012, le programme intègre un volet spécifique sur les pratiques addictives. Dévolues à l’Instance régionale d’éducation et de promotion de la santé et à l’association Eclat-Graa du Nord - Pas-de-Calais, les formations proposées concernent simultanément les équipes pédagogiques, les formateurs et les apprentis. Un projet « prévention des addictions et démarche participative apprentis/encadrants » est actuellement à l’étude sur la ville de Dunkerque. Le programme prévoit d’étendre à 15 bassins d’emploi les actions précédemment expérimentées et d’animer l’ensemble des réseaux locaux de santé rassemblant pour certain plus de 150 acteurs de la santé et de l’apprentissage.
Trois paris
Opération « un été en or »
Sensibiliser les jeunes aux pratiques addictives représente une véritable gageure. A cela plusieurs raisons : - la première réside dans le fait qu’à trop vouloir chercher à vulgariser le concept, on commence à lui faire perdre son sens initial. Ainsi, du fait même de cette banalisation, de nombreux adolescents considèrent aujourd’hui qu’être « addict » c’est être tendance. - une autre difficulté tient au fait que l’idée même de vouloir empêcher la prise de risques à une période de la vie où ils concourent au développement peut paraître pour le moins saugrenue. - enfin, un dernier obstacle et non des moindres, concerne les méthodes traditionnelles de prévention qui semblent s’essouffler voire montrer leurs limites. Ainsi, envisager que l’on puisse modifier les comportements et les représentations de nos chers adolescents en utilisant uniquement le classique trépied « information-témoignages-interdit » relève d’une ambition qui s’apparente davantage à une profession de foi. Car prévenir, c’est avant tout éduquer. Eduquer aux risques, éduquer aux plaisirs. Et si on prenait du plaisir à être éduquer. En d’autres termes, si on apprenait en s’amusant. C’est le pari que fait le Département du Nord, depuis 3 ans, à travers l’opération « Un été en or ». En permettant chaque année à plus de 1 000 jeunes qui ne partent pas en vacances de devenir le temps d’un été des « agents secrets » au service de la santé.
Par Samuel Tourbez, responsable du pôle prévention du Conseil général du Nord
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gagnants en Région
Par Loïc Cloart, directeur de l’Ireps Nord - Pas-de-Calais et Benoît Dejonghe, délégué général du Grps
« Boire ou fumer, c’est risqué encore plus quand bébé annoncé » Une campagne de sensibilisation, en direction des adolescents du Nord - Pas-de-Calais, sur les risques liés aux consommations d’alcool, de tabac et de cannabis pendant la grossesse a été réalisée cette année. Intitulée « Boire ou fumer, c’est risqué encore plus quand bébé annoncé », cette campagne intègre des formations pour aider les professionnels de première ligne à aborder cette thématique avec les jeunes et à les orienter si nécessaire vers un accompagnement adapté. Même si ce problème ne concerne qu’un nombre restreint d’adolescentes qui mèneront à terme une grossesse entre 13 et 17 ans, elles sont environ 15000 par an en France, n’oublions pas que la majorité d’entre elles deviendront mères dans l’avenir.
