édito Rédacteur en chef :
Claudine Jacques Directeur de publication :
Thierry Skrzydlinski Ont collaboré à ce numéro :
Nicole Perrier et Anne Bihan, Bernard Billot, Manu Cormier, Didier Daeninckx, Pierre Humbert, Cyril Pigeau, Roland Rossero, Michel Soulard, Bernard Suprin, Jacques Valette. Crédit photo :
DR Eric Dell’Erba Conception & réalisation :
épisodes Impression :
Artypo episodes@mls.nc
BP 133 - 98812 Boulouparis Tél. 35 39 40 Dépôt légal :
Mars 2010 ISBN :
978-2-918460-01-5 Toute reproduction est subordonnée à l’autorisation expresse de la direction d’épisodes Nouvelle-Calédonie
Chers lecteurs et auteurs, Merci d’avoir été si nombreux, ici, ailleurs, à vous intéresser au numéro 1 d’Épisodes Nouvelle-Calédonie. Cet intérêt, ce soutien, nous en avons besoin pour le numéro 2 et les suivants. Didier Daeninckx nous l’offre en révélant en exclusivité pour Épisodes son parcours calédonien à l’heure où Cannibale, illustré avec talent par Emmanuel Reuze, sort en bande dessinée. Cannibale retrace les épisodes tragiques de notre histoire durant l’exposition coloniale de 1931, le contrepoint s’est fait en invitant Alin Laubreaux qui en témoigne, à figurer dans la rubrique écrivains d’hier. Michel Soulard en fait un portrait sensible et documenté. Théâtre ensuite pour constater avec les Chroniques du spectacle vivant en Nouvelle-Calédonie de Jacques Valette et le tour des établissements actuels et des politiques culturelles avec Cyril Pigeau, combien les Calédoniens ont chéri et chérissent encore le théâtre. Ils aiment le jouer, le vivre et l’écrire, c’est ainsi que l’atelier Roland Fichet a apporté une aide précieuse à cinq auteurs en démarche d’écriture théâtrale. En évidence : Olivia Duchesne, au parcours prometteur de metteur en scène et de dramaturge. Pourquoi écrire pour le théâtre ? Les auteurs Anne Bihan, Nicolas Kurtovitch et Ismet Kurtovitch répondent aux questions d’Épisodes. Pour clore ce Spécial Théâtre, le cahier littéraire publie six pièces d’auteurs. Pour Épisodes, Jerry Delathière propose un extrait libre de droits de Négropo rive gauche, Bernard Suprin nous envoûte avec le néocallitropsis préhistorique de la Plaine des Lacs alors que Frédéric Ohlen et Michel Chevrier nous rappellent que la poésie est exigence et nécessité. Respiration aussi ! On rencontre Diego Jorquera. La rubrique Art accueille Aka et son énergie métallisante, la rubrique jeunesse un nouveau conte. S’ajoutent quelques chemins d’images : la semaine du Vanuatu à la Maison du livre, le spectacle Son et Lumière de Téremba. Macate Wénéhoua nous parle de l’association Écrire en Océanie et des trois lauréats vedettes du dernier concours : Léopold Hnacipan, Alain Camus, Noëlla Poemate. Épisodes accueille leurs textes dans Bienvenue à… ainsi qu’une pièce écrite par le collège de Rivière-Salée. Épisodes Nouvelle-Calédonie a choisi de vous proposer quatre numéros annuels, Nicole Perrier, rédactrice en chef d’Épisodes N°3, vous donne rendez-vous en juin 2010 pour un « Spécial Poésie » et convie tous ceux qui voudraient y participer à consulter la dernière page d’Épisodes. Vivez et lisez maintenant ! Claudine Jacques
épisodes
épisodes
Vis maintenant… Il meurt lentement celui qui ne voyage pas, celui qui ne lit pas, celui qui n’écoute pas de musique […]. Il meurt lentement celui qui évite la passion et son tourbillon d’émotions […]. Pablo Neruda
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somm épisodes
n°2
Avril-Mai-Juin 2010
livres
n Une coutume à Clairefontaine
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écrivains d’hier n Alin Laubreaux
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rencontres
n Diego Jorquera
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nouveautés
n Négropo rive gauche
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n Chroniques du spectacle vivant en Nouvelle-Calédonie
28
poésie n Humboldt n Kanaky-Calédonie
30
nature n Un néocallitropsis préhistorique
32
pays n Nouméa et le théâtre
34
vanuatu n Le Vanuatu se livre
39
écrire n écrire le théâtre
40
librairie n La bibliothèque idéale
46
spectacles jeunesse n Sur les planches en 2010
48
atelier théâtre n Roland Fichet
50
metteur en scène épisodes
n Olivia Duchesne
4
62
son & lumière n Téremba Photo de couverture : Eric Dell’Erba
64
maire sommaire
art
n Aka
66
jeunesse
n Le banian
69
la chronique de Pierre Humbert n Air du temps : Ah ! le théâtre !
74
écrire en Océanie
75
concours n Concours : à vos plumes !
76
n écrire son histoire
77
n Léopold Hnacipan
78
n Alain Camus
82
n Noëlla Poemate
86
n Collège de Rivière-Salée
88
bienvenue à...
cahier littéraire
95
théâtre n L’Ancêtre dans la gorge
96
n Malentendances
98
n Les Papillons
110
nE n attendant l’gros lot
118
n Le Cul du cheval
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n Pierre Gope
128
fiche auteur
épisodes
n Les Dernières Heures de Mikhaïl Gorbatchev 102
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Une coutume à Clairefontaine Didier Daeninckx
épisodes
Les éditions Emmanuel Proust ont organisé à Paris à la Maison de la Nouvelle-Calédonie une présentation de l’album Cannibale, adaptation BD du récit éponyme de Didier Daeninckx par Emmanuel Reuzé. Pour épisodes, Didier Daeninckx livre ici les souvenirs de sa rencontre avec les Calédoniens.
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Posant le pied sur le tarmac de l’aéroport de la Tontouta, au matin du huit octobre 1997, j’ignorais à quel point ma rencontre avec les Néo-Calédoniens, leur histoire, et les paysages océaniens allait bouleverser mon parcours d’écrivain. Le temps de changer d’avion, et mes bagages égarés, je m’étais retrouvé sur l’île de Lifou, accueilli en tribu par André Haocas dont le premier soin fut de me présenter au Grand chef pour une coutume inaugurale avant de m’installer dans une case, près de sa maison. Au cours des jours suivants, je rencontrai des dizaines de regards d’enfants rieurs et étonnés, dans des lieux aux noms à faire rêver : Hnaizianu, Xépénéhé, Hnathalo ou Drueulu, une école perdue dans la brousse. Puis, de retour sur la Grande Terre, j’accumulai des centaines d’impressions,
d’informations, piloté par Waya ou Graziella, par Solange ou Ben, visitant un port minéralier, les mines abandonnées vers Tiébaghi, des trous dans les collines où d’anciens bagnards cherchaient la fortune, discutant avec un arrière-petitfils de déporté kabyle près du cimetière musulman, avec le descendant d’un exilé vietnamien à Kaala-Gomen, assistant à la sélection des cerfs dans un élevage de la plaine, écoutant les doléances d’un aventurier qui ne se remettait pas d’avoir dû quitter son campement, pendant les « événements » et se souvenant pourtant avec bonheur des vivres larguées par avion, échangeant des arguments avec monsieur Frouin, le maire de Koumac, sur l’avenir du territoire. Je me souviens avoir pris la mesure des déchirements quand, après quelques heures passées
à Hienghène, la voiture fit une halte à l’embranchement de Tiendanite, près des carcasses des pick-up qui font comme un mausolée aux dix Kanak arrachés à la vie dans une embuscade, là, en décembre 1984. Puis ce fut l’accueil à Tendo, par tous les habitants rassemblés, l’arc de triomphe décoré de fleurs de frangipaniers et l’installation à Tendo pour une semaine, dans la grande case, la bienveillance quotidienne du groupe des femmes. C’est là, un soir, qu’on me parla pour la première fois de l’Exposition coloniale et des quelques dizaines de Canaques, (orthographe condescendante de l’époque que l’on retrouve dans Tintin quand le Capitaine Haddock injurie le monde, ou sous la plume brune et stigmatisante de Louis-Ferdinand Céline, de manière plus inattendue chez Marcel Proust) qui y furent dépêchés. Le matin de mon départ de Tendo, aux aurores, j’eus la surprise d’être le centre d’une cérémonie au cours de laquelle on me fit le présent d’une monnaie kanak. L’histoire des hommes exposés ne me quittait pas. J’avais tout d’abord cru à une métaphore historique. Quand j’évoquai le sujet à la bibliothèque Bernheim, son directeur, Jean-François, me détrompa et me permit d’accéder à des documents d’époque qui furent à la base de mon roman Cannibale écrit au printemps suivant, en 1998, alors qu’on commémorait le 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage. J’achevai la rédaction du récit
dans mon bureau d’Aubervilliers d’où j’apercevais les travaux d’édification du Stade de France, et je ne pouvais me défaire de l’idée que j’avais aperçu le nom de Karembeu sur la liste des Kanak utilisés comme figurants en 1931. Je retrouvai enfin la source alors que le livre allait partir pour l’imprimerie. Le nom de Willy Karembeu était écrit au crayon au dos d’une photo d’un groupe envoyé pour une tournée dans les zoos allemands. J’envoyai alors une lettre à Christian Karembeu, aux bons soins du Réal de Madrid, quelques semaines avant le début de la compétition. Le succès mondial des Bleus fit que je ne reçus une réponse qu’en octobre et le champion kanak m’invita à le rencontrer au centre d’entraînement de Clairefontaine où il se préparait en vue d’un match contre les îles Féroé. Je passai deux heures à regarder Zidane, Leboeuf, Blanc, Henry courir sur la pelouse tandis que ma
fille discutait avec un spectateur appelé à prendre toute sa place, Nicolas Anelka. Quand Christian Karembeu s’approcha, je lui remis un agrandissement de la photo sur laquelle il reconnut son arrière-grandpère et deux grands-oncles... Il ne me fallut que quelques minutes pour comprendre que je n’avais pas une « star » mais un homme face à moi, et je me décidai à prendre au fond de ma poche la monnaie kanak reçue des mois plus tôt dans la douceur matinale de Tendo. Je me lançai dans une coutume improvisée tandis que derrière nous Aimé Jacquet distribuait aux joueurs le maillot frappé de l’étoile d’or qui venait tout juste de sortir des ateliers du fabricant. Je ne sais qui avait été le gardien de cette monnaie avant moi, je ne saurai certainement jamais qui en est aujourd’hui le protecteur provisoire, mais cela m’a changé d’être partie prenante de son Histoire.
épisodes
livres
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Alain Laubreaux, la jubilation des mots ! Michel Soulard
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Le nom de deux écrivains, Georges Baudoux et Jean Mariotti a été donné à deux établissements scolaires. Un troisième écrivain, Alin Laubreaux méritait de par la qualité de son œuvre de prêter lui aussi son nom à un collège ou un établissement scolaire. Mais comme on le sait, son orientation politique et son destin le lui ont interdit.
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En 1910, debout à droite.
L’œuvre d’Alin Laubreaux est si importante en volume et en variété qu’il apparaîtrait quasiment impossible à quelqu’un qui l’entreprendrait de rassembler tout ce qu’il a écrit : il a principalement été journaliste et il a écrit sans discontinuer dans les journaux et les revues les plus divers. Ce qui est accessible aujourd’hui, je dis bien accessible et non pas disponible – de disponible il n’y a guère que le roman Le Rocher à la voile –, c’est ce qui a été édité en librairie, c’està-dire sept romans et cinq essais. Certaines œuvres ont été publiées uniquement dans le journal Je suis partout, d’autres œuvres souvent annoncées ne sont jamais parues et enfin deux des œuvres qui sont considérées comme publiées
n’ont pas été retrouvées : Momus, un recueil de poésies qui aurait été édité à Nouméa en 1921 et Les Pirates de Paris, une pièce de théâtre représentée à Paris en 1942 comme œuvre de Michel Daxiat, pseudonyme de Laubreaux. Alin Laubreaux est donc un écrivain prolixe et d’abord, pour comprendre cet écrivain, je propose de faire un résumé de sa vie en notant au passage ses rapports avec la NouvelleCalédonie [...] et, en second lieu, en montrant comment cet auteur peut être intéressant pour le lecteur d’aujourd’hui [...].
Un sujet brillant, mais une vie ratée C’est ainsi qu’on peut présenter l’itinéraire d’Alin Laubreaux, de sa naissance à Nouméa en 1899 à sa mort en
écrivains d’hier
Espagne en 1968. Son enfance et sa jeunesse se sont déroulées entre Nouméa et Marseille. En effet, son père venu de Marseille est retourné dans sa ville d’origine à trois reprises, précisément trois fois après avoir fait fortune en NouvelleCalédonie, et sans en être absolument certain, on peut penser que l’enfant a suivi ses parents dans leurs déplacements (pour la famille, le départ en Nouvelle-Calédonie signifiait la ruine tandis que le retour à Marseille signifiait la fortune). Jusqu’à l’âge de 20 ans, Alin Laubreaux a fait deux séjours à Nouméa et deux à Marseille. Il a vécu d’abord sa petite enfance à Nouméa, depuis sa naissance jusqu’à l’âge de 6 ou 7 ans. En cela, il rappelle un autre écrivain plus connu, né en 1886 à Nouméa, Francis Carco. Mais il est revenu à Nouméa entre 1910 et 1914. Aussi bien sur la période de sa petite enfance que sur son adolescence, nous n’avons pra-
tiquement aucune information à ce jour, sinon quelques allusions à ses études chez les frères, donc dans une école catholique. En revanche, nous avons un peu plus d’informations non sur son premier séjour (1906-1910), mais sur son second séjour à Marseille de 1914 à fin 1918. Ce long séjour à Marseille puis Paris correspond exactement à la période de la Première Guerre. Il faut signaler combien la guerre a touché Alin Laubreaux, elle a été déterminante pour ses prises de position futures. Dans Le Rocher à la voile, il la qualifie d’« abjecte tuerie ». Le jeune Alin, témoin des misères engendrées par la guerre, à l’écoute des échos du Front, a été marqué pour toute sa vie. Il fera partie des pacifistes ou anti-bellicistes qui se refuseront à s’engager dans un nouveau conflit avec l’Allemagne. Mais ce que nous savons de cette vie à Marseille d’abord, c’est qu’il a fréquenté le lycée, probable-
ment à la Seyne-sur-Mer plutôt qu’à Marseille. Et ensuite à Paris. Selon deux ou trois de ses écrits, il est allé au lycée Louisle-Grand, mais cela reste à prouver. Il semble sûr que deux de ses frères y soient allés mais pour lui c’est moins sûr ! Toujours est-il qu’il ne semble pas avoir passé son bac. Une aventure a été déterminante : il est devenu père d’un enfant dont la mère était sa cousine, ce qui n’a pas manqué de provoquer une tempête dans la famille. C’est probablement pour cette raison qu’il a abandonné ses études et est revenu à Nouméa à la demande de son père. Commence alors la deuxième étape de sa vie, étape qui ne dure en fait que deux années et demie, entre fin 1918 et juillet 1921. Ces deux années sont très importantes car c’est là qu’il a pris vraiment contact avec la Nouvelle-Calédonie et particulièrement avec Nouméa. À ce moment-là, il a fondé le journal Le Messager de la Nouvelle-Calédonie.
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En 1921, A. Laubreaux, deuxième à partir de la gauche.
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Vaudeville, la théâtralité
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Le goût du théâtre, constant chez Laubreaux, s’épanouit dans la description de cette société. Alin Laubreaux n’a sans doute écrit qu’une seule pièce de théâtre aujourd’hui égarée, mais sa prédilection pour la scène transparaît dans ses romans principalement par l’utilisation des multiples ressources théâtrales : le jeu scénique, les dialogues, les monologues, les coups de théâtre... C’est à travers ce jeu que la société est observée et jugée. Dans Yan-le-Métis, la fête de Noël 1918 donne lieu, à l’occasion de la visite du maître des lieux, à une véritable représentation théâtrale pour laquelle on force les niggers à un combat mutuel : ce sont les jeux du cirque. Toute cette visite a été programmée comme un spectacle. Pour la construction du passage, l’auteur souligne l’opposition entre le monde du maître et celui de l’esclave. Mais le jeu théâtral se manifeste aussi dans la vie quotidienne calédonienne. Très souvent, les personnages jouent leur comportement, ou bien le narrateur les décrit comme des comédiens. Pascal, au lendemain de son arrivée à l’île des Pins, revoit son débarquement comme un ensemble de « scènes burlesques » qui se renouvelleront quand un autre bateau se présentera. Par ce spectacle et le déguisement des acteurs « peinturlurés » s’établit la distance à l’Autre. Parfois ce sont les autorités elles-mêmes qui organisent la mascarade. Quand la guerre est déclarée, elles montent une mise en scène pour la défense du pays ; le jeu théâtral s’avère plus facile que le véritable engagement. Le théâtre peut aussi bien être individuel : dans ces mêmes circonstances de son débarquement, Pascal voit pour la première fois le père Poquain, comédien qui regagne les coulisses : « la soutane du missionnaire disparaissant entre les fourrés d’arbres verts ». Cette furtive disparition figure déjà la sournoiserie du prêtre (soulignée par l’allitération en [s]) et annonce la menace (soulignée par l’allitération en [r]). Cet homme de théâtre réapparaîtra, il s’interposera, jouant de son influence et de son talent de persuasion, entre Pascal et un autre comédien : le grand chef de l’île des Pins. C’est à tous les échelons de la société que le théâtre est présent dans les discours et attitudes des personnages. Dans Le Rocher à la Voile, le directeur de presse Felgères s’exerce à de multiples monologues mégalomanes, l’ancien bagnard Bouge séduit la popinée de Breton en lui inventant des histoires, les gens de la bonne société se composent une attitude. Certains passages des œuvres sont de véritables dialogues de théâtre où chacun joue son rôle au mépris de la réalité ; le plus bel exemple est sans doute la scène qui se déroule au troisième chapitre de Wara, entre un groupe de canaques et le gendarme. Les canaques, qui s’expriment en français « petit nègre », jouent aux sujets obéissants ; le gendarme joue au chef. La réalité est tout autre. Volontaire ou non, le jeu théâtral est une convention qui masque la réalité. Dans le cas de Chantrel, il est un moyen d’échapper à une réalité qui ne se cache pas. C’est alors qu’il n’est plus accepté par les autres.
Techniquement, c’était assez facile pour lui car son père qui avait créé une imprimerie en 1914 avait déjà refait fortune (et repartait d’ailleurs en France). En tout cas, Alin Laubreaux s’est consacré entièrement au travail de journaliste et a réalisé seul son journal pendant ces deux ans et demi. Il n’avait donc pas beaucoup plus de 19 ans quand il a monté cette entreprise et a commencé avec l’enthousiasme de la jeunesse et aussi avec ses qualités d’écrivain car il avait acquis déjà une solide culture classique. Son journal a pu être qualifié à juste titre par Bernard Gasser d’« hebdomadaire littéraire ». Mais ce qui apparaît clairement à la lecture de ce journal, c’est qu’Alin Laubreaux est revenu en Nouvelle-Calédonie avec l’idée d’œuvrer pour le pays et de le faire avancer. De nombreux articles le montrent. Il voulait être l’artisan de ce progrès, dans tous les domaines, tant économique, qu’agricole, architectural et littéraire bien sûr. Il déplore très souvent l’absence de manifestations culturelles. Lui-même d’ailleurs essaiera durant ce séjour d’organiser quelques spectacles, il fera une ou plusieurs représentations théâtrales et essaiera d’entraîner les gens du pays dans cette voie du progrès pour tous. Mais au bout de quelques numéros, peut-être dix, il commence déjà à déchanter et il deviendra de plus en plus dur contre cette société qu’il critiquera sur plusieurs points : l’aspect extérieur de Nouméa qu’il
écrivains d’hier
élaboré, Le Corset noir. Il a pu espérer avoir le prix Goncourt pour ce roman mais finalement ne l’a pas obtenu. Il va donc s’en tenir au journalisme et les essais qu’il écrira seront presque tous en relation avec ses activités de journaliste. Mais pour nous, il est intéressant de voir publiés, presque dix ans après son séjour en Nouvelle-Calédonie, les romans qui sont en quelque sorte le fruit de son séjour. Comme Jean Mariotti, c’est lorsqu’il a pris du recul qu’il a eu la volonté de les écrire. Après cet intermède de travail romanesque, il s’est pratiquement cantonné à son activité de journaliste, on assiste à un durcissement progressif de ses positions à la suite de plusieurs événements, l’affaire Stavisky (sujet de la pièce Les Pirates de Paris) suivie des émeutes de février 1934, le Front populaire qu’il n’a pas approuvé et contre lequel il écrit dans La Terreur rose, et ensuite la guerre avec son arrestation en mai 40 et son envoi dans un camp jusqu’à ce qu’il soit rapatrié à Paris. Tout cela l’a amené à être radical et virulent quand il était du côté du pouvoir. Cependant, tout puissant qu’il ait pu être, il n’a pu obtenir le poste qu’il convoitait, celui d’administrateur de la Comédie-Française. Il a dû s’en tenir à son rôle de critique dramatique de Je suis partout qu’il a d’ailleurs fort bien assuré et en fait il a écrit peu d’articles proprement politiques. Car ses quelque 265 articles de critique dramatique sont
Dédicace d’Alain Laubreaux à Georges Courteline, homme de théâtre, pour qui il avait une grande estime.
sans doute l’une des parties les plus remarquables de son œuvre. Enfin, la libération de Paris, en août 1944, sera pour lui la catastrophe, il s’exilera en Allemagne puis en Espagne. Il sera condamné à mort en 1947. Il restera en Espagne jusqu’à la fin de sa vie, en 1968. Très vite, en Espagne, il attrape la maladie de Parkinson qu’il a traînée dans la misère jusqu’à la fin. Si on fait le panorama de sa vie, on constate que pratiquement à toutes ses étapes on en arrive à l’échec mais en même temps, on constate une impatience d’écrivain qui est constante, on sent quelqu’un qui trépigne en permanence et qui voudrait que le monde progresse selon ses vœux, mais qui se heurte toujours à ses échecs [...].
Une vision de la Nouvelle-Calédonie Dans la majorité de ses romans il exprime une vision de la Nouvelle-Calédonie : celle qu’il a retenue et mûrie de son sé-
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trouve sale, l’administration contre laquelle il faut se battre, le manque de gens compétents et le problème des Kanak qui s’adonnent à la boisson et qui ne travaillent pas. Désabusé, il va finalement décider assez brusquement de repartir définitivement en France. Il aura donc passé en tout douze ou treize ans en Nouvelle-Calédonie dont les premières années de ses vingt ans. Un échec l’avait fait revenir de France, un échec le fait repartir de Nouvelle-Calédonie. L’échec apparaît comme une constante chez ce jeune homme plein de ressources intellectuelles. En France, il va apprendre son métier de reporter en travaillant pour divers journaux et principalement Le Journal où il couvrira l’affaire Seznec. Il raconte cette vie dans un ouvrage inédit paru dans Je suis partout qui s’intitule « Souvenirs d’un chien écrasé ». Ses qualités de journaliste vont être remarquées et il écrira dans différents journaux de tendances diverses, tant de gauche que de droite. Cependant cette vie de journaliste n’est sans doute pas si facile. (C’est aussi durant cette période qu’Alin Laubreaux se marie et devient père d’une fille en 1925.) Tout en continuant dans le journalisme, il devient romancier. De 1928 à 1932, sont parus six de ses sept romans, et en particulier trois de ses « romans calédoniens ». Mais il n’a pas poursuivi dans cette voie, il a eu sans doute une déception avec son roman qui peut être considéré comme le plus
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1931, à Paris avec Claude, sa fille.
jour de deux ans et demi. Ce à quoi Laubreaux a été principalement sensible, ce n’est ni au pays profond comme Mariotti, ni aux aspects ethnologiques et culturels comme Baudoux, mais aux rapports entre les différents corps de cette société. À travers ses romans, il manifeste son goût de la critique, et de ce point de vue Le Rocher à la voile est sans doute le plus riche, même s’il n’est pas le mieux construit puisqu’il est fait de quatre livres racolés. On va retrouver dans les romans d’Alin Laubreaux tous les aspects de la société calédonienne et plus particulièrement nouméenne qui ont conduit le jeune Alain Laubreaux à l’étouffement. On peut citer quelques phrases, notam-
Jubilation des mots
épisodes
Un ami d’Alin Laubreaux a pu dire qu’il était capable de se fâcher avec quelqu’un juste pour le plaisir d’un bon mot. Il aime beaucoup en effet jouer avec les mots et d’abord avec son propre nom. Dès l’époque du Messager, il a signé de noms aussi divers que Hermès, Motus, Rigobert, Camimoufle, Panurge, Lâche Anonyme, Hael, et, amusant, le nom de Robert la Foa quand il était journaliste au journal L’Œuvre en France. On compte plus d’une dizaine de pseudonymes. Le jeu sur les patronymes concerne aussi les personnages de romans et notamment ceux du Rocher à la voile et de Wara : on se rappelle Ballourde pour Ballande, Baldox pour Baudoux, Jean-Marie Otty pour Jean Mariotti… Ce goût des mots était déjà apparu dans la « Gazette rimée » du Messager. Dans une création jubilatoire, le polémiste recourt à toutes les ressources de la langue : usage des surnoms, inversion des syllabes, utilisation de suffixes péjoratifs, paronymie, jeu sur nom propre et nom commun, désignation d’un personnage par le nom d’un autre personnage. Autant de procédés au service de la dérision.
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ment, dans Le Rocher à la voile : « Vous n’imagineriez pas une ville plus sotte, plus laide, plus sale, tant d’hypocrisie rasant le sol et plus ridicule parodie de société bourgeoise installée à demeure sous les cocotiers, c’est la sous-préfecture multipliée par dix sans échappée possible par le train du soir » ou encore dans Wara : « La vie bêtifiante de Nouméa, ses rues sales, ses mondaines de vaudeville, ses grotesques de la politique sous-cantonale ». De ces deux brèves citations, je retiendrai deux mots : hypocrisie et vaudeville.
Le jeu de l’apparence et du réel Chaque membre de cette société, à quelque catégorie sociale qu’il appartienne, masque ou se masque la réalité en jouant le personnage qu’il est censé être aux yeux des autres. Cette société fonctionne si chacun fait semblant, cache son jeu. Il en résulte une hypocrisie quasi généralisée. Au gouverneur J. dans J’étais un autre ! on cache la vérité : les fonctionnaires ne transmettent pas les ordres. Le pouvoir tend à n’être que l’apparence du pouvoir. De son côté, le gendarme Haridel de Wara qui représente l’autorité coloniale à l’îIe des Pins se cache à luimême la vérité. C’est sa médiocrité de fonctionnaire qui l’emporte sur sa responsabilité. Peu importe la situation réelle pourvu qu’il n’ait pas d’ennuis. De la même manière mais pour d’autres raisons, l’Église ignore sciemment certains
écrivains d’hier
dans une société qui les avait rejetés se fait au prix de bassesses qu’ils doivent cacher. Un réseau de relations fondées sur l’intérêt et l’apparence et non sur la vérité se tisse entre les composantes d’une société qui, de ce fait, est minée.
Une prose allègre et rythmée Les écrits d’Alain Laubreaux sont d’une lecture agréable. De même que le goût du poète apparaît dans les jeux de mots comme nous l’avons vu précédemment, le goût de l’homme de théâtre apparaît dans les dialogues et le goût du journaliste dans une prose enlevée, efficace et surtout rythmée. C’est pourquoi Alin Laubreaux est d’une lecture facile et agréable qui fait vivre au lecteur des scènes que l’auteur a manifestement eu grand plaisir à écrire. Certes toutes les figures de style sont utilisées au service de l’ironie et jusqu’à la méchanceté, mais c’est surtout par le rythme que séduit Alin Laubreaux et particulièrement par l’art de la chute. C’était déjà le cas dans de nombreux poèmes de la « Gazette rimée », c’est encore vrai pour de nombreuses pages des romans et pour la critique du journaliste. Alin Laubreaux aime faire pousser au lecteur ce soupir d’aise qui marque la fin d’un écrit. Le même soupir que lorsque l’on déguste un bon plat ! Il faut en effet imaginer Alin Laubreaux comme un bon vivant, tel que ses amis l’ont
décrit, et lui-même se présentait ainsi à l’âge de 20 ans : « Je suis gras, rond et jovial ». Alain Laubreaux a conjoint ses deux plaisirs : celui des bons plats et celui des bons mots dans son livre remarquable L’Amateur de cuisine. Pour nous lecteurs, un écrit d’Alin Laubreaux est comme un plat à savourer. Je cite à cet égard l’article de Candide sur l’exposition coloniale de 1931. On y découvre en une page ce plaisir des bons mots, des phrases justes, le plaisir de lire cet auteur au destin tragique !
Voir détails en page 14 Alain Laubreaux, Candide, 1931. In Au temps des colonies, Ballandier/ Ferro Paris - L’histoire, Seuil, 1984.
Texte d’une conférence à la librairie Calédolivres le 13 août 2008. Michel Soulard, professeur au collège de Rivière Salée pendant vingt-sept ans, a écrit un mémoire de DEA : A. Laubreaux : Romans calédoniens, romans de l’échec . © - photos de famille : Yves Laubreaux
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comportements qui sont pourtant contraires à la morale dont elle se veut la gardienne. Le grand chef de l’île de Pins qui a favorisé un détournement de mineure est un défenseur et gardien de l’institution ; le colon pédéraste de Touho en est un des pourvoyeurs de fonds. Avec la société bourgeoise, l’Église fait montre du même aveuglement volontaire pourvu qu’elle reçoive des dons et assure son emprise. Les autres groupes sociaux jouent ce même jeu hypocrite. Dans le milieu bourgeois et le milieu des affaires, seule compte l’attitude extérieure, ce qui se voit. On admet très bien, par exemple, les liaisons qui restent cachées ; on fustige les liaisons affichées. Il importe que chacun reste apparemment à sa place sans mettre en cause l’illusion collective du bon fonctionnement de la société. Les canaques, pareillement, feignent d’accepter leur condition inférieure, mais dans Wara par exemple, tout un réseau secret est organisé pour contrôler l’activité des blancs. À la ville comme sur l’île, les canaques donnent le change : ils font croire qu’ils sont inoffensifs et soumis : ceux qui, par exemple, ont assassiné Lawson, dans Wara, se promènent innocemment sur la plage. Les libérés apparaissent comme des professionnels de l’hypocrisie et de la duperie. Auprès de l’Église, ils jouent les dévots ; ils exploitent, aux mêmes fins de leur intérêt matériel, l’ignorance et la crédulité des canaques. Leur intégration
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Une heure chez les mangeurs d’hommes A. Laubreaux, Candide n° 374, jeudi 14 mai 1931
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ous aviez vu, comme moi, l’affriolante publicité dont les journaux étaient pleins : « Les Canaques au Jardin X [...] » ! Puis, quelques lignes d’une savante imprécision où revenaient les mots « cannibales » et « mangeurs d’hommes ». Une seule chose paraissait oubliée par les organisateurs de ce spectacle sensationnel, l’attraction coutumière en ces exhibitions : le repas des fauves. Voyezvous l’effet d’un tel programme : À cinq heures, le dîner des cannibales ? On aurait refusé du monde. Je connais les canaques. J’ai vécu trois ans parmi eux, dans leur pays. Ils n’étaient pas anthropophages à cette époque. Mais il y a douze ans de cela. En douze ans de civilisation, il est possible qu’ils le soient devenus. J’ai voulu m’en assurer. Je suis allé voir les canaques. Pour arriver à eux, il y a d’abord le tourniquet du Jardin où l’on dépose trois francs. (C’est déjà une image de La Nouvelle, où tant de gens ont
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été admis à la contemplation forcée des canaques après être passés à un autre tourniquet, où ils déposèrent leurs droits civils.) Puis, ayant franchi une bonne distance à travers un paysage si désolé que le désert paraît surtout y être acclimaté, on se trouve devant une haute palissade derrière laquelle sont parqués les terribles sauvages. Ici, deuxième péage : cent sous. Mais pour voir des êtres qui se repaissent de chair humaine, huit francs, ce n’est pas trop, au cours actuel du bifteck. Entrons. Parmi des cases en bois, recouvertes de paille, comme des bouteilles sous leurs paillons, j’aperçois des hommes noirs, la peau à l’air exposée, le ventre ceinturé d’une étoffe colorée qu’on appelle, chez eux, le manou, et qui, de la chute des reins leur descend jusqu’aux pieds. Ils circulent à pas lents, l’air féroce à souhait, échangeant entre eux des propos d’une voix gutturale qui donne la chair de poule. Ils portent à bout de bras d’homicides casse-têtes, et nous glissent des regards qui, à coup sûr, détaillent sous nos vêtements européens le faux filet et la côte première. On n’aimerait guère les rencontrer, la nuit, au coin du bois de Boulogne. Décidément on
écrivains d’hier
roces convives. Le vieux chef à barbe blanche, à la poitrine ridée, aux membres étiques, est le plus horrible à voir. Il s’acharne sur une tête, dévore le nez, les joues. Avec un bois pointu, il fait sauter les yeux ; puis, exposant la partie occipitale au feu vif, il fait dégager la cervelle pour s’en délecter ; ainsi le crâne n’est pas brisé. On pourra l’ajouter aux macabres trophées. – Br… Ne restons pas là ! me dit l’impressionnable compagnie qui lit en même temps que moi. À un moment, un de ces hommes tragiques passe auprès de nous, et, instinctivement, nous nous reculons, car il a un aspect plus sanguinaire encore que les autres. Nos regards se croisent, et tout à coup : – Hé ! lui dis-je, tu ne t’appelles pas Prosper ? Il s’arrête, me considère longuement. – Oui, fait-il. – Tu ne me reconnais pas ? Il secoue la tête. Je me nomme. Alors il pousse un cri à fendre l’air : – C’est toi ! Alla ! s’écrie-t-il. Et voilà qu’il me saisit les mains et les serre avec effusion. – Ah ! me dit-il, tu n’as pas maigri. Il faut dire que je pesais cinquante-huit kilos quand nous nous sommes connus, Prosper et moi, et j’arrête épisodes
a eu raison de les enfermer. Je n’ouvre pas sans frémir la brochure, qui nous est vendue à l’entrée et qui – ô dérision ! – est éditée sous l’aspect élégant des programmes de nos théâtres parisiens. On y voit (jeune première) la photo d’une popinée sur fond de cocotiers, nue, et la taille prise dans un tapa végétal, et plus loin (grand premier rôle) un guerrier farouche, armes à la main, aigrette aux cheveux, gris-gris de nacre aux poignets, et le visage couvert de barbares tatouages. Puis, sous le titre : Le Cannibalisme, voici ce qui correspond à « l’analyse de la pièce » : Dans la maison du chef, la plus grande hutte du village, une douzaine d’hommes assis forment un cercle. Un foyer et des torches jettent sur eux des lueurs d’incendie, exagérant les ombres. Au milieu, sur de larges feuilles de bananier, s’élève un monceau de chair humaine fumante : le four est là, béant. Il a été creusé dans le sol même de la paillotte garni au fond de pierres brûlantes sur lesquelles des membres détachés à coups de hache ont été soigneusement étalés, puis recouverts d’un nouveau lit de pierres chaudes et de débris végétaux assurant l’étanchéité pendant la cuisson. À présent, de ce trou, une âcre odeur s’élève. Une joie farouche se peint sur la face bestiale des fé-
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aujourd’hui l’aiguille de la bascule au respectable chiffre 97. Mais je dois vous présenter mon « mangeur d’hommes ». Prosper était, au cours des années 1919 et 1920, employé à l’Imprimerie de Nouméa, où il remplissait, par rapport à ses confrères de couleur, des fonctions nobles puisqu’on lui confiait la responsabilité d’une Minerve. C’est que Prosper, dans son enfance,
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avait étudié pour être savant et gagner sa vie au chef-lieu. De la petite tribu de ses parents, à Maré, chaque jour, il se rendait à l’école de la Mission où on lui enseignait le catéchisme, la géographie, l’histoire, la lecture et l’écri-
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ture. Comme les enfants de France, il savait, dès cette époque, que son pays s’appelait autrefois la Gaule, et ses ancêtres les Gaulois, que sa patrie est arrosée par quatre grands fleuves, la Seine, la Loire, le Rhône et la Garonne, et que Notre-Seigneur Jésus-Christ, dans les temps jadis, mourut sur la croix pour racheter sa race et ses péchés. À Nouméa, Prosper portait sous son tricot un scapulaire de laine brune, il travaillait à l’imprimerie tous les jours de la semaine, le dimanche il aurait eu scrupule de ne point accourir à la cathédrale (sic) où il assistait pieusement à la messe, au fond de l’église, parmi une troupe de canaques endimanchés qui reprenaient, d’une belle voix grave, les psaumes en latin. Puis, connaissant l’ordonnance des beaux dimanches à l’européenne, Prosper ne manquait jamais, l’après-midi venu, de s’ivrogner en conscience. On le voit, il menait la vie la plus civilisée qui se pût rêver. Et je le retrouve cannibale, douze ans plus tard, à Paris ! Comme je lui exprime ma stupéfaction, il se met à rire silencieusement, d’un air roublard. Puis : – Il fallait bien, me dit-il, pour venir à Paris. – Mais pourquoi, Prosper, astu voulu venir à Paris ? Cette fois encore, une franche gaîté illumine les yeux du canaque. Il entrouvre la bouche, passe une langue gourmande
écrivains d’hier
a un qui était dans la police, un autre bedeau. Le malin Marius, planton chez un homme de loi, portait en ville les contraintes sur papier bleu... – Eh bien ! leur dis-je, c’est un joli métier que vous faites ! Vous n’avez pas honte de vous promener tout nus en France ? Vous savez bien qu’à Nouméa, vous vous seriez fait ramasser par la police, si vous étiez sortis dans cette tenue ! Et ces casse-têtes, qu’est-ce que ça veut dire ? C’est pour remplacer le parapluie ? Ah ! si le Père Mulsant (1) vous voyait, qu’est-ce qu’il vous raconterait pour porter ces fétiches et ces amulettes à la place des médailles de la Sainte Vierge ? C’est Marius qui m’a répondu, en clignant un œil et en grimaçant de plaisir : – Tout ça, me dit-il, c’est pour couillonner Français ! Grande joie sur cette parole qui, à coup sûr, traduit l’opinion générale. (Ce Marius est d’ailleurs un malin. Il m’a raconté qu’un soir il a sauté la palissade, a gagné la porte Maillot, d’où, seul, sans guide, il a pris le métro et est allé voir Notre-Dame dont les Pères lui avaient si souvent parlé. Puis il est revenu au jardin X... où il a repris son métier d’anthropophage.) Après ça, Mesdames et Messieurs, vous pouvez toujours apporter vos huit francs pour contempler de près les terribles mangeurs d’hommes et frissonner à l’évocation de leurs tragiques festins ! Le plus beau de l’affaire est
que le barnum de cette extravagante tournée s’appelle l’Administration française. Car, si les canaques ont conscience qu’ils participent à une mascarade, il ne faut pas oublier qu’elle a été organisée, officiellement, sous le haut contrôle du ministère des Colonies, dans un temps où nos Maîtres n’ont à la bouche que les mots de progrès, d’émancipation sociale et de dignité. Il est vrai que cela aussi, le plus souvent, n’est destiné, comme dit le sage Marius, qu’à « couillonner Français ». Alin LAUBREAUX. (1) Curé de Nouméa.
