Contes et légendes de Noël

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Collection Contes et légendes

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Contes et légendes de Noël

de Noël

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oël signifie la joie, la paix, le bonheur. Noël évoque la naissance de Jésus. Noël apporte des cadeaux. L’écolier pense à Noël pour ses vacances. Pour certaines personnes, meurtries dans leur cœur, pauvres ou délaissées, Noël est triste ! L’histoire de Noël se raconte depuis plus de 2000 ans. De par le monde, des milliers et des milliers de contes, de légendes se disent et s’écoutent. Peu importe si elles sont vraies, pourvu qu’elles réveillent nos cœurs, qu’elles dessinent en nous un sourire, une bonne pensée, un peu de chaleur et d’amour. Et comme Noël concerne petits et grands, voici une farandole d’histoires illustrées de plusieurs pays. Joyeux Noël !

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Contes et légendes de Noël

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Choix et présentation Joseph Lamon

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Notre quête de contes et de légendes de Noël nous permet de remonter dans le temps pour illuminer le cœur des enfants et des adultes d’aujourd’hui. Tous ensemble, en paix et avec joie, fêtons Noël !

Editions à la Carte www.edcarte.ch Imprimerie Calligraphy.ch N° 1084 - novembre 2007 ISBN 978-2-88464-867-7 4


Noël à travers le monde Quoique St Augustin ne range pas la fête de Noël dans les grandes fêtes religieuses, il convient qu’elle est d’un usage général. Aujourd’hui, il n’est personne qui ne se réjouisse, malgré soi, de cette douce solennité qui est devenue la fête des enfants et dans la nuit de décembre, froide et claire, l’ange de la charité doit pleurer de joie en voyant monter à l’horizon, immense et radieuse, l’aurore boréale de tous les arbres de Noël, illuminés et flamboyants, autour desquels sourient tant de pauvres bébés. Il y a deux versions étymologiques du mot : Noël. Il vient, disent les uns, d’Emmanuel (Dieu est avec nous) ; il est une corruption, disent les autres, de Natalis dies (jour natal). Nous ne fermons pas la parenthèse, qui est béante depuis des siècles. L’origine de la fête de Noël remonte aux premiers temps de l’Eglise chrétienne et est attribuée à l’évêque Télesphorus, qui l’institua en l’an 138. Primitivement, elle ne fut pas célébrée à date fixe, mais tantôt en janvier, en avril ou en mai. Au IVe siècle, le pape Jules II fit fixer, par un concile de théologiens d’Orient et d’Occident, la date exacte de la nativité de Jésus-Christ, qui fut le 25 décembre, bien qu’à vrai dire, rien, dans les Evangiles ne confirme cette date et qu’en Orient, la naissance du Christ fut d’abord célébrée le 6 janvier, sous le nom d’Epiphanie. Par une coïncidence très curieuse, les Romains avaient, à la 5


même époque, soit au huitième jour avant les calendes de janvier, une fête consacrée au soleil, qui se nommait Natalis Invicti. ***

Au Moyen Age, on célébra les fêtes de Noël par des représentations scéniques ou mystères, qui rappelaient l’histoire de la naissance divine. Des personnages costumés récitaient des pièces autour de la crèche que gardaient Marie et Joseph. L’Eglise supprima ce genre de spectacle, parce qu’il dégénéra en bouffonneries grossières, parfois indécentes. Cet usage de représentations populaires existait encore, vers 1800, dans certaines parties de l’Espagne et de l’Italie. Les mystères abolis, on se contenta des trois messes ordonnées par l’Eglise et des noëls, ou cantiques populaires versifiés, la plupart en patois, après lesquels on faisait une collation, d’où vient, vraisemblablement, notre moderne réveillon. Ces noëls sont des restes curieux de la poésie primitive. En Italie, on les appelait des pastourelles ou cantiques de pasteurs ; en Angleterre, où ils se chantaient sur des airs de rondes champêtres ou carols, on les nommait Christmas’ carols ou rondes de Noël ; en Espagne, c’étaient des villancicos. Les plus anciens datent du XIe siècle et sont écrits, moitié en latin, moitié en patois provençal. Malmesbury dit, dans une de ses chroniques, qu’aux environs de l’an 1000, ces cantiques se chantaient la veille de Noël, dans les cimetières, au milieu des danses. Le trouvère Guillaume de Villeneuve cite de volumineuses collections de noëls du XIIIe siècle. Le plus considérable de ces recueils est celui que fit, au XVIe siècle, le prieur de St-Sauveur, Jehan de Vilgontier, composé, dit-on, sur des airs d’un maître de chapelle de Louis XII. Vers la même époque, Maître Lucas le Moigne, curé de St-Georges en édita un volume très remarquable. 6


