Attache ton soulier

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COLLECTION

« Je veux qu’on

parle de nous »

Attache ton

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soulier Une visite à l’École élémentaire catholique George-Étienne-Cartier

Michel Gratton



Attache ton

soulier

Une visite à l’École élémentaire catholique George-Étienne-Cartier

Michel Gratton


Je veux qu’on parle de nous Je veux qu’on parle de nous. Je veux qu’on parle de nos gens. De ce personnel qui vit pleinement l’une des plus belles vocations de la race humaine. De nos élèves épanouis. De nos parents engagés. Je veux qu’on parle des milieux uniques, enrichissants et grouillants de vie que sont nos écoles. Je veux ouvrir nos portes pour que tout le monde nous voit. Que tout le monde comprenne comment et pourquoi nous vivons chaque jour les valeurs chrétiennes qui sont le fondement de toute notre action. Parce que je suis extrêmement fière de nous. Tellement que m’est venue l’idée de demander à une personne objective de l’extérieur d’aller voir et de nous rapporter ce qu’elle avait vu. Le journaliste et écrivain franco-ontarien Michel Gratton a accepté de partir à l’aventure dans un univers dont il n’avait finalement que des souvenirs d’enfance. Dans ce petit livre qui en dit beaucoup, il nous raconte sa visite à l’École élémentaire catholique George-Étienne-Cartier. Dans les livres qui suivront, il nous fera découvrir, une école à la fois, le monde passionnant et passionné du Centre-Est. Lise Bourgeois Directrice de l’éducation Conseil des écoles catholiques de langue française du Centre-Est (CECLFCE)

Nous tenons à remercier sincèrement la direction, le personnel et les élèves de l’École élémentaire catholique George-Étienne-Cartier d’avoir rendu cet ouvrage possible.


E

LLE

est haute comme trois pommes.

Elle n’est qu’en 3e année, mais la présence d’élèves plus âgés ne semble pas l’intimider du tout. Pas plus que l’adulte qui pose les questions. On parle de l’enseignement du français. Elle lève la main. « Nous, dit-elle doucement, cette année, on apprend le récit. » Le récit? Elle explique : « Oui. C’est comme des histoires, mais avec des vraies personnes. » Elle fronce les sourcils pour bien accentuer les derniers mots. Elle veut que je comprenne. Mais je ne semble toujours pas comprendre. « Des vraies personnes? » Elle a la gentillesse de ne pas me dire que je suis bête. Elle écarquille ses grands yeux bruns en me disant : « Oui. Des vraies personnes! C’est pas comme des petites souris qui parlent. » J’éclate de rire devant la simplicité désarmante d’une enfant. Puis, je me rends compte de toute la profondeur de ce qu’elle vient de me dire. Ce n’est pas le fait qu’elle ait bien appris sa leçon qui me renverse, c’est qu’elle a si bien compris qu’elle est capable de me l’expliquer avec une image en exemple. On est loin de l’époque où tout s’apprenait par cœur. Et on est beaucoup plus près de l’intelligence. L’intelligence, l’imagination et la joie d’apprendre.

Je suis en visite à l’École élémentaire catholique George-Étienne-Cartier, située dans un quartier à revenu moyen du sud d’Ottawa.

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J’ai l’impression d’être autour d’une table de famille. Nous sommes dans le salon des enseignants. Ils sont huit élèves de la 3e à la 6e année, deux de chaque classe. Les deux de 3e sont assis sur des tabourets pour être au même niveau que les autres. La conversation est enjouée. Les élèves ne craignent pas de s’exprimer et de dire exactement ce qu’ils pensent. Ils aiment leur école. Certains, passionnément. D’autres, de façon plus désinvolte. La directrice Monique Chartrand ne les a pas choisis pour vendre son message, mais pour refléter une image fidèle de leur réalité. Mais, du premier au dernier, ils s’entendent sur une chose : ils aiment leurs professeurs. Parce qu’ils ont du plaisir à apprendre. « Les professeurs expliquent bien. On s’amuse avec nos professeurs » dit la jeune fille de 4e année toujours exubérante. D’un à l’autre, ils défilent les exemples de leur apprentissage par les jeux, la musique et les arts.

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Et ils sont tous passionnés de lecture, dans un monde où cet amour semble souvent en voie d’extinction.


« Cette année, j’ai fait mettre des bibliothèques dans les salles de classe, de la maternelle à la 6e année » dit fièrement Monique Chartrand. L’école a aussi son cercle littéraire. Les élèves peuvent aussi apporter leurs propres livres à l’école. Même si ça peut entraîner certaines mésaventures… Comme ce garçon de 3e année qui me dit, sourire aux lèvres : « Moi, j’ai apporté un livre et il a été confisqué. » Quelle sorte de livre a-t-il bien pu apporter, en 3e année, pour subir ainsi la censure? « Viens dans ma salle de classe et regarde la couverture de mon livre. Tu vas comprendre pourquoi il a été confisqué! » dit-il, toujours souriant. Je ne l’ai pas vu. Mais si j’ai bien compris, ç’a quelque chose à voir avec des créatures un peu trop monstrueuses pour une distribution libre. Le coupable n’en est pas plus mal en point. En fait, il semble plutôt trouver toute cette affaire pas mal amusante. Mais il donne aussi clairement l’impression qu’il y a appris quelque chose.

