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Questions
ÉTHIQUES Comment doit-on agir ?
Jean-Pierre Légaré Jean-Pierre Légaré a enseigné la philosophie au Cégep de Joliette (1973-1981) et au Cégep de SaintJérôme (1981-2011).
CODE DE PRODUIT : 214947 ISBN 978-2-7617-6772-9
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782761
767729
www.cecplus.com
Jean-Pierre Légaré
Questions
ÉTHIQUES Comment doit-on agir ?
QUESTIONS ÉTHIQUES - COMMENT DOIT-ON AGIR ?
Lorsque nous délibérons sur une action, nous sommes en quête de justifications qui pourraient montrer que nous avons raison d’agir ainsi, qu’il s’agit là de la meilleure chose à faire, tout en nous demandant s’il ne vaudrait pas mieux agir autrement. Pour trouver une réponse satisfaisante à ce type de questionnement, il faut évaluer l’efficacité de cette action eu égard à la fin que nous poursuivons (ce pour quoi nous voulons agir). Mais il arrive aussi que la situation singulière dans laquelle nous nous trouvons nous force à évaluer le caractère moral de cette action : la fin visée et le moyen utilisé (l’action) sont-ils acceptables ? Les conséquences prévisibles de cette action sont-elles bonnes ? Comment pouvons-nous justifier nos jugements moraux, c’est-à-dire nos jugements qui apprécient les conduites humaines du point de vue du bien et du mal ? Ces interrogations, et bien d’autres encore, s’inscrivent à l’intérieur d’un questionnement où l’on se réfère à des normes et des valeurs qui pourraient nous indiquer comment agir dans une situation singulière. Dans cet ouvrage, chaque chapitre porte sur une question spécifique, et chacune d’elles entretient un rapport avec l’action humaine. À la différence d’une approche plus traditionnelle qui privilégie la présentation d’un auteur ou d’une théorie par chapitre, nous avons préféré une approche par questions, plus susceptible d’intéresser les étudiants qui auront été ou seront amenés, dans la vie réelle, à se poser des questions éthiques. Les questions traitées dans cet ouvrage sont les suivantes : • Suffit-il de pouvoir faire ce que l’on veut pour être véritablement libre ? • Doit-on toujours dire la vérité ? • Comment peut-on déterminer qu’une action est moralement préférable à une autre ? • Comment peut-on justifier l’acte de punir ? • A-t-on le droit de se donner la mort ? Les cinq chapitres ont été rédigés selon une formule originale. Chaque chapitre commence par une mise en situation tirée d’une œuvre littéraire ou philosophique et qui suscite une question éthique. Cette situation est ensuite analysée à la lumière du point de vue des grands philosophes qui ont réfléchi sur cette question.
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JEAN-PIERRE LÉGARÉ
Questions
ÉTHIQUES Comment doit-on agir ?
9001, boul. Louis-H.-La Fontaine, Anjou (Québec) Canada H1J 2C5 Téléphone : 514-351-6010 • Télécopieur : 514-351-3534
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Direction de l’édition Philippe Launaz Direction de la production Danielle Latendresse Direction de la coordination Rodolphe Courcy Charge de projet et révision linguistique Jean-Pierre Regnault Correction d’épreuves Odile Dallaserra Réalisation graphique Les Productions Faire Savoir inc.
La Loi sur le droit d’auteur interdit la reproduction d’œuvres sans l’autorisation des titulaires des droits. Or, la photocopie non autorisée – le photocopillage – a pris une ampleur telle que l’édition d’œuvres nouvelles est mise en péril. Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, du présent ouvrage est interdite sans l’autorisation écrite de l’Éditeur.
Les Éditions CEC inc. remercient le gouvernement du Québec de l’aide financière accordée à l’édition de cet ouvrage par l’entremise du Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres, administré par la SODEC. Questions éthiques. Comment doit-on agir? © 2014, Les Éditions CEC inc. 9001, boul. Louis-H.-La Fontaine Anjou (Québec) H1J 2C5 Tous droits réservés. Il est interdit de reproduire, d’adapter ou de traduire l’ensemble ou toute partie de cet ouvrage sans l’autorisation écrite du propriétaire du copyright. Dépôt légal : 2014 Bibliothèque et Archives nationales du Québec Bibliothèque et Archives Canada ISBN : 978-2-7617-6772-9 Imprimé au Canada 1 2 3 4 5 18 17 16 15 14
L’ éditeur tient à remercier les professeurs dont les noms suivent pour leurs judicieuses suggestions, leur grande disponibilité et leur professionnalisme. Benjamin Bélair, Collège Montmorency Frédéric Châtillon, Collège Rosemont Jean-Marc Girard, Cégep de Chicoutimi Emmanuelle Marceau, Cégep du Vieux Montréal Sylvie Rochon, Cégep Saint-Jean-sur-Richelieu Joan Sénéchal, Collège Ahuntsic
Sources iconographiques supplémentaires Page couverture : 96449594 © Shutterstock/Pedro Rufo Pour tous les documents mis à disposition aux conditions de la licence Creative Commons (version 3.0 et précédentes), les adresses sont les suivantes : CC-BY (Paternité) : <creativecommons.org/licenses/by/3.0/ deed.fr_CA> CC-BY-SA (Paternité - Partage des conditions initiales à l’identique) : <creativecommons.org/licenses/bysa/3.0/deed.fr_CA>
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CARACTÉRISTIQUES DE L’OUVRAGE
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SITUATION Chaque question éthique est présentée à l’aide d’un récit emprunté à la littérature qui met en scène la problématique envisagée.
Illustration par Howard Pyle (1903).
SUFFIT-IL DE POUVOIR FAIRE CE QUE L’ON VEUT POUR ÊTRE VÉRITABLEMENT LIBRE ? a toute première expérience de liberté que chacun fait dans sa vie prend la forme d’un sentiment : on se sent libre. C’est un état de conscience qui surgit de façon immédiate et intuitive lorsqu’on peut faire ce que l’on veut. En outre, on convient aisément que, si un individu est contraint par une force externe d’agir comme il le fait, alors qu’il ne veut pas agir ainsi, il n’est pas libre. À l’inverse, si quelque force l’empêche de faire ce qu’il veut, il n’est pas libre. Pour être libre, il faut donc au minimum pouvoir faire ce que l’on veut. Mais le sentiment d’être libre est-il garant d’une liberté véritable, d’une grande liberté ? Pour répondre à cette question, nous présenterons d’abord une situation imaginée par le poète anglais Chaucer au 14e siècle. Ensuite, nous examinerons le point de vue de quelques grands philosophes qui se sont penchés sur la question de la liberté. Finalement, nous analyserons la situation imaginée par Chaucer à l’aide des points de vue des philosophes que nous avons présentés.
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ANALYSE DE LA SITUATION Fort de la compréhension amenée par l’étude de différents points de vue de philosophes, le lecteur fait un retour sur la question posée afin d’y répondre de façon fondée.