En Italie, les poètes célèbres et les grandes dames ne dédaignaient pas de laisser condescendre leur muse aristocratique à cet exercice populaire ; on cite un recueil très connu, intitulé : Laude Devote per la Nativata del nostro Gieusu Christo, dû à la plume de Lucretia de Médicis. La fête de Noël a toujours exprimé la gaieté, à tel point que le mot lui-même devint synonyme de réjouissance et que le peuple criait Noël, Noël, sur le passage des rois ou des princes. ***

L’origine de l’arbre de Noël est assez obscure : d’après le P. Cassel, c’est un symbole de l’arbre du Paradis, portant la lumière de la rédemption. Partout, les fêtes de Noël se célèbrent, avec le même enthousiasme, sinon de la même manière. En Provence, les enfants construisent quinze jours auparavant, dans toutes les maisons, des crèches au-dessus desquelles un ange est suspendu, les ailes éployées. La veille de Noël, on fait un réveillon, composé de blanquettes d’escargots parfumées à la férigoule1, de poisson, de sucreries, et, naturellement, du gâteau de Noël, orné de chandelles (candeletto). Puis l’on mange, et, à minuit, on se rend à la communion pendant que, dans le feu, brûle le calendaoù ou carigué, grosse bûche, préalablement arrosée de quelques gouttes de vin cuit et que l’on fait bénir par le plus âgé. Le lendemain, on mange la dinde traditionnelle et le pain de St-Etienne auquel on attribue des vertus merveilleuses. La fête dure trois jours, pendant lesquels les pauvres peuvent mendier publiquement, en chantant des noëls. Chez les paysans, on laisse sur la table la part 1

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des morts, associant ainsi ceux qui ne sont plus à la joie des vivants. Dans les diverses provinces françaises, il y a des cérémonies très spéciales ; ainsi dans Jura, les jeunes gens vont, pendant la nuit de Noël, en brandissant des torches allumées et en criant : « Failles, faille, bons foins, bonnes grenailles. » Dans le Nord, on imprime si des cougniolles, ou pâtisseries soufflées, des figurines d’amidon représentant l’Enfant Jésus, qu’on place le matin au chevet des enfants sages. En Bourgogne, la soirée se passe, la veille de la fête, en repas et beuveries ; on boit du vin blanc, aromatisé pour la circonstance, et l’on mange des boudins et des marrons, en chantant des noëls parfois plus... bourguignons qu’orthodoxes. En Angleterre, les fêtes de Christmas célèbrent à la fois la solennité religieuse et le jour de l’An. Ce sont d’interminables banquets, chez les pauvres comme chez les riches. Un statisticien patient a calculé qu’avec ce qui se mangeait en Angleterre pendant ces fêtes, on pourrait nourrir l’Europe entière pendant un mois. Inutile de dire que nous lui laissons l’entière responsabilité de son originale assertion et que nous ne prendrons même pas la peine de la contrôler ! Partout, on brûle la grosse bûche ou yule ; les affaires sont suspendues et il se fait de grandes distributions de vivres et d’argent aux indigents. Enfin, on orne les maisons de branches de houx aux baies rouges et sous le misletœ ou gui de chêne, on peut embrasser les personnes du sexe aimable, sans qu’elles puissent protester. En Italie, on élève, dans les maisons, des crèches en miniature qui sont éclairées le jour de la fête. La veille, on fait également le cenone ou réveillon, qui consiste en plats de poissons, macaronis aux anchois, assaisonnés de thym et gâteaux à la canelle et aux anis, 8


la gentille fée, la Befana, distribue des récompenses aux enfants. En Allemagne, Noël se célèbre comme le vrai jour de l’an. On mange partout du gâteau fait avec du beurre et des raisins secs et qui s’appelle Stollen. Chaque famille a son arbre de Noël et, la veille du glückseliqen Abend, au signal de la sonnette qui est censée être celle de l’âne sur lequel Tante Arie, le Challende allemand, vient d’arriver, les portes s’ouvrent et les enfants se précipitent à la chère curée. En Russie, les paysans se réunissent pour planter le pin traditionnel, à la lueur des torches, et en chantant des chants religieux, lentes mélopées qu’ils entremêlent de brusques exclamations de joie.