Ndlr : Laubreaux signait Alin jusqu’en 1931 et Alain à partir de 1932. épisodes
sur ses lèvres épaisses : – Tiens ! pardi ! pour voir les petites Parisiennes ! À ces mots, les canaques qui se sont approchés depuis un moment et qui assistent, curieux, à notre entretien, partent tous d’un éclat de rire immense. Eux aussi, ils sont venus pour voir les petites Parisiennes ! Je les regarde dans leur étonnant carnaval, puis je regarde un groupe de visiteurs qui viennent de pénétrer dans l’enceinte. Il y a des messieurs très dignes et des jeunes femmes élégantes. Ils examinent avec une curiosité mêlée de crainte ces sauvages à l’état brut. Chacun d’eux a donné huit francs pour cela. Mais, en réalité, le spectacle qu’ils cherchent ici, c’est eux qui l’apportent. Mes faux cannibales ont devant les yeux de vraies Parisiennes, lesquelles, au surplus, payent le droit de s’offrir à leurs admirateurs. Quelle astuce, messieurs canaques ! Je le remarque à haute voix. Aussitôt, ils manifestent une joie de singes qui ont réussi un bon tour. Dès lors la confiance est née, et Prosper fait les présentations. Un à un il me désigne ses camarades. Écoutez, je n’invente rien. On peut encore s’en assurer au pavillon de la NouvelleCalédonie, à l’Exposition. Ces fauves bestiaux s’appellent Élisée, Jean, Maurice, Auguste, Germain et même Marius. L’un était, à Nouméa, cocher aux magasins Ballande, l’autre employé à la Douane, celui-ci maître d’hôtel, celui-là timonier à bord d’un cargo côtier. Il y en
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En février 1916, dans une brasserie zurichoise, le poète roumain Tristan Tzara et quelques camarades lancent un mouvement qu’ils baptisent « dada » – terme subversif dans sa dérision. Dada dresse un état de « santé » affligeant (mais non pas affligé) de notre civilisation : la vieille Europe, qui vient elle-même de montrer si tragiquement l’inanité de ses valeurs, n’en a plus pour longtemps. Et ces jeunes gens en colère se proposent purement et simplement de lui donner le coup de grâce. Le mot d’ordre : « Balayer, nettoyer ». Puisque le monde est absurde, soyons nihilistes jusqu’à l’absurde. Car il n’est pas question de briser un système pour le remplacer par un autre, fûtil dada. Dada est contre tout. Dada est donc contre... dada. L’appel dadaïste à l’insurrection trouve partout un rapide écho. à Paris, par exemple, où trois jeunes poètes, André Breton, Philippe Soupault et Louis Aragon, ont fondé en mars 1919 une revue au titre faussement sage : Littérature. On y « dadaïse » à cœur joie. Éluard, lui, ne tarde pas à rejoindre le groupuscule. Tzara s’installe bientôt à Paris, où nos artistes en révolte l’accueillent à bras ouverts.
Roland Rossero écrivain, journaliste, réalisateur répond aux vingt questions majeures du
questionnaire surréaliste
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d’épisodes
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questionnaire dada
À moi, mais en mieux ou alors à Marx (Groucho).
2- Décrivez le lieu où vous êtes en train de répondre à ce questionnaire : Dans ma chambre/bureau avec vue sur les monts Koghi au loin.
10- Votre rêve ou votre cauchemar le plus fou ? Dieu existe et l’on sait qu’on va se faire chier éternellement…
3- Attrapez le livre le plus proche, allez à la page 32, écrivez les 3 premières lignes : Par temps calme, ces voiliers étaient entraînés par le courant et seules les vedettes pouvaient les tirer d’affaire. Mais le tarif des vedettes était exorbitant et les capitaines entêtés finissaient sur les récifs.
11- Aimez-vous danser ? Oui, mais pas en société et à mon « cas danse », je préfère décadence « tant danse » Gainsbourg...
4- Citez en les mélangeant vos cinq mots préférés et vos cinq mots détestés : Argent, cinématographe, bonus, billevesées, ornithorynques, question (La), prosélytisme, moucharabieh, téléréalité, salsepareille.
13- Que faites-vous lorsque vous êtes seul ? Je savoure mon bonheur de l’être.
5- Citez un juron que vous employez volontiers, plus un autre, ou rien du tout : Bordel de merde ! et j’aime bien Diantre, Ventre-saint-gris et Saperlipopette ! pour les sonorités. 6- Une rencontre capitale ? Un livre, un être de qualité ? Celle de mon père et de ma mère – La Vie mode d’emploi de Perec – Louis Lumière. 7- Quand riez-vous/pleurez-vous et pourquoi ? Les deux très difficilement, mais l’émotion au ciné m’humecte facilement les cils… 8- Croquez-vous en cinq mots : Grand, écran, bavard, moustachu, rasoir ? 9- Le cerveau d’Einstein ? L’appétit de Cavour ? à qui (d’autre) auriez-vous aimé ressembler ?
12- êtes-vous souvent ivre ? Au Diable vos verres !
14- La beauté est-elle nécessaire ? Pour l’Art, oui ! pour l’homme, que nenni, sauf à considérer celle à l’intérieur. 15- Quel est votre objet préféré ? Mon vélocipède. 16- L’amour est-il fait d’espoir ? Oui et souvent déçu… 17- Peut-on faire le sacrifice de sa liberté ? Non, mais est-on vraiment libre de le faire ou pas ? 18- Vivre ici ? Pourquoi ? Le hasard me posant ici, il y a 23 ans, est devenu une nécessité. 19- La vie ? La mort ? Vous en pensez quoi ? Pour la première, j’attends la suite, pour la seconde j’attends le futur Perec : La Mort, mode de choix . 20- Et après ? Lire la réponse 10. épisodes
1- Roland Rossero, qui êtes-vous ? Lire ce qui suit et bon courage !
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Diego Jorquera
Je suis né le 9 septembre 1954 à Barcelone. Installé en France depuis 1956, de nationalité française. J’ai fait à Lyon des études littéraires, langues vivantes et arts plastiques jusqu’au bac en 1973. Pendant mes études au lycée j’ai suivi une formation, encadré des séjours de vacances et formé des animateurs socioculturels. Après une période d’indétermination personnelle et professionnelle, de voyages en Europe et d’étude de la guitare, j’ai intégré une formation de menuisier en 1978 à Bourg-en-Bresse. J’ai exercé comme menuisier d’agencement jusqu’en 1991, année où j’ai suivi les cours d’une école de commerce spécialisée dans le bois. De 1992 à 1998 j’ai occupé des emplois variés et suivi des formations dans les domaines de la pédagogie, du tutorat et de l’insertion socio-professionnelle. Le bénévolat au sein de l’Association des Paralysés de France m’a amené à encadrer des sorties voile et fauteuil ski articulé. La réussite à un concours d’ouvrier de maintenance à l’éducation Nationale fin 1998 m’a permis d’occuper deux postes successifs dans des lycées d’enseignement général et professionnel jusqu’en septembre 2005, date de mon départ pour la Nouvelle-Calédonie. J’exerce en tant que formateur professionnel d’adultes à l’ETFPA de Nouville dans la spécialité menuiserie aluminium après deux années passées à Bourail dans la même structure. Mes premiers écrits remontent à l’âge de deux ans (on me l’a raconté) où j’ai épisodes
©Cécile PAINTOUX
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agréménté le papier peint tout neuf de la chambre de mes parents de hiéroglyphes à l’aide d’un boulet de charbon. Plus stucturé, un poème remarqué par ma professeur de français m’a valu en 6ème de passer d’une section moderne à une section classique et latinisante. Ensuite j’ai donné le jour à quantité de brouillons, poèmes et chansonnettes diverses ainsi qu’à des traits d’humeur dans des revues et journaux dont je n’ai pas cru bon de conserver la trace. Si l’on excepte ma contribution au Dauphiné Libéré comme correspondant local dans les années 90, le réel déclic a eu lieu en 2003 suite à la lecture de Châteaux de la colère d’Alessandro Barrico qui m’a transporté et déclenché en moi le flot de l’écriture. J’écris par à-coups, avec rapidité et grand plaisir, tout ce qui me passe par la tête, avec ou sans (mais de préférence avec) contrainte et sur les sujets et dans les formes les plus variées : nouvelles, poèmes, chansons, haïkus. Toujours des formes courtes si j’excepte mes écrits professionnels. J’ai présenté à Nouméa un recueil de textes lors du premier prix Michel Lagneau, je participe depuis janvier 2009 à un atelier d’écriture avec Samir Bouhadjaj qui en fut le lauréat et j’aime à me retrouver au Piano Bar avec les Amis de la Poésie pour échanger des textes et des chansons.
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Génocide
Vingt-deux jours déjà que l’homme s’était constitué prisonnier. Vingtdeux jours qu’une agitation fébrile s’était emparée du commissariat, puis de toute la ville. Maintenant elle faisait tache d’huile dans tout le département. Rarement une telle aura avait entouré une affaire criminelle : la possibilité qu’un tueur en série vienne rehausser le prestige de ce coin de province avait émoustillé jusqu’au plus blasé et au plus discret des membres de la police locale. Seulement voilà : on n’avait pas la moindre trace d’une victime ! Et cependant l’homme était formel malgré quelques incohérences : sans vouloir ou pouvoir dire combien de personnes il avait tuées, ni qui elles étaient, il avait l’air de tout sauf d’un mystificateur. Des hommes et des femmes, jeunes et vieux, de toutes catégories sociales et de toutes origines étaient selon ses propres dires passés de vie à trépas. Abattu, hébété, il était venu de lui-même s’accuser de plusieurs dizaines de meurtres. C’est le mot qu’il employait. Le bruit parvint aux oreilles du ministre de l’intérieur, et on dépêcha sur place un, puis plusieurs spécialistes de ce genre d’affaires. Le commissaire avait un bien piètre dossier à leur communiquer : aucun nom, aucune date, aucun signalement. Et chaque fois la confrontation avec un homme dont le mutisme exacerbait leur impuissance. J’arrivai un lundi matin. Personne ne m’avait officiellement convoqué. Je savais cependant que personne ne me mettrait des bâtons dans les roues. Je m’abstins tout d’abord de poser la moindre question à l’homme. Je ne le vis d’ailleurs même pas. Le dossier arrivé jusqu’à moi par des voies officieuses, bien que semblant vide à tous, m’avait permis de me faire une idée. Un petit tour dans les départements limitrophes m’avait épisodes
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conforté dans mes déductions, il me restait à confirmer certaines choses sur place. Mon affaire consista à me rendre dans les bars de la ville, où je prenais chaque fois un sirop d’orgeat. Cela me valait à chaque fois l’air goguenard du tenancier et de ses ouailles, mais aussi une paix royale. J’employai celle-ci à observer beaucoup en réfléchissant peu, donc en pensant énormément. Au terme des deux jours que je m’étais accordés, et sentant grandir l’impatience de ceux qui s’étaient arrangés pour que j’intervienne, je demandai à voir le prisonnier. On arrangea une entrevue discrète. L’homme parut agacé d’avoir à rencontrer un nouvel inconnu à qui il aurait à répéter les mêmes choses, avec en écho la même incompréhension de ses propos. Mais je ne lui demandai rien. Je m’assis après lui avoir tendu la main, et fis mine de prendre une cigarette. La réaction, attendue, fut immédiate bien que furtive et aussitôt contenue : l’homme eut un sursaut, comme de dénégation qu’il réprima malgré lui. à son grand soulagement je rempochai le paquet. « – Vous savez, dis-je, je ne suis qu’un occasionnel et je le fais en connaissance de cause. – Bien sûr, certains le disaient qui sont morts, et ma femme aussi ! – Nous causons tous du tort autour de nous sans penser à mal et d’autres nous en causent aussi. – Oui, cela aussi je me le suis dit tellement de fois pour pouvoir tenir, mais s’il suffisait de se dire les choses… » Sur mes indications l’homme fut relâché le soir même. Relâché mais pas libéré. Le service de santé auquel il fut confié était plus à même de lui venir en aide que les policiers éberlués auxquels je révélai le fin mot de l’histoire.
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L’homme était originaire d’un petit village distant de plusieurs centaines de kilomètres. Il avait pendant plus de deux semaines parcouru à pied cette distance, dans un état semi-hypnotique. Il n’avait emporté ni papiers ni argent, se nourrissant en chemin du peu qu’il pouvait trouver et évitant tout contact avec les populations. L’espoir de mettre fin à ses tourments intérieurs plus que la fatigue ou la faim l’avait conduit à pousser la porte du poste de police. Un an auparavant, sa femme ... Un an était morte du poison qu’il lui avait pendant lequel administré. Un an pendant lequel son remords, sa culpabilité et son son remords, impuissance avaient grandi, gonsa culpabilité et flés jusqu’à l’insoutenable. Un an pendant lequel il avait continué à son impuissance empoisonner plus de la moitié de son village, au vu et au su de tout avaient grandi... le monde. Et avec le consentement des autorités. Celles-là d’ailleurs qui avaient fait déborder le vase. Car c’est bien la mention rendue obligatoire et réitérée de son crime, de leur crime, du crime quotidien qui les faisait tous vivre, cette mention hypocrite et légale sur les emballages du poison qu’ils distillaient qui lui avait fait perdre pied. Il s’appelait Léon Martin, sa femme était morte un an plus tôt d’un cancer du poumon. Il tenait un bureau de tabac dans son village.
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Grenoble, 2003, aux fumeurs actifs, passifs et à la S.E.I.T.A.
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Amour transi
Son repas terminé, elle resta à table. Elle ne restait jamais à table après le repas. Elle aima, après avoir débarrassé, prendre un café sur le stratifié lisse, en regardant l’aiguille des secondes bégayer en remontant, s’affoler en redescendant. La rocade proche livrait un rugissement lourd, saccadé. Les oiseaux s’étaient tus dans les arbres. Quelques masses falotes s’agitaient, besogneuses, derrière les carreaux entrouverts des immeubles proches : ses égales en destinée ; jusqu’à aujourd’hui, plus pour longtemps. Allait-elle les regretter ? Le carillon de la porte retentit. Déjà, sursauta-elle. ça signifiait aussi enfin. Avant d’aller ouvrir elle prit le temps, une dernière fois, d’entrouvrir la porte du cellier, puis l’autre, qui lui résista un peu : il souriait, tranquille. Des onze années partagées… non, des onze années passées ensemble, ne subsistaient pour elle que quelques morceaux de bonheur figé, comme des yeux dans le bouillon froid d’une vie. Un voile d’oubli recouvrait le reste, et cette occultation dérisoire faisait monter en elle des bouffées de soulagement maintenant. Aucun regret, pas de ressentiment non plus. Rien que la tranquille assurance qu’elle respirait avec ses poumons à elle, qu’elle allait souffrir ses propres tourments, jusqu’à sa propre fin, quelle qu’elle fût. Elle s’arrêta un dernier instant sur ce sourire qui l’avait, sans le savoir, torturée tant de fois. Le carillon s’impatientait. Qu’ils attendent. C’était tout de même elle qui les avait prévenus, qui leur avait expliqué que tout était fini. Des silhouettes sombres s’étaient discrètement déployées sur les pelouses. Pas d’inquiétude, elle ne s’envolerait pas, même si elle y avait parfois songé. Un envol serait trop bref, arrêté par épisodes
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un choc sourd qui lui imposerait à nouveau la loi de la gravité dont elle venait de se débarrasser. Elle voulait profiter du plus petit moment qu’elle aurait à vivre libre enfin entre quatre murs ; profiter d’une attente qui serait sienne, uniquement sienne. Tant pis si l’image d’un long couloir se jetant au petit matin dans une courette humide et froide devait hanter chaque jour de cette attente. Elle se tourna à nouveau vers ce visage, ces yeux, ces yeux fermés enfin, résignés, après un déloyal combat des mains et des pieds contre une surface en plastique trop lisse, trop froide, qui n’avait pas voulu céder. Le carillon, frénétique à nouveau. Elle referma tranquillement la porte du congélateur, celle du cellier, et se dirigea, sereine, vers la porte d’entrée. Échirolles, septembre 2004, à ma mère et à Christiane Rochefort
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à savoir
Distinction
Lire & relire Histoire • L’aventure sucrière en Nouvelle-Calédonie 1865-1900 de Jerry Delathière - Bulletin n° 64 SEH-NC • Les 12 premiers bulletins de la SEH-NC (1969-1971) réédités en un seul volume - Bulletin n° 65 SEH-NC
C’est le 6 novembre 2009 que monsieur Yves Dassonville, Haut-Commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, a remis l’insigne de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres à madame Déwé Gorodey et monsieur Nicolas Kurtovitch.
Vive le melting pot créatif !
• Les oubliés de Gomen de Benoît Delvinquier et Fabienne Fisher - Bulletin n° 66 de la SEH-NC • Six frères dans la Grande Guerre 1915-1918 de Félix Vautrin Cercle du Musée de la Ville de Nouméa • Le Bagne en NC… l’enfer au Paradis 1872-1880 à l’initiative de Alain Brianchon - Footprint Pacifique
BD • Le dernier tour de la BD de Niko et Solo, Frimeurs des îles tome 8 - Les Nouvelles Calédoniennes
Jeunesse • L’Origine des lignes de la main de Yannick Prigent Illustrations Laurence Lagabrielle Collection Contes d’ici • Basile et le mystère des nautiles de Loïc Bordes éd. Lilia calédonie
Les liens favoris d’épisodes www.ecrivains-nc.net www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile mathieuvenon.blogspirit.com www.christinefabre.net www.auventdesiles.pf www.ventsdailleurs.com www.pacific-bookin.com www.art-mariem.com
• Préambule illustré de l’Accord de Nouméa Illustré par Graphinord
Musique • Rock nc de Laurent Navarro Tabú éditions
ART • Cent objets de navigation de Mélanésie de Didier Zanette DZ éditions • Le Destin commun Les artistes témoignent de leur époque (catalogue) Réservoart
nouvelles • La Chasse & autres nouvelles de Claudine Jacques Collection Littératures du Pacifique - éditions Au vent des îles
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Reprise du Café Artistique le mercredi 30 mars 2010 de 18h00 à 21h00 au bar du Surf Hôtel. www.christinefabre.net www.myspace.com/idiles
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Delathière
Négropo rive gauche Roman Ce roman historique rigoureusement authentique, est une fresque des débuts de la colonisation libre en Nouvelle-Calédonie : une addition de tragédies et de désillusions. étienne, le jeune colon, Siwé, la kanak, le grand chef Natéré, les familles des colons du café de Négropo, les libérés et les engagés, c’est toute la brousse calédonienne de l’époque qui revit dans ce passionnant roman d’aventure.
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Extrait
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éditions L’Harmattan Ce texte est libre de droits, il peut être photocopié et exploité par les enseignants dans le cadre de leur travail.
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nouveautés
Les contours des collines alentour se faisaient de plus en plus nets. Le jour allait bientôt poindre. Il fallait y aller. Dressé sur ses étriers, le commandant Rivière jeta un dernier regard au creux de la vallée. Tout semblait calme. En contrebas, les toits pointus des cases se distinguaient vaguement au-dessus des arbres. Se tournant vers l’un des officiers qui l’accompagnaient, il souffla : – Sergent ! – Mon commandant ? Toujours à voix basse, Rivière interrogea : – Le dispositif est-il prêt ? – Tous nos hommes sont en place, commandant ! La vallée est totalement encerclée ! Les rebelles sont comme dans une nasse ! – Et Nondo ? – Il est là, commandant… Juste derrière nous, avec ses gars. Il attend notre signal. – Alors allons-y ! Brûlez-moi tout ça ! Et capturez-moi un maximum de ces lascars ! Quant à ceux qui sont armés ou qui résistent, pas de quartier ! Le sergent sortit de sa poche un sifflet de métal, le porta à ses lèvres. Un son aigu déchira l’aurore, auquel de grands cris firent aussitôt écho. De chacune des collines entourant la cuvette, des groupes de cavaliers s’élancèrent vers la tribu endormie. Par l’inclinaison du terrain, les chevaux pliaient les pattes inférieures, glissaient sur l’herbe humide. Au signal, les hommes de Nondo se lancèrent dans une course effrénée vers la vallée, doublant même les militaires. La quasi-certitude de faire des prisonniers semblait avoir décuplé leur ardeur au combat. Rivière l’avait promis, hier, au poste militaire : les femmes et les filles des insurgés seraient pour eux ! Bientôt, les premières flammes crépitèrent, les cases se mirent à brûler en dégageant une épaisse fumée noire. Les cocotiers se tordaient, leurs palmes se recroquevillaient en quelques secondes. Les bambous incendiés éclataient en
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. Siwé, fais vite (dépêche-toi ! ) : langage ciRi, région de La Foa. . Fais vite (dépêche-toi !), marche avec moi ! (langage ciRi). 3 . Cours ! Cours, ma fille ! Sauve-toi vite ! (langage ciRi). 1 2
coups sourds, faisant écho aux détonations des armes. La vieille sursauta. Les soldats ! Vite, il fallait se sauver. Elle secoua prestement la fille endormie à ses côtés. – Siwé ! Fi ûdö !1 L’adolescente ouvrit péniblement une paupière. La vieille la tira par la main, l’entraînant vers l’extérieur de la case. – Fi ûdö ! Kê fado pwéré rö ! 2 Elles s’élancèrent dans la pénombre, vers le sentier qui menait aux falaises. Cette idée d’aller se cacher dans les anfractuosités rocheuses en cas d’alerte, la vieille y avait pensé dès le début des hostilités. Là-bas, personne ne viendrait les chercher ! Elles étaient maintenant bien engagées dans la sente herbeuse, courant à en perdre le souffle. La vieille devant, Siwé sur ses talons. Ce dernier bosquet là, à quelques dizaines de mètres… Il fallait coûte que coûte l’atteindre, le contourner. Elles seraient alors hors de vue des assaillants et n’auraient plus qu’à suivre le sentier. Un sifflement se fit entendre. – Aah ! Siwé ! La vieille s’écroula, une tâche de sang apparut dans ses cheveux grisonnants. Un caillou de fronde l’avait atteinte en pleine tête. Siwé se pencha aussitôt sur elle. La vieille lui attrapa la main, la serra fortement, souffla : – Karè ! Karè neye rö ! Fi ûdö örö ! 3 Les yeux mouillés de larmes, la jeune fille se redressa et s’élança. À peine avait-elle fait une dizaine de mètres qu’elle se sentit brusquement happée en arrière. Une main vigoureuse avait empoigné sa chevelure, la jetant à terre avec force. Elle cria, voulut se relever, mais un pied énorme et sale lui écrasait la poitrine, la maintenant au sol. Une voix grave se fit entendre : – Holà, Nondo ! Montre-moi un peu ta nouvelle prise ! Le sergent s’approcha. – Jolie panthère que tu nous ramènes là, vieux brigand ! Allons, voyons un peu cela de plus près.
Jerry Delathière
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Vallée de Fonwhary (La Foa) ; Juillet 1878.
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Jacques Valette Chroniques du spectacle vivant en Nouvelle-Calédonie Dans son excellent livre Chroniques du spectacle vivant en Nouvelle-Calédonie, Jacques Valette évoque, entre musique, cafés-concerts, cirques et autres spectacles, l’importance du théâtre dans la vie culturelle locale entre 1871 et 1900. « De tout temps, les hommes ont développé des représentations théâtrales. à Nouméa, l’un des premiers indices est une feuille imprimée en novembre 1858 portant le titre L’entracte Journal de Théâtre. »
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D’après Georges Coquilhat (La presse en Nouvelle-Calédonie au XIXe siècle, SEH n°38, Nouméa 1987), c’est la première page d’une brochure « contenant essentiellement le programme de représentations données par le théâtre de Port-de-France, sans doute accompagnée d’un compte-rendu des cérémonies de départ du gouverneur ». Vers 1860, une troupe joue déjà des pièces d’Eugène Labiche. Il faudra attendre 1874 pour qu’une troupe se constitue et joue dans un lieu dédié aux arts de la scène durant quelques mois. Une deuxième tentative voit le jour en août 1878 pendant la révolte canaque. Sur les lieux de déportation, Ducos et l’île des Pins, les communards construisent des théâtres de plein air avec scène, décor, costumes et acteurs. Par la suite plusieurs troupes se constituent, dont un théâtre militaire que l’on retrouve épisodiquement dans la presse [...].
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Le théâtre Villeval
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Sous la direction de messieurs Villeval, administrateur, Gauthier, régisseur général, et Okolowicz, directeur du service intérieur, auxquels il faut ajouter chef d’orchestre, metteur en scène, acteurs, s’ouvre enfin à Nouméa en mai 1874 le
théâtre Villeval avec un lieu dédié et une troupe parfaitement structurée. Ces personnes sont toutes issues de la déportation et ont obtenu l’autorisation de travailler à Nouméa. […] Il périclite et disparaît en 1875.
Le théâtre de la déportation à Ducos Louise Michel, condamnée à la déportation en enceinte fortifiée nous a laissé dans ses Mémoires quelques lignes sur le théâtre de Ducos : « un véritable théâtre avec ses directeurs, ses acteurs, ses machinistes, ses décors, son comité de direction. On y jouait tout, drames, vaudevilles, opérettes. […] » Le théâtre de Ducos est détruit par un cyclone.
Un vrai théâtre à Nouméa Il faudra attendre 1909 pour que Nouméa possède un vrai théâtre, Le Grand-Théâtre de M. Ménard. Nous avons ici tenté de condenser les pages consacrées au théâtre dans Chroniques du spectacle vivant en NouvelleCalédonie mais l’intérêt de cet ouvrage réside aussi dans les nombreuses anecdotes qui rendent le livre vivant et drôle. Merci à Jacques Valette pour ce bon moment de culture et d’histoire.
nouveautés
Météorologiste de métier, Jacques Valette est muté en Nouvelle-Calédonie en 1980, concrétisant ainsi un rêve d’adolescent : vivre à Nouméa. Il y reste presque huit ans avec sa famille. Il se passionne rapidement pour l’histoire du Caillou, en particulier celle du grand Sud de l’île ainsi que pour l’histoire et les anecdotes du bagne. Photographe à ses heures perdues, ses recherches ont débouché à Nouméa (à la FOL en avril 1984) sur un spectacle : La Calédonie tu connais réunissant une quarantaine de comédiens de toutes ethnies et un millier de diapositives nécessitant 12 projecteurs, retraçant l’histoire de la Nouvelle-Calédonie en 10 tableaux. Ce diaporama (sans les comédiens) fut projeté à Tahiti lors du Festival des Arts du Pacifique (en juillet 1985) et dans le cadre du Festival international de Montpellier Danse (en juillet 1989). De retour en métropole, il continue ses recherches historiques dans les bibliothèques et les centres d’archives, accumulant de nombreux documents (actuellement près de 2000 photographies anciennes, plus de 5000 clichés d’articles de presse de 1882 à 1905 et une foule de notes, fiches plus ou moins bien classées !) qui, tardivement, donneront lieu à trois livres, publiés à ce jour.
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Aujourd’hui il travaille sur la vie de la famille d’Allan Hughan, photographe du 19ème siècle bien connu en Nouvelle-Calédonie, et sur un futur album de photographies anciennes sur la période 1890 à 1920 environ.
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Humboldt Dès l’abord, c’est l’aride. Avide, l’œil de l’homme A écorché cette terre. Puis tu t’élèves, Elle sait alors que tu viens en ami. Parée de vert sombre, Elle t’honore. Déjà tes rêves voient s’écailler le sang et la glace. Plus haut, Solitaires, des arbres surgissent, Flots de vapeurs mauves, Ils jaillissent des nuées noires. La montagne t’accompagne, Fière de ta propre ascension. Ne le vois-tu point ? elle tient à témoigner.
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Enfin, Tu pénètres la forêt mère. Tu as perdu le ciel, Mais le duvet des mousses, Caresse pour l’œil et l’esprit, Te plante au coeur l’illusion De l’impossible retour Au séjour utérin.
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de Michel Chevrier
Bien sûr, de bas portiques t’obligent à l’humilité Nécessaire. C’est avec un œil neuf et pur, Qu’il te faudra avancer À la rencontre de l’esprit du sommet. Vers les dernières pentes, Il t’attend ! Couleurs Formes Composition. Une telle perfection D’un naturel élaboré, Tu le sens, Est le fruit d’une méditation millénaire. Et tu songes Aux lointains jardins zen de Kyoto. Ainsi parvenu Seulement voir La Grande-Terre Immense vaisseau vert, Lancé par le travers du Pacifique.
poésie
Kanaky-Calédonie de Frédéric Ohlen
Hymne Où les vieux jadis abordèrent Avec les premières ignames Et leur coutume pour loi J’ai allumé un feu de joie Plonge tes yeux dans les flammes Plonge les yeux, souviens-toi !
REFRAIN Tournent les vents de l’Histoire Passent les cyclones Pas de plus grande victoire Que ce chant qui résonne Nous voici à nouveau ensemble Sur le sentier des hommes Cette île notre chair Ils ne l’ont pas comprise Au cœur du séjour paisible Il bat là dans nos veines Le pays invisible Ils ont traversé les mers Santaliers, marins, missionnaires Prisonniers qui payaient les fautes de leur jeunesse Des hommes chassés par la misère Qui cherchaient leur Terre promise
Une veste pour Ataï et sa tête au musée La prison pour nos chefs et la messe en latin Vouée à l’exil pour longtemps la si longue île Et ses clairs matins Mais il reviendra le Temps des Cerises Pour nos vieux qui rêvaient d’avenir Pour l’enfant enfermé dans les villes Pour les vies sauvées de l’Abîme Toutes ces mains tendues toutes ces mains saisies Pour les chances perdues et l’aurore indécise Puis ce furent les Accords Nos corps droits sur la terre Et nos cœurs liés par une promesse Après le temps des guerres Vint celui de l’Esprit Le monde change et la mémoire s’aiguise « Donner et pardonner », proclamait la sagesse Pour que nos voix redisent Les chemins de l’échange La parole conservée puis transmise Fini le temps du mépris Chaque jour la pousse de l’igname S’enroule et nous relie Nous voici à nouveau ensemble Sur le sentier des hommes
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Ils apportaient le café, le coton, l’Évangile Pour nous champs piétinés, tarodières désertes Nous avions fait le pas, ils avaient fait le geste Et puis qu’est-il resté dans nos mains offertes Les tribus refoulées vers les cimes
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Un néocallitropsis préhistorique à la Plaine des Lacs Bernard Suprin
Dans le fond de certains lacs de la plaine du même nom gisent, aux trois quarts enfouis dans leur sarcophage de vase, des arbres morts, voici bien longtemps. C’est en nageant avec le masque que notre attention est attirée par une branche sortant de la boue. Cette forme en zigzag, c’est une signature !... mais curieusement, il ne pousse pas de néocallitropsis à proximité !
Nous tentons d’extirper la branche de la vase où elle est profondément ancrée. Elle bouge à peine. Cela génère un nuage sombre, et la turbidité nous interdit provisoirement d’insister. Les jours suivants, idem. La branche qui dépasse semble la petite partie visible d’un arbre profondément envasé. Quelques semaines plus tard, nous revenons avec du matériel de traction. Enfin, nos efforts sont récompensés : l’arbre sort lentement de sa gangue de vase. C’est bien du néocallitropsis, et il semble en bon état. à son sujet, le regretté René Sintès écrivait : « quel arbre extraordinaire ! trente ans après sa mort, une branche sciée sur son squelette laisse apparaître une sec-
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tion aussi fraîche et odorante que s’il vivait encore ! » L’arbre exhumé mesure 4 mètres et une trentaine de centimètres de diamètre à la base. Ses branches maîtresses en zig-zag, sont intactes. Quel âge peut-il avoir ? Depuis combien de temps est-il enfoui ?
En 12 000 ans, il n’a pas pris une ride Sa présence prouve en tout cas qu’autrefois il poussait là. à l’aide d’une scie à bûches, nous entaillons le tronc pour en prélever une rondelle destinée à notre ami Alistair Watt qui la remettra à Stéphane Mc Coy pour la faire dater au carbone 14 par le docteur Geoff Hope, de l’Australian National University à Canberra. Lors du sciage, le bois dégage
une sciure fraîche à l’odeur camphrée caractéristique. L’huile essentielle qui s’échappe s’écoule et se répand à la surface de l’eau en irisations bleutées. Le bois apparaît frais et sain. Nous supposons qu’à la suite d’un feu de brousse ancien… peut-être à la fin du siècle dernier ? l’arbre a dû tomber dans le lac et s’envaser progressivement. Mais cette explication ne tient guère : pourquoi ne retrouve-t-on aucun squelette de ses congénères dans les environs ? S’il avait succombé par le feu, l’arbre montrerait des traces noires de carbonisation. Or il n’en est rien. Contrarié par cette énigme policière peu banale, les semaines, et les mois passent. Un beau jour, un fax tombe, venant de l’Université australienne Research
nature
School of Pacific & Asian studies, Division of Archeology & Natural History. C’est le rapport scientifique détaillé de la datation de l’échantillon au carbone 14.
Aussi vieux que Lascaux Il indique que l’arbre n’est pas mort au siècle dernier comme nous avions estimé, mais (très) longtemps avant l’arrivée des Européens… et même peutêtre des Mélanésiens puisqu’il séjourne dans la vase depuis…
où des grottes se creusent de plus en plus jusqu’à s’effondrer pour donner naissance à des dolines et même des lacs. La présence d’un réseau important de failles qui s’entrecroisent à la Plaine des Lacs a donné naissance à une multitude d’excavations naturelles, de pertes, de résurgences, etc. à savoir un relief karstique tout-à-fait comparable à celui que l’on connaît en milieu calcaire. Sur la carte, certains alignements de dolines
giner qu’il y a 12 000 ans – c’està-dire à la lointaine époque de la Guerre du Feu où les premiers Européens vêtus de peaux de bêtes vivaient dans des grottes – quelques neocallitropsis ont eu tort de pousser à l’endroit où la terre, d’un seul coup, s’est dérobée sous eux. Ils se sont retrouvés enterrés vivants quelques mètres plus bas, au fond d’un trou qui s’est rempli d’eau rapidement. Dès lors, la vase, un milieu privé d’oxygène, s’est chargée de les maintenir jusqu’à notre époque dans un état de conservation remarquable… à l’instar de l’homme de Tollund retrouvé dans une tourbière du Danemark, qui vivait lui aussi à la Préhistoire. Exécuté par pendaison, on l’a retrouvé absolument intact, avec ses vêtements de cuir et même l’expression de souffrance de supplicié sur son visage !
12 030 ans ! (plus ou moins 90 ans). Comment cet arbre s’estil retrouvé au fond de ce trou ? Voilà la question qui nous taraude. En fait, la réponse réside dans l’histoire géologique de la région. L’eau de ruissellement se charge d’acides organiques d’origine végétale, et dissout le magnésium contenu dans les péridotites (serpentinisées ou non). Ces eaux empruntent les failles, passages naturels obligés. Dans les zones où les péridotites sont très fracturées, on constate le long de celles-ci une percolation rapide et importante, ainsi qu’aux intersections de failles,
correspondent à des failles, donc à des cours d’eau souterrains où la terre a été en partie dissoute. Ce travail de sape n’est pas figé mais se poursuit toujours. Ces effondrements, de taille variable, se produisent aléatoirement, y compris parfois au milieu des pistes ou des layons de prospection. En marchant, la terre qui sonne le creux par endroits trahit l’existence de cavités souterraines. Parfois même, on entend nettement à travers la cuirasse le ruissellement de cours d’eau souterrains au débit important. Dès lors, il devient facile d’ima-
Selon une étude complémentaire du Dr Hope, l’arbre aurait vécu 250 ans. On observe qu’à un âge comparable, les néocallitropsis contemporains ont, en moyenne, un diamètre trois fois plus petit. Cette constatation révèle qu’à l’époque bénie où les rares feux de brousse n’étaient dus qu’aux hasards de la foudre, le sol était d’une fertilité incomparablement plus grande qu’à l’heure actuelle. La litière riche, épaisse, entretenait une vie intense dans le sol, dont les arbres étaient les heureux bénéficiaires. Qu’en est-il aujourd’hui, qu’en d sera-t-il demain ?
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Les riches heures d’un passé révolu
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Nouméa et le théâtre une histoire ancienne qui s’intensifie cependant depuis quinze ans La Ville de Nouméa, depuis la création de son service de la Culture et des Fêtes en 1994, se positionne résolument comme un partenaire de premier ordre dans le développement du théâtre en Nouvelle-Calédonie.
Qu’il s’agisse de la création de lieux de diffusion, comme le théâtre de Poche et le théâtre de l’île ; de l’accompagnement des pratiques artistiques ama-
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teurs, au Centre d’art ; de l’aide à la création et à la diffusion, via le subventionnement ; ou tout simplement, d’épauler par tous les moyens disponibles, les artistes via l’ensemble du
réseau culturel municipal, la Ville de Nouméa est au rendez-vous depuis plus de 15 ans.
Le théâtre de Poche, à proximité des comédiens et des publics Le théâtre de Poche créé en 1996, constitue sans nul doute le premier jalon du dispositif municipal en faveur du théâtre. Installé entre les murs du chemin de ronde des anciennes prisons civiles de Nouméa, avec sa scène intimiste de 5 mètres par 5 et sa jauge de 100 places, il est l’outil de proximité par excellence. Il accueille, à ses débuts, les ateliers cirque et théâtre, avant qu’une équipe du service de la Culture et des Fêtes de la ville s’y développe progressivement pour gérer la coordination, la programmation, les régies techniques et la communication
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Le théâtre de l’île : la part belle au théâtre professionnel Installé dans ce qui aurait dû être la cathédrale du bagne à Nouville, le théâtre de l’île ouvre ses portes en 2 000 avec une salle de spectacle moderne et bien équipée. L’ambition est alors d’en faire une scène de
diffusion digne des « scènes nationales » métropolitaines, avec l’aide de l’État, du gouvernement et de la province Sud. Son objectif premier est de proposer aux publics calédoniens une saison théâtrale de haut niveau, où se côtoient comédiens métropolitains et artistes de la scène professionnelle émergente calédonienne. Le théâtre de l’île participe également, par ses missions, au rayonnement des créations locales en Nouvelle-Calédonie, mais aussi dans le Pacifique et en métropole. Il assume une mission de formation des artistes et des techniciens du territoire, ainsi qu’un programme d’éducation artistique au théâtre en partenariat avec les services de l’Éducation et les établissements scolaires.
Le Rex et le Chapitô : des outils complémentaires et polyvalents de décentralisation de l’offre culturelle Plus récemment, afin notamment d’amplifier sa politique de démocratisation culturelle et de décentralisation de l’offre culturelle, comprenant l’offre théâtrale, la Ville de Nouméa s’est associée en 2008 au projet itinérant Le Chapitô et a rouvert par ailleurs, en 2009, l’ancien cinéma Rex en centreville, en tant qu’espace socioculturel pour la jeunesse. Ces deux dispositifs offrent l’opportunité, en dehors des « théâtres », à la fois de permettre des actions culturelles de type ateliers ou créations
avec les publics amateurs spécifiques (de quartier ou jeunes déscolarisés), mais également de diffuser, dans de bonnes conditions, du théâtre local ou extérieur auprès d’un public dit « défavorisé », qui fréquente à priori très peu les structures culturelles institutionnelles.