1. SITUATION LE CHEVALIER DU ROI ARTHUR ET LA SORCIÈRE
À l’instant même, Gilles reconnaît le grand costaud qu’il avait frappé la veille de son entrée dans la police. Ne souhaitant pas s’attarder plus longtemps, il salue le couple et s’en va au plus vite. Le lieutenant Pontoise se penche vers la femme en tapant du doigt sur son bureau. — Alors maintenant, je vous pose une question. Pensez-vous que j’aurais dû dire au mari : c’est moi qui vous ai frappé devant le café à Lisieux et en plus je baise votre femme ? — Est-ce que, tout comme vous, dire la vérité n’aurait pas été une pure connerie ?
Dans le Conte de la Bourgeoise de Bath1, le poète Chaucer raconte l’histoire d’un chevalier du roi Arthur. Un jour que celui-ci chevauchait seul en revenant de la chasse, il rencontra une belle jeune fille qui marchait devant lui « et aussitôt, malgré sa résistance, il lui prit de force sa virginité ». Cette agression souleva un tel tollé, les plaintes adressées au roi Arthur furent si nombreuses, que le chevalier fut condamné à mort. Le chevalier aurait été décapité si la reine n’avait imploré le roi de lui laisser la vie sauve, afin « qu’à son gré elle le sauve ou détruise ». Le roi ayant acquiescé à la demande de la reine, elle s’adressa au chevalier en ces termes :
magnifiques et j’ai éprouvé avec elle un plaisir jusqu’alors inconnu »), y compris vos pensées les plus intimes (« Elle me faisait penser à toi il y a vingt ans, mais en plus sensuelle)29 » ? Dans cet exemple, la sauvegarde de la vie d’autrui l’emporte sur la véracité, car, en disant la vérité à votre épouse, vous prenez le risque qu’elle mette fin à ses jours. En outre, le principe qui prescrit de ne pas nuire à autrui, ou du moins de lui nuire le moins possible, ce qui implique d’éviter la cruauté, l’emporte également, dans cette situation particulière, sur la véracité. La valeur de noncruauté (il ne faut pas être cruel) vous interdit de lui raconter par le menu ce que vous avez ressenti et pensé en faisant l’amour avec l’autre, car lui dire l’entière vérité transformerait votre aveu en un acte de cruauté.
Tu auras la vie sauve si tu peux me dire Quelle chose les femmes désirent le plus au monde. 1. GEOFFREY CHAUCER, Les Contes de Canterbury. Présentation et traduction nouvelle d’André Crépin, Paris, Gallimard, collection « folio classique », 2000, p.188-224. Le terme « bourgeoise » désigne ici une femme mariée.
2. PROBLÉMATIQUE
Suffit-il de pouvoir faire ce que l’on veut pour être véritablement libre ?
Ce que la position de Constant et de Comte-Sponville ont en commun, cela se nomme la « responsabilité d’analyse ». Lorsque la question de la véracité se pose (dois-je dire la vérité ou non ?), ma responsabilité d’analyse est engagée : je dois tenter de comprendre tous les aspects importants de la situation afin de déterminer en quoi consiste mon devoir moral.
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Si l’on en croit le lieutenant Pontoise, il existe des situations où il ne serait pas nécessaire de dire la vérité, et des situations où dire la vérité serait même une « pure connerie ». Le lieutenant a-t-il raison de penser ainsi ? En philosophie, cette question concerne le problème de la véracité. Les principaux philosophes qui ont examiné le problème de la véracité sont saint Augustin, Emmanuel Kant, Benjamin Constant et le philosophe contemporain André Comte-Sponville. Ce problème se pose dans les termes suivants : a-t-on, dans certaines situations, le droit – voire le devoir – de mentir, ou doit-on toujours dire la vérité ?
3. LE POINT DE VUE DES PHILOSOPHES Il existe deux grands points de vue sur la véracité, selon qu’on pense qu’elle est un devoir absolu, ou qu’elle est une valeur relative. Pour avoir une idée des arguments avancés par certains philo-
Saint-Augustin par Sandro Botticelli (1480).
Saint Augustin (354-430) Né à Thagaste (aujourd’hui Souk-Ahras en Algérie) le 13 novembre 354, Augustin (Aurelius Augustinus) est à la fois philosophe, théologien et pasteur. C’est à la lecture de l’Hortensius de Cicéron, à dixneuf ans environ, écrit dans le but de montrer l’im-
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portance de la sagesse dans la conduite de la vie, qu’il se passionne pour la philosophie. Augustin est désormais animé d’une grande curiosité intellectuelle, qui représente à ses yeux une valeur intellectuelle importante. Plus tard, il devient professeur de rhétorique à Carthage, à Rome et à Milan. Sous l’influence de sa mère et d’Ambroise, l’évêque de Milan, il se convertit au christianisme et reçoit le baptême à Milan dans la nuit de Pâques 387. L’année suivante, il rentre en Afrique dans sa ville natale. Il est ordonné prêtre à Hippone (l’actuelle Annaba, en Algérie) en 391, et nommé évêque de cette ville en 395. Évêque responsable de l’éducation chrétienne de ses fidèles, Augustin rédige alors de petits traités qui visent à fournir des conseils nécessaires à une conduite correcte de la vie quotidienne, sur des sujets comme le mensonge, la virginité et le mariage. Ses ouvrages les plus connus sont Les Confessions, La Cité de Dieu et La Trinité. Augustin meurt le 28 août 430 à Hippone.
4. ANALYSE DE LA SITUATION UN CONFLIT DE JUGEMENTS MORAUX OPPOSE LE LIEUTENANT ET LA MEURTRIÈRE
PROBLÉMATIQUE – LE POINT DE VUE DES PHILOSOPHES La situation exposée est ensuite analysée à la lumière du point de vue de philosophes de différentes époques qui peuvent fournir des éléments de réponse à la question soulevée.
QUESTIONS ÉTHIQUES COMMENT DOIT-ON AGIR ?
QUESTIONS – EXERCICES En fin de chapitre, des questions et des exercices permettent au lecteur d’utiliser les concepts et les réflexions développés afin d’envisager des questions éthiques de façon autonome et critique.
5. QUESTIONS 1. Selon Brice Parain, ce qui caractérise notre parole, « c’est qu’elle est libre, c’est que nous pouvons dire n’importe quoi, n’importe quand, n’importe comment, à n’importe qui, lorsque nous n’avons pas peur. » À n’en pas douter, le mensonge politique ou l’intimidation à l’école sont des conduites qui découlent du fait que notre parole est libre. Mais ce n’est pas la seule chose qui les rend possibles. Quelle est cette autre chose ? 2. Pensez-vous que le lieutenant Pontoise a raison de refuser de prendre la déposition de la meurtrière ? Expliquez pourquoi. (Autrement dit, pensez-vous que cette femme devrait continuer de cacher la vérité sur le meurtre qu’elle a commis dix ans auparavant ?) 3. Quel est le critère qui permet de juger de la gravité d’un mensonge ? 4. Parmi les points de vue sur la véracité que nous avons examinés (Saint Augustin, Emmanuel Kant, Benjamin Constant et André Comte-Sponville), quel est le point de vue qui vous semble le plus valable ?
