FEPS bulletin 3/2010

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Nº 3 2010

bulletin

sek · feps

Le magazine de la Fédération des Églises protestantes de Suisse

Le bénévolat dans l’Église 4 Entretien

20 L’économie après la crise

27 Révision de la constitution

L’Église pionnière : Lotti Isenring parle du bénévolat

Walter B. Kielholz à propos d’une Étude de la FEPS

Quelle fédération d’Églises pour la Suisse ?

8

22

28

Derniers chiffres

Églises : un nombre de bénévoles supérieur à la moyenne

Chrétiens au Proche-Orient

Un destin étroitement lié à la politique d’Israël

Portrait

Rencontre avec Thomas Wipf à la veille de la retraite


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bulletin Nº 3 / 2010

ÉDITORIAL

Les exigences des bénévoles Chère lectrice, cher lecteur,

Fédération des Églises protestantes de Suisse Case postale 3000 Berne 23 Téléphone 031 370 25 25 Fax 031 370 25 80 info@feps.ch www.feps.ch Parution : 3 fois l’an Tirage : 6750 ex. en allemand, 700 ex. en français Directeur de la communication : Simon Weber Administration : Nicole Freimüller-Hoffmann Rédactrice : Maja Peter Graphisme/Layout : Meier Mediadesign Silvan Meier Traduction : André Caruzzo Roland Revet Correction : Hélène Boegli Impression : Schläfli & Maurer AG, Interlaken Couverture : epd Anja Lehmann

Les bénévoles ne sont plus ce qu’ils étaient. Tant mieux ! Le monde a évolué, la société s’est transformée et l’Église s’est réformée. Les bénévoles dans les paroisses ne peuvent plus être les mêmes. Ce sont surtout les jeunes qui ont changé dans leur vision du bénévolat : ils ont d’autres attentes, de nouvelles exigences et une vision différente de la collaboration et de l’engagement au sein de l’Église. Seulement voilà, ça ne plaît pas à tout le monde. D’un côté, les pasteurs et pasteures se sentent débordés par les attentes des jeunes lorsque leur catéchisme a eu du succès. Comment satisfaire la nouvelle volée de catéchumènes et répondre en même temps aux attentes de ces jeunes qui, après leur catéchisme, en redemandent et s’engagent bénévolement ? De l’autre côté, les bénévoles de longue date s’interrogent sur ces nouveaux qui ne fréquentent que peu le culte et qui ont un fonctionnement qui les surprend. Une chose est sûre : sans l’engagement des bénévoles, l’Église n’existe plus. Et n’oublions pas que cette action incontournable et irremplaçable pour l’Église n’est rien moins que l’engagement du chrétien, de la chrétienne dans et pour la communauté dans laquelle il vit. Découvrez ce qu’une professionnelle du bénévolat pense, les dernières statistiques sur les bénévoles dans l’Église et ce que les bénévoles eux-mêmes ont à dire. Vous pourrez aussi lire une pointure de la finance, M. Walter B. Kielholz, qui commente la dernière publication de la FEPS : « Des règles honnêtes pour une économie équitable » que la FEPS vient de publier. Et enfin, il nous reste de différentes manières à souhaiter bon vent à celles et ceux qui ont œuvré au sein de la FEPS ces dernières années et qui nous quittent à la fin de cette législature. Bonne lecture Simon Weber pasteur, directeur de la communication


Sommaire

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Nouvelles de la FEPS

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Nouvelle constitution

Une Fédération d’Églises interactive : le nouveau site internet

L’entretien

« Les jeunes se manifestent avec davantage d’exigence »

Entretien avec une spécialiste du travail bénévole

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Statistique

Chiffres récents à propos du bénévolat dans l’Église Par Hans Lichtsteiner et Stefan Bächtold

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Une question, deux réponses

Quelles sont les raisons qui me poussent à travailler comme bénévole pour l’Église ?

Par Ernst Mäder et Julie Jeanrenaud

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de la FEPS

Quelle Fédération d’Églises voulons-nous ? Par Theo Schaad

Instantané

L’iconographie chrétienne

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20

L’économie après la crise

Investir dans la culture d’entreprise

Thomas Wipf

Par Walter B. Kielholz, président du conseil d’administration de Swiss Re

«Un oui à tous les êtres humains »

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31

Par Stephanie Riedi

Point final

Le bénévolat : une réponse à Dieu

Initiative contre la construction de minarets

Les leçons de l’échec de la campagne de la votation

Par Lucien Boder

Par Serge Fornerod

Voyage au Proche-Orient

17

Conseil de la FEPS

La fin d’une époque

Pour la coexistence des religions

Par Christian Vandersee

Par Peter Schmid

Le bulletin dans votre boîte aux lettres Nous nous ferons un plaisir de vous faire parvenir gratuitement le bulletin dans votre boîte aux lettres. Commandez le magazine de la FEPS. Pour ne manquer aucun numéro, veuillez envoyer un courriel en indiquant votre adresse et en mentionnant « bulletin », à l’adresse suivante : info@feps.ch, ou encore en téléphonant au 031 370 25 25

bulletin

Le magazine de la Fédération des Églises protestantes de Suisse


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bulletin Nº 3 / 2010

– L’entretien

« Les jeunes se manifestent avec davantage d’exigence » Dans l’UE, 2011 sera déclarée Année du bénévolat. Ce thème fait l’objet de discussions passionnées jusque dans les Églises réformées de Suisse. Lotti Isenring, responsable du bénévolat dans l’Église évangélique réformée de Zurich et membre du comité du Forum bénévolat, considère que l’Église montre la voie dans ce domaine et explique pourquoi il est préférable d’exprimer des critiques plutôt que de garder le silence. Par Maja Peter *

M

dans le sens d’une plus grande solidarité. D’un autre adame Isenring, quels sont côté, beaucoup de membres de l’Église estiment qu’il les renoncements auxquels est normal de prendre une part active à la vie ecclésiale la société devrait consentir s’il – c’est ce qu’on peut appeler le bénévolat. n’y avait pas tant de bénévoles travaillant pour l’Église ? Les bénévoles sont donc des ambassadeurs Le fait qu’il y ait des bénévoles de l’Église réforde l’Église ? mée permet, entre autres, les actions de la Main tenAmbassadeurs, constructeurs de ponts et, dans due, des visites aux personnes âgées ou aux malades, une grande mesure, multiplicatrices et multiplicateurs. que ce soit au domicile ou dans des établissements, des Lorsque ces personnes font de bonnes expériences, offres pour soulager les parents de petits enfants, ou elles en parlent et marquent ainsi l’image de l’Église. encore le commerce équitable avec les magasins Claro. Des bénévoles enseignent l’alleLe commerce équitable, l’aide mand pour EPER, l’association au développement, qui sont d’entraide de l’Église. Nomen particulier représentés par breux sont les jeunes qui s’en« Les bénévoles qui sont là EPER, Pain pour le Prochain gagent pour animer des camps depuis longtemps réagissent de vacances pour enfants, des parfois avec irritation à l’égard et les magasins Claro, sont nés de l’initiative de bénévoles de réunions de jeunesse, pour ordes nouveaux. » l’Église. Est-ce grâce au ganiser des événements, par bénévolat que l’Église peut exemple pour des « freeriders ». jouer un rôle de pionnier ? L’Église leur offre un espace Lors de la création du dossier « bénévolat », elle a dans ce but. Ce n’est pas seulement la société dans son joué un rôle de pionnier. Les bases en ont été élaborées ensemble, mais aussi l’Église elle-même qui dépendent par l’Église de Berne. Même lorsqu’il s’agit de l’engagedu fait que des gens s’investissent en faveur des autres. ment en faveur de la justice, des offres sociales destinées à des personnes marginales, des questions de reLe fait d’être en Église est-il donc étroitement lié lations entre hommes et femmes, l’Église, avec ses au bénévolat ? membres engagés, se situe sans aucun doute dans les D’un côté, l’Église offre un espace à des personnes premiers rang. Le « sacerdoce de tous les croyants » qui sont en désaccord avec la société et qui cherchent dont parle l’Église réformée est fortement axé sur la à s’engager au côté d’autres qui partagent leur avis,


Daniel Rihs

base. C’est une chance énorme. Si l’on arrivait à mobiliser davantage de gens en faveur d’un monde juste, d’une vie qui ait du sens, l’Église disposerait d’un grand potentiel. Mais, malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. Pourquoi ? D’une part, le nombre des engagements bénévoles diminue globalement. D’autre part, les structures ecclésiastiques ne facilitent pas des offres actuelles et innovantes. La Croix-Rouge suisse, elle, a des projets intéressants qui attirent davantage les bénévoles. Par exemple ? Des bénévoles accompagnent les personnes expulsées de force ou collaborent avec les services médicaux municipaux et assistent des malades chroniques dans leurs démarches et leurs soins. Pourquoi cela ne serait-il pas possible dans l’Église réformée ? Chaque paroisse est très occupée par le quotidien interne de la vie paroissiale. Pour des projets plus importants, impliquant des bénévoles, il faudrait que toutes les personnes qui y participent et qui appartiennent à diverses professions, pasteurs, diacres, employés de bureau, travaillent la main dans la main.

Ce qui est le cas dans quelques paroisses, malheureusement encore trop peu nombreuses. En outre, dans beaucoup de paroisses, on ne sait pas très bien à qui s’adresser. Ici ce sera la pasteure, ailleurs le ou la diacre. Si quelqu’un téléphone pour proposer ses services, la personne de contact ne saura pas toujours dans quel domaine on aurait besoin des connaissances et du savoir-faire d’un bénévole. À quoi cela tient-il ? J’entends souvent dire : « Nous en avons déjà tellement sur le dos, on ne peut pas s’occuper encore d’autre chose. » En outre, le bénévolat est un thème général exigeant qui disparaît souvent, effacé par le travail quotidien. C’est donc une question de ressources. Et de priorités. Mais il y a encore un autre problème. Certaines paroisses parviennent bien à recruter de nouveaux bénévoles assez éloignés de l’Église. Mais les bénévoles qui sont là depuis longtemps s’irritent parfois contre ces gens-là. Ils s’irritent ? La perception qu’on a de soi-même s’est modifiée. Jusque vers les années 1960, quelqu’un de religieux se sentait poussé par sa foi à s’engager de manière béné-


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bulletin Nº 3 / 2010

bénévoles. Partout où les projets sont élaborés en comvole. Ces personnes n’attendaient pas de reconnaismun avec les bénévoles et où ceux-ci peuvent accomsance pour le travail fourni. C’était quelque chose qui plir quelque chose d’assez exigeant, il est plus facile de ne se faisait pas. Pour la génération suivante, le bénépousser des gens à collaborer. Mais si les paroisses volat était, entre autres choses, une manière de se réacontinuent de partir de ce qui est utile au pasteur ou de liser. Chez les plus jeunes, il s’agit plutôt de se faire questions internes à la paroisse, elles ont du mal à plaisir. Ils veulent faire des expériences qui leur seront trouver des bénévoles. On assiste même à la diminuutiles dans leur vie professionnelle. Pour les plus antion de la disponibilité à exercer un ministère. ciens, il est insupportable que de nouveaux arrivés attendent quelque chose en échange de leur engagement. De nombreuses entreprises exigent également Les plus jeunes se manifestent également avec aujourd’hui un travail bénévole. De jeunes salariés d’autres exigences. L’un d’eux m’a dit attendre que les débutants, la « génération stages », doivent travailséances soient conduites avec rigueur. Il estimait que ler pour rien s’ils veulent avoir une chance sur le son temps était trop précieux pour le passer à d’intermarché du travail. Où se situe la frontière entre minables réunions. Autre point de friction, c’est que bénévolat et dumping social ? les « nouveaux » ne vont plus forcément au culte. Les La distinction est impor« anciens » se sentent blessés par tante, mais elle n’est pas simple. cette attitude et remettent en Autrefois, enseigner à l’École cause l’authenticité de l’engage« Il est important de du dimanche était du ressort ment, ce qui, à son tour, irrite les des bénévoles. C’étaient surtout « nouveaux ». parler à l’avance des attentes des dames qui s’en chargeaient. réciproques. » Puis, on a commencé à dédomEst-ce que le fait d’être prêt à mager les gens pour ce travail travailler sans rémunération en pensant qu’il ne fallait pas n’est pas, implicitement, de que ce soient toujours les femmes qui travaillent pour l’amour du prochain mis en pratique ? rien. Là-dessus, on s’est posé la question de savoir L’aide, la solidarité restent une motivation forte pourquoi ces femmes recevraient quelque chose tandis chez les jeunes. Mais on n’en fait pas toujours une afque d’autres n’auraient rien. Aujourd’hui, dans les pafaire de foi chrétienne. roisses de Zurich, les délégués reçoivent un dédommagement, même s’il est minime. Ce qui trace une limite Quels sont les domaines pour lesquels on par rapport au bénévolat non rémunéré. Et cela prépeut facilement motiver les gens en vue d’un vient les frustrations. travail bénévole ? Sur le plan du droit du travail, la distinction est Les paroisses qui assurent la promotion de jeunes évidente : le bénévole décide des tâches dont il ou elle responsables et leur permettent de suivre une formaveut ou non se charger. Le délégué, en revanche, a un tion continue PACE connaissent un grand succès. Les cahier des charges à remplir. En tout cas, la limitation responsables doivent sans cesse refuser des jeunes. des horaires est une protection contre l’exploitation : Pour l’aumônerie des hôpitaux ou pour la Main tenen moyenne pour une année, les paroisses ne doivent due, il n’y a pas non plus de difficulté à trouver des pas attendre plus de quatre heures par semaine de la part de leurs bénévoles.

Conférence des femmes et conférence de la diaconie FEPS Dans la période préparatoire de l’Année européenne du bénévolat 2011, une réunion commune des deux conférences aura lieu le lundi 22 novembre 2010 dans les locaux de la paroisse Saint-Paul, à Berne, sur le thème du bénévolat. Parmi les intervenants, la professeure Nathalie Amstutz, spécialiste en Diversity Management à la Haute École du Nord-Ouest de la Suisse (Fachhochschule Nordwestschweiz, Olten). Pour plus d’information sur ce point : www.feps.ch.

Les bénévoles constituent-ils une menace pour les places sur le marché du travail ordinaire ? Il faut éviter cela. Par leur initiative, les bénévoles créent en partie de nouveaux emplois, comme c’est le cas par exemple dans les magasins Claro. Dans certains cas, ils viennent en complément de postes rémunérés en consacrant davantage de temps à des tâches qui ne se justifieraient pas sur le plan financier. Qu’est-ce qui motive les bénévoles ? Le bénévolat offre la possibilité de sortir de son cadre habituel et de réaliser quelque chose, d’essayer


L’entretien

Les bénévoles sont des ambassadeurs et des constructeurs de ponts pour l’Église, dit Lotti Isenring, chargée du bénévolat à l’Église évangélique réformée de Zurich.

quelque chose de nouveau, de nouer de nouveaux contacts. Il permet de rencontrer des gens appartenant à d’autres milieux, ou de se trouver dans une autre phase de son existence. Selon l’activité choisie, on pourra faire quelque chose qui change de sa profession habituelle. Le bénévolat est un terrain d’expérimentation, un espace de liberté. Que faire pour que le bénévolat se déroule à la satisfaction générale ? L’essentiel, c’est l’attitude des paroisses. Il faut y accueillir les bénévoles comme des gens qui vont permettre de faire quelque chose. Les accompagner dans leurs activités. C’est-à-dire faire place à leurs capacités, mais aussi poser des limites. Il est également important de parler à l’avance des attentes réciproques et de bien définir les tâches, ainsi que l’investissement en termes de temps. Il est aussi très important de veiller à avoir des réactions en retour. Peut-on dire à une collaboratrice bénévole qu’elle n’a pas bien fait son travail ? Lorsque les choses ont été clairement définies avant le début du travail, les réactions en retour sont normales, y compris celles qui sont négatives. Les gens se sentiront davantage pris au sérieux si on leur fait des critiques plutôt que si on ne dit rien. Le fait d’exprimer ces réactions fait partie de la compétence de la direction et cela doit être renforcé dans l’Église. Qu’en est-il de la fiabilité ? Le bénévole souscrit à des obligations qu’il a luimême choisies et qui comportent un caractère d’engagement. On déplore un manque de fiabilité dans certains domaines, pas dans d’autres. Selon un chercheur allemand, les gens s’attachent d’autant plus à leurs obligations qu’ils y trouvent un avantage pour eux. Lorsqu’ils doivent se contenter d’accomplir des tra-

vaux auxiliaires pour quelqu’un d’autre, ils sont en général moins motivés. Une employée de l’Église m’a dit que l’appel à des bénévoles attirait surtout des membres fondamentalistes pour qui l’engagement comporte un aspect missionnaire. J’ai entendu parler de paroisses où cela se passe ainsi. Bien souvent, les milieux évangéliques attendent de leurs membres qu’ils travaillent pour l’Église. Une fois qu’ils ont pris les rênes, il arrive que d’autres bénévoles quittent la paroisse. Quelle est la réaction des paroisses ? Cela provoque quelquefois une certaine effervescence. Parfois on aboutit à des divisions, parfois, avec l’aide d’une autorité extérieure, on cherche des voies communes, il y a des paroisses qui redéfinissent leur offre. Lorsque les offres de travail bénévole sont clairement définies et vont rencontrer les gens là où se situent leurs besoins, cela présente aussi un intérêt pour les milieux qui n’ont pas d’ambition missionnaire. < * Lotti Isenring travaille au service du bénévolat

de l’Église évangélique réformée du canton de Zurich où elle milite pour qu’il y ait, dans les paroisses, une bonne base pour le bénévolat et que celui-ci soit mieux reconnu. Avec les responsables dans ce domaine des Églises réformées d’Argovie, de Bâle-Campagne, de Berne-Jura-Soleure et de Saint-Gall, elle a mis au point un guide et des outils à l’intention des paroisses sur la question du bénévolat. Ces instruments peuvent être demandés à ce service, on peut également les télécharger sur www.freiwillig-kirchen.ch. Au forum benevolat.ch, Lotti Isenring représente le bénévolat de l’Église dans la perspective de l’Année européenne du bénévolat 2011. Maja Peter est

rédactrice du Bulletin.

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Daniel Rihs

– Statistique

Chiffres récents à propos du bénévolat dans l’Église Les Églises dépendent de la collaboration de bénévoles : plus de 36 % des heures de travail fournies dans les organisations religieuses à but non lucratif NPO sont le fait de bénévoles. Selon une étude récente de l’Institut pour la gestion des associations VMI de l’Université de Fribourg, ce chiffre est au-dessus de la moyenne.

Par Hans Lichtsteiner et Stefan Bächtold *

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es organisations dont le profit n’est pas l’objectif mais qui sont au service d’une cause constituent le secteur tertiaire de la Suisse. Leurs activités viennent compléter les offres de l’économie de marché et celles de l’État, elles accomplissent ainsi un travail important sur le plan sociopolitique – que ce soit dans le domaine social,

culturel, économique, mais aussi spirituel. Parmi ces organisations sans but lucratif NPO on trouve également les Églises. Mais, étant donné que les réalisations des NPO ne sont prises en compte que de façon marginale et ne figurent qu’à peine dans les statistiques, l’Institut pour la gestion des associations VMI de l’Université de Fribourg, en Suisse, a récemment tenté


11,4 %

Associations sportives

5,0 % 5,8 %

Associations culturelles

3,9 %

Organisations sociocaritatives

2,7 %

Institutions ecclésiastiques

2,7 %

Groupes d’intérêt Services publics Partis politiques, services

de les prendre en compte dans le cadre d’une étude de grande ampleur et de les présenter sous forme condensée. Cette étude indique, entre autres choses, qu’il faut accorder au bénévolat une importance tout à fait particulière dans l’organisation des Églises. Par rapport à l’ensemble du marché du travail en Suisse, l’étude du VMI estime à près de 80 000 postes à plein temps les bénévoles travaillant chaque année pour des NPO – qu’il s’agisse d’aide aux personnes démunies, de loisir personnel, ou du bien commun. Ce qui correspond à près de 2 % du volume total du travail accompli en Suisse. Ce sont environ 25 % de la population entre 15 et 75 ans qui accomplissent ces tâches. Ces personnes s’investissent en moyenne 12,8 heures par mois en tant que bénévoles pour des NPO. Il existe d’importantes différences entre femmes et hommes quant aux secteurs d’engagement (cf. figure 1). En ce qui concerne les institutions d’Église, les femmes sont nettement plus nombreuses à s’y investir. Si l’on songe que plus de 36 % des activités effectuées dans les NPO religieuses sont le fait de bénévoles, on voit bien que, sans l’engagement et les diverses compétences apportées dans les institutions par ces per-

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4,4 %

4,3 % 5,1 % 3,0 % 3,1 % 1,3 % 2,3 % 1,0 %

■ Hommes ■ Femmes

Participation au bénévolat institutionnalisé en fonction des catégories et des sexes, en pourcentage du nombre d’habitants

Travail bénévole 36 % Travail rémunéré 64 %

Parts du travail bénévole et du travail rémunéré dans les organisations religieuses


Dans le cadre du projet « Generationenkirche » des bénévoles veillent à ce que jeunes et aînés se rencontrent, chantent et jouent ensemble.

sonnes, la plupart des organisations religieuses seraient totalement incapables de poursuivre leurs activités sous la forme actuelle. Cela n’a rien d’exceptionnel ; la situation est analogue dans la plupart des domaines d’activité des NPO. Toutefois, dans les organisations religieuses, la part du travail bénévole se situe légèrement au-dessus de la moyenne. Dans le secteur religieux, le bénévolat est très légèrement inférieur en importance à ce qu’il est dans des domaines citoyens et consommateurs, ou en politique, mais il est beaucoup plus important que pour ce qui est, par exemple, des questions d’environnement et de protection de la nature.

Le travail des bénévoles dans l’Église représente 150 millions de francs

L’importance de l’investissement des bénévoles dans les organisations religieuses apparaît nettement lorsque l’on considère la valeur en argent du travail fourni. S’il fallait rémunérer ces prestations, fournies sous les formes les plus diverses au service de la religion, cela correspondrait à un montant considérable : l’étude du VMI estime à plus de 150 millions de francs suisses le travail apporté chaque année sous forme de bénévolat. D’un point de vue budgétaire, le bénévolat est donc également indispensable pour les organisations religieuses. L’étude du VMI ne s’est occupée que des organisations sans but lucratif NPO privées. Selon les critères

internationaux habituels, ne font partie de cette catégorie que les organisations explicitement séparées de l’État. En ce qui concerne les Églises, cette situation est ambiguë, car, étant donné que dans la plupart des cantons on prélève l’impôt ecclésiastique par l’intermédiaire de la déclaration d’impôt officielle, les grandes Églises reconnues par l’État n’entrent pas dans la catégorie des NPO privées et ne sont pas suffisamment traitées dans cette étude. Toutefois, il est évident que le nombre déjà impressionnant de bénévoles engagés dans le secteur religieux pourrait en réalité être encore plus important. Ainsi que la contribution apportée à notre société par toutes ces personnes. <

* L’économiste Hans Lichtsteiner est directeur de

la formation continue à l’Institut pour la gestion des associations VMI de l’Université de Fribourg ; Stefan Bächtold, BA en sc. soc., est collaborateur scientifique du VMI et associé au projet d’étude. L’étude « Der Dritte Sektor der Schweiz » de l’Institut pour la gestion des associations de l’Université de Fribourg, Suisse, paraît en octobre 2010 aux éditions Paul Haupt, Berne.


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Nouvelles publications

– Nouvelles de la FEPS

Une Fédération d’Églises interactive À partir du 8 novembre 2010, la Fédération des Églises protestantes de Suisse FEPS disposera d’un nouveau site internet. Désormais, les utilisateurs pourront non seulement s’informer rapidement, mais aussi bloguer. En outre, la FEPS sera également présente sur Facebook et Twitter.

L

es utilisatrices et utilisateurs pourront trouver tout ce qu’ils souhaitent d’un seul clic de souris – qu’il s’agisse des derniers communiqués de presse, d’une prise de position politique, ou de publications. En outre, les utilisateurs auront le choix entre trois méthodes de recherche. Premièrement, la recherche par motsclés ; deuxièmement, la consultation des sujets d’actualité déterminés en fonction des mouvements des visiteurs. Enfin, troisièmement, la possibilité de trouver des informations précises sur un thème donné, comme les réflexions de la FEPS sur la Cène, ou ses prises de position sur la politique migratoire de la Suisse ou sur l’aide organisée au suicide. En réseau plutôt que replié sur soi – le nouveau site internet de la FEPS met ses contenus en lien avec les grands réseaux électroniques actuels. L’avantage de cette ouverture est que la Fédération des Églises protestantes de Suisse et ses Églises membres pourront être trouvées par d’autres voies que le site internet. Ainsi, certaines nouvelles seront communiquées par l’intermédiaire du service d’informations courtes Twitter, et le « pool d’images » sera disponible sur Flickr, principal réseau d’images d’internet. Parallèlement à la mise en service du nouveau site,

la FEPS se lancera sur Facebook, la plus importante plate-forme sociale actuelle, qui lui permettra de mettre certains thèmes et contenus en discussion à l’échelle mondiale. Un blog sera consacré aux articles du bulletin, qui pourront également être commentés par les lecteurs. Le site www.feps.ch se contentera d’une structure très simple. La rubrique « La FEPS » présentera les organes de la Fédération des Églises, autrement dit l’Assemblée des délégués et les départements du secrétariat. La rubrique « Église en relation » donnera accès à l’ensemble des activités de relations extérieures de la FEPS à trois niveaux : Suisse, Europe, monde. Les Églises membres trouveront ici des informations sur les fondations et les commissions, ou encore sur les relations œcuméniques à l’échelon national et international. La rubrique « Théologie et éthique » comprendra toute la palette des sujets traités par la FEPS, de la Cène en passant par les migrations. Et, comme sur la page d’accueil, les thèmes les plus actuels seront visibles d’un coup d’œil. Enfin, la rubrique « médias  », proposera aux journalistes une source de renseignements centralisée. < Toutes ces nouveautés seront à votre disposition dès le mois de novembre sur www.feps.ch.

Position sur le baptême

Dans la ligne des publications sur le rebaptême, la Cène et la consécration, le Conseil de la FEPS présente ici sa position sur le baptême. Le baptême manifeste la relation unique entre Dieu et l’être humain : Dieu conclut une alliance avec les humains, ceux-ci y répondent par une vie inspirée par la foi. Ce texte FEPS-Position reflète la discussion sur le baptême entre les Églises membres et se poursuit avec les recommandations du Conseil de la FEPS. Il s’agit là d’une étape dans le débat sur le baptême en Suisse et d’une importante contribution œcuménique à la reconnaissance mutuelle du baptême entre confessions chrétiennes. Publication de 64 pages, à commander sur www.feps.ch/shop.

Déclaration commune à propos du dialogue entre juifs et protestants en Suisse

Depuis plus de vingt ans, la Fédération suisse des communautés israélites (FSCI) et la FEPS se retrouvent dans le cadre de la Commission de dialogue protestants/juifs (CDPJ). Si, au début, il s’agissait surtout d’élucider la question de l’antijudaïsme dans les Églises et de renouveler leur image du judaïsme, le dialogue mutuel a de plus en plus remplacé le discours sur les autres. L’un des fruits du travail de la CDPJ est un document, désormais disponible, intitulé « Ensemble sur le chemin du respect. Déclaration commune sur le dialogue entre juifs et protestants en Suisse ». Il s’agit de la première déclaration commune officielle faite par des juifs et des chrétiens. Dans la présentation du texte, les notions centrales se trouvent chaque fois commentées en marge, en fonction des points de vue juifs et chrétiens, ainsi que selon les deux traditions (Midrash, gloses médiévales). Ce texte qui comporte 36 pages (d+f) peut être commandé sur www.feps.ch/shop.


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bulletin Nº 3 / 2010

– Une question, deux réponses

Quelles sont les raisons qui m comme bénévole pour l’Église

Suisse », j’ai pu mettre à profit mes connaissances d’ancien ingénieur civil en participant aussi bien à l’aménagement des locaux qu’à l’organisation de la livraison de la nourriture et de la distribution à nos visiteurs. Le « Poschtitäsche » de Wil (SG) a ouvert ses portes en avril dernier. Jusqu’à présent, près de 600 personnes ont visité notre « magasin ». Pour 1 franc, les détenteurs de la carte CARITAS peuvent y faire les achats n tant que membre de l’Église protestante et pour leurs familles. Plus de 2000 personnes devraient en tant que chrétien, je peux et me sens le ainsi avoir profité de notre offre de devoir d’assumer une nourriture. Aujourd’hui, je traresponsabilité envers vaille chaque semaine pour cette mes prochains et l’ensemble de la En tant que membre organisation dans le domaine de société. Il n’est pas dans mes habide l’Église protestante et la livraison de nourriture, de la tudes de le faire avec des mots. Je en tant que chrétien, je distribution et de la direction du suis convaincu qu’on peut obtenir me sens le devoir d’assumer projet. tout autant par l’action et le rayonLa reconnaissance de nos visinement personnel. C’est pourquoi une responsabilité teurs, qui représentent toutes les je veux mettre le temps libre dont envers mes prochains et couches de la population, toutes les je dispose comme jeune retraité au l’ensemble de la société. couleurs de peau et toutes les reliservice d’un projet social. gions, et l’occasion qui m’est ainsi En janvier dernier, la paroisse donnée d’apprendre à comprendre protestante de Wil (SG) a annoncé d’autres cultures et styles de vie, sont à la fois une source l’ouverture d’un centre de distribution de nourriture de motivation et le salaire de mon travail. < pour personnes aux ressources modestes. Des aides bénévoles étaient recherchées. Je me suis tout de suite senti interpellé, car j’estime qu’il n’est pas normal que, dans un pays aussi riche que la Suisse, des milliers de tonnes de nourriture consommable soient détruites chaque année, alors que, dans un même temps, des personnes aient faim ou doivent lutter pour chaque morceau de pain. * Ernst Mäder est ingénieur retraité. Dans la paroisse Lors de la planification de notre « Poschtitäsche » de Wil SG, il s’occupe de la distribution de secours alimentaires aux personnes nécessiteuses. réalisée en collaboration avec l’association « Table

Ernst Mäder *

E


me poussent à travailler ?

L

e bénévolat est une activité extrêmement riche aux niveaux relationnel, des expériences, de l’apprentissage de la vie, de soi et des autres. Lorsqu’on me demande pourquoi je suis bénévole au sein d’une structure chrétienne, les premiers mots qui me viennent à l’esprit sont richesse et expérience. Je suis bénévole au camp Junior, un camp lié aux propres valeurs, tout en ayant, au travers des échanges Unions Chrétiennes et qui fêtera bientôt ses 90 ans, avec les autres participants, une vision critique et ouautant dire que c’est un bel exemple verte de ce que la foi peut nous de la durabilité des valeurs chréapporter. tiennes qui ont su évoluer avec et L’expérience est un aspect plus « Il existe un partage de pour les jeunes au travers des gépragmatique du bénévolat. Ayant valeurs qui facilite la nérations. Je fais partie depuis trois été dans l’équipe de direction du communication. » ans de l’équipe de direction, comcatéchisme d’une paroisse du canprenant quatre personnes. Chaque ton de Neuchâtel à 18 ans, et étant été, sur huit jours, le camp Junior l’aînée de cinq enfants, j’ai pu apaccueille 150 campeurs de 11 à 18 ans venant de la prendre jeune le sens du mot responsabilité. Les ficelles Suisse entière, mais également de l’étranger. Une cinde l’organisation d’un camp, la préparation des études quantaine de moniteurs bénévoles de 19 à 65 ans les de texte, la gestion des moniteurs sont autant de compéencadrent. Le tout se déroule au camp de Vaumarcus, tences qu’il m’est possible de mettre en pratique dans le dans le canton de Neuchâtel. cadre du bénévolat ou dans d’autres contextes. Ainsi, j’ai La richesse est représentée, pour moi, par les pu développer différents savoir-faire qui me sont utiles échanges intenses qui rythment les camps, les motant dans la gestion du camp Junior que dans ma vie ments partagés uniques dans une ambiance pleine de professionnelle. < chaleur. Étant également bénévole dans d’autres structures, j’ai pu me rendre compte que, dans le milieu de l’Église, il existe un partage de valeurs qui facilite la communication et permet de vivre des instants de bonheur inoubliables. Le partage et la vie en communauté font partie intégrante de ces camps. Le fait d’être * Julie Jeanrenaud est ergothérapeute et travaille bénévole dans des structures chrétiennes permet d’apaussi bénévolement auprès de la jeunesse dans l’Église réformée de Neuchâtel. prendre à se connaître, à se mettre en accord avec ses

Julie Jeanrenaud *

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bulletin Nº 3 / 2010

– Initiative contre la construction de minarets

Les leçons de l’échec de la campagne de la votation


Lorsqu’il y a un an les électrices et les électeurs suisses ont approuvé nettement l’interdiction de la construction de minarets, les adversaires de cette initiative – parmi lesquels figuraient les Églises – se sont frotté les yeux. La Fédération des Églises protestantes de Suisse FEPS a soumis les résultats à une analyse attentive et en tire des conclusions.

Par Serge Fornerod *

A

vant le vote sur l’initiative concernant l’interdiction des minarets, la Fédération des Églises protestantes de Suisse FEPS avait promis aux habitants de notre pays de prendre au sérieux leurs préoccupations et leurs craintes. Aussi ne s’est-elle pas contentée de classer avec une surprise incrédule le résultat de la votation de novembre 2009, mais, avec des spécialistes de la Fédération et des Églises membres, ainsi qu’avec des chercheurs et chercheuses, elle en a fait l’analyse. La FEPS s’est interrogée pour savoir, entre autres choses, si les Églises avaient suffisamment discerné leur responsabilité dans le processus de votation et si la FEPS n’avait pas été trop naïve dans son argumentation contre l’initiative.

Les conclusions

Il est évident que les Églises ne pouvaient pas adopter une autre position que le refus, car la question de la liberté religieuse les concerne elles-mêmes au cœur. Il se peut que, par rapport au thème du vote, les Églises n’aient pas suffisamment saisi l’image globale de l’islam, et la stratégie de communication a peut-être été trop faible en raison d’une capacité financière trop restreinte. Les Églises restent convaincues qu’il n’y a pas d’alternative au dialogue interreligieux. Au cours de la discussion avec les Églises membres de la FEPS, on voit apparaître trois thèmes principaux sur lesquels il faudrait que les Églises, et notamment la FEPS, concentrent leur attention : a) Identité chrétienne et société civile. – Dans une époque postlaïque, il faut que l’Église

puisse être reconnaissable en tant que telle. Ce qui signifie qu’il faudrait davantage parler à partir du point de vue de l’Évangile. Lorsque les Églises prennent position en faveur des droits fondamentaux de la personne humaine, il faut se réclamer de l’Évangile et de la conception chrétienne de l’humanité. – Dans la tradition libérale, l’identité est vue comme quelque chose d’ouvert, de pluraliste, de divers. Pourtant, en suivant la définition, l’identité comporte également l’édification de frontières. Il faut prendre cela en considération dans l’argumentation. – Il faut que les déclarations des Églises s’adressent plus directement à leurs membres que ce n’est le cas actuellement. Il faudrait que la FEPS et les Églises membres organisent des débats sur des thèmes tels que « Identité et pluralisme », en partant du centre de l’Évangile. Mais, pour nous Église protestante, cela signifie également que nous devons respecter la conscience individuelle de chaque chrétien et de chaque concitoyen en tant qu’électeur. L’objectif principal de l’Église évangélique réformée ne saurait donc consister à mener campagne. b) Dialogue interreligieux. – Le dialogue interreligieux nécessite un nouveau débat critique au cours duquel on examinera avant tout ce qui nous unit, puis où l’on indiquera ce qui nous différencie. Comment vivre ensemble en paix

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en dépit de toutes les différences fondamentales ? – Après la votation de novembre 2009, les partenaires musulmans du dialogue avec les Églises se sont trouvés en position de faiblesse. Leur représentativité au sein de la communauté musulmane a été mise en question. Dans le dialogue interreligieux, il faut que les Églises examinent mieux la situation des musulmans entre eux et qu’elles veillent à ce que les partenaires du dialogue représentent effectivement leur communauté. Il est nécessaire de mener le dialogue interreligieux à tous les niveaux pour rassembler des personnes de différentes religions également à la base. – Il faut associer davantage les membres de base de l’Église au processus de formation de l’opinion au dialogue interreligieux. Il ne faut pas que les groupes de dialogue deviennent des groupes fermés. Il faut aussi faire place à la controverse dans les débats. – Comment les Églises chrétiennes peuvent-elles susciter chez les musulmans de l’intérêt pour le christianisme ? Des chrétiens se rendent parfois dans les mosquées, mais il est rare que des musulmans entrent dans les églises, et le dialogue ne peut pas être à sens unique. – Il faut distinguer entre dialogue interreligieux (théologique) et dialogue interculturel, mais les deux sont nécessaires. Le dialogue interculturel va au-delà du domaine ecclésial, c’est une affaire de responsabilité politique et sociale. La grande

Les Églises protestantes rejettent l’initiative populaire « Contre la construction de minarets ».

majorité des musulmans vivant en Suisse ne pratiquent pas leur religion – exactement comme la majorité des chrétiens. Les Églises ne sont pas assez fortes pour exercer une influence déterminante sur le dialogue interculturel. Celui-ci est au service de la paix religieuse et de la coexistence dans le respect mutuel. Dans le dialogue interreligieux, il faut un respect réciproque, donc il n’y a pas place pour la mission ou le prosélytisme. – Pour les chrétiens, chaque membre de l’Église représente l’ensemble de l’Église. C’est pourquoi ils considèrent également que chaque musulman représente l’islam. Les musulmans de Suisse doivent compter avec le fait qu’on les tiendra pour responsables de la façon dont des chrétiens et d’autres groupes sont traités dans des pays musulmans. c) Église et État / communautés religieuses. Dans les relations entre l’Église et l’État, il faut tenir compte de deux points : – L’éducation. C’est un moyen pour rendre la religion capable de mener un dialogue dont le contenu est relatif à la société civile. Il ne faut pas que l’éducation religieuse reste de la seule compétence des Églises régionales. L’État et le système politique doivent y prendre une part de responsabilité. L’enseignement religieux (pas éthique) à l’école primaire mérite une attention particulière : l’école doit être responsable de l’enseignement sur les religions tandis que l’enseignement religieux est de la responsabilité des Églises et des communautés religieuses. – La relation entre l’État et les communautés religieuses. Il est incontestable qu’avec l’évolution sociale, le rapport Église - État va devoir évoluer. Il sera de plus en plus important de bien montrer ce que les Églises peuvent apporter à l’ensemble de la société. <

6 arguments

* Le pasteur Serge Fornerod est directeur du sek · feps Fédération des Églises protestantes de Suisse

Dans la campagne de la votation, la FEPS a beaucoup insisté sur une information objective. Elle a développé des arguments théologiques et éthiques détaillés et a également mis un tract à la disposition des Églises membres pour diffusion.

Département Églises en relation à la FEPS. Ce texte est extrait d’un document plus long qui expliquait aux partenaires étrangers de la FEPS la façon dont s’étaient déroulés les débats autour de l’initiative pour l’interdiction des minarets.


De gauche à droite : Boder, Rossier, Schmid, Pfeiffer, Zimmermann, Gucker, Wipf, Reday, Schaad.

La fin d’une époque

Daniel Rihs

– Conseil de la FEPS

À la fin de cette année, cinq membres du Conseil de la FEPS sur sept vont quitter leur fonction. Leur collègue, Peter Schmid, qui comme la pasteure Kristin Rossier Buri est de nouveau candidat le 8 novembre, leur fait ses adieux. Irène Reday

Lucien Boder

Irène Reday (lic. rer. pol.), de Versoix GE a été membre du Conseil depuis le 1er juillet 2001. À partir de janvier 2005, elle en a été vice-présidente. Entre autres choses, elle a présidé le Fonds pour le travail des femmes et a participé régulièrement aux discussions de la délégation du Conseil avec la Conférence des évêques suisses et avec les Églises libres. Grâce à Irène Reday, nos Églises membres de Suisse romande ont pu se faire clairement entendre au Conseil. Sa longue expérience de la vie de l’Église et les regards qu’elle portait sur les événements quotidiens dans sa région ont enrichi les débats du Conseil. Ses compagnes et compagnons de route garderont longtemps un excellent souvenir non seulement de ses paroles et de ses actes, mais aussi de ses incomparables coiffures hivernales.

L’ancien président de l’Assemblée des délégués AD, le pasteur Lucien Boder, de Vauffelin BE, se retire après avoir travaillé pendant deux années avec le Conseil. Son exemple montre à quel point il est difficile d’exercer des fonctions ecclésiastiques à un niveau supérieur en plus d’un travail paroissial. Lucien Boder a été, entre autres choses, membre du présidium de la Communauté de travail des Églises chrétiennes en Suisse CTEC, de la commission des finances et du comité personnel/organisation/ finances. Il faisait partie de la délégation chargée des dialogues avec la Conférence des évêques suisses CES et avec les Églises libres. Ancien membre de l’AD, conseiller synodal de l’Église de Berne, pasteur de paroisse, il connaît d’expérience tous les niveaux de notre Église. Cette expérience – qu’il exposait à la fois dans une certaine proximité et avec une distanciation intérieure critique – a été importante pour le Conseil.

Urs Zimmermann Le pasteur Urs Zimmermann, de Niederrohrdorf AG, est arrivé au Conseil le 1er juillet 2005. Il a représenté la FEPS au conseil de fondation de Pain pour le Prochain PPP. Il a également participé à la Commission Église et Mission. Urs Zimmermann s’appuyait sur une profonde et longue expérience de pasteur de paroisse. Ce qui l’amenait à insister sans cesse sur les conséquences de la sécularisation, du pluralisme et de l’individualisme dans les paroisses. De façon inimitable, il introduisait chaque fois ses impressions par une tournure qui lui est propre : « Es ist mir entgegengekommen. »

Helen Gucker-Vontobel Helen Gucker, de Meilen ZH est entrée au Conseil le 1er janvier 2005. Elle était présidente de la commission des finances et du comité personnel / organisation / finances. Elle a collaboré à la commission provisoire de l’AD pour l’analyse financière ainsi qu’au groupe de travail de la CEPE sur les finances. Elle a en outre fait partie du conseil de fondation de « fondia ». Helen Gucker s’exprimait de manière percutante sur les diverses questions à l’ordre du jour du Conseil. Extrêmement compétente, c’était

réellement un expert en matière de finances et de personnel. Son action, dans ces domaines exigeants, était caractérisée par l’optimisme, la fiabilité, l’objectivité et la volonté de rendre effectivement les choses possibles. Elle travaillait sans agitation jusque dans les situations les plus difficiles, ce qui représentait un plus pour les travaux du Conseil.

Silvia Pfeiffer Silvia Pfeiffer, (Dr phil.), de Schaffhouse, a été membre du Conseil depuis le 1er janvier 2003, et vice-présidente depuis 2005. Elle a représenté la FEPS, entre autres, au conseil de fondation de l’EPER (Entraide protestante suisse), et elle faisait partie de la délégation pour le dialogue avec la Conférence des évêques suisses CES. Silvia Pfeiffer, qui fut longtemps présidente du Conseil de l’Église de Schaffhouse et qui avait une bonne expérience en tant que femme politique dans son canton, connaissait parfaitement les processus, les pratiques, les itinéraires impraticables et les facteurs de succès dans les institutions publiques. Sa compétence, sa joie de vivre, et aussi ses amicales relations avec les chats de Sulgenau, tout cela était important pour le Conseil. Pendant les séances, elle soulignait toujours, et de façon caractéristique, ce qui lui tenait le plus à cœur à l’aide de ses deux index tendus.


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L’iconographie chrétienne

– Instantané

L’iconographie chrétienne reste une importante source d’inspiration pour les artistes. Ainsi, la feuille de dévotion avec les blessures du Christ (1686/1700) de Johann Philipp Steudner est à l’origine du titre de l’exposition de l’artiste américain Matthew Barney, au Schaulager de Bâle, et du catalogue correspondant « Prayer Sheet with the Wound and the Nail » (Feuille de prière avec la blessure et le clou), paru aux éditions Schwabe-Verlag.

Les illustrations représentent les blessures au flanc du Christ et un clou de la croix. Les pères de l’Église établissaient un lien entre les blessures ouvertes sur le corps du Christ en croix comme sources de salut, et l’idée de la reproduction. Augustin parle ainsi de « porte de la vie d’où s’écoulent les sacrements de l’Église ». À la fin du Moyen Âge, le fait d’embrasser la feuille de prière valait des années d’indulgence, et semble avoir été une source d’inspirations les plus diverses pour les croyants …

Feuille de dévotion : Les blessures du Christ, 1686/1700, Johann Philipp Steudner, Germanisches Nationalmuseum Nürnberg. Reproduite à la p. 46 du catalogue de l’exposition de Matthey Barney, « Prayer Sheet with the Wound and the Nail », Schaulager Basel, en allemand et en anglais, CHF 35.−.

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Par Walter B. Kielholz

président du conseil d’administration de Swiss Re

– L’économie après la crise

KEYSTONE

Investir dans la culture d’entreprise

La crise financière a ébranlé l’économie mondiale, voire la société occidentale tout entière. Dans ce contexte, l’appel à un autre ordre économique – comme le préconise la Fédération des Églises protestantes de Suisse FEPS – ou au moins à une régulation beaucoup plus radicale de l’économie financière apparaît fort compréhensible. Mais est-ce le bon remède ? Ne faudrait-il pas plutôt développer une culture d’entreprise qui instaure la confiance ?

L

es entreprises évoluent dans un environnement changeant rapidement, où apparaissent sans cesse de nouvelles opportunités mais aussi des défis et des risques. Elles doivent composer avec les exigences souvent divergentes des collaborateurs, des actionnaires, des clients, des régulateurs ainsi que de la société et de ses divers groupes d’intérêts. Il y a quelques années encore, l’objectif considéré comme le plus important était de maximiser la « shareholder value » (la valeur actionnariale). Cette orientation vers la valeur actionnariale n’est pas fausse en soi et n’entre pas en contradiction avec une culture d’entreprise visant à instaurer la confiance. Cependant, en particulier dans le secteur financier, cet objectif doit s’accompagner d’une réflexion à long terme sur les possibilités de créer durablement de la valeur. Cette approche permet de tenir compte des besoins de notre société et d’augmenter ainsi la capacité de survie à long terme de l’entreprise. Outre le succès économique, les aspects de la durabilité écologique et sociale doivent devenir une préoccupation constante dans les activités quotidiennes. Ce qui suppose non seulement un contexte juridique et régulateur stable, mais aussi une

solide culture d’entreprise et du risque à l’intérieur comme vers l’extérieur. Les collaborateurs qui savent de quel côté se situe leur entreprise et qui, grâce à un bon salaire, un travail diversifié ainsi qu’une reconnaissance et des possibilités de progression actives, ont le sentiment d’être estimés à leur juste valeur, se montrent plus loyaux, plus performants et plus innovants, ce dont profitent en retour aussi bien l’entreprise que les clients et les investisseurs. Il faut pour cela une direction qui motive les collaborateurs et les encourage à se montrer efficaces.

Engagement en faveur de la protection du climat

Pour être capable de relever activement les défis de la société, l’entreprise doit s’appuyer sur des modèles d’avenir axés sur la création de valeurs à long terme qui permettent en même temps de maîtriser les problèmes à court terme. De tels modèles contribuent à renforcer la stabilité de l’économie et à faire de celle-ci un partenaire fiable de la société. Une firme qui assume sa responsabilité spécifique au sein de la société exporte aussi sa culture d’entreprise. Les Anglo-Saxons ont une jolie


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expression pour décrire cette idée : la « good corporate citizen », l’entreprise citoyenne qui fait partie intégrante de la société avec ses droits et ses devoirs. L’une des possibilités de satisfaire à cette exigence est d’offrir un jour de travail par année pour du travail bénévole, comme le font de nombreuses sociétés américaines ainsi que Swiss Re. Une autre est de s’engager culturellement dans le lieu d’implantation de la société. Il importe toutefois que la « corporate responsibility » soit liée au produit présenté ou à la prestation proposée par l’entreprise, si celle-ci ne veut pas être accusée de réaliser une pure mesure de relations publiques. À mon avis, elle est, alors seulement, crédible et peut agir en profondeur. Swiss Re, par exemple, s’engage beaucoup pour la protection du climat. En raison du changement climatique, les événements météorologiques risquent de devenir plus violents et de nous exposer à davantage de sécheresses, de tempêtes et d’inondations. Il s’agit de sinistres pour lesquels nous sommes souvent appelés à payer en tant que réassureur, mais aussi de domaines dans lesquels nous possédons une grande expérience. Il est donc logique que nous adaptions nos propres modèles de risques aux nouvelles conditions, que nous développions des solutions novatrices pour nos clients et que nous nous engagions en faveur de la politique climatique. C’est ainsi que Swiss Re, en collaboration avec des organisations d’intérêt public, soutient des projets d’aide dans des régions arides. En Éthiopie, pour prendre un exemple, nous finançons une campagne dans le cadre de laquelle des paysans peuvent contracter une assurance contre la sécheresse en collaborant à des projets en faveur du climat, tels que plantation d’arbres ou construction de canaux d’irrigation. Tous ces projets sont conduits sur le long terme et contribuent à éviter que les paysans ne s’appauvrissent en raison d’une sécheresse qui détruirait leurs récoltes. L’objectif est de concevoir ces projets de manière à ce qu’ils soient économiquement viables. En tant que réassureurs, nous avons l’habitude d’analyser en permanence le paysage du risque et de tenir compte des nouvelles connaissances dans nos activités. Un certain nombre de défis importants nous attendent ces prochaines années. Le changement climatique en est un. L’allongement de l’espérance de vie et le manque croissant de ressources pour financer les systèmes de retraites de nombreux pays et citoyens en sont d’autres. Ces défis économiques et sociaux ne pourront être maîtrisés qu’à travers une approche active des risques actuels et le développement de solutions novatrices. Or ce n’est pas dans un contexte excessivement régulé que celles-ci verront le jour, mais dans un cadre motivant pour le collaborateur et qui permette à l’entreprise d’assumer sa responsabilité et de créer de la valeur à long terme … y compris pour les actionnaires. <  ««

Des règles honnêtes pour une économie équitable Les crises financières et économiques récentes ont attiré l’attention de la société sur des problèmes profonds : à défaut de relations de confiance entre les divers acteurs, il est impossible d’avoir un système financier international solide. La confiance est liée à des valeurs éthiques. Celles-ci concernent les structures politiques et juridiques (éthique de l’ordre) la culture de l’entreprise (codes éthiques) ainsi que la conscience chez chaque individu de sa responsabilité personnelle (éthique individuelle). La présente étude analyse les crises financières de 2008 et 2010 dans la tradition de l’éthique protestante de l’économie selon Arthur Rich et fait des propositions sur un plan pratique à propos de la manière dont les valeurs éthiques pourraient stabiliser de façon durable, et pour le bien de tous, le système financier et économique international. L’objectif d’une éthique du système financier, dans une perspective protestante, doit être de contribuer à une économie « juste pour l’être humain » et « au service de la vie ». C’est dans ce sens que cette étude, en conclusion, plaide en faveur du concept intégral du « Global Green New Deal », allant plus loin que les questions financières. Cette étude est disponible sous www.feps.ch/shop.

