L'homme qui vivait dans le tableau

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Ce livre a été réalisé dans le cadre d’ateliers roman-photo et bande dessinée organisés par le service culturel de l’université de Poitiers pour l’année universitaire 2015-2016, et menés par Grégory Jarry, Guillaume Heurtault et Thomas Dupuis des éditions FLBLB. Les ateliers d’expression artistique de l’université de Poitiers reçoivent le soutien du Ministère de la Culture et de la Communication, de la DRAC Aquitaine Limousin Poitou-Charentes et de la Région Aquitaine Limousin Poitou-Charentes.

Mise en page : Guillaume Heurtault Achevé d’imprimé en mars 2016 par Pixartprinting (Italie). ISBN : 978-2-35761-114-6













Quel temps de merde ! L'hiver et son vent glacÊ. J'attends le vent frais du printemps avec impatience.




odeur qui polluait aussi bien l’air que l’esprit. Des cadavres, c’est ce que pensait l’artisan de ces nouvelles poupées robotisées qui l’avaient mis en retraite anticipée. L’artisan savait que ses jours étaient comptés. Il s’adonnait à ce qui n’était plus qu’une passion, un hobby de toute une vie, la confection de poupées. Des poupées à articulations sphériques qu’il appelait ses filles alors toutes dotées d’un numéro de série. Il travaillait sur la dernière d’entre elles. La n°2-V.4.0-001 : son dernier chef-d’œuvre. Son toucher, de la porcelaine. Ses couleurs, de simples peintures. Le fils pénétra dans le modeste atelier. Il l’observait. Encore une fois, il essaya de le convaincre. Sachant que son père avait un goût prononcé pour le jeu, il lui proposa un marché. —  Toi qui aimes tant tes « filles », si je parviens à donner vie à ta dernière création, me transmettras-tu l’ensemble de ton savoir ? —  Quel savoir ? —  Le mécanisme d’un automate. —  Le mécanisme d’un automate est pareil à celui d’une horloge. Je refuse, va-t’en. —  Alors, enseigne-moi l’art de concevoir un corps semblable à celui des humains. —  Une poupée est une poupée. Elle n’est pas censée remplacer l’homme. —  Je te prouverai le contraire ! Laisse-moi une chance de te montrer que je peux donner vie à ta poupée, lui donner des sentiments. L’artisan se montra intéressé. Pas par l’offre, mais par la suggestion. —  Des sentiments, me dis-tu ? Pour cela, il n’y a rien de plus simple : fais appel à une sorcière. Le fils rit aux éclats. —  Et qui me traître de fou ? Je te propose de faire appel à la technologie, au savoir-faire acquis par des siècles de recherches dans le domaine de la robotique et de l’intelligence artificielle et toi, tu me dis de faire appel à une sorcière ! Réveilletoi, nous sommes au XXIe siècle ! —  Crois ce que tu veux, mais ta technologie n’est pas de taille face aux forces occultes. —  Soit. Eh bien, je te propose ceci : nous essayerons de donner chacun vie à une poupée. Celle qui ressemblera le plus à un humain gagnera. L’artisan confia l’une de ses créations à son fils. Une ballerine qui dansait au rythme d’une mélodie bien précise. Son rejeton devait être capable de la faire bouger librement, même sans musique. Les deux avaient convenu qu’ils se reverraient d’ici une semaine. Le fils se disait qu’il avait déjà gagné. L’artisan, lui, se rendit tout simplement au bar du village. Assise à l’une des tables en bois, il trouva celle qu’il cherchait : la sorcière. Paloma, l’artisan te confia son histoire. Tu prétendis ne pas exercer la sorcellerie. Juste de la médecine pour chasser les mauvais esprits et guérir des mauvais sorts. L’artisan te supplia. Il disait être victime du mauvais sort d’avoir engendré un fils aussi égoïste. La gadé-zafè que tu es accepta d’aider le vieil homme à une

