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PHÉNOMÈNE On sort les abdos

ON SORT LES ABDOS?

Sculptés ou pas, parfois ornementés de bijoux, les ventres s’affichent partout cet été à la faveur d’un retour de la mode des années 2000. Sur tous les réseaux sociaux, ces silhouettes dénudées célèbrent une féminité forte et décomplexée. Mais signeraient-elles aussi une nouvelle injonction au corps parfait et à la taille zéro?

Par Charlotte Brunel

Cindy Bruna au défilé Miu Miu, en mars dernier.

EN HAUT, UNE BRASSIÈRE DÉCOUPÉE dans une ceinture de pantalon d’homme, en bas, une microjupe taille basse assortie et, au milieu, un ventre qui se dénude, démesuré, musclé, du dessous des seins à la naissance du pubis. Le look imaginé par Miuccia Prada pour Miu Miu est devenu, depuis son apparition sur les podiums, un phénomène viral générant ses propres memes et même son compte instagram. Fondé par Ashley Langholtz, une styliste new-yorkaise de 17 ans, @miumiuset répertorie ainsi les apparitions publiques du sulfureux ensemble . De Paloma Elsesser à Nicole Kidman en passant par Cindy Bruna, Emily Ratajkowski, Lorde, Chiara Ferragni ou encore le mannequin homme Yugo Takano, tous ont succombé à l’appel du ventre. Car c’est un fait : à l’heure où créateurs et créatrices célèbrent une féminité sensuelle libérée de la chrysalide de molleton dans laquelle la pandémie l’avait enfermée, le nombril s’impose comme le nouvel épicentre érotique de la mode. De hauts réduits à l’état de soutiens-gorges ou de bikinis au retour des pantalons et des jupes tailles basses, en passant par les e ets de « cutout » sur l’abdomen, tout le vestiaire de la saison est un écrin à son dévoilement extrême. Voire à son ornementation la plus bling : merci les chaînes de taille de Chanel et les bijoux de nombril ! Le ventre serait-il devenu le nouveau décolleté ?

“C’EST UNE ZONE TRÈS SEXUALISÉE,

explique Jean-François Amadieu, auteur de La société du paraître. Les beaux, les jeunes… et les autres*. Quand on dénude le ventre, on dévoile par la même occasion la taille, qui est l’élément de différenciation féminin par excellence. Aujourd’hui encore, c’est sa finesse par rapport aux hanches qui définit, pour les hommes, la silhouette sexuellement la plus attirante. » Longtemps, la mode a laissé cette partie du corps jugée inconvenante à l’abri des regards. Il faut attendre 1946 et l’invention du bikini pour la voir en n sortir au grand jour. Mais quel scandale ! À la ville, le crop top fait son apparition dans les années 90, popularisé par Christina Aguilera, Destiny’s Child ou la série Beverly Hills. « À l'époque, on le porte plutôt avec un pantalon baggy masculin et une chemise de surplus, rappelle Thomas Zylberman, expert mode chez Carlin International. Montrer son ventre s’apparente alors à une attitude rebelle et mélancolique, celle d’une adolescente ayant grandi trop vite et débordant dans ses vêtements d’enfant. » Avec l’avènement du jean taille ultrabasse au tournant des années 2000, il devient le terrain érotique des lolitas de la pop qui exhibent leurs abdos jeunes et bronzés au nez de l’Amérique puritaine. « C’était le triomphe du style popularisé par Paris Hilton, Britney Spears, Loana, avec sa silhouette en sablier, ses micro-tops et le string apparent sous le pantalon, poursuit Thomas Zylberman . Actuellement, cette époque suscite une vraie nostalgie, surtout chez les très jeunes filles qui l’associent à une période de liberté, d’excès et de fun. » D’où la réapparition sur les podiums de cette silhouette qui signe plus généralement le retour triomphal du corps. La revanche de la féminité passerait-elle par le ventre ? Pour la jeune génération qui a vécu la révolution #MeToo, ce dévoilement est une manière d’a rmer sa liberté sexuelle et sa con ance en soi. Ou, comme le résumait cette saison Nensi Dojaka, reine du néo-sexy : « Montrer votre féminité peut être la chose qui vous donne le plus de force. »

“CETTE SAISON, SUR LES PODIUMS, ON VOIT

BEAUCOUP DE CORPS TONIQUES, healthy, qui expriment l’idée d’une féminité qui n’est pas soumise », confirme Thomas Zylberman. Faut-il craindre pour autant le retour de la taille 0 et du culte du corps éternellement jeune cher aux années 2000 (Britney Spears s’im posait mille crunches par jour pour arborer un ventre plat) ? La question fait en tout cas débat. Fin février dernier, Nicole Kidman, 54 ans, provoquait une vague d’indignation en arborant le micro-ensemble Miu Miu en couverture du numéro spécial Hollywood de Vanity Fair. L’objet du courroux de ses fans ? Des abdos trop parfaits pour ne pas avoir été photoshoppés et une tenue d’adolescente sexy suggérant qu’elle n’assume pas son âge. Élitiste, cette tendance l’est. On sait combien le ventre, maltraité par les grossesses, les prises de poids, le vieillissement, est la partie du corps qui génère le plus de complexes chez les femmes. Mais les mentalités sont en train d’évoluer. Ce n’est pas un hasard si le mouvement « body positive » en a fait un étendard de son combat en di usant sur les réseaux sociaux des photos réalistes. Cette saison, c’est le top « plus size» Paloma Elsesser qui servait de modèle à ce sexy inclusif en assumant ses poignées d’amour sous des jupes crayons portées avec des soutiens-gorges, comme chez Michael Kors. « Je n’avais pas vu une telle relation de la mode à la nudité depuis mon adolescence, confiait le créateur américain à WWD. Quand j’étais jeune, si vous n’étiez pas Raquel Welch, vous en étiez exclue. Aujourd’hui, nous avons une nouvelle mentalité… Le bien-être vient de la confiance que les gens ont en eux, de leur manière de considérer leur corps positivement. »

LE PHÉNOMÈNE NE SE LIMITE PAS AUX

FEMMES. Les hommes aussi voient leurs T-shirts ou leurs pulls raccourcir de manière vertigineuse, notamment sur les défilés Balenciaga ou Fendi. Pour Jean-François Amadieu, cependant, le dernier tabou du nombril à l’air reste l’âge. « Il suffit de voir comment la dernière campagne Darjeeling, qui montrait un mannequin sexagénaire en sous-vêtements, a été accueillie. On n’est pas encore prêts à accepter les ventres marqués par le temps. » Pourtant, les quinquas résistent. De Jennifer Lopez à Carla Bruni, qui posait en combinaison largement échancrée sur le nombril pour la dernière campagne Balmain, l’image de corps figés dans une esthétique adolescente fait toujours rêver. Et pas toujours celui auquel on pense. En effet, il est trompeur d’imaginer que l’hypersexualisation est forcément destinée au male gaze et non aux femmes elles-mêmes. Ou comme le résumait le journaliste Eugene Rabkin au journal espagnol La Vanguardia : dévoiler le ventre, « c’est un “regarde-moi mais ne me touche pas”. Remplacer un prélude au sexe par une sorte d’exhibitionnisme renforcé correspond au climat culturel actuel qui se purifie de l’acte sexuel mais conserve un certain charme voyeuriste. » Du nombril au nombrilisme, il n’y aurait donc, semblet-il, qu’un petit bout de peau.

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