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CONVERSATION Viola Davis « J’étais
VIOLA DAVIS
Elle appartient à la liste A de Hollywood. Et au club restreint des acteurs et actrices ayant remporté un Oscar, un Tony et un Emmy. Viola Davis a réussi un parcours exemplaire. Dans The Woman King, la star se présente comme une guerrière africaine. Ce qu’elle est aussi (un peu) en vrai. Interview exclusive.
Par Joëlle Lehrer
Elle se trouve dans un bureau à Los Angeles et porte un tailleur lilas. Un look très différent de celui qu’elle a dans The Woman King où on la voit en tenue de guerrière de l’armée du Dahomey. Son personnage porte un court pagne et un top mettant en valeur son corps musclé et huilé. La force de Viola transperce l’écran à la première seconde. Et en interview, c’est aussi l’impression qu’elle me fait.
The Woman King, dans lequel vous tenez le premier rôle féminin et produisez, relate une part de l’histoire très intéressante de l’armée féminine du Dahomey. Son pouvoir s’étendit au 18è et 19è siècles. Sa bravoure était reconnue par ses ennemis. Comment ce projet est-il arrivé jusqu’à vous?
C’est l’actrice Maria Bello qui, me remettant une récompense, il y a huit ans, m’a parlé de cette armée de femmes. J’y recevais un prix dans le cadre du Musée National de l’Histoire des Femmes, à Los Angeles. Et Maria m’a raconté le pitch de cette guerrière Nanisca. S’adressant à l’audience présente, elle demanda : « Ne souhaiteriez-vous pas voir Viola Davis dans un pareil récit ? ». Tout le monde, dans la salle, s’est emballé pour ça et ce fut ma première introduction à cette histoire. Ensuite, Dana Stevens s’est attelée à l’écriture du scénario. Nous l’avons présenté aux studios et c’est, de cette manière, que le projet a démarré.
Ce sujet-ci, à la fois historique et très moderne, démontre que les femmes sont capables de se battre physiquement.
Elles étaient entraînées au combat. Elles apprenaient à se battre avec des lances et des machettes. On les préparait aussi à supporter la douleur. Ces combattantes devaient être capables de résister à l’absence de sommeil comme au manque de nourriture. Ces choses qu’apprend n’importe quelle unité militaire. Mais le plus important, c’est qu’elles devaient renoncer au mariage, à procréer et même à avoir une relation amoureuse. Cela ne leur était pas autorisé. Je pense que le message du lm est d’appuyer sur le pouvoir infini des femmes. Et de ne pas nous diminuer • • •
• • • en raison de limitations basées sur le sexe. Et je crois que cela a une résonnance au 21è siècle. Le lm montre aussi qu’une femme peut accéder au leadership. Et que les femmes sont multitâches et acceptent beaucoup de sacrifices basés sur une vision dépassée du monde. Tout cela est encapsulé dans le lm qui montre, de manière profonde, toute l’étendue de l’identité féminine.
Avez-vous découvert quelque chose qui se rapportait à vos racines africaines?
J’ai appris énormément sur le royaume du Dahomey (ndlr : actuellement, le Bénin). Tout y était produit sur place et manufacturé. Ils consommaient ce qu’ils produisaient et portaient les vêtements qu’ils créaient. Comme le montre le film, ils avaient leur propre armée. Leurs villes étaient développées et leur société très progressiste pour l’époque. J’ai appris énormément à propos de leur intelligence et de leur autonomie. Mais le plus important était d’en savoir plus sur ces guerrières. L’Histoire que j’ai apprise a été celle que l’on m’a enseignée, à l’école et à l’université, au travers du prisme de la culture des Blancs. C’est merveilleux de pouvoir interpréter de grands rôles mais c’est tout aussi merveilleux de pouvoir apprendre quelque chose.
Votre personnage Nanisca est proche d’une jeune recrue avec laquelle elle développe un lien comparable à celui d’une mère et de sa fille.
Je crois que lorsque vous sou rez de ne pouvoir être mère, vous trouvez un moyen d’être maternelle. Il y a cela dans l’énergie féminine qui désire nourrir, guider et aimer. Je crois que l’on retrouve ça partout que l’on soit Blanche ou Noire, Africaine ou Européenne. C’est, là, un des très jolis aspects du lm.
C’est la première fois, dans votre carrière, que vous tenez un rôle aussi physique et que vous êtes amenée à dévoiler autant votre corps.
Oui ! (Rires). J’ai suivi un programme spécial cinq jours par semaine comprenant deux heures et demi par jour d’arts martiaux. Et ce, durant de nombreuses semaines. J’incarnais une guerrière très musclée et puissante, il me fallait donc de l’entraînement et une mise au régime. Je me suis dépassée. Vous savez, très souvent, on se dit : « Non, je ne vais pas être capable de faire ça ! Je ne m’y vois pas ! » mais en fait, si, vous êtes capable. Et c’est intéressant de constater à quel point nous plaçons ces paramètres dans notre subconscient avant même de commencer. On peut se demander d’où viennent ces freins. Je crois, pour ma part, qu’ils sont juste culturels. En tant que femme, depuis l’enfance, on nous répète que l’on ne peut faire ci ou ça parce qu’on en est incapable. Donc, on n’essaie même pas. Par conséquent, pour moi, cet entraînement pour le rôle constituait un formidable exercice qui m’a permis de me surprendre moimême. En particulier à ce stade de ma vie car, j’ai cinquante-six ans.
