Imagine...

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COLLECTION

« Je veux qu’on

Imagine…

parle de nous »

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Une visite à l’École élémenta élémentaire catholique Le Petit Prince

Michel Gratton



Imagine… Une visite à l’École élémentaire catholique Le Petit Prince

Michel Gratton


Je veux qu’on parle de nous Je veux qu’on parle de nous. Je veux qu’on parle de nos gens. De ce personnel qui vit pleinement l’une des plus belles vocations de la race humaine. De nos élèves épanouis. De nos parents engagés. Je veux qu’on parle des milieux uniques, enrichissants et grouillants de vie que sont nos écoles. Je veux ouvrir nos portes pour que tout le monde nous voit. Que tout le monde comprenne comment et pourquoi nous vivons chaque jour les valeurs chrétiennes qui sont le fondement de toute notre action. Parce que je suis extrêmement fière de nous.Tellement que m’est venue l’idée de demander à une personne objective de l’extérieur d’aller voir et de nous rapporter ce qu’elle avait vu. Le journaliste et écrivain franco-ontarien Michel Gratton a accepté de partir à l’aventure dans un univers dont il n’avait finalement que des souvenirs d’enfance. Dans ce petit livre qui en dit beaucoup, il nous raconte sa visite à l’École élémentaire catholique Le Petit Prince. Dans les livres de cette collection, il nous fait découvrir, une école à la fois, le monde passionnant et passionné du Centre-Est. Lise Bourgeois Directrice de l’éducation Conseil des écoles catholiques de langue française du Centre-Est (CECLFCE)

Nous tenons à remercier sincèrement la direction, le personnel et les élèves de l’École élémentaire catholique Le Petit Prince d’avoir rendu cet ouvrage possible.


Dans le hall d’entrée de l’école Le Petit Prince, Isabelle et Jeremy sont au garde-à-vous. L’air solennel, les deux élèves de 3e année chantent le Ô Canada, comme ils le font chaque matin pour commencer la journée scolaire. Lorsque l’hymne national prend fin, Jeremy porte la main droite à son front et, avec un large sourire, fait fièrement un salut militaire. Je ne peux m’empêcher de penser qu’ils ont l’air d’enfants comme les autres.

Mais Le Petit Prince n’est pas une école comme les autres. C’est une école de centre-ville au service de la communauté la plus défavorisée de l’Ontario, une école sise en plein cœur d’un quartier où tous les problèmes sociaux, familiaux et affectifs associés à la pauvreté rejaillissent inévitablement sur elle. Mais s’il existe une école qui soit un havre pour les enfants et les parents qui ont perdu espoir, c’est bien celle-là. En fait, il est difficile d’imaginer que quiconque, ailleurs, en Ontario, au pays et même au monde, puisse faire mieux pour réparer les rêves brisés, panser les cœurs blessés et rallumer l’étincelle dans les yeux éteints d’enfants qui ont vieilli avant l’âge, mais qui ici redeviennent enfants.

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« Mais qu’est-ce que vous faites au milieu de la rue, Madame Caza? » La jeune fille interpelle sa directrice à voix haute et semble s’amuser ferme à la taquiner. Lyne Caza est bel et bien plantée au beau milieu de la rue Olmstead, à Vanier. Elle s’est transformée en brigadière pour l’occasion. Comme c’est l’Action de grâces, les élèves du Petit Prince se rendent à l’église MarieMédiatrice à deux coins de rue de l’école pour assister à la messe. Lyne Caza veut simplement assurer la sécurité des enfants au moment de traverser en rangs ordonnés la rue quand même assez passante. Mais, pour l’instant, elle est là debout, fin seule, et le commentaire de l’élève traduit bien tout le comique de la situation.

À l’église, le prêtre demande aux enfants ce qu’ils sont venus dire à Dieu cette journée-là. Ils répondent en chœur : « Merci. » C’est un beau moment. Paisible. Loin des dures réalités de la jungle de béton. La demi-douzaine d’élèves se rendra au micro durant la cérémonie pour lire à voix haute les intentions et les prières. Je suis surpris de la qualité de leur lecture.