Illustration 1875

Chez les Scandinaves, Noël est salué avec enthousiasme ; les travaux sont interrompus partout ; tous les malheureux reçoivent des cadeaux et les animaux eux-mêmes ne sont pas oubliés ; on en 9


met en liberté quelques-uns et tous reçoivent la double ration. Dans les rues et sur les places, on répand de la paille à terre en grande abondance, afin d’obtenir de bonnes récoltes. La tradition garantit certains avantages de fortune et de santé à ceux qui passent les premiers sur cette paille, en revenant de l’Eglise, le jour de Noël ; inutile de dire que c’est à qui bénéficiera de ce miraculeux privilège. Dans les Etats-Unis, une multitude d’arbres de Noël s’allument partout ; au lieu d’un sapin, c’est un cyprès garni de bonbons, de jouets et de bijoux que le propriétaire de l’arbre offre à ses invités, comme cadeaux d’étrennes. ***

Quelles que soient les cérémonies et les solennités qui le célèbrent, Noël est une fête douce et tendre, parce que c’est la fête de la charité et de l’amour, des pauvres gens et des petits. C’est le jour, où ceux qui sont en famille se souviennent de ceux qui sont seuls, où ceux qui sont heureux pensent à ceux qui ont faim et froid et où tous se rappellent ce vers merveilleux d’Hugo : « Ce riche est bien heureux, ses enfants lui sourient. » Jules Monod La Suisse romande illustrée, 1895

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Prodiges de la nuit de Noël LE CONCERT DES ANIMAUX C’est une autre légende encore, jolie, du pays valaisan et de bien d’autres contrées catholiques, que, dans la nuit de la naissance de Notre Sauveur, tous les bœufs, au fond des étables, les ânes, les agneaux, toutes les vaches, les chèvres, les moutons, à l’heure juste où sonne les minuit, du premier au dernier coup de l’horloge, reçoivent la parole humaine. Et sachez-le, croyants, et vous, incrédules, si vous prêtez l’oreille à ce concert bizarre, il vous sera donné de saisir le sens naïf de leurs discours ! FONTAINE MIRACULEUSE En cette même nuit de la Noël, aussi longtemps que résonnent les douze coups de l’heure aux horloges chrétiennes, à toutes les fontaines du vaste monde, coule au lieu d’eau un jet du meilleur vin. Mais l’aubaine est maudite ! Il n’y a plus grand péril que d’y goûter. Le Malin reçoit pouvoir pendant ce coup d’audace sur celui qui le tente. De tout temps, rares les téméraires qui ont osé satisfaire leur envie sur ce point ! Néanmoins y avait-il dans cet alléchant récit vérité ou mensonge ? Suivi d’un compagnon, son égal, un farceur, qui ne croyait ni à Dieu ni à Diable, jura d’en aller faire l’épreuve, un soir, pendant la nuit sainte. Sans attendre, ils se mettent en route. Ils sont à la fontaine ensemble, quand, l’heure approchant : – Minuit moins cinq ! fait le compagnon avec une grimace 11


plaisante, comme pour tenir la peur à l’écart. Hai, camarade, dis-moi, comment est l’eau ? – Ho, camarade, ils ont menti je crois, c’est toujours de l’eau ! Les deux complices se rassurent. Une minute encore passe, de suspense et d’attente : – De l’eau encore, ma fi, et toujours de l’eau ! Mais l’heure à l’instant sonne, l’heure enchantée des minuits de la Noël, et comme dans l’ombre on entendait l’impie s’écrier tout joyeux : – Le vin, cette fois, du vrai vin qui coule et du bon encore ! Dans le même temps, voici qu’on distingue la forme immense d’une figure géante et noire derrière lui, qui lentement surgit, s’élève, monte.., une griffe s’allonge : – Tu m’appartiens, maudit ! hurle une voix terrifiante. Et le rieur, tout à coup saisi, arraché de sa fontaine, entraîné par le sombre fantôme, disparaît aux yeux hagards de son compagnon, qui le cherche néanmoins dans son épouvante, et le cherche en vain et le cherche encore, sans jamais retrouver de lui ni trace, ni vestige… LE TRÉSOR MYSTÉRIEUX Un autre de nos vieux contes chrétiens dit aussi qu’aux minuits de la Noël, tous les trésors ensevelis sous les ruines antiques, au fond des vertes forêts ou dans le sable ardent des déserts, par les brigands des chemins, les criminels des temps passés, les fugitifs des grandes guerres de l’histoire, se découvrent aux yeux des hommes. Mais combien rares les heureux, qui ont pu les retenir un instant dans leurs mains ! C’est ainsi que l’on conte qu’un beau trésor aurait été découvert, paraît-il pendant la nuit sainte, dans un ravin de la 12