(Justifiez votre réponse.)
6. EXERCICE
Dans Les lois de la gravité, le romancier met en scène un conflit de jugements moraux qui oppose les deux personnages principaux. L’intrigue se noue autour d’un désaccord moral fondamental : la meurtrière pense qu’il est de son devoir moral de s’incriminer de la mort de son mari ; le lieutenant Pontoise pense tout à fait le contraire. Le désaccord initial apparaît d’abord comme une divergence de point de vue, une façon différente de percevoir la situation. La résolution du désaccord ne peut alors advenir que si chacun consent à se mettre à la place de l’autre, lorsque chacun considère les éléments qui comptent aux yeux de l’autre. L’élargissement du point de vue devient alors une condition essentielle pour bien juger moralement.
LA MEURTRIÈRE DOIT SE METTRE À LA PLACE DU LIEUTENANT C’est justement dans cette perspective que le lieutenant a invité la meurtrière à se mettre à sa place afin qu’elle puisse élargir son point de vue. En lui racontant deux épisodes de sa vie personnelle, il incite la meurtrière à faire appel à son imagination pour arriver à se mettre à sa place lorsqu’il s’est retrouvé à deux reprises dans une fâcheuse situation. Devait-il dire la vérité aux policiers devant le bar de Lisieux ? Devait-il avouer au grand costaud qu’il baise sa femme, et que c’est lui qui l’a frappé devant le bar ? En l’incitant à imaginer ces deux épisodes, le lieutenant espère bien qu’ils pourront entreprendre une véritable discussion morale.
Se mettre à la place d’autrui Le lecteur du roman de Jean Teulé ne peut aucunement savoir si le lieutenant possède, en son for intérieur, une théorie explicite sur la nature d’une bonne discussion morale. Le romancier ne men29. Ibid., p. 47.
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JEAN-JACQUES ROUSSEAU : LA LIBERTÉ MORALE Lorsqu’il rédige son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755), le projet de Jean-Jacques Rousseau est clair : il veut examiner les conditions de possibilité de la liberté et de l’égalité en société. Pour instaurer une société où la vie en commun ne limite ni la liberté ni l’égalité, il faut, selon Rousseau, que tous acceptent d’aliéner leur volonté individuelle au profit d’une volonté commune qu’il nomme « volonté générale ». Cette volonté générale est l’expression de la volonté de tous les membres de la société de vivre ensemble. Pour concrétiser cette volonté de vivre ensemble, chacun doit considérer cette volonté générale comme le véritable souverain. La volonté générale s’exprime alors sous la forme des lois qui visent l’intérêt général, c’est-à-dire l’intérêt de tous les membres de la société. Cette volonté générale produit un véritable contrat social, car chacun, dans son for intérieur, est associé aux autres par l’entremise des lois, et celles-ci lui semblent justes parce qu’elles sont nécessairement orientées vers le bien commun, c’est-à-dire vers l’intérêt de tous les membres de la société. Comme les lois visent l’intérêt de tous les membres de la société, c’est donc par la soumission aux lois que les hommes deviennent libres et égaux. Cette volonté générale fait de la liberté un droit véritable et assumé par tous. Chacun possède le droit à la liberté, et chacun se conduit en respectant ce droit à la liberté que tous possèdent. La société (par l’entremise d’un gouvernement dont le pouvoir respecte la liberté de ceux sur qui il s’applique) doit légiférer dans les domaines où l’intérêt commun est concerné. Comme la soumission aux lois devient obligatoire pour tous, et comme les lois favorisent tous les citoyens, on peut donc parler d’égalité. Ainsi, l’individu qui se soumet aux lois qui sont justes écoute en réalité la voix de sa conscience morale, ce qui constitue, pour Rousseau, la plus haute forme de liberté. Liberté naturelle, liberté civile et liberté morale « Ce que l’homme perd par le contrat social, c’est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu’il peut atteindre ; ce qu’il gagne, c’est la liberté civile et la propriété de tout ce qu’il possède. Pour ne pas se tromper dans ces compensations, il faut bien distinguer la liberté naturelle qui n’a pour bornes que les forces de l’individu, de la liberté civile qui est limitée par la volonté générale, et la possession qui n’est que l’effet de la force ou le droit du premier occupant, de la propriété qui ne peut être fondée que sur un titre positif. On pourrait sur ce qui précède ajouter à l’acquis de l’état civil la liberté morale, qui seule rend l’homme vraiment maître de lui ; car l’impulsion du seul appétit est esclavage, et l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté. » JEAN-JACQUES ROUSSEAU, Du Contrat social (Livre I, chapitre VIII).
Un cas de non-divulgation d’une condition médicale dangereuse À l’automne 2008, le Journal de Montréal rapportait le cas d’une femme ayant contracté le VIH alors que son nouveau conjoint savait qu’il était séropositif. La femme était veuve depuis quelques années, et voilà qu’elle rencontre un homme qui lui plaît, avec qui elle s’entend bien, et elle en tombe amoureuse. Durant les six premiers mois de leurs fréquentations, le couple avait eu des rapports sexuels protégés. Après cela, la femme avait demandé à son nouveau conjoint d’aller ensemble passer des tests chez son médecin (à elle). Le conjoint lui répond qu’il préfère se rendre chez son propre médecin. Les tests que la femme a passés (chez son médecin à elle) indiquent qu’elle n’est porteuse d’aucune infection ni d’aucune maladie transmissible sexuellement. Il aurait été surprenant qu’il en soit autrement, puisqu’elle avait pratiqué l’abstinence durant ses années de veuvage, et qu’elle n’avait pas eu d’autres partenaires que ce nouveau conjoint. Cependant, le conjoint en question, lui, était séropositif, et il le savait depuis un bon bout de temps. Il a préféré mentir sur son état de santé, en fournissant à sa conjointe de faux résultats provenant d’un « faux médecin », pour faire croire qu’il était en bonne santé, et que, par conséquent, il n’y avait aucun danger s’ils cessaient d’utiliser des condoms. Ce qui devait arriver arriva : la conjointe a contracté le VIH. Elle est maintenant séropositive. Éventuellement, sa séropositivité se transformera en sida, et elle en mourra. Le comportement du conjoint séropositif est-il moralement condamnable ? Autrement dit, le conjoint avait-il le devoir de dire la vérité ? Pour répondre à cette question, vous devez appliquer les points de vue de Kant, de saint Augustin, de Constant et de Comte-Sponville concernant la véracité.