« Aye! Qu’est-ce que vous faites là? Vous avez oublié de vous habiller aujourd’hui?! Vous êtes tous encore en pyjama! » C’est ma deuxième visite au Petit Prince. De l’Action de grâces, je suis passé à la Journée internationale de l’enfant, une journée spéciale

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pour une école qui compte 245 très jeunes élèves, de la maternelle à la 3e année. C’est l’occasion toute désignée pour décréter une « journée pyjama » où tout le monde, y compris les professeurs, peuvent venir à l’école en pyjama. Les autobus arrivent un à un. Le chauffeur attend religieusement l’arrivée d’une enseignante avant d’ouvrir la porte. Les enfants descendent et, au signal de l’enseignante, marchent deux par deux. Sous leur manteau d’hiver, ils portent tous un pyjama. Plusieurs ont apporté une peluche qu’ils serrent tendrement dans les bras. Certains sont accompagnés jusqu’à la porte par leur grand frère ou leur grande sœur qui eux se rendront à Vision-Jeunesse, l’école d’à côté qui accueille les élèves de la 4e à la 6e année. Un peu plus tard, des tout-petits âgés de un à trois ans arriveront dans le train de « première classe », installés à quatre, tout emmitouflés, dans une grosse wagonnette rouge tirée par une intervenante du Centre de ressources parents-enfants de Vanier. Je verrais toute cette scène dans un film que je me dirais que c’est trop beau. Un monde serein, parfait.

Des rires enjoués s’élèvent du bureau de la directrice. Quelques enseignantes et éducatrices prennent leur café du matin avec Lyne Caza et l’on semble s’amuser ferme. En tout cas, l’ambiance qui règne ici est loin d’être celle d’une école en perdition. Pourtant, il n’y a pas si longtemps…

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« Je suis convaincue que j’ai les meilleurs profs au monde! » Lyne Caza n’est pas naturellement portée à l’exagération. C’est d’abord une femme à l’esprit pratique et rigoureusement professionnelle. Mais, lorsqu’elle regarde le chemin parcouru depuis son arrivée à l’école Le Petit Prince, il y a cinq ans, elle ne peut que s’émerveiller devant l’engagement exceptionnel de son personnel dans ce que plusieurs considéraient comme une cause perdue. Une école de centre-ville, peu importe l’âge des élèves qu’elle accueille, est trop souvent le reflet des graves problèmes sociaux qui rejaillissent sur elle. Les élèves traînent avec eux les conflits de la rue, les problèmes de dysfonction familiale, avec pour résultat le non-respect de toute autorité et la violence verbale ou physique comme moyen de résoudre les conflits. L’école Le Petit Prince n’échappe pas à cette réalité. Mais…

Lyne Caza ne se gêne pas pour dire les choses telles qu’elles sont. Il y a trois ans, avec ses quelque 245 élèves, l’école avait recensé plus de 5 000 cas d’intervention disciplinaire en une année scolaire. Une moyenne de plus de 20 cas par élève. Ça ferait le livre des records. Une « intervention disciplinaire », dans le jargon du milieu, n’est pas un simple reproche de la part de l’enseignant. Il s’agit d’une mesure sérieuse. « C’est ce que l’on appelle “une feuille mauve” » explique la directrice. Elle fait allusion à la feuille de papier de couleur mauve qui est remise à l’élève détaillant l’incident en cause. Il fallait faire quelque chose, car, de toute évidence, ce qu’on faisait, malgré toute la bonne volonté du monde, ne fonctionnait pas. Elle a nommé un éducateur pour traiter exclusivement des questions de comportement. Une année scolaire plus tard, les cas d’indiscipline se chiffraient à plus de 4 000. « Mon éducateur voulait démissionner » dit Lyne Caza. Elle rit parce qu’elle peut en rire aujourd’hui.

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Monsieur Gilles sourit lorsqu’on lui en parle. L’éducateur ouvre un dossier et me dit : « 4 227 cas, pour être plus exact… Presque toute l’école y passait. » Refusant d’abandonner, Lyne Caza allait tenter une nouvelle approche : l’instauration d’un programme SCP (Soutien comportemental positif), une méthode éprouvée dans les milieux urbains américains. En somme, le SCP est un changement fondamental de philosophie. Plutôt que de souligner constamment les mauvais comportements, on mise plutôt sur le renforcement positif. Les élèves peuvent ainsi accumuler des billets d’honneur, appelés « étoiles », avec la promesse d’une récompense après en avoir obtenu un certain nombre. « Pour qu’un enfant ait du succès, il faut qu’il se sente bien à l’école. Lorsqu’un enfant a des problèmes de comportement, c’est généralement parce qu’il a une piètre estime de luimême. » « Il ne suffit pas de décider de le faire » dit Lyne Caza, en parlant du SCP. « Pour y parvenir, il faut aussi former le personnel. » Et le personnel a répondu d’éclatante façon. « Chaque professeur donne un enseignement sur le comportement sept fois en début d’année » explique Monsieur Gilles. « On enseigne aux élèves ce qu’est un bon comportement dans tous les contextes de la vie scolaire : en classe, dans la cour de récréation, en éducation physique, au jeu, aux toilettes, dans l’autobus, partout. »