Par elisabeth Dooghe, directrice de l’Anpaa 59
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Adolescences et adpatations
MDA
La Maison des adolescents à Lille Une permanence régulière et confidentielle dédiée aux addictions. Interviews de Karlheinz Cerny, responsable de la permanence addictologique à la Maison des adolescents et de Valérie Rochart, coordinatrice de réseau à la Maison des adolescents. La Maison des adolescents accueille les jeunes de 11 à 21 ans, les familles et les professionnels. Outre un accompagnement médical, social, éducatif ou juridique, elle assure une permanence régulière dédiée aux addictions. C’est l’offre pluridisciplinaire qui fait l’originalité de ce dispositif et qui facilite la venue des usagers dans un lieu non stigmatisé. « Ce n’est ni un hôpital, ni un centre pour toxicomanes, ni une antenne de la justice. De ce fait, les publics se rapprochent plus facilement de nous », constate Karlheinz Cerny, responsable de la permanence addictologique. Les personnes qui viennent à la Maison des adolescents ont reconnu un problème avec les addictions. « Parfois, ils viennent d’eux-mêmes, ou c’est un proche qui les prend par la main et leur conseille de rencontrer quelqu’un. La garantie de la confidentialité, le non jugement et l’absence de sanctions possibles les aident à franchir le pas » surenchérit Valérie Rochart, coordinatrice de réseau à la Maison des adolescents. « Nous essayons de voir avec eux si leur consommation reste occasionnelle et festive, ou si au contraire elle est devenue régulière et solitaire. » Les professionnels aident le jeune à faire une auto--évaluation de l’impact de ses consommations sur sa vie sociale, affective et sanitaire : a-t-il des difficultés d’endormissement, des angoisses, des troubles de concentration ? « Nous constatons de plus en plus de consommations d’alcool, de cannabis et de médicaments, argumente Karlheinz Cerny. Les cocktails alcools et boissons énergisantes sont également en pleine croissance. Ils procurent à la fois l’ivresse et l’illusion de la maîtrise de l’ivresse, ce qui représente un réel danger. Après les soirées arrosées, certains adolescents repartent en mobylette ou en scooter, avec tous les risques que cela comporte. L’âge de la première consommation diminue d’année en année. Aujourd’hui, les premières expériences se font vers 13 ans. Et les phénomènes de dépendance peuvent apparaître dès 16 ou 17 ans. Les jeunes ont encore des réticences à parler d’alcool: sa consommation est stigmatisée alors que l’usage de produits stupéfiants possède une image plus branchée… Si la personne reconnaît une dépendance, nous l’orientons vers l’un des services d’addictologie existant dans le département. »
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structures qui
les adolescents
Créer
Créer un dispositif
Les adolescents et jeunes adultes fréquentent peu nos structures. Ceux que l’on voit ont en effet plus de 25 ans pour les consommations illicites et plutôt plus de 40 pour les usages légaux. En deçà de cet âge, ce sont leurs parents qui nous en parlent, inquiets de la consommation de cannabis des uns, de l’ancrage devant les écrans des autres. Ce sont enfin les services judiciaires qui nous les adresse quelquefois mais guère pour plus d’une consultation. Après les parents et les enseignants, c’est aux urgences que les adolescents se manifestent de plus en plus. Et dans les structures de « placement » censées les accueillir : la psychiatrie (qui s’en préoccupe peu à vrai dire), la pédopsychiatrie qui dispose de peu de place, la pédiatrie qui est si peu « outillée ». Le Nord Pas-de-Calais n’est pas en reste dans la réflexion théorique et pratique sur les filières de soins utiles à ces jeunes addicts. Acteurs du terrain et institutionnels sont passés d’un travail reconnu de plusieurs années sur le syndrome d’alcoolisation fœtale aux enfants « maltraités » et aux adolescents. Il reste à adapter le système de soins et à structurer une réponse commune auprès des jeunes.
pour Jacques Yguel Département d’alcoologie et de conduites addictives, Centre hospitalier du pays d’Avesnes
dépendants
de soins dévolu aux adolescents
dispositif
Les options ne sont pas nombreuses quant à la formalisation de cette filière. Il peut s’agir, première occurrence, de créer un dispositif addictologique dévolu à cette « tranche d’âge » incluant une réponse pour leurs parents. La seconde occurrence privilégie une filière dévolue aux problématiques spécifiques des adolescents, en charge des pédopsychiatres habituellement. Les acteurs sont connus : addictologues si l’on spécifie la consommation ou bien les intervenants habituels que sont les pédopsychiatres, pédiatres, gynécologues-obstétriciens, urgentistes et addictologues si l’on opte pour la seconde approche. Si une offre dispersée existe déjà, c’est sans doute l’affichage d’un mode d’entrée par âge ou par « problématique parentale » qui nous manque encore. Nos « tutelles » pourraient mandater quelques uns d’entre nous comme elle l’a fait pour les Schémas régionaux d’organisation sanitaire, et s’appuyer sur les dynamiques existantes puis enrichir et diffuser les expériences en cours. Le dispositif addictologique a une expérience certaine des complémentarités pluridisciplinaires, des dynamiques d’échanges et des structurations de réponses en termes de filières.
