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L’ÉLÉGANCE TRANSGÉNÉRATIONNELLE

BNatan fête son quarantième anniversaire sans flonflon ni trompette. Au programme ? Rajeunissement et renouveau. La beauté classique de la maison est-elle intemporelle ou un nouvel élan est-il nécessaire ? En 2023, une jeune équipe se mettra, en collaboration avec Christophe Coppens, en quête de réponses.

ruxelles, au numéro 158 de l’avenue Louise. Alors qu’un vent froid souffle à l’extérieur, le premier étage de l’imposant siège de la maison Natan est en émoi. Je suis assis à une table ronde, au beau milieu de tringles présentant la nouvelle collection hiver et des allées et venues d’une jeune équipe. « La semaine prochaine, nous avons le défilé haute couture à Paris et, en parallèle, le lancement du prêt-à-porter », entend-on en bruit de fond. Tout le monde est sur le pont.

Inutile de présenter la maison Natan, comme le prouve une vaste enquête menée en 2020 par « Knack Weekend » et les magazines féminins de Roularta. Pour les consommateurs·trices belges, lefournisseur breveté de la Cour qui propose d’élégants vêtements féminins est la marque de mode belge la plus identifiable. Le fondateur Edouard Vermeulen (65 ans) est lui-même, selon l’étude, le quatrième couturier belge le plus connu, dans le sillage de Dries Van Noten. Aujourd’hui, la marque célèbre ses 40 ans, un anniversaire prestigieux. Mais au lieu de simplement organiser une fête, Edouard Vermeulen a invité Christophe Coppens (53 ans) à bousculer les codes pendant un an. Lequel a quitté le monde de la mode il y a plus de dix ans. Aujourd’hui, il monte dans le train en marche, et c’est déjà une nouvelle en soi.

Expérimentations

Edouard Vermeulen himself me rejoint à la petite table ronde. « Cette année, je souhaite procéder à des expérimentations dans le but de découvrir ce que Natan pourrait être dans les dix prochaines années. Inviter Christophe était une évidence. Nous nous connaissons depuis longtemps, il a travaillé pour Natan. Non seulement il connaît la maison, mais il a aussi bâti une carrière internationale en tant que créateur de mode et artiste. Pour moi, c’était lui ou personne. »

Une attention accrue pour l’étranger et surtout un léger rajeunissement, tels sont les objectifs d’Edouard Vermeulen. « L’état d’esprit de la femme de 45 ans est différent aujourd’hui. Elle privilégie un look plus casual qu’il y a 40 ans. Mais elle demeure le cœur de cible de notre clientèle. Ne vous attendez donc pas à un revirement radical. Je souhaite juste que Natan évolue. »

Une évolution donc, pas une révolution. Natan se caractérise au fil des décennies par sa constance. Et par son amour du vêtement. Natan, c’est Natan. Alors que le chiffre d’affaires d’une kyrielle de maisons est surtout généré par la vente d’accessoires, Natan s’en tient principa- lement à l’habillement. « Aujourd’hui, les boutiques de nombreuses marques consacrent seulement 10 % environ de leur surface aux vêtements », explique Edouard Vermeulen. « Le reste est occupé par les accessoires. Les vêtements sont considérés comme une accrocheregard plutôt que comme l’élément essentiel. Faut-il évoluer dans ce sens ? C’est pour répondre à ce genre de questions que nous avons embauché Christophe. »

Allegro ma non troppo

Quand Christophe Coppens prend place en face de moi, je lui demande de quoi la maison Natan a besoin pour devenir une marque pérenne. « Je ne peux pas et ne veux pas me prononcer », répond-il en toute honnêteté. « Je n’ai pas cette prétention. J’entends surtout examiner ce que représente Natan aujourd’hui et travailler sur cette base. On peut comparer cette démarche à la mise en scène d’un opéra, ou comment collaborer avec de nombreux talents et faire ressortir le meilleur de chacun d’entre eux. Parlons donc désormais de Natan : l’opéra. (rires) »

Étant donné que Christophe compte plusieurs opéras à son actif, la comparaison n’a rien de saugrenu. Cependant, ce sera un opéra d’un autre genre, car Christophe entend jouer les trouble-fêtes. Ce projet peut être comparé à ce qu’il a récemment réalisé au Musée royal des Beaux-Arts d’Anvers (KMSKA) qui a rouvert l’automne dernier. Il y a conçu un parcours pour les jeunes enfants composé de statues à câliner ou à grimper, accrochées au mur ou posées à même le sol. Chez Natan, il veillera à transgresser de la même façon. « La plupart des gens ne connaissent de Natan que son lien avec la famille royale », explique-t-il. « Ce qu’on oublie souvent, c’est qu’Edouard Vermeulen conçoit des créations très modernistes : simplicité, discrétion et précision donnent le ton. Je veux mettre l’accent là-dessus par le biais de la perturbation. » Christophe est du genre tapageur et maximaliste. Le clash s’annonce fascinant.

MARIE CHARLOTTE

Telle grand-mère, telle petite-fille

« On pense souvent que Natan conçoit des vêtements pour les nantis alors que la maison vend du prêt-à-porter à prix compétitif en plus de la haute couture », ajoute Christophe. Pour lui, l’innovation réside dans cette donnée : faire en sorte que Natan touche toutes les personnes qu’elle peut toucher. Non seulement les plus de 40 ans, mais aussi les trentenaires, voire les personnes dans la vingtaine. La jeune équipe, dont la moyenne d’âge est de 35 ans, y contribuera : les trentenaires sont importants parce qu’ils font le lien entre la jeunesse et la clientèle existante de Natan. Beaucoup de trentenaires ont été embauchés ces dernières années. Marie Charlotte (36 ans) est l’une de ces nouvelles recrues. Elle travaille comme consultante en image depuis près de deux ans et se concentre sur la manière dont l’histoire de Natan est diffusée. Marie n’est pas une inconnue au sein de la maison. Nièce d’Edouard Vermeulen, elle a déjà travaillé pour le couturier. Elle a ensuite déménagé à Londres pour bosser pour la Condé Nast Foundation, Tank Magazine, NET-A-PORTER et Selfridges. « Je suis de retour au bercail », dit-elle en riant. Marie a développé une vision internationale, mais elle connaît aussi très bien la maison Natan. Sa conclusion rejoint les propos de Christophe Coppens. « J’associe Natan aux vêtements que ma mère, ma grand-mère et moi-même portons. En réalité, je porte aussi les habits de ma grand-mère sans que personne ne me qualifie de vieux jeu. Natan est une marque intemporelle, qui peut être appréciée par les jeunes et les moins jeunes. » Pour Marie, c’est clair : les vêtements de Natan sont parfaitement contemporains, mais il y a du pain sur la planche en matière d’image. « Parfois, les gens s’étonnent de voir que Natan

MILENA AVETISYAN

propose aussi des vêtements décontractés. » Beaucoup pensent encore que nous ne créons des vêtements que pour des occasions spéciales. Mais un pantalon large n’est pas vraiment destiné à une quadra qui se rend à un mariage, n’est-ce pas ? Il s’agit de mieux refléter notre ADN. »

En résumé, il s’agit de rester soi-même tout en veillant à toucher tout le monde, y compris les jeunes. Les marques fidèles à elles-mêmes sont intéressantes, celles qui changent d’identité de manière schizophrène apparaissent plutôt creuses. Parmi les jeunes dans la vingtaine, il y a aussi des amateurs·trices d’une expression des formes plus classique. La preuve avec Milena Avetisyan (22 ans), la dernière recrue de Natan au sein de l’atelier de couture. L’étudiante en stylisme de la Haute École Francisco

Ferrer à Bruxelles y effectue un stage pour la seconde fois. « Mon style vestimentaire est plutôt classique et dégage une certaine sérénité », souligne-t-elle. « Natan correspond tout simplement à mon caractère. En outre, son savoir-faire me plaît. Combien de marques possèdent encore un atelier de couture aussi vaste sur place ? Je veux acquérir les connaissances nécessaires pour créer ici un style féminin classique. »

Eleganza anno 2023

Parfois, le monde de la mode se focalise sur les jeunes qui se pavanent sur les réseaux sociaux à coups de sneakers Balenciaga et d’accessoires Louis Vuitton clinquants. « L’élégance n’est pas une question d’âge », souligne Milena. « Je présume que l’innovation qui sera mise en œuvre n’affectera donc pas l’ADN de la marque. Pour moi, Natan n’a pas besoin de changer. Les bonnes marques, comme Dior, conservent leur nature. Et il y aura toujours de la place pour ce genre de pièces. »

Être fidèle à ses propres valeurs, tout en les véhiculant mieux auprès de la cliente, tel semble être le message. Pourtant, à la fin de ma conversation avec Edouard Vermeulen, je ne peux m’empêcher de lui demander, sur un ton un peu taquin, comment il réagirait si Christophe suggérait soudainement de développer des sneakers, l’article par excellence décrié par le couturier dans presque toutes ses interviews. Mais aussi une véritable vache à lait de la mode. Il me répond avec une certaine irritation dans la voix : « Je lui dirais : mais fais donc ! » Avant de me lancer un regard de réprobation comme pour indiquer : mais veillons à ce que ça n’arrive pas, s’il vous plaît. Vermeulen restera toujours Vermeulen. natan.be

STREAM’HER

F Minise Le Paysage Du Streaming Francophone

Le digital est un milieu qui favorise encore largement le genre masculin et le streaming n’est pas épargné par ce phénomène. Deux entrepreneuses belges sont pourtant déterminées à prouver que les femmes ont toute leur place sur ces plateformes.

Le streaming, c’est la diffusion en direct de contenu vidéo. Initialement associée aux jeux vidéo, la pratique s’est progressivement ouverte à d’autres disciplines comme la musique, l’art ou la cuisine. Le hic ? Les leaders restent majoritairement masculins. On compte ainsi seulement trois femmes dans le top 100 des streamers·euses dans le monde et la présence des femmes sur Twitch – la plateforme de streaming la plus fréquentée – est encore très minoritaire.

Inspirées par l’association Les Internettes, (collectif qui réunit, valorise et encourage les créatrices de vidéos sur le web, notamment sur YouTube), Chloé et Ilaria créent Stream’Her : une communauté similaire, active dans le monde du streaming. Une initiative aujourd’hui présente dans toute la francophonie, avec pour objectif de l’étendre aux créatrices de contenu néerlandophones et anglophones.

Sur tous les réseaux, Stream’Her entend servir de tremplin pour les streameuses en devenir. Au programme : tournois de jeux vidéo, événements caritatifs, mises en avant hebdomadaires de créatrices, ainsi qu’un serveur Discord, un logiciel de messagerie instantanée utilisé en masse par les gamers et gameuses.

Le chat y accueille plus d’un millier de streameuses qui s’entraident au quotidien. « Il s’agit d’un lieu où elles peuvent poser leurs questions techniques ou juridiques », développe Chloé, « le cyberharcèlement est courant dans ce milieu, donc on en parle et on trouve des solutions ensemble. » L’une d’entre elles se présente sous la forme d’Allo Modo, un canal spécifique de leur serveur Discord, sur lequel des streameuses peuvent demander l’aide d’autres utilisatrices. Dans le cas d’un stream qui touche un sujet sensible et prône au cyberharcèlement, certaines streameuses joueront ainsi le rôle de modératrices sur le direct d’une autre et s’assureront de supprimer tout commentaire haineux.

Des formations à la création de contenu vidéo

Pour lancer leur projet, Chloé et Ilaria ont participé en 2022 à l’incubateur We Are Founders pendant neuf mois. Celui-ci accompagne les personnes dans le développement de leur projet entrepreneurial. À travers un programme sérieux, elles ont pu s’investir à temps plein dans Stream’Her et acquérir les compétences nécessaires à la gestion d’une entreprise. En plus de l’accompagnement personnalisé et de l’expertise d’entrepreneurs mentors, la formation donne un accès illimité aux bâtiments de BeCentral. Les futurs « founders » ont ainsi pu profiter de l’écosystème digital du campus numérique et créer des liens solides avec d’autres acteurs du monde de la Tech.

À terme, la volonté des deux streameuses est de démocratiser le streaming, notamment grâce à des événements et formations. Au début de l’année dernière, Stream’Her a donc lancé une première formation en collaboration avec la Ville de Bruxelles et GIRLEEK, une plateforme d’acquisition de compétences numériques dédiée aux femmes. Durant quelques semaines, elles ont accompagné 40 participants et participantes dans le développement de leur présence sur les réseaux sociaux. Il s’agissait d’un accompagnement complet et individuel pour apprendre à réaliser une vidéo qualitative, de l’idée jusqu’au partage sur les réseaux sociaux. Elles ont ensuite décliné cette formation en cinq webinars et trois Masterclass pour rendre leurs connaissances accessibles à un plus grand public.

Peuvent Poser

Leurs Questions Techniques Ou Juridiques

Dans le futur, Chloé et Ilaria aimeraient continuer à mettre en place d’autres formations, concentrées sur le streaming en particulier. « On a vu qu’il y avait une demande de ce type de formations, qui est vraiment notre domaine d’expertise », explique Chloé, « on cherche donc du financement pour pouvoir les proposer. »

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