« Attache ton soulier, tu vas tomber. » Monique Chartrand s’adresse à un garçon de 3e année que nous venons de croiser dans le corridor. Il s’exécute en souriant. On dirait qu’il en a l’habitude.

« La directrice m’a dit de ne pas mettre mon chapeau en tête de cochon, aujourd’hui, parce que nous avons de la visite. » Madame Joanne, enseignante de maternelle, me raconte ça en riant.

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« J’ai toujours un chapeau sur la tête quand j’enseigne les animaux de la ferme » m’expliquet-elle. « Un autre jour, ce sera un chapeau en tête de vache. » Il lui arrive souvent de se déguiser. En pirate, par exemple.

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Il faut savoir qu’il s’agit bel et bien d’une salle de classe avant d’entrer dans le monde merveilleux de Madame Joanne. Parce que ça ressemble beaucoup plus à l’atelier des lutins du père Noël. Les élèves jouent et Madame Joanne joue avec eux… en leur enseignant plein de choses quelque part là-dedans. La salle de classe est remplie de machins, de bidules et de jeux de toutes sortes. La plupart sont, de toute évidence, « faits à la maison », c’est-à-dire par l’enseignante. Il faut dire que Madame Joanne a une arme secrète dans la construction de son royaume. Elle a l’aide de celui que ses élèves appellent « Monsieur Marco ». « C’est mon conjoint qui a fait ça » dit-elle, lorsque je m’arrête devant un je-ne-sais-quoi. Et ça, et ça, et ça… Monsieur Marco est, sans aucun doute, le lutin en chef. « On va ensemble acheter des choses au Dollorama, au Staples… Parfois, il voit des choses et les achète parce qu’il pense que ce serait bon pour la classe. » « Vous devriez voir ça, ici, à l’Halloween! On a des fantômes qui se promènent, tout est décoré… Mais je ne pourrais faire tout ça sans l’aide de mon conjoint. » « Regarde! » me dit spontanément un élève en me montrant ce qu’il vient d’accomplir. J’ignore c’est quoi. Mais il en est tellement fier et heureux que je ne peux que trouver ça très très beau.

« On joue au bonhomme pendu, on fait des mots-mystères, des mots-cachés… » La discussion est sérieuse entre les « capotées ». C’est ainsi que se sont baptisées les enseignantes de George-Étienne-Cartier lorsqu’elles prennent part à leur réunion hebdomadaire CAP (communauté d’apprentissage professionnelle). Difficile à croire, mais, entre professeurs de 1re et de 2e année, elles parlent de l’enseignement de la dictée. « Il y a une chose que j’ai tentée, dit l’une d’elles. C’est d’écrire un mot contenant délibérément une erreur et de demander aux élèves de trouver l’erreur. » Une collègue n’est pas nécessairement d’accord. Est-ce qu’on ne risque pas de forger l’image du mot mal épelé dans la tête de certains élèves?

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Elles en parlent. Puis, il y a la méthode d’écrire des mots dans le sable, que tout le monde semble trouver très efficace. « Où est-ce que vous prenez le sable? » que j’ose demander bêtement. « Bien, on l’emporte pour l’occasion… » Évidemment… Elles discutent aussi des « syllabo-cartes » qui fonctionnent particulièrement bien pour l’élève. Je n’ose demander de quoi elles parlent.

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Plus tard, je visiterai une classe en action. Il y a une série de mots placés dans différentes colonnes au tableau. L’enseignante m’explique comment ça fonctionne. Je n’y comprends rien, mais les élèves savent exactement ce qu’ils font. Et ils embarquent avec autant d’enthousiasme que s’ils participaient à un jeu télévisé. Je comprends une chose. Lorsqu’ils obtiennent la bonne réponse, le mot change de colonne. Et un mot ne peut être dans une certaine colonne que si tout le monde a la bonne réponse. C’est dire que c’est bon pour l’apprentissage du premier au dernier élève. George-Étienne-Cartier a obtenu une note parfaite de 10 sur 10 aux examens provinciaux du Ministère l’an dernier, dont l’une des composantes est la connaissance de la langue parlée et écrite.

« Attache ton soulier. » Mais c’est le même garçon que tantôt! « Je sais. Je lui dis à longueur de journée. » Monique Chartrand n’en a pas l’air exaspérée pour autant.

