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PHÉNOMÈNE Garden mania
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GARDEN MANIA
Votre fil Instagram s’est transformé en jardin anglais? Vous apprenez chaque jour de nouvelles variétés de roses et songez à faire pousser des dahlias sur votre balcon? Et si vous n’avez pas encore succombé, voici de quoi faire germer votre intérêt.
Par Géraldine Dormoy-Tungate
CHARLOTTE RÊVAIT D’UN JARDIN DEPUIS L’ÂGE DE 30 ANS. « En 2019, après une décennie de vie urbaine et la perte de ma grand-mère – passionnée par son jardin, dont je profitais sans en percevoir forcément la beauté –, j’ai eu envie de mon petit coin vert, même en vivant à Nantes. J’ai trouvé une minuscule maison avec dix mètres carrés de jardin que je me suis empressée de remplir de chèvrefeuille et de myosotis. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à lire, à suivre des blogs de jardin français – @jardinementvotre, @discret_garden, @pepindebananeverte (voir encadré), @jardindebesignoles, @rougepivoinepaysagiste – et à développer des wishlists insensées. Lors du premier con nement, le jardin a été une bénédiction : la moindre fleur était un évènement. » À 35 ans, elle vient de déménager à la campagne, centuplant la surface de son jardin. Elle répertorie chaque plante et suit aussi désormais des comptes plus établis tels que @milliproust, @thewildpotager, @acreswildgardendesign. « Ils me parlent de cuisine, de famille, d’extérieur – qui a pris une telle valeur depuis 2020 –, mais d’une façon sublimée : je suis subjuguée par ce qui me paraît à la fois si proche et si loin de moi. »
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Fleurs, herbes folles, plantes grasses… Autant de merveilles qui fleurissent sur les comptes instagram: 1. @floretflower 2. @acreswildgardendesign 3. @milliproust 4. @thehackneygardener 5. @jardindebesignoles
3 jardins extraordinaires repérés sur Instagram
@milliproust La référence des floricultrices britanniques vient de sortir son premier livre, From Seed to Bloom (Quadrille Publishing Ltd, non traduit).
@floretflower Pionnière de la culture de fleurs locales aux États-Unis, Erin Benzakein dispense ses conseils avec générosité à son million d’abonné·es.
@pepindebananeverte Marielle, fondue de botanique, a passé quatre ans à transformer le jardin de sa maison dans la Loire en refuge pour la biodiversité. Elle raconte en ligne comment elle y vit et l’entretient.
Après nous avoir fait fantasmer sur les looks des influenceuses, saliver devant des images de food porn, les réseaux sociaux accompagnent notre engouement pour le jardin. Si l’on va sur YouTube pour apprendre à planter, tailler, bouturer, on trouve sur Instagram de quoi en prendre plein les yeux. De grands noms y montrent leurs réalisations tels que les Britanniques Clive Nichols, Monty Don et Beth Chatto, le Danois Claus Dalby ou le Néerlandais Piet Oudolf. Des professionnel·les y partagent leur quotidien : l’Américaine Erin Benzakein, les Anglais·es Sarah Raven et Alexander Hoyle. En n, une myriade d’amateur·rices lment et photographient avec amour leurs floraisons d’agapanthes et de roses trémières. Là encore, une écrasante majorité de Britanniques gure parmi les comptes les plus esthétiques : @thehackneygardener, @sprout.surrey, @yomargey…
COMMENT EXPLIQUER LA SUPRÉMATIE DE NOS VOISIN·ES D’OUTRE-
MANCHE ? « Alors que les Français privilégient leur potager, les Anglais sont des jardiniers passionnés de botanique, estime Marie-Pierre Ombrédanne, rédactrice en chef du magazine Ma campagne et auteure de Quatre saisons à la campagne (1) . Même les plus petits jardins sont dessinés et travaillés avec plein de variétés. Et ils ont le climat idéal pour cela. » Leur goût pour le mélange et les herbes folles colle à l’éclectisme de l’époque. « Les jardins à la française sont ordonnés, lissés, cadrés, observe Clémentine Lévy, designer oral (2) . Le talent des Anglais, c’est de réussir à créer un désordre organisé. C’est impressionnant visuellement et très pensé. » Et que dire de leur romantisme ! « Le Brexit a éloigné de nous l’Angleterre contemporaine pour en patiner l’image et nous renvoyer à celle des sœurs Mitford, d’Agatha Christie et des gentlemen farmers », analyse Charlotte. Ce foisonnement délicat, à la photogénie exceptionnelle, cumule les likes. « Il est plus facile de photographier une fleur qu’un plat », s’amuse Marie-Pierre Ombrédanne. Mais le succès des jardins de rêve sur les réseaux ne s’explique pas que par leurs qualités visuelles. Les admirer, c’est aussi se forger une culture au contact d’autres avides de partage. « L’échange entre passionnés mène à des découvertes extraordinaires », se réjouit-elle, elle qui vient de réserver en Belgique un tilleul d’une variété inconnue. Fondatrice il y a six ans de Peonies, premier café- euriste parisien, Clémentine Lévy a quitté la capitale en 2021 pour la Mayenne, où elle cultive ses propres plantations et anime des retraites d’art floral. Autodidacte, elle reconnaît avoir tout appris sur YouTube et Instagram : « Je n’ai suivi aucune formation. On trouve sur Internet tout ce qu’il faut pour se lancer », indique la trentenaire. Si elle évoque rarement les heures passées à désherber, Charlotte s’est prise au jeu : « J’ai commencé à documenter la vie de mon jardin en stories. C’est le format idéal pour tenir le journal du temps qui passe. Les nombreuses réactions m’ont donné l’impression d’inviter plein de monde dans mon nouveau jardin ! Cet espace privé mais en extérieur, où les imaginaires collectifs croisent tendance, influence et environnement, me paraît à sa place sur les réseaux sociaux. » En 2022, les jardins sont de moins en moins secrets.