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L’individu qui contrevient aux lois fait prédominer son intérêt particulier sur l’intérêt général qu’il continue néanmoins d’avoir comme citoyen. Par exemple, comme citoyen, il a voulu et continue de vouloir des lois interdisant le vol (et protégeant la propriété), interdisant le viol et le meurtre (et protégeant l’intégrité physique de chacun) ainsi que tous les autres crimes et délits possibles. Cependant, il se peut que ce même individu désire s’approprier illégalement le bien d’autrui. S’il commet un vol, il fait prévaloir son intérêt propre sur l’intérêt général, qui est aussi le sien. Il veut donc que la loi le protège, tout en la transgressant quand cela lui convient. Comme l’écrit Rousseau, le
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Des encadrés fournissent des informations supplémentaires sur des penseurs influents.
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AVANT-PROPOS Nous proposons ici une démarche originale qui permettra aux étudiantes et aux étudiants de développer leur capacité à réfléchir sur des questions d’ordre éthique. Dans cet ouvrage, chaque chapitre porte sur une question spécifique. À la différence d’une approche plus traditionnelle qui privilégie la présentation d’un auteur ou d’une théorie par chapitre, nous avons préféré une approche par questions, plus susceptible d’intéresser les étudiantes et les étudiants qui auront été ou seront amenés, dans la vie réelle, à se poser des questions éthiques. Les questions traitées dans cet ouvrage sont les suivantes : • Suffit-il de pouvoir faire ce que l’on veut pour être véritablement libre ? • Doit-on toujours dire la vérité ? • Comment peut-on déterminer qu’une action est moralement préférable à une autre ? • Comment peut-on justifier l’acte de punir ? • A-t-on le droit de se donner la mort ? Les cinq chapitres ont été rédigés selon une même formule. Chaque chapitre commence par une mise en situation tirée d’une œuvre littéraire ou philosophique et qui soulève une question de nature éthique. Cette situation est ensuite analysée à la lumière du point de vue des grands philosophes qui ont réfléchi sur cette question. En montrant aux étudiantes et aux étudiants qu’il est possible d’analyser une situation fictive en se référant à la pensée des grands philosophes, nous voulons leur montrer comment le faire lorsqu’une question éthique les préoccupe dans leur vie personnelle. Chaque chapitre est construit selon la structure suivante : 1. Une introduction qui présente l’importance de la question dans le cadre de la vie réelle 2. Une mise en situation fictive 3. La problématique 4. Le point de vue des philosophes 5. Une analyse de la situation 6. Des questions 7. Des exercices Nous avons fait le choix d’aborder des questions éthiques à partir de récits pour une raison principale, et celle-ci concerne le rôle des personnages. Ces personnages jouent un rôle important parce qu’ils nous aident à imaginer une existence possible, une manière de réagir à certaines situations typiques. Ils offrent à notre évaluation morale une certaine façon de vivre des événements qui peuvent surgir dans une vie humaine. Ils donnent également une forme incarnée à certaines vertus, à certains vices aussi. Les personnages démontrent que certains choix d’existence sont possibles, qu’ils peuvent se conjuguer avec d’autres modes d’existence incarnés par d’autres personnages. Ce sont également les caractéristiques intrinsèques à tout personnage qui en font sa valeur dans le cadre d’une réflexion éthique. En effet, le personnage est une entité fictive qui se situe à mi-chemin entre une personne réelle et un type abstrait. Il n’est pas une personne réelle, mais il n’est pas non plus un type abstrait, car il s’incarne toujours dans un contexte singulier. C’est justement parce qu’il évolue dans un tel contexte que le personnage nous ressemble tant. Jean-Pierre Légaré
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TABLE DES MATIÈRES Question 1 SUFFIT-IL DE POUVOIR FAIRE CE QUE L’ON VEUT POUR ÊTRE VÉRITABLEMENT LIBRE ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1. Situation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 Le chevalier du roi Arthur et la sorcière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 2. Problématique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 Quand est-on véritablement libre ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 3. Le point de vue des philosophes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 La liberté comme pouvoir de faire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 Paul Rée : la volonté de l’homme n’est pas libre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 René Descartes : la liberté d’indifférence et la liberté fondée sur l’entendement . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Jean-Jacques Rousseau : la liberté morale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 4. Analyse de la situation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 La liberté comme pouvoir de faire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 La théorie de la nécessité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 La liberté d’indifférence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 La liberté fondée sur l’entendement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 La liberté morale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 5. Questions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 6. Exercice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 Question 2 DOIT-ON TOUJOURS DIRE LA VÉRITÉ ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18 1. Situation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 Le lieutenant Pontoise et la meurtrière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 2. Problématique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 3. Le point de vue des philosophes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 Saint Augustin : l’interdiction absolue du mensonge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 Emmanuel Kant : la véracité est un devoir absolu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24 La nature du mensonge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24 A-t-on le droit ou même le devoir de mentir ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26 Benjamin Constant : il faut tenir compte des conséquences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 André Comte-Sponville : la véracité est une valeur importante, mais relative . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 4. Analyse de la situation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 Un conflit de jugements moraux oppose le lieutenant et la meurtrière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 La meurtrière doit se mettre à la place du lieutenant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 Se mettre à la place d’autrui . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 La source du désaccord moral entre le lieutenant et la meurtrière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 La conception de la véracité du lieutenant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 La conception de la véracité de saint Augustin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 La conception de la véracité de Kant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 La conception de la véracité de Benjamin Constant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 La conception de la véracité de Comte-Sponville . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 L’importance d’un véritable dialogue entre le lieutenant et la meurtrière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
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5. Questions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 6. Exercice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 Question 3 COMMENT PEUT-ON DÉTERMINER QU’UNE ACTION EST MORALEMENT PRÉFÉRABLE À UNE AUTRE ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 1. Situation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38 Jim et les Indiens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38 2. Problématique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 3. Le point de vue des philosophes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40 Le déontologisme de Kant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40 Les deux premières formulations de l’impératif catégorique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40 Premier exemple : le suicide . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 Deuxième exemple : le non-remboursement d’un emprunt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 Troisième exemple : le devoir de développer ses talents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 Quatrième exemple : le refus de venir en aide à autrui . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 La troisième formulation de l’impératif catégorique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43 L’utilitarisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44 Le principe d’utilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 Le concept de responsabilité négative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46 Un exemple : l’épidémie de variole à New York en 1947 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48 Un exemple : le chirurgien et la transplantation d’organes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 Le principe du double effet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 La légitimité de la vaccination antivariolique des citoyens de New York . . . . . . . . . . . . . . . . . 51 4. Analyse de la situation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 Kant et le dilemme de Jim . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 L’utilitarisme et le dilemme de Jim . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 Le principe du double effet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 La reconnaissance des droits fondamentaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 La responsabilité négative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 L’intégrité morale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 5. Questions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 6. Exercices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 Question 4 COMMENT PEUT-ON JUSTIFIER L’ACTE DE PUNIR ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 1. Situation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58 Le jeune assassin et la vieille femme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58 2. Problématique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 3. Le point de vue des philosophes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 La théorie du châtiment mérité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62 La théorie du châtiment équivalent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62 La théorie du châtiment proportionnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63 La théorie du châtiment dissuasif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64 Le problème de la torture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64 Le problème de la culpabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65 Rétribution ou dissuasion ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