Aide à la création et soutien aux comédiens Enfin, au travers des structures culturelles évoquées ci-dessus, mais également via une aide financière ou logistique directe aux compagnies de théâtre amateurs ou professionnelles, et plus encore par l’écoute offerte aux artistes du théâtre sur le fond de leurs projets, la Ville de Nouméa est aujourd’hui clairement le partenaire institutionnel de proximité des « gens du théâtre ». Cyril Pigeau
Chef du service de la Culture et des Fêtes Ville de Nouméa
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du lieu. Sept personnels municipaux y travaillent à plein temps en 2009. Rapidement, le théâtre de Poche s’est imposé comme la scène du « petit théâtre local », prisée aussi bien par les amateurs qui s’y produisent sans prétention, que par les professionnels qui plébiscitent un rapport scène-salle très intimiste, plus propice à dire du texte et à l’entendre, qu’à des mises en scène grandioses. Le Poche est doublé depuis quelques années d’une scène extérieure, plus informelle et ouverte gratuitement dans les jardins du Centre d’art au moment des « Arts’péritifs », une fois par semaine, permettant (entre autres propositions) la rencontre entre le public et les comédiens sur des extraits ou travaux en cours. Le Centre d’art est par ailleurs le lieu de résidence de multiples compagnies de théâtre professionnelles : la Cie les Incompressibles, Le Petit Théâtre (rebaptisé récemment La Compagnie de l’archipel), Les Enfants migrateurs et la Cie Les Quidams, y disposent d’un bureau, de salles de cours et de répétition et diffusent aussi au théâtre de Poche leurs créations.
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Le théâtre de l’île (Source : théâtre de l’île)
Cet édifice devait devenir la cathédrale du bagne, de style gothique. La première pierre de ce bâtiment a été posée le 25 février 1875 par le gouverneur Alleyron et elle a été bénie par Monseigneur Vitté, qui était évêque d’Anastasiopolis. Les travaux qui sont plusieurs fois arrêtés, notamment à cause d’un cyclone en 1880, vont durer jusqu’en 1886. à cette date, le bâtiment n’est pas achevé et il est détourné de sa destination d’église. L’administration pénitentiaire propose de le transformer et de l’aménager en atelier de couture et de cordonnerie. Finalement, il sera utilisé comme magasin de vivres puis comme entrepôt. Après le départ de l’administration pénitentiaire, le bâtiment est employé comme lieu d’élevage des vers à soie de 1920 à 1926, puis comme salle de bal dans les années 1930. Suite au cyclone de 1933 qui endommage sérieusement la toiture, le bâtiment est laissé à l’abandon jusqu’en décembre 1941, date à laquelle il accueille les nombreux Japonais vivant dans la colonie, qui sont hébergés dans ce « centre de regroupement », soignés et nourris par l’Asile de l’hôpital du Marais en attendant d’être embarqués et transférés en Australie. Rénové une première fois dans les années 1970 (la façade écroulée est reconstruite en ciment), l’édifice devient une salle de cinéma et de spectacle très populaire auprès des Calédoniens. C’est à partir de là que le nom de théâtre de l’île apparaît dans la littérature. Des troupes calédoniennes et métropolitaines vont se produire dans ce théâtre dépourvu de toiture. La salle abritera également des tournois de épisodes
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boxe à la fin des années 1970 et il était même question de la transformer en « annexe » du Dépôt des Archives de Nouvelle-Calédonie. Le 6 mars 1972, l’île Nou est reliée par une digue. Enfin, conformément à une convention passée avec la province Sud, la ville de Nouméa commence, en 1994, les premiers travaux de rénovation du bâtiment : restauration du toit, des ogives extérieures et intérieures et mise hors d’eau du bâtiment. En 1998, ce lieu, patrimoine de la province Sud, est cédé à la Ville de Nouméa qui poursuit les travaux de réhabilitation pour permettre en l’an 2 000 l’ouverture d’une salle de spectacle moderne et équipée, le théâtre de l’île. C’est en effet le jeudi 28 septembre 2 000 que le maire de la ville de Nouméa, Jean Lèques, et le Président de la province Sud, Jacques Lafleur, inaugurent le théâtre de l’île. Depuis, chaque saison, le théâtre de l’île accueille des spectacles venant d’Europe, mais aussi, bien sûr, des créations de Nouvelle-Calédonie. Le théâtre de l’île étant une scène conventionnée et un lieu de productions et de créations, ses missions sont importantes. Il participe notamment au rayonnement des créations locales en Nouvelle-Calédonie mais aussi dans le Pacifique et en métropole. Il a également une mission de formation des artistes et des techniciens du Territoire.
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Le Centre d’art (Source : Ville de Nouméa)
et théâtre de Nouméa, préfiguration du Centre d’art de la Ville de Nouméa.
Naissance du projet Centre d’art En 1996, les Ateliers cirque et théâtre de Nouméa quittent la cave de l’ancienne mairie qui devient musée de la Ville. S’y installent alors Jean-François Gascard, Isabelle De Hass, l’administration de l’association avec Stéphane Legrand puis la Cie TNC Les comédiens, François Uzan, décorateur… Ils y aménagent un lieu de spectacle très spartiate.
1997- 1998 : naissance du projet « Poche » Mikael Dorante, volontaire à l’aide technique puis prestataire de service, initie l’idée du théâtre de Poche mise astucieusement en œuvre par le technicien du service Culture et Fêtes Rolland Quesnel. Les Ateliers cirque et théâtre de Nouméa y gèrent des ateliers artistiques (inscriptions, rémunérations, gestion du lieu, des équipements, des salles, etc.). Mi-1998, le Poche ouvre ses portes. Une programmation est établie par Michaël Dorante accompagné par un volontaire à l’aide technique et un stagiaire. La technique repose sur Rolland Quesnel. Secrétariat et gestion sont
assurés par l’équipe administrative du SCF. La programmation, moins dense qu’aujourd’hui propose des créations locales et des diffusions internationales, notamment de la région. En 1999, Sébastien Holdrinet est recruté sur un plan RET pour assister Michael Dorante jusqu’à son départ la même année, puis prend en charge le suivi administratif et comptable du théâtre de Poche jusqu’à la fin de l’année.
2000 : naissance du Centre d’Art actuel Sébastien Holdrinet établit (avec le statut de prestataire) la programmation pour l’année et poursuit la gestion du théâtre de Poche (administration, gestion, communication). Il emménage, au premier semestre, dans une cellule du Centre d’Art, alors mise à disposition de « l’équipe ». Elle est alors composée d’un technicien (prestataire de service), du programmateur, puis d’une secrétaire. La programmation du théâtre de Poche s’étoffe alors au gré des demandes et des disponibilités. En fonction du budget elle se limite aux artistes locaux. Le Centre d’Art abrite toujours les Ateliers cirque et le théâtre de Nouméa, le théâtre de l’île en préfiguration, les ateliers audioépisodes
Le Centre d’art est installé dans les anciennes Prisons Civiles de Nouméa datant de 1881. Les bâtiments initiaux formaient un rectangle de 60 mètres sur 40, ceint d’un chemin de ronde clos par le mur d’enceinte. Ce dernier fut couvert (et abrite actuellement le théâtre de Poche et les salles d’activités). Sept cellules pour 65 détenus étaient prévues, dans lesquelles sont réparties aujourd’hui, bureaux de l’administration, locaux techniques et salles d’activités. Les murs de maçonnerie couverts de chaux sont extrêmement épais, les cellules ne communiquent pas entre elles, les ouvertures sont petites et barreaudées, les portes sont massives. Une atmosphère fraîche et humide subsiste l’hiver tandis que la température intérieure en été est lourde. La couverture est actuellement en tôle, en tuile à l’origine. En 1939, la prison civile est transférée au « Camp Est » de l’île Nou. Les bâtiments désaffectés sont alors occupés par la pharmacie d’approvisionnement du Service de santé, jusqu’en 1992. En 1995, le bâtiment accueille provisoirement l’école territoriale de musique, puis en 1996, la Ville demande à y installer les activités théâtre de l’association Ateliers cirque
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visuels du lycée La Pérouse, deux compagnies de théâtre : les Incompressibles et Aléthéïa Théâtre, le plasticien François Uzan. Les ateliers de pratiques artistiques sont gérés par la Ville, les intervenants sont rémunérés et les ateliers sont accessibles à des tarifs « préférentiels » pour les enfants et adultes. L’idée du Centre d’Art est née. Fin 2000, Ericka Michel, alors adjointe au chef du SCF avance l’idée d’un centre d’art contemporain, elle est missionnée à partir de 2001 vers des structures métropolitaines. Faute d’espaces suffisants pour faire cohabiter les expressions artistiques diverses, le projet est mis de côté. En 2001-2002, externalisation des ateliers de pratiques artistiques amateurs. Mikaele Manukula arrive en renfort et prend la responsabilité du Centre d’Art y compris du théâtre de Poche. Sébastien reste chargé de la programmation artistique du Poche qui s’étoffe d’expositionsconférences et d’animations ponctuelles et exceptionnelles dans les jardins. Le Centre d’Art, de par son budget limité et l’augmentation de ses dépenses, propose une autogestion des ateliers de pratiques artistiques. Les locaux sont prêtés aux artistes qui mènent leurs ateliers de façon autonome et se rémunèrent sur les cotisations de leurs élèves. Arrivée des an-
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ciens professeurs de l’école d’Art (association Art & Action) qui proposent une dizaine d’ateliers similaires à ceux proposés dans leur ancienne structure. Puis mise à disposition d’un second espace pour cette association (début 2002) qui propose une quinzaine d’ateliers autour des arts visuels. Le Centre d’Art devient alors le lieu des arts plastiques et du théâtre (formation et diffusion), mais aussi de la musique, puisque la programmation du Poche accueille toute forme de musique sur scène. Pendant la formation en 2002 de Sébastien Holdrinet en métropole, le suivi de la programmation est confié à Maroussia Bianchéry qui en 2003 ouvre la salle d’exposition et met en place avec succès les « Thés art » dans les jardins du Centre d’Art le dimanche. La formule se déroule pendant les vacances d’été et n’est pas reprise au retour de Sébastien Holdrinet faute de crédits suffisants. Ouverture de la salle avec quatre expositions, suivies par celle de Mathieu Venon. En 2004, le Centre d’Art étoffe sa programmation d’expositions, poursuit son activité de diffusion au théâtre de Poche en augmentant le nombre de séances dans le but « d’amortir » les créations et dans le souci de toucher le plus de spectateurs possibles. Le dispositif des maisons de musique est mis sous la tutelle du Centre d’Art.
L’aspect musique prend alors toute sa dimension. La Ville espère récupérer les locaux occupés par la Justice afin d’étendre son activité. Le projet bien engagé avorte faute de déménagement des services de l’état. En 2005, la demande est croissante des artistes qui veulent s’exprimer mais ne trouvent plus de scène.
Les Arts’péritifs En 2006, lancement d’une nouvelle animation dans les jardins du Centre : Les « Arts’ péritifs ». Accueillis timidement par le public et les artistes, ils prennent leur essor rapidement pour devenir, fin 2006, un espace de découverte prisé par le public. Proposition d’ouverture d’un espace de lecture à voix haute (lectures publiques) dans un souci de développer cette pratique et d’aider au développement de la littérature locale par l’implication des professionnels de l’édition, les bibliothèques, etc. et enfin, proposer aux Nouméens une programmation artistique événementielle quasi quotidienne. En 2007, l’espace de lecture à voix haute (les Art’ticules) est mis en place ainsi que le lancement du projet d’établissement pour résoudre les distorsions de plus en plus critiques entre activités du Centre et moyens humains et financiers. d
vanuatu
Le Vanuatu se livre Du 11 au 15 novembre 2009 derniers, se déroulait, dans les locaux de la Maison du Livre de la Nouvelle-Calédonie, située, comme chacun sait, à la Maison Célières, au FaubourgBlanchot, la Semaine du Livre de Vanuatu.
Joseph John
série Nana Coco, écrite par Claudine Jacques, entendre des contes en direct, dits par la voix chaude de Patrick Rory, assister à des ateliers de bichlamar et à un défilé de couture, admirer des sculptures, découvrir un film sur les volcans d’Ambrym, de Kuwae, d’Aoba et Tanna. Cette présentation n’aurait pas été complète sans musique avec du string band (les Vatu Boys) et du slam interprété par Paul Tavo. Les nombreux visiteurs ont pu enfin, sous la houlette bienveillante d’Isabelle Ben, maître ès laplap, faire une halte fort agréable au stand de dégustation. d
Les Vatu Boys.
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Malgré quelque 110 langues dialectales, trois langues principales (anglais, français, bichlamar), des problèmes de traduction et de débouchés éditoriaux, une nouvelle littérature vanuataise émerge. Derrière le best-seller historique Killing a bird with two stones de Jeremy Mac Clancy et la locomotive Tôghàn (nouvelle édition préfacée par Le Clézio) de Marcel Meltherorong, se profile une jeune génération s’appropriant l’écrit et les histoires du pays. Atypiques, chargées de rituels mortuaires, les « pierres-poteries » n’ont presque plus de secrets pour nous grâce à Françoise Cayrol-Baudrillart, qui nous aura révélé l’extraordinaire trame mythique des chemins de Malékula. Déwé Gorodé a longuement évoqué également la mémoire de feu la poétesse Grace Mera Molissa, auteure qu’elle a traduite en 1997 sous le titre Pierre Noire (éditions Grain de Sable). On a pu également apprécier les aquarelles de Joseph John, futur illustrateur de la
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Écrire le théâtre en Nouvelle-Calédonie
Entre corps intime
et corps social, l’espace commun d’une parole à conquérir Présentée pour l’essentiel lors du débat du samedi 28 janvier 2006, dans le cadre de la Semaine de l’Océanie au Studio-théâtre de la Comédie-Française, cette communication a été publiée dans le numéro spécial SILO 2007 de la revue calédonienne Correspondances océaniennes et dans L’Archipel des lettres n°2, revue du Salon du livre insulaire d’Ouessant.
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Les écritures théâtrales contemporaines en Nouvelle-Calédonie puisent sans aucun doute, pour faire vite et somme toute schématique, voire convenu, dans les profondeurs héritées ou fréquentées de l’oralité océanienne. En pays kanak, « la coutume » définit aussi bien la forme de la parole que l’ensemble des conditions de sa profération : temps, espace, provenance et destination de cette parole, identité de ceux qui la portent, position et rôle de ceux habilités à la recevoir, etc. Elle est porteuse à ce titre d’une puissante théâtralité. Il n’est donc en soi pas si étrange que la greffe avec celle, érigée en genre littéraire, de la culture occidentale ait été fructueuse.
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Mais pour paraître évident, ce propos ne permet pas d’éclairer véritablement l’ampleur prise en Nouvelle-Calédonie, depuis le début des années quatre-vingt-dix, par le théâtre dans les projets littéraires des auteurs calédoniens ; à travers le développement de plusieurs compagnies et leur souci de professionnalisation ; par l’existence mesurable enfin de publics fidèles. Car un premier constat s’impose : la vitalité du théâtre calédonien n’a pas, ou pas eu jusqu’à présent, son équivalent en Polynésie française, ni – hors Australie et Nouvelle-Zélande – dans la plupart des espaces insulaires du Pacifique
sud, pourtant nourris de traditions proches. Et ce, même s’il convient de retenir les expériences théâtrales riches et fortes du Wan Smolbag au Vanuatu ; l’émergence d’un théâtre fidjien avec Larry Thomas, et avant lui Vilsoni Hereniko ; l’existence enfin d’un théâtre d’intervention dans toute l’Océanie, utilisé comme outil d’éducation, notamment sanitaire, ce qui n’est pas sans risque pour le théâtre lui-même, pour sa langue, sa force, son essentielle gratuité. Un second constat peut également être retenu : le théâtre calédonien contemporain s’affirme comme volonté d’écriture au sens le plus littéral du terme. Ses auteurs aspirent certes à la scène, sont parfois même leur propre metteur en scène comme Pierre Gope, mais leur projet vise d’abord le surgissement d’un texte qui fasse parole plus que spectacle, qui donne corps à cette parole plus que de la traduire en images. Il est par ailleurs évident que cette parole se nourrit du choc colonial, avec « ses lumières et ses ombres », ainsi que le précise le préambule de l’Accord de Nouméa. Et que la rencontre entre la théâtralité océanienne et la tradition théâtrale occidentale participe probablement des unes autant que des autres. 1975. C’est par un jeu théâtral que le festival Mélanésia 2000, initié par Jean-Marie Tjibaou – qui n’est pas encore le leader kanak indépendantiste incontournable de la décennie à venir –, lance le mouvement dit du « Réveil mélanésien ». Il puise pour la circonstance dans le mythe de Téa Kanaké, et soutient l’invention d’un jeu scénique mettant face à face, dans le même lieu symbolique, colonisé et colonisateur. Le choc est profond. La volonté affirmée
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contre la frontière », contre toute frontière, que Kafka tenait pour la raison d’être de la littérature. Cette parole aujourd’hui frappe par sa diversité. Point d’école dans tout cela, mais des voix qui, à première vue, semblent n’avoir guère de points communs, même lorsqu’elles décident d’écrire à quatre mains comme ce fut le cas pour Les dieux sont borgnes de Pierre Gope et Nicolas Kurtovitch. Elle frappe surtout par les tensions dont elle témoigne. Celles-ci – tant pis pour ceux que tenterait l’exotisme –, ne font pas des écritures théâtrales calédoniennes des écritures spécifiques. Elles les situent au contraire en pleine résonance avec les écritures théâtrales contemporaines, revenues tout à la fois de la toutepuissance de la scène et du metteur en scène, comme de la tentation du vide, d’une langue hors du sens. Mais en ouvrant peut-être des espaces originaux à la scène comme à la langue. Tension entre un théâtre à forte dimension politique, sociale, puisant aux sources du mythe et de l’Histoire, s’affichant porteur d’une parole collective, et un théâtre, le même, où s’affirme la parole solitaire de celui, de celle qui dit non à la règle jusqu’alors acceptée par tous. Un théâtre d’Antigone en quelque sorte, mais des Antigone rongées par le doute, tâtonnant entre des lois dont elles mesurent l’égale imperfection, les insupportables limites. Tension entre ce théâtre d’idées, ce théâtre de discours au sens le plus noble, et un théâtre, le même, où les Antigone et les Créon, les Ysmène et les Œdipe, trouvent leur voie en cherchant, avec une farouche obstination, à habiter le monde réel et leur corps. Un monde où plantes, pierres, pluies, parlent, et dont la langue brute fait irruption sans crier gare au cœur du texte. Un corps qui n’en finit pas d’être mis à mal, mais revendique son droit au désir, au plaisir, à l’amour, et le droit, parfois jusqu’à la mort, à son intime conviction. Tension entre la parole de ce corps intime et les injonctions du corps social. Tension entre la liberté de cette parole et la fraternité, l’appartenance dont elle doit épisodes
est de création d’un possible espace commun pour une parole à partager. Jean-Marie Tjibaou a d’ailleurs projeté une suite à cet événement, un second festival nommé Calédonia 2000. Il n’aura jamais lieu. Le mouvement de l’Histoire se fait tout autre en effet. Si en 1975 nombre de Mélanésiens puisent dans Mélanésia 2000 la force d’une revendication culturelle, identitaire forte, nombre de Calédoniens d’origine européenne y lisent une contestation de leur présence et de leur ouvrage quotidien. Une partie non négligeable des militants de la cause kanak porte également un regard méfiant sur une initiative jugée inadaptée, voire bien légère face aux inégalités, aux injustices quotidiennes qu’ils se sont promis de faire reculer. La période dite des Événements exacerbera, puis résoudra finalement sur le terrain strictement politique les fractures manifestées dans le champ culturel. Sans les réduire sans doute, au sens où l’on dit « réduire » d’une fracture. Sans non plus faire bouger ces lignes que, dans sa parole d’ouverture de Mélanésia 2000, JeanMarie Tjibaou pressentait comme inéluctablement appelées à se mettre en mouvement. Au lendemain de la signature des accords Matignon-Oudinot, puis de l’Accord de Nouméa, tout reste en effet à accomplir, et tout particulièrement cette « promesse de l’aube » que portait peut-être Mélanésia 2000 : la construction d’un espace commun pour une parole à conquérir. Et ce, désormais, par-delà tous les désenchantements, sans rien renier du sang des morts. Est-ce alors un hasard de voir surgir, au début des années quatre-vingt-dix, une parole théâtrale où nul ne l’attendait, avec la première pièce de Pierre Gope ? Une parole en quête non d’un espace commun, mais d’un espace où interroger sa propre mémoire et en quelque sorte compter ses petits. Puis progressivement une parole s’aventurant sur le terrain de la mise en jeu parallèle des mémoires en présence. Et enfin une parole fermement décidée à affirmer sa liberté radicale, son droit à l’intime, à l’insoumission, face à ce dont le collectif somme chacun de témoigner : le droit de « faire assaut
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également témoigner. Tension entre la mémoire que cette parole vise à faire une pour qu’un destin commun soit imaginable, et les mémoires plurielles, fragmentées, trouées, blessées que cette parole vise tout autant à sauver du désastre de l’oubli. Il y aurait donc, dans les écritures théâtrales contemporaines en Nouvelle-Calédonie, quelle que soit l’origine des auteurs en présence, mise en scène de la pluralité des mémoires ; mise en mots de l’altérité, avec son charroi de peur, d’incompréhension, mais aussi d’aventure, d’étonnements, de mise en mouvement de soi vers soi, de soi vers l’autre (L’Autre, c’est d’ailleurs le titre de la première pièce représentée de Nicolas Kurtovitch). Désir en somme d’une parole polyforme, née du ventre même de l’être humain – le ventre est le lieu de la parole dans les langues kanak , et non la tête, non la gorge. Et quête, pour cette parole, d’un espace à partager, loin des désespérances de bon ton. Écrire le théâtre en Nouvelle-Calédonie, ne serait-ce pas alors pour inventer cet espace, ces espaces où il soit un instant – celui au moins de la représentation – possible de se rencontrer sans se perdre, s’affronter sans se détruire, se comprendre sans fusionner, se poser soi face à l’autre sans se pétrifier, oser le mouvement du vivre ensemble, du grandir et changer ensemble, sans risquer la dilution des différences, des identités dans un métissage toujours suspect ? Des espaces d’intranquillité pour dire la complexité d’une destinée humaine qui semble ne plus pouvoir se jouer autrement que dans les écarts, les entre-deux, avec pour seul viatique et seule liberté dans cet incertain voyage nos corps et nos langues.
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Anne Bihan Belle-île-en-mer, janvier 2006 Nouméa, octobre 2007
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Post-scriptum Si elle demeure pour l’essentiel d’actualité, la réflexion cidessus n’en appelle pas moins quelques remarques. La première remarque a trait à la constance d’un désir de théâtre en Nouvelle-Calédonie. Qu’elles donnent à entendre des textes d’ici ou d’ailleurs, les compagnies calédoniennes continuent de proposer de nombreuses créations. Les auteurs calédoniens continuent eux d’écrire pour le théâtre, et de nouvelles voix émergent. Ateliers d’écriture, lectures théâtrales, créations croisées entre auteurs ou acteurs d’ici, metteurs en scène d’ailleurs, et vice-versa : tout est bon à prendre pour continuer d’explorer cet espace de la scène où puissent se dire la splendeur et la difficulté d’être là. Et d’y être ensemble. L’effort conduit par le centre culturel Tjibaou pour susciter chaque année la traduction et la création en scène de textes d’auteurs du Pacifique insulaire anglophone marque cet espace du sceau de l’ouverture. La remarquable programmation de l’année 2009 opérée par le nouveau directeur du Théâtre de l’Île, avec l’accueil de textes audacieux tel « Ohne », et le choix d’alterner spectacles en provenance de l’extérieur, Métropole essentiellement, et créations locales, joue également de manière complémentaire en ce sens. Avec de ce côté le
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Anne Bihan
À propos de l’écriture théâtrale…
«
Je n’écris pas pour le théâtre. J’écris, et quelque chose de la rencontre du monde et de la langue à l’œuvre dans l’écriture s’incarne parfois, assez souvent, dans ce précipité quasi chimique, le personnage. Il arrive qu’un lieu, la couleur d’une voix, d’un chant, une lumière lui préexistent. Mais cela commence vraiment lorsqu’il se dresse devant moi, s’impose, habite un espace que j’explore en marchant dans ses pas, un temps dont lui seul me donne la mesure. Et au fond, ce n’est pas l’histoire, les péripéties de son parcours entre le début et la fin de la pièce qui comptent. Ce qui compte, le seul véritable événement à bien y réfléchir, c’est que ce personnage parle, d’une parole primitive, mots, phrases, mais aussi gestes, regards, élans, sursauts, effondrements, sueurs, larmes, rires… Ce n’est pas une bouche c’est un corps tout entier qui parle, et cette parole qui surgit au milieu du corps tout entier est une énigme. Ce qu’elle dit du monde qui nous entoure, de ce monde qui m’importe absolument, qui m’engage absolument, n’est toujours qu’apparemment historique. Parce que l’histoire ne résout pas les énigmes. Les énigmes, ce sont les dieux qui les posent. On écrit peutêtre du théâtre parce qu’on s’obstine à vouloir leur voler le feu. Avec le rêve un peu fou d’en faire offrande à nos semblables. » A. B.
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choix de travailler à l’émergence de nouvelles écritures calédoniennes, dont témoigne la venue du dramaturge Roland Fichet et le projet, en 2010, de multiplier les temps de rencontre entre le public et les textes par la création de soirées lectures. La deuxième remarque relève de ce qui, fondamentalement, est l’affaire du théâtre comme de tout geste littéraire : la question de la langue. Or il me semble que l’on assiste plus que jamais, dans la chair même des textes, à une théâtralisation de l’espace littéraire calédonien dans son ensemble. Les romans qui viennent de paraître de Nicolas Kurtovitch et Déwé Gorodé sont, de ce point de vue, exemplaires. Dialogues, monologues, insertion directe de scènes formellement théâtrales dans le déroulement du récit : des personnages s’y confrontent, s’y confessent, en quête d’un nouveau point d’équilibre entre ce qui les contraint et ce qui les libère. Comme si s’affirmait l’urgence absolue de faire entendre, quel que soit le genre littéraire choisi, la pluralité des voix, des chemins possibles, et la dimension radicalement composite d’un monde dont il ne s’agit pas de colmater les brèches mais au contraire de louer la promesse inattendue, celle qui nous vient de l’irruption de l’autre. Question qui demeure en suspens : cette théâtralisation des écritures romanesques, poétiques, se fera-t-elle ou pas au détriment de l’écriture de textes dicibles à la scène ? En somme, et pour reprendre le titre de la présente communication, comment se négociera la présence des écritures théâtrales calédoniennes dans un espace public incertain où elles me paraissent, mais c’est là un choix personnel donc discutable, devoir continuer d’exister en tant que telles. Non par souci de séparer les genres mais, pour approfondir les derniers mots de la réflexion initiée en 2006, parce que quelque chose de notre humanité se joue par la présence tangible de nos corps, de nos langues, dans un espace commun que nous n’en avons pas fini de conquérir. Pour que vive ici et maintenant cet obstiné désir de théâtre.
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Pourquoi avez-vous choisi d’écrire pour le théâtre ? Ismet Kurtovitch
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Il y a longtemps que j’aime le théâtre. Quand j’étais collégien à Bourail, nous avons interprété plusieurs scènes du Bourgeois gentilhomme pour la fête de la remise des prix en fin d’année. En terminale au Lycée Blaise Pascal, une professeure, madame Ory, avait constitué une troupe et nous avons joué le Roi se meurt de Ionesco – je jouais le roi. Je me souviens qu’il y avait dans la troupe Michel Vautrin, JeanJacques Delaval, Claudine Tahiarui, Michelle Fouques et Noriko Ishise. Les représentations eurent lieu au collège Champagnat puis dans la salle omnisports de Païta et, en décembre 1973, dans la salle paroissiale de Port-Vila à Vanuatu, alors les Nouvelles-Hébrides. Puis, j’ai écrit une adaptation calédonienne de La Putain respectueuse de Sartre, que Philippe Amiel et Guy Betford ont monté à la FOL. C’était en 1981, il me semble.
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Plus tard, je me suis attelé à l’écriture de pièce. Je commence quand j’ai une situation et une histoire car sans histoire c’est difficile et ce n’est pas forcément du théâtre, n’est pas Diderot qui veut ! Je privilégie l’humour. C’est ce qu’il y a de plus difficile à rendre par écrit. Pour tout dire, je suis comblé quand je réussis à faire rire. Avec ma pièce intitulée Les Comédies broussardes, nous avons réussi à amuser pas mal de monde au Centre d’Art et sur RFO et même jusqu’à Port-Vila au Wan Smolbag theatre, où Jean Claude Briault avait invité la compagnie Calédo-Folies-les Incompressibles pour participer à la semaine de la francophonie, il y a trois ou quatre ans. J’écris des pièces qui se passent en Calédonie. Toutefois, j’ai, avec beaucoup de difficulté,
écrit une pièce « étrangère » qui figure dans ce numéro d’épisodes. Je ne suis pas un écrivain. Si mes pièces sont jouées ou éditées tant mieux, sinon tant pis.
Nicolas Kurtovitch Il y a eu un moment où je voulais écrire une histoire par laquelle j’allais aborder des thèmes qui me semblaient à l’époque essentiels et peutêtre me le sont-ils encore. Après plusieurs tentatives et essais d’écriture dans plusieurs genres notamment le poème et le début d’un roman, j’ai essayé le théâtre, les scènes se sont enchaînées, et je suis arrivé à la fin en ayant abordé ce qu’il me tenait à cœur de dire. Simultanément une compagnie m’a demandé de participer avec d’autres à l’écriture d’une pièce de théâtre en plusieurs tableaux, on me demandait d’écrire l’un de ces tableaux avec une grande liberté dans la mesure où la seule contrainte était que l’action devait se dérouler sur un bateau. Ces deux premières expériences m’ont plu, pour des raisons différentes mais complémentaires : avec l’une j’avais pu énoncer simplement et de façon relativement directe quelques réflexions sur la colonisation mais également à propos de l’engagement dans le rapport amoureux, dans l’autre pièce j’avais pu aborder un moment de l’histoire en laissant aller très librement mon imagination, m’affranchissant par moment des contraintes du réalisme. Partant, j’ai pris l’habitude ou pourquoi pas le réflexe de temps en temps, d’aborder un thème, une histoire, voire une sensation avec l’optique d’en faire une pièce de théâtre, d’autant que mes
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ui, il y a confrontation, à un moment il faut qu’il y ait confrontation, c’est là tout l’intérêt, toute la particularité du théâtre. Et puis, le lecteur d’une pièce de théâtre devient instantanément metteur en scène et dans son esprit, il confronte ce qu’il lit avec ce qu’il espère ou s’attend à voir sur la scène qu’il se construit en esprit. Ce n’est là qu’un aspect de la confrontation « paroles écrites/paroles dites », il y a par exemple le lien de la parole, de la phrase, du son avec l’espace qui est en quelque sorte une confrontation. Mais toutes ces confrontations ne sont que positives bien entendu. Enfin il faudrait aussi et surtout aborder la confrontation à trois entre auteur, metteur en scène et comédienne, très important la comédienne, c’est elle qui a le mot et les phrases en bouche, et parfois l’auteur n’en a pas suffisamment tenu compte, le travail du binôme metteur en scène/comédienne est alors encore plus difficile et plus indispensable. En tant qu’auteur je sais cela et pourtant lorsque j’écris, avant tout j’écris un texte qui se suffit à lui-même. Certains pourront dire dès lors que « ce n’est pas vraiment du théâtre » , eh bien, ils auraient tort ! N. K.
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deux premiers essais avaient été concluants en terme de représentation effective (car c’est une chose d’écrire une pièce, c’en est une autre d’avoir la satisfaction de la voir jouée). Je sens dès qu’une idée survient ou qu’un désir d’écriture se fait jour s’il vaudra mieux écrire sous forme théâtrale ou non. Cela ne veut pas dire que j’ai la certitude d’aboutir à quelque chose de satisfaisant, mais je sais que c’est par cette forme que j’ai une chance, une possibilité d’aller au bout du projet. Avec le recul de quelques années et de quelques pièces je me rends compte que mes pièces abordent toutes des thèmes ou des « questions » en relation très proche, voire immédiate, avec la société de Nouvelle-Calédonie. Pour terminer : le théâtre parce que la scène théâtrale de Nouvelle-Calédonie d’aujourd’hui m’intéresse car elle semble par moment porter une part importante de la réflexion que véhicule la création artistique et c’est dans ce sens, pour que davantage d’idée et d’utopie soient exprimées, que, en plus d’écrire du théâtre, j’apporte mon soutien effectif aux structures d’accueil du théâtre notamment le théâtre de l’île et la compagnie Kalachakra avec laquelle je travaille.
Paroles écrites, paroles dites, y a-t-il confrontation ?
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La bibliothèque idéale Combat de nègre et de chiens de Bernard-Marie Koltès [Théâtre] éditeur : Minuit Sur un chantier étranger dans une brousse d’Afrique de l’Ouest, des hommes s’affrontent et se fuient par amour, par haine mais surtout par peur de l’autre. Alboury, ouvrier noir, réclame le corps de son frère mort, tué par un ingénieur blanc.
Célébration La Chambre d’Harold Pinter [Théâtre] éditeur : Gallimard Célébration : un restaurant. Trois couples. Deux tables voisines. On célèbre un anniversaire de mariage. Les répliques fusent, s’entrecroisent et dérapent. Dans La Chambre, Pinter dé-
ploie déjà toute son incomparable capacité de dresser une situation tendue et de cerner des personnages intenses à travers l’apparente banalité d’échanges quotidiens, en décalage avec le réalisme, mais en phase avec la magie théâtrale.
Dictionnaire de la langue du théâtre Mots et mœurs du théâtre d’Agnès Pierron Ouvrage résolument original, ce dictionnaire nous fait entrer dans la petite et la grande histoire du théâtre grâce à son langage. Ses clés : plus de 3 000 mots et expressions techniques (costière, gril, pendrillons...),
Collision D’Anne Bihan [Théâtre] éditeur : Traversées
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Un bateau entre ciel et terre. Un musée entre rêve et mémoire. Un ancien réservoir entre ville et rivière. Un parc entre chien et loup. Les pièces courtes qui composent ce recueil puisent toutes dans l’histoire de la Nouvelle-Calédonie. Mais les temps s’y télescopent et les rencontres sont de pure fantaisie. C’est que l’histoire est toujours recréation, représentation de l’à-jamais enfoui
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familiers et argotiques (emmener un décor par les cheveux, tirer sur la guimauve, avoir sa petite côtelette...) évoquent les métiers et les moeurs ; des milliers d’anecdotes révèlent traditions et superstitions ; plus de 6.000 citations de 350 auteurs mettent en scène les mots et restituent les ambiances.
Beckett corps à corps de Marie Depussé [Théâtre] éditeur : Hermann Beckett regrettait qu’on ne porte pas à son œuvre l’attention microscopique qu’on portait en général à sa vie. Marie Depussé comble, avec le présent ouvrage, cette lacune : prendre Beckett au pied de la lettre et proposer une lecture inédite de son œuvre dans un exercice qu’elle appelle corps à corps.
dans l’épaisseur des murs et des mers, des sables et des os défaits de leurs chairs. Une invitation au voyage vers soi, vers l’autre, pour encore oser la rencontre, toujours oser la traversée.
Les dieux sont borgnes de Pierre Gope et Nicolas Kurtovitch [Théâtre] éditeur : Grain de sable Le voyage commence avec l’arrivée de James Cook sur les côtes calédoniennes, à la fin du XVIIIe siècle et se poursuit dans la Calédonie d’aujourd’hui. La pièce entremêle culture euro-
librairie
de Carlos Fuentes [Théâtre] éditeur : Gallimard Des orchidées au clair de lune aborde les affres de deux stars déchues obsédées par leur image. Elles nous entraînent dans un univers où l’on ne sait plus où se trouve la vérité. S’agit-il de deux jeunes folles usurpant un glorieux passé qu’elle n’ont pas vécu ?
Comment parler de Dieu à un enfant pendant que le monde pleure de Jean-Rock Gaudreault [Théâtre] éditeur : Lansman Dans un pays dévasté par la guerre, Steve, un casque bleu canadien, marche dans les décombres d’un village. Il aperçoit quelque chose à moitié avalé par le sol. C’est une paire de souliers d’enfant qui semble
avoir beaucoup marché... Le soldat sort un cahier noir tout usé et écrit quelques phrases fébrilement. Un coup de feu retentit. Le soldat perd l’équilibre et s’écroule, blessé.
Baby Doll de Tennessee Williams [Théâtre] éditeur : 10/18
Ce volume rassemble quatre impromptus légendaires de René de Obaldia : Le Défunt, Le Grand Vizir, La Baby-sitter et Pour ses beaux yeux.
Au début des années 1940, dans le sud des États-Unis. Archie Lee, un exploitant de coton quadragénaire, est marié à Baby Doll, une femme-enfant qui se refuse à lui jusqu’à ses 20 ans, respectant ainsi la promesse faite à son père. Deux jours avant son anniversaire, Baby Doll menace de quitter la maison dont les meubles ont été saisis.
Comédies en un acte de René de Obaldia [Théâtre] éditeur : Grasset
Ce moniteur bordel
Au bord de la vie
d’Eugène Ionesco [Théâtre] éditeur : Avant Scène
de Gao Xingjian [Théâtre] éditeur : Lansman
Ce moniteur bordel raconte l’histoire d’un personnage qui écoute et qui s’écoute, muré dans le silence et protégé par l’alcool comme par une carapace.
à la suite d’une rupture, une femme se retrouve face à ellemême. Celle-ci se cherche, se dévoile pour de nouveau se perdre dans sa quête intérieure qu’elle exprime à la troisième personne comme pour mieux se détacher d’elle-même.
péenne et la tradition mélanésienne, va et revient, change de registre, croise mythologie kanak et questions économiques autour d’une pêcherie moderne. Elle interroge le passé pour tracer l’avenir.
nous faire découvrir leur histoire. à chaque peuple, à chaque homme, ses saisons, ses châteaux de l’âme, ses époques tissées de rires et de larmes : voix des bagnards exilés, des nouveaux arrivants, rêves de femmes ou duo insolite.
Ô saisons, ô châteaux !
Où est le droit ?
de Manuel Touraille, Nicolas Kurtovitch et Frédéric Ohlen [Théâtre] éditeur : L’Herbier de Feu
de Pierre Gope [Théâtre] éditeur : Grain de sable
Il est temps désormais que les langues se délient, que les témoins du passé et les auteurs du présent s’associent pour prendre la parole et
Où est la justice… chez les Blancs ?… dans la coutume ? L’auteur tente de répondre aux questions que pose le viol en milieu kanak. Sur www.pacific-bookin.com
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Des orchidées au clair de lune
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Sur les planches en 2010 Au fond du panier
Théâtre - marionnettes et vidéos - Dès 6 ans - 50 min.