ados
“ Si une offre dispersée existe déjà, c’est sans doute l’affichage d’un mode d’entrée par âge ou par problématique parentale qui nous manque encore. “
L’ A S S O C I AT I O N B O U L O G N e D RO G U e I N f O ( B D I )
accompagnent La consommation de cannabis, un symptôme à interroger Interview de Damien Quéval, directeur de l’association Boulogne Drogue Info L’association Boulogne Drogue Info (BDI) mène un gros travail de prévention dans les établissements scolaires. « La plupart d’entre eux sont confrontés à une consommation de cannabis hors et dans les murs », explique Damien Quéval, directeur de l’association. Et les chefs d’établissement sont démunis face à ce problème. Ils sont attentifs à la souffrance des adolescents mais ne savent pas comment y répondre. « La consommation a nettement augmenté au cours des deux ou trois dernières années. Ce phénomène traduit probablement une montée du mal-être des adolescents, mais aussi une certaine banalisation du cannabis. Les adolescents savent que sa consommation est interdite, mais en même temps, ils pensent qu’elle est possible puisque beaucoup de lycéens autour d’eux en consomment. Son usage est vraiment entré dans les mœurs, ce qui nous semble assez dangereux. D’après nos estimations, 10 à15% des lycéens sont des usagers, mais on constate des pointes à 50% dans certains établissements du Littoral. Ce qui donne matière à s’interroger. Il y a un vrai travail de fond à mener auprès des adolescents. Et le lieu privilégié pour les toucher est sans conteste l’établissement scolaire. A Boulogne-sur-mer, nous ciblons donc nos actions sur les collèges et lycées, en lien avec les infirmières scolaires et les assistantes sociales. Les établissements sont beaucoup plus en demande qu’avant. Le sujet n’est plus tabou et ils ont une réelle envie de prendre le problème en main. Lors de ces actions, nous menons un vrai travail de fond sur la relation parents-adolescents. Les parents sont dépassés par l’addiction de leur enfant, et le manque de communication. La consommation de cannabis n’est qu’un symptôme du mal-être de leur enfant. Nous aidons les uns et les autres à verbaliser leurs angoisses et leur souffrance éventuelle. »
Adolescences et adaptations 15
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La Coordination des Associations
Régionales en Addictologie Nord-
Pas-de-Calais rassemble six associations régionales (ANPAA59 et 62, ADALIS, ECLAT/GRAA, GT59/62, GRANITéA,VISA) qui souhaitent
collectivement apporter un éclairage nouveau et une dimension pluridisciplinaire aux conduites addictives. Elle entend également donner des avis sur les priorités, perspectives et programmes transversaux élaborés dans le domaine addictologique ou répondre à des demandes spécifiques formulées par les partenaires institutionnels.
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Cahiers de l’addictologie n°
Directeur de publication : Thierry Danel - Rédactrice en chef : Francine Benattar - Maquettiste : Véronique Morrien - Ont participé à ce numéro : Florence Quille - Anne Laurence Gollion Édition : Coordination des Associations Régionales en Addictologie Nord - Pas-de-Calais - 235, avenue de la Recherche - Parc Eurasanté - CS 50086 - 59373 Loos Cedex - Tél. : 03 20 21 06 05 Crédits photos : istockphoto.com - Impression Tangheprinting.com - Cahiers de l’addictologie financés par la Région Nord - Pas-de-Calais