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La théorie du châtiment éducatif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65 La conception de Georges Gusdorf . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 La théorie de la contre-impunité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 La théorie du châtiment neutralisant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68 Une théorie globale sur le droit de punir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 Une théorie sur la détermination des peines particulières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70 Comment neutraliser efficacement ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70 Comment réhabiliter efficacement ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70 Comment dissuader efficacement ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73 Comment s’assurer de ne pas atténuer l’impact des lois ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73 4. Analyse de la situation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74 Quelle peine le juge doit-il infliger à Fukiya ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74 5. Questions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 6. Exercice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 Question 5 A-T-ON LE DROIT DE SE DONNER LA MORT ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77 1. Situation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77 Le projet de suicide de la jeune Paloma . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77 2. Problématique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80 3. Le point de vue des philosophes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80 Les réflexions sur le suicide dans la tradition occidentale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 Antiquité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 Saint Augustin (354-430) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84 Thomas d’Aquin (1228-1274) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84 Thomas More (1478-1535) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85 Montaigne (1533-1592) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86 David Hume (1711-1776) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86 Le suicide n’est pas une transgression de notre devoir envers Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 Le suicide n’est pas une transgression de notre devoir envers nos proches et la société . . . . . . 88 Le suicide n’est pas une transgression de notre devoir envers nous-même . . . . . . . . . . . . . . . . 89 Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89 Lettre de Saint-Preux à milord Édouard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89 Réponse de milord Édouard à Saint-Preux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90 D’Holbach (1723-1789) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91 Emmanuel Kant (1724-1804) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92 Cesare Beccaria (1738-1794) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92 Friedrich Nietzsche (1844-1900) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 Les trois types de suicide . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94 Le suicide accidentel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94 Le suicide par devoir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95 Le suicide raisonnable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95 4. Analyse de la situation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96 Le type de suicide de la jeune Paloma . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96 Paloma cherche un sens à la vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96 Paloma avait-elle le droit de se donner la mort ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 5. Questions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100 6. Exercice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
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DOIT-ON TOUJOURS DIRE LA VÉRITÉ ? a première expérience que l’être humain fait du mensonge, lorsqu’il en est l’auteur plutôt que le destinataire, lui donne l’impression de posséder un pouvoir quasi magique : celui de transfigurer à l’aide de mots un événement particulier en le présentant comme différent de ce qu’il a réellement été. Cette première expérience se vit à l’époque de l’enfance, par exemple lors de situations où l’enfant a peur d’être puni parce qu’il a désobéi à ses parents.
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Par ailleurs, chacun sait que les mensonges n’ont pas tous la même gravité. Devant les morceaux d’une lampe brisée qui s’est retrouvée par terre parce qu’il l’a fait tomber sans le vouloir, un enfant clame son innocence : « Ce n’est pas moi ! » dit-il à sa mère, alors qu’il sait très bien que c’est lui (il connaît la vérité). Mais en niant comme il le fait, il laisse planer le doute sur sa petite sœur. Malgré tout, un tel mensonge ne devrait pas avoir une incidence grave sur l’existence de la petite sœur. Mais on ne peut pas toujours en dire autant, comme dans l’affaire du ruban volé par Jean-Jacques Rousseau. Dans Les Confessions, Rousseau raconte comment, étant laquais chez la comtesse de Vercellis à Turin (il avait alors 16 ans), il avait accusé la jeune Marion, la cuisinière, du vol d’un ruban rose et argent qu’il voulait lui offrir, vol dont il était lui-même l’auteur. « J’ignore ce que devint cette victime de ma calomnie, écrit-il, mais il n’y a pas d’apparence qu’elle ait après cela trouvé facilement à se bien placer12. » Il se peut même que le pire se soit produit : « J’ai peut-être fait périr dans l’opprobre et dans la misère une fille aimable, honnête, estimable, et qui sûrement valait beaucoup mieux que moi13. » Quoi qu’il en soit des différents types de mensonge et de leur gravité respective, la faculté de mentir nous oblige à reconnaître que la vérité n’a jamais assez de puissance pour s’imposer d’elle-même. Pourquoi ne peut-on pas sauter d’un toit, ou s’amuser avec une arme à feu, sans risquer de se tuer, alors que l’on peut jouer impunément avec les mots ? Telle est la question posée par le philosophe Brice Parain. Selon lui, c’est parce qu’il existe deux ordres de réalité : ce qui est, et ce qui est dit (ce qui se passe, et ce que nous disons sur ce qui se passe). Et ce qui caractérise notre parole, « c’est qu’elle est libre, c’est que nous pouvons dire n’importe quoi, n’importe quand, n’importe comment, à n’importe qui, lorsque nous n’avons pas peur14 ».
12. JEAN-JACQUES ROUSSEAU, Les Confessions (livre deuxième). 13. Ibid. 14. BRICE PARAIN, Petite métaphysique de la parole, Paris, Gallimard, 1969, p. 110.
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Puisque l’être humain peut mentir, et assez facilement d’ailleurs, la question philosophique qui se pose concerne la moralité du mensonge. Est-il moral de mentir dans certaines situations, ou est-ce toujours immoral ? Pour répondre à cette question, nous présenterons d’abord une situation imaginée par le romancier Jean Teulé. Nous examinerons ensuite le point de vue de quelques grands philosophes qui se sont penchés sur la question du mensonge. Finalement, nous analyserons la situation imaginée par Jean Teulé à l’aide des points de vue des philosophes que nous avons présentés.
1. SITUATION LE LIEUTENANT PONTOISE ET LA MEURTRIÈRE Dans un roman intitulé Les lois de la gravité15, Jean Teulé raconte l’histoire d’une femme qui entre dans un commissariat et s’accuse d’avoir assassiné son mari. Quand et comment l’a-t-elle tué ? Elle l’a poussé, il y a 10 ans, alors qu’il se trouvait sur le balcon de leur appartement du onzième étage. Quelques minutes avant sa mort, Jimmy était sorti sur le balcon, avait grimpé sur un congélateur en panne, remisé à cet endroit. Dos au vide, talons au bord de la partie supérieure de la rambarde, Jimmy, les bras en croix, l’avait insultée une dernière fois.
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Pourquoi l’a-t-elle poussé ? Jimmy les battait, elle et ses enfants. Comment se fait-il qu’elle n’a pas été arrêtée à l’époque ? Elle a affirmé que Jimmy s’était suicidé, et tout le monde a gobé cette histoire. Alors, pourquoi se dénoncer après tant d’années ? Parce qu’elle éprouve des remords, allez savoir pourquoi. Et pourquoi vient-elle se dénoncer aujourd’hui même ? Parce que le crime a été commis il y a 10 ans jour pour jour et que demain il ne sera plus possible de la poursuivre en justice, car le délai de prescription sera expiré.