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fond du panier d’après le livre de Yannick Prigent, La Petite Tresseuse kanak, illustré par Caroline Palayer, éditions Vents d’ailleurs, en Librairie. C’est le parcours de la jeune Lamé qui, depuis sa plus tendre enfance, tresse des paniers. Au fur et à mesure que son talent et son imagination se développent, elle attise la jalousie des vieilles de son clan. à l’âge de 12 ans, Lamé est brutalement mariée à un homme âgé pour qui elle n’éprouve rien et qui lui refuse la joie de tresser. Le temps passe, et – un jour – son époux la traite de « malhabile ». Après une nuit de honte, Lamé annonce que pour l’honneur de son clan, elle va tresser le plus grand et le plus solide panier jamais vu dans la vallée. Entourée de sa seule solitude, Lamé tressera l’objet jour après jour, qui se transformera peu à peu en un énorme ventre de femme à l’intérieur duquel Lamé va s’enfermer. Là, la jeune fille réalise alors le tressage d’un petit panier magique… qui semble reproduire une partie de la voûte céleste ! Ce spectacle vous intéresse, contacter leskidams@canl.nc Tél. 77 54 77
Le Bestiaire de Jake
Spectacle interactif pour les 3/8 ans - 35 min. Saynètes mettant en scène les animaux d’un bestiaire calédonien. Les textes • La Bête, Nicolas Kurtovitch • Le Crabe, Bernard Berger • Le Requin, la Fourmi, la Souris, Arlette Peirano • Le Nautile, Catherine Vallette • Le Moustique, la Dinde, Claudine Jacques • Le Poulpe, Wanir Welepane • Le Troupeau, Bernard Benebig • La Tortue, la Mouche, Patricia Artigue • Le Tricot rayé, Armelle le Guerroué
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Des accessoires et des costumes transforment tour à tour les deux comédiens en crabe, fourmi, moustique, dinde ou poussin, jars ou canard pour le plus grand plaisir des tout-petits. « On poétise, on chante, on lit, on transforme sa voix, on danse la fourmi, on fait des pas d’escrime déguisé en moustique, on devient tout à coup canard klaxonnant, gallinacé, requin, petite dinde, clown chantant ou jars énamouré. Un poulpe nous emmène au monde sous-marin ; mouche, requin, tortue, souris, se transforment en énigmes et font l’interaction. Un spectacle à faire rire et rêver et qui donnera sûrement à quelques-uns l’envie d’ouvrir le livre. » Le Bestiaire de Jake - Collectif d’auteurs - éd. L’Herbier de Feu. En Librairie. Ce spectacle vous intéresse, contacter Marie-Ambrym ROSSIGNOL Tél : 74 00 33 ou 600cypres@live.fr
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spectacles jeunesse Parutions Salon international du livre océanien
Marie Tambouille
(avec de nouvelles histoires) Saperlipopette La Marchande d’histoires
Marie gourmande
Des odeurs, des saveurs, des histoires à croquer à pleines dents. Confection d’un gâteau durant le spectacle. Dégustation avec le public à la fin du spectacle. Tout public.
Drôle de cadeau
Spectacle de Noël destiné aux crèches et aux maternelles. Spectacles proposés par Marie-Christine MATHIEU (Marie M), artiste pluridisciplinaire. Ces spectacles vous intéressent, contacter : marie.m@lagoon.nc Tél. 87 97 91 ou 41 54 06
Le Voyage de Setiawati
Le Centre d’Art organise des ateliers théâtre pour enfants et adultes. Renseignements au 25 07 50
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Contes d’Indonésie et d’Asie. Rencontre culturelle et culinaire (Musique, chant, marionnettes, dégustation). Tout public.
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Atelier Roland Fichet Un stage d’écriture théâtrale mené par Roland Fichet s’est déroulé au théâtre de l’île en 2009 et 2010. Ce qu’en pense Alain Camus.
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« Je dirai d’abord la formidable culture, générale, artistique et théâtrale, d’un homme de théâtre très prolixe et très actif comme auteur, responsable de compagnie et metteur en scène. Ce qui marque ensuite ce sont ses qualités relationnelles, son ouverture aux autres, son humilité, son humanité. Puis, en tant qu’animateur d’un stage d’écriture, la clarté de son propos, la rigueur de sa méthode, et sa grande disponibilité, sa présence sur le lieu de travail, le théâtre de l’Île, ne descendant pas au-dessous des dix heures quotidiennes. Quant à sa méthode d’approche de l’écriture théâtrale, dont il précise lui-même qu’elle n’est pas la seule et sans entrer dans le détail, elle est fondée sur la contrainte. Chaque écrit doit obéir à des consignes : contraintes de structure à partir de modèles de déroulement qui ne sont pas forcément pris dans le domaine théâtral ; contraintes de composantes obligatoires (éléments que l’on doit intégrer dans son écrit) ; contraintes de phrases extraites d’œuvres théâtrales qui doivent trouver leur place dans la réalisation écrite. à partir de ces contraintes, cha-
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cun prend un chemin personnel et trouve peu à peu sa liberté. L’écrit terminé, chaque stagiaire lit sa création et la discussion s’engage, avec notamment un retour du « Maître » qui exclut tout jugement de valeur, met en évidence les points positifs et donne des clés pour surmonter les obstacles rencontrés. Ce stage a permis à chaque participant d’arriver à des créations certes inachevées, « en chantier », mais très diverses et parvenues à un degré d’élaboration qui peut donner naissance à des réalisations abouties si le travail d’écriture est d poursuivi. » Les textes suivants, nés de l’atelier, ont été lus au public au théâtre de l’île. - Quoi exactement ? de Anne Bihan* - La Greffe de Alain Camus* - Quand tu allais on
revenait de Olivia Duchesne* - Dans une chambre de Marie-Christine Mathieu* - Soupe à l’exil de Moana Ségura* - J e suis né vilain de Mina Vilayleck En voici quelques extraits*.
atelier théâtre
Qui est Roland Fichet ?
Biographie de l’auteur land Fichet organise et anime régulièrement les Résidences/ Laboratoires, pour réfléchir à l’acte théâtral et rechercher des formes nouvelles : Comment organiser les modes de production des créations contemporaines ? Actes de naissances, écritures en travail ; Écritures d’aujourd’hui/mises en scène d’aujourd’hui... En tant qu’écrivain, il propose des formes inédites de confrontation avec d’autres dramaturges contemporains. Aux côtés de Michel Azama, Eugène Durif, DidierGeorges Gabily, Philippe Minyana, Jean-Marie Piemme et Noëlle Renaude, il devient, en 1993, membre du comité de rédaction des Cahiers de Prospero, revue du Centre national des écritures du spectacle. Depuis janvier 2003, Roland Fichet réunit dans les Côtes d’Armor un groupe de dix jeunes auteurs afin de mener une recherche sur les écritures dramatiques d’aujourd’hui. De ce groupe sont nées Les Pièces d’identité jouées en 2004, 2005 et 2006 en France et en Afrique. Roland Fichet est également
enseignant dans plusieurs écoles professionnelles de théâtre et chargé de cours à l’Université de Haute-Bretagne. Il est l’auteur d’une vingtaine de pièces (Petites comédies rurales, Terres promises, La Chute de l’ange rebelle, Suzanne, Quoi l’amour...), la plupart publiées aux Éditions Théâtrales. Certaines sont traduites en allemand, en espagnol, en arabe et jouées en France, en Allemagne, en Autriche, aux USA, au Chili, au Cameroun, au Bénin. En 2008, 2009 et 2010, il a écrit et mis en scène au Congo et en France un tryptique qui a pour titre : Anatomies. Anatomies 2010. Comment toucher ? a été créé au théâtre national de Bretagne en janvier et sera joué au théâtre de l’Est Parisien en mars 2010. Comment Toucher ? sera publié par les éditions Théâtrales en mars 2010. d
Extraits
épisodes
Roland Fichet est né dans le Morbihan, en Bretagne. En 1973, il participe à la fondation du Laboratoire d’études théâtrales de l’Université de Haute-Bretagne. Quelques années plus tard, il fonde à Saint-Brieuc, le Théâtre de la Folle Pensée, exemple rare en France d’une compagnie dirigée par un auteur, qu’il co-dirige avec le metteur en scène Annie Lucas. La compagnie centre ses créations sur les écritures contemporaines de théâtre et interroge constamment les langues du théâtre. Au sein de Folle Pensée, il met en place pendant onze ans (1991-2002) un cycle de créations contemporaines articulées sur le thème du passage : Récits de naissance. Cette opération met en jeu de nouvelles formes de représentation des écritures contemporaines : Nuits de naissances, Actes de naissances, Naissance/ Le Chaos du nouveau. Elle associe auteurs français et étrangers, des metteurs en scène et des acteurs d’une vingtaine de pays. À partir de 1990, Ro-
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Quoi exactement ? Anne Bihan Extraits
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Un terrain vague, sorte de no man’s land flanqué de deux guérites entre lesquelles passe la ligne frontière qui sépare deux territoires. Dans la guérite, fond de scène, côté cour : Joseph. Dans la guérite, avant-scène, côté jardin : Bastien. Joseph est court, trapu, pas de la première jeunesse, mal rasé, uniforme élimé. Bastien est long, jeune, fringant, rasé de près, uniforme impeccable. Voilà plusieurs mois déjà que Joseph et Bastien s’apprivoisent. Au fil des nuits, l’espace frontière s’est couvert de bosses, de piques, de couleurs, d’un ensemble d’objets répandus là, disséminés, traces d’une foule qui semble les avoir abandonnés dans sa fuite. La radio de Joseph marche. Jingle des infos. Il est question du nombre de ceux qui se risquent à traverser, dans un sens, dans l’autre ; de ceux qui en meurent ou en réchappent, doivent se cacher ou pas ; etc. Pour Joseph, plus de relève depuis longtemps. Bastien parvient encore un peu à s’échapper. Là, il vient juste de revenir d’une permission. Bastien. – Quoi exactement ? Joseph. – Rien. Cette nuit, rien. Ou presque. Bastien. – Les tentatives se font plus rares. Joseph. – Y’en a quand même. Bastien. – L’accord tient toujours ? Joseph. – Affirmatif ! Faut s’économiser quand ça dure. Bastien. – Rappel de la procédure : Travail n°1 : Ramassage. Travail n°2 : Inventaire Travail n°3 : Établissement du rapport. Travail n°4 : Répartition. Qui commence ? Joseph. – J’y vais, ça me dégourdira les guiboles.
épisodes
Joseph rentre dans sa guérite, en ressort avec à la main un grand sac poubelle. Il s’avance dans le terrain vague et commence le ramassage. Il montre et nomme chaque objet ramassé. Bastien répète l’information dans un dictaphone. Joseph. – Chaussure. Une. Basket unisexe de marque. Usée. Modèle 90. Pour qui ? Bastien. – Une chaussure. Basket unisexe de marque. Usée. Modèle 90. Pour toi.
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Joseph met la chaussure dans son sac poubelle. Joseph. – Chaussure. Une. Escarpin de femme. Rouge. Bon état. Talon… 5 centimètres. Pour qui ?
atelier théâtre
Bastien. – Une chaussure. Escarpin de femme. Rouge. Bon état. La gambette à 5 centimètres audessus du sol. Pour moi. Joseph laisse l’escarpin sur le sol… Et ainsi chaque fois que Bastien s’attribue un des éléments ramassés. Joseph. – Sac à dos. Kaki. Défraîchi. Rempli de… (Il regarde à l’intérieur.) biscuits, petits pois, haricots verts, hareng fumé, sardines à l’huile... boîtes de conserves en tous genres. Pour qui ? Bastien. – Sac à dos. Kaki. Défraîchi. Rempli de biscuits et boîtes de conserve en tous… Un effort Brigadier, soyez précis… Joseph. – Tim-tam, Beurre Lu… Petits pois, haricots rouges, verts, blancs, hareng fumé, sardines à l’huile... pour… on partage ! Bastien. – OK, on partage. Attention, j’ai horreur du hareng. On continue. Joseph et Bastien enchaînent l’énumération de toute une série d’objets ramassés sur le terrain vague et se les attribuent, les partagent, les laissent sur le sol quand ils ne sont pas intéressés, pour personne ou pour les chefs ! – Tee-shirt, – Un tee-shirt, – Jeans, – Un jeans, – Chaussure d’enfant, – Une chaussure d’enfant, – Statut de la Vierge, – Une statue de la Vierge, – Écharpe, – Une écharpe, – Paquet de piles, – Un paquet de piles, – Livre… cigarettes… alcool… etc. Joseph. – Lignes de coke. Colombienne. Haut de gamme ! Bastien lève les yeux au ciel. Joseph. – OK. Joker. On blague. Petite voiture. Marque : Norev. Modèle : Ferrari Testarossa. Rouge. Pour qui ? Bastien. – Forcément rouge. Pour mon neveu… C’est tout ? Joseph cherche encore machinalement, s’arrête, pousse quelque chose du pied, se baisse et ramasse. Joseph. – Bâton de rouge à lèvres. Rouge incendie. (Il ouvre, reluque, renifle.) Traces d’utilisation. Pour moi. Bastien. – Plus de ton âge, pour moi… Rare que les filles risquent la traversée... Au début oui, elles pensaient qu’on hésiterait un peu… Joseph. – T’hésitais ? Bastien. – Le boulot quand même ! Joseph. – Je tire jamais sur les passantes, c’est une règle. Viens chercher ta godaille.
Anne Bihan
épisodes
Bastien prend à son tour un sac poubelle et vient ramasser ce qui lui revient tandis que Joseph retourne vers sa guérite. Tous deux vident leur sac dans une série de caisses à côté de leur guérite respective, sorte d’installation de d tri sélectif des « déchets ».
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La Greffe Alain Camus
Extraits
Ce sont les extraits d’une pièce éventuelle et hypothétique qui s’appellerait La Greffe. Les tableaux 1 et 2 ont été écrits pendant le stage ainsi qu’un troisième qui pourrait tenir lieu de dénouement mais qui n’apparaît pas ici. Le prologue a été écrit en septembre comme ouverture aux deux tableaux ; il a pris une tonalité volontairement fantaisiste voire satirique et bouffonne qui nécessiterait peut-être une retouche des autres extraits pour trouver une certaine cohérence de ton, l’ensemble souhaitant tendre vers un registre tragi-comique. Précisions : – les D du prologue désignent les Docteurs, différemment numérotés. – Kamissoko est un médecin africain, Bambara de Côte d’Ivoire. – Les didascalies de gestes et déplacements ont été allégées voire supprimées.
1er tableau Un hôpital à la périphérie d’une ville du Nord de la France ; une salle en mauvais état située dans une annexe de cet hôpital, le matin très tôt ; une porte d’entrée et une autre au fond de la salle ; une seule ampoule nue, pas de vitres, un placard et un rangement à balais, une table sur laquelle sont posées des boîtes contenant le matériel opératoire, un lit, deux chaises. Un corps recouvert d’un drap sur un lit à roulettes. Un chirurgien et son assistant. Une femme de ménage qui entre et intervient pendant la scène puis sort, son travail terminé. Le chirurgien arrive dans la salle, referme la porte, ôte ses vêtements d’extérieur et enfile sa blouse ; il s’approche du gisant, soulève le drap, observe un moment puis il le recouvre, l’air satisfait ; l’assistant entre à son tour, revêt sa blouse, jette un regard au lit et se tourne vers le chirurgien.
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Kam. – Salut Franceville . Franc. – Salut Kamissoko , en forme ? Kam. – Comme un ouvrier à l’usine… un cadavre seulement ? Franc. – Pas tous les jours fête Kamissoko. Kam. – Et le receveur ? Franc. – En pré-anesthésie. Kam. – C’est quoi aujourd’hui ? Franc. – Un foie, rien qu’un foie. Kam. – Un foie ? Jamais fait ça moi. Franc. – De la mécanique , rien de plus. Kam. – Non, ça ne me dit rien. Franc. – Disons alors de l’électricité. Kam. – On éteint d’un côté, on rallume de l’autre c’est ça ?… Franc. – Vous voyez, quand vous voulez ; on débranche et on rebranche, c’est tout. Kam. – La métaphore ne m’inspire pas plus... C’est qui ?
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Franc. – Ben , un réfugié… Kam. – D’où ? Franc. – Origine inconnue, sans papiers. Kam. – Quel âge ? Franc. – Dix, huit, vingt, pas plus. Kam. – Un réfugié perdu alors... Et jeune... Du sang neuf. Franc. – Oui, un de ces réfugiés qui traînent partout maintenant. Femme de ménage. – Quelle racaille ! Quelle horreur ! Y sont sales comme des cochons... Et y’en a partout ! Kam. – Et il est d’accord ? Franc. – Pour ?... Kam. – Pour le don, tiens... il est d’accord ? Franc. – Pas demandé son avis. Kam. – Pas demandé… et le protocole ??? Franc. – Un réfugié, anonyme, un clandestin, Kamissoko ! ... Femme de ménage. – Y se lavent même pas ! De toute l’année y se lavent pas ! Kam. – Pas un mot avant de… Franc. – Pas eu le temps, un coup en plein cœur, mort immédiate !
Alain Camus
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Kamissoko commence à vérifier le matériel opératoire. Kam. – Fils de suture… Meurtre ?... Franc. – Non, accident de cirque. Kam. – Jonglage raté ? épée avalée ? Dompteur croqué ? Franc. – Non plus ; couteau mal lancé , cible transpercée. Kam. – Le pauvre, dur métier… Pinces de suture… Tout gosse j’aimais bien aller au cirque avec mon père . Franc. – Tous les enfants adorent aller au cirque . Kam. – Les écuyères, les éléphants, les fauves, les trapézistes, le main à main… La piste aux étoiles !!! Et puis les clowns, ah oui, les clowns… Franc. – Le passé tout ça, les rêves changent. Kam. – Ciseaux… Non, en fait j’aimerais bien aller au cirque, j’aime les clowns, j’aime encore les clowns… Franc. – Pas les lanceurs de couteau ??? Femme de ménage. – Moi je tirerais simplement dans le tas et on aurait la paix. Kam. – Clamps… Pauvre gosse, cible vivante et donneur mort… Franc. – Faut avancer, faut essayer pour progresser. Kam. – Le même jour privé de vie et amputé du foie… Franc. – Il n’en a plus besoin, nous si ! Femme de ménage. – Ils sont partout, dans nos rues, sur nos trottoirs, sur nos places, derrière nos vitres, bientôt dans nos maisons, et pourquoi pas jusque dans nos assiettes, oui, dans nos assiettes on pourrait en trouver ! Kam. – Compresses… à l’âge des apprentissages… dommage… Franc. – Une époque qui demande toujours plus de perfection exige des victimes de bonne qualité, du sang neuf comme vous disiez, de la chair fraîche , des organes en pleine santé, il nous faut de la jeunesse qui bouillonne… d Kam. – écarteurs… Langage d’ogre…
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Quand tu allais on revenait Olivia Duchesne Extraits
Scène 1 Une pièce à vivre avec une baie vitrée au fond. La pièce n’est pas très grande mais avec tout ce qu’il faut. Un couloir hors scène côté jardin qui mène à des chambres. Une table et des chaises. Plus loin un canapé, un fauteuil et un téléviseur. Il y a peu de place. Le mobilier semble usé et fatigué sauf le téléviseur ; dernier modèle. Une valise est au milieu de la pièce. Derrière la baie vitrée, un jardin. Plus grand que la pièce. Végétation luxuriante. Deux silhouettes se dessinent au fond du jardin, elles s’arrêtent devant plusieurs arbres, fleurs, l’une explique et l’autre écoute. Ilona pousse la baie vitrée et laisse passer sa sœur Ysé. Ysé regarde silencieuse. Ilona entre.
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Ilona. – Voilà, tu as fait le tour de la maison. J’espère que ça ira. C’est simple mais c’est comme ça. Ysé. – Merci. Bien sûr ça ira. C’est joli. Vous vivez ici depuis quand ? Ilona. – Agathe a fêté ses 9 ans ici dans le jardin, maintenant elle en a 16. Ysé. – J’ai hâte de la voir, et Giliat il a quel âge ? Ilona. – 18 ans dans deux semaines. Je leur annoncerai la nouvelle à leur retour. J’ai décidé avec Alexandre, on a décidé de faire comme ça. Ysé. – Où est Alexandre ? Ilona. – Il travaille, tu le verras ce soir. Ysé. – J’emmènerai les enfants au cirque, j’aimerais bien aller au cirque avec eux, j’aime les clowns, les vrais clowns, y a si longtemps que nous ne sommes pas allés au cirque ensemble. Ilona. – Y a si longtemps que tu n’es pas venue. Ysé. – Des spectacles de cirque j’ai dû en voir une quinzaine dans ma vie. Ilona. – Ici c’est différent. Les enfants ont beaucoup de devoirs, je ne leur accorde pas le droit de sortir tout l’temps. Et puis maman est morte, c’est mal venu de penser à autre chose. Et puis j’ai horreur des clowns moi, ça me rappelle papa. Ta chambre te plaît ? Ysé. – Oui, mais pourquoi me mettre dans cette chambre ? Tous ces masques qu’il y a dedans, ça m’angoisse. Ilona. – Tu ne dois pas les craindre. Tous ces masques sont mes protecteurs. D’ailleurs jamais un chat n’a pissé dans cette pièce. Un temps. Bon. Installe-toi. J’ai fait du thé. Bois. Je reviens ce soir.
atelier théâtre
On mangera tous les trois. Ne t’occupe de rien. Repose-toi. Ysé. – Maman a dit quelque chose avant de partir ? Ilona. – Non. Ysé. – Pourquoi ils disent que c’est peut-être un suicide ? Ilona. – Pourquoi. Je n’sais pas. Je n’sais pas moi. C’est eux qui savent. Ilona sort, Ysé reste seule, elle s’assoit devant son bol et regarde son thé. Elle prend sa cuillère et se regarde dedans.
Scène 2 Le soir au repas. Ysé est assise à table et elle se regarde dans son couteau. Assis également Ilona et Alexandre qui parlent.
Olivia Duchesne
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Ilona. – Lorsqu’il y va, Alexandre tire une douzaine de pigeons. Il dégomme une douzaine de pigeons. Et dernièrement l’occasion s’est présentée, il a tiré un pélican. Il l’a travaillé un peu et il l’a donné au voisin d’en face, un taxidermiste... le pauvre. Ysé. – Le pauvre ? Ilona. – Il est mal dans sa peau. Alexandre. – Nos voisins le rendent fous. Ilona. – Cette famille de racailles. Ysé. – Qu’est-ce qu’ils font ? Ilona. – C’est de la racaille. Des fois ils se penchent par-dessus sa barrière et ils regardent ce qu’il fait aux animaux. Quelle racaille, quelle horreur ! Y font rien de la journée à part regarder chez les autres, leur jardin est en friche et eux ils regardent ailleurs, et ils font un bruit, ils sont bruyants et leurs enfants, elle vient d’en avoir un nouveau, il braille tout l’temps, de la racaille première catégorie. Ysé. – Oh, tu ne vas pas commencer... Ilona. – Commencer ? Moi je commence ? Ysé ma sœur, vivre à New-York a attendri tes nerfs. Y a pas de World Trade Center chez nous, la guerre c’est tous les jours. C’est pas parce que t’es partie douze ans qu’on ne sait plus qui tu es. Tu es toujours la même. RACAILLES. Eux aussi ils disent ça de nous. Et crois-moi, un coup de langue est pire qu’un coup de lance. Son histoire on la porte sur sa tronche et eux s’ils te voient, ils diront que toi aussi tu es une racaille et que tu viens pour leur prendre la place. Alexandre. – Ilona, ta sœur Ysé est parmi nous. Elle est venue ici avec de bonnes intentions. Calmons-nous. Ysé. – Tu bois du whisky en mangeant toi ? Alexandre. – De temps en temps... Ilona. – De temps en temps ? Tout l’temps il en boit tout l’temps, t’en bois tout l’temps, pourquoi tu dis de temps en temps ? Alexandre. – Avant je crachais dessus, moi. De l’eau rien que de l’eau que j’buvais mais depuis que j’ai vu ce documentaire sur leur saloperie d’eau polluée, j’ai décidé de me mettre au whisky. Ysé. – Quand est-ce qu’on pourra savoir de quoi maman est morte ? Alexandre. – Elle s’est suicidée. Ilona. – Ils ne sont pas sûrs. Ysé. – Pourquoi elle aurait fait ça ? Alexandre. – Dis-donc t’en as des chaussures ! On fait vraiment des modes n’importe comment d maintenant. (Pause.) Et t’es toujours pas mariée ?
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Dans uneMarie-Christine chambre Mathieu Extraits
Deux sœurs : Martine 20 ans, Léa 18 ans. La scène se passe dans une chambre. Porte au fond, plus côté jardin. Côté jardin : au fond une armoire, à l’avant, un lit d’une place, tête de lit vers l’armoire, une valise ouverte posée dessus. Côté cour : au fond un lit d’une place, à l’avant, une commode sous une fenêtre. Léa (teeshirt, pantalon et veste en jean, chaussettes) est en train de faire sa valise. La porte s’ouvre brusquement, Martine entre (pantalon large, teeshirt, grosse veste, baskets), elle claque la porte et s’allonge sur son lit. Léa s’arrête et regarde sa sœur.
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Martine. – Elles me sont encore tombées dessus. Léa. – Les truies ? Martine. – Toutes les trois, leurs cabas pleins, pendus aux bras, leurs bras raides, leur cou tendu, au bout la gueule ouverte… elles m’ont insultée, elles gueulaient, elles gueulaient… Léa. – Et toi qu’est-ce t’as fait ? Martine. – Rien, j’ai continué à marcher, les mains dans les poches. Moches, les rouges à lèvres, j’ai rien trouvé. Léa. – T’as marché, t’as rien répondu ? Alors c’est que tu as accepté… Martine. – Elles me sont tombées dessus je te dis, dans le parking, elles devaient me guetter. Quand je suis rentrée dans Aldy, la grande Verbeeck passait à la caisse, les autres, elles devaient pas être loin. Léa. – Et alors ? Martine. – Des hurlements, je te dis… elles m’ont suivie jusqu’à chez P’tit Genet ! Léa. – Jusqu’à chez P’tit Genet ! Tout le monde vous regardait alors… et toi tu les as laissé faire, tu as accepté leurs mots, sans rien dire ! Ça veut dire quoi : ça veut dire que ce qu’elles pensent c’est vrai, on est des pétasses, des putes, des filles de putes, on est prêtes à tout accepter, leur regard, leur mépris, leurs insultes, parce qu’on est des putes ! Martine. – Oui, j’ai continué à marcher, en pensant : je suis sourde, sourde et muette, j’entends rien, je dis rien…
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Léa secoue la tête et continue sa valise. Martine suit chacun de ses gestes du regard. Martine. – Qu’est-ce tu voulais que je fasse ? Léa. – Que tu leur répondes, n’importe comment, mais que tu leur cloues le bec ! Sinon elles vont finir par te bouffer, tu m’entends, par te bouffer ! Martine. – OK ! Demain, je leur réponds. Léa. – Tu dis ça… Martine. – Demain je leur réponds, je te dis : je me plante devant elles ! Oui, je m’arrête net et je me plante devant elles ! Léa. – Et puis ?
atelier théâtre
Martine. – Et puis j’arrache mes fringues, tiens… Oui tiens, je me fous à poil ! Regardez, regardez tous, oui, j’ai une figure à lécher, oui, j’ai des seins à pétrir, oui, j’ai un ventre à prendre, oui, tous les hommes veulent ça, me lécher, me pétrir, me prendre… désolée ! (Elles éclatent de rire.) Léa, enlevant au fur et à mesure veste, teeshirt, pantalon. – Oui avec ton blouson tu cloues le bec à la Grosjean, avec ton teeshirt tu musèles la petite Vaxelaire et avec ton pantalon tu ligotes la grande saucisse ! (Jeux, rires, elles se jettent les vêtements à la tête, s’empoignent, roulent à terre puis se calment.) Léa, regardant sa montre. – Philippe va pas tarder, regarde voir à la fenêtre. Martine, va à la fenêtre , sa sœur enfile une robe rouge moulante. – Pas encore là son camion. (Elle observe.) Encore la mère Lambert à sa fenêtre, comme toujours, dans sa cuisine, derrière sa fenêtre elle est là, à l’affût, elle regarde, elle cherche… elle cherche quelque chose, quelque chose à mettre dans sa soupe : sa soupe qu’elle mangera ce soir avec les autres vieilles, soupe de commérages, de méchancetés, de langues de putes. (Elle se retourne, voit Léa dans sa robe rouge.) D’où ça sort ça ? De là-haut ? Léa. – J’avais envie d’une robe, d’une belle robe… Martine. – Le vieux, il va pas être content… Léa. – J’ai tout bien refermé les cartons, tout bien remis en place, il y va jamais… ça fait quinze ans que c’est là-haut, quinze ans... Martine. – Qu’elle est partie, avec l’autre, qu’elle est partie en nous laissant là, comme deux paquets de linge sale. Sale… salope, c’est une salope et nous on est des filles de pute. Un temps, Martine est allée se rasseoir sur son lit, Léa ferme sa valise. Léa. – Pars avec moi. Martine. – Je peux pas. Léa. – À cause du vieux ? Sa vie elle est là, dans ce trou, l’usine, le bistrot, la télé, tu vas pas t’enterrer avec lui, viens avec moi. Martine. – Je veux pas. Léa. – À cause de Michel ? Il est pas comme les autres, lui. Tu verras qu’un jour il partira, lui, loin, très loin d’ici. Martine. – Oui, il est pas comme les autres, lui… Quand je le croise, je me demande s’il me voit, dans mon pantalon trop large, mon gros pull cache tout… j’aimerais qu’il me voit. On entend le klaxon d’un camion, Léa court à la fenêtre. Léa. – C’est Philippe, j’y vais… Martine. – Tu vas pas y aller comme ça, qu’est-ce qu’ils vont dire les gens ? Léa. – Les gens, toujours les gens, arrête : qu’est-ce qu’ils vont dire, qu’est-ce qu’ils vont penser ? Et toi, tu penses, toi ? Qui tu es ? tu te laisses définir par eux. Qui tu es, t’y as pensé à ça ? Qui tu es ? ils te nomment et bientôt ils t’utiliseront comme ils te nomment. Martine. – Pute, c’est pas moi la pute, c’est elle, notre chère mère, elle mène sa vie avec son chanteur de bal, quelque part, on sait même pas où !
Marie-Christine Mathieu
épisodes
Deuxième coup de klaxon, Léa court à la fenêtre, l’ouvre et fait signe qu’elle arrive. Léa. – Je dois y aller. (Elle s’assied sur son lit, enfile ses baskets.) J’ai pas trouvé de chaussures pour aller avec, pas une paire dans tous les cartons, bizarre. (Elle se lève, se place devant sa sœur.) Ça va quand même ? d Martine. – Oui, mets un pull …
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Soupe à l’exil Moana Segura
Extraits
Scène 1 Le soir. Lumière blafarde. Dans un immeuble situé dans la banlieue populaire de Zurich, deux femmes mangent autour d’une table. La première, Myriam, très maigre, au visage acéré, est âgée d’une soixantaine d’années. Elle porte un fichu sur la tête. La seconde, Zinebia, sa fille, âgée d’une trentaine d’années est petite et trapue. Elle porte des cheveux blonds courts et bouclés : son visage est lisse, ses joues bien rebondies.
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Zinébia, faisant des cercles avec son doigt dans son assiette de soupe. – C’est toujours la même chose. La même chose. Toujours. Myriam continue de manger sa soupe sans la regarder. On entend une chanson enfantine au loin. Ich bin ein Kinder Ich bin kein Züricher Leider, Lieder, Leider Myriam lève la tête pour l’écouter puis se remet à manger sa soupe. Myriam, à elle-même. – Mange ta soupe ! Zinébia, répétant comme un écho sans réfléchir. – Mange…
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Elle prend une cuillère qu’elle fait tourner dans l’assiette de soupe. Zinébia. – La même chose C’est toujours la même chose à peine sommes-nous autour de la table Autour du chêne Il y en a toujours une qui trouve un exil dans la soupe Myriam, en crachant sa soupe. – Soupe à l’exil Soupe à l’exil Soupe à l’exil… Zinébia, continuant à jouer avec sa cuillère dans la soupe. – Dans le vide Dans le vide Dans le vide Assez. Maintenant j’en ai assez Dans n’importe quelle soupe Je tombe sur l’exil
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Elle se lève, fait tomber son assiette et ramasse méticuleusement tous les morceaux. Myriam, en roulant les r. – Ma fille, meine Fraulein Accepter volonté des plus forts Rester en Suisse Habiter maison.
atelier théâtre
Zinébia. – Vous êtes toutes les mêmes
des lâches
vous êtes des lâches.
La musique enfantine revient de façon lancinante : Ich bin ein Kinder Ich bin kein Züricher Leider, Lieder, Leider Myriam, levant brutalement la main. – Écoute ! Elles écoutent figées. Zinébia. – Je n’entends rien. Myriam, écoutant agrippée au bras de Zinébia. – Moi non plus. Zinébia. – Tu m’as fait peur. J’ai cru que c’était lui. Myriam. – Ah. Zinébia. – Lui. Myriam, à elle-même en marmonnant. – Fuir Serbie Fuir folie Rester maison Moi faim. Elle mange sa soupe.
Scène 2 Bruit de bottes. Un fouet claque. Zabor, un homme de forte corpulence, très brun, âgé d’un quarantaine d’années, habillé de façon élégante à la mode suisse, traverse la scène à grandes enjambées. Myriam à sa vue, range précipitamment sa soupe dans un placard. Zinébia, accroupie par terre pour ramasser les débris de l’assiette, ne l’a pas vu.
Moana Segura
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Zabor, derrière son dos. – Elle était bonne, la soupe. Zinébia, sursautant. – Elle était sucrée. Zabor. – Tant mieux, tant mieux. (Un temps.) J’ai faim. Zinébia. – Il n’y a plus de soupe. Zabor, en claquant le fouet. – Saloperie. Zinébia. – Nous étions liés. Zabor. – Je n’entends rien. Zinébia. – Je te demande si nous avons été liés. Zabor. – Liés ? Zinébia. – Li-és. Zabor. – Comment, liés ? Zinébia. – Pieds et poings. Zabor. – Mais à qui ? Par qui ? Zinébia. – à moi. Par ton sang, par ton clan. Zabor. – à toi ? Lié à toi ? Quelle idée ? Jamais de la vie ! Zinébia. – Je m’appelais Zinébia ZEBROVIC. ZEBROVIC, c’était mon nom. Je l’ai trahi, J’ai trahi mon clan, mon père pour toi. Myriam, en roulant les r. – Trahir clan Trahir père Fuir mari Zinébia. – Pour toi. Je m’appelais Zinébia ZEBROVIC. J’ai trahi le clan ZEBROVIC – le clan d de mon père – pour toi. Avec toi, j’ai fui la Serbie.
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Olivia Duchesne Avis de metteur en scène et vision du théâtre.
C’est lors de ma scolarité au collège de Rivière-Salée que je découvre le théâtre. Un atelier était ouvert pour la meilleure classe du collège. Bien sûr, je n’en faisais pas partie. Mais un jour je suis tombée sur des comédiens en costume dans un couloir du collège... alors j’ai rêvé... sans trop y croire.
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Ce n’est que bien plus tard alors étudiante en sciences à Nouville que j’entends parler des Strapontins. Je ne sais pas comment j’ai trouvé le courage de pousser la porte. J’ai commencé là avec Marie-ève Delatte, c’était très joyeux mais aussi très sérieux. Le choc a été tellement grand que j’ai tout laissé au début pour ne faire que ça, j’attendais le soir que les gens soient libres pour répéter. Ensuite, j’ai entrepris des études de lettres en continuant le théâtre. Ma licence en poche, je suis allée voir comment ça se passait ailleurs. Master Lettres et Arts à l’université d’Aix. Ce
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qui m’intéressait était la recherche identitaire à travers l’écriture dramatique d’auteurs tels que Sony Labou Tansi ou Gao Xingjian. Une identité toujours en exil finalement, toujours à redéfinir. Dans le cadre d’un de mes mémoires, j’avais même réussi à être assistante à la mise en scène d’Andonis Vouyoucas, au Gyptis, dans le même temps, j’ai tenté ma chance au conservatoire de Marseille, et j’ai été prise. On travaillait le jeu, la mise en scène, le clown, la commedia dell’arte, la marionnette...De belles années, difficiles à cause de l’éloignement, de l’arrachement à la terre qui m’habitait fortement, mais tellement enrichissantes. Ce qui a provoqué le choix de Si ce n’est toi, c’est l’émotion que j’ai ressentie à la lecture de ce texte, un dérangement, oui j’ai été très dérangée et bousculée par le propos. J’étais encore à Marseille quand j’ai lu cette pièce et je ne faisais que penser à mon île... cette pièce ouvre le sens sur ce qu’il se passe ici comme partout ailleurs, sur ce que notre société ne veut pas voir. Je crois que quelque soit la pièce que je choisis, la question est toujours le lien avec l’invisible, ce qui fait agir cette femme ou cet homme. Il ne s’agit pas de dire que le personnage ne ferait pas telle ou telle chose car cela est illogique ou exagéré – la lecture des journaux nous montre le degré avancé d’actions illogiques et exagérées des hommes – mais d’essayer de comprendre ce qui le pousse à agir comme cela. Après il y a le désir de partager une histoire avec
metteur en scène
Si ce n’est toi d’Edward Bond
Mise en scène : Olivia Duchesne distribution : Olivia Duchesne, Sylvain Lorgnier, Laurent Rossini Décors : Térence Barnes Costumes et accessoires : Sophie Bossé Lumière : Lo-Ammy Vaimatapako
Nous sommes le 18 juillet 2077, la société contrôle parfaitement les dangers qu’elle enfante. Les problèmes de sécurité et de possession sont réglés puisque l’autorité possède tout, jusqu’aux passés et aux souvenirs des gens. Si ce n’est toi (éditeur/agent théâtral : Arche) est une pièce simple, d’une inquiétante simplicité. Tour à tour effrayante puis hilarante, la pièce se situe entre farce et tragédie, entre chamailleries enfantines et poèmes tragiques. Comédie de mœurs ? Drame de science-fiction ? Huis clos absurde ? Si ce n’est toi, c’est tout cela : une pièce d’anticipation à la logique implacable et à l’humour irrésistible qui tient autant de la crainte que de l’avertissement. Cette pièce pose une question fondamentale : quel futur sommes-nous en train de préparer ? tés, nous ne pourrons pas nous dire humains. Il y a cette quête chez Bond : devenir humain. Edward Bond dit aussi : Nous devrions avoir peur du futur, nous y sommes déjà allés . Le théâtre c’est ça, c’est emmener le spectateur dans son futur. C’est en ce sens que je considère l’endroit du théâtre comme l’endroit où l’on partage une expérience, un observatoire des comportements humains, mais un rêve aussi. Le rêve de Grit dans Si ce n’est toi, lui donne les clés de son réel. Cette scène est l’endroit même de la d théâtralité. épisodes
les acteurs puis le public... Anne Bihan le montre bien dans son texte V, nous vivons dans une société qui se violente, qui souffre et je me sens comme tout le monde. Mais à partir du moment où nous montons sur scène, à partir du moment où l’on nous donne un espace de parole, il faut essayer de ne pas mentir. Ne pas mentir en écrivant, en jouant, en faisant des choix artistiques. Ne pas faire comme si tout allait bien, mais vraiment se poser la question : comment vivre, comment aimer dans ce monde ? et non pas comment oublier et ne plus y penser. Combien de fois on m’a demandé si ce n’était pas « trop intello » de monter Si ce n’est toi en Calédonie. En tant que Calédonienne, je prends cette question pour du mépris. Nous avons les mêmes capacités de compréhension et les mêmes questionnements que tout le monde. Ce n’est pas le moment de se laisser endormir, il faut rester aux écoutes, être « aux aguets » comme dit Deleuze. Rien à voir avec être intello ou pas, mais plutôt être au monde. C’est la question d’être-aumonde et d’être-dans le monde. Ce qui m’intéresse dans l’écriture d’Edward Bond est qu’il cherche à démonter le processus de la violence pour comprendre comment on en arrive à elle. Donc il ne s’agit pas de dire « c’est horrible, je ne veux pas voir ça » mais bien « c’est horrible et je vais essayer de comprendre comment on pourrait faire pour ne plus voir ça ». ça demande un effort, une confrontation. En cela il n’est pas nihiliste, il cherche à reconstruire du sens après les atrocités, c’est l’anti-Beckett. Beckett dit : Comment écrire après les camps de concentration ? Bond dit : Tant qu’on n’aura pas reconstruit du sens après ces atroci-
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Le son et lumière de Téremba… Vingt-deux ans d’aventure humaine et culturelle C’est en 1987, alors que le Fort de Téremba est encore une propriété privée, que l’association Marguerite se lance dans un spectacle théâtral de reconstitution historique avec plusieurs objectifs : – ouvrir le site au grand public, – évoquer deux sujets tabous de l’histoire calédonienne : le bagne et l’insurrection canaque de 1878, – sensibiliser les pouvoirs publics sur la nécessité de sauvegarder et de valoriser l’ensemble des vestiges encore présents, – enfin, impliquer les populations locales dans la reconstitution vivante de leur propre passé.