montagne, sur Zenschwidern, et presque aussitôt perdu. Revenant de promenade, un soir de Noël, d’honnêtes villageois rapportèrent qu’ils avaient vu une créature étrange glisser sur les blancs tapis de la neige sous un clair de lune éblouissant, déposer sous une broussaille noire un coffre, sur son dos, qui paraissait lourd, très lourd, et puis s’asseoir, immobile, et veiller là, comme auprès d’un bien infiniment désirable et précieux, obstiné, l’œil creux, jusqu’au premier coup de minuit... A l’ouïe de ce mystérieux récit, deux pauvres chasseurs aussitôt s’entendent, pour conquérir ce qui ne pouvait être, dans leur idée, qu’un trésor. Ils affranchiraient du même coup, se disaient-ils pour s’encourager, l’esprit qui en avait la garde. Pieuse pensée ! Quoi qu’il en soit, on les voit, peu avant l’heure, se mettre en route pour le ravin hanté. La lune était assez claire en somme, expliquèrentils à leur retour, pour qu’on distinguât de loin le coffre, au pied de la broussaille. Mais la guigne voulut qu’ils aient mal pris leur temps ! Si vite qu’ils eussent marché, ils n’étaient pas arrivés que le premier coup de minuit sonnait au clocher de Saint-Nicolas ; ils avançaient toujours, ils couraient presque, quand le deuxième coup s’épandant sur la paix merveilleuse des campagnes, comme une fumée se dissipe, comme un rêve s’efface, coffre enchanté, sentinelle fantôme, soudain, s’évanouirent dans les airs... Et pourtant les compagnons, frustrés de leur espoir, ébahis, à genoux sur la blancheur de la neige, purent reconnaître, bien visibles, mesurer de la main, mystérieuses et réelles, les traces égales de deux pieds nus, qui s’éloignaient, diminuées, s’en allaient perdre jusqu’à l’infini, là-bas, vers la base des rochers nus... Abbé TSCHEINEN, Valais

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Le premier conte du Père Noël C'était la nuit avant Noël, dans la maison tout était calme. Pas un bruit, pas un cri, pas même une souris ! Les chaussettes bien sages pendues à la cheminée attendaient le Père Noël. Allait-il arriver ? Les enfants du monde, blottis dans leur lit bien au chaud rêvaient de friandises, de bonbons, de gâteaux. Maman sous son fichu, moi dans ses bras et ma petite sœur dans son berceau, prêts à dormir toute une longue nuit d'hiver. Dehors, tout à coup, il se fit un grand bruit ! Je sautais de mon lit, courais à la fenêtre, j'écartais les volets, j'ouvrais grand la croisée. La lune sous la neige brillait comme en plein jour. Alors, parut à mon regard émerveillé, un minuscule traîneau et trois tout petits rennes conduits par un bonhomme si vif et si léger qu'en un instant je sus que c'était le Père Noël ! Plus rapides que des aigles, ses coursiers galopaient, lui il les appelait, il sifflait, il criait : "Allez Fougueux, allez Danseur, Fringant et puis Renarde. En avant Comète et Cupidon ! Tonnerre, Éclair, allons au-dessus des porches, par-delà les murs ! Allez ! Allez plus vite encore !" Comme des feuilles mortes poussées par le vent, passant les obstacles, traversant le ciel, les coursiers volaient au-dessus des toits, tirant le traîneau rempli de jouets.

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Et, en un clin d'œil, j'entendis sur le toit le bruit de leurs sabots qui caracolaient. L'instant qui suivit, le Père Noël d'un bond descendait par la cheminée. Il portait une fourrure de la tête aux pieds, couverte de cendres et de suie, et, sur son dos, il avait une hotte pleine de jouets comme un colporteur avec ses paquets. Ses yeux scintillaient de bonheur, ses joues étaient roses, son nez rouge cerise, on voyait son petit sourire à travers sa barbe blanche comme neige. Un tuyau de pipe entre les dents, un voile de fumée autour de la tête, un large visage, un petit ventre tout rond qui remuait quand il riait ; il était joufflu et rebondi comme un vieux lutin. Je n'ai pu m'empêcher de rire en le voyant et d'un simple clin d'œil, d'un signe de la tête il me fit savoir que je ne rêvais pas : c'était lui ! Puis, sans dire un mot, il se mit à l'ouvrage et remplit les chaussettes. Il se retourna, se frotta le nez et d'un petit geste repartit par la cheminée. Une fois les cadeaux déposés, il siffla son attelage, puis reprit son traîneau et les voilà tous repartis plus légers encore que des plumes. Et dans l'air j'entendis avant qu'ils disparaissent : « Joyeux Noël à tous et à tous une bonne nuit !» D'après Clément Clarke Moore. Ce conte fut publié pour la première fois dans le journal “Sentinel“ de New York, le 23 décembre 1823 15