« En sept ans d’enseignement, j’ai fait beaucoup d’écoles » dit Madame Stéphanie, enseignante de 4e année arrivée récemment à George-Étienne-Cartier. « Mais je n’ai jamais ressenti un dévouement aussi grand de la part du personnel envers les élèves autant qu’entre employés. » « On reçoit beaucoup d’aide de toute l’équipe. On a la chance d’avoir une éducatrice qui fait des miracles concernant les questions de comportement. » « Les élèves sont motivés, ils veulent apprendre » dit-elle. « On veut ouvrir la porte à leur cerveau, à leur imagination, à leur créativité, à leur volonté. On doit leur montrer où le morceau s’insère dans leur monde. »

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L’apprentissage doit être amusant et susceptible de rejoindre chaque élève. « Je ne me vois pas enseigner autrement. » « La quatrième est une belle année. C’est l’année où l’élève devient sa propre personne, où il veut se prendre en charge. » « L’apport des parents est aussi très important » dit l’enseignante. « L’attitude que manifestent les parents à propos de notre enseignement, la façon qu’ils nous valorisent… » Cette enseignante dans l’âme a pourtant fait une spécialisation universitaire en philosophie avant de choisir sa vocation. C’est une formation de pensée rigoureuse qui la sert bien aujourd’hui dans un milieu scolaire où la transmission des valeurs est aussi importante pour l’élève que son apprentissage. « La philosophie nous apprend à douter, mais à le faire dans le respect » dit-elle.

Monique Chartrand m’emmène faire le tour de la cour de récréation sur l’heure du midi. C’est un secteur de son école qu’elle ne prend pas à la légère. Il fait autant partie de l’école que les salles de classe. « Si un seul enfant ne se sent pas en sécurité dans la cour d’école, c’est un de trop » dit la directrice. « J’essaie de tout mettre en place pour m’assurer que chaque élève se sent en sécurité en tout temps et en tout lieu, y compris dans l’autobus. » Ce midi-là, trois parents bénévoles patrouillent dans la cour, vêtus de vestes voyantes et formés spécialement pour cette tâche. Mais la directrice n’hésite pas à venir elle-même, s’il le faut. Les enseignants se portent aussi souvent volontaires. Les élèves semblent s’amuser ferme dans l’immense cour de verdure attenant à un parc de la municipalité. C’est beau. « On va l’améliorer encore plus, dit Monique Chartrand. Le Conseil a approuvé notre projet d’ajouter des bancs de parc et autres choses pour rendre ça plus accueillant. » Et c’est très grand.

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Tellement grand que la directrice demande à ses professeurs de faire la tournée de la cour avec leurs élèves en début d’année scolaire. Toujours par souci de sécurité, elle tient à ce que chaque élève soit conscient des limites qui séparent la cour d’école du parc municipal. Une élève joue de la guitare dans un coin. Des élèves de tous les âges sont attroupés autour d’elle. Deux jeunes filles accourent vers nous en criant : « Madame! Madame! » « Regardez, Madame! » Arrivées à notre hauteur, elles exécutent une chansonnette et un petit pas de danse avant d’éclater de rire, fières de leur numéro. Elles veulent le faire en salle de classe.

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La vie coule sereinement aujourd’hui, dans la cour de George-Étienne-Cartier. Et Monique Chartrand tient à ce que ça reste ainsi.

« Ma tâche première, c’est de m’assurer que l’enfant aime l’école » dit Madame Joanne, l’enseignante de maternelle. « Il faut trouver le moyen d’aller les chercher. » « Moi, je travaille sur le plan des valeurs. Il faut aller au-delà d’apprendre. Tout le monde n’apprend pas de la même façon. » Comme le dit la directrice, l’école met beaucoup l’accent sur l’apprentissage de la lecture. Même s’il ne s’agit que de la maternelle, on encourage l’élève à « lire » des livres. « Je fais des activités où l’enfant va pouvoir manipuler le livre. » Les élèves leur rendent bien leurs efforts. « Nos élèves sont notre fierté. Ils ressortent d’ici polis, éveillés, respectueux. » « On remarque nos élèves lorsqu’ils vont à l’extérieur, dit la directrice Monique Chartrand. Les gens nous le disent. Les élèves de George-Étienne-Cartier sont des modèles de comportement. » Madame Joanne attache elle aussi beaucoup d’importance au rôle des parents. « Les parents, l’école et l’enseignant forment un triangle. L’enfant est au centre de ça. » Les larmes lui viennent aux yeux lorsqu’elle dit avec conviction : « Chaque élève peut réussir. Il ne faut jamais baisser les bras. »

Monique Chartrand m’accompagne vers la sortie. Nous croisons un visage familier. « Attache ton soulier » dit-elle.

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Édition et impression : Centre franco-ontarien de ressources pÊdagogiques, 2008.


J’avais une petite idée de ce que je cherchais. Mais je ne savais vraiment pas ce que j’allais trouver. J’ai trouvé des écoles en effervescence. J’ai trouvé des gens d’un dévouement total. Mais j’ai surtout trouvé des élèves heureux. Des élèves aux yeux brillants, gonflés d’espoir en l’avenir et de confiance en eux. Et j’ai compris. J’ai compris que c’est possible. Qu’on ne rêve pas lorsqu’on dit que chaque élève peut réussir. Et, qu’aux yeux de mon ordinaire, j’avais peut-être la chance de voir en mouvement les meilleures écoles… au monde. – Michel Gratton


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