Session « Les crises financières : un défi éthique ? » La FEPS organise le 8 décembre 2010, conjointement avec la Faculté de théologie de l’Université de Bâle, le Centre pour la religion, l’économie et la politique, le Forum pour les questions contemporaines, et l’aumônerie pour l’industrie et l’économie (Pfarramt für Industrie und Wirtschaft), une session sur l’évaluation éthique des dernières crises financières. Sur le plan pratique, on présentera des projets concernant la façon dont les valeurs éthiques pourraient stabiliser le système financier et économique international de manière durable et pour le bien général. Prendront part, entre autres, au débat Rudolf Strahm, ancien conseiller national qui fut surveillant des prix, Andreas Albrecht, président du conseil de la Basler Kantonalbank, et Renato Fassbind, ancien responsable financier et membre de la direction de Crédit Suisse Group AG, ainsi que le président du Conseil de la FEPS, Thomas Wipf. Le programme détaillé est sur www.feps.ch. La participation à cette session est gratuite. Le Forum pour les questions contemporaines (Forum für Zeitfragen) reçoit les inscriptions jusqu’au 29 novembre 2010 à l’adresse info@forumbasel.ch et par téléphone au 061 264 92 00.


Philippe Dätwyler

Vue d’une colonie israélienne en Cisjordanie


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– Voyage au Proche-Orient

Pour la coexistence des religions Du 25 septembre au 10 octobre 2010, une délégation de la FEPS s’est rendue au Liban, en Syrie, en Jordanie, en Israël et dans les territoires palestiniens. Elle a pu constater que la situation des chrétiens dans cette région était étroitement liée à la politique d’Israël. Le point de vue personnel de Christian Vandersee *, chargé des relations extérieures, sur la dernière partie du voyage.

«Q

ue les Églises suisses nous apportent leur soutien dans nos efforts pour plus d’humanité  !  » Les mots de l’évêque palestinien de l’Église évangélique luthérienne en Jordanie et en Terre Sainte, qui est également président de la Fédération luthérienne mondiale, sont clairs, engageants, discrets. Mounib Younan formule cette demande à la délégation de la FEPS à la fin d’un discours d’une heure sur la situation en Israël et dans les territoires palestiniens occupés. Il évoque aussi les difficultés de la lutte en faveur du respect des droits de l’homme, ainsi que la coexistence des religions au Proche-Orient. Cet entretien avec l’évêque palestinien Younan est l’un des derniers qu’a eus la délégation de la FEPS avec de nombreux représentants des Églises et des milieux politiques à propos de la situation des chrétiens dans chacun de ces pays. Beaucoup d’interlocuteurs – depuis l’évêque luthérien, à Jérusalem, jusqu’au ministre libanais de l’Information, Tarek Mitri, à Beyrouth, depuis le patriarche grec orthodoxe Hazim VI, à Damas, jusqu’au prince jordanien Ghazi Ben Muhammad, à Amman – ont insisté sur le fait qu’à leurs yeux la politique d’Israël était la pierre angulaire de cette problématique complexe. On évoque sans cesse le concept d’humanité, les possibilités de paix dans la région sont constamment mises directement en relation avec la

situation précaire des droits de la personne de la population palestinienne sous occupation israélienne. Au cours de la deuxième semaine de ce voyage, la délégation de la FEPS a pu se faire une idée de la situation dans les territoires palestiniens et en Israël. À Yanoun, petit village des environs de Naplouse, ainsi qu’à Hébron, elle a rencontré l’équipe d’EAPPI (Ecumenical Accompaniment Programme in Palestine and Israel) (cf. encadré).

L’expérience quotidienne de l’humiliation

L’importance du travail d’accompagnateurs bien formés apparaît très nettement à Hébron, la deuxième ville de Palestine. Non seulement elle est entourée de colonies israéliennes, mais dans la vieille ville ellemême on trouve environ 600 colons, près de 1500 soldats israéliens, et il reste approximativement 2500 Palestiniens. La plus importante des rues commerçantes est comme morte, tous les magasins sont fermés et barricadés, des postes de contrôle israéliens sont situés sur tous les points de passage et sur le chemin de la grande mosquée. À l’un de ces postes de contrôle, la délégation de la FEPS a été témoin d’un incident au cours duquel un Palestinien de 17 ans a été arrêté. Muhannad, accompagnateur œcuménique EA suédo-iraquien, en poste à Hébron depuis trois mois, nous apprend que ce jeune Palestinien a été accusé sans raison d’avoir insulté les soldats. Ceux-ci auraient alors exigé


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Renforcer les chrétiens du Proche-Orient

La délégation de la FEPS pour ce voyage au Proche-Orient était composée ainsi : Thomas Wipf, président du Conseil de la FEPS ; Kristin Rossier et Peter Schmid, membres du Conseil ; Ueli Locher, directeur d’EPER ; Christian Vandersee, chargé des relations extérieures à la FEPS ; Jochen Kramm, chargé des relations entre Églises à la CEPE ; des experts d’Églises cantonales : Philippe Dätwyler et Andrea König (Église évangélique réformée de Zurich), Christoph Jungen (Églises réformées de Berne-Jura-Soleure) ; Laurent Venezia du DM – échange et mission, Marc Schöni, spécialiste du Proche-Orient à l’ACO (Action chrétienne en Orient) et Francis Piccand d’EDA. L’objectif de ce voyage était de donner aux chrétiens de cette région un signe d’affection et de solidarité. Les membres de la délégation se sont entretenus avec des représentants des gouvernements et des communautés religieuses sur la condition des minorités chrétiennes ; ils ont parlé avec des représentants musulmans et juifs des situations concernant la coexistence des religions et discuté des possibilités de partenariat et de coopération. Ainsi, à Amman, le prince jordanien Ghazi Ben Muhammad a écouté avec intérêt la présentation, par le président du Conseil de la FEPS, Thomas Wipf, du concept de consensus de base des religions concernant les conditions de la coexistence, qui, à ses yeux, est très proche d’un contrat social. On envisage à ce propos un autre échange d’informations sur de possibles synergies.

En bas à gauche : Rébecca, du Programme d’accompagnement œcuménique EAPPI, montre son secteur de travail à Yanoun. Ci-dessous : Une rue commerçante morte à Hébron Ci-contre en haut : Le Mur en Cisjordanie.

En bas à droite : Débat public interreligieux avec le rabbin Ron Kronish, le Père David Neuhaus et le professeur Muhammad Dajan.

des excuses de sa part – une humiliation de plus dans sa vie. Cela fait partie de la stratégie des occupants israéliens. Comme le vécu quotidien des Palestiniens d’Hébron, par exemple : la rue du marché est étroite. En haut de cette rue, les deux côtés sont occupés par des colons israéliens qui y déversent continuellement des ordures, des gravats, des matières fécales et aussi des acides. Les Palestiniens se protègent tant bien que mal à l’aide d’un filet. Les nombreux postes militaires israéliens sont situés de manière à protéger avant tout les colons. C’est un cas limite, mais qui n’est pas isolé. Ailleurs, il arrive continuellement que des colons fassent valoir avec violence leurs revendications sur la terre palestinienne, par exemple en mettant le feu à des oliveraies entières de paysans palestiniens. L’armée israélienne ne les en empêche pas.

Un serment de fidélité contesté

Israël est la seule démocratie de la région et elle insiste sur sa qualité d’État juif. Le parlement israélien prépare actuellement une loi selon laquelle, à l’avenir, les citoyens non juifs devraient prêter serment de fidélité à cet État juif. L’histoire de la persécution des Juifs qui a connu en Europe au siècle dernier un horrible point culminant permet de comprendre que l’on souhaite avoir un lieu sûr pour eux. Mais la population arabe de cette région n’a en tout cas rien à voir avec cette histoire de la Shoah. Et c’est pourtant elle qui paie le prix d’une décision politique, historiquement justifiée par un traumatisme, et qui engendre un nouveau traumatisme : l’expulsion des Palestiniens. Il s’agit une fois encore de la profanation et de l’atteinte aux droits de tout un peuple, et ce n’est pas fortuit. Quelle est l’attitude de la société israélienne à ce sujet ? La délégation de la FEPS a cherché des réponses à cette question en rencontrant des rabbins, en discutant avec des fa-


Voyage au Proche-Orient

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Philippe Dätwyler

En haut : Un jeune Palestinien de 17 ans arrêté par des militaires à Hébron. En haut à droite : Rue du Marché, à Hébron, grille de protection contre les ordures des colons israéliens. En bas à gauche : Le dôme du Rocher sur le Mont du Temple, à Jérusalem. En bas à droite : Thomas Wipf, président du Conseil de la FEPS, s’entretient avec l’évêque luthérien Mounib Younan à Jérusalem.

milles libérales orthodoxes qui l’ont accueillie après une visite à la synagogue, en rencontrant un journaliste juif et en se rendant à Yad Vashem, le mémorial de l’Holocauste.

On ne veut pas de contacts

Yad Vashem est indispensable. Rien ne pourra expliquer la cruauté sans égal de l’extermination systématique des Juifs par le national-socialisme. Les documents rendent cette horreur perceptible, elle est présentée de façon impressionnante : le visiteur qui sort de cet angoissant mémorial de l’Holocauste arrive sans transition à la lumière et voit Jérusalem – l’Israël réel, avec le Mur, l’occupation et tout ce qui suggère que tout cela serait nécessaire. Mais est-ce qu’Israël ne pourrait pas trouver la voie d’un monde meilleur ?