Pauvre Amédée Fauvette ! La clef de la vieille maisonnette où il fut si heureux avec sa petite femme, n'avait pas quitté la poche d'Amédée Fauvette, malgré ses lointains voyages. Et à son retour au pays, par cette nuit tombante, la veille de Noël, il s'achemina tout droit vers le home aimé d'autrefois. C'était elle qui l'avait désirée vieille, cette maison, par une pittoresque fantaisie. Ces murs qui avaient déjà beaucoup vécu abriteraient mieux leur jeune amour ! Aussi les quelques arbres noueux du clos minuscule se coiffaient de gui parmi les plates-bandes qui fleurissaient à l'aventure. Amédée arrivait au bout du chemin plein d'herbes et de feuilles mortes. Il poussa l'étroit portail de bois mousseux. Au haut du perron, la serrure de la porte rouillée, secouée par un poignet vigoureux, céda. Amédée était chez lui, chez eux. Aucune main profane n'avait éparpillé la poussière des souvenirs ; toutes les chambres, du rez-de-chaussée à l'étage, étaient restées telles que le jour de son départ. C'est dans le joli salon vert pâle qu'il s'arrêta en dernier lieu pour attarder sa rêverie. – Si je réveillonnais ici, tout seul ! se dit-il. Mes amis m'ont oublié depuis longtemps. Je ne me soucie ce soir d'aucune brasserie ni d'aucun banquet. Restons chez nous. Et il se mit à monologuer : « Des candélabres d'abord ». Les bougies, allumées, il songea au feu. Pas de vrai réveillon de Noël sans un peu de flamme claire... Et voilà trente ans qu'il se rêvait cela : s'asseoir au coin d'une cheminée à soi, en écoutant les cloches chanter pour la bonne fête ! Chez ses parents, il n'avait 16


connu que le gros poêle familial, et plus tard, certaine cheminée à coke, à laquelle manquait justement l'intimité de la bûche qu'on tisonne et qui s'écroule en châteaux de braise... Aussi sa mignonne fée lui promettait-elle que leur maisonnette aurait une cheminée selon son goût, dans laquelle il mettrait ses pantoufles, la nuit de Noël comme un bébé. Mais ils ne passèrent point leur premier réveillon les pieds sur les chenets. L'antique cheminée était lézardée de fissures imprévues – les amoureux ne sauraient songer à tout ! – leur provision de bois trop vert ; dehors, la bruine comme au pays du spleen. De sorte que, aveuglés par une horrible fumée, pleurant et riant à la fois, ils soufflaient la lampe en renvoyant le plaisir à l'année suivante. Cette fois encore, déception : la petite femme alitée pour une dangereuse bronchite. L'hiver fut mauvais ; elle prit froid, se remit mal ; et au printemps, la phtisie l'emportait au galop. Amédée s'exila, songeant à ne plus revenir au pays, puisqu'il y serait seul maintenant, désespérément. Et pourtant le mystérieux Heimweh l'avait poussé de nouveau vers l'ancien foyer. Sans savoir au juste comment, il s'y trouvait encore assis, la veille de Noël. Cette fois-ci, la flambée jaillit en un épanouissement de fête. Pauvre fête de l'absent au retour si triste ! Il sortit de leur tiroir, pour se donner l'illusion d'un peu d'amour, les lettres de sa fiancée. Mais il fut distrait de sa lecture par les cloches dont la voix lui arrivait de la ville en brusques envolées avec la bise âpre qui attisait les étoiles dans le ciel noir. Ne s'offrirait-il pas, lui aussi, un peu de musique, pour faire danser avec la flamme les souvenirs qui montaient en lui ?