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Les deux premiers objectifs sont immédiatement atteints, et cela malgré le contexte politique douloureux des événements. Le choix de la mise en scène, consistant à
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son & lumière
alterner information historique et saynètes humoristiques sur la vie quotidienne au bagne reçoit un accueil chaleureux et encourage l’association à poursuivre sur cette voie. Le troisième objectif prend forme en 1989 avec le rachat, par la commune de Moindou, des vestiges de l’ancien pénitencier qui s’étendent sur 11 hectares, puis avec la décision de la province Sud de procéder à son classement au titre des Monuments Historiques. Reste l’implication des populations locales qui s’opère progressivement en passant d’une troupe de théâtre amateur, donnant une représentation sur une estrade en plein air, à l’organisation d’un véritable Son et Lumière. Ce genre de divertissement né en métropole il y a trente ans et qui appartient désormais aux arts vivants repose sur les techniques de la cinéscénie, de la pyrotechnie et nécessite la participation d’un grand nombre d’acteurs et de figurants. Aujourd’hui le Son et Lumière de Téremba est devenu le plus important spectacle écrit, mis en scène et interprété par des Calédoniens engagés dans une légitime quête identitaire. Il offre, de surcroît, l’opportunité d’une mise en lumière originale de bâtiments historiques.
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Manu Cormier
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Aka... L’énergie métallisante ! Mangrove reflection
« L’art (…) s’il ne faisait que confirmer ce qui a déjà été établi il serait inutile. Son rôle est d’être une sonde immergée dans un océan qui n’a pas de nom. Quant à l’artiste, c’est un appareil chargé d’enregistrer les processus qui ont lieu dans les profondeurs, là où les valeurs prennent naissance. » Bruno Schulz Lettre à Witkiewicz, in Bruno Schulz, Denoël, 2004.
AKA , un petit nom venu de l’enfance : « Appelle Aka, voilà ! » pour un «Pascale» un peu difficile à prononcer. Un nom aux multiples sens, un cri, une danse, rouge ou encore : aussi connu sous le nom de… (Also known as…) Un nom d’artiste qui dit je peux : « y’aka », car le parcours de l’artiste est long, difficile mais ô combien enrichissant. Artiste sculpteur, je suis amoureuse du métal depuis l’enfance, pour la magie de la fusion et la possibilité avec ce matériaux de
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fouiller, récupérer et transformer à l’infini. Mon plaisir est de mixer les métaux pour le contraste des
Forêt coulée
art
couleurs et avec le feu trouver leurs différents points de fusion pour les assembler entre eux. Avec la sculpture il est possible d’envisager toutes les formes, la sculpture offre une réelle présence, elle prend sa place dans l’espace, elle est vivante. Femme/sculpteur, une question souvent posée, femme
Minéralité
Fusion
Famille
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d’abord dans la création et dans l’expression, sculpteur à ma mesure pour le travail en solitaire et dans l’échange et le partage pour les œuvres monumentales, surtout femme libre et en ça peut-être un modèle.
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art
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Mon style de sculpture… l’assemblage, la création de formes dans l’espace, l’art éphémère et l’installation auxquels je suis très attachée, la fonderie que je démarre et surtout tous les champs que je n’ai pas encore explorés. Un ou une artiste de référence, non, il y en aurait trop, il y a des œuvres qui touchent plus à un moment de la vie, Andy Goldsworsky, artiste land art spécialiste de l’éphémère : il faut voir la vidéo d’une construction en branches, un nid dans l’espace s’effondrer sous nos yeux… Mon œuvre préférée du moment : Mangrove réflexion réalisée cet hiver à Noosa en Australie pour le festival Floating land ; elle est restée dix jours dans l’eau et à chaque moment l’effet était différent. Un rêve, installer une œuvre en land art évolutive dans un coin du caillou, où je vis et travaille et qui me donne toute son énergie « métallisante », par-
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courir le monde pour échanger avec d’autres artistes et enrichir mon regard et mon esprit, être surprise chaque jour dans ma création. d
Vue sur mer
jeunesse
Claudine Jacques - Illustrations : PAPOU
ĂŠpisodes
Le gardien des lĂŠgendes raconte...
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Le banian
Jadis, une femme aux longs cheveux noirs et crépus battait de toute sa vigueur l’écorce à tapa dans les vergers de l’astre blanc.
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Elle voulait en faire un tissu éclatant pour s’en parer de la tête aux pieds et ainsi – du moins le croyait-elle – épouser un Dieu.
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L’écorce vint à manquer. Désolée, la femme résolut de partir en forêt pour trouver de quoi continuer son ouvrage. Elle découvrit alors un arbre qu’elle n’avait jamais vu auparavant, il était gigantesque, dépassait tous les autres, et imposait ses ombres au sol lumineux.
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«Voici l’arbre qu’il me faut », se dit-elle, éblouie, en détachant un morceau d’écorce !
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Elle commença par les racines, puis découpa le tronc et tout ce qui était à sa portée, et enfin elle décida de grimper sur ses ramures.
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Alors qu’elle montait, son pied se posa sur une branche et la brisa. La branche s’envola dans l’espace...
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... puis retomba sur terre où elle prit racine. C’est ainsi que naquit le premier banian.
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C’est fini !
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la chronique de Pierre Humbert
Air du temps Ah ! Le théâtre ! Antique, classique ou moderne, de boulevard, engagé ou libéré, voire d’avantgarde, ce vieux mode d’expression est toujours plein de jeunesse grâce à (ou malgré…) Monsieur Racine qui l’a sublimé, Monsieur Rousseau qui le trouvait pernicieux, d’aucuns qui l’encensent, et d’autres qui, plus rares, l’ignorent. Beaucoup a été dit sur le théâtre, plus encore sur les acteurs, mais finalement beaucoup moins sur celui qui fait le succès ou l’échec d’une œuvre, et constitue donc une composante indissociable de cet art : cet élément particulier, affamé et curieux, détracteur inconditionnel ou laudateur impitoyable, souvent critique, dont Messieurs Addison et Marivaux, en d’autres temps, ont bien mieux parlé que moi, mais qui, finalement, malgré les modes et les incertitudes des temps change fort peu (notez bien que je n’ai pas utilisé le mot évoluer…), et qu’on nomme le Spectateur. à l’instant où il entre dans une salle où va être donnée une pièce, l’homo sapiens sapiens devient instantanément différent
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de ce qu’il était quelques secondes plus tôt, quand il vaquait à sa vie ordinaire. Par une étrange alchimie, dans ce mystérieux athanor humain, le spectateur devient, plus ou moins consciemment, mais instantanément, acteur, et une pièce se joue dans la salle, bien avant le lever de rideau. Le quidam, le notable et l’hurluberlu s’y côtoient, toutes les attitudes de la vie sociale, avec tous leurs excès et tous leurs comiques, s’y expriment, s’y étalent, et s’y exagèrent encore. Il s’y rencontre parfois l’accidentel, qu’on a réussi à traîner là en lui promettant les Dieux seuls savent quelles
merveilles, et qui se sent à sa place comme un lapin sur un vélo. Il inspecte la salle cherchant désespérément ce côté cour et ce côté jardin dont tout le monde parle et dont tout le monde ignore l’emplacement. Il ne lui faudrait pas grand-chose pour s’enfuir. Il voisine l’inconditionnel, qui est là pour la pièce et rien que pour elle, ou pour un acteur (trice), et rien que pour lui (elle). Il sait ce qu’il attend, se prépare à jouir du spectacle, et fait abstraction de tout ce qui n’est pas son espérance. Le chercheur d’abri, qui est là parce qu’il pleut ou qu’il fait froid dehors, se reconnaît à l’air soulagé qu’il affiche, avec le sourire content de celui qui arrive sous l’abri d’un porche après une traversée de rue éprouvante sous une pluie intempestive. Il est généralement dans le fond de la salle, reste debout pour être prêt à filer à la première accalmie de ce foutu temps pourri qui l’oblige à s’abriter n’importe où. Quand les trois coups du brigadier avertissent de l’ouverture imminente du rideau, on entend quelques timides « Ahhhhhh ! » de soulagement, que les regards courroucés des habitués, connaisseurs et inconditionnels étouffent dans la gorge des accidentels et des impatients. à l’entracte on se lève, et comme dans les avions, on attend que le flot se soit écoulé vers la sortie pour quitter sa place, se précipiter vers le bar ou aller fumer plus ou moins honteusement, cet acte politiquement incorrect étant presque partout répréhensible, ou encore s’enfuir, content de la fin de l’averse et rejoindre incontinent ses pénates ou son plus ou moins avouable but. à la fin de la représentation, les spectateurs, pas totalement dégagés de l’ambiance magique du lieu, sortent doucement, comme pour digérer les instants qu’ils viennent de vivre, et s’éloignent doucement, qui commentant l’événement, qui pensif, qui satisfait, qui peut-être déçu, vers son quotidien. Comme le disait si bien M . William Shakespeare : « Le monde entier est un théâtre. Et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs. Et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles ».
écrire en Océanie
écrire en Océanie Association, loi de 1901, écrire en Océanie a pour but la promotion de l’écrit, elle agit en collaboration avec des partenaires-relais qui ont à cœur chacun dans leur région, dans leur bibliothèque, dans leur école, dans leur maison, le développement de la culture de l’écrit.
écrire concours
n à vos plumes !
n « écrire son histoire »
bienvenue à...
n Les lauréats du concours Léopold Hnacipan
Waeleco ! « Pardon mon amour » Alain Camus
Bienvenue la vie, simplement la vie Noëlla Poemate
Histoire d’hier et de deux mains n élèves de 4e du collège de Rivière-Salée Lan Deì, matricule 1 052
Dominique Buzance/Calédolivres à NOUMéA n Maryse Llabador Bibliothèque de BOULOUPARIS n Gloria Cherifi FARINO n Bibliothèque de KOUAOUA n Monique Mapéri THIO n Bibliothèque de CANALA n Marie-Lyse Sako, Médiathèque de LA FOA n Jacqueline Hovereux, bibliothèque de MOINDOU n Sabine Kojfer à BOURAIL n Nadiège Hervouet à VOH n Amélence Darbois à KONé / POUEMBOUT n Secrétariat de la mairie de KAALAGOMEN n Yoan Bailly à KOUMAC n Bibliothèque de NéPOUI n POINDIMIé / TOUHO / HIENGHèNE / HOUAILOU Médiathèque du Nord n Luc Camoui à POUEBO n Françoise Wénéhoua à LIFOU n Mairie à BELEP n Alain Funel et l’Alliance française du VANUATU. L’association écrire en Océanie est soutenue par la province Sud.
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Tous nos remerciements vont vers eux.
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d à vos plumes ! écrire en Océanie lance du 1 er octobre 2009 au 31 mai 2010 le concours « écrire une nouvelle ! »
Article 1 : Le thème est libre. Article 2 : L’œuvre devra être écrite en langue française. La production est limitée à 6 pages A4.
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Article 3 : L’œuvre portera un titre mais ne sera pas signée. Sur une page annexe seront mentionnés le titre, le nom de l’auteur, son âge, son adresse mail et son numéro de téléphone avec la mention : « Si je suis lauréat, j’autorise écrire en Océanie à publier la présente nouvelle dans la revue épisodes Nouvelle-Calédonie. »
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avant le 31 mai 2010 minuit. Les manuscrits ne seront pas renvoyés, ils seront détruits.
au concours implique l’acceptation totale et sans réserve du présent règlement.
Article 5 : Deux catégories sont retenues : Jeunes de moins de 20 ans et Adultes.
Article 10 : L’association écrire en Océanie se réserve le droit de modifier ce concours ou de l’annuler si des circonstances extérieures l’y contraignaient. à bientôt.
Article 6 : Le jury sera présidé par Macate Wénéhoua. Il est composé de deux écrivains, d’un libraire et deux partenaires-relais. Article 7 : Les décisions du jury sont sans appel.
Article 8 : Les meilleurs textes seront annoncés par voie de presse et récompensés par une publication dans Article 4 : L’œuvre sera en- épisodes Nouvelle-Calédonie, voyée par courrier à écrire revue littéraire, avec photo en Océanie - BP 133 - 98812 et parcours des lauréats. Boulouparis ou à : ecrireenoceanie@mls.nc Article 9 : La participation
Pour écrire une nouvelle, des conseils et astuces vous sont donnés dans le numéro 1 d’épisodes déjà en kiosque.
concours
« écrire son histoire » Rien n’est plus émouvant, plus poignant, plus excitant aussi, que de découvrir de nouveaux auteurs, ici, chez nous. Écrire en Océanie, association loi de 1901, en a fait l’heureuse expérience avec le concours intitulé « Écrire son histoire ». Frédéric Ohlen qui me représentait au Silo 2009 a eu la joie de féliciter une deuxième fois Léopold Hnacipan, premier prix de ce concours, puisqu’il avait déjà obtenu le prix «Découverte» lors du premier concours de nouvelles « Écrire un jour ». Il a félicité aussi Alain Camus et Noëlla Poemate pour leur succès. J’aimerais vous parler des auteurs, ils sont tous les trois professeurs de français, Léopold et Noëlla exercent sur Voh, Alain vient de prendre sa retraite. Trois textes, trois styles, trois talents, trois nouvelles écritures et tout le pays qui va avec, Lifou, Voh, Hienghène, Nouméa, la vie des gens vue de l’intérieur, du cœur, la tribu, la ville, les événements qui nous ont tant marqués, les craintes, les peurs, les humiliations, la haine, la petite histoire de chacun confrontée à la grande histoire de tous. Je vais vous laisser découvrir Léopold Hnacipan, Alain Camus, Noëlla Poemate. Je les remercie d’avoir participé à ce concours qui nous donne à lire notre mémoire. Lisez les textes qui suivent avec attention et retenez le nom de leurs auteurs, on entendra parler d’eux ! Macate Wénéhoua,
1er PRIX : Léopold Hnacipan avec Waeleco ! « Pardon mon amour ». 2e prix : Alain Camus avec Bienvenue la vie, simplement la vie. 3e prix : Noëlla Poemate avec Histoire d’hier et de deux mains.
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Président d’Écrire en Océanie
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Waeleco ! « Pardon, mon amour » Léopold Hnacipan
En revenant des champs, Waeleco fut pris du désir qui le prenait chaque fois lorsqu’il se trouvait seul avec moi. Je le suivais avec le panier d’ignames accroché sur les épaules. Je ne soupçonnais rien de ce qui trottait dans la tête de mon mari. Ce genre d’envie naît dans la tête de chaque individu. Il faut soumettre ensuite à qui de droit. Arrivés au croisement des chemins du caillou plat, mon mari me fit passer devant lui, pour me soulager de mon panier d’ignames, avais-je pensé. « Alors ma belle, me dit-il, cette fois nous n’allons pas arriver très vite à la maison. J’ai une envie folle de toi. » Je savais qu’en pareille situation, aucune autre alternative ne m’était laissée. Comme avis, je reprochais seulement à mon mari de toujours être la cause de nos retards à la maison. « Mais que va dire ta sœur de tout cela, à chaque fois que nous allons au champ, il faut toujours que nous arrivions à la tombée de la nuit. Et les enfants, il faut les baigner. Et la mémé, qui c’est qui va lui donner ses cachets ? En plus je suis sale. » Waeleco n’entendait pas les indélicatesses que je lui lançais depuis que nous avions quitté le caillou plat. Sans paroles et comme une automate je m’allongeai sur le lit de branchages que mon mari avait cassé en même temps que nous sortions du sentier principal. D’autres personnes qui rentreraient tard des champs comme nous, nous surprendraient. Je soulevai ma popinée et ma jupe. Il n’y avait rien en dessous de la robe que je pris soin de ramener au niveau du fessier. Je m’offris. Mon homme ne faisait plus attention aux petits bois qui le piquaient de partout, ni même aux lianes qui lui retenaient le pied. Telle une bête prise au piège, Waeleco remuait tout son corps pour se soulager de ce désir qui l’oppressait. Moi, je ne bougeais plus ou plutôt je bougeais de tout
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mon corps. Je m’impatientais fort que le supplice prenne fin. Ma tête rentrait tantôt dans l’herbe sèche tantôt dans les fougères. Je grimaçais sous l’emprise de la douleur. Par moments je suppliais mon mari d’aller vite parce que j’avais mal au dos. Des racines rentraient par les branchages et me piquaient le corps. Je ne pensais même pas à tirer partie de l’acte qui s’accomplissait sur moi. Dès que son désir fut consommé, Noël se retira pour me presser de partir. « C’est vrai il faut vite rentrer à la maison. » Il me repoussa contre terre, se releva et enfila l’autre jambe du pantalon qu’il n’avait pas tout enlevé. Debout, il huma l’air du soir qui tombait. Il ne jeta même pas un regard vers moi comme si cet acte de tendresse ne méritait aucune attention, pareille à une vulgaire autre tâche de la vie quotidienne. Je m’essuyai alors avec ma jupe tout en me relevant. La femme chez nous ne doit jamais rien vouloir. L’amour une nouvelle fois m’avait encore fait mal. Il me fallait tout supporter de l’exercice sans en tirer le moindre plaisir. Le choc amoureux des tous débuts de notre rencontre s’était envolé, exactement comme cette jouissance avait giclé hors de mon homme. Éphémère. Waeleco ne m’avait même pas regardé. Il n’avait même pas fait cas de mes sensations. à quoi bon ? Je lui devais tout cela. Le clan m’a payée. Il faut donner le retour.
Hna Mon homme avança le premier vers le carrefour des sentiers, il s’assit sur une souche et attendit. Je tardais de venir. Je fignolais ma besogne. Alors, il sortit son paquet de cigarettes méconnaissable parce que froissé dans la poche de son pantalon. Il tira quelques bouffées de fumée et gloussa. Son habitude, lorsqu’il veut me presser de partir. Le crissement des feuilles
bienvenue à...
à une heure indue. Il faut toujours plaire à la belle-famille et surtout les sœurs, les tantes et leurs enfants qui viennent se servir à la maison. Il faut sortir la robe neuve gardée amoureusement dans la valise, dans le fond de la valise. Ma valise. Montrer que je n’ai pas peur de donner. Donner ; voilà le mot d’usage. La coutume. Se donner. Vers 21 heures, je sursautai sur la chaise. J’étais assise devant la télé de la cantine de l’école. Je m’étonnai. Le petit frère de mon mari m’avait frappée à l’épaule pour me sortir de ma léthargie : « Marie, lis l’info qui se déroule au bas de l’écran. Jean-Marie est mort. » Je cherchai la télécommande en dessous la télé, en fronçant bien mes sourcils. Je ne comprenais rien à ce que Baly venait de me dire, en plus il était déjà parti dans la case pour réveiller Waeleco qui arriva même sans tarder. Les deux hommes entamèrent alors une discussion politique très sérieuse, et mon beaufrère par moments montait le ton avec sa fougue de jeune intello qui débarquait de la mère patrie pour une recherche universitaire. Voilà que le reportage que nous suivions fut interrompu. Le journaliste apparut et personnifia l’information que la régie avait fait dérouler il y a déjà quelques minutes. Mon cœur s’étouffa. Le monde s’arrêta de tourner. Tout autour de moi fut noir. Les étoiles faisaient leur apparition, il y en avait de grosses, des petites et de toutes les couleurs. Des étoiles filantes même, traversaient toute la galaxie de ma nuit étoilée. Ma tête tournoyait toujours, alors que la cantine de l’école désormais devint la caisse de résonance à ma voix qui ameuta tout le voisinage. Mais tous les gens eux aussi, avaient la télé et ils apprenaient la nouvelle en même temps que nous. Personne n’accourait. Ils savaient que je pleurais Jean-Marie. Je suis la seule femme de Grande-Terre à la tribu. Même si je ne suis pas de la même tribu que Jean-Marie, nous, les gens de la Grande-Terre sommes famille, comme eux, les Drehu à Momawé. Une haine inexprimable envers les gens des îles monta du fond de moi et me prit à la gorge. Je me mis
acipan
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mortes le fit se retourner. J’arrivais. Il faisait presque noir. Dans le ciel, quelques apparitions. La lune montait, les étoiles attendaient. La terre fumait. Le brouillard recouvrait peu à peu le paysage. La fraîcheur se joignait aux senteurs des fleurs qui s’exhalaient. La beauté comme au premier jour de l’humanité. Sur les cimes des arbres les roussettes une à une se posaient lourdement. Fenehmena les regardait. On pouvait aussi les entendre battre fortement des ailes et jeter leur « cokilak » se disputant les fruits du banian. Ces bêtes-là, puent très fort. Surtout le mâle. L’odeur de l’accouplement. Sa femelle ne doit sûrement pas faire beaucoup d’effort pour le dénicher à des lieues à la ronde. La femelle et son mâle qui se cherchent, se trouvent et copulent sur le même arbre, la même branche, la même nuit. Ils n’ont pas eu à se retenir ni reporter leur désir. Ils n’ont pas eu à se décliner leur rang social ni la lignée parentale ni trouver un endroit bien à eux tout seuls pour s’accomplir. Ces bêtes, ces races de chien à l’envers. Waeleco, lui, a passé deux mois en tout pour être un homme entier. Moi, je suis de Poindimié, du nord de la Grande-Terre. L’aînée de la famille de son père a fait le choix : la tante. La matrice. Fenehmana ne m’a jamais vue auparavant. On ne choisit pas. On se contente d’aimer pour plaire à tout le monde. « Il faut aimer Poawé, même si elle est de la GrandeTerre. D’une autre culture. » C’était la parole donnée depuis la cérémonie de demande en mariage. S’aimer. Mais qui sait aimer autrui sans le connaître ? Quelle vie de sacrifice pour ne pas dérégler l’équilibre de la société ! à la maison, nous n’avons pas d’endroit pour nous, sinon la case. Mais la ruche n’abrite pas que la reine à féconder. Toute la maisonnée couve aussi les autres membres du clan. C’est déjà dit pendant la cérémonie du mariage. De toute façon, « Poawé n’a rien à envier, elle a été payée pour donner naissance dans le clan et aussi servir tous ses membres ; même les plus éloignés ». Le cousin par alliance qui remonterait à des générations, pouvait aussi exiger de mes services, sauf le lit. Je dois aussi me lever la nuit pour lui faire à manger. Même
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alors à lancer des paroles injurieuses à mon la hauteur de la barre d’estimation à sa juste mari et à son frère. Je les traitais de tous les valeur lorsque je me retrouverais devant Baly. noms. Je recherchais les mots virulents qui Je devais le défier. Pas une grande bataille, il puissent leur couper la respiration comme ils m’avait déjà compris bien avant. Mon beauont fait à mon frère. Je n’y arrivais pas parce frère, il n’est pas bête. Je sortis. J’emboîtai le que Waeleco continuait de toujours me faire pas de Fenehmana. « Quoi ? Quatre heures ? » des gestes dans la vapeur collée à la paupière M’étonnai-je en regardant l’horloge au fronton de mes yeux, comme dans un rêve. Tantôt il du clocher de l’église. « Mais oui, Maman, tu me poussait, tantôt il me retenait. Il s’agitait. as bien dormi. » Silence. « Les Gomen sont arOn m’expliquerait plus tard que je m’étais rivés tôt ce matin de Xodre. Ils sont venus à mise à frapper mon mari. Il m’attrapait seula maison. Madame Pasteur a pris Wawa. La lement. Je lui en voulais énormément et à son tante des enfants l’a récupérée après. » petit frère. J’étais prise dans cette fratrie au milieu de ma tourmente. Je pleurais, je vociférais, Sur la route, peu avant de passer le portail je hurlais de toutes mes forces. d’entrée de la maison commune, les pleureuses Le matin, je me réveillai toute seule, pennous rejoignirent et parmi elles, la femme de sai-je, dans la case. La maisonnée était calme. Pasteur, Utë. Elle tomba dans mes bras et on Personne. Même Waej n’était pas se mit à pleurer notre frère Jeanà mes côtés. La belle-sœur était Marie, ensemble. On s’enlaçait venue la chercher. La belle famille cris contre cris et larmes contre voulait me laisser seule. Je le salarmes. Les femmes des Drehu ... Waej était vais. Quand je sortis de la case nous entouraient, elles pleuraient pour me laver le visage au robinet aussi avec nous. Elles nous soutetrop petite pour du réservoir d’eau, j’aperçus Waej naient. La marche funèbre fit son que je parte dans les bras de sa tante sous la entrée vers la maison commune tonnelle de fruit de la passion. où tous les notables attendaient. avec elle... « Tantine, bébé est avec moi, je Quand la procession arriva sur suis venue la chercher parce que les nattes, la petite fille de Pasteur j’ai entendu la nouvelle. Le papa nous fit nous relever pour aller de Wawa est à la maison comnous asseoir au côté de nos maris. mune avec toute la tribu. Va. ReWaeleco et Pasteur étaient sur un pose-toi. » même banc dans un coin de la villa ouverte. Je m’essuyai le visage et je retournai raNous les femmes et nos filles nous asseyions pidement dans la case. Je repensai alors à la sur des nattes prévues pour la circonstance. veille dans le réfectoire de l’école. Le visage Les îles firent le geste de pardon à la de Jean-Marie me revint alors en force. Mes Grande-Terre. Le porte-parole de la grande larmes coulaient et se vidaient. Je me vidais chefferie de Mou, qui avait fait expressément aussi. Avant que je m’endorme tout à fait, le le déplacement, ouvrit la cérémonie coutupapa de mes enfants refit son apparition à mière. « Honte à nous les Îles. Nous rampons mon chevet. « Mariwe, je suis déjà venu te voir pour implorer votre pardon. Et... » J’étais ocbeaucoup de fois pour te chercher, les gens de cupée à pleurer mais son discours était aussi la tribu veulent te faire un geste pour ce qui entrecoupé de spasmes et de bribes de paroles s’est passé à Iaai. Pasteur de Gamaï, il est aussi que j’avais du mal à comprendre. Imperceplà-bas avec sa petite famille. » Je ne parlais pas. tibles. Il pleurait lui aussi. Tous comprenaient Je restais très silencieuse parce que j’avais aussi que la situation était intenable. Seul le silence honte de ce que j’avais fait la veille en appreétait ce jour-là vers quoi notre effort tendait. nant la nouvelle. Une honte teintée de peur Chacun s’appesantissait sans bruit. Après le me gagnait aussi parce que je devais remettre discours de la grande chefferie, vint le temps du
Hna
bienvenue à...
Il fut alors décidé que Pasteur et quelques paroissiens de Hunöj se rendissent à Nouméa pour les obsèques de Jean-Marie. Aux dernières nouvelles, il n’allait plus y avoir de places sur les vols réguliers de la compagnie aérienne. Cela ne posait pas de problèmes pour nous autres parce que le dernier fils de la chefferie du Lössi nous amenait sur la Grande-Terre sur son bateau. Waej était trop petite pour que je parte avec elle. Je décidai de rester. Depuis le départ de Pasteur et de sa famille pour Xodre, je n’étais plus retournée à la maison commune pour revoir les gens de la tribu. J’étais restée allongée à côté du feu avec ma fille. J’attendais mon amour. Je me sentais comme soudainement unie fortement à Waeleco. Tous les faits et gestes et mon passé d’un seul coup revinrent en force dans ma mémoire, même les détails de la vie que l’individu avait décidé d’enfouir dans les parties les plus cachées de l’être. Je me rappelai alors des souffrances que je faisais endurer à mon mari lorsque je lui refusais un petit service. J’avais encore ces envies de pleurer. Cela me rendait
encore plus souffrante. Après nos ébats pour nous demander pardon l’un à l’autre, au milieu de la nuit, par moments, je pouvais sentir les doigts de mon mari me glisser dans les cheveux. Mon vieux ne parlait pas. Il me regardait. C’était tout. Au fond, il pleurait. Il se levait de temps à autre pour faire repartir le feu en poussant les bûches dans le foyer. Son regard alors, fixait les flammes qui montaient de la cendre. Les flammes dansaient aussi dans le fond de ses yeux. Le crépitement de la braise se confondait par moments avec mes pleurs. Après cette coutume de pardon, le froid ne gagnait plus le fond de chaque individu dans la case. La coutume que les gens de Hunöj avaient laissée pour partir en Grande-Terre, était restée au pied du poteau central à côté de la lampe à pétrole éteinte, comme une vulgaire boîte d’allumettes. Une liasse d’un montant de trois cents mille francs en billets enroulés et ficelée à l’aide d’une fibre végétale. à côté, des rouleaux de tissu. Aucune parole n’était prononcée dans la case. Fenehmana, Wawa et moi-même savourions instant après instant ce moment d’intense communion jusqu’au premier chant du coq avant le jour. Nous nous endormîmes. d
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contre-don. Le pasteur de la tribu de Gamaï, qui professait à Xodre en ce temps-là, se leva et déclama le discours. Un discours très attendu des gens de la tribu. Personne ne parlait. Le temps s’était arrêté et l’attention suspendue aux mouvements des lèvres du discoureur. Ses paroles tombaient une à une dans mon cœur comme un remède sur une plaie. Réconfortant. Pasteur sait communiquer au cœur de chaque être. Dieu, ce jour-là était descendu sur Terre. Et ce samedi soir, il était venu jusqu’à moi, là où il devait être. Alors, je sentis une poussée, une satisfaction profonde m’envahir par dedans. Exactement comme mon amour se libérait de ses désirs. Palpitant. La rancœur virait. Je m’en voulais de violenter mon mari. Je m’en voulais aussi de détester les gens des îles. Je pleurais mais plus seulement pour mon frère. Je pleurais aussi sur mes ennemis, enfin je ne savais plus. J’étais confuse. Les visages de Jean-Marie et de Waeleco s’entremêlaient dans ma tête. J’aimais très fort ces deux hommes dans ma vie, mais pas pour les mêmes raisons.
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Bienvenue la vie, simplement la vie Alain Camus, récit de Lucie Woin’hibate
Après la naissance de ma grande sœur, mes grands-parents maternels souhaitaient que vienne au monde un garçon afin de l’adopter… et c’est moi qui suis arrivée… Je ne dois pas être la seule dans ce cas mais cette venue inattendue a peut-être été un petit signe du destin, comme un cadeau imprévu qui m’a rendu la vie toujours bienvenue, tous bonheurs et malheurs confondus... Ainsi je ne me souviens pas avoir souffert d’aller à l’école ; il fallait se lever tôt, c’est vrai, mais une fois ce pas franchi tout était facile. C’était à la fin des années soixante et dans les années soixante-dix, on partait de la tribu de Ganem pour rejoindre l’école de la mission de Ouare, on faisait tout le chemin à pied. On était petites, ma grande sœur et moi, mais il fallait prendre le sac de linge et puis le sac de nourriture avec les taros, les ignames et le reste, et en avant ! En route, la petite troupe du départ grossissait au fur et à mesure qu’on avançait ; c’était la montée et la traversée du village de Hienghène, puis la descente qui nous entraînait, petits porteurs de baluchons bien lourds qui pesaient sur nos jeunes jambes dont les talons tentaient de freiner la course accélérée, puis l’ascension du grand col, tôt le matin avec tout ça sur le dos mais on ne se plaignait pas. Au contraire, on jouait, on chantait, on riait, on plaisantait avec les cousins et les cousines ; on partait pour la semaine mais on n’avait pas le cœur gros. On ne voyait pas le parcours, c’est comme ça quand on est petit, on faisait juste attention d’arriver avant les cours qui commençaient à huit heures, je crois. Il faisait noir, très noir, on partait toujours à la nuit,parfois le matin ou parfois le soir, ça dépendait ; normalement on faisait le chemin
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le dimanche soir mais, quand il y avait des fêtes ou des coutumes à la tribu on prenait la route le lundi matin de bonne heure. Une fois arrivés à la mission on mettait nos provisions dans des trous creusés dans la terre pour ne pas qu’elles sèchent, on les regroupait par catégorie de tubercules : manioc, taro, igname... mais pas par famille comme du temps de ma mère où chacun inscrivait son nom sur les sacs ; nous, c’était tout en commun, les provisions de tout le monde. Après, les activités commençaient : prières, cours, prières, repas, et ainsi de suite… tout était du plaisir ; bien sûr on s’appliquait, on faisait des efforts mais ça ne nous coûtait pas, on ne guettait pas les heures de récréation non, on était bien, moi en tout cas j’étais très bien. Les journées passaient, puis la semaine se terminait, on repartait à la maison contents et on revenait deux jours après avec le même contentement, du moins pour moi c’était comme ça. Dès les premières classes, j’étais toujours fourrée dans les jupes des religieuses, je voulais être avec elles partout où elles allaient, à la cuisine surtout ; je ne les craignais pas et elles me trouvaient facile, pas turbulente. Alors, au lieu de me renvoyer avec les autres, elles m’ont acceptée et, peu à peu, elles m’ont donné des petites tâches à accomplir : remplir une gamelle d’eau, aller chercher un ustensile, éplucher, découper… d’année en année, je participais de plus en plus aux tâches de préparation. Si bien que vers la fin du Primaire, quand il manquait une ou deux Sœurs ou bien des cuisinières, c’est moi qui préparait le repas presque toute seule : je me souviens de ces grosses marmites
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dans lesquelles je versais des kilos de pâtes, ou des tubercules que je faisais cuire et recuire, avec sérieux et application comme une vraie cuisinière pour toute l’école... Quelle fierté, et quel bonheur que ces souvenirs-là, sauf un, un seul mauvais moment parmi tous ces bons moments de l’école. La mission se trouve en bord de mer et là, tout au bord, il y a des rochers qui d’ailleurs servaient aussi bien de cachette que de toilettes. Un jour, c’était un jeudi, des garçons y sont allés et ont inscrit et gravé, à la craie ou avec des cailloux, des graffiti, des mots qu’on n’a pas l’habitude de dire ou d’entendre chez nous. C’étaient des gros mots pour draguer ou pour insulter des filles, avec leurs prénoms et des grossièretés sur elles. Très vite cela a été découvert et leurs auteurs ont été trouvés. Le lendemain J. B. et F.C., les maîtres, sont arrivés à l’école avec un bois de caféier à la ceinture, il les ont posés, le bois et la ceinture, sur la table, et là on a tous deviné la suite... Les maîtres sont sortis avec les coupables et les garçons ont passé un sale quart d’heure ; frappés avec le bois et la ceinture, ils ont pleuré, pleuré, pleuré… Chez nous on suit tous les chemins généalogiques, alors on est tous cousins et cousines, entre nous on ne doit pas se dire des grossièretés, on se respecte, c’est pour ça qu’ils méritaient la correction que les maîtres leur ont donnée ; mais nous les filles on pleurait aussi, presque plus fort qu’eux, on partageait la souffrance de nos cousins, les pauvres... Jamais je n’oublierai leurs pleurs ni leurs visages après la punition, ce sont une musique et une image qui s’accompagnent dans ma tête ; je devais avoir onze ou douze ans, c’est mon seul mauvais souvenir d’école et peut-être même de ce temps de mon enfance. Après l’école de la mission, je suis allée au collège de Touho ; une voiture nous descendait jusqu’au village puis on prenait le bus.