Jean Teulé (1953-) Jean Teulé est un romancier français né à Saint-Lô le 26 février 1953. Après des études de dessin à Paris,
il devient auteur de bandes dessinées durant une dizaine d’années. Il abandonne ensuite la BD pour faire de la télé, avant de se consacrer exclusivement à l’écriture. Ses principaux romans sont Rainbow pour Rimbaud ; Darling (adapté au cinéma par Christine Carrière) ; Les lois de la gravité ; Je, François Villon ; Le Magasin des Suicides (traduit en vingt-quatre langues et adapté en film d’animation par Patrice Leconte) ; Le Montespan et Charly 9. En 2013, le roman Les lois de la gravité est porté à l’écran sous le titre Arrêtez-moi ! par le réalisateur Jean-Paul Lilienfeld, avec les actrices Sophie Marceau et Miou-Miou.
15. JEAN TEULÉ, Les lois de la gravité, Paris, Julliard, 2003 et Pocket, 2008.
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La femme se met à raconter ce qui s’est vraiment passé ce jour-là. — Il y a quelques années, la police est venue à mon appartement pour déterminer les causes de la mort de mon mari. Ils ont conclu que c’était un suicide. Eh bien, c’est faux. C’est moi qui l’ai poussé du balcon du onzième étage. — Et pourquoi la police s’est-elle trompée ? — Jimmy était un mari violent et dépressif qui avait déjà fait des tentatives de suicide. La veille du jour où je l’ai poussé, il en avait fait une. Il avait pris des pilules et passé la nuit à l’hôpital, où il aurait dû rester quelques jours en observation. Mais, dès le lendemain matin, il a signé une décharge indiquant qu’il voulait quitter l’hôpital contre l’avis des médecins, et il est sorti.
Le lieutenant Pontoise écoute la suite en imaginant la scène… Il voit Jimmy entrant dans l’appartement. — T’es là, toi ? Et ton boulot, espèce de fainéante ? — Comme tu étais à l’hôpital, j’ai pris un jour de congé pour aller te visiter, car tu ne devais pas sortir aussi tôt. J’étais sur le point de préparer du café, tu en veux ?
La femme se rend dans la cuisine et son mari entre dans la salle à manger. Elle est en train de verser de l’eau dans la cafetière électrique quand elle l’entend crier : — Où est ton sac à main ?
Elle baisse les paupières et se mord la lèvre inférieure. — Je parie que tu l’as caché. Dis-moi où tu l’as mis sinon tu vas recevoir des coups. Donne-moi de l’argent, connasse !
Les rideaux sont écartés devant la porte-fenêtre. Jimmy fait coulisser le battant, va sur le balcon et grimpe par-dessus un congélateur en panne, remisé là. Dos au vide, il s’écrie : — Donne-moi de l’argent, fille de garce ! Donne-moi du fric ou je me suicide ! — Ça fait des années que tu dis que tu vas le faire, tu te manques toujours. — Donne-moi de l’argent ou …
Sa femme réalise, à cet instant, que les insultes, les menaces et les coups ne finiront jamais. Elle songe à sa vie conjugale… Elle s’approche de lui. Elle continue d’avancer et ne peut plus s’arrêter. Elle le regarde droit dans les yeux et lui dit d’une voix calme : — Tu veux vraiment sauter ? Eh bien, je vais t’aider.
Elle tend les bras et le pousse dans les jambes. Elle regrette aussitôt son geste fatidique et a envie de dévaler l’escalier en criant : « Mais qu’est-ce que j’ai fait ? Mais qu’est-ce que j’ai fait ? » Elle songe à se jeter dans le vide, elle aussi, mais elle a peur et pense aux enfants. Finalement, elle appelle la police. Après avoir écouté ce récit, Gilles Pontoise n’a pas du tout l’intention d’arrêter cette femme qui a commis le crime parfait en éliminant un franc salaud. Mais la meurtrière ne partage pas son avis.
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— Mais est-ce que vous avez le droit, monsieur, de ne pas prendre ma déposition ? — Bien sûr que non, je n’ai pas le droit ! Ne pas dénoncer un crime, vous plaisantez. Quand vous êtes de la police, on vous intente un procès si vous ne le faites pas. — Alors pourquoi refusez-vous de me dénoncer ? — À votre place, ne serait-ce que pour les enfants, je ne me serais pas livré à la police. Oh, et puis merde, même s’il n’y avait pas les enfants et que j’aurais enduré cet enfer pendant sept ans, je ne me serais pas livré non plus. Je me serais dit : J’ai enfin réussi à me débarrasser de ce salaud sans être soupçonnée. Ah oui, je n’aurais pas éprouvé de remords, moi. — Mais monsieur, il faut bien un jour ou l’autre finir par dire la vérité. — Mais pas toujours, madame. Parfois, dire la vérité est une pure connerie !
Convaincu qu’il existe des situations où l’on peut éviter de dire la vérité, le lieutenant cherche des exemples de situations types. Comme il n’en trouve aucun, il puise dans sa vie personnelle et raconte un événement survenu il y a une douzaine d’années, le jour où il venait de passer le concours d’entrée dans la police. Avec trois de ses amis, il était dans un bar de Lisieux, lorsque soudain, un grand costaud entre dans le bistrot, file vers le bar, arrive derrière un des amis de Gilles, accoudé. Le grand costaud tire le copain par le col, le jette par terre, prend sa place au comptoir et commande une bière. Le copain se relève et lui assène un coup de poing qui aurait dû l’ébranler. Mais c’est à peine si l’autre bouge… Les barmans se précipitent et les jettent dehors afin que la bagarre se poursuive à l’extérieur. Gilles les suit. Les deux hommes continuent de se battre sur le trottoir, mais le costaud, à genoux sur le copain, a nettement l’avantage. Sans réfléchir, Gilles prend son élan et botte de toutes ses forces la tête du grand costaud. Il entend un craquement et les yeux du costaud se révulsent. Gilles s’est alors dit : « Ben voilà, j’ai tué un mec… La veille du résultat de mon concours d’entrée dans la police, je tue un mec. » Au même moment, une camionnette transportant des policiers passe dans la rue ! Gilles se dit que s’il prend la fuite, le patron, qui le connaît, dirait que c’est lui qui a frappé l’autre à mort. C’est pourquoi il décide de retourner au bar. Les trois amis de Gilles ont évidemment pris la poudre d’escampette. Les policiers entrent dans le bar, appellent une ambulance pour le costaud étendu sur le trottoir et demandent qui a fait ça. Tous répondent : « Ah ben, on ne sait pas. On ne sait pas. Il a pris un coup, mais qui lui a donné, on n’a pas vu… » Le lendemain, Gilles est reçu au concours de police. Des années plus tard, à l’occasion d’une enquête, il devient l’amant de la concierge d’un immeuble. Et régulièrement, il va prendre l’apéro chez elle et lui fait l’amour à la sauvette. Mais un soir, Gilles arrive chez la concierge et le mari, un grand costaud, est là ! Le mari l’a immédiatement tutoyé : — Ah, t’es un policier, toi ? Je ne t’ai jamais rencontré dans le quartier. T’es d’où ? Et moi, je lui réponds que j’habite Lisieux. — Ah putain, qu’il me dit, je ne veux pas entendre parler de Lisieux ! La seule fois où j’y suis allé, il y a un type, devant un café, qui m’a frappé à la tête et je suis resté quinze jours à l’hôpital, entre la vie et la mort.
