Le Lieu Unique C’était un week-end à Nantes, organisé sur un coup de tête. Je suis partie avec deux copines, c’était la première fois qu’on gérait tout, transport, hébergement. On voulait voir d’autres lieux, d’autres personnes, et c’est comme ça qu’on s’est retrouvées au Lieu Unique, le LU, à l’ancienne usine du Petit Beurre LU. C’était un endroit cool, un grand hangar avec des tables, des chaises, de la place pour danser, de la bonne musique. Des personnes différentes, de tous âges, de tous styles, mais dans une même optique : boire un verre entre amis. J’était assise à une table, une pinte devant moi, mes copines à côté. Au fil de la soirée, une visite aux toilettes s’est imposée. Il fallait descendre un étage, et on se retrouvait dans un lieu sombre, glauque, qui puait, où les cabines étaient aussi rapprochées que les stalles d’une écurie. On sentait que beaucoup de choses s’y passaient en soirée, en voyant les gens se maquiller, se prendre en photo et boire. C’était un deuxième lieu, plus intime. Lorsque je suis retournée à ma table, l’esprit embrumé, j’ai senti qu’il manquait quelque chose. Un coup d’oeil aux fille qui riaient, elle m’ont montré le verre et la bouche de l’une
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d’entre elles. Un bout de dent avait sauté en trinquant violemment. Plus de peur que de mal, mais un nouveau sourire. Ce fût la première partie de la soirée. La seconde, c’est une galère d’adulte : j’ai perdu ma carte bleue. Panique dans une ville inconnue, sans avoir le contrôle de moi-même. C’était la première fois et je ne savais pas comment gérer ça. Quelles démarches ? Qui faut-il appeler ? D’habitude, mon père s’occupe de ça, je me repose sur lui pour les papiers administratifs. Mais là je n’avais pas le choix, je devais me débrouiller.
Retour à Bilbao 24 mars 2014, aéroport de Bilbao. 20 ans et quelques heures. On m’attend de l’autre côté de la frontière. J’avais eu l’idée faramineuse – du moins le pensais-je – de m’offrir une semaine de vacances à Lisbonne pour fêter mon cinquième de siècle. Au programme : Boire des coups, concerts, taijines, couchers de soleil en bord de Tage, re-boire des coups. J’ai sauté sur les promos low coast (80€ l’aller-retour Bilbao-Lisboa), et chargé mon énorme valise dans le coffre de la scenic. Direction : Espagne. Au terminal des arrivées, personne n’agite de pancarte avec mon nom. Personne n’attend ma sortie, fébrile je suis seule. Pour la première fois, vraiment seule. Depuis la veille, aucun moyen de communication. Juste moi, mon billet d’avion, ma voiture. Je prends le volant sans carte. Je suis une aventurière. Ni plus, ni moins. À quelques dizaines de kilomètres à peine de la frontière française, je suis comme à l’autre bout du monde. Revenue du bout de l’Europe après une mauvaise fin de soirée, une foule de supporters du Benfica envahit le métro qui m’emmenait, chancelante, à l’autre bout de la ville parce que j’avais besoin d’imprimer
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mon billet parce que j’avais perdu mon vol et parce que je n’avais pas d’imprimante parce que je n’étais pas chez moi parce qu’une amie m’hébergeait parce qu’elle était partie au Maroc, et des menaces de grève dans les transports publics qui m’emmenaient à l’aéroport le lendemain, je suis presque de retour chez moi. THE SURVIVOR. Mon portable git depuis la veille (2h du matin) au fond d’un bar, aux mains d’une bande de mafiosi amateurs qui, un jour peutêtre, me le renverront, tout cabossé par la poste. En attendant, il ne sonnera pas. C’est assez grisant de savoir que personne ne peut me joindre, que nul ne sait où je suis. Je n’ai plus aucun impératif, je me sens libre, coupée du monde. L’étau se desserre, un poids immense s’évanouit. Je roule dans le mauvais sens.