manœuvre ; il a participé à plusieurs travaux comme les conduites d’eau pour alimenter le village, et son dernier chantier avec une entreprise de Nouméa, N’G., fut le dispensaire, celui qui existe encore maintenant. Et puis, il ya eu de moins en moins de travaux, de chantiers, moins de constructions à faire alors il ne gagnait plus d’argent . Ma sœur aînée vivait à Nouméa, elle n’avait pas trop l’esprit « famille », j’étais la deuxième et quatre enfants après moi allaient encore à l’école. Je voyais les difficultés qu’on traversait et papa qui s’était mis à boire plus régulièrement. Avant, quand il était en activité, il buvait déjà un peu mais, quand il touchait sa paye, il achetait tout ce qu’il fallait pour la maison, même s’il rentrait saoul du magasin. Bien sûr on ne s’offrait pas des « cochonneries » comme il disait, des jouets ou des bonbons, mais on avait le linge et la nourriture qu’il fallait. Mais cette année-là, vers 1980, on ne pouvait même plus s’offrir le nécessaire, ni payer le car. Personne n’a eu besoin de me dire quoi que ce soit, j’ai décidé toute seule : c’est surtout le financement qui m’a fait arrêter le collège, pas mes parents ni personne. Alors je me suis consacrée aux travaux de la maison et des champs, ce que je faisais déjà quand j’étais à l’école, mais là mon rôle est devenu plus important, surtout que papa est tombé malade et qu’il ne faisait plus rien. J’allais même à la pêche toute seule ; c’est lui qui m’avait appris, c’est toujours moi qui allait avec lui, alors la ligne, l’épervier, la senne, ils n’ont pas de secret pour moi. Même maintenant les gens s’étonnent que je sache pêcher et réparer les filets et moi ça me fait rire ; c’est l’apprentissage que j’ai eu avec mon père, le savoir qu’il m’a laissé. Donc me voilà à la maison et aux champs. Débrousser, butter, nettoyer, arracher, ça ne m’a jamais fait peur, ça n’a jamais été une corvée, j’ai toujours aimé ça ; ce sont des activités naturelles, agréables qui rythment le temps. Bien sûr, là encore il fallait se lever tôt, et maman disait, comme elle le disait à l’époque de l’école : « Le soleil va vous attendre pour sortir de la mer ? » ou bien : « Il fait encore nuit dans votre lit ? » Alors je me levais et en
amus Là aussi, j’étais pensionnaire et bonne élève, ça me plaisait bien. Mais en cinquième je n’ai pas fait toute l’année, j’ai arrêté car on n’avait plus les moyens. Jusque-là, mon père travaillait dans des petites entreprises comme
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route pour les champs, pour le travail quotidien, pour la vie de la famille…
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Entre les champs et la maison j’allais et venais dans le village avec mes cousines ; un jour, en passant devant le magasin, R.F. le gérant interpelle notre groupe et demande s’il y en a une qui veut venir faire le ménage au magasin. Le lendemain j’y suis allée, j’étais peutêtre la moins timide ou la plus « ouverte » ; j’ai proposé mes services et il a accepté. à partir de ce moment, quelques mois après l’arrêt du collège, j’ai travaillé à la S. C. jusqu’aux événements. Le magasin se trouvait en face du dispensaire, à côté du dock de la Mairie. En plus du ménage, je me suis vite occupée d’un petit garçon paralysé à la suite d’une chute de cheval, que R. et J. F. avaient adopté et qu’ils élevaient comme leur fils. Il devait avoir huit ans et moi seize ; j’étais loin de me douter que ce garçon fragile et gravement blessé, P. F., allait devenir un de nos champions de Sport Handicap. C’était mon premier travail en dehors de la maison, mon premier emploi salarié : femme de ménage. Aujourd’hui je continue à entretenir des maisons et je tiens encore compagnie à des personnes qui en ont besoin, parfois bénévolement. J’ai suivi jusqu’en 2009 la route que j’ai prise en 1980 ; cela m’amuse d’y penser, j’y trouve aussi du plaisir, comme une longue fidélité. à l’époque c’était une nouvelle activité, une occupation à découvrir, une autre manière d’occuper la journée et « d’habiter le temps », un nouveau mode de vie, mais je ne ressentais pas la contrainte du travail. Sauf peut-être à deux moments : celui du réveil et celui de la paye. Mes premiers patrons étaient gentils, d’ailleurs je ne les considérais pas comme mes patrons, je n’avais pas l’impression qu’ils me commandaient ni que j’obéissais. C’étaient des gens, des personnes, c’est tout, elles avaient besoin de moi et moi d’elles. Je ne sais pas l’expliquer mieux, mais c’est ce que j’éprouvais et c’est ce que j’éprouve encore maintenant, vingt-neuf ans après, pour mon « travail » et mes « patrons » d’aujourd’hui. J’ai été à leur service pendant quatre ans,
d’abord à mi-temps puis à temps complet, jusqu’à ce que leur magasin brûle en quatre vingt-quatre, et je ne me souviens, avec eux, d’aucun conflit, d’aucune colère, d’aucune lassitude. Je recevais un salaire mensuel et j’avais un compte, un crédit au magasin, on me payait la différence. J’avais pris en charge les frais de la maison car papa ne touchait qu’une petite retraite ; pour moi j’achetais du linge, c’est tout. Mais quand on faisait des fêtes à la tribu, « la bringue », et il faut dire qu’on en faisait souvent, c’est moi qui payait à manger et à boire mais pas les cigarettes. C’est dans ce magasin que Gustave venait faire ses courses, celui qui sera mon premier amour et mon premier compagnon. On s’est connus en quatre-vingt-un et on s’est mis en concubinage en quatre-vingt-quatre. Ses parents étaient mélanésiens mais, comme on disait, ils « faisaient comme les Blancs », ils se « gonflaient », car il paraît que le père avait été reconnu par un « petit Jean », un européen ; ils vivaient au village et ni les parents ni les sœurs de Gustave ne voulaient entendre parler de filles mélanésiennes à la maison. Du côté paternel, ils avaient rompu tout lien coutumier et c’est par moi, par mon influence et celle des vieux et des vieilles, en venant à la tribu où je les invitais souvent, car je suis très coutume, que Gustave, ses frères et même ses soeurs sont retournés vers leur clan et ont renoué le contact. Gustave travaillait pour une compagnie d’électricité et louait une maison dans le village. Sa mère était catéchiste et les cours avaient lieu chez eux ; et c’est là que l’on s’est croisé, dans la cour, moi je repartais et lui il revenait d’un entraînement de foot ou d’une répétition de musique. Je me suis demandé : « C’est qui ça ? » et c’est tout. Après j’ai entendu parler de lui, qu’il avait un travail bien payé, une BMW, qu’il était riche, alors j’ai pensé : « ... et moi toute petite, qui ne suis rien... » Il descendait régulièrement au magasin, et c’est une tante, Faloune, la tante à J.M.T., qui m’a mis la puce à l’oreille : « Celui-là il veut rester avec toi, me répétait-elle tous les jours, je le vois bien .» Moi je sympathisais mais je n’avais pas l’intention de faire ma vie avec lui ; je ne
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Il me fit partir dans le sud car il craignait pour moi mais je revins vite, deux jours plus tard, pour les coutumes de deuil. Je fus considérée pendant quelque temps comme une pestiférée placée dans le mauvais camp, alors que je n’étais dans aucun camp ; mes cousines me fuyaient quand elles me voyaient arriver, on ne voulait pas me parler. J’en souffrais, on était allé à l’école ensemble et on se croisait tous les jours, mais je n’avais pas de haine, je ne leur en voulais pas. Maintenant quand on se revoit, que l’on discute, ou bien quand quelqu’un me sollicite pour un chemin coutumier, devrais-je leur rappeler la brebis galeuse que j’étais pour eux ? Non, même si un petit sourire moqueur vient se loger à l’intérieur de moi, je ne dis rien, je n’en ai pas envie, ce n’est pas ça la vie. Ensuite ? Nous avons continué à vivre en concubinage à Hienghène, Gustave a témoigné
au procès des accusés de la Tiendanite, nous avons adopté, huit mois après sa naissance, la fille d’une de mes cousines, mère célibataire, en quatre-vingt-huit ; elle est toujours avec moi et elle prépare son bac. Après c’est une autre histoire, au-delà de quatre-vingt-dix : la mutation de Gustave à La Foa où je l’ai rejoint, sa maladie et sa mort, et mon arrivée avec ma fille à Nouméa où j’ai continué à faire ce que je sais faire : entretenir les maisons. Comme une fée du logis me dit un de mes employeurs, une fée souriante et qui aime la conversation, ajoute-t-il. Depuis des années j’ai les mêmes « patrons » et je les connais presque aussi bien que les pièces de leur habitation. J’ai un compagnon, un Polynésien avec qui je me suis mariée cette année. J’ai toujours ma foi aussi, comme si j’étais restée dans les jupes des religieuses depuis mon enfance. La vie est bienvenue quoi qu’il arrive et peut-être faut-il le dire plus souvent ; c’est pourquoi, alors que les Mélanésiens ont la réputation de ne pas aimer parler d’eux-mêmes, aujourd’hui, moi la Mélanésienne, Lucie par mon nom de baptême et Woin’hibate du nom de ma terre clanique, je parle à ce petit magnétophone, pour que cet homme-là, en face de moi, celui qui me connaît et à qui je fais confiance, écrive mes paroles avec ses mots mêlés aux miens. Et même s’il n’écrit pas tout, si par respect et discrétion il en garde pour lui, au moins j’aurai dit et il aura écrit un peu de cette vie, la mienne, juste quelques petits bouts de ce que j’ai vécu jusqu’ici. Par souci d’anonymat, certes partiel, l’écrivant a choisi de ne faire figurer que les initiales des noms propres. Tous les noms correspondant à ces initiales existent rééllement. d
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comprenais pas bien ce que voulait dire F., je ne savais pas quand ou comment on se rend compte que c’est sincère entre un homme et une femme. Et puis cela s’est fait, malgré sa BM, l’avis de ses sœurs et nos sept ans d’écart, simplement, sans coutume, juste avec les regards, les mots et les gestes des amoureux, la vieille Faloune avait raison. On vivait chacun chez soi, on se voyait quand on voulait et j’invitais souvent sa famille à la tribu. Bientôt, au village, les réunions politiques ont été plus nombreuses, les discussions et les désaccords aussi ; moi je n’y faisais pas attention, j’étais naïve sans doute et ça ne m’intéressait pas. Ensuite l’année quatre-vingt-quatre est arrivée ; en mars nous nous sommes mis en concubinage, au village, dans la maison qu’il louait. C’est à cette époque que les « événements » ont commencé : le bateau en construction et la maison de C. J., face au Collège, partirent en fumée, puis ce fut le magasin de R. et J. F. où j’avais travaillé, et enfin surtout le terrible attentat de la vallée de la Tiendanite. Gustave était soupçonné de complicité mais il resta au village, sûr de son innocence ; les gens perdaient la tête, ne savaient plus comment distinguer leurs amis de leurs ennemis, on parlait beaucoup, tout le monde était suspect.
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Histoire d’hier et de deux mains... Noëlla Poemate
Il faisait beau ce jour-là, même un peu trop chaud. Le silence avait envahi la tribu et s’accrochait aux branches des kaoris, des letchis, des bois noirs et des grands sapins qui s’élevaient tels des cerbères impassibles dans la cour de la maison. Les cordylines aux feuilles tachetées se mêlaient aux colombos et autres plantes que ma tante avait arrangées avec soins : ce panel de couleurs était un régal pour les yeux. Mais ce matin-là, ce n’était pas cela que j’observais, tapie derrière l’imposant tronc du kaori centenaire, qui se trouvait à l’entrée du chemin de terre qui serpentait jusqu’à la maison... Autrefois, des Chefs avaient foulé ce sol... Autrefois, des chefs avaient assis leur pouvoir à l’endroit où se déroulait le spectacle que je regardais... Oui, c’était bien là le problème... Autrefois... Ce jour-là, le sol sacré de mes Ancêtres fut violé par la Milice Bleue. Fiers et sûrs d’eux, cachés derrière le masque de leurs uniformes, ils imposaient leurs quatre volontés... Dans la maison de tôles rouillées par les pluies de janvier, au milieu du salon, cernée par deux gardes mobiles, ma tante assise à même le sol, les cheveux en bataille, pleurait à chaudes larmes. La peur avait pris les traits de son visage et dans ses yeux rivés par terre, je tentais de percer ses pensées. Elle pleurait et mon coeur serré d’angoisse ne comprenait pas... Ils voulaient savoir où se trouvait mon oncle. Ils voulaient savoir où il « planquait » ses armes, ses munitions, s’il n’avait pas d’autres armes dangereuses. À les écouter, on aurait dit que mon oncle faisait partie du
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grand banditisme, qu’il était un dangereux trafiquant, qu’il dissimulait peut-être entre les lianes folles, les bananiers, les maniocs, dans les billons d’ignames, tout un arsenal... Qui plus est, mon oncle s’était enfui alerté par un guet siffleur, qui en voyant venir la jeep des Mobiles, avait donné l’alerte. Et ma tante ne savait que répondre (elle connaissait les consignes, pour en avoir parlé, parlé encore et encore autour du feu sous la grande case). Elle hoquetait, marmonnait des « ch’ai pas » entre deux sanglots. Je ne savais pas ce qui la faisait le plus pleurer : la peur de ces bonhommes en bleu ou le fait de ne pas savoir où se trouvait son mari. Était-il à l’abri ? Les questions incessantes devenaient oppressantes et les Bleus voulaient des réponses, ils étaient prêts à tout pour parvenir à leurs fins... Le vent se leva et fit gonfler les rideaux en tissu dans la pièce dénuée de meubles, ils retombèrent lentement, quand la claque que décocha l’un des gardes mobiles vint s’écraser sur le visage déjà gonflé par les larmes de ma tante. La douleur crispa son visage, mais la fierté l’empêcha de crier. Je sursautai moi aussi et me cachai un peu plus derrière mon abri de fortune. Un silence de plomb s’abattit alors, comme si le vent, les merles, les grives et les autres oiseaux compatissaient à la douleur qui se faisait pesante. Comme s’ils ne voulaient pas assister à ce spectacle désolant. Moi, je ne voulais pas fermer les yeux et mon coeur photographiait ce que mon cerveau ne comprenait pas. Il n’y avait que ce Blanc étouffant
qui paraissait soudain envahir la pièce et les des arbres et moi je n’entendais qu’un seul alentours. Ce Blanc pâle qui gommait les son. Assourdissant. Presque étouffant tant pétales violacés et orangés des géraniums tout cela avait été presque irréel. C’était qui poussaient deçà delà, ce Blanc farimon coeur... Mon cœur qui battait la chaneux qu’une paire d’yeux perçants et bleus made. Mon cœur qui étouffait, compressait portait. Je pensais à mon oncle. C’était un dans ma poitrine d’enfant. Je ressentais une homme trapu au sourire doux et au rire prochose que je n’avais jamais connue jusqu’à pagateur. Il était « l’homme à abattre » ! Les présent. Un sentiment bizarre, qui s’est imchasseurs avaient lâché leurs planté telle une mauvaise graine molosses, mais le renard avait dans les entrailles de mon petit été plus rapide qu’eux. Et ils en corps chétif. La haine envers ... il est rare de bavaient de rage ! Et ma tante eux, la haine de l’uniforme, de en payait les frais... Il est difficeux qui représentent une jusvoir des gestes cile de voir chez les Kanak des tice à double tranchant, la haine de tendresse gestes de tendresse : alors que au visage déformé avait imcertains se prennent par la main planté ses graines dans mon esou des preuves et que d’autres n’hésitent pas à prit, dans mon cœur, dans mon s’embrasser en public pour crier corps... Ce jour-là, en quittant la d’affection... à la face du monde qu’ils s’aimaison, ils n’avaient pas laissé ment, chez nous, il est rare de que de la poussière, ces genvoir des gestes de tendresse ou darmes aux yeux bleus... des preuves d’affection. Mais aujourd’hui, Les années ont passé... J’ai grandi... Dans je voyais qu’il était grand l’amour que ma les années 90, j’avais neuf ans. Aujourd’hui, tante portait à mon oncle, qu’il était puisj’en ai vingt-neuf mais ce sentiment n’a pas sant le lien qui les unissait et je voyais là vieilli. Il déploie ses lianes, lorsque je ressens aussi, la force d’une femme qui aime et qui une quelconque injustice. Je n’ai toujours est prête à tout pour protéger celui qui parpas confiance en l’uniforme... Aujourd’hui, tage sa vie... j’ai une fille à qui je désire laisser un autre Les gardes mobiles la harcelèrent encore héritage que celui de la haine. Après tout, quelques temps, mais face à son mutisme, elle fait partie de ceux qui joueront un rôle ils renoncèrent à la poursuivre de leurs dans la réussite du destin commun... Comquestions. L’un d’eux soupira, l’autre dont mun comme main… Comme Un… d le visage avait viré à un rouge écarlate à force d’hurler, tourna les talons et regagna la Jeep. Son acolyte le suivit laissant derrière lui ma tante seule, toujours assise à terre. Elle n’esquiva aucun geste. Ne leva même pas la tête lorsque le moteur vrombit. La voiture effectua une marche arrière avant de s’engager sur le petit chemin de terre qui menait à la grande route. Elle passa près de ma cachette. Je ne sais pas si les Mobiles m’avaient repérée. Moi, je regardais la voiture s’éloigner, oiseau de mauvais augure. Je regardais la poussière s’élever tel un tourbillon fou. Lorsque la Jeep s’engagea sur la grande route et que le bruit du moteur s’estompa, les oiseaux regagnèrent les branches
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Lan Deì, matricule 1 052 mémoire de Chân Dàng
élèves de 4e du collège de Rivière-Salée
Dans le cadre d’un projet sur les Asiatiques en Nouvelle-Calédonie, des élèves de 4e du collège de Rivière-Salée ont écrit une pièce qui met en scène l’arrivée puis (certains aspects de) la vie de Tonkinois venus travailler ici. Cette pièce, mise en scène par Moana Ségura, du Centre d’Art, a ensuite été jouée lors de la journée Premier acte. Ce projet est né à l’initiative de Claudy Chêne, professeur (et chercheuse) à qui l’histoire de la Nouvelle-Calédonie dans sa diversité tient particulièrement à cœur. Thomas Parson
Scène 1 — L’arrivée au port Les gendarmes portent un uniforme bleu. Le directeur de la mine porte une chemise et un imperméable (ou une blouse de couleur sombre). Les Tonkinois portent des habits usés (tuniques qui ont été blanches, pantalons qui ont été noirs), des chapeaux de paille coniques. Le directeur de la mine : Jéron Le premier gendarme : Miles Le second gendarme : Mickaël Le traducteur : Thomas Les Tonkinois : Lan Deì : Milenka Bang Thùy : Evody Duang Lieu : Eva Anh Thù : Alexandre Còng Dan : Grégory
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Dans un bureau. Les gendarmes discutent. Le premier gendarme. – Demain, il y a un convoi de Tonkinois qui va débarquer au port. Il faudra aller les chercher. Le second gendarme. – Oui, comme ça, ils relèveront ceux qui sont déjà à la mine. Le premier gendarme. – Oui, parce que là-haut, ils faiblissent, et la production baisse. Le second gendarme. – On m’a rapporté qu’à la mine, ils prennent un peu trop de bon temps… Le directeur de la mine fait irruption. Le directeur de la mine. – Allez, vous deux, fini de bavarder ! Une nouvelle cargaison de Tonkinois vient d’arriver ! Nous devons nous rendre au port. Le premier gendarme. – On arrive, on arrive.
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Les gendarmes ainsi que le directeur de la mine partent vers le port. On entend des bruits de mouettes, de sirènes de bateaux. Un comédien, juché sur les épaules d’un autre, zigzague sur le scène en battant des bras à la manière d’un oiseau et en poussant des cris de pélican. Au port. Les Tonkinois débarquent, supervisés par les gendarmes et les directeurs des mines. Beaucoup de bruit. Les Tonkinois sont fatigués.
bienvenue à... Le second gendarme, faisant des signes de main. -– Allez, allez ! Par ici ! Plus vite que ça ! Le premier gendarme. – Qu’est-ce qu’ils sont longs ! Nom d’un chien, avancez plus vite ! Il attrape une Tonkinoise, celle-ci tombe par terre. Bang Thùy. – Manger ! Manger ! (Mauvaise prononciation) Le premier gendarme. – Mais qu’est-ce qu’elle me veut celle-là ? Allez ! Lève-toi, et retourne dans les rangs ! Bang Thùy s’agrippe à la jambe du gendarme. Bang Thùy. – Manger ! Veux manger ! (Mauvaise prononciation.) Le premier gendarme. – Lâche-moi ! Lan Deì. – Lâche-le, lâche-le ! Allez, viens ! Le second gendarme, parlant au premier gendarme. – ça va ? Le premier gendarme. – Ouais, ça va. De vrais sauvages, ces gens-là ! Le second gendarme. – Allez, le spectacle est fini ! Maintenant, avancez ! Les Tonkinois avancent. à genoux, ils se rangent devant un bureau où se tient le directeur de la mine. Le directeur de la mine. – Bon ! Je suis le directeur de la mine ! Nous ne vous appellerons plus par vos noms. Vous allez recevoir un numéro de matricule. Vous le garderez jusqu’à ce que votre contrat soit rempli. Très bien ! (Le directeur ouvre un registre et commence l’appel.) Còng Dan ! (Un Tonkinois se présente devant le directeur.) Tes papiers. (Le Tonkinois ne bouge pas, il ouvre de grands yeux.) Tes papiers ! Còng Dan, paniqué. – Papiers ? (Mauvaise prononciation.) Le directeur de la mine. – Mais où est le traducteur ? ! Le traducteur s’empresse de se porter à hauteur du bureau du directeur et s’immobilise dans une attitude soumise. Le traducteur. – Je suis là, je suis là. Il se retourne vers le Tonkinois et lui dit quelque chose à voix basse. Còng Dan. – Nàm giu. Le directeur de la mine. – Ton numéro de matricule sera 1 052. Suivant ! Lan Deì ! Ton numéro : 1 053. Lan Deì. – Cam on ông. Le traducteur. – Elle vous remercie. Le directeur de la mine. – Bang Thùy ! (Une Tonkinoise s’avance.) Numéro 1 054. Duang Lieu ! (Une autre Tonkinoise s’avance.) Numéro 1 055. Anh Thù ! (Personne ne se présente au bureau.) Anh Thù ! ? (Toujours personne.) Où est Anh Thù ? Le directeur frappe la table. Anh Thù. – O dây. (Le Tonkinois lève la main.) Le second gendarme. – Il est ici. Allez, viens par là, toi ! Le directeur de la mine. – Tes papiers ! Tu seras le numéro 1 056. Chì Thang ! (Un autre Tonkinois s’avance.) Hmm… Numéro 1 057. Bien. Maintenant, vous allez être conduits à la mine. Le premier gendarme. – Allez, par ici ! Le second gendarme. – Plus vite que ça !
Dans une vaste pièce aérée, une varangue par exemple, on voit un bureau entouré de trois chaises ou fauteuils. Les
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Scène 2 — Chez le gouverneur
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conseillers et le gouverneur sont vêtus de blanc, le gouverneur porte un chapeau colonial. Les Tonkinois portent un pantalon noir et une tunique blanche, qui peuvent être usés voire tachés, et un chapeau conique. Le gouverneur : Miles Les conseillers : M. Grégory : Grégory M. Alexandre : Alexandre Le traducteur : Thomas Une Tonkinoise : Taïana Le gouverneur. – Messieurs, je vous ai appelé ce matin pour parler du cas des Tonkinois qui vont arriver normalement cet après-midi dans notre site minier d’extraction de chrome. Nous devons discuter de la règlementation et de leur engagement. Monsieur Grégory, inflexible. – On va leur infliger des mesures strictes et sévères car il faut que le travail soit fait. Ils ne méritent que cela. Monsieur Alexandre, essayant de ne pas se laisser emporter par sa révolte. – Mais non, ne dites pas n’importe quoi ! Il faut qu’ils soient traités en humain et non pas en esclaves. Ce sont quand même des êtres humains. Le gouverneur. – De toute façon, j’ai mis en place un texte de loi qui donne une règlementation aux Tonkinois dès leur arrivée en Nouvelle-Calédonie. L’interprète Duc Than avait comme travail de le remettre au chef des engagés et de le lire à tous. Monsieur Grégory, appelez-moi leur chef et le traducteur pour que nous en discutions et que nous leur expliquions. Monsieur Grégory sort du bureau et revient avec un chef et le traducteur Duc Than. Le traducteur et le Tonkinois retirent leur chapeau, le tiennent dans leurs mains et regardent le sol. Monsieur Grégory. – J’ai retrouvé leur chef au port. Il s’appelle Chan Lê. Le voyage s’est très bien passé : il n’y a eu qu’un décès et aucune épidémie de typhoïde ou de choléra. Le gouverneur, au traducteur. – Tu pourras traduire, monsieur le traducteur. (Le gouverneur s’adresse aux deux Tonkinois.) Bonjour, Chan Lê, matricule 2 032, je t’ai fait venir ici pour parler des conditions d’engagement des Tonkinois et de votre travail. Voici les livrets en français et en vietnamien que tu transmettras à tes compatriotes. à voix basse, l’interprète traduit. Chan Lê parle au traducteur. Le traducteur. – Chan Lê dit : Je l’ai lu à ma communauté. Il y a des points qui bien, d’autres changer comme heures de travail ; beaucoup trop. Pas assez d’heures sommeil. Monsieur Grégory, se place devant Chan Lê, nez à nez, comme pour le menacer. – Tu fais comme si tu avais le choix ! Les Javanais au moins, ils sont moins regardants ! Monsieur Alexandre, s’avance vers Monsieur Grégory. – Monsieur Grégory, essayons de trouver un terrain d’entente, une solution à leur problème, comme ça le travail sera bien fait. (Monsieur Alexandre se retourne vers M. le Gouverneur.) – N’est-ce pas Monsieur le Gouverneur ? Le gouverneur. – D’accord, j’accepte de leur retirer deux heures de travail par jour : une en fin de matinée, pour le repas, et une le soir.
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L’interprète traduit. Chan Lê sourit puis remercie les mains jointes. Camon. – Merci patron. Le gouverneur : - Bon, bon ! Et maintenant, rejoignez la mine.
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bienvenue à...
Scène 3 — Sur la mine Galerie d’une mine sombre, seulement éclairée par les lampes des mineurs. Les Tonkinois, fatigués, en haillons, creusent avec des pioches, sans relâche. Le contremaître crie sur les mineurs et les brutalise pour qu’ils travaillent plus vite. Le contremaître : Jéron Les mineurs tonkinois : Willy, Mickaël, Jason, Jéron, Eva, Thomas, Milenka, Chloé Le contremaître. – Travaillez plus vite ! Ne faiblissez pas, bande de sales Tonkinois ! Sauvages ! Chinois verts ! Haricots salés ! Les Tonkinois piochent plus vite. On entend un grondement sourd. Une Tonkinoise. – La mine peut s’effondrer. ça devient dangereux. Le contremaître. – Tais-toi, 2 108 ! Remets-toi au boulot ! Et les autres, qu’est-ce que vous faites ? Remettez-vous au boulot ! Allez, plus vite, bande de fainéants. Les Tonkinois se remettent au travail. La mine s’effondre sur les Tonkinois dans un grondement. La lumière s’éteint un instant. Les Tonkinois sont étendus. On entend des cris de peur, de douleur, des gémissements. Certains se relèvent, sonnés ; d’autres restent au sol, immobiles. Les Tonkinois. – Au secours ! à l’aide ! Quatre Tonkinois tentent de dégager quatre autres Tonkinois sans vie. Le contremaître. – Toi, toi, toi et toi ! Remettez-vous au travail et arrêtez de crier, bande de Tonkinois qui puent ! Une sonnerie indique l’arrêt du travail. Le contremaître. – Sortez les corps. On l’enterra demain, cette bande de morts. Les Tonkinois sortent les corps de la scène. Nuit noire.
Scène 4 — L’enterrement des mineurs
Un contremaître. – Plus vite ce trou sera creusé mieux cela sera. Le prêtre. – Vous n’avez pas de cœur. Vous ne pouvez pas attendre, que ces hommes aient un enterrement religieux. Vous ne pouvez pas attendre que le gouverneur, sa femme et sa fille, les conseillers et leurs femmes arrivent pour le sermon ? L’autre contremaître. – Excusez-nous mon père, on ne voulait pas mais… Le prêtre. – Non et non, on les attendra et on le fera dignement. Vous avez compris !
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Des Tonkinois creusent une fosse. Les contremaîtres les pressent : ils veulent enterrer les victimes au plus vite. Les contremaîtres : Jéron, Willy Le prêtre : Mickaël Les Tonkinois : Thomas Le gouverneur : Miles La femme du gouverneur : Chloé La fille du gouverneur : Evody Le conseiller Grégory : Grégory Madame Grégory : Eva Le conseiller Alexandre : Alexandre Madame Alexandre : Milenka
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Les contremaîtres. – Oui, très bien, nous attendons. Le gouverneur arrive avec sa suite. Le gouverneur. – Excusez-nous pour ce retard mais la route est en mauvais état après le passage du dernier cyclone. (à ses conseillers.) Cela me fait penser que je dois m’occuper du réseau routier. (Au prêtre.) Commençons, monsieur le curé. Le prêtre : - Il est bon de Te rendre grâce. Il est juste et bon de Te glorifier. Père très saint, Tu es le seul Dieu vivant et vrai. Tu demeures éternellement lumière de l’au-delà, Toi, le Dieu de bonté. Prions ! Silence. Monsieur Grégory, à voix basse. – Qu’on en finisse, je n’ai pas que cela à faire ! Les femmes parlent entre elles. Les Tonkinois, recueillis, pleurent. La fille du gouverneur est triste ; elle regarde un jeune Tonkinois. Madame Alexandre. – Je suis d’accord avec mon mari, il faut s’en débarrasser. Ils ne servent plus à rien : ils sont morts ! Ce ne sont que des déchets ! (à la femme du gouverneur.) Qu’en pensez-vous ma chère ? Madame Alexandre, ne laissant pas la femme du gouverneur répondre. – Vous les traitez comme du bétail ! Madame Grégory. – Mais, c’est du bétail ! Madame Alexandre. – Non ! justement, ce sont des hommes comme nous ! Ils ont deux oreilles, deux yeux, une bouche sauf qu’ils ne parlent pas et ne comprennent pas notre langue. Madame Grégory. – Qu’est-ce que vous en dites, Madame le Gouverneur ? La femme du gouverneur, hésitante. – Je ne sais pas, vraiment pas. La fille du gouverneur, à Madame Grégory. – Je suis d’accord avec ce que dit Madame Alexandre. Si on nous faisait cela, seriez-vous contente ? Mettez-vous à leur place. Ils doivent être enterrés respectueusement. La fille du gouverneur s’avance pour se placer à côté du jeune Tonkinois. Sa mère le fait remarquer à son mari. Elle lui parle à l’oreille. Le gouverneur. – Mesdames, messieurs, un peu de respect. Nous sommes à un enterrement. Silence. Le gouverneur. – Mesdames, messieurs, nous allons prendre congé. Demain, c’est le départ du convoi pour Haiphong. Nuit.
Scène 5 — Les rapatriements
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Sur le port, on voit des caisses, on entend des bateaux et des mouettes. Il y a plusieurs groupes de Tonkinois, certains portent un baluchon.
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Une Tonkinoise. – Au revoir, j’espère que nous nous reverrons. Une autre Tonkinoise. – à bientôt. Je n’ai pas fini mon contrat. J’en ai encore pour deux ans. S’il te plaît, donne pour moi cette lettre à ma famille. La Tonkinoise. – Oui, je la mettrai dans mon baluchon.
bienvenue à... L’autre Tonkinoise. – Bonne chance. Une journaliste, carnet et stylo à la main, arrive et se dirige vers un groupe de Tonkinois. La journaliste, s’adresse à une Tonkinoise. – Pouvez-vous nous dire si l’incident de la mine a marqué les esprits ? L’interprète traduit à la Tonkinoise. La Tonkinoise. – Oui, après cette histoire, il y a eu beaucoup de fugues. La journaliste. – Quand envisagez-vous de partir ? L’interprète traduit à la Tonkinoise. La Tonkinoise. – Je ne sais pas, peut-être dans dix ans. Comme je suis leur représentante et porteparole, il vaut mieux rester le plus longtemps possible. La journaliste. – Est-ce que vos conditions de vie sont bonnes ? L’interprète traduit à la Tonkinoise. La Tonkinoise. – Non, très mauvaises. La journaliste. – Je vous remercie. Je vous recontacterai dans quelques années pour parler de tous ces événements et de votre vie sur les mines. L’interprète traduit à la Tonkinoise. La Tonkinoise. – Je vous remercie aussi. Cette histoire sera un jour à raconter à nos enfants.
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RIDEAU
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10 conseils pour écrire une pièce de théâtre
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1. Lisez des pièces, encore et encore : les auteurs qui ont fait leurs preuves vous donneront de l’inspiration si vous n’en avez pas encore, et leurs œuvres vous apprendront le BA-BA de tout bon dramaturge. 2. Réfléchissez au genre : comédie, tragédie, burlesque, absurde… Voulez-vous faire rire, pleurer, réfléchir votre public ? Les catégories sont vastes et l’une d’elles correspond forcément au sujet que vous avez en tête. Avant de vous lancer dans l’écriture, résumez l’histoire que vous voulez raconter et vérifiez sa cohérence. 3. T ravaillez le découpage de votre pièce : actes, scènes, exposition, action, péripéties, coups de théâtre, dénouement… Autant d’étapes qui structureront votre texte, si toutefois vous êtes adeptes de ce genre de forme (pensez aux pièces contemporaines, en un acte...). Ne multipliez ni les moments, ni les lieux mais choisissez-les avec soin, le lieu et le moment peuvent avoir une influence sur la scène. 4. Après avoir décidé du nombre de personnages, déterminez précisément chacun d’eux : sa personnalité, le rôle qu’il va jouer… Faites des exercices d’improvisation pour aider à démarrer le travail d’écriture. Vous pouvez même réaliser une courte biographie de chacun d’eux. Pensez à ce qu’ils font sur scène quand ils ne parlent pas. Sont-ils utiles sur scène ? Sont-ils passifs ou actifs ? 5. R appelez-vous que personne ne parle de la même façon. 6. C’est une langue parlée que vous devrez écrire. 7. P ensez qu’en réduisant la taille des répliques, vous accélérez le rythme de la pièce ; en les allongeant, vous les ralentissez. 8. N ’oubliez pas qu’une pièce est avant tout faite pour être jouée : votre mission est donc de ne faire l’impasse sur aucun détail de la mise en scène. Les didascalies sont là pour remplir ce rôle : descriptions des lieux, des costumes, gestuelle, indications d’aparté… Usez et abusez-en, elles sont indispensables ! 9. R elisez-vous autant que possible… Vous trouverez toujours des corrections à apporter à votre travail. Faites lire votre texte à voix haute; vous découvrirez mieux les richesses (et les faiblesses) de la pièce. 10. E t si l’aventure vous tente, écrivez une pièce à plusieurs : une création collective ne peut être que riche d’échanges humains, facilitera l’écriture des dialogues (chacun peut prendre en charge un personnage) et résoudra efficacement les petits problèmes d’inspiration passagers.
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légendes idées
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Cahier littéraire
Cahier Roland Fichet L’Ancêtre dans la gorge Pierre Humbert Malentendances Ismet Kurtovitch Les Dernières Heures de Mikhaïl Gorbatchev Nicolas Kurtovitch Les Papillons Roland Rossero En attendant l’gros lot ! Jean-Paul Smadja Le Cul du cheval
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poémes nouvelles extraits contes
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L’Ancêtr
L’ancêtre dans la gorge
Une femme. – J’ai un ancêtre coincé dans la gorge. Coincé-coincé. Pas par hasard que je suis là. Pour ça précisément. Pour dire ça. Je suis là pour dire « j’ai un ancêtre coincé dans la gorge », pour le révéler publiquement. On s’étonne de mon timbre de voix, du rythme heurté de mon débit. On s’étonne, on s’étonne, moi ça ne m’étonne pas. Pour sortir de ma bouche, ma voix doit traverser cet ancêtre coincé dans ma gorge, vous imaginez l’effort, l’effort animal qu’elle doit produire ma voix. Je respire avec ruse. Pour me maintenir en vie, pour que l’air continue de circuler dans ma trachée-artère, je respire avec méthode et ruse. Je suis calme. Je reste calme. Je crains l’asphyxie. Cet ancêtre coincé-coincé dans ma gorge à tout moment peut me couper le souffle, m’étouffer, m’asphyxier. Régulièrement il m’asphyxie, cet ancêtre, il m’asphyxie pendant un bref moment pour que je ne l’oublie pas. Je m’évanouis illico. Pouf, pendant un bref moment je m’évanouis. Les ancêtres ne nous veulent pas que du bien. Certains élisent domicile dans votre corps : pour les chasser, bonjour, faut s’accrocher. Coriace les chameaux. Ces ancêtres squattent le corps de leurs descendants. Ils s’y installent comme chez eux, ne demandent l’avis de personne, s’y installent. – Salut l’ami, pourquoi tu marches de cette façon ? Ah, c’est un ancêtre qui t’entrave… Ok, je comprends – Inutile d’en parler me dit ma mère. Dangereux même. Les ancêtres squatteurs moins on en parle mieux on se porte. Motus et bouche cousue. Quand même elle me lâche quelques confidences : moi aussi, j’en ai un, d’ancêtre, tapi dans un coin de mon anatomie. Je le ménage et Dieu sait pourtant qu’il m’a fait du tort. Il loge où, maman, ton ancêtre squatteur ? Dans un endroit que je préfère ne pas nommer, me répond-t-elle en fronçant les sourcils. Je me frotte la gorge, pris d’une angoisse irrépressible, je murmure à mon ancêtre : pars, pars, je t’en prie, sors de ce corps. Pour que je me sente moins seule ma mère me dresse toute une liste de voisins et de voisines : eux aussi hébergent dans leur corps des ancêtres squatteurs : Joseph D dans le genou gauche, Janine R dans l’épaule droite, Christian K dans la hanche, Bernard P dans les reins… Motus et bouche cousue, moins on en parle, mieux on se porte, là-dessus on est tous d’accord. Ne pas les énerver les ancêtres, voilà le mot d’ordre. En Afrique, ils sont nombreux, plus nombreux que partout ailleurs dans le monde. Résultat, ils squattent les vivants. Fiche la paix à ton ancêtre, c’est le conseil que je te donne. Un ancêtre de mauvais poil peut te bousiller la vie. Motus et bouche cousue… moins on parle mieux on se porte… Je ne suis pas d’accord maman, Sigmund Freud a prouvé le contraire : plus on en parle mieux on se porte. Tous ces ancêtres jubilent d’avoir trouvé des corps d’accueil muets, des corps d’accueil qu’ils occupent en toute impunité, qu’ils terrorisent. Ils tablent sur notre silence. Moi, je vais te crier sur les toits que j’ai un ancêtre coincé dans la gorge : j’ai UN ANCÊTRE COINCÉ DANS LA GORGE. Tais-toi, malheureuse. Ils ne vont quand même pas nous occuper ad vitam aeternam ? Qu’est-ce qu’ils attendent ces ancêtres
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(Extrait) Roland Fichet
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planqués dans nos corps ? Qu’est-ce que tu attends planqué dans ma gorge ? La guerre, ma fille, la guerre. La guerre ? Tu ne l’entends pas, ma fille, ton ancêtre enchâssé dans ta gorge, tu ne l’entends pas ? Ecoute-le bien : écoute sa voix en toi : Massacre-les. Massacre-les. Massacre-les. Ils ne sont pas des nôtres. Massacre-les. Massacre tous ceux qui ne sont pas des nôtres. C’est le secret ? Oui. C’est ce qu’il ne faut pas révéler ? Oui, c’est ce qu’il ne faut pas révéler : l’inextinguible pulsion de vengeance de nos ancêtres. NOS ANCÊTRES SONT DES MONSTRES. NOS ANCÊTRES VEULENT LA GUERRE. NOS ANCÊTRES VEULENT NOTRE MORT. Quand sera venu le jour de ma mort, quelqu’un peut-être se souviendra, quelqu’un se lèvera et dira : Elle a clamé haut et fort cette vérité : tous nous avons des ancêtres dans le corps et ces ancêtres nous poussent à faire la guerre. Ca m’étonnerait, que quelqu’un se dresse et dise ça oui ça m’étonnerait. J’aimerais bien.
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Malentendances de Pierre Humbert
Décor : Au zinc d’un bistrot, entre n’importe où et nulle part, un soir, au lever de la lune, au moment où les chats gris, les chiens, les loups et les dahus se mélangent à la pâle noirceur de la nuit tombante pour donner aux choses les formes impensables du rêve.
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Personnages : SONNE, de son prénom Clairon, conséquence qu’il lui faut bien assumer des fonctions de son grandpère, lequel fut chargé d’annoncer, à l’aide de ce noble instrument, la fin de la bataille de Sébastopol. En sexagénaire confirmé, il sirote une Suze-chocolat dans une tasse, car il ne veut pas que son épouse, si elle survenait, se rende compte de ce qu’il se livre à son vice favori… Il est petit et rond, et se hausse sur la pointe de ses souliers vernis à empeigne de velours blanc pour avoir l’air de poser négligemment son coude sur le bar. Sa montre gousset, qu’il porte en collier, demande à frère Jacques s’il dort toutes les dix-huit minutes. OTONNE, que ses parents, grands admirateurs du Général Jourdan, ont prénommé Fleury, avant de s’apercevoir que ledit général a gagné la bataille de Fleurus, consomme, lui, un tilleul-fraise. Il est plié en deux, car, en raison de sa haute stature, (il est long et mince comme un espoir d’otage), il doit se livrer à une gymnastique assez compliquée pour avoir l’air de poser négligemment son coude sur le comptoir, ce meuble culminant à l’altitude de son bassin. Il se moque royalement que qui que ce soit prenne connaissance du breuvage qu’il ingurgite, car, comme il le clame à tous les échos, puisque né en 1936, il a vécu le Front populaire et il est libre penseur.
Trente-cinq heures… Un mardi soir à Boulari, là bas, au sud.
SONNE. – Moi, Monsieur, je ne vous dis que ça : le gouvernement nous cache quelque chose. Il est anormal que la durée de la semaine soit modifiée. Elle compte cent-vingt-huit heures, puisque chaque jour compte deux fois douze heures, et chaque semaine plusieurs jours ouvrables et plusieurs jours fériés, selon mon beau-frère, qui est fonctionnaire. Et il ne faut rien y changer. D’ailleurs qu’est-ce que c’est que cette histoire de trente-cinq heures ? Les semaines semblent bien courtes, à notre époque. OTONNE. – En trente-six, la semaine faisait quarante-huit heures. Et soixante en quatorze. S. – Ah ! En quatorze ! La fleur au fusil, nach Berlin, la fumée ! La poudre ! La gloire !
O. – Et en seize la boue ! Les poux ! Les obus ! Le froid ! La mort !
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S. – Et en dix-sept, pfuitt, plus de tsar !
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O. – Ah ! Le tsar, le samovar, le caviar, les boyards ! Et en dix-huit, on repartait comme en quatorze, la fleur au fusil, nach Berlin, la Victoire ! La Gloire ! O. – Et en quatre-vingt-dix-huit un petit homme d’or se demandait ce qu’il aurait été s’il était né en dix-sept à Leidenstadt. S. – Quatre-vingt-un. O. – Quoi, quatre-vingt-un ? S. – Quatre-vingt-un ans ! O. – ????? S. – En quatre-vingt-dix-huit ! Il aurait eu quatre-vingt-un ans en quatre-vingt-dix-huit. O. – Ah ! oui, mais il ne parlait pas de son âge. D’ailleurs il n’est pas né en dix-sept, ni à Leidenstadt, c’était une image. S. – Ah ! il est né à épinal ? O. – Mais non, à épinal on fait des images dessinées. S. – Et alors, il ne sait pas dessiner ? O. – Je ne sais pas. S. – Vous parlez des gens et vous ne savez pas ce qu’ils savent faire. Vous voulez faire le savant ! O. – Mais non ! C’était une image, comme si je vous disais que vos yeux sont gris comme un soir d’orage ! S. – Ce n’est pas une image, c’est leur couleur. Vous dites n’importe quoi… O. – Parce que pour vous, quatorze, dix-huit, trente-six et épinal ou Leidenstadt sont n’importe quoi ? S. – Mais non, c’est ce que vous dites qui est n’importe quoi.
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O. – C’est vous qui avez dit n’importe quoi !
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S. – Moi ? O. – Oui. Vous. S. – Vous ne m’avez pas compris. O. – C’est parce que vous ne vous exprimez pas avec bon sens. Une fois vous me dites que je fais le savant, et aussitôt après vous me dites sot. C’est contradictoire. S. – Bon sang ! Quel bon sens ? Qu’est-ce qui nous indique le bon sens ? Il n’y a pas de panneau pour montrer le bon sens. Il n’y en a que pour les sens obligatoires ou les sens interdits. Les panneaux sont des atteintes à la liberté : ce qui n’est pas interdit est obligatoire. O. – Et quand il n’y en a pas, il n’est pas possible de trouver le bon sens. Et sans bon sens, pas de liberté. C’est kafkaïen ! S. – Ne m’en faites pas le procès, je n’y suis pour rien… O. – On dit ça. Mais en réalité, tout le monde est responsable de tout le monde. Il y a seulement des individus qui sont plus ou moins responsables que d’autres, ou des autres. S. – Responsables peut-être, mais pas coupables. O. – Les coupables sont désignés par la justice, qui désigne aussi parfois des civilement responsables. S. – Alors selon vous, les militaires ne sont pas responsables ? O. – Je n’ai pas dit ça. J’ai dit civilement responsable. Ce n’est pas la même chose. S. – Alors il n’y a pas de militairement responsable ? O. – Non et c’est dommage, car en dix-huit, il y aurait eu de quoi ! S. – En ce temps-là, un civil a dit que la guerre était trop grave pour être confiée à des militaires. O. – Mais un civil qui fait la guerre, c’est un militaire. Ça n’a pas de sens. S. – Il faudrait mettre un panneau : défense aux civils de faire la guerre. Comme elle ne doit pas être confiée à des militaires, il n’y aurait plus de guerre. O. – Vous résonnez comme un militaire. Raisonnez donc comme un civil. S. – AH AH AH ! J’ai l’impression que vous raisonnez comme un clairon. Cette musique qui résonne à mes oreilles est responsable de ma surdité naissante.
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O. – La musique n’a rien à y voir. Vous tripotez vos oreilles avec les mains sales. Ce n’est pas civil, pour un ancien militaire qui lisait SARTRE.
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S. – J’ai les mains propres, moi, Monsieur. O. – Pourtant le propre du militaire est le sale du civil, chantait VIAN. S. – Qu’est-ce que les accords d’éVIAN viennent faire dans cette affaire ? O. – Je parlais des accords de VIAN, pas des accords d’éVIAN. Car VIAN était un fin trompettiste. S. – Il a peut-être joué un tour à éVIAN, après tout. O. – Allez savoir ! S. – Puisque nous sommes au bar, jouons une partie de zanzi, car rien de ce que nous dirons ne changera d’un iota la destinée des trente-cinq heures. O. – C’est vrai qu’il vaut mieux faire un zanzi au bar que trente-cinq heures à Zanzibar. S. – à la vôtre ! O. – à la vôtre ! Ils trinquent, boivent, et, d’un geste négligent soigneusement étudié, l’un se dépliant, l’autre s’étirant, ils récupèrent chacun son coude, se retournent et, l’œil pendant et la lippe vague, ils portent un toast amical à la Lune, qui semble leur adresser un clin d’œil complice. d
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es derniè
Les Dernières Heures de Mikhaïl Gorbatchev d’Ismet Kurtovitch
Nouméa 2003
Acte unique Dans le salon d’un palais au bord de la mer en fin d’après-midi. C’est l’été. Un couple entre. Deux enfants paraissent à leur tour, ils sont prêts pour aller à la plage, leur gouvernante les conduit à travers la pièce, ils sortent. Elle. – Allez, allez, les enfants. Nous vous rejoindrons dans un petit moment. Ils s’assoient tous les deux. Ils s’installent. On se repose, on lit. Il fait beau. Ils se dévisagent. Elle. – Tout de même, tu ne trouves pas curieux qu’ils t’aient laissé. Lui, il l’interrompt. – Chut, chut, chut. S’il te plaît. Tout d’un coup les enfants reviennent. Ils sont effrayés et se blottissent autour d’Elle. Les enfants pleurent maintenant. Elle fait signe à la gouvernante de les éloigner puis le regarde. Il s’est levé.
Elle. – Ça y est. (Elle insiste.) Ça y est, Mikhaïl. Lui. – Eh bien quoi, un coup d’Etat en Russie, la belle affaire ! Elle. – Celui-là est différent. C’est de nos places qu’il s’agit. Une petite troupe de militaires armés et en uniforme fait irruption dans la pièce. L’officier qui les commande place un homme devant chaque issue. Il s’approche de Lui et salue très respectueusement.
L’officier. – J’ai reçu l’ordre de vous protéger. Lui. – Qui vous a donné cet ordre ? L’officier. – Le président de la commission spéciale chargée de la sécurité de l’état. Lui. – C’est moi . L’officier, aussitôt il lui tend son ordre de mission qu’il extirpe de la poche intérieure de sa veste. – Voici. Tu es souffrant camarade président. Lui. – Comme tu vois camarade colonel, je ne tiens pas debout. (Il lit le document.) Faites votre travail !
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L’officier s’avise que toute les issues sont gardées et sort.
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Elle. – Jusque-là les coups d’état étaient une affaire de famille. Le fils de César poignarde son père, Catherine s’empare du trône de son mari le Tsar, Philippe d’Orléans vote la mort de son cousin. Toi
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tu innoves avec le coup d’état contre soi-même ! Juridiquement c’est possible ! la preuve ! Lui. – Tu perds la tête. Elle. – Qu’allons-nous faire maintenant ? Lui, ironique. – Nous allons voir comment je me botte les fesses. (Imitant l’italien.) Brillante raggazo. Elle. – Hum. Lui. – Le coup classique ! le chef de l’état n’est pas parti en vacances, il est malade. Un faux certificat médical et je convoque le Bureau Politique en urgence. Camarades, j’ai conféré ce matin avec le chef de l’armée rouge le Maréchal Dupont qui est bien d’accord, n’est-ce pas camarade Maréchal ? Mikhaïl va trop loin, d’ailleurs, il n’a plus toute sa tête, lisez ce qu’écrit le camarade docteur. Il faut reprendre la situation en main. Ne laissons pas les forces antisocialistes stipendiées par l’étranger détruire l’œuvre de Lénine. Le Parti le demande. Une objection est émise. Je vois que le camarade Durand a la nostalgie de la Sibérie ! Nous sommes donc bien d’accord. Maintenant, signez le communiqué. (Un temps.) Qu’est-ce qu’il croit Youri ! Elle, en essayant d’allumer la télévision dont l’image est brouillée par moment. – Tu es sûr que c’est lui ? Lui. – Que je suis le grand prince de Moscou que des Boyards chavirent. Le Parti me soutiendra. J’ai fait des réformes moi ! Elle, en décrochant puis raccrochant, car il n’y a pas de tonalité, les trois téléphones de couleur différentes qui sont dans la pièce. – Des réformes, bien sûr ; bien sûr, des réformes. Lui. – Tu sais bien que ce n’est pas facile. Vingt-deux millions de kilomètres carrés, quinze républiques fédérées, vingt républiques autonomes, dix régions administratives autonomes, deux cent soixante millions d’habitants et cent nationalités, autant de langues et combien d’églises ! Elle. – Mais un seul parti politique et pas d’élection. Lui. – Ce n’est pas ce que tu crois. Ils ne veulent plus vivre ensemble, voilà tout, ils ne veulent plus être soviétique. Elle. – Être soviétique. Être soviétique ? ! (Incrédule et outrée, en insistant sur le mot être comme d’une absurdité.) Tu as bien dit Être soviétique. C’est toi qui perd la raison.
L’officier. – C’est pour votre protection. à Moscou les forces antisocialistes stipendiées par l’étranger manifestent dans les rues et occupent le parlement russe. Le camarade, (Un peu gêné.) le camarade Youri a été nommé président par intérim, une nouvelle direction a été constituée, l’état d’urgence va être proclamé. Lui. – Comment ? Je n’ai pas démissionné. L’état d’urgence proclamé ! ? Il faut réunir le soviet suprême pour ça. L’officier, en prenant le papier que lui tend le civil. – Tu a été admis à faire valoir tes droits à la retraite, avec jouissance anticipée. Lui, plus interloqué qu’incrédule. – Jouissance anticipée ? L’officier, en lui remettant le papier. – Parfaitement camarade. C’est possible. Mon père lui, travaillait pendant sa retraite… avec jouissance différée. Les plans quinquennaux. C’était pour l’édification du communisme camarade. Lui. – Du socialisme.
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L’officier entre accompagné d’un civil avec un dossier à la main. Il ferme les fenêtres et donne l’ordre d’enlever le poste de télévision.
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L’officier. – Pardon ? Lui. – Ce n’est rien. Le civil interroge l’officier du regard puis l’invite prestement d’un geste à agir. L’officier s’approche de Lui. Elle aussi. L’officier, gêné. – Je dois… (Il se reprend.) J’ai reçu l’ordre de vous fouiller. Elle, aussitôt et en s’adressant au civil. – Le nouveau régime se méfie des retraités ! ça commence bien ! Il s’avance et lève les bras comme pour se laisser fouiller. L’officier s’apprête à le palper puis renonce et s’en va d’un trait en indiquant aux autres militaires de sortir tandis que le civil suit agacé. Discrètement, Il sort une petite radio de sa poche et lui donne. Lui. – Bravo. Elle. – J’ai cru qu’il allait t’arrêter pour de bon.(Un temps.) Youri hésite. Il ne tiendra pas. D’abord un faux certificat médical puis un décret de mise à la retraite d’office. C’est pas sérieux. Il faut éliminer le prince qu’on veut renverser.(Un temps.) Je croyais que tu avais oublié. Lui. – Quoi ? Elle. – Brillante raggazo. On était jeune. Lui. – Jeunes communistes ! Elle. – Il y a si longtemps Mikhaïl, si longtemps… nous avions voté pour un voyage d’études en Italie et tu nous emmènes à Paris manifester contre les Américains. C’est Nyaz qui avait trouvé ton surnom : brillante raggazo. Il part défiler à Paris au lieu de visiter l’Italie, brillante raggazo. Lui. – Je crois me souvenir aussi que toi et moi n’avions pas beaucoup manifesté… (Il fredonne la chanson de Francis Lemarque en se levant pour l’inviter à danser, elle accepte l’invitation.) à Paris, à Paris… On entend la chanson tandis qu’Il danse avec Elle. Elle, elle éclate en sanglots et s’emporte petit à petit. – Qu’avons-nous fait ? Qu’avons-nous fait ! Qu’avons-nous fait Mikhaïl ? ! (Elle reprend son souffle puis l’agrippe et crie de plus belle.) Qu’as-tu fait Mikhaïl Sergueiévitch ! Mikhaïl ! Lui. – Moi, rien.
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Pendant qu’il tente de la calmer, la musique s’arrête. L’officier entre alerté par les suppliques.
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L’officier. – Que se passe-t-il ? Lui. – Elle a un malaise. (Il prend un papier et écrit quelques mots.) Pourriez-vous, je vous prie, remettre ce message au docteur Saritch. (Alors que l’officier reste de marbre, puis hésite car c’est contraire aux consignes reçues, Il le regarde dans les yeux.) Ma femme a besoin de médicaments. (Voyant que l’officier est en train de fléchir.) Docteur Njaz Saritch, rue de l’Isba fleurie. Merci colonel. (Il retourne auprès d’elle. L’officier cache le billet dans sa botte et s’en va.) Elle. – Bravo. (Elle reprend ses esprits et la conversation.) Sais-tu ce qui nous perd ? Lui. – Non. Elle. – Avoir réponse à tout. Partout, pour tous les temps et dans tous les domaines nous connaissons le comment et le pourquoi. Les ouvriers sont pauvres en Europe, c’est la faute au capitalisme ! Quatre-vingts ans après la Révolution d’Octobre, ils vivent mieux à Stockholm qu’à Moscou, le capitalisme n’y est pour rien. Curieux non ? Et pendant tout ce temps, nos intellectuels continuent d’écrire, que dis-je ? de démontrer scientifiquement grâce au matérialisme historique et dialectique, que le capitalisme est en crise, que cette crise le mine et ne peut déboucher que sur
théâtre le socialisme. C’est une question de jours, camarade. (Un temps.) Et aujourd’hui, moi, pauvre moi, qu’est-ce que j’ai sur le cœur, pauvre cœur, qu’est-ce que me dit mon esprit ? Pauvre esprit, j’avais cru trouver le moyen ! La pire des choses en politique : tout savoir ! Lui. – Tu n’y es pas, nous, nous avons industrialisé un continent immense, apporté la civilisation à des millions et des millions d’hommes et de femmes. Elle. – Les capitalistes aussi après tout. Lui. – Au bout de combien de temps et à quel prix. Un siècle d’abrutissement pour les classes laborieuses. Elle. – Mikhaïl, je te dis que les gens en ont assez. Assez ! C’est insupportable à la fin. Rends-toi compte, notre gouvernement répond à toutes leurs interrogations. Camarade secrétaire, il n’y a pas assez de viande et de logements, de voitures, de machines à laver le linge et nos salaires sont toujours très bas, et cela fait un moment déjà ! Tu as peut-être raison camarade, mais nous avons besoin d’un trente-troisième sous-marin nucléaire lance-missiles pour défendre le socialisme ! Nous sommes même capables d’expliquer au peuple pourquoi nous faisons des erreurs, pourquoi nous n’arrivons pas à les corriger et pourquoi dans son intérêt, il faut tout de même que nous restions au pouvoir. Nous sommes impayables non ? Lui. – Tu n’y arriveras pas, nos idées sont universelles. (En prenant un journal.) Tiens, lis ça. Dans un territoire français de la Mélanésie du Sud les indigènes, (dubitatif) les Kanaks, ont crée un parti de libération nationale qui se réclame du socialisme scientifique. Elle. – Foutaise ! C’est uniquement pour obtenir notre aide et après, adios amigos ! Lui. – Attention, tu commences toi aussi à avoir réponse à tout. La gouvernante, elle entre. – Les enfants vous réclament madame. Elle lui donne la petite radio et sort avec la gouvernante. Il met la radio à l’oreille et l’allume. Elle revient. Elle. – Ils dorment.. Lui. – Ils ont bien de la chance. Elle, en se tenant la tête. – Je vais m’allonger un peu. (Elle sort.) Il reste seul, continue à lire son journal puis l’abandonne. La lumière diminue d’intensité progressivement. La pièce est presque obscure pendant une dizaine de secondes. On entend des pas. Quelqu’un entre. C’est Elle. Ils s’interpellent. Elle. – Derzou ! Lui. – Capitaine ! Elle. – Derzou ! Lui. – Capitaine ! Pendant ce dialogue, on entend, comme en écho, les deux extraits qui lui correspondent dans le film Dersou Uzala d’Akiro Kurozawa.
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Lui, il allume une petite lampe. – Tu te souviens, l’eau de la rivière était fraîche à Kabarovsk et tellement claire. Nous pique-niquions toute l’après-midi et le soir sur la terrasse nous comptions les étoiles. à deux pas d’ici, nous étions heureux et nous voilà prisonniers ! Moi, le secrétaire général du parti communiste de l’Union Soviétique, chef de l’état. Et par qui ! Youri ! celui-là, grossier personnage, incapable de distinguer les constellations. Elle, moqueuse. – Et ces trois étoiles parfaitement alignées, Mikhaïl, comment s’appellent-elles déjà ? la ceinture d’Orion, Youri, faudra-t-il que tu me le demandes chaque été ! (Affligée.) Mon dieu ! Lui. – Tu ne t’es pas toujours moquée de lui.
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Elle, tendrement, comme on gronde un enfant. – Mikhaïl ! s’il te plaît. Lui, il reprend son évocation de leur vie antérieure. – Tu écrivais des contes pour enfants. C’était bien. Il était une fois sur une plage lointaine un jeune homme triste… (Il a oublié la suite et fredonne des chansons enfantines par exemple : Frère Jacques, Il pleut, il pleut bergère, à la claire fontaine... puis reprend.) … il refuse et s’enfuit avec sa fiancé. Après un long et périlleux voyage, ils arrivent dans un pays merveilleux où… (Il oublie à nouveau, fredonne puis reprend.) … tant que dans le monde il y aura des enfants et des grands enfants, des mères et des mères-grands… Elle. – Et toi, Monsieur le chef de l’administration du district de Kokouchkino, tu te creusais les méninges pour augmenter la production de blé. à Moscou, ils t’ont pris pour un magicien. (Un temps.) Alléluia ! Moscou ! Moscou, à nous la vie, oh ! la la ! Lui, comme un récitant. – Dans les couloirs du Kremlin. (Il l’invite à son bras, il marche avec elle et salue bien bas comme s’il portait un chapeau.) Mes respects, Monsieur le secrétaire général, comment vont vos arrières-petit-enfants ! (Elle grommelle la réponse en imitant une voix grave et chevrotante.) Ils vont bien, très bien. (Ils éclatent de rire, continuent à marcher dans le couloir imaginaire, saluent.) Mes respects, Monsieur le secrétaire général adjoint, comment vont vos petit-enfants ! (Elle grommelle la réponse en imitant une voix grave et chevrotante.) Ils vont bien, très bien. (Ils se mettent à chanter, tandis qu’en écho la voix de Cat Stevens se fait entendre progressivement.) All the times that i’ve cried keeping all the things i knew inside it’s hard but it’s harder to ignore it, if they were right i’d agreed but it’s them they know not me now there’s a way, and i know that i have to go away, i know i have to go away. (1) Puis, la porte s’ouvre brusquement et toutes les lumières s’allument. Le civil entre. Il est seul. Le civil. – Vous n’auriez pas dû ! vous n’auriez pas dû ! La radio anglaise vient d’annoncer que vous êtes en bonne santé et retenus ici de force, (en s’adressant à Elle) dixit le docteur Saritch… rue de l’Isba fleurie. Joli nom, n’est-ce pas ? Celui-là on s’en occupe. (En se haussant du col.) Votre colonel m’a pris pour un novice ! (Un temps, fair-play.) Un point pour vous. Elle. – Comment vont vos affaires là-bas ? Le civil. – Hum ! Lui. – Eh bien ! camarade, coup d’état réussi ? Le civil. – Pas encore. Le Soviet suprême est réuni, (gêné) mais on attend les délégués de l’Oussouri inférieur pour obtenir la majorité des deux tiers nécessaire à l’adoption du décret sur l’état d’urgence. Elle. – On aura tout vu. Le sort du pays dépend des éleveurs de rennes de l’Oussouri inférieur. Le civil. – C’est la loi de l’Union soviétique, madame. à Moscou le peuple ne bouge pas. L’armée non plus. Le gouvernement est avec nous. Les Républiques sont calmes. Paris s’inquiète… pour votre sécurité et celle de votre famille… (Un temps, ironique.) On exige de vous parler au téléphone. Il y a des petits attroupements et quelques barricades devant le parlement russe. Ces messieurs se prennent pour des révolutionnaires ! (Moqueur.) Lui. – Y-a-t-il des morts ? Le civil. – Non. Elle. – De mieux en mieux. Ce coup d’état n’intéresse personne. Silence, ils se dévisagent.
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Lui. – Que se passe-t-il ? Le civil. – Cet après-midi tous les délégués seront à Moscou, le Soviet suprême pourra proclamer l’état d’urgence, l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques sera sauvée. Les unités d’élite de la police spéciale feront évacuer le parlement russe et moi, Wladimir ! fils d’ouvriers et petits-fils
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(1)
Father and Son, Cat Stevens, 1970.
théâtre de paysans j’aurais toujours mon bureau au Kremlin ! (En partant.) En attendant, plus de bêtises ! (Il se ravise, salut respectueusement, elle et lui.) Camarade, camarade. Elle. – C’est le comble. Nous voilà à la merci d’un moine soldat ! Silence, ils se dévisagent.
Il réalise que la partie est en train d’être perdue. Lui. – Nous sommes des idéalistes. C’est ça, des idéalistes. Elle. – Que veux-tu dire ? Lui. – Quelles idées saugrenues finalement. Prolétaires de tous les pays unissez-vous, mettez vos richesses en commun et répartissez-les vous-mêmes selon vos besoins. Renoncez à vos
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Lui. – Que se passe-t-il ? Elle. – Nos idées ne sont pas naturelles Mikhaïl. (Un temps.) Reprenons. La planification… Lui, l’interrompant. – Démocratique, la planification démocratique. Elle. – … que l’on confie à des bureaucrates dirigés par des futurs bureaucrates, mais peu importe. Planifier c’est résoudre « n » équations à « n » inconnues, soit une chose impossible pour le cerveau humain ! Lui. – On ne planifie pas tout. Elle. – Tout, y compris les goûts et les couleurs. Au lieu de laisser faire l’orgueil, la soif de l’argent et du pouvoir, le besoin de découvrir, de connaître et d’entreprendre, l’ambition, le talent, l’intelligence. Lui. – Tu oublies la loi de la jungle. Elle. – Cette objection est faible et ne m’atteint plus. Lui. – Pourquoi ? Elle. – Parce que nous n’avons pas fait mieux ! et il y a quelques années, nous avons fait pire. Lui. – épargne-moi ça s’il te plaît. Elle. – On a quand même plus ou moins zigouillé treize millions de personnes, mon ami. Comme ça, dans l’intérêt du socialisme. Lui. – Du communisme. Elle. – Pardon ? ! Lui. – Ce n’est rien. Elle. – Je n’oublie pas moi : un jour Lara partit et ne revint plus. Lui. – Treize millions, ce n’est pas beaucoup pour l’époque. Elle. – Parce que je ne parle que de nous, ici. Lui. – Je te dis que c’est l’époque qui voulait cela. Elle. – Permesso. Précisément, je croyais que nous devions, comment déjà ? « changer la vie ». C’est réussi. Lui. – Tu as raison. Elle. – Ensuite, il y a cette querelle de la Révolution. Détruire la société, abolir les classes sociales y compris le boulanger du village, interdire les églises et les partis politiques, briser l’intelligentsia, changer tout, créer un homme nouveau, faire l’histoire ! (Bouleversée.) c’est terriblement inhumain tout ça. Celui qui nous aime que va-t-il faire pour nous ? alors ? Lui. – Je ne sais pas. Elle. – Il va s’accommoder. Prendre la mesure de l’homme. Au fond, un bipède et encore, d’une espèce apparue récemment. Mikhaïl, lentement, une pierre après l’autre, apparemment pas de vrai changement… agir comme si on se donnait mille ans pour devenir ami, vivre mieux et pleurer en écoutant les chansons de Kurt Weil. Lui. – Bien sûr, bien sûr.
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superstitions, ne craignez plus rien. Quoi de plus naturel pourtant ! Elle. – Admettons. Lui. – Pour qui nous nous sommes crus ! Extirper les hommes de leur pouillerie, encore faut-il qu’ils le veuillent. Allez, les capitalistes sont des sorciers. Elle. – Vraiment ? Lui. – Mais Oui. Comment font-ils pour créer autant de richesses ? Brusquement l’officier entre accompagné par des hommes en armes et en uniforme. Il manifeste sa joie de reparaître devant eux. Il est content de lui. Il a un parapheur. Elle, elle appelle la gouvernante qui entre. – Mademoiselle, préparez les enfants et prenez vos affaires. C’est fini. La gouvernante. – Bien madame. L’officier. – Le Soviet suprême n’a pas pu se réunir. La nouvelle Direction soviétique… euh pardon… l’ancienne Direction… pardon... Youri et ses complices… Lui. – Eh bien ! Que s’est-il passé ? L’officier. – Rien. Elle. – Qu’est ce qu’il raconte ? L’officier. – Les Russes ont supprimé l’Union soviétique. Lui, incrédule. – Supprimé ? Elle, indigné. – Supprimé. L’officier. – Oui. Mais dans les règles. Elle. – Toujours. L’officier. – Le parlement russe, lui, a pu se réunir. Elle. – Les unités d’élite de la police spéciale ne sont plus ce qu’elles étaient. L’officier. – Les Russes ont adopté plusieurs résolutions autorisant leur président à prendre des oukases. (Il ouvre le parapheur et consulte les papiers qui s’y trouvent.) Oukase numéros 59, 60 et 61 : (Il commence à lire consciencieusement.) considérant la nature criminelle du régime communiste, sont relevés de leur fonction tous les présidents de tous les soviets des districts, des régions, des... Lui, il l’interrompt. – Mais alors, qu’est-ce que vous faites là ? L’officier. – J’ai été nommé chef de la sécurité de la présidence de la République de Russie. (Il feuillette à nouveau le parapheur.) Oukase numéro… Lui, il l’interrompt. – Très bien, très bien. L’officier. – Camarade. (Il se ravise.) Camarade Président, les Russes demandent votre retour… au Kremlin. Lui. – Pourquoi faire maintenant ? L’officier. – Il n’y a que vous qui puissiez signer l’oukase interdisant toute activité au Parti communiste soviétique et l’oukase permettant la confiscation de tous ses biens… au profit du peuple russe. Elle, ironique. – Compte là-dessus mon ami. Lui. – Ce sera tout ? L’officier. – Non. Il faut aussi approuver les oukases du Président russe qui sont contraires à la Constitution soviétique... à cause des circonstances du moment. Mais… c’est uniquement pour la bonne forme. Elle. – Tu vas signer ? L’officier, il se ressaisit. – Madame, j’ai reçu des ordres stricts à ce sujet. épisodes
Il y a un grand silence rompu par le colonel qui s’approche de Lui et lui ouvre le parapheur en le tenant comme
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théâtre s’il s’agissait d’un pupitre. Lui, avant de signer. – Combien de temps ? L’officier. – Votre avion est déjà là. On vous attend. Lui. – Mais non. Elle. – Soixante-quatorze ans de communisme. Lui. – De socialisme. Quand même, soixante-quatorze ans. Elle. – Je t’en prie. Je n’appelle pas cela durer pour un régime politique. Ah ! les Capétiens ! les Romanov ! les Hohenzollern ! Du bricolage épouvantable, voilà ce qu’on a fait. Par contre, autant de crimes en si peu de temps, cela restera. Tu peux signer Mikhaïl. Lui. – Brillante raggazo. Elle, tendrement. – Oh Mikhaïl ! Mikhaïl. Tous les deux ramassent leurs affaires. Ils ne se pressent pas. L’officier attend. Il s’impatiente, puis, ostensiblement, ouvre toute grande la porte, désigne la sortie puis s’adresse à eux sur un ton comminatoire. L’officier. – S’il vous plaît. S’il vous plaît. On s’en va. (L’officier ferme la porte derrière lui.) d
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Les papill
Les Papillons Nicolas Kurtovitch
Merci à Nicole qui m’a convaincu d’écrire ce texte. Merci à Raphaël Détrié qui en a fait une lecture attentive. Merci à la classe de Première de Bac Professionnel du Lycée Do kamo 2001, pour avoir mis au mur de leur classe une affiche montrant des papillons.
d
Dans la maison, les poèmes de Han Chan mieux que de lire les sutras écrivez-les sur un paravent de temps à autre, jetez-y un coup d’œil.
Han Chan (VIIIe siècle)
Personnages Deux personnages, dans un autobus, à deux époques différentes. Les deux personnages sont dans un autobus qui parcourt la ville. Au premier acte, le Premier personnage est assis, le Deuxième personnage est debout, tout à côté, il se tient d’une main ferme à une poignée de cuir qui pend d’une barre métallique fixée au plafond de l’autobus. Au second acte, les positions sont inversées.
Premier acte Premier personnage. – Avez-vous lu Le Joueur d’échecs ?
Deuxième personnage. – Non.
Premier personnage. – Vous devriez le lire.
Deuxième personnage. – Et pourquoi devrais-je le lire ?
Premier personnage. – C’est un bon petit livre, une expérience remarquable.
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Deuxième personnage. – Quoi, la lecture ou l’histoire ?
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Premier personnage. – L’histoire bien sûr. La littérature est ici portée à un point rarement atteint. Vraiment vous devriez vous y mettre, vous ne le quitterez pas avant la fin. Deuxième personnage. – Je n’ai que faire de la littérature, elle m’ennuie, elle est inutile. Seule
théâtre l’action compte. L’action au quotidien, pour soi, pour sa famille, pour construire quelque chose, apporter sa pierre à l’édifice commun, ou l’action révolutionnaire. La littérature n’a jamais changé quoi que ce soit. Elle n’a changé ni le monde ni la société, elle n’empêche ni les injustices ni l’inégalité sociale. La littérature n’est de rien, seule l’action renverse le dictateur et fait la révolution. Alors, votre joueur d’échecs, vous pouvez le lire cent fois, il ne vous sera d’aucune utilité. Mais si ça vous amuse de passer votre temps à lire, faites-le, vous resterez en-dehors de la vie. Vous vivrez votre vie comme dans un rêve, une illusion, un parfait mirage dans lequel les hommes ne sont ni de chair ni de volonté. Mais je vous le dis : vous ne m’entraînerez pas dans votre illusion. (Un silence s’établit entre les deux voyageurs.) Tenez, moi, je vais faire du sport. Tel que vous me voyez, j’ai mon sac de sport posé à mes pieds et je vais au gymnase, comme chaque jour à cette heure-ci. Premier personnage. – Le sport est bien aussi, j’aimerais pouvoir en faire également. Deuxième personnage. – Et bien qu’attendez-vous ? Le sport c’est de l’action et c’est utile. La bonne santé est utile à la nation. Il est valorisation de l’énergie et dépassement de soi, il est engagement et abnégation, il nous entraîne à la résistance vis-à-vis de la douleur, de la fatigue, du laisseraller. Toutes choses qui trouvent leur justification dans l’action, rien que dans l’action. Le sport vous devez en faire, il est le meilleur moyen pour communiquer avec ses semblables et connaître la vie, la vraie vie, pas celle de votre mirage. Premier personnage. – Mais ce livre n’est pas une affaire de littérature, c’est autre chose, tout à fait autre chose. Vous verrez. Deuxième personnage. – Je ne verrai rien puisque je ne vais pas le lire. Mais bon ! Je vous écoute, dites-moi donc ce qu’est votre joueur d’échecs. Premier personnage. – C’est une vie, c’est la vie. C’est une lutte perpétuelle pour rester en vie et s’affranchir des barreaux d’une prison. Ce livre est une leçon, un mode d’emploi si vous préférez, pour rester en vie, conscient, humain face à l’adversité. Vous devriez le lire, vraiment, c’est court, ça ne prendra pas beaucoup de votre temps et peut-être y verrez-vous de l’action, malgré que ça se passe dans une prison. Deuxième personnage. – Vous insistez ! Mais d’une prison on cherche à s’évader. Par l’action. Il est possible de le faire, non ? Les exemples ne manquent pas, ils sont foison : le Comte de MonteCristo, Rochefort, Spartacus, le Docteur B. Mais l’entraînement n’attend pas, la Nation n’attend pas. Je dois être prêt au cas où on ait besoin de moi. Il y a des engagements à prendre, pour le bien de tous. Premier personnage. – Mais lisez-le le temps de vos déplacements. Dans le bus, ce temps est perdu ! Même pour l’action. Alors agissez, et lisez. Tenez, j’ai un exemplaire du livre avec moi, un exemplaire supplémentaire, je vous l’offre. Allez, prenez-le. Deuxième personnage. – Non, vous dis-je, gardez-le. Si je le prends j’en ferai une petite boule de papier pour allumer mon feu.
Deuxième personnage, ironique, amusé. – Aah, c’est donc une histoire d’amour !
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Premier personnage. – Ne soyez pas stupide. Vous y trouverez de l’espoir, de l’intelligence, de l’angoisse, une intrigue, de l’amour même.
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Premier personnage. – Non, mais vous aurez, vous, de l’amour pour le héros. Deuxième personnage. – J’en doute. Premier personnage. – Mais vous me posez bien des questions. Deuxième personnage. – Vous m’y forcez pour ainsi dire. Premier personnage. – Tout de même, cela montre votre intérêt. Deuxième personnage. – Je n’ai aucun intérêt, je vous dis. Mes préoccupations sont concrètes et utiles. Premier Personnage. – Moi je crois que vous êtes intéressé sinon vous ne discuteriez pas avec moi. Deuxième personnage. – Pas du tout. Je suis poli. Premier personnage. – Tout de même. Deuxième personnage. – Tout de même rien. Je ne veux pas vous faire de peine, vous semblez tellement y tenir à ce livre. Je n’aime pas faire de peine à quelqu’un, même si je ne suis pas d’accord avec lui, alors je me laisse prendre. Premier personnage. – Eh bien, tant pis ! J’espère seulement que vous ne le regretterez pas. Deuxième personnage. – Aucun danger. Mais vous pensez à moi de temps en temps. Pensez à ce que je vous ai dit. La littérature n’est d’aucun secours, jamais, l’action seule vaut quelque chose. Premier personnage. – La littérature a dû vous blesser un jour pour que vous la rejetiez définitivement. Deuxième personnage. – Pas du tout, tout simplement je l’ignore, j’ai trop à faire. Premier personnage. – Faites-moi plaisir et soyez gentil en me disant que de temps en temps vous songerez à moi, cet inconnu qui a essayé de vous faire accepter l’idée que la littérature est parfois, elle aussi, de l’action. Si ce trajet était plus long, ou si nous nous arrêtions à une terrasse de café, je vous dirais toute l’action que les livres ont engendrée à travers l’histoire du monde. Je vous dirais les formidables créations matérielles des hommes, issues des créations imaginaires des écrivains et des poètes. Je vous raconterais l’histoire de cet homme qui, rassemblant des amis autour de lui et de son projet fou, décida de partir dans une région inexplorée pour y construire la cité idéale dont il avait lu une description imaginaire dans un petit livre. J’aurai beaucoup à vous raconter de l’action, mon ami. Deuxième personnage. – Cette ville idéale, ils l’ont construite ?
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Premier personnage. – Ils l’ont effectivement construite. Le bus arrive à destination, il s’arrête en un chuintement métallique, celui que font les disques des freins sur les roues.
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théâtre Les deux protagonistes descendent l’un derrière l’autre. Chacun s’en va, l’un vers la droite, l’autre vers la gauche.
Second acte L’histoire se poursuit quinze ans plus tard. Entre temps, il y a eu la révolution, la guerre, l’emprisonnement. Dans un autobus, les deux hommes sont à nouveau côte à côte. Le non-lecteur est assis, il parle tout seul, en regardant par la fenêtre. Son compagnon est debout appuyé au côté du dossier du siège. Premier personnage. – Je vous reconnais, vous. Deuxième personnage. – ………. Premier personnage. – Je vous reconnais, il y a quinze ans, dans ce même véhicule. Deuxième personnage. – ………. Premier personnage. – Vous ne vouliez pas lire. Vous me disiez que la littérature n’était rien. Vous aviez refusé de prendre Le Joueur d’échecs, que je vous offrais. C’est insensé. C’est incroyable, nous voilà, dans ce même véhicule, tant d’années plus tard, une nouvelle fois réunis ! C’est incroyable, incroyable. Vous allez bien dire quelque chose, non ! Deuxième personnage. – J’avais tort. Premier personnage. – Pardon, je vous demande pardon, je n’ai pas bien entendu. Deuxième personnage. – J’avais tort et vous aviez raison. Premier personnage. – Allons, il ne s’agissait de rien, une courte discussion de trajet, rien de plus. Deuxième personnage. – Non, c’était beaucoup plus que cela. J’avais tort, vous aviez raison et la littérature m’a sauvé de la folie. Premier personnage. – Ah bon ! Deuxième personnage. – Oui. J’ai écrit pendant deux ans, sans m’arrêter une seule journée. C’était long, très long. Premier personnage. – Et le livre est publié, fantastique, fantastique ! J’ai hâte de le lire, je suis curieux, curieux, ça doit être fantastique, votre livre, deux années sans interruption, vous qui n’aimiez pas la littérature.
Premier personnage. – Mais, à l’instant vous venez de me dire que vous aviez écrit pendant deux longues années. Vous vous moquez de moi, vous vous vengez, c’est ça ! vous vous vengez de la dernière fois. Mais c’est ridicule, une rancœur qui dure si longtemps, pour si peu de chose. C’était peu de
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Deuxième personnage. – Il n’y a pas de livre, je n’avais pas de papier.