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— Je ne l’ai vu qu’une fois, cet enfoiré, mais je t’assure que si je le retrouvais…
À l’instant même, Gilles reconnaît le grand costaud qu’il avait frappé la veille de son entrée dans la police. Ne souhaitant pas s’attarder plus longtemps, il salue le couple et s’en va au plus vite. Le lieutenant Pontoise se penche vers la femme en tapant du doigt sur son bureau. — Alors maintenant, je vous pose une question. Pensez-vous que j’aurais dû dire au mari : c’est moi qui vous ai frappé devant le café à Lisieux et en plus je baise votre femme ? — Est-ce que, tout comme vous, dire la vérité n’aurait pas été une pure connerie ?
2. PROBLÉMATIQUE Si l’on en croit le lieutenant Pontoise, il existe des situations où il ne serait pas nécessaire de dire la vérité, et des situations où dire la vérité serait même une « pure connerie ». Le lieutenant a-t-il raison de penser ainsi ? En philosophie, cette question concerne le problème de la véracité. Les principaux philosophes qui ont examiné le problème de la véracité sont saint Augustin, Emmanuel Kant, Benjamin Constant et le philosophe contemporain André Comte-Sponville. Ce problème se pose dans les termes suivants : a-t-on, dans certaines situations, le droit – voire le devoir – de mentir, ou doit-on toujours dire la vérité ?
3. LE POINT DE VUE DES PHILOSOPHES Il existe deux grands points de vue sur la véracité, selon qu’on pense qu’elle est un devoir absolu, ou qu’elle est une valeur relative. Pour avoir une idée des arguments avancés par certains philo-
Saint-Augustin par Sandro Botticelli (1480).
Saint Augustin (354-430) Né à Thagaste (aujourd’hui Souk-Ahras en Algérie) le 13 novembre 354, Augustin (Aurelius Augustinus) est à la fois philosophe, théologien et pasteur. C’est à la lecture de l’Hortensius de Cicéron, à 19 ans environ, écrit dans le but de montrer l’importance
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de la sagesse dans la conduite de la vie, qu’il se passionne pour la philosophie. Augustin est désormais animé d’une grande curiosité intellectuelle, qui représente à ses yeux une valeur intellectuelle importante. Plus tard, il devient professeur de rhétorique à Carthage, à Rome et à Milan. Sous l’influence de sa mère et d’Ambroise, l’évêque de Milan, il se convertit au christianisme et reçoit le baptême à Milan dans la nuit de Pâques 387. L’année suivante, il rentre en Afrique dans sa ville natale. Il est ordonné prêtre à Hippone (l’actuelle Annaba, en Algérie) en 391, et nommé évêque de cette ville en 395. Évêque responsable de l’éducation chrétienne de ses fidèles, Augustin rédige alors de petits traités qui visent à fournir des conseils nécessaires à une conduite correcte de la vie quotidienne, sur des sujets comme le mensonge, la virginité et le mariage. Ses ouvrages les plus connus sont Les Confessions, La Cité de Dieu et La Trinité. Augustin meurt le 28 août 430 à Hippone.
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sophes pour démontrer la thèse selon laquelle la véracité est un devoir absolu, nous présentons les points de vue de saint Augustin et d’Emmanuel Kant. Pour examiner les arguments des philosophes qui défendent la thèse selon laquelle la véracité est une valeur relative, nous présentons les points de vue de Benjamin Constant et d’André Comte-Sponville.
SAINT AUGUSTIN : L’INTERDICTION ABSOLUE DU MENSONGE Le mensonge n’est jamais involontaire. Toujours intentionnel, il n’est pas une inexactitude que le locuteur n’aurait pas voulue, car « personne ne doute que mente celui qui dit délibérément le faux pour tromper : dire par conséquent le faux avec volonté de tromper, c’est manifestement faire un mensonge16 », écrit saint Augustin (354-430). Le cœur du menteur est double « Toute personne en effet qui dit le faux ne ment pas, si elle croit ou est convaincue que ce qu’elle dit est vrai. […] Quiconque énonce en effet une chose qui est pour lui objet de croyance ou de conviction, même si cette chose est fausse, ne ment pas. Sa foi en ce qu’il énonce lui fait avancer ce qu’il a dans l’esprit, et ce qu’il avance est conforme à sa pensée. Cela n’est pas toutefois sans défaut, bien qu’il ne mente pas, s’il ajoute foi à des choses incroyables ou croit connaître une chose qu’il ignore, dût-elle être vraie : il tient en effet l’inconnu pour connu. Ment donc qui a une chose dans l’esprit, et en avance une autre, au moyen de mots ou de n’importe quel autre type de signes. Aussi dit-on également que le cœur du menteur est double, c’est-à-dire que sa pensée est double, car elle embrasse ce qu’il sait être vrai et ne dit pas, et, en même temps, ce qu’il avance à sa place, tout en sachant ou en pensant que c’est faux. Aussi est-il possible de dire le faux sans mentir si l’on pense qu’il en va comme on le dit, bien qu’il n’en aille pas ainsi, et de mentir en disant le vrai, si on le tient pour faux et le présente comme vrai, bien qu’en fait il en aille comme on le dit. On juge en effet qui ment et qui ne ment pas en fonction de la disposition d’esprit de l’individu, et non de la vérité ou de l’inexactitude des faits eux-mêmes. De celui qui, en lieu et place du vrai, dit le faux, tout en étant pourtant convaincu qu’il est le vrai, on peut donc dire qu’il se fourvoie et manque de réflexion, mais non qu’il ment car il n’a pas le cœur double au moment où il parle, et il n’a pas l’intention de tromper, mais se trompe. » SAINT AUGUSTIN, Le Mensonge (chapitre III, 3).