Franchement, Viola, vous êtes magnifique dans la peau de Nanisca!
Merci beaucoup ! Vous savez, cela a été très libérateur de se couler dans ce personnage. Et de jouer avec ces fantastiques actrices comme Lashana Lynch et Thuso Mbedu.
Et il s’agit aussi de votre premier film d’action, non?
Je ne l’appellerai pas film d’action. C’est un lm qui n’a pas de précédent, parce qu’il est principalement féminin et joué par des actrices noires, à la peau sombre, dans un contexte historique. Donc, pour moi, il s’agit plutôt d’un drame historique avec des scènes d’action.
Toute votre vie, vous avez dû vous battre contre la pauvreté, les injustices,
le racisme, les stéréotypes et le sexisme. Vous avez dû vous battre car, vous n’aviez pas d’autre choix. Et vous avez décidé de créer vos propres opportunités.
Absolument. C’est comme Shirley Chisholm qui fut la première femme afro-descendante à poser sa candidature à la présidence des Etats-Unis et aussi la première députée noire en 1968. C’était il y a cinquante ans. Elle disait : « S’il n’y a pas de siège à table pour toi, apporte une chaise pliante et crée ta propre table ». C’est ce que j’avais dans mes mains. Et c’est ce que Nanisca, dans le film, déclare : « Bats-toi ou meure ». Jouer la comédie est ce que je fais. Je n’ai jamais eu de plan B. Je suis tombée amoureuse de ce métier. J’avais la vocation. J’étais une enfant coriace et plus tard, je suis devenue une femme coriace. Une part de moi rejetait l’idée que le choix des rôles disponibles et qu’on me proposait, à Hollywood, était limité. Je me voyais capable d’une plus belle expansion. C’est ainsi que, plus tard, j’ai fondé, avec mon époux, Julius Tennon, la société de production JuVee. Et je crois que les Afro-descendants sont capables de plus et de mieux. Je sais qu’en tant qu’êtres humains nous sommes complexes. Nous ne sommes pas capables d’être juste des conducteurs de bus, des juges, des gouvernantes ou des drogués. Ou des mères célibataires vivant dans des HLM. Nous sommes plus que ça. Je voulais fonder une compagnie capable de créer des opportunités, pas seulement pour moi mais pour d’autres actrices et acteurs comme moi. C’était ma façon de répondre et je ne veux pas prononcer un juron. C’était ma manière de répondre aux injustices.
Ainsi, vous êtes devenue un modèle pour d’autres femmes.
Ça, c’est beau ! Cela me plaît. Je pense qu’il vient un moment où vous devez être un.e hors-la-loi et casser les codes. Je crois fermement dans ce slogan : « Well behaved women seldom make history » (« Les femmes bien éduquées font rarement l’Histoire », ndlr : slogan féministe des années 70). Il arrive que vous deviez aller voir ce qu’il se passe au dehors. Parfois, c’est bien, parfois, pas. Et si cela ne vous convient pas, il est de
Viola Davis dans son rôle de Nanisca, la guerrière du Dahomey.
votre devoir de le combattre. Car, si vous ne le faites pas, vous tomberez sous le poids de cette charge. Pour ce qui est de moi, je refuse de tomber sous le poids de quelque chose qui ne me sert pas. Donc, voici mon « magnum opus », mon œuvre maîtresse.
Depuis #MeToo, Black Lives Matter et #Oscarssowhite, les mentalités dans votre industrie ont-elles changé un peu ou beaucoup?
C’est une bonne question mais elle n’est pas posée à la bonne personne. S’il y a une soirée quelque part, posez-vous la question de savoir si la soirée se passe bien à la personne invitée ou à la personne qui n’a pas été invitée ? Je suis la personne à la périphérie. Et je ne me pose plus ce genre de questions. Je regarde s’il y a de bons rôles pour moi et s’il n’y en a pas, je fais en sorte que cela change. C’est aux personnes qui sont au top management des grands studios de production qu’il faut poser votre question. Ce sont eux qui édictent les règles car, ils en ont le pouvoir. Et à eux, on ne leur pose jamais cette question.
Récemment, vous déclariez à propos de Michelle Obama, que vous avez incarné à l’écran dans la série The First Lady, qu’elle était saine parce qu’elle avait toujours été regardée. Mais si vous avez choisi de devenir actrice et productrice, c’est aussi pour être vue.
Absolument. Nous faisons ce que nous faisons pour être vu.e.s et pour que nos vies aient un sens. Et cela qui que nous soyons. Et nous nous battons contre les forces ou les gens qui se mettent en travers de notre chemin vers ce but qui nous importe. Ce film et ma carrière, voilà mon introduction au monde.