Les olives de mon père C’est peut-être pas la première fois que je me trouve là… Assise dans un siège de Volkswagen entre terre et ciel. Dehors il fait froid, j’ai dix ans. À la base d’un projet de mes parents de suivre toute la côte ouest de l’Afrique jusqu’en Côte d’Ivoire où se trouve ma grand-mère ! Je suis alors dans un autre pays qui s’appelle le Maroc, je crois qu’il fait nuit. Le nez contre la vitre, je regarde les étoiles. Le Maroc c’est chaud la journée, il y a de la poussière dans la ville, des odeurs, de l’encens ; des épices, des choses étranges qui prennent les sens dans les médinas et les souks. Un jour j’ai vu un dromadaire, il était trop beau. C’était la première fois et aussi la dernière. Je ne comptais pas les jours, en mode explorateurs avec mes parents. Un jour on était dans un village, un autre chez des amis qu’on avait rencontrés par hasard pour la fête du mouton ! D’autres jours sur les routes, c’est les montagnes qui me fascinaient ou les orangerais. Par contre, on avait tout le temps soif ! La fête du mouton est particulière, c’est la ville en effervescence. J’ai vu le mouton
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vivant dans la salle de bain de mes amis avant de le manger. Il y avait quelque chose de morbide dans l’atmosphère, après, la tête de l’animal trainait sur le balcon. J’ai été surprise de retrouver des supermarchés comme en France avec des produits bien français ! Mes parents m’ont même offert un roman de George Sand dans une de ces grandes surfaces. Un jour encore, mon père a acheté des olives. Et pendant un repas de famille on en a tous goûté. Mais leur goût était extrêmement salé, j’ai trouvé ça très mauvais. Mon père demande notre avis, et moi, enfant modèle, ne voulant pas froisser mon père, je déclare : « elles sont trop bonnes ». Il me dit : « Ok, moi je trouve pas. Tu peux les finir alors ». Voilà comment à dix ans, je me suis retrouvée bête à un repas de famille au Maroc.
L’Australie sans mes parents Alors là, je raconte mon premier grand voyage sans mes parents, c’était en 2012, j’ai décidé de partir en Australie. Sauf que j’avais décidé ça sur un coup de tête. Je n’avais plus envie de continuer mes études donc je me suis dit : « Pourquoi pas voyager ? » Le seul problème dans le voyage sans les parents, c’est la partie sans les parents en fait. Déjà, l’annonce de l’arrêt des études après ma deuxième année à la fac, ils ne l’avaient pas spécialement bien pris. Et puis ils se doutaient que je préparait un truc dans mon coin : d’habitude, je pars avec Eva en Corse l’été pour retrouver la famille. Rester travailler en région parisienne plutôt que de profiter de la plage et des bals de village, ça cachait quelque chose. Quand je leur ai annoncé trois semaines avant mon départ que j’avais pris un billet sans retour pour l’Australie, ça a comme jeté un froid dans la famille. Surtout une famille qui n’a jamais voyagé.Mais c’est mon premier grand voyage et je suis contente de l’avoir osé. J’ai toujours voulu voyager mais je n’osais pas car j’avais trop peur.
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Partir dans un autre pays c’est : – une autre langue. – ne connaître personne. – des problèmes pour se loger. – une liberté trop importante à gérer. Et à force d’y penser, on arrive à se convaincre qu’on est beaucoup mieux avec les pantoufles devant la télé et les plats préparés de maman… Mais l’envie du grand voyage restait et j’ai finalement décidé de me lancer. Après un an en Australie à tester les plages, à ramasser des clémentines et des pommes, à danser dans les bars, à rencontrer des gens, à tester mon ouverture d’esprit, je sais finalement que j’en suis capable. On vit différemment quand on voyage, on vit au jour le jour, on voit les choses sous un autre œil. On est les gens qui voyagent, on n’a pas de projet et ça a quelque chose de vraiment excitant. Les parents ils s’y sont faits, Pas le choix. Je l’avais bien calculé de prendre mon billet sans les prévenir.
La fête du meuble Parce que pendant les vacances j’ai décidé de partir à Milan deux semaines, visiter l’Italie.
J’ai beaucoup voyagé ! En Irlande, en Finlande, au Pays de Galle… Mais celui que j’ai préféré c’est quand je suis partie dix mois à Barcelone en Erasmus.
Sur les photos, tout le monde pensait que c’était mon copain !
J’étais avec un ami que j’avais rencontré en Espagne !
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Mais en fait, il était gay !
Slurp…
À Milan on pensait trouver un hébergement sur place… En fait, tous les hôtels étaient occupés, ils n’avaient aucune place pour nous…
On pensait qu’on allait dormir dans la gare. J’avais trop peur !
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Donc on a décidé de prendre le métro, pour aller ailleurs. Et là, je vois un groupe qui parle français. Je vais les voir et je fais…
En plus, mon téléphone marchait pas et celui de mon ami aussi… Alala. Même quand on est allés dans le McDo, on pouvait pas capter la WiFi !
Ils étaient trop sympas. J’ai expliqué qu’on avait nulle part où dormir ! Ils nous ont prêté une tente et un duvet. Ils dormaient dans un Camping. HEY !!! Vous êtes français !
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J’ai compris qu’on était arrivés à Milan en même temps que la fête du meuble. C’est un truc de design, ils exposent dans la ville. Les Français étaient là pour ça ! Y’a plein de gens qui viennent ! Donc plus de place à l’hôtel !
Ça tombait bien, je devais faire un devoir pour la fac ! Une semaine sans Google et tenter l’expérience !
Du coup, j’ai raconté ma mésaventure à Milan ! Le prof a dit que c’était le meilleur devoir.
Puis, il a rajouté qu’il n’en demandait pas tant ! Je pense qu’il a beaucoup ri…
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