La position de saint Augustin est radicale : le mensonge n’est jamais excusable. Examinant la question de savoir si un homme juste peut se trouver en certaines circonstances dans l’obligation de mentir, il commence son argument en présentant un exemple, celui-là même que prendra Kant quelques siècles plus tard : « Si vient se réfugier auprès de toi un homme qui ne peut se sauver de la mort qu’au prix de ton mensonge, ne mentiras-tu pas17 ? » Cet exemple peut à première vue nous faire penser que le mensonge bienveillant est licite en des circonstances exceptionnelles. Selon saint Augustin, il n’en est rien, car « la bouche qui ment tue l’âme18 » et conclut qu’il serait déraisonnable de perdre la vie éternelle pour conserver à un autre la vie temporelle. Étant donné que le salut
16. SAINT AUGUSTIN, Le Mensonge (chapitre IV, 5). 17. Ibid. (chapitre V). 18. Ibid. (chapitre V, 6).
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de notre âme ne peut être obtenu qu’en menant une vie juste, il ne faut jamais mentir et nous devons faire passer le salut de notre âme non seulement avant le salut temporel d’autrui, mais également avant le nôtre. C’est que l’amour du prochain a sa limite dans l’amour que l’on se doit à soi-même : « “ Tu aimeras, est-il dit, ton prochain comme toi-même.” Comment donc un homme peut-il en aimer un autre comme lui-même, et lui donner la vie temporelle, tout en perdant sa propre vie éternelle ? Si pour la vie temporelle de cet homme il vient à perdre sa propre vie temporelle, ce n’est déjà plus là “ aimer comme soi-même ” mais “ aimer plus que soi-même ”, ce qui va au-delà des règles d’une saine doctrine. Il sera donc bien moins enclin à perdre sa vie éternelle pour la vie temporelle d’un autre. » SAINT AUGUSTIN, Le Mensonge (chapitre VI).
Saint Augustin apporte une solution de traverse à la question de savoir si on devrait mentir pour éviter la mort de celui qui s’est réfugié chez nous. Considérant que cacher le vrai en se taisant n’est pas mentir, que mentir c’est dire le faux avec l’intention de tromper, l’interdiction absolue du mensonge n’entraîne pas un devoir de véracité inconditionnel. Par conséquent, il est possible, aux yeux de saint Augustin, de sauver la vie du réfugié sans perdre son âme. Une première option consiste à répondre que nous n’avons rien à dire. De cette manière, on cache le vrai en se taisant, ce qui n’est pas mentir, et on ne perd pas son âme. Par contre, un effet non voulu se produit : on met en péril la vie du réfugié, car, s’il n’était pas là, il suffirait de l’affirmer. La deuxième option, retenue par saint Augustin consiste à répondre: « Je sais où il est, mais je ne le révélerai jamais19. » Plusieurs siècles plus tard, le philosophe allemand Johann Gottlieb Fichte (1762-1814) développera la solution augustinienne en posant la possibilité de déclarer à l’assassin « que vous ne lui devez aucune réponse, qu’il vous semble avoir une très mauvaise intention, que vous lui conseillez d’y renoncer par bonté, que sinon, vous prendrez le parti de celui qu’il poursuit et le défendrez au péril de votre propre vie20 ».
EMMANUEL KANT : LA VÉRACITÉ EST UN DEVOIR ABSOLU La nature du mensonge Examinant la nature du mensonge, le philosophe allemand Emmanuel Kant (1724-1804) affirme d’emblée deux choses : 1. Il ne suffit pas de vouloir tromper pour tromper effectivement. 2. Mentir ne consiste pas uniquement à dire le faux avec l’intention de tromper, mais « s’exprimer ouvertement d’une façon » et « penser en son for intérieur d’une autre21 ».
19. Ibid. (chapitre XIII, 24). 20. JOHANN GOTTLIEB FICHTE, Le système de l’éthique d’après les principes de la doctrine de la science (troisième chapitre, troisième section, § 23, 2). 21. EMMANUEL KANT, Métaphysique des mœurs (Doctrine de la vertu : première partie, livre I, section II, § 9).
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Emmanuel Kant (1724-1804) Emmanuel Kant est né le 22 avril 1724 à Königsberg (l’actuelle Kaliningrad), en Prusse-Orientale. En 1740, à l’âge de 16 ans, le jeune Kant entre à l’université de Königsberg, où il entreprend des études de philosophie, de théologie, de mathématiques et de physique, études qu’il poursuit jusqu’en 1746. Ce n’est qu’après 1746 que Kant obtient ses grades universitaires. De 1746 à 1755, il exerce aussi la fonction de précepteur (instituteur privé)
dans diverses familles. En 1755, il obtient le droit d’ouvrir des cours libres à l’université de Königsberg. En fait, il donne des leçons sur divers sujets appartenant à différents champs du savoir : mathématiques, sciences naturelles, géographie physique, théologie, philosophie. En 1770, il est nommé professeur titulaire de métaphysique et de logique. Il continue à enseigner jusqu’en 1797, année où il prend sa retraite. Les grandes questions qui préoccupent Kant sont : Que puis-je savoir ? Que dois-je faire ? Que puis-je espérer ? Mais Kant déclare que toutes ces questions se réduisent en fait à une seule : Qu’est-ce que l’homme ? En vue de répondre à ces questions, Kant rédige des œuvres philosophiques majeures. Parmi celles-ci, mentionnons la Critique de la raison pure (1781), (la Fondation) les Fondements de la métaphysique des mœurs (1785), la Critique de la raison pratique (1788), la Critique de la faculté de juger (1790), La religion dans les limites de la simple raison (1793), le Projet de paix perpétuelle (1795) et la Métaphysique des mœurs (Doctrine du droit, 1796, Doctrine de la vertu, 1797). Kant meurt à Königsberg le 12 février 1804.
Notons que cette définition du mensonge (s’exprimer ouvertement d’une façon, penser en son for intérieur d’une autre) se retrouve chez saint Augustin (354-430) et chez Salluste (~86 ~35), un homme politique et écrivain romain. Dans un passage de son De conjuratione Catilinae, X (La conjuration de Catilina, X), Salluste traite de l’hypocrisie en ces termes : « L’ambition força beaucoup d’hommes à devenir hypocrites, à avoir une pensée renfermée dans le cœur, une autre exprimée dans les paroles, à mesurer les amitiés et les inimitiés non d’après leur réalité mais d’après leur utilité, à avoir un bon visage plutôt qu’un bon esprit. » Selon Kant, l’exemple de l’assassin imaginé par saint Augustin illustre fort bien ces deux affirmations concernant l’acte de mentir. Dans son opuscule intitulé Sur un prétendu droit de mentir par humanité, le philosophe demande au lecteur d’imaginer trois scénarios : 1. Vous avez dit la vérité en répondant oui à l’assassin qui vous avait demandé si son ennemi se trouvait dans la maison (car vous étiez convaincu qu’il s’y trouvait). Comme celui-ci était sorti de la maison sans avoir été remarqué ni par vous ni par le meurtrier, il a échappé aux mains de celui-ci et le crime n’a pas eu lieu. 2. Vous avez dit la vérité en affirmant qu’il était dans la maison (car vous étiez convaincu qu’il s’y trouvait). Pendant que l’assassin recherchait son ennemi dans la maison, des voisins accourus à temps l’ont maîtrisé et le crime n’a pas eu lieu. 3. Vous avez menti en affirmant qu’il n’était pas dans la maison (alors que vous étiez convaincu qu’il s’y trouvait). Comme il était réellement sorti de la maison, à votre insu, le meurtrier l’a rencontré en train de sortir de la maison, et le crime a eu lieu.
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Le troisième scénario montre deux choses : 1. Il ne suffit pas toujours de vouloir tromper pour tromper effectivