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ÉDITO
SOMMAIRE
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p.62 Ce que les femmes attendent de Joe Biden
4 ÉDITO 12 TOUT CE QUI VA FAIRE VIBRER L’HIVER
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14 NEWS L’actu qui nous touche, nous interpelle 18 REPORTAGE Rescapée des camps chinois
TÊTE-À-TÊTE(S)
36 ENTRETIEN Penélope Cruz, quadra solaire 42 RENCONTRE Maria Grazia Chiuri et
Rachele Regini, le feu sous la grâce
CULTURE
50 AGENDA Expos et sorties 52 LIVRES Philippe Besson,
Le dernier enfant 54 CINÉMA Se souvenir de Chantal Akerman 56 MUSIQUE Calogero : « Je suis du côté des femmes »
MAGAZINE
58 PHÉNOMÈNE Aya mania 62 INTERVIEW Ce que les femmes attendent de Joe Biden 66 ASTRO Horoscope feel good 70 TÉMOIGNAGES Un couple peut en cacher un autre… 74 TENDANCES Slow, le nouveau crédo 78 MOI LECTRICE « J’ai passé sept jours de silence dans une abbaye »
CAROL GUZY/ZUMA/REA. CAROL GUZY/ZUMA/REA. Manteau en polyester mélangé Boss, sweat-shirt en coton
Compagnie de Californie, body en Nylon Coperni, short en polyamide Gauchere. Casquette en coton Stray Rats, sac Kelly, en cuir Hermès. p. 82 Street fighter
LOU ESCOBAR. XAVI GORDO. PRESSE.
MODE
82 Street ghter 92 Clair de lune
MODE D’EMPLOI
100 ACCESSOIRES Nouveaux classiques
BEAUTÉ
104 FORME Les 10 secrets de l’énergie
LIFESTYLE
118 ÉVASION Martinique, l’île verte 122 DÉCO Le kitsch, tout un art
126 MASTERCLASS Le man’ouché
128 HOROSCOPE
130 LE QUESTIONNAIRE Camelia Jordana
Penélope Cruz, photographiée par Xavi Gordo. Réalisation Anne-Sophie Thomas. Body NotShy, jean Levi’s. Créoles et jonc Gas Bijoux, bracelets Bonanza, ceinture Etro. Assistante stylisme Agathe Gire. Coiffure et mise en beauté Lancôme réalisées par Pablo Iglesias/NS Management, avec Sérum Advanced Génifique, Teint Miracle 035 Beige Doré, Belle de Teint 04 Belle de Miel, Mascara Hypnôse 01 Noir, Palette Hypnôse 01 French Nude, Crayon Khôl Brun et le Rouge à Lèvres L’Absolu Rouge Intimatte 212 Undressed. Manucure Lucero Hurtado. Production Zoé Martin/Producing Love, avec, à Madrid, Eva Mangas, assistée de Lucas Parrotta et Cesar Herrera.
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p. 122 Le kitsch, tout un art
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Visitez le paradis de la Riviera turque
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Après une année où voyager n’était qu’un rêve lointain, le moment est enfin venu de planifier de nouvelles vacances reposantes dans des lieux exotiques. Voyagez sur la charmante Riviera turque, où des plages accueillantes, une mer d’un bleu limpide ainsi que luxe et détente ultimes vous attendent.
Voyage Belek Golf & Spa vous invite à passer des vacances où chaque instant se transforme en une expérience inoubliable. La station ouvrira ses portes cet été avec un concept renouvelé et de nombreuses nouveautés exceptionnelles.
UN EXCELLENT SERVICE, TOUT AU LONG DE VOS VACANCES
Profitez d’un confort incomparable dans les chambres d’hôtel spacieuses et élégantes au design architectural remarquable qui vous permettent d’adapter votre espace personnel à vos besoins. De plus, il existe désormais un espace lounge gratuit ainsi qu’une nouvelle salle de loisirs où vous pourrez confortablement attendre votre chambre lors de votre enregistrement ou de votre transfert au moment du départ. De cette façon, chaque invité pourra pro ter pleinement du privilège Voyage avant et après ses vacances.
PLAISIR CULINAIRE
Un vent de changement sou e sur les restaurants et le concept food & drink du Voyage Belek Golf & Spa. De nombreuses nouveautés vous attendent dans les bars qui proposent une riche sélection de boissons et de cocktails élaborés avec des marques premium de renommée mondiale. De plus, ce complexe ne compte pas moins de neuf restaurants à la carte, dont l’un est ouvert 24h/24, idéal pour ceux qui ont envie d’un repas savoureux à tout moment de la journée. En plus des deux restaurants avec service de bu et à volonté, vous pourrez également déguster une cuisine du monde dans les restaurants à la carte mexicain, italien, chinois et japonais, où vous pourrez assister à un spectacle culinaire de Teppanyaki à couper le sou e. Ou essayer la délicieuse cuisine locale, les savoureux kebabs et les desserts ottomans de renommée mondiale dans le restaurant turc. Les amateurs de viande pourront aussi se faire plaisir au Steak House. On pense également aux plus petits au Voyage Belek Golf & Spa. Il y a un buffet spécial pour les enfants avec une gamme de plats variés. Des pâtes aux boulettes de viande, des légumes savoureux et des fruits frais, tout est préparé en pensant à vos petits bouts.
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DESTINATION DE RÊVE POUR LES ENFANTS ET LES ADULTES
Voyage Belek Golf & Spa est une destination de vacances idéale pour les familles avec enfants mais aussi pour ceux qui préfèrent la tranquillité d’un séjour réservé aux adultes. En plus du bu et adapté, il y a aussi de nombreuses animations pour les enfants, comme des spectacles de magie et de perroquets, une aire de jeux et des salles de jeux. Il existe également un service de baby-sitting et un club enfants pour toutes les tranches d’âge, où vos petits trésors pourront s’amuser du matin au soir à leur guise. Mais on a aussi pensé aux adultes : plusieurs zones de l’hôtel sont exclusivement réservées aux plus de 16 ans, comme un restaurant bu et, une jetée et une partie de la plage longue de 300 m. Le soir, vous pourrez également vous défouler sur la piste de danse de la discothèque ou assister à un spectacle.
SPA ET BIEN-ÊTRE
Besoin d’un moment de détente absolue ? Laissez-vous dorloter dans l’agréable spa relaxant qui se compose d’un hammam, d’un sauna, d’un hammam turc et d’un merveilleux jacuzzi. Vous pourrez bien sûr aussi vous rendre au Voyage Belek pour de nombreux soins de beauté : aromathérapie, massages, manucure et pédicure, soins du visage et du corps,... il y en a pour tous les goûts.
NAGEZ ET DÉTENDEZ-VOUS DANS LA NATURE
L’Hôtel Voyage Belek ne compte pas moins de six piscines, deux piscines intérieures et quatre piscines extérieures, avec des toboggans spectaculaires pour les enfants. Les piscines extérieures sont situées dans di érentes parties du jardin verdoyant dans lequel se trouve l’hôtel. Autour des piscines se trouve une terrasse ensoleillée avec des chaises longues et des parasols, où, même en haute saison, une place est toujours disponible. Adjacente au jardin se trouve la plage de 300 mètres de large avec une partie séparée pour les familles et pour les 16 ans et plus, où tout le monde pourra pleinement pro ter du dolce farniente, le bonheur à l’état pur.
TOUT CE QUI VA FAIRE VIBRER FÉVRIER
Par Nathalie Dolivo, Aurélie Lambillon, Elvira Masson et Marie Geukens
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UNE BOISSON DÉTOX PLUS DE 38 % DE GINGEMBRE BIO, DU CITRON, DES HERBES ET DES ÉPICES, CET ÉLIXIR 100 % NATUREL SE BOIT PUR OU AVEC DE L’EAU PÉTILLANTE. LE DRINK RÊVÉ POUR UN DRY JANUARY SUPER SEREIN.
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UNE COLLAB’ AU SOMMET
La maison Gucci s’est associée au champion du vêtement d’outdoor, The North Face, pour une collaboration qui renouvelle totalement le genre ! Et si les stations de ski sont fermées, on pourra se lover dans une de ces robes doudounes ou même opter pour un sac à dos ou des chaussures de randonnée. Autant de pièces parfaites, aussi, pour a ronter le bitume des grandes villes.
COURTESY GUCCI. JC CARBONNE. PRESSE. COURTESY GUCCI. JC CARBONNE. PRESSE. MAURICE HOGENBOOM/CONDÉ-NAST/GETTY IMAGES. PRESSE. CHANEL. STUDIO GIANNI PETTENA, COURTESY DE L’ARTISTE ET SALLE PRINCIPALE, PARIS.