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chose je vous dis, une discussion de trajet, même pas une altercation, il n’y a même pas eu de débat. Vraiment votre attitude est petite, mesquine, alors que nous avons eu tant de malheurs depuis cinq ans. Cette petite vengeance est ridicule, je vous le redis, pensez plutôt à ceux qui ont souffert dans leur chair, à ceux qui sont morts, aux blessés, à ceux qui ont été emprisonnés et à ceux qui ont combattu pour que le tyran n’étende pas sa main noire sur nos têtes. Pensez à eux, à tous ces actes héroïques et alors vous cesserez de vous moquer de moi pour une futile question de littérature. Deuxième personnage. – Mais c’est justement à eux que je pense. Premier personnage. – Vous ne me le ferez pas croire, non. Deuxième personnage. – C’est pour eux, en leur mémoire à tous que je dis que vous aviez raison et moi tort. Premier personnage. – Expliquez-moi cela. Deuxième personnage. – Notre devoir était de rester en vie, coûte que coûte, en vie. Vivre était déjà une victoire. Il fallait rester conscient et éviter la folie. Premier personnage. – Vous parlez comme… ! (Il réalise qui est en face de lui : un héros de la résistance.) Vous, vous ! Avez-vous été enfermé ? Vous l’homme d’action, vous avez agi ? étiez-vous un combattant ? (Un temps.) évidemment. Vous poser la question, c’est déjà y répondre. Deuxième personnage. – Jusqu’à ce qu’on m’enferme. Ensuite, j’ai résisté en écrivant. Premier personnage. – En écrivant ? Sans papier ? Vous vous moquez de moi encore une fois. Deuxième personnage. – Non. (Un temps.) Oui, j’ai écrit sans papier. La littérature est une action. Premier personnage. – C’est là que vous avez lu Le Joueur d’échecs ? Deuxième personnage. – Non, c’est là que je l’ai réécrit. Premier personnage. – Comment le réécrire si vous ne l’aviez jamais lu ? Deuxième personnage. – Je l’ai lu. Un jour, peu après vous avoir rencontré. Et puis je l’ai oublié. Complètement oublié, jusqu’à aujourd’hui que vous m’en reparlez. Premier personnage. – Et vous prétendez l’avoir réécrit, vous vous jouez encore de moi ! Mais cette fois-ci c’est ignoble. Vous vous appuyez sur vos faits d’armes, vous un héros, vous abusez de votre gloire pour vous autoriser à vous moquer d’un simple passant. Vous êtes certainement fou. Deuxième personnage. – Non, ils n’ont pas réussi. J’ai résisté, vous ai-je dit.
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Premier personnage. – Mais alors expliquez-moi, nom de Dieu !
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théâtre Troisième acte Deuxième personnage. – J’ai d’abord dirigé une unité urbaine puis je me suis réfugié dans la campagne d’où j’ai dirigé l’unité combattante du Sud-Ouest. Ils ont finalement réussi à m’attraper et au lieu de me fusiller ils ont trouvé plus intéressant de me rendre fou pour me libérer ensuite. Mais j’ai résisté. Résisté, toujours, jusqu’à la Libération. Résisté pendant deux ans. Premier personnage. – Résister en écrivant, c’est incroyable. Deuxième personnage. – J’ai écrit l’histoire et la description des papillons. Entièrement, de mémoire. Ca m’a pris deux ans. Il y avait une vieille affiche épinglée sur l’un des murs : « Papillons de Nouvelle Calédonie ». Un endroit très éloigné, je crois. Je n’avais aucun papier, aucun crayon et de la lumière artificielle vingt-quatre heures sur vingt-quatre. On m’a laissé totalement seul, je n’ai vu personne ni entendu la moindre voix pendant ces deux années. Quelqu’un que je n’ai jamais vu me passait de la nourriture par une trappe percée dans un mur de grosses pierres. La trappe faisait un angle si bien que même en me baissant, en rentrant toute ma tête dans le trou et en collant mon visage aux parois, je ne voyais que des pierres, et jamais de l’autre côté du mur, là où, je le supposais, se trouvait un couloir de garde. Alors chaque jour j’écrivais un papillon, ça pouvait me prendre quatre heures pour une seule bête. Lorsque j’écrivais le second papillon, je commençais par me réciter le précédent. Ainsi de suite. Sur l’affiche il y avait soixante papillons. Premier personnage. – De mémoire ! Deuxième personnage. – De mémoire, avec les ponctuations et les majuscules. Les paragraphes, les parenthèses, les renvois scientifiques que j’inventais. Et en fin de chapitre, un chapitre par papillon, il y avait la description minutieuse, couleur par couleur et tonalité par tonalité, de chaque centimètre carré de la bête. Oui, tout de mémoire. J’avais la mémoire parce qu’on tentait de m’ôter la vie en m’ôtant les outils de la création : la parole avec autrui, l’écriture, le regard de l’autre. Mais il me restait la mémoire, peut-être ne s’en doutaient-ils pas, sinon ils auraient cherché à me l’enlever également. Premier personnage. – Et vous vous en souvenez ? Le personnage ferme les yeux, relève un peu la tête et commence de réciter. (Mais avant il lance en l’air une poignée de papillons, et peut-être ne récite-t-il pas.) Deuxième personnage. – Le premier est placé en haut et à droite de l’affiche, il est grand, il est beau, je l’aime. La première fois que je l’ai vu il sautait d’une branche à une autre sans se soucier de ma présence. Il n’y avait ni vent ni soleil, simplement la lumière du jour, il en profitait pour me montrer sa parure. Sa livrée est orange parsemée de nervures noires.
Et tout autour de ses deux ailes qui chacune se découpe en deux parties, formant un tout de quatre parties, il y a, parsemées, des petites tâches blanches, discrètes, légères. Elles sont comme la page blanche qui vient se mêler à la conversation des papillons. Sa famille est grande, elle couvre le monde entier, les distances ne sont rien pour lui, en quelques heures il traverse la forêt pour rejoindre des enfants et une femme. Son espèce est fidèle, elle n’abandonne personne sur
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J’ai bu le jus de cette orange chaque matin en reprenant mon livre par le début, sans cette orange du matin j’aurais manqué de vitamine C, mes os se seraient affaiblis, peut-être aurais-je abandonné.
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le chemin, son amitié est solide, elle est inscrite dans les longs trajets à travers les continents et les océans. On sait que le berceau de l’espèce est ailleurs, qu’il y a, là-bas, des vallées entières peuplées de millions d’entre eux, on sait leur puissance, leur force, qui leur a permis de m’emporter lorsque je mourais de tristesse et de solitude, par-delà les murs et les miradors pour rejoindre mes propres amis, ma famille. Celui-là précisément à quatre nervures noires sur la partie haute de chacune de ses ailes, il a neuf autres nervures noires sur la partie basse de ses mêmes ailes. Chacune à un point noir sur sa partie postérieure. Les tâches blanches évoquées tout à l’heure se disposent en deux rangées et s’étendent jusque sur la tête de l’animal. On suppose qu’il vit en communauté, qu’il ne se nourrit que durant quelques minutes par jour, le reste du temps il le consacre au voyage et à l’observation de son environnement. Lorsqu’il se pose sur une branche il replie ses ailes et attend sans bouger une longue minute. Il entre ensuite en conversation avec celui qui l’observe. Ces conversations m’ont tenu éveillé des nuits entières alors que je mourais de bientôt entendre le pas des gardiens venus me chercher pour ma dernière sortie. Il me racontait les histoires de dehors, la vie des combattants, la vie du gymnase, l’agitation à l’intérieur des autobus bondés. Ce premier papillon se détache des autres parce qu’il est le premier à m’avoir interpellé alors que mon farouche désir de résister à la folie se trouvait confronté à l’impossibilité d’entreprendre toute action. Il est le premier du premier chapitre, celui qui chaque matin ouvre le livre, il est Danaus plexippus. Tout à côté, il y a ce solitaire. Il est complètement jaune, d’un jaune pâle qui confine au blanc dans les parties antérieures de ses deux ailes. C’est tout juste si aux extrémités de ses ailes, lorsqu’il vole au petit matin au-dessus des gouttes de rosée, on distingue le minuscule tracé sombre qui le sépare du monde alentour. Il vit seul, toujours, et il ne vit qu’une courte journée. Jamais on ne l’a observé en quelconque compagnie. à quel moment devient-il papillon après avoir été chrysalide ? Nul ne le sait. De quoi se nourrit-il ? Se contente-t-il d’eau de rose ? Ou bien se nourrit-il du parfum des fleurs qu’il survole la journée durant ? Une seule journée, une seule demi-journée car la nuit le foudroie avant qu’une lune ne survienne. Il est précipité au sol et là, sans se débattre, il cesse sa vie. Sa vie brève est une éternité de bonheur et d’insouciance. Grâce à lui je garde l’appétit de la vie. Chaque matin, lorsque vient son tour d’exister je décline lentement ces quelques lignes de vie. Comme une gitane il y a longtemps me surprenant au détour de Grenade me disant mon avenir, je dis la joie du minuscule papillon, en retour il souffle dans ma bouche, remplit mes poumons et me donne toute une journée encore de survie. Cet Eurema hecabe se contente de la journée, et le temps lui est assez long pour parcourir un jardin ou un parc en bordure de l’océan. Dans sa course, il est suivi de Papilio montrouzieri. Lui est grand et majestueux lorsqu’il se promène dans la ville, de jardin en jardin, d’arbre en arbre en se posant toujours face au soleil couchant. Son corps est fin, son désir de vie est immense, il ne se laisse envahir ni par la peur de l’homme ni par la peur du bruit. Nul bruit de camion ou d’usine ne vient freiner son vol. Il traverse la ville comme un vaisseau traverse l’océan, la houle et la tempête. Sa demeure première est la bordure des forêts.
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Je le sais aux reflets verts et marron qui s’attachent à la pointe de sa tête. Lorsque le soir venu je me couche et l’entends s’approcher de moi, j’entre à mon tour dans la forêt sachant que je trouverai là quelques heures de paix pour mon âme et mon esprit, en d’autres moments de la journée en perpétuelle ébullition.
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Ses deux ailes antérieures sont massives, elles laissent percevoir une grande force, capable de le porter des heures durant à travers les hautes branches et autour des larges troncs de banian et de kaori. Ses deux ailes antérieures se déclinent plutôt en longueur, comme si elles se laissaient tomber d’en haut pour mieux l’asseoir sur l’air, mieux se faire porter par les courants sans se fatiguer. Certains jours en bordures de ses deux ailes il y a de la place pour de fines et élégantes
théâtre traces blanches, ou peut-être n’est-ce que des traces de lumière qui se dégagent du soleil, prolongeant ainsi la durée du jour. Il est couvert de bleu. Le peintre en quelques coups de pinceau a tracé sur son corps des traînées sensibles de bleu. Ne pouvant s’arrêter il a, toujours en quelques coups, teint ses ailes de bleu, du bleu des yeux de l’amante la plus sauvage et fidèle. Tout ce bleu est enfin cerné de noir. Le noir le dissimule lorsque cesse la course du soleil. Il devient mon hôte de la nuit les heures sont alors plus courtes, supportables. Ce papillon aime à se poser sur les larges feuilles des bananiers, il s’y abreuve et s’y repose, attendant une compagnie, achevant ainsi son existence. Lorsque c’est à son tour d’ouvrir un des chapitres du livre il est alors porteur du bleu du ciel et du noir de la nuit, ponctuant mon temps de la réalité du temps que Dieu a décomposé en jour et en nuit. Lui aussi, me sauvant de la folie. d
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n attenda
En attendant l’gros lot ! de Roland Rossero
Parodie sociale très librement inspirée de En attendant Godot de Samuel Beckett. Neuf personnages : 3 femmes : Sonia, Lydie (jeunes), Rita (plus âgée) 3 jeunes hommes : Bich’demer, Espadon, Lucky 3 Kanaks « lapita ».
d
Synopsis : Deux hommes assis (un Kanak, un Calédonien ou un Océanien), flemmardant sur une natte, avec derrière un tas de canettes de bière vides et un tas de paquets de clopes vides aussi. Le troisième homme (métis) apparaîtra pour figurer le malade du sida (décharné, sorte de pantin désarticulé). Les trois femmes (2 Kanaks, 1 Calédonienne ou le contraire : Sonia, Lydie, Rita) passent et repassent devant les deux paresseux, parlant entre elles, les invectivant, leur répondant. Elles paraissent toujours affairées, trimballant des sacs, tirant une poussette d’enfant, partant aux champs avec un sabre d’abattis etc.
Prologue
Trois hommes mélanésiens, vêtus de manière fruste, autour d’un foyer, travaillent sur des poteries ; ils grognent plus qu’ils ne parlent. Voix off. – La scène se passe il y a environ 1500 ans, peut-être 2000, un bond dans le temps prodigieux. C’est la période que les scientifiques ont baptisée « Lapita » d’après les fragments de poteries trouvées et datées dans la région de Koné. La vie de ces premiers habitants est simple : manger, dormir, survivre et progresser. Malgré l’artisanat des poteries, ces êtres déjà évolués en sont encore aux balbutiements d’une pensée très structurée. Superstition et manque cruel d’informations les font trembler le soir, en entendant l’aboiement féroce du cagou en rut. Cri du cagou répété et inquiétude des 3 hommes. C’était bien sûr longtemps après les dinosaures, mais bien avant les zors ! (Un ange passe.) Toute culture a son apogée… (Un des 3 hommes, le chef se lève et, poussant un cri guttural, lance en l’air un battoir de bois, servant à décorer les poteries. Vision de l’objet tournant au ralenti, style 2001 odyssée de l’espace – musique.) … puis cette culture stagne et parfois retombe un peu, au contact d’une autre, c’est un cycle normal pour toute civilisation. (Le battoir en retombant se transforme en canette de bière et tombe sur la tête de Bich’demer.) Bich’demer. – Aïe ! dis Espadon, fais gaffe quand tu balances une canette vide…
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Espadon. – Cool ! j’ai rien fait moi…
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théâtre
Scène 1 Après l’épisode de la canette sur le crâne de B, les 2 compères reprennent leur non-occupation…Bich’demer et Espadon, avachis sur une natte, l’air endormi, l’un fume, l’autre rêvasse, une canette de bière à la main. B. – Dis, Espadon on attend quoi déjà ? E. – Ben.. on attend l’boulot ! on attend l’gros lot ! B. – Que je suis bête, tu me l’as d’jà dit y’a une heure ! Reclope, recanette. B. – Dis, Espadon t’as quelle heure ? E. – J’sais pas, cinq heures par là, le soleil va se coucher. B. – Il en a de la chance (Il s’étire et s’allonge un peu plus.) E. – Dis Bich’demer, après une journée aussi bien remplie, tu ferais pas un coup de fête par hasard ? B. – C’est pas de refus, ça nous détendrait et puis demain on serait en forme pour attendre… attendre quoi déjà ? E. – Ben l’boulot ! l’gros lot ! tiens ! Clope balancée sur son tas et canette itou. B. – On pourrait aller voir chez Lucky, c’est toujours fin valable, y’a bon à boire, à fumer. Beau et chanceux comme il est, y’a toujours plein de nanas… E. – Ben Lucky, y fait plus de fête depuis quelques temps, on m’a dit qu’il avait pas la forme, il serait devenu triste, casanier, désœuvré, c’est le mot exact DÉSœUVRÉ ! B. – C’est pas comme nous ! (Il s’allonge carrément.) Passage du chef lapita cherchant son battoir, parmi le tas de canettes, regards ahuris des deux flemmards.
Scène 2 B. – Où tu vas comme ça ? Sonia. – Faire les courses, tiens et préparer le repas ! B, se remet en position assise. – Tu peux m’acheter des clopes, j’en ai plus ! E. – Ramène des canettes aussi, nous on n’a pas le temps. S. – Comment ça ? pas le temps, bougez-vous au lieu de rester inactifs ! B. – On n’est pas inactif ! on… réfléchit… parfaitement ! S. – à quoi ? B. – à à à… à quoi déjà, Espadon ? E. – à l’avenir !
épisodes
Une jeune femme, Sonia, poussant un caddy passe en courant, pressée. Bich’ demer la hèle.
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S, elle rit. – Il est beau l’avenir avec des gars comme vous ! et puis d’abord, pour RéFLéCHIR à l’avenir, il faut rester en vie ! B et E, ensemble. – On est vivant nous ! B. – Viens y voir, viens toucher, tu vas être étonnée ! Je sens la vie qui grouille en moi ! (Il se frotte le bas ventre et rit.) S. – Y’a p’t-être autre chose qui grouille, t’es p’t-être mort en dedans ! Va donc demander à ton grand copain Lucky, le mal nommé. E. – Ah ! femme, pas d’insultes ! S. – La vérité n’est jamais insultante ! allez tata, je vous laisse RéFLéCHIR ! (Elle part hautaine en poussant son caddy.)
Scène 3 Les deux, toujours avachis sur la natte. B. – Dis, Espadon qu’est-ce qu’elle a voulu dire pour Lucky ? E. – Te bile pas, elle veut faire son intéressante, Lucky est un supermec fin valable, tu t’souviens la dernière fête chez lui ? B. – Sûr ! même qu’à minuit toutes les cigarettes se sont changées en joints, un vrai miracle ! comme Jésus aux noces de Cana ! E. – Cana… bis ! (Ils se gondolent.) B. – Mais de quoi elle a voulu parler avec ses trucs qui grouillent ? E. – Tu sais bien, la maladie de Nouméa, des zors, c’est pas pour toi ! et p’y d’abord tu t’ protèges ? B. – Sûr ! j’vais pas chez le coiffeur ! (Il tire sur ses abondantes dread locks.) E. – Ça se voit… B. – Et toi ? E. – Moi, j’vais pas chez le dentiste (Il sourit sur des dents manquantes.) B. – Ça se voit aussi ! E. – Bon qu’est-ce qu’on fait ? B. – Ben on attend… quoi déjà ? E. – … l’boulot ! l’gros lot ! Retour du chef fouinant sous le tas de clopes, il rentre par un côté de la scène et ressort par l’autre toujours maugréant.
Scène 4
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Une femme, Lydie, apparaît portant un sabre d’abattis et un sac lourd.
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Lydie. – Je vous écoute depuis deux minutes, y’a de quoi rire ou plutôt pleurer. B et E, ensemble. – Ben quoi ? L. – Au lieu de paresser sur cette natte à dire des bêtises, vous feriez mieux de vous occuper de votre famille, de vos femmes et même de vous occuper tout court ! B. – Nos femmes on s’en occupe, pas vrai Espadon ? Et on peut même s’occuper des autres et de toi aussi (Il lui grimace un sourire qu’il voudrait enjôleur.) L. – Pour m’intéresser il faudrait être un peu plus responsable, je ne sais pas si vous êtes au courant, mais il y a une maladie qui court dans ce pays… B et E, ensemble. – Oui, la maladie d’amour ! (Ils rigolent.) L. – Vous avez raison sauf que c’est pas drôle ! B. – De toute façon, c’est la maladie des blancs, des zors !
théâtre L. – Imbéciles ! c’est la maladie pour tous, pour une fois qu’il y a l’égalité et le rééquilibrage ! Une troisième femme arrive, Rita. (Elle est en blouse blanche d’infirmière). Rita. – Elle a raison Lydie, ça touche tout le monde, c’est mondial, ça s’appelle le SIDA ! B. – Alors cite-nous un exemple de quelqu’un qui l’a par ici ! qu’on connaît, toi qu’est si maligne ! R. – Je ne devrais pas le dire, mais vous m’échauffez les oreilles avec vos sornettes. Un de vos copains est dans un sale état ! c’est un zombi, méconnaissable, mourant il est ! E, en aparté avec B. – Tu crois qu’elle parle de Lucky ? B. – Ça m’étonnerait, Lucky, ça veut dire chanceux, il a la baraka ce mec ! R, surprenant sa remarque. – La chance et la malchance n’ont rien à voir là-dedans ! Il faut se comporter en adulte, un peu de sérieux à la fin ! E : - C’est pour ça qu’il fait plus de fête ! R. – Et vous non plus, vous n’en ferez plus si ça continue, plus personne ne fera plus la fête ! Bon allez, tata. On a du boulot, nous ! Tu viens Lydie ? (Elles partent en colère.) Chef lapita traverse la scène à quatre pattes en collant l’oreille au sol, en reniflant, en mimant l’objet recherché dans l’espace ; les deux témoins sont figés, incrédules. Le chef sort par l’autre côté, toujours à quatre pattes.
Scène 5 Les deux reprennent leur position favorite, c’est-à-dire couchée. Lucky apparaît, décharné, en haillons, il titube, crie des borborygmes, gesticule, parcourt la scène dans un sens. Les deux le regardent déambuler, ils n’en croient pas leurs yeux. Lucky revient dans l’autre sens. Espadon l’appelle : B. – Tata, Lucky ! comment tu vas ? la forme ? E, lui lançant un coup de coude furtif. – Idiot ! L, semblant sortir d’un rêve, les fixe, hésite et dit. – Espader ! Bich’demon ! ça va ? E. – Nous, ça boume ? (Puis renchérissant.) et toi, la boulette ? B, même jeu de scène, coup de coude. – Imbécile ! L. – Moi ? pas fort… comme vous voyez… j’ai déconné… trop d’insouciance, trop d’inconscience… je me suis bouché les yeux et les oreilles… et voilà le résultat (Il fait mine de s’examiner.) et encore, je n’ai pas trop à me plaindre… J’ai vécu… j’ai profité de ma jeunesse… un peu… trop courte… mais y’a les enfants… qui naissent avec ça… avec le virus dans le sang… eux ils sont foutus dès le départ… faut les voir… toujours tristes…des enfants qui ne rient pas, c’est pas normal… tout ça à cause de types comme moi qui ne réfléchissent pas… et qui se retrouvent seuls… sans rien… sans amis… sans personne à qui parler… se confier… en attendant… en attendant le dodo ! … le dodo… définitif ! (Il arrête son monologue et repart sans un regard pour eux, comme un zombi.) E et B, essayant de le retenir d’un geste. – Hé ! Lucky !… (Trop tard, l’autre n’entend pas et disparaît.) B, médusé. – Awa ! elle a raison Rita, il est salement touché ! E. – Il a rencontré la dame blônche ou quoi ? B. – Il a carrément quitté l’astronef…Dis, tu crois qu’il va guérir ? E. – Ça paraît mal parti, tu te rends compte un si beau gars ? B. – Y m’a tué lui, j’ai besoin d’une petite sieste (Il baille.) en attendant… E. – … L’boulot ! l’gros lot ! (Ils s’endorment.)
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Le chef repasse, s’arrête devant eux, se gratte la tête, repart…
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Scène 6 Sonia revient avec un caddy surchargé, elle s’arrête. S. – Toujours en pleine réflexion ? B et E, ensemble. – Ben… on attend … S. – L’boulot, l’gros lot ! je sais. En attendant, tenez, (Elle leur jette deux petits paquets.) cadeaux pour vous ! B. – On n’avait pas dit des clopes ? E. – On n’avait pas parlé de canettes ? S, elle désigne les deux paquets. – Ça, c’est plus important et surtout meilleur pour la santé ! E. – Pourquoi tu nous donnes ça ? S. – Je viens de croiser Lucky en sortant du magasin, lui il a touché l’gros lot, c’est sûr. De le voir, ça m’a donné envie d’en acheter. B. – Dis, la maladie de Lucky, ça se guérit ? S. – Le SIDA, tu veux dire ! hélas non, pas pour le moment, mais on peut facilement éviter de l’attraper, y’a trois méthodes pour ça. B et E, ensemble, en criant presque. – LESQUELLES ? S, malicieuse. – Premièrement… pas de rapports sexuels ! B et E, ensemble. – ÇA VA PAS LA TêTE ! S. – Deuxièmement… la fidélité, n’avoir des rapports qu’avec son partenaire habituel. B et E, agacés. – OK ! OK ! passons vite au troisième ! S. – Le plus important (Elle fait durer le plaisir.)… Si par le plus grand des hasards… On est infidèle… (B et E de plus en plus intéressés.) On se protège avec un PRé… ? B. – PRéTEXTE… S. – Mais non ! Idiot ! Un PRé… ? E. – PRéPUCE… S. – Ah ! tu brûles, mais c’est pas ça ! Un PRé… ? E. – PRéSERVATIF ! S. – Bravooo ! Espadon. (Il se rengorge.) B. – Et ça se présente comment ? S. – T’en as un paquet entre les mains ! B, le lâche comme si ça brûlait. – C’est vraiment pas des clopes alors ?
Scène 7 Rita revient aider Sonia, elle remarque les deux avec leurs paquets de préservatifs.
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R. – Tiens, les deux vous allez vous rendre utiles pour une fois ! Ouvrez les paquets et sortez-en un ! Les deux, dociles, font les mêmes gestes dans un ensemble parfait. (Ouvrir la boîte, sortir un préservatif, l’examiner de tous côtés avec un air dédaigneux etc.)
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R. – Maintenant déroulez-le ! B et E, s’empêtrent, les font tomber, ne savent par quel bout le prendre. – On n’y arrive pas ! R. – C’est normal, il faut le dérouler sur un sexe masculin en érection ! B et E, horrifiés. – TCHAAA ! R. – Eh oui ! il faut appeler un tcha, un tcha ! écoutez attentivement, quand le sexe est en érection, on le déroule à l’endroit, le côté lubrifié à l’extérieur et on pince le petit réservoir pour chasser l’air, sinon il explose !
théâtre B, s’adressant à E en aparté. – érection… c’est quoi déjà ? R, qui a surpris la question. – érection c’est plus Espadon (Elle tend le bras devant elle, poing fermé.) que Bich’demer ! (Son bras se relâche et mollit.) B. – Pourquoi elle dit ça ? E, se rengorgeant. – Elle voit à qui elle a affaire, tiens ! R. – Bon allez, les garçons, entraînez-vous, mais… sans nous ! tata, tu viens Sonia. (Elles partent en riant.)
Scène 8 B et E sont pétrifiés, le bras en l’air avec chacun leur préservatif à bout de bras. B. – Ben, les femmes, elles en savent des trucs ! E. – On devrait leur parler plus souvent… B. – Comme ça, on aurait peut-être droit aux travaux pratiques, qui sait ? (Ils se marrent.) Un ange passe… Ils attendent, immobiles sur la natte, quelques instants, puis tous deux ramassent leur paquet de préservatifs, le regardent attentivement comme s’ils lisaient la notice et ensemble se lèvent. B. – Bon, la nuit arrive, je vais y aller ! on se voit ici demain comme d’habitude ? E. – Ben, tu sais, on devrait arrêter de traîner quelque temps, maintenant qu’on a bien réfléchi… et puis se bouger un peu pour trouver du…. B. – … boulot ? t’as raison !… mais y’a rien qui presse… et surtout pas décrocher l’gros lot ! E. – On pourrait se voir chez Lucky, ça lui ferait du bien de la compagnie, tu crois pas ? Ils sourient et se tapent sur la main. Le chef réapparaît et retrouve son battoir sous la natte abandonnée, il pousse un hurlement de joie. Musique entraînante (et locale). Tous les acteurs, actrices reviennent sur scène et dansent…
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RIDEAU
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Le Cul du cheval
e cul du
Jean-Paul Smadja
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A, B et C sont attablés à la terrasse d’un bar. L est la serveuse. A lit le journal, B s’occupe et C, genre intello, lit un bouquin.
L. – Alors ? Qu’est-ce que je vous sers ? A. – Pour moi, ce sera une topette. B. – Pour moi, ça sera un Jack on Ice (Prononcer «Djakon’naïsse».) C. – Moi je prendrai un tilleul menthe. B, le regarde bizarrement. – Eh ! Mais t’es malade ou quoi? On n’est pas à l’ACAPA, mon con ! Fais comme moi, prends un Jack on Ice ! C. – Bon ben alors heu… une pression. L. – C’est parti. Une pression, une topette et un Jack. (Elle ressort.) B. – On ice, n’oublie pas on ice ! («Onaïsse».) A, lisant le journal. – Eh ! T’as vu ? Les Américains, y z’ont rajouté deux réservoirs sur leur navette spatiale. B. – Ah oui ? Et ça change quoi dans ta vie ?
A. – Non, mais attends! Là ils disent que les ingénieurs qui les ont fabriqués, ils auraient bien aimé les faire plus larges, mais qu’ils ont pas pu. B. – Ah bon ? Et pourquoi ? Ils avaient pas assez de ferraille ? ! Hé hé ! A. – Mais non, c’est parce qu’il fallait qu’ils soient transportés par le train, et que sur la ligne qui va à Cap Canaveral il y a un tunnel qui passe sous les Rocheuses. B. – Ah bon ?… Et alors, ça fait quoi ça ? Pendant ce temps L est revenue et les sert un par un, puis elle reste pour écouter et regarde le journal par-dessus l’épaule de A. A. – Ben, le tunnel, ils disent qu’il est à peine plus large que la voie de chemin de fer, ils donnent même la mesure : 4 pieds et 8 pouces et demi. L. – Eh ! Mais c’est bizarre, comme chiffre ça, vous ne trouvez pas ? Tous les trois la regardent, mais elle ne s’en rend pas compte.
épisodes
B. – 4 pieds ? Ben mon con, y z’ont des sacrés panards, les américains! A. – Ouais…, je me demande pourquoi ils ont fait un écartement comme ça. C, levant les yeux de son livre. – Tout simplement parce que les ingénieurs qui ont construit les chemins de fer aux Etats-Unis étaient anglais. Alors ils ont pris la même mesure qu’en Angleterre. B, le regarde étonné. – Ah bon ? … Et pourquoi ? C. – Pour que les Américains achètent des locomotives anglaises. B. – C’est pas bête ça ! Fin malins les angliches ! A. – Oui, mais attends… pourquoi les Anglais avaient construit leurs voies ferrées écartées comme ça ? C. – Parce que les premiers chemins de fer ont été construits par les ingénieurs qui avaient construit les tramways, voilà ! Cet écartement était déjà utilisé.
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théâtre
B. – Ah ! ben voilà ! A. – Oui d’accord ; mais… pourquoi ils utilisaient « justement » cet écartement-là ? C. – Eh bien, parce que, à cette époque, dans toute l’Europe, et même en Angleterre, les routes étaient remplies d’ornières. à cause du passage des chariots, tu comprends ? A. – Et alors qu’est-ce que ça fait ? C. – Eh bien, un espacement différent aurait pu causer la rupture des essieux. B. – Oui, peut-être (« Petête ».) mais ce que je comprends pas, c’est pourquoi les ornières qu’il y avait sur les routes avaient «justement» cet écartement là ? C. – Je t’explique. Les premières grandes routes en Europe ont été construites par les Romains… L, le coupant, très contente d’elle. Ah oui ! Je sais pourquoi ! Je l’ai lu dans « Télé Star-Ac », pour le film « Le Gladiator » : (En faisant son petit effet et en forçant l’articulation.) c’était pour que les légions romaines se déploient facilement et rapidement ! C’était les « voies romaines ». Tous trois la regardent. B. – Les quoi ? C. – Elle a raison, c’était les « voies romaines ». C’était les premières autoroutes en quelque sorte. Elle est toute contente d’elle. A. – Ah ouais ! C’est comme la Savexpress chez nous. C’est les voies caldoches ! B. – Bon admettons… (S’adresse directement à L, comme une colle.) mais alors : pourquoi les Romains ont-ils choisi justement cette dimension-là ? L ne sait pas quoi répondre, B vient de la « casser ». C, venant à son secours. – Parce que les premiers chariots, c’étaient des chars de guerre romains. Qui étaient tirés par deux chevaux. Et comme ces chevaux galopaient côte à côte, comme dans Ben Hur, – t’as vu ? – ils devaient être suffisamment espacés pour ne pas se gêner. Et, en même temps, pour que le chariot soit bien stable, les roues ne devaient pas se retrouver dans les empreintes des sabots ; et il fallait qu’elles ne soient pas trop écartées non plus, sinon ça aurait pu causer des accidents lors du croisement de deux chariots. (Gestes à l’appui pour bien se faire comprendre.) L, à B. – Voilà ! ! ! Monsieur est satisfait ? A. – Ça alors ! Tu veux dire que si les ingénieurs américains n’ont pas pu construire leurs réservoirs plus larges, c’est à cause des chariots romains qui ont été construits 2000 ans plus tôt ? B. – Quand même ! Quand tu penses qu’au 21e siècle, les « moyens tech-no-lo-giques modernes » de transport dépendent encore de la largeur du cul d’un cheval ! ! ! d
épisodes
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Petit glossaire abrégé du théâtre .
A/B/C Ac te. Division externe de la pièce en parties d’importance sensiblement égale. Av ant-scène. Partie de la scène comprise entre la rampe et le cadre de scène. Ba lcon, corbeille ou paradis. Galerie en surplomb du parterre. Br igadier. Bâton utilisé pour frapper les coups annonciateurs du début d’une représentation. Ca botin. Acteur qui attire l’attention sur lui aux dépens des autres. Mauvais acteur. Ca nular. Farce, fausse nouvelle. Co médie. Action scénique qui provoque le rire par la situation des personnages. Co médien, comédienne. Celui ou celle qui joue la comédie, qui tient un rôle. Co ups (trois). Trois coups frappés pour attirer l’attention du public en lever de rideau. Co ur. Côté droit de la scène. (Jardin, côté gauche). Couturière. Première répétition en costume et dernière répétition avant la générale.
D/E/F Dé clamation. Art de dire un texte. Parfois péjoratif lorsqu’il s’agit d’un excès. Di stribution. Répartition des rôles. Dr amaturgie. Art de la composition d’une pièce de théâtre. Fa rce. Comédie vulgaire. Fo sse d’orchestre. Espace réservé aux musiciens. Four. Mauvaise pièce.
I/J/K
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In trigue. Ensemble des événements et rebondissements qui constituent le déroulement de la pièce. It alienne. Répétition sans costume, ni mouvement, ni technique.
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glossaire
L/M Le cture publique. Présentation orale d’une pièce, texte en mains, dans le cadre d’une mise en lecture. L’objectif consiste souvent à faire découvrir une œuvre et des interprètes en vue d’une éventuelle mise en scène. Le ver de rideau (un). Courte pièce offerte en ouverture. Ma rivaudage. Pièce galante. Mé lodrame. Drame populaire, souvent accompagné d’une mélodie, caractérisé par l’invraisemblance de l’intrigue et des situations, la multiplicité des épisodes violents, l’outrance des caractères et du ton. (Robert - 1991) Mi me. Imitation silencieuse d’une action. Mi se en scène. Ensemble des moyens d’interprétation scénique. Articulation entre le travail d’un metteur en scène et celui de chacun des comédiens qui concourent à l’œuvre. Monologue. Soliloque.
N/O/P Nô. Drame lyrique japonais. Opéra. Tragédie lyrique, chantée. Opérette. Comédie lyrique. Pa ntalonnade. Se dit d’une farce burlesque centrée sur un vieillard jaloux et dupé. Pa ntomime. Mime comique. Pa storale, pastourelle. Se dit d’une pièce dont les personnages sont des bergers ou bergères.
Q/R Quiproquo. Méprise. Ra mpe. Galerie lumineuse qui borde la scène. Ré pertoire. Ensemble des pièces jouées par un même théâtre ou ensemble des pièces d’un même style, d’une même époque ou ensemble des rôles qu’un acteur a interprétés. Répétition. Exercice préparatoire. Ré plique. Réponse, riposte d’un auteur à un autre. Re présentation. Action (ou son résultat) de simuler, par un langage ou un jeu, la présence d’une personne, d’un lieu, d’un événement. Il peut y avoir représentation en arts visuels, en danse ou au théâtre. Reprise. Retour d’une pièce à l’affiche. Rô le. Partition, verbale ou non verbale, propre à un personnage.
S/T/U/V Sa tire. Écrit, discours, diatribe, critique, moquerie. Saynète. Petite comédie divertissante. Su perstition. Utiliser « Merde ! » au lieu de « Bonne chance ! ». éviter la couleur verte sur scène. éviter de citer le mot « corde ». Ta ble (travail de). Désigne les premières familiarisations en groupe avec le texte. Th éâtre. À l’origine : point d’observation ; apparenté à théorie, point de vue. Le sens de « lieu d’où l’on regarde » (comme dans amphithéâtre), a pris de l’extension : édifice bâti ou aménagé pour la représentation (construire un théâtre), texte préparé pour une mise en scène (théâtre de Molière), et art de jouer sur scène (faire du théâtre). Ti rade. Longue suite de phrases récitées sans interruption par un personnage. Vaudeville. Comédie burlesque. épisodes
Jardin. Côté gauche de la scène. Ka buki. Forme traditionnelle du théâtre japonais, exclusivement masculine, caractérisée par la violence des intrigues et la somptuosité des costumes et des maquillages.
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Le portrait chinois de... Si vous étiez…
Vous seriez…
épisodes
Un objet Un stylo Un livre « L’histoire de ma vie » Une couleur Le vert de mon pays Une pierre précieuse Moi, pierre angulaire… Un tableau L’île de Maré - Nengoné Un parfum Celui du wapujaja (fleur de bois pétrole) Une fleur Le corilen (fleur d’hibiscus) Une sculpture Les falaises sculptées par le vent Une drogue L’écriture Un plat Le thon jaune mi-cuit Une lettre Le V de victoire Une boisson Le jus de coco Un élément L’eau Un animal Le cagou Une femme Ma mère (pour l’amour qu’elle sait donner) Un monument Le mémorial de La Monique Une année 2008 parce que j’ai beaucoup souffert mais que je me suis relevé Une ville Paris, ses murs gris mais sa flamboyance Un péché mignon Les femmes Un trait de caractère La rage de justice Un phénomène naturel La secousse qui nous remue la tête Un personnage célèbre Martin Luther King Un instrument de musique La flûte traditionnelle Un politicien Personne que je connaisse Une arme Mon théâtre Un sentiment La sincérité Un sport Le football Un mythe La fuite de l’igname Un métier Paysan hier, écrivain aujourd’hui Une chanson Le chant du cagou Une langue La mienne Un désir Le destin commun dans la sincérité Un proverbe Grandir par les actes Un souhait Ne pas mettre une chouette aux commandes du bateau.
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Pi
fiche auteur
ierre Gope .
Pierre Wakaw Gope œuvres principales
Théâtre :
• Wamirat, fils du grand chef de Pénélo, 1992. •O ù est le droit ? Okorentit ? éditions Grain de sable, 1994, 1997, 2002. • Le Silence brisé, 1996. • Le Cri du désespoir, 1997. • Cendres de sang, 1998. • Pavillon 5, 1999. • Le Dernier crépuscule. éditions Grain de sable, 2001.
• La Fuite de l’Igname, 2002. • Les dieux sont borgnes (avec Nicolas Kurtovitch). éditions Grain de sable, 2002. • Les Murs de l’oubli, 2003. • La Parenthèse (2004). éditions Traversées, 2005. • Les Champs de la Terre, 2005. • Passe, j’ai le temps, 2005. • La Nouvelle et sublime histoire de Roméo et Juliette, 2007.
Poésie
• S’ouvrir. éditions L’Herbier de Feu, 1999.
Mises en scène
En plus de ses propres pièces, mise en scène de : • Kënâké 2000, de Déwé Gorodé, Festival des Arts mélanésiens, Nouméa 2000. • A daptation du texte d’Aristophane Les Grenouilles, Pacifique 2004.
Prix et distinctions littéraires
• 2 009 : Prix Vi Nimö du SILO (Salon international du livre océanien), pour Où est le droit ?
épisodes
Okorentit ?
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Concours Convergence Pays Dans le cadre de ses activités citoyennes, l’association Convergence-Pays propose un prix pour la réalisation, en Nouvelle-Calédonie, d’un court-métrage sur le thème « Vivre ensemble ? » devant symboliser notre communauté de destin. Les propositions seront à remettre le 15 juin 2010 au plus tard et le jury Convergence-Pays récompensera l’œuvre la plus intéressante par un prix d’une valeur supérieure à 100 000 Fcfp ! Un prix spécial sera également décerné aux jeunes réalisateurs (- de 20 ans). Citoyens, tous à vos caméras ! Et n’hésitez pas à nous contacter pour connaître les modalités de ce concours. www.convergence-pays.nc Tél. 81 63 33
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