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condition : que la poupée devienne ta servante une fois née. L’artisan accepta et le marché fut conclu. La poupée fut plongée dans une marmite dans laquelle du bourbon se trouvait. Pendant trois jours, elle mijota dans ce liquide chauffé au bois. Le quatrième jour, la poupée vivait, marchait et parlait comme une humaine. Curieuse, elle voulait tout connaître du monde qui venait de s’ouvrir à elle, pour ton plus grand malheur Paloma, toi qui voulais juste boire un verre de bourbon et jouer aux cartes. L’artisan, lui, s’émerveillait de la finesse de la peau de sa poupée. Sa belle rougeur qui mettait en avant ses courts cheveux bouclés noirs. Il lui confectionna des vêtements dont une belle robe en mousseline rouge assortie de nœuds d’un rouge plus prononcé et de petites bottes également rouges. Pour finir, il lui donna un nom : Camélia – la poupée de bourbon. Vint le jour du rendez-vous entre les deux hommes. Le fils revint chez son père et lui présenta la ballerine automatisée. Des phrases, des mots, des gestes, des émotions préconçues – elle n’est rien de plus qu’un robot. Qu’avait-elle d’humain ? L’artisan présenta alors Camélia à son fils. Il traita son père de menteur, l’accusant d’avoir engagé une comédienne. L’artisan demanda à Camélia d’enlever ses chaussures puis ses chaussettes blanches en dentelle pour voir ses articulations qui lui servaient de chevilles. Il lui demanda ensuite de retirer ses petits gants rouges en soie pour mieux admirer celles des poignets. L’ultime preuve fut l’intérieur de sa bouche. Au-delà de ses fines lèvres rosées, on pouvait entrevoir une paroi faite de métal et d’autres minuscules boulons. Le fils s’inclina et demanda à son père de lui vendre Camélia. Le vieil artisan refusa. Le fils revint les jours suivants dans l’atelier de son père pour voir Camélia qui le fascinait. Une obsession pour la poupée que l’artisan voyait d’un mauvais œil. Il ne voulait en aucun cas céder « sa » création, sa Camélia. Au fil des jours, les deux hommes se détestaient de plus en plus. Un amour obsessionnel envers un seul être – un spectacle affligeant dont tu t’étais bien amusée, Paloma. Tu allas à la rencontre de l’artisan pour qu’il te cède Camélia, la servante qui t’était promise. L’artisan refusa. Fou de rage, il dit que si servante tu voulais, il te donnerait l’argent pour t’en offrir une. Pour qui te prenait-il ? Une vulgaire mendiante enquête de sous ? Paloma, moins savoureuse et délicate que le bourbon, tu aimais cette ivresse que procure la vengeance. Tu as volé ce qui t’était dû. Le lendemain, l’artisan ne trouva pas Camélia. Juste une bouteille de bourbon, encore neuve jamais ouverte. Le fils voulait voir la poupée. L’artisan ne prononça que quelques mots : —  Elle n’est plus ici, la sorcière l’a emmenée et nous ne la reverrons plus. Le vieil homme raconta au jeune homme son histoire et mourut, peu de temps après, emporté par l’abus d’alcool. Le fils ne pleura pas la mort de son père. Il souffrait beaucoup plus de la perte de la poupée, noyant son chagrin dans le travail et dans ses recherches. Combinées avec le savoir-faire de son père, le rejeton essaie encore aujourd’hui de créer une nouvelle Camélia.

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C'est du pareil au mĂŞme. Ce ciel, ces immeubles, je m'ennuie.















Le soleil se couche, fini l'ennui pour mon arbre, juste le calme de la nuit.


Ces histoires ont été écrites, dessinées, mises en scène et photographiées par Doris Domergue, Gwendolyn Garan, Manon Lambert et Housnat Zoubert :

À l’épicerie familiale 6 Votez miaow 9 Premier boulot, gros salaire 12 Le camélia de Paloma 15 Baby-sitting 22 Avenir toxique 25 Macdo mon amour 28 L’homme qui vivait dans le tableau 31



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