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ENQUÊTE TDA/H : une pathologie sous-estimée chez les lles
TDA/H:
une pathologie sous-estimée chez les filles
Si le trouble déficitaire de l’attention, avec ou sans hyperactivité, a longtemps été considéré comme une «maladie de garçon», il concerne pourtant beaucoup de filles. Sous-diagnostiquées, elles souffrent en silence. Et le rôle des stéréotypes de genre d’y être pour beaucoup. Une inégalité qui impacte considérablement la vie de nombreuses femmes.
Par Aurélia Dejond
Bruxelles, un soir de semaine comme les autres pour Olivia, 37 ans. Amère, elle regarde la journée écoulée avec angoisse et un sentiment de culpabilité qui la mine. « Ma lle a raté son cours de natation parce que j’ai oublié de prévoir son sac de piscine ce matin, j’ai trois jours de retard dans mes tâches professionnelles, j’ai oublié de faire les courses pour le dîner alors que la liste est dans mon sac, mon mari hurle et me trouve ingérable… ». Un constat à la hauteur de ce que vit la jeune femme au quotidien. Diagnostiquée TDA/H à trente-cinq ans, cette illustratrice peine à concilier sa pathologie avec vie privée et professionnelle. « Distraite, lente, sensible, impulsive, désorganisée, très mauvaise pour gérer un budget…j’ai énormément de di cultés à me concentrer, je me sens vite submergée et cela impacte énormément mon estime de moi. Mon diagnostic m’a aidée à un peu mieux comprendre ma personnalité, mais au jour le jour, je continue à me sentir très impuissante. Ce qui m’encourage ? Un suivi médical et psychologique avec un professionnel et le fait que l’on ait en n identi é ma sou rance, qui dure depuis l’enfance ».
Comme pour beaucoup de filles, les symptômes d’Olivia n’ont alerté ni ses parents, ni ses profs quand elle était petite. « Tout part de l’éducation, qui reste très genrée. L’image de la petite lle modèle est encore très ancrée. Au nom de ces stéréotypes qui les poussent à rester plus réservées, plus calmes ou discrètes en classe, par exemple, on passe à côté de signes qui pourraient aider à une prise en charge dès l’enfance. Or, les filles restent largement sous-diagnostiquées », explique Romane Nicolay, neuropsychologue spécialisée dans le TDA/H. Et les conséquences sont loin d’être anodines : troubles alimentaires, dépression, troubles du sommeil, addictions…beaucoup grandissent et vivent avec la pathologie sans savoir qu’elles en sont atteintes. « Dans l’imaginaire collectif, l’image stéréotypée tenace associée au TDA/H reste souvent celle d’un garçon turbulent. Une petite lle s’autorise moins à être agitée en classe, elle reste tranquille et sage, n’ose pas interrompre son instituteur ou crier, se bat moins dans la cour de récréation… On a tendance à trouver ça « normal » chez un garçon et quand cela prend des proportions exponentielles, les parents nissent par consulter. Mais s’agissant d’une lle, plus habituée à respecter les règles et à être disciplinée, c’est beaucoup plus sournois. Or, le TDA/H n’est pas synonyme d’hyperactivité, contrairement à certaines idées reçues ». La preuve avec Faustine, 19 ans, à qui ses profs reprochaient d’être trop souvent « dans la lune », mais sans s’en inquiéter davantage. « Mon impulsivité m’a sauvée (rires). En grandissant, mes sautes d’humeur ont été de plus en plus fréquentes, mes parents ont mis ça sur le compte de la pré-adolescence, mais moi, je sentais bien que quelque chose clochait. On me disait lunatique et distraite, mais c’était plus profond », raconte cette étudiante en langues, bien décidée à réussir sa première année universitaire malgré son TDA/H. « Le TDAH est un trouble neuro-développemental qui se décline en trois types : inattentif, hyperactif/impulsif ou une combinaison des deux. La pathologie touche entre 3 à 12 % des enfants et 1 à 6 % des adultes, ses causes restent inconnues. Le diagnostic peut rester très altéré chez les lles, à nouveau parce qu’elles ont souvent intégré les codes propres à leur genre : lors d’un test en cabinet, il y a peu de distracteurs, elles sont appliquées, ne se font • • •
• • • pas remarquer…et passent parfois sous le radar. Or, un diagnostic permet une prise en charge efficace, au cas par cas, avec ou sans médicaments, qui permet de comprendre la pathologie, de l’apprivoiser et de vivre avec », précise Romane Nicolay, qui rappelle à quel point le TDA/H impacte fortement la vie scolaire, sociale, familiale et mentale. « Sans diagnostic, les filles sont plus souvent pénalisées dans leur trajectoire. Le trouble s’accompagne de co-morbidité chez 75 % des adultes. Chez les hommes, ils sont davantage externalisés, comme des TOC ou des addictions, alors que chez les femmes, ils sont plutôt internalisés et se traduisent par de l’anxiété, du stress, une dépression…Trop peu d’études sont menées sur les femmes », regrette la spécialiste. Le problème a d’ailleurs été faussé dès le départ. « Les premières recherches se sont concentrées sur les jeunes garçons qui étaient turbulents à l’école et les premières statistiques laissaient penser que les lles étaient moins touchées. Des études plus récentes se sont intéressées au problème du dé cit d’attention, les médecins ont découvert que les lles et les femmes étaient plus souvent touchées. Les lles, lorsqu’elles sont hyperactives, ne manifestent pas les mêmes symptômes que les garçons », précise Pascale De Coster, directrice de l’asbl TDA/H Belgique (tdha.be) et auteure de Le TDA/H chez l’adulte, apprendre à vivre sereinement avec son trouble de l’attention (éditions Mardaga, 2022). Elle rappelle aussi que parmi les profils féminins, aucun ne rivalise jamais avec le comportement bruyant et agité des garçons. « Les garçons hyperactifs reçoivent généralement l’aide dont ils ont besoin, parce que leur comportement dérangeant attire l’attention de l’entourage sur leurs problèmes, c’est moins le cas des lles qui ont un meilleur comportement. On pense qu’elles ont juste un problème de caractère : Julie n’est pas très féminine, Susanne est simplement bavarde et pas très scolaire, Donna est juste un peu lente et Déborah a un « baby blues ». On pense rarement au TDA », précise la spécialiste. Ophélia, 33 ans, maman d’Agathe, deux ans, a eu toutes les peines du monde à être prise au sérieux par sa famille et son médecin. « On m’a diagnostiquée une dépression post-partum. Or, je suis dans cet état depuis toujours et ça s’est hyper développé depuis que je suis adulte. En devenant
Pascale De Coster, fondatrice de l’asbl TDA/H Belgique
maman, ça a encore empiré. Je suis dépassée, incapable de gérer ma vie», explique celle qui a été diagnostiquée au printemps dernier, à force de frapper à la porte d’associations et de voir des psys pour comprendre ce qui la fait souffrir depuis autant d’années. « Les femmes atteintes de TDA/H sont doublement handicapées, à cause des attentes de la société quant à leur rôle de femme, en tant qu’épouse et de mère, deux rôles qui exigent de grandes qualités d’organisation », constate Pascale De Coster. Dans son dernier ouvrage, l’auteure con rme ce constat : « Pendant l’enfance et l’adolescence, le comportement inattentif et rêveur des filles, qui présentent plus souvent un TDA sans hyperactivité, passe couramment inaperçu. Sociables et aimables, désirant plaire à leurs proches, elles fournissent des efforts constants qui masquent leurs di cultés. Même quand il s’agit d’une forme mixte qui associe inattention et hyperactivité, celle-ci s’exprime, généralement, de manière plus atténuée et donc moins identifiable que chez les garçons. Arrivées à l’âge adulte, parce que la société leur attribue encore communément un rôle de support et de soutien familial, les femmes se sentent contraintes de remplir, du moins en grande partie, les fonctions traditionnelles d’épouse et de mère tout en jonglant très souvent avec les responsabilités d’un emploi. Après avoir lutté pendant des années pour gérer des tâches que la plupart des femmes de leur entourage semblent maîtriser avec facilité et pour équilibrer leurs obligations familiales et professionnelles, elles finissent par consulter lorsque leurs difficultés deviennent insurmontables et que le stress et les comorbidités anxio-dépressives exacerbent leurs symptômes jusqu’au point de rupture ». Ce qu’a fait Carine, voici dix ans, le début d’un parcours de combattante semé d’embûches et de fausses pistes. « On m’a d’emblée pensée anorexique, on a ensuite cru que j’étais bipolaire, d’autres encore ont évoqué des TOC aigus…il a fallu plus de trois ans avant que la piste du TDA/H soit explorée par un neuropsychologue très attentif ». Et le cas de Carine est loin d’être anodin. Pascale de Coster insiste : « Parce que leurs symptômes s’expriment di éremment, que leur intensité est in uencée par les uctuations de leur taux d’œstrogène, et que souvent, ce sont les troubles comorbides qui les amènent à consulter, les professionnels de la santé, plus habitués à rencontrer le TDA/H sous sa forme masculine, sont encore trop fréquemment susceptibles de les diriger vers un diagnostic erroné. C’est ainsi que de nombreuses femmes atteintes de TDA/H sortent de leur rendez-vous avec une indication unique de dépression, alors que celle-ci est une comorbidité de leur TDA/H ». Avec ou sans médicaments, selon les cas, et grâce à un suivi qui permet d’apprivoiser la pathologie, on apprend à vivre avec le TDA/H. L’étape cruciale étant de pouvoir mettre des mots sur les maux. Que l’on soit homme ou femme.