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H. van Muyden

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Il voulut essayer sur sa flûte si longtemps dormante les airs d'antan, ceux qu'elle aimait, des mélodies tendres, sans fioritures. Mais le buis, trop sec, ne vibrait plus sous ses lèvres, et ses doigts déshabitués en tremblaient de dépit. Oui, c'était trop fêlé, trop navrant, en vérité. L'aimée ne voulait revivre qu'à moitié. Alors le pauvre solitaire prit et regarda longuement un petit portrait de l'absente dans son cadre de rubans roses fanés ; et il l'interrogea. Il lui sembla qu'un sourire un peu triste remuait ces lèvres closes, et qu'il entendait de nouveau les dernières paroles qu'elles avaient dites : « Mon aimé, quand tu te sentiras trop malheureux, essaie de faire un peu de bien en mémoire de moi ». Oui, tu as raison, oui, j'en trouverai d'autres qui sont seuls, qui souffrent comme moi, plus peut-être encore, et je les amènerai ici. Nous veillerons ensemble par cette nuit de bienveillance universelle envers les hommes. Je veux leur faire un joyeux Noël... Il s'en alla par les chemins désolés, jusqu'à la ville dont les rues flamboyaient encore. Et il chercha. Le long des ponts, on entendait la ritournelle nasillarde des vielles et des roulades de guitares. La bise faisait cliqueter les réverbères qui secouaient dans l'eau bruyante et noire leurs serpents de lumière alignés sur les quais. Alors Amédée avisa, parmi ces loqueteux qui, ce soir, vivaient de musique, le plus lamentablement infirme, dont aucun compagnon ne tendait la sébile. Et il l'emmena, après avoir jeté sur les épaules bossues sa pèlerine de bon drap, et rabattu le capuchon sur la tête blanche découverte. Le pont franchi, ils gagnèrent un carrefour planté d'arbres maigres qui simulaient un square. Assise sur une borne, une fille, pitoyable de maigreur sous ses haillons d'été, essayait d'appeler les rares passants. Mais sa voix timide n'avait point encore les secrets du métier. 19


Quelle misère innommable l'avait chassée de son taudis ! Ni pain, ni feu, ni lampe sans doute ; et l'idée que d'autres seraient heureux ce soir devant les sapins pétillants de joie et de lumière... Alors, le hasard de la rue plutôt, sous la bise cinglante, pour avoir sa petite part, son humble miette de la fête. Oh ! elle n'en demandait pas tant ! Amédée fut saisi de honte devant cette pauvresse, destinée à quelques luxueux triomphes peut-être, puisqu'elle avait l'audace d'être jolie... Elle aussi, accepta l'hospitalité de cet inconnu, rassurée par son air honnête et triste. Au bout de quelques pas, Amédée poussa un cri de surprise : il venait de reconnaître, debout sur un banc et déclamant sa peine aux étoiles, son ancien camarade de collège, Roméo, le rimeur enthousiaste devenu le raté sans éditeur, et qui avait conservé ses gestes, sa voix et son allure dramatique d'autrefois. Après s'être rebiffé un instant en alexandrins solennels, Roméo dut finir par reconnaître qu'il avait le ventre creux depuis quarante-huit heures, et qu'il serait ravi de trouver un auditoire pour son poème frais éclos, l'Etoile des Mages, vers de circonstance qui avaient toute la saveur de l'actualité. Le quatuor se remit en marche à travers les ruelles, entre les boutiques qu'on fermait une à une. Au-dessus, derrière les vitres closes pleines de buées, ils entendaient des bébés aux joues rondes chanter autour des sapins de Noël. Ils regagnèrent le centre de la ville où seuls les restaurants et quelques gros bazars restaient allumés. Et tandis qu'Amédée entrait chez un marchand de comestibles pour faire achat de victuailles, Roméo lui demanda la permission d'inviter, en passant devant les grands magasins de la Poupée merveilleuse, trois de ses amies qui étaient vendeuses là, très recommandables du reste, ajoutait-il avec des gestes drôles. Les immenses vitrines s'éteignaient ; on couvrait de housses grises les délicats étalages. Les jeunes filles enchantées 20


de cette originale aubaine sortirent avec des éclats de voix et de rire en croisant à la hâte leurs jaquettes trop ajustées. Leur élégance voyante et leur exubérance un peu voulue contrastaient avec la misère et la lassitude des autres. Et pourtant chez elles, il y avait aussi de la pauvreté et des larmes que cette vie artificielle du bazar mondain les forçait à cacher... Le poète en prit une à chaque bras. Il se mit à leur réciter des strophes auxquelles elles ne comprenaient pas grand-chose, mais qui étonnaient et charmaient quand même leurs petites âmes d'oiseaux bavards. Et c'était un cortège bizarre sous les piquantes étoiles qui clignotaient très haut dans le ciel. Les rumeurs s'éloignaient de la ville endormie. Un marchand de marrons attardé, qui barricadait son échoppe en soufflant dans ses doigts, accepta encore de s'embaucher dans cette joyeuse compagnie. Son galetas solitaire et nu, sans personne pour l'accueillir, ne le tentait guère. Amédée alluma sa lanterne de poche et il guida par les chemins déserts où valsaient à la bise les silhouettes pâlottes qui venaient derrière lui. Au bout d'un quart d'heure, on arrivait. La porte grinça. « Nous y sommes ! » s'écria-t-il. Sa voix, dans le vestibule, prit une sonorité étrange, celle qu'amplifient le silence et la solitude... ses compagnons n'entraient donc pas ! Il se retourna... Pauvre Amédée Fauvette ! Seul dans le petit salon, les pieds sur les chenets, devant la bûche de Noël aux lueurs mourantes ; le cœur vide, les yeux brûlés de larmes. Les lettres et la flûte fêlée avaient glissé sur le tapis, et dans sa main le portrait aux rubans roses fanés souriait, d'un sourire un peu triste. Georges Sylvain La Patrie suisse, 25 décembre 1895