N° 5, UN SIÈCLE
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EN 2012, LA MAISON CHANEL A OSÉ FAIRE D’UN HOMME, BRAD PITT, LE NOUVEAU VISAGE DU PARFUM QUI DOIT “ SENTIR COMME UNE FEMME, PAS UNE ROSE ”. FORTE DE CET ADAGE, GABRIELLE CHANEL AVAIT DEFIÉ LE PARFUMEUR ERNEST BEAUX. CHANEL N° 5 A ÉTÉ CRÉÉ LE 21 MAI 1921. N° 5 AURAIT ÉTÉ LA CINQUIÈME PROPOSITION DE BEAUX ET LE CHIFFRE PORTE-BONHEUR DE CHANEL. UNE CAMPAGNE PUBLICITAIRE ÉTONNANTE RSAIRE DU PARFUM TOUJOURS LE PLUS VENDU AU MONDE.
Gianni Pettena, Architecture Forgiven by Nature, 2017, installation permanente, Brufa (Pérouse, Italie), 2017.
EXPO
La nature s’exprime et est douce. Les dessins, documents, photos, lms, objets et installations de l’artiste et architecte italien Gianni Pattena émeuvent et dénoncent les préjugés. Il observe comment la nature interagit avec la structure : du tumbleweed accumulé dans une structure en bois à la métamorphose permanente de maisons entièrement recouvertes de glace. Sa vaste pratique architecturale oscille entre activisme, art et poésie.
Forgiven by Nature, jusqu’au 13 mars à La Verrière, espace de la Fondation d’entreprise Hermès, 50 boulevard de Waterloo, 1000 Bruxelles. Entrée gratuite du mardi au samedi de 12 h à 18 h.
Betty Catroux et Yves Saint Laurent à Central Park, New York, en 1968.
LE STYLE DE BETTY CATROUX
Betty Catroux et Yves Saint Laurent se sont rencontrés en 1967 et ne se sont plus jamais quittés. Inspiratrice, double, complice, elle fut tout cela et plus encore pour le couturier qui lui écrivit : « Tu représentes pour moi non seulement l’amour mais l’élégance indé nie. » C’est cette allure invraisemblable et totalement Saint Laurent que ce beau livre donne à voir en une sélection de photographies issues du fonds du musée Saint Laurent ou de la collection personnelle de Betty Catroux. Forcément inspirant !
HÉLÈNE ROMANO COMMENT APAISER
LES ENFANTS QUE L’ACTUALITÉ ANGOISSE ?
Questionnements anxieux, repli sur soi, troubles compulsifs: les enfants et les adolescents aussi sont affectés par l’actualité de cette fin d’année particulière. La psychologue clinicienne* nous livre les mots et les clés d’un dialogue clair et rassurant. Par Caroline Laurent-Simon
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Face à ces nouvelles chaotiques, comment soulager nos enfants de leurs angoisses sans les submerger par les nôtres ?
En leur parlant. C’est fondamental. Esquiver leurs questions ou les ignorer, faire comme si rien ne se passait, alors que les chaînes d’infos tournent en boucle, sont les pires choses à faire.
On leur dit quoi, concrètement ?
Un enfant qui pose une question ne la pose jamais par hasard. Il a besoin de savoir que vous êtes là. Il faut commencer par leur dire qu’ils ne sont pas – et ne seront jamais – seuls dans cette période. Ce premier message à leur intention est crucial. Ce sont de véritables « éponges à émotions ». Être dans le déni est la pire attitude à adopter. Leur parler, quel que soit leur âge, c’est notre responsabilité de parents. Tenir un discours positif est indispensable.
Ne risque-t-on pas, parfois, d’être dans l’angélisme béat ?
À partir du moment où on dit : « Ce virus, on va le dépasser, mais oui, je suis stressée, fatiguée et inquiète, je ne vais pas te mentir », l’enfant gère mieux son angoisse. C’est se réassurer mutuellement, faire front ensemble. Le traumatisme ge le temps. Il faut donc sortir de sa temporalité. Leur expliquer qu’on a des ressources, individuellement et collectivement. Leur rappeler que l’humanité a fait face à d’autres catastrophes et que l’on en est sorti. Pour cela, on leur donne des exemples historiques, comme la peste, les Première et Seconde Guerres mondiales. On peut aussi faire référence à ses propres expériences. Je suis d’une génération qui avait 20 ans quand le Sida est apparu et que l’on pensait tous alors qu’aimer, avoir une vie sentimentale et sexuelle, devenait soudain un risque mortel et que notre avenir était irrémédiablement chu. Mais on en est sortis ! C’est ce que j’explique à mes enfants qui sont en fac. C’est tellement di cile pour les jeunes, dont la scolarité et les études sont bouleversées et les lieux de vie fermés. Sans compter le message récurrent culpabilisant qui les désigne comme « dangereux » pour leurs parents et grands-parents.
Ces derniers mois, des parents ont vu leur enfant glisser vers des comportements inquiétants: repli, TOC… Quand faut-il consulter ?
J’aurais tendance à dire qu’il ne faut pas voir un psy d’emblée. Les périodes de con nement sont des périodes de deuil, à commencer par celui du quotidien. Cela peut réactiver des troubles anxieux et des régressions. On s’inquiète quand on constate que nos paroles ne les rassurent pas, qu’ils s’isolent ou ont des comportements compulsifs. On ne laisse pas la situation s’enkyster. Surtout, on les laisse parler à la maison ou dans le cabinet d’un psy. Mais on les laisse parler !
». BROKEN CAMERA PHOTO COLIN PANTALL, EXTRAITE DE LA SÉRIE «
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LA PIONNIÈRE OUBLIÉE NOOR
INAYAT KHAN
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Dotée d’un courage exceptionnel, cette espionne musulmane d’origine indienne a combattu les nazis en France pour le compte des services secrets britanniques. Une vie de roman, mais en vrai.
Par Françoise-Marie Santucci
Née en 1914 à Moscou d’un père indien, descendant du sultan de Mysore, et d’une mère américaine, Noor Inayat Khan grandit entre la France et le Royaume-Uni. La famille est aisée, instruite, artiste. Aînée de quatre enfants, Noor entreprend des études de psychologie à la Sorbonne, ainsi que de musique auprès de Nadia Boulanger, écrit des poèmes et des contes pour enfants. Quand la guerre survient, elle trouve refuge à Londres avec ses proches. Décrite comme rêveuse et pacifiste (elle admire Gandhi), Noor décide néanmoins de s’engager dans la branche féminine de l’armée britannique. On la repère vite : intelligente, bilingue, volontaire, elle intègre le Special Operations Executive (SOE), un service secret de sabotage créé par Winston Churchill. Envoyée clandestinement en France sous le nom de code « Madeleine », elle est la première femme à devenir « opératrice radio ». Cela semble abstrait, c’est vital : il s’agit de faire le lien entre la Résistance et les alliés. Soumise à un danger permanent, elle remplit sa mission au cœur du lieu le plus exposé du pays : Paris. Finalement arrêtée par les Allemands n 1943 (sur dénonciation française), elle est interrogée pendant des semaines au siège de la Gestapo, tente de s’enfuir et ne livre rien. Ni personne. Emprisonnée pendant des mois en Allemagne, condamnée à l’isolement, elle continue à rester mutique. En 1944, on la transfère au camp de Dachau. Un matin de février, avec trois de ses amies du SOE, elle est exécutée d’une balle dans la tête. Son dernier mot aurait été « Liberté ». À titre posthume, Noor Inayat Khan reçoit les plus hautes distinctions: Croix de guerre française, George Cross britannique. Une statue à son e gie trône dans les jardins de Gordon Square, à Londres, et à Suresnes, où elle a grandi, une plaque lui rend hommage devant sa maison d’enfance, et une école primaire porte désormais son nom.
La photo de passeport de l’agente secrète. Des engagées volontaires de l’armée britannique apprennent le code Morse en 1941.
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Julie Neveux, maîtresse de conférences en linguistique à la Sorbonne, ne se lasse pas des tics de langage qui circulent dans ses salles de cours, nos médias et nos rues. Dans un livre* passionnant, elle décrypte à travers ces expressions la société dans laquelle nous vivons. Et en commente ici les plus populaires pour
nous. Par Adèle Bréau
DÉCRYPTAGE
PARLEZ-VOUS 2020 ?
EN MODE « On se décrit ici comme nos lave-linges qui sont “en veille” ou “en ligne”. D’un groupe prépositionnel plein d’autodérision (“Je suis en mode dépression”), “en mode” est devenu marqueur d’introduction de la parole d’autrui – “Elle était en mode ‘attends, je suis trop fatiguée’”. Drôle et surtout utile, je parie qu’elle restera. »
LIKER « Son utilisation illustre le processus de marchandisation du lexique de nos sentiments sur les réseaux sociaux, où les enjeux affectifs et promotionnels sont mélangés. On “aime” qui pense “comme” nous, avec le double sens de “like”. Pourtant, liker n’est pas aimer, et les plus jeunes l’ont bien compris. »
PETIT « Il fait partie du lexique hypocoristique (exprimant l’affection) dont l’intention (minimiser le drame ou le service), louable, entraîne une gagatisation de la société. Les “bienveilleurs” nous imposent de glisser de la tendresse partout, comme si on devait sans arrêt prouver qu’on ne veut pas de mal à son prochain. » FOLLOWEUR « Ce mot montre à quel point on fait tous partie du système promotionnel digital, mais ici au degré minimal, je trouve ça génial ! “Follow”, qui veut dire “suivre”, devient acteur avec le suffixe “eur”, qui sert à former des noms d’agents. Du “followeur” à l’influenceur, à son échelle, chacun participe. »
SE RECENTRER « Ce que j’appelle les “motsremèdes” comportent souvent le préfixe “re“ (ici, “retour en arrière”). Dans “se recentrer”, il y a l’idée de rotondité des choses. On est sortis du schéma linéaire de progression. Aujourd’hui, on préfère rester sur place, voire regarder en arrière. »
VIRAL « Avant la pandémie, quand quelque chose était “viral” sur le Web, c’était un succès. Alors que le sens originel, du latin virus, désigne “la semence des animaux et la bave des limaçons”, ça ne s’invente pas ! Ce retour au véritable sens de la loi de la jungle devrait logiquement anéantir son récent usage positif. » (*) Je parle comme je suis – Ce que nos mots disent de nous, éd. Grasset.
MIRRORPIX. DAVID HARPER/COURTESY SHRABANI BASU. MIRRORPIX. DAVID HARPER/COURTESY SHRABANI BASU.
AGNIESZKA HOLLAND
RAFAL MILACH/MAGNUM PHOTO. Militante féministe et farouche opposante au gouvernement ultraconservateur de Jarosław Kaczyński, la cinéaste(1) voit dans les manifestations sans précédent qui secouent son pays l’émergence d’une génération enfin affranchie du poids de la tradition. Pour nous, elle analyse la situation. Propos recueillis par Catherine Durand
À Varsovie, les femmes unies pour défendre l’avortement, le 24 octobre dernier.
Êtes-vous surprise par cette énorme mobilisation ?
Il y a quatre ans, ce grand mouvement de femmes, Strajk Kobiet, a déjà fait reculer Jarosław Kaczyński (vice-président du conseil des ministres, ndlr) sur l’interdiction de l’avortement. Depuis, elles se sont organisées mais je n’imaginais pas une réaction si massive, et une foule si jeune. Cette nouvelle génération a compris que le parti Droit et justice (PiS), au pouvoir depuis cinq ans, orchestre un grand plan suivi par les médias et l’Église : changer les élites, mener une sorte de contre-révolution culturelle, nationaliste et fondamentalement catholique. elle ne sera plus une autorité. Le niveau intellectuel et le degré d’humanité des prêtres ont beaucoup baissé. Ceux qui enseignent la religion dans les écoles ne sont pas en phase avec les attentes des jeunes Polonais qui parlent anglais, regardent Net ix, YouTube, voyagent et voient que ce qui est interdit ici est normal en France, mais aussi en République tchèque. Ils défendent la liberté dans la sphère privée et refusent l’autorité. On ignore comment on pourra structurer ce mouvement, mais ils en ont assez de la manipulation, de la propagande, du chantage patriotique.
Vous avez grandi dans les ruines de Varsovie, vécu la naissance de Solidarność, la chute du communisme… Les Polonaises sont des résistantes !
Oui, mais elles étaient dans la résistance patriotique. Des femmes courageuses, comme ma mère, mais en même temps soumises à leur mari. Depuis dix ans, les jeunes lles, plus éduquées que les garçons, ont gagné en con ance en elles. Un sondage a révélé que 70 % des hommes ont voté pour le PiS et 80 % des femmes pour le centre et la gauche. Aujourd’hui, des jeunes hommes, nombreux dans les manifs, disent : « Je défends les droits de ma copine, ma sœur, ma mère, ça me concerne aussi. » C’est la révolution de carton sur lequel on inscrit des slogans réalistes, drôles, provocateurs, voire vulgaires contre Kaczyński et en faveur des droits des femmes (2) .
Ce mouvement de révolte a-t-il des chances de réussir ?
C’est pratiquement impossible que l’opposition gagne, il faudrait que cela évolue de façon plus radicale, mais avec la Covid, l’hiver qui approche… Kaczyński a appelé les « bons citoyens » à défendre les églises, il incite à la guerre civile ! Il pourrait établir l’état de siège. Le ministre de la Justice menace d’arrêter et de condamner les opposantes « dangereuses pour la sécurité publique » à une peine allant jusqu’à huit ans de prison. On reste dans l’inconnu, la seule chose évidente est que cette nouvelle génération n’est pas l’héritière de Solidarność ni du pape Jean-Paul II. Elle veut vivre en tant que sujet, ici et maintenant. Le changement passera par le mouvement des femmes.
RENCONTRE
SAYRAGUL SAUYTBAY, RESCAPÉE DES CAMPS CHINOIS
Un “centre de formation professionnelle” : c’est ainsi que les autorités chinoises appellent ces endroits où sont “rééduquées” chaque année des centaines de milliers de personnes. Parce qu’elle appartenait à une ethnie minoritaire, Sayragul Sauytbay, ancienne fonctionnaire, a été internée quatre mois dans l’un d’entre eux. Aujourd’hui réfugiée en Suède avec sa famille, elle témoigne de ce qu’elle y a vécu, entre lavage de cerveau, privations, torture et viols. Son courage est admirable, et son récit, glaçant.
Par Laure Marchand Photos Åsa Sjöström Sayragul Sauytbay est la voix des « yeux » silencieux qui la suivent partout « en demandant de l’aide ». Ces « yeux » suppliants sont ceux des prisonniers qui étaient internés avec elle dans un des camps construits par les autorités chinoises dans la région du Xinjiang, aux con ns de l’Asie centrale. Sortie vivante et aujourd’hui réfugiée politique en Suède avec son mari et ses deux enfants, cette femme de 44 ans parle pour que le monde entier regarde en face ce que les « yeux » subissent. Son témoignage est précieux : très peu de personnes, qui ont été internées, sont parvenues à quitter la Chine. Faire sortir des informations est aussi extrêmement périlleux car les communications avec l’étranger sont très surveillées.
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UN SAC EN PLASTIQUE OPAQUE SUR LA TÊTE
Son récit circonstancié renforce les accusations des organisations de défense des droits de l’homme et de spécialistes qui dénoncent des pratiques génocidaires et l’existence de « camps de concentration » dans cette région de l’extrême ouest de la Chine, historiquement peuplée par des ethnies musulmanes et turcophones, ouïghoures, kazakhes, ouzbèkes, tatares, kirghizes… Les autorités du pays évoquent des « centres de formation professionnelle » destinés, affirment-elles, à lutter contre le terrorisme islamiste et la radicalisation religieuse. Dans un Livre blanc publié en septembre, elles indiquent que chaque année, entre 2014 et 2019, 1,3 million de « travailleurs » y ont suivi des « sessions de formation » – endoctrinement, expérimentations médicales, viols, tortures… Sayragul Sauytbay, elle, décrit un lieu déserté par l’humanité. L’enfer. Avant d’être arrêtée, cette citoyenne chinoise appartenant à l’ethnie kazakhe occupait un poste de fonctionnaire. Elle était directrice de structures d’accueil préscolaire, dans la ville d’Ili. Son mari, également membre de la minorité kazakhe, était professeur de chinois. Mais depuis une vague d’attentats en 2013 et 2014, la répression du pouvoir central s’est terriblement accentuée sur les minorités musulmanes et leur surveillance devient totale. En 2015, Ulugat, leur ls, est corrigé au jardin d’enfants parce qu’il s’exprime dans sa langue maternelle. La famille décide alors de partir au Kazakhstan voisin. Mais le passeport de Sayragul Sauytbay avait déjà été con squé : « Je n’avais aucune chance de pouvoir partir. » Son mari, sa lle et son ls quittent le pays sans elle. Fin 2016, les disparitions se multiplient un peu partout. « Des voisins ont été arrêtés la nuit. Tout le monde s’attendait à ce que ce soit son tour et avait préparé un sac en plastique avec des a aires. » Les autorités font pression sur elle pour qu’elle fasse rentrer son mari et ses enfants. « Du moment où j’ai clairement refusé, j’ai été traitée comme une criminelle. » Et un soir de novembre 2017, elle est conduite par des policiers dans un lieu inconnu, un sac de plastique opaque sur la tête. « On m’a dit que j’allais enseigner le chinois et on m’a lu un document qui concernait les
Sayragul Sauytbay chez elle, en Suède, en octobre dernier, portant l’habit traditionnel kazakh, l’ethnie à laquelle elle appartient. Ci-dessous à g. : le drapeau suédois, symbole de sa nouvelle liberté, qu’elle a accroché sur un mur de son appartement.
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interdictions : pas le droit de parler, de sourire… Si j’enfreignais les règles, je risquais la peine de mort. On m’a forcée à signer. » Sayragul Sauytbay ne connaît pas l’emplacement du camp où elle a été conduite en pleine nuit. Dans l’appartement de Trelleborg, assise sur l’un des tapis du salon, elle égrène l’emploi du temps immuable des journées de captivité des 2 500 prisonniers qui s’y trouvaient, selon ses estimations. À 6 h, réveil. De 7 h à 9 h, « j’enseignais le chinois ». Au programme, « les traditions chinoises, les rituels funéraires, de mariage, les modes de vie... » et les règles du parti communiste. De 9 h à 11 h, sa cinquantaine d’étudiants, âgés de 13 à 84 ans, « répétait ce qu’ils avaient appris. Beaucoup étaient de vieilles personnes, certaines étaient même illettrées en kazakhe ». De 11 h à midi, déclamation de slogans de propagande écrits sur une feuille tenue au-dessus de la tête : « Le parti communiste est le meilleur », « j’aime la Chine »… Après le déjeuner, de 14 h à 16 h, « j’enseignais les chansons du parti ». De 16 h à 18 h, « ils devaient penser à leurs crimes, ils devaient en trouver tous les jours, même s’ils n’en avaient pas commis ». Avoir un permis de résidence dans un autre pays, communiquer via WhatsApp, lire le Coran, souhaiter un « bon vendredi » étaient considérés comme des crimes. Ne pas en trouver exposait à des punitions. Après le dîner, quatre heures étaient encore consacrées « aux crimes ». Après ce long lavage de cerveau, de minuit à 1 h du matin, « il fallait rester debout à côté d’un policier sans parler ». D’une à cinq heures par nuit. Le statut de professeur de Sayragul Sauytbay lui donnait droit à un traitement de « faveur ». Elle n’était pas menottée et avait une cellule individuelle. Les détenus, eux, étaient entravés jour et nuit et entassés à seize, voire vingt-cinq par pièce (selon le ratio de 1 m2 par personne) et disposaient d’un seul bac en plastique pour leurs besoins. La nuit, comme les autres, interdiction de se lever de la couverture en plastique faisant o ce de lit mais au moins avait-elle le droit de changer de position. Les autres devaient dormir les uns contre les autres, sur le côté droit, sans bouger. Elle n’avait pas l’obligation de manger du porc, systématiquement au menu le vendredi, jour considéré comme sacré pour les musulmans. Dans les cellules, les couloirs, les classes, des caméras observaient le moindre mouvement 24 heures sur 24. Aucun angle mort, pas d’interrupteur pour éteindre la lumière. La surveillance était totale. Régulièrement, Sayragul Sauytbay ressent le besoin de faire une pause dans son récit. Pour soulager son dos qui la fait souffrir depuis son emprisonnement et pour tenir à distance les émotions envahissantes. Il est 11 h 30, cela tombe bien, c’est l’heure de mettre les morceaux de bœuf à cuire et d’ajouter des raisins secs et des carottes dans le riz. Uali, son mari, la relaie en cuisine. Puis elle reprend son témoignage. Graduellement, il s’enfonce dans l’horreur. Sans échappatoire.
TRAFICS D’ORGANES, VIOLS, ÉLECTROCHOCS
Comme elle a fait des études médicales à l’université, elle a donc aussi été a ectée au classement des dossiers médicaux des prisonniers. « J’ai vu qu’une partie était mise de côté et portait une marque rouge. C’était ceux de personnes en bonne santé. J’ai remarqué qu’elles disparaissaient plus que les autres. » N’était-ce pas parce qu’elles étaient libérées ? « Je ne peux pas en être sûre mais je pense qu’elles ont été tuées pour leurs organes. » La Chine est régulièrement soupçonnée de se livrer à des tra cs d’organes prélevés sur des prisonniers.
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1. Dans l’appartement suédois, des photos de famille rapportées de Chine. 2. Sayragul, avec Uali, son mari, et leurs deux enfants, Ulugat (à g.) et Ukilay (à d.), en balade en bord de mer. 3. Pour Sayragul, les balades en bord de mer sont comme des respirations, des moments précieux où elle prend conscience qu’elle a enfin retrouvé sa famille.
« Régulièrement, il y avait des injections et des médicaments à prendre. Ils disaient que c’était pour protéger des maladies infectieuses. C’était faux. Beaucoup tombaient malades, s’affaiblissaient, marchaient comme des zombies. Leur comportement devenait bizarre. » Elle a pris un cachet une seule fois. « Après, quand j’ai eu mes règles, leur aspect était di érent. Elles étaient plus solides, un peu comme un morceau de foie. Dans le camp, plus aucune femme n’avait ses règles. » Lors de la seconde prise, elle est parvenue à ne pas l’avaler. Dans le petit salon de Trelleborg, Ulugat et un copain rient en regardant à plat ventre une vidéo sur leur téléphone. Sa mère les fait sortir et raconte à voix basse les agressions sexuelles systématiques. « Les policiers avaient tous les droits, ils prenaient qui ils voulaient, surtout les jeunes lles, souvent les plus jolies aussi, cela dépendait de leur préférence. C’était fréquent. Généralement, ils les emmenaient le soir et les ramenaient le lendemain en cellule ou en classe. Certaines ne pouvaient même pas s’asseoir. Elles étaient terrorisées et avaient des marques sur les bras. » Bien sûr, elles ne pouvaient pas parler et personne ne pouvait les réconforter non plus. Mais ce qui a le plus traumatisé Sayragul Sauytbay, c’est un viol collectif qui s’est déroulé sous ses yeux. Une centaine de prisonniers avait été rassemblés dans une salle. « Une femme qui devait avoir 20 ou 21 ans a dû confesser des crimes qu’elle n’avait pas commis. Puis les policiers l’ont violée. Pendant ce temps, ils surveillaient nos réactions. Si on ne montrait pas de signes d’émotion, cela voulait dire que leur but avait été atteint, leur traitement sur nous avait fonctionné. Ceux qui ont manifesté une réaction ont été emmenés dans la “pièce noire”. » Ce n’est pas cette fois-ci que Sayragul Sauytbay y a été conduite. Face aux sévices subis par la jeune fille, elle est parvenue à rester impassible. Mais à partir de ce moment-là, elle dit s’être « perdue » : « Je ne mangeais plus, j’ai perdu beaucoup de poids et je me comportais comme un robot. » La tension intérieure de Sayragul Sauytbay est à peine perceptible. Elle se gratte doucement autour des ongles, à l’extrémité du sourcil gauche. La « pièce noire » était le nom donné à la salle de tortures. Le seul endroit dans le camp sans caméra. « Malgré la distance, on entendait des cris, les gens qui suppliaient les policiers, demandaient de l’aide. Certains n’en revenaient pas. » Des cris s’échappaient de cette pièce quasiment tous les jours. La nuit aussi. Les policiers venaient chercher des gens en classe. « Un jour d’hiver, beaucoup de nouvelles personnes sont arrivées dans le camp. Parmi elles, il y avait une vieille femme kazakhe. On lui reprochait d’avoir des contacts interdits sur son téléphone mais elle ne savait même pas comment se servir d’un téléphone. Elle était peu vêtue, tremblait à cause du froid, était e rayée. Elle m’a serrée en me demandant de l’aide. Je n’ai pas réagi à sa demande. » Sayragul Sauytbay reste concentrée sur son récit comme si elle cherchait à l’empêcher de déborder. « J’ai été emmenée dans la pièce. » Encore l’extrémité du sourcil gauche qui gratte, le contour des ongles. Elle ne veut « pas rentrer dans les détails », raconte avoir subi des électrochocs, avoir été « assise sur une chaise qui était électri ée ». C’était il y a quatre ans bientôt. Mais la nuit, les souvenirs reviennent. « Dans mes cauchemars, je vois les gens dans la pièce qui appellent à l’aide. »
« EN SUÈDE, JE SENS QUE J’AI DE LA VALEUR EN TANT QU’ÊTRE HUMAIN »
Une nuit de mars 2018, on lui a dit que son « travail était terminé », remis un sac en plastique sur la tête et ramenée à son domicile, avec ordre de se présenter à son travail le lendemain. Aucun