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LA BANDE À BRANDON
Brandon Wen se démarque dans la foule. Mais cette foule, ses ami·e·s, sont des personnes spéciales et d’incroyables artistes. Nous avons feuilleté l’album de Brandon pour brosser le portrait de quatre monuments inspirants.
Mich Le
Faut-il vraiment présenter Michèle Lamy ? Créatrice de mode, égérie, mannequin, performeuse, conceptrice de meubles, artiste, musicienne… La liste est longue. L’amitié entre Michèle et Brandon est née lors du stage de celui-ci au siège parisien de Owenscorp, au Palais Bourbon.
« J’ai repéré Brandon en 2019. Alors stagiaire, il coupait des mètres et des mètres de tulle. » À l’époque, elle travaille sur une performance avec Cecilia Bengolea à New York. Brandon devient l’un des danseurs principaux du spectacle « Before We Die » et collabore au stylisme des archives de Comme des Garçons. « Il est apparu comme une évidence que nous allions travailler régulièrement ensemble. »
MAvec Michèle, les opportunités ne manquent pas. Après un parcours intéressant, elle est désormais la force motrice de Owenscorp aux côtés de son mari Rick Owens. Michèle étudie le droit et travaille comme avocate dans les années 60 et 70. En mai 68, elle monte aux barricades. À la fin des années 1970, elle abandonne la profession d’avocate. Elle travaille comme danseuse de cabaret avant de déménager à Los Angeles pour ouvrir deux boîtes de nuit et créer sa propre marque de mode. Rick Owens pose sa candidature et devient rapidement une valeur importante dans l’entreprise et dans la vie de Michèle. Ils s’installent à Paris et se marient en 2006. Michèle est une touche-à-tout, et c’est aussi cette polyvalence qu’elle admire chez Brandon. « Brandon peut tout faire : sculpter du bois, performer, créer. Il amène tout le monde à la danse. » Après un vernissage de David Zwirner, on lui demande dans un restaurant si elle peut nommer un grand artiste ? « Brandon, Brandylaa has it all. »
Quid de l’avenir ? « Anvers est une ville qu’il a toujours chérie, d’autant plus avec sa nomination au poste de directeur artistique du département mode de l’Académie royale des Beaux-Arts. »
@lalamichmich
Benjamin Abel Meirhaeghe
Lors de notre arrivée, le metteur en scène et contre-ténor Benjamin Abel Meirhaeghe est en pleine répétition pour sa dernière production, « Ode to a Love Lost ». Au cours des prochaines années, le tout nouveau directeur artistique du Toneelhuis et Brandon partageront leurs expériences à la tête d’une importante maison culturelle. « Rendre possible l’impossible, c’est notre boulot. » Le duo s’est rencontré lors d’une exposition pour le Musée de la mode d’Anvers. Benjamin exécute une performance dans la dernière salle, le commissaire associe Benjamin à Brandon, qui lui confectionne une tenue. Ce look est à la base d’une amitié entre les deux hommes. Benjamin est immédiatement conquis : « Brandon est audacieux, dans tout ce qu’il est et fait. Il est tellement franc et radical dans ses réalisations. Dans la grisaille anversoise, ses couleurs explosent. Il estime que sa mission est d’égayer le monde, ce qui entre en totale contradiction avec mon travail, qui se produit dans les recoins sombres du théâtre. » Benjamin marque quant à lui ce théâtre de son empreinte. Il entend remettre en question la manière dont le répertoire classique du ballet et de l’opéra s’inscrit dans le présent. Sans glorifier l’art ancien, il faut donner, en période de conservatisme, une nouvelle place à certaines valeurs. Plutôt que de monter un Casse-Noisette contemporain, il mélange les ressources et déplace des éléments. Juste avant la première de sa nouvelle pièce, c’est le chaos dans sa tête, ça peut encore partir dans tous les sens. « Je suis du genre à tout changer à la dernière minute. Les comédien·ne·s et l’équipe sont sur scène comme des gardien·ne·s de but, prêt·e·s à encaisser : que va-t-il faire maintenant ? Ça comporte des risques, car je peux rater le ballon, mais ça crée aussi une certaine excitation. »
Pas étonnant, avec 8.000 tuyaux métalliques en guise de décor. Une histoire d’amour complexe et la rémanence de la douleur confèrent à « Ode to a Love Lost » tout son piment. Il est particulièrement conscient de la fugacité des choses. « Ce buzz autour de ma personne peut s’éteindre demain. Le public fréquente moins le théâtre, les gens optent aujourd’hui pour des choses plus sûres. » Benjamin espère une collaboration entre les deux maisons. « Brandon pourrait prendre en charge le stylisme d’une pièce. Encore faut-il que j’habille mes comédien·ne·s (rires). »
(Dans « Madrigals », ils étaient nus sur scène, NDLR.) Son rêve ? « Un spectacle au pied d’un volcan en éruption. Mais dans ce cas, je devrai choisir de bons gardien·ne·s de but. »
KATI HECK
L’artiste Kati Heck, héritière de l’expressionnisme allemand, vit en Belgique depuis 20 ans. Elle expose actuellement à Heimat, en Allemagne, au Kunstmuseum Schloss Derneburg de la Hall Art Foundation. Elle partage avec Brandon une fascination pour les mises en scène dramatiques, les coupes et les tissus. Kati Heck a étudié à l’Académie royale des Beaux-Arts. Dans son travail, elle utilise parfois des pièces issues de collections d’anciens camarades de classe. « Des matières spéciales, des coupes inhabituelles, des couleurs vives… Un vêtement peut complètement déterminer un tableau. Il peut contribuer à porter le contenu d’une œuvre. » Sa famille et ses amis sont les modèles de ses peintures surréalistes. Si elle repère une personne au look fascinant, elle lui demande de poser. Toujours avec respect, bien sûr. « Si je fais le portrait de quelqu’un en raison de son physique particulier, je le fais sérieusement. La beauté se trouve dans tout, y com- pris dans les parties étranges ou difformes du corps. » En 2019, Brandon est le premier modèle qu’elle caste sans le voir au préalable. « Chris Gillis, une amie commune et une des professeur·e·s de l’Académie de la mode, ne tarissait pas d’éloges sur le travail et le physique de Brandon. J’ai voulu le rencontrer au plus vite. » Aussitôt dit, aussitôt fait. Brandon est venu, il a apporté des pièces de sa collection et l’a conquise. « D’autres modèles portaient également certaines de ses créations, on a tout de suite accroché. »
Ils se croisent principalement dans la vie nocturne anversoise, lors d’un vernissage ou chez des amis mutuels. « C’est une personne si particulière, une espèce de feu d’artifice, à la fois dans son apparence et dans son caractère. » Les œuvres de Kati Heck révèlent une forte interaction entre le modèle et la peintre. « En utilisant quelqu’un dans une peinture, on combine une partie de sa personnalité avec ses propres idées. Je suis convaincue que nous aurons d’autres occasions de collaborer. » timvanlaeregallery.com - Expo « Kati Heck » Kunstmuseum Schloss
Derneburg, Hall Art Foundation, jusqu’au 14 mai 2023 - hallartfoundation.org
BALOJI
« Always yes for Brandon ! », répond Baloji avec enthousiasme lorsqu’on lui demande s’il a un peu de temps à nous consacrer. Le rappeur/cinéaste/acteur/styliste/poète/auteur-compositeur est actuellement en pleine finition de la postproduction de son premier long-métrage, « Augure ». Dans le film, des marginaux luttent contre le système patriarcal qui les enfonce dans leur statut de laissés-pourcompte. La première en octobre coïncide avec la présentation de son livre et l’exposition éponyme au MoMu. Elke Hoste, professeure à l’Académie royale des Beaux-Arts, présente Brandon à Baloji. « Elle a un œil aiguisé pour la mode et m’avait parlé d’un étudiant spécial. » Cette rencontre a immédiatement débouché sur une collaboration : Baloji utilise quatre silhouettes de la collection éthique de Brandon dans son clip « Peau de Chagrin ». Le créateur a une approche unique de l’identité africaine, ce qui séduit immédiatement Baloji. « Il incarne lui-même différentes cultures : la pop cul-
Bture américaine, la cérébrale belge, une pincée d’Asie… » Le duo fonctionne. L’année dernière, Baloji a organisé A/part pour Flanders DC. « Je voulais absolument travailler avec Brandon et j’ai intégré Café Costume. » Ils ont mis la marque au défi de sortir de sa zone de confort avec une collection plus inclusive, sans vouloir être tendance. Une réussite. Le processus est le plus important, pas le résultat. « Tell the story because it is important to you. Chaque projet se heurte à des problèmes, ce qui peut générer les plus belles idées. Travailler de façon axée sur les résultats ne laisse pas de place pour ça. »
Le cloisonnement est une autre chose à laquelle il est allergique. « Je fais plein de trucs différents : réaliser des films et me produire sur scène, écrire des poèmes et jouer la comédie… Les gens ont parfois du mal avec ça. Mon travail me représente, il est organique et surtout pas rigide. »
Le conseil de Baloji à Brandon ? Ne pas perdre son lien avec la création. « Reste concentré. Les plus grands talents ont une solide éthique de travail et s’intéressent aux personnes qui les entourent. Lesquelles ne leur disent pas constamment qu’ils sont formidables. »
@baloji