D’un monde d’amitié, au lieu de cette hostilité, la voie d’une coexistence, plutôt que cette oppression ? Manifestement, le système présume qu’il n’y a aucun contact entre l’Israël officiel et les voisins qui sont dans la maison, les Palestiniens. Ce qui est tragique, c’est le retour de la même catastrophe : ceux qu’on avait autrefois enfermés dans des ghettos en construisent à leur tour. Le cloisonnement est délibéré, efficace, présent dans l’ensemble du consensus social : la méfiance fondamentale vis-à-vis des Palestiniens fait que tout contact a l’air d’une conspiration. Extérieurement, cela est confirmé par le Mur, l’interdiction pour les citoyens israéliens de fouler le sol palestinien. C’est presque avec soulagement que beaucoup de personnes cultivées fréquentant la synagogue nous expliquent qu’ils ne peuvent même pas aller voir des villes comme


Des volontaires engagés pour plus d’humanité

Philippe Dätwyler

Le programme œcuménique d’accompagnement en Israël et Palestine EAPPI est un programme du Conseil œcuménique des Églises COE. La partie suisse du programme est placée sous le patronage de la FEPS, l’EPER (Entraide protestante) étant chargée de la responsabilité opérationnelle. C’est Peace Watch Switzerland PWS qui s’occupe de la préparation et de la formation des volontaires. L’EAPPI souhaite accompagner Palestiniens et Israéliens sur la base des droits humains indépendamment de l’appartenance religieuse des personnes concernées. Mais la population israélienne a beaucoup de mal à accepter ce soutien, elle a davantage confiance en son armée.

En haut : Juifs avec les rouleaux de la Torah devant le Mur des lamentations à Jérusalem.

À gauche : Yad Vashem, mémorial de l’Holocauste, Jérusalem. À droite : Thomas Wipf s’entretient avec le rabbin Arik Ashermann.

Ramallah ou Naplouse. Ils ne comprennent pas ce que veut dire la question de la légitimité morale de la raison d’État et considèrent le problème de la discrimination des Palestiniens comme une conséquence regrettable, mais nécessaire, du besoin de sécurité d’Israël. Toutefois, une jeune politologue juive nous a dit se réjouir d’avoir des contacts avec des étrangers et a reconnu qu’elle ne souhaitait pas vivre dans un pays qui ne respecte pas les droits de l’homme. L’évêque luthérien Younan est palestinien de naissance, mais il continue d’avoir un passeport de réfugié dans son propre pays. « Nous comprenons que, après les persécutions, les Juifs éprouvent des craintes », ditil, en ajoutant, à propos du débat au parlement israé-

lien concernant le serment de fidélité : « mais nous avons peur de ce que vont devenir 30 % de non-juifs dans un État juif ». Il a élaboré quelques idées sur la façon de faire avancer la coexistence entre les personnes et les religions : un projet de manuel scolaire pour développer la compréhension de l’autre et le respect dans la coexistence ; un nouveau conseil des religions à Jérusalem s’en occupe sur le plan stratégique et une « hotline » devrait garantir une communication rapide en cas d’urgence. Le projet qui provoque actuellement le plus de débats est le document Kairos, écrit par des chrétiens palestiniens, intitulé « A moment of truth ». Le point central en est la reconnaissance de la dignité de chaque personne et l’attachement inconditionnel à la non-violence, y compris dans la résistance. L’évêque Younan a été l’un des premiers signataires. On discute actuellement avec passion de l’appel au boycott des produits en provenance des territoires occupés. Ceux qui sont à l’origine de ce projet le présentent comme la seule possibilité d’exercer une pression non violente et soulignent qu’à leurs yeux il s’agit de vigilance, de conscientisation et de responsabilité en matière de consommation. Le Conseil de la FEPS, après avoir examiné les expériences tirées de ce voyage, étudiera ce document. < Le rapport de la délégation est élaboré ces jours.

* Christian Vandersee (lic. théol.) est chargé des relations extérieures, œuvres et organisations missionnaires à la FEPS. Il a préparé, organisé et accompagné ce voyage au Proche-Orient.


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– Nouvelle constitution de la FEPS

Quelle Fédération d’Églises voulons-nous ? Le 9 novembre prochain, les délégués des Églises membres de la FEPS débattront de la nouvelle constitution de la Fédération des Églises protestantes de Suisse. Mais un article constitutionnel ne suffit pas à renforcer à lui seul l’identité communautaire. Par Theo SchaaD

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e contexte dans lequel les Églises déploient leur action se transforme rapidement. Les évolutions sociales tendant vers une sécularisation accrue se font ressentir. Le nombre de membres est en recul, ce qui se répercute également sur les ressources financières. Pourtant, la nécessité de se faire entendre en tant qu’Église chrétienne devient un défi grandissant dans le nouveau contexte de pluralisme religieux. Il n’en demeure pas moins que les Églises membres se trouvent à nouveau confrontées à la question : quelle Fédération d’Église voulons-nous ? Le 9 novembre prochain, le rapport « Pour une Fédération d’Églises de bonne constitution » sera soumis aux des délégués. Le Conseil y invite les Églises membres à engager un vaste processus de révision des tâches et des structures de la FEPS, en mentionnant quatre raisons. 1. Le protestantisme a besoin d’une identité communautaire forte. Aucune Église ne vit pour elle seule, chacune fait partie d’un tout plus large. Les Églises membres réunies au sein de la Fédération constituent l’Église protestante de la Suisse. 2. Beaucoup d’Églises ne peuvent plus relever à elles seules les nombreux défis que pose une société pluraliste. Elles ont besoin, pour y parvenir, d’une collaboration dans un cadre élargi. Celle-ci exige des instruments appropriés, mais aussi et surtout l’élaboration d’une volonté commune. 3. Les Églises membres sont de plus en

plus souvent appelées à se présenter et à expliquer leur message auprès de la société et de la population. Il faut développer pour cela un langage commun. 4. La constitution actuelle laisse ouverte la question de la légitimation de la FEPS à parler au nom de ses Églises membres. Si la collaboration et la volonté commune se renforcent, il importe de redéfinir également la légitimation de la Fédération des Églises, afin que celle-ci puisse être une partenaire fiable des autorités fédérales et au sein des organisations œcuméniques.

Une modification de l’article de la constitution énonçant les buts de la FEPS ne suffira pas à atteindre ces objectifs. Au cours de son élaboration, le rapport du Conseil a déclenché, chez beaucoup de participants, une démarche de réflexion. Il s’agit à présent de poursuivre le processus qui s’est engagé. Lorsque les questions de fond auront été clarifiées, les réponses pourront être transposées sous la forme juridique d’une constitution. Quelle Fédération voulons-nous ? Telle est la question posée aux Églises membres. Et pour répondre à leur vocation, celles-ci se demanderont : de quelle Fédération d’Églises la Suisse a-t-elle besoin ? <

Theo Schaad part à la retraite

Un directeur du Secrétariat chaleureux Lorsque le pasteur Theo Schaad a pris, en 2001, ses fonctions de secrétaire de l’Assemblée des délégués et de directeur du secrétariat de la FEPS, la Fédération était confrontée à des enjeux importants sur le plan de l’organisation. L’Assemblée des délégués de la FEPS avait demandé que les choses soient restructurées et il fallait pour cela un responsable ayant non seulement le sens de l’organisation, mais sachant également écouter, trouver le ton juste dans le dialogue, et veiller à ce que les différents rouages du secrétariat s’insèrent le mieux possible les uns dans les autres. Son autorité naturelle et l’expérience acquise à divers postes de direction dans l’Église méthodiste prédestinaient Theo Schaad à l’exercice de cette tâche. Au cours des neuf années écoulées, il

s’est énormément investi dans son rôle d’organisateur du Secrétariat et de lien entre les collaborateurs et collaboratrices d’une part, le conseil de la FEPS de l’autre. Lors de la restructuration de la maison du Sulgenauweg, Theo Schaad a également pu manifester sa passion pour les questions esthétiques : c’est à lui que l’on doit la transformation du Secrétariat en espace de travail moderne et en siège représentatif de la FEPS. Ce théologien tient beaucoup à l’Église protestante. Cela se voit ne serait-ce que par le travail intense qu’il a consacré au rapport sur la constitution de la FEPS, et donc à l’avenir de la Fédération. Theo Schaad prend sa retraite à la fin de cette année. Je le remercie de tout cœur pour cette collaboration amicale et efficace. Thomas Wipf

président du Conseil de la FEPS


Daniel Rihs

– Portrait

« Un oui à tous les êtres humains » Thomas Wipf a présidé pendant douze ans le Conseil de la Fédération des Églises protestantes de Suisse FEPS. Il prendra sa retraite à la fin de l’année. Bref portrait.


Thomas Wipf, pasteur et président du Conseil de la FEPS, est protestant à cent pour cent : malgré ses fonctions, il n’aime pas être le point de mire et préfère dire « nous » que « je ».

Par Stephanie Riedi *

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homas Wipf est un homme d’action. Même dans les petites choses. Ainsi, le président de la Fédération des Églises protestantes de Suisse (FEPS) préfère chercher son café luimême plutôt que de charger quelqu’un de le faire. Lorsqu’on lui demande quels sont ses projets pour la retraite, le besoin de bouger le reprend. Au lieu de répondre, il traverse son bureau bernois, ouvre la fenêtre et aspire profondément. « Ce sera un défi », déclare-til après un moment de réflexion. Depuis qu’il a fini ses études, ses journées ont toujours été structurées. « Je vais devoir apprendre à composer avec le temps qui m’est offert. Au début de 2011 commencera une nouvelle étape de ma vie. » Thomas Wipf a derrière lui trois mandats à la présidence de la FEPS. Douze années que cet homme de 64 ans a marquées de son empreinte : il a donné un visage à l’Église réformée en Suisse, et contribué à renforcer la présence de la Fédération et de ses revendications dans le débat public. Qu’il s’agisse des bonus des banques, de l’assistance au décès, de la protection du dimanche ou de la construction de minarets, il n’est guère de thèmes brûlants où le président de la FEPS n’ait pas été cité par les médias. Thomas Wipf a également pris une part prépondérante à la création en 2003 de l’Open Forum, destiné à donner davantage de transparence au Forum économique mondial WEF. Cependant, la manière dont il tire le bilan est typiquement réformée : « Ce n’est pas moi, mais nous tous qui avons renforcé la Fédération des Églises. »

… comme le diable craint l’eau bénite.

Inciter les vingt-six Églises membres de la FEPS à agir ensemble, voilà sans doute l’une des tâches les plus délicates de Thomas Wipf. Car le protestantisme craint le centralisme comme le diable l’eau bénite. En 2003, il – pardon, la FEPS – est tout de même parvenu à donner un signe à la veille de la guerre d’Irak. Une prière commune pour la paix a été organisée à la Cathédrale de Berne avec les fidèles des trois grandes re-

ligions monothéistes (judaïsme, christianisme et islam). À l’issue de cette manifestation, les représentants mandatés au niveau national ont signé la déclaration « Renforcer le lien de la paix », dans laquelle ils s’engagent à ne pas se laisser diviser même en cas d’opinions politiques divergentes. « C’était la première fois que juifs, chrétiens et musulmans priaient ensemble au niveau national dans la conviction que le désir de paix est enraciné dans chaque religion. »

L’Évangile est une offre qui s’adresse à tous

Pour le théologien et homme d’action Thomas Wipf, il ne fallait pas en rester là. Cette rencontre unique risquait de tomber trop vite dans l’oubli. « Dans une société multireligieuse, la cohabitation pacifique se voit constamment exposée à de nouveaux défis. » Il s’avérait donc nécessaire d’établir un dialogue permanent et d’entretenir un contact régulier avec le Conseil fédéral. Aussi Thomas Wipf est-il à l’origine de la création du Conseil suisse des religions, connu également sous le nom de SCR (Swiss Council of Religions). Depuis 2006, les représentations suprêmes des trois religions abrahamiques se rencontrent périodiquement pour des échanges sur des questions urgentes de politique religieuse. Les discussions peuvent aussi bien porter sur les symboles religieux que sur la préservation de la liberté de religion. «  Le Conseil représente une précieuse contribution à la compréhension mutuelle », constate Thomas Wipf. C’est en outre un plaidoyer adressé à la société pour davantage de respect et de collaboration. Le SCR est encore un cas unique en Europe. Grâce à ses expériences, Thomas Wipf vient d’être nommé membre protestant de l’ « European Council of Religious Leaders ». Il continuera de présider la Communion d’Églises protestantes en Europe CEPE et de poursuivre ainsi son engagement pour le protestantisme européen. Thomas Wipf attache beaucoup d’importance à la diversité des membres appartenant à une Église protestante. « Lorsque j’étais pasteur de paroisse, j’appréciais déjà son ouverture à tous les êtres

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bulletin Nº 3 / 2010

humains. L’Évangile est une offre qui s’adresse à tous. » Pendant plus de vingt ans, Thomas Wipf a été pasteur à Schönenberg (ZH). En 1993, il devint membre du Conseil de l’Église zurichoise et sa femme, également théologienne, reprit une partie du ministère pastoral. « C’était une très belle époque, se rappelle-t-il. Nous faisions partie d’une communauté paroissiale vivante, et beaucoup de personnes nous ont épaulés dans notre travail. » Solidarité est un maître mot dans la biographie de Thomas Wipf : « Un oui à tous les êtres humains, l’espoir et la sollicitude, telle est l’idée fondamentale de l’Évangile. » Étudiant, il s’est intéressé au mouvement de mai 68, dont les revendications en faveur de valeurs fondamentales comme la paix, la solidarité, la liberté, la justice sociale et économique l’interpellaient. Il participa même à un sit-in pacifique sur les rails du tram de Bâle pour protester contre la guerre du Viêt Nam. Selon lui, la génération de mai 68 « a soudain ouvert une fenêtre pour laisser entrer une bouffée d’oxygène ». « La société s’est vue contrainte de remettre en question des traditions qui jusque-là n’étaient pas discutées, mais simplement perpétuées. » ll a toujours su qu’il voulait suivre son propre chemin. « Mais l’idéologie de mai 68 m’a marqué, même si aujourd’hui je me pose un certain nombre de questions à son sujet. »

Des signes du destin

Deux signes du destin jouèrent un rôle déterminant dans sa décision de se tourner vers la théologie. Enfant, Thomas Wipf perdit un frère et une sœur, emportés par des maladies. Le garçon se trouva ainsi confronté très tôt à ces questions qui préoccupent depuis toujours l’humanité : d’où viens-je, où vais-je, quel est le sens de tout cela. Puis, à l’École de commerce de Zurich, il eut l’occasion de suivre un cours à option de l’ancien pasteur du Grossmünster, qui expliquait de façon vivante les liens entre les mondes matériel et spirituel. C’était précisément ce qu’il fallait pour enthousiasmer Thomas Wipf, dont la pensée associative et l’esprit de synthèse sont les points forts. C’est ainsi qu’au lieu d’étudier l’économie ou le droit, il décida d’explorer la problématique de la foi sur une base scientifique. À Bâle, à Münster (Westphalie) et à Zurich, l’étudiant se plongea dans le monde de la théologie protestante en s’intéressant en particulier à l’histoire des religions et à l’éthique sociale. Par son esprit libre penseur, Thomas Wipf s’inscrit dans la tradition protestante et son fondement critique à l’égard de toute hiérarchie. De même, il considère que l’indivisibilité entre foi et raison est une des conquêtes visionnaires de la Réforme au sens de Luther, Zwingli et Calvin. Posant comme devise que la

religion doit pouvoir être critiquée, la foi soumise à réflexion et l’Évangile vécu au présent, le président de la FEPS se montre ouvert aux innovations. « L’Église doit être là où sont les êtres humains. » À l’époque de la liberté postmoderne, il juge plus que jamais indispensable d’attirer l’attention sur ce qui est au centre de la foi : sur Jésus-Christ qui nous libère par son amour. Concrètement, Thomas Wipf souhaite entre autres que l’Église défende courageusement ses idées, et ce dans une optique progressiste.

« Redécouverte des espaces »

« La quête de sens, de soutien, de repères ne se fait plus de la même façon aujourd’hui qu’il y a deux ou trois siècles. » L’Évangile doit être enseigné de différentes manières, car la société actuelle est plus diversifiée. Pour Thomas Wipf, une approche possible réside dans le lien entre l’Église et la culture. « Pendant des siècles, la culture sous tous ses aspects a revêtu une grande importance pour l’Église et a été encouragée en conséquence.  » C’est ainsi qu’il s’est engagé pour que l’Église puisse être présente lors de l’Expo 02, où des artistes contemporains se sont penchés sur des questions religieuses. La FEPS, toujours grâce à l’engagement de son président, a également participé au prix du jury œcuménique du festival du film de Locarno. D’autre part, l’ancien pasteur voit dans la « redécouverte des espaces » par l’Église une démarche porteuse d’avenir. En divers endroits névralgiques, comme la gare de Zurich ou dans des aéroports et des centres commerciaux, des espaces de silence sont aujourd’hui à la disposition des gens stressés. De même, la plupart des édifices religieux traditionnels invitent de nouveau à la méditation. « L’église doit être ouverte et accueillante. Beaucoup de personnes sont à la recherche de lieux de paix et de recueillement. » En tant que président de la FEPS, il ne fait aucun doute que Thomas Wipf a contribué à préparer le chemin pour l’avenir d’une Église protestante vivante. Son action et ses mérites de théologien ont du reste été récompensés par le titre de docteur honoris causa des facultés de théologie de Münster (Westphalie) et Debrecen (Hongrie). <

* Stephanie Riedi est journaliste indépendante à Zurich.


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Par Lucien Boder

De 2008 jusqu’à la fin de 2010 membre du Conseil et pasteur à Rondchâtel BE

– Point final

Le bénévolat : une réponse à Dieu

L’

étude Stolz-Ballif veut nous aider à lire la situation dans laquelle nous vivons en tant qu’Églises en ce début de XXIe siècle. Ainsi, que cela nous plaise ou non, ces sociologues ont décrit un certain nombre de grandes tendances dans les comportements de nos contemporains, au nombre desquels nous devons nous compter : un renforcement de l’individualisme, un changement des valeurs avec une recherche plus marquée du plaisir, une concurrence accrue dans l’offre religieuse. Je ne saurais en aucune manière contester ces observations que je peux aussi faire dans ma paroisse. Cependant, c’est comme si la réalité voulait s’entêter à brouiller les cartes, à tout compliquer. Malgré cet individualisme galopant, cet abandon du sentiment de service à rendre à la société, une palette toujours plus large d’offres reli-

gieuses, l’engagement, la fidélité, la ténacité des bénévoles dans foule d’activités paroissiales m’impressionnent toujours. Ainsi, lorsque nos Églises font un bilan social, le nombre d’heures que ces hommes et ces femmes offrent à la collectivité est tout simplement impressionnant. C’est à rester sans voix, lorsque nous réalisons ce que cela représente par personne et par semaine… Ces engagements forcent le respect et la reconnaissance. C’est certainement l’expression de cette notion théologique du sacerdoce universel qui nous est si chère à nous protestants. Un engagement en forme de reconnaissance et de témoignage de foi, notre réponse à l’engagement de Dieu envers nous. Bien sûr, comme pasteur de paroisse, j’aurais parfois envie que, dans certains domaines, il y ait encore plus de béné-

voles, plus de réponses à nos sollicitations. Mais, en même temps, je me rends parfaitement compte que la manière dont nous, les professionnels, demandons, attendons ces engagements, doit évoluer. Il nous faut apprendre à motiver, à accompagner, mais aussi à exprimer notre reconnaissance et à valoriser ce travail, notamment en offrant des formations adéquates. Les bénévoles doivent être plus impliqués dans la mise en place de nos stratégies paroissiales, ils doivent être nos partenaires dans la prise de décision et non de simples exécutants… Et il est une chose qu’il nous faut peut-être encore apprendre : c’est de parfois leur laisser plus franchement la place, avoir des idées nouvelles … tout ne doit pas toujours être fait comme hier. C’est, je crois, le gage d’être, ensemble, toujours mieux, une Église accueillante, missionnaire, interpellante, qui fait envie. <


Dans ce numéro

« L’aide, la solidarité restent une motivation forte chez les jeunes. » Lotti Isenring « Toutefois, dans les organisations religieuses, la part du travail bénévole se situe légèrement au-dessus de la moyenne. » Hans Lichtsteiner

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« Cette orientation vers la valeur actionnariale n’est pas fausse en soi et n’entre pas en contradiction avec une culture d’entreprise visant à instaurer la confiance. » Walter B. Kielholz page 20 « Nous avons peur de ce que vont devenir 30 % de non-juifs dans un État juif. » L’évêque luthérien Mounib Younan

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sek · feps Fédération des Églises protestantes de Suisse

www.feps.ch


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