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Table des contes NOËL À TRAVERS LE MONDE ....................................................................... 5 PRODIGES DE LA NUIT DE NOËL ............................................................... 11 LE PREMIER CONTE DU PÈRE NOËL ......................................................... 14 PAUVRE AMÉDÉE FAUVETTE !................................................................... 16 JÉSUS CHEZ NOUS.......................................................................................... 22 LE NOËL DE PIERROT .................................................................................... 31 LE FEU QUI NE BRÛLE PAS .......................................................................... 37 COMMENT LE SAPIN DEVINT UN ARBRE DE NOËL .............................. 43 LA LÉGENDE DU CHEVRIER ........................................................................ 46 LE NOËL DU PETIT RAMONEUR JEAN CHANTEROSE ........................... 49 LA MESSE DE MINUIT DES ENFANTS ........................................................ 58 LA PETITE BERGÈRE À LA CRÈCHE .......................................................... 68 LÉGENDE DE LA NUIT DE NOËL ................................................................. 71 L’ÂNE ET LE BŒUF ........................................................................................ 74 LE NOËL DE JANTJE ....................................................................................... 80 LE NOËL DE MARIANNE, PIERROT ET SUZETTE .................................... 86 LE NOËL DES OISEAUX ................................................................................. 90 LE PREMIER ARBRE DE NOËL ..................................................................... 96 LE RÉVEILLON DE LA SŒUR MALEINE .................................................. 107 LES PIERRES MYSTÉRIEUSES ................................................................... 112 LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES ...................................................... 116 LES SABOTS DU PETIT WOLFF.................................................................. 119 LES TROIS PETITS ANGES DE NOËL ........................................................ 126 POURQUOI LE SAPIN EST-IL L’ARBRE DE NOËL ? ............................... 131

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POURQUOI MET-ON DES FILS D’OR SUR LES ARBRES DE NOËL ? .. 135 TRISTE NOËL ................................................................................................. 139 LA FORGE DU PÈRE VATINEL ................................................................... 144 LE NOËL DE MADEMOISELLE LUCE ....................................................... 151 LES TRADITIONS DE NOËL ........................................................................ 156 VEILLÉE À LA CABANE DE BARBERINE ................................................ 160 VEILLÉE DE NOËL ........................................................................................ 165 LE REPAS DE NOËL ...................................................................................... 170 LA NUIT AVANT NOËL ................................................................................ 172

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Collection Contes et légendes Titres parus aux Editions

à la Carte, 3960 Sierre, Suisse www.editions-carte.ch

Au Pays de Bovernier: Récits, contes et légendes, Roger Michaud, 1997, 978-2-7444-0148-X Au Val d’Hérens: Récits, contes et légendes, Maurice Zermatten, 1996, Ed. VP, rééd. 2000, 978-2-88464-233-1 Au Val du Trient, récits, contes et légendes, Collectif, 1998, 978-2-88464-076-2 Contes du Pays de Vaud, Alfred Cérésole, 2008, 978-2-88464-964-3 Contes et légendes de l’Au-delà, Jacqueline Thévoz, 2008, 978-2-88464-957-5 Contes et légendes de Noël, Collectif, 2007, 978-2-88464-867-7 Contes valaisans, Louis Courthion, 1906, rééd. 2001, 978-2-88464-270-6 De Fully au Pays des Dranses, Roger Michaud, 2001, 978-2-88464-332-X Diablats, revenants et fantômes : Récits, contes et légendes, Collectif, 2014, 978-2-99924-201-6 Étrangère du Sanetsch et autres contes et légendes (L’), Marie Emilie Louise (Varone), 2004, 978-2-88464-574-8 Fées de Naye et Le Chasseur de Jaman (Les), Marie-Alexandre Bovet, 1921, rééd. 2003, 978-2-88464-535-7 Grotte aux Fées de St-Maurice, sa légende, son histoire (La), G.-A. Gielly, 1865, rééd. en 2002, 978-2-88464-401-6 Guide et Légendes de Salvan, Louis Coquoz, 1901, rééd. 2006, 978-2-88464-719-8 Guillaume Tell, Alphonse de Lamartine, rééd. 2000, 978-2-88464-171-5 Légendes de la Gruyère, Marie-Alexandre Bovet, 1919, rééd. 2003, 978-2-88464-460-1 Légendes des Alpes vaudoises, Alfred Cérésole, 1921, rééd. 1999, 978-2-88464-040-1 Légendes du Glacier et de l’Avalanche, Johann Siegen, 1921, rééd. 2013, 978-2-88924-162-0 Légendes et traditions populaires de Haute-Savoie, Antony Dessaix, 1875, rééd. 2000, 978-2-88464-165-3 Légendes fribourgeoises, Joseph Genoud, 1891, rééd. 2000, 978-2-88464-175-0 Légendes jurassiennes, Arthur Daucourt, 1897, rééd. 2000, 978-2-88464-218-8 Légendes neuchâteloises, tome I – La Béroche, Jean Gabus, 1935, rééd. 2001, 978-2-88464-327-3 Légendes neuchâteloises, tome II – Le Jura fantastique, Jean Gabus, 1937, rééd. 2001, 978-2-88464-328-1 Légendes valaisannes, Solandieu (Albert Duruz), 1919, rééd. 1997, 978-2-88464-023-1 Légendes valaisannes II, Jean-Bernard Bouvier, 1931, rééd. 2006, 978-2-88464-748-1 Marie du château de Vissoie, J. du Prilet, 1919, rééd. 1998, 978-2-88464-027-4