L’an dernier, à la fin de la première année de la mise à l’essai du nouveau programme, les cas d’indiscipline se chiffraient à un peu plus de 250, une réduction phénoménale de 95 %. Le premier semestre annonçait des résultats encore meilleurs cette année. Aujourd’hui, le personnel de l’école distribue quelque 5 000 étoiles par semaine. « Ça coûte cher en pizzas! » dit Lyne Caza, en parlant de la récompense pour un bon comportement de groupe dans l’autobus.

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La directrice, autant que son éducateur, ne s’en attribue pas tout le mérite pour autant. « Sans la collaboration de tout le personnel, des enseignantes, du personnel de soutien et d’entretien ainsi que des chauffeurs d’autobus, nous n’aurions jamais obtenu de tels résultats » dit Monsieur Gilles.

À un autre endroit de l’école, quatre jeunes filles de 3e année semblent s’amuser follement à jouer au Monopoly. Elles sont installées dans le grand bureau de l’éducateur, aménagé pour ce genre de rencontres, et jouent sous l’œil discret de Monsieur Gilles. « Nos quatre amies sont en train de redevenir amies » dit-il à l’intention de Lyne Caza. C’est un cas de discipline. Une dispute qui a nécessité une intervention a éclaté entre elles. Jouer au Monopoly est leur « punition ».

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Comment?! Parce que plutôt que d’utiliser d’anciennes méthodes qui n’auraient sans doute pas donné les résultats souhaités, l’éducateur a choisi de leur donner une chance de « redevenir amies ». « On leur a demandé ce qu’elles aimaient faire ensemble et elles ont choisi de jouer au Monopoly » me raconte Lyne Caza. Est-ce que ça fonctionne? L’une des quatre jeunes filles me dira plus tard que oui. On n’en douterait d’ailleurs pas à voir l’entrain avec lequel elles jouent.

Maxime a déjà eu une « feuille mauve ». « Mais ça fait longtemps » dit l’élève de 3e année. Aujourd’hui, il collectionne les étoiles. « Quand on en a 10, on a une surprise. » Et, chose étonnante, il aime avoir des devoirs, particulièrement en mathématiques et en sciences. « Si deux élèves se disputent, les enseignantes règlent le problème tout de suite » me dit Alyssa. Elle adore son école parce que, dit-elle, elle y a appris à lire et à écrire. « Les amis font toujours équipe. Quand un ami fait la bouche de poisson, tout le monde fait la bouche de poisson. » Évidemment, les élèves qui conversent avec moi se mettent tous à faire la bouche de poisson. Je pense que je le fais aussi. Malgré moi. « J’aime beaucoup les enseignants. Ils sont très gentils. Ils aident dans les devoirs » ajoute Mélodie. Ce sont des enfants qui veulent ce que tous les enfants veulent : vivre en sécurité et être aimés.

« J’ai trouvé ma place » dit Madame Sylvie, enseignante de 3e année. « J’adore venir travailler… Ce n’est pas facile dans un milieu défavorisé, mais je n’irais pas ailleurs. Je viens d’un milieu favorisé. Quand je suis arrivée ici, j’ai eu un choc. » Elle admet avoir vu et vécu des choses très pénibles qui l’ont marquée pour le reste de sa vie.

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« Il y a des enfants qui arrivent très tristes à l’école. Il y en a un qui était extrêmement triste l’autre jour parce qu’il savait qu’il aurait à passer les deux semaines du temps des fêtes à la maison. À l’école, ils sont heureux. » « J’essaie de leur faire vivre des réussites scolaires. J’essaie de leur faire comprendre qu’ils sont ici pour vivre autre chose que ce qu’ils ont connu jusque là. Ils sont tous capables de réussir. Ce n’est pas une question d’intelligence. » « Mais je tiens en même temps à leur montrer qu’ils sont responsables de leurs actes, qu’il y a des conséquences à ne pas faire d’efforts. »

« J’ai découvert ici qu’il y avait des enfants qui peuvent vivre des choses que j’ai vécues comme adulte » dit Madame Madeleine, enseignante au jardin d’enfants. « J’essaie de leur faire comprendre qu’ils sont capables de faire quelque chose. » Elle a commencé sa carrière d’enseignante à l’âge de 40 ans. Elle est au Petit Prince depuis cinq ans. « J’aime voir les enfants s’émerveiller. À un moment donné, il y a un déclic qui se fait et on voit le regard de l’enfant s’illuminer. » « Mais il faut rester ouvert aux enfants qui ont des problèmes. J’ai eu un élève qui avait des problèmes de comportement. J’ai découvert que c’était parce qu’on ne le comprenait pas lorsqu’il essayait de nous dire quelque chose. Il répétait et répétait parce qu’il voulait se faire comprendre. Parce qu’il voulait tout simplement me parler. » « Faut pas les décourager quand on ne les comprend pas. »

« Il y a des enfants qui arrivent ici à l’âge de cinq ans et qui sont incapables de parler. Personne ne leur a appris à parler, ni le français, ni l’anglais » dit Lyne Caza. « Que veux-tu? Quand la priorité, c’est d’aller à la banque alimentaire… » « On parle d’une troisième génération de pauvreté. Il y a des enfants que l’on regarde dans les yeux et qui respirent la pauvreté. » Une image lui vient à l’esprit : « Il y a une petite fille… une belle petite fille… Ça me brise le cœur. »

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« Quarante-cinq pour cent des élèves de l’école ont une difficulté d’apprentissage quelconque. Soit une difficulté de langage ou d’apprentissage comme telle, une déficience intellectuelle ou des difficultés de comportement » explique la directrice. « C’est pour ça qu’on dit que c’est une école “à défis”… »

On ne néglige aucun effort pour donner à chaque élève une chance de réussir. Madame Sophie, par exemple, enseigne en 2e année avec un microphone, comme un pilote d’avion, parce qu’elle a un élève malentendant dans sa classe. En la regardant enseigner, dans son beau pyjama, je ne peux m’empêcher de penser que tous les professeurs devraient avoir un micro. C’est extraordinairement efficace pour tout le monde.

Quand on parle des « bébés » à l’école Le Petit Prince, on ne parle pas au figuré. Trois fois par semaine, des enfants de la petite enfance, dont plusieurs bébés « aux couches », viennent passer une demi-journée à l’école qu’ils fréquenteront comme élèves plus tard. « On est là pour soutenir la famille » dit Madame Annie, du Centre de ressources parentsenfants de Vanier. « Les parents et les enfants, les gardiennes aussi, viennent au groupe de jeu de l’école pour passer du temps de qualité ensemble… On fait des activités comme des chansons, du bricolage. » Le groupe de jeu est en fait une porte d’entrée pour l’école. « C’est l’occasion pour l’enfant et les parents de s’habituer à l’école. Aussi, nous travaillons les habiletés que l’enfant doit développer pour réussir à l’école. » « Faut aller les chercher très très jeunes, dit Lyne Caza, pour leur donner une meilleure chance de réussir. »

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La communauté ne reste pas étrangère aux succès phénoménaux du Petit Prince. Plusieurs parents s’engagent à appuyer l’école. Cette année, un groupe d’entre eux se sont chargés de repeindre tous les murs intérieurs de l’école. « L’école est devenue un centre névralgique pour la communauté » dit Lyne Caza. « Les gens se retrouvent ici. »

Et les enfants rêvent du possible. Maxime veut devenir plombier. Une autre aimerait devenir policière ou vétérinaire. Une autre, styliste de mode ou coiffeuse. Lui, mécanicien. « On leur parle d’amour tout le temps » dit Lyne Caza. Au-dessus de la porte de son bureau, une affiche faite à la main, simple mais puissante, ne comporte qu’un seul mot qui dit tout : « IMAGINE »

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Édition et impression : Centre franco-ontarien de ressources pédagogiques, 2009.


J’avais une petite idée de ce que je cherchais. Mais je ne savais vraiment pas ce que j’allais trouver. J’ai trouvé des écoles en effervescence. J’ai trouvé des gens d’un dévouement total. Mais j’ai surtout trouvé des élèves heureux. Des élèves aux yeux brillants, gonflés d’espoir en l’avenir et de confiance en eux. Et j’ai compris. J’ai compris que c’est possible. Qu’on ne rêve pas lorsqu’on dit que chaque élève peut réussir. Et, qu’aux yeux de mon ordinaire, j’avais peut-être la chance de voir en mouvement les meilleures écoles… au monde. – Michel Gratton


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