Nain Jacquet, légende du Val d’Anniviers (Le), J. du Prilet, 1927, rééd. 1999, 978-2-88464-118-1 Par les Sentiers, Solandieu, 1916, 2008, 978-2-88464-968-1 Plus belles légendes suisses (Les), Collectif, 2010, 978-2-94045-724-3 Potins de la forêt (Les), Suzanne Fustier, 2005, 978-2-88464-601-9 Quand fées, dragons et vouivres hantent le Vieux Pays, Sandrine Morard, 2013, 978-2-88924-071-5 Récits, contes et légendes d'Evolène, Collectif, 2000, 978-2-88464-223-4 Récits, contes et légendes d’Arbaz et de Grimisuat, Zacharie Balet et Ursule Carroz, 1996, Ed. VP, 978-2-84235-128-2 Récits, contes et légendes d’Ardon, Chamoson et Leytron, Collectif, 2003, 978-2-88464-512-8 Récits, contes et légendes d’Ayent, Collectif, 2013, 978-2-88924-141-5 Récits, contes et légendes d’Hérémence, Collectif, 1997, 978-2-88464-006-1 Récits, contes et légendes d'Isérables, Collectif, 2018, 978-2-88924-324-2 Récits, contes et légendes de Chalais & Vercorin, Collectif, 2001, 978-2-88464-335-4 Récits, contes et légendes de Conthey, Collectif, 2001, 978-2-88464-332-x Récits, contes et légendes de Fully, Joseph Roduit, 2002, 978-2-88464-434-2 Récits, contes et légendes de Genève, Collectif, 2003, 978-2-88464-473-3 Récits, contes et légendes de la Louable Contrée, Alfred Rey, 2012, 978-2-88924-053-1 Récits, contes et légendes de Martigny, Collectif, 2009, 978-2-940436-42-2 Récits, contes et légendes de Nendaz, tome I, Collectif, 1999, 978-2-88464-150-5 Récits, contes et légendes de Savièse, Basile Luyet et Christophe Favre, 1996, Ed. VP, 978-2-84235-123-1 Récits, contes et légendes de Sion et environs, Collectif, 2004, 978-2-88464-585-3 Récits, contes et légendes de St-Martin, Collectif, 2001, 978-2-88464-334-6 Récits, contes et légendes de Vollèges au Levron, Collectif, 2002, 978-2-88464-433-4 Récits, contes et légendes des Briesses, Claudy Barras, 2004, 978-2-88464-588-8 Récits, contes et légendes du Chablais, Collectif, 2000, 978-2-88464-226-9 Récits, contes et légendes du Grand Lens : Chermignon, Montana, Lens, Icogne, Collectif, 1996, 978-2-88235-122-3 Récits, contes et légendes du Val d’Anniviers, Collectif, 1998, 978-2-88464-080-0 Récits, contes et légendes du Val de Bagnes, Collectif, 2013, 978-2-88924-142-2 Récits, contes et légendes Val d’Illiez & Monthey, Collectif, 1999, 978-2-88464-147-5 Sierre, Noble Contrée : Récits, contes et légendes, Collectif, 1999, 978-2-88464-151-3 Traditions et légendes de la Suisse romande, Collectif, 1872, rééd. 2000, 978-2-88464-163-7 Veillées des Mayens (Les), Louis Courthion, 1896, rééd. 1996, Ed. VP, 978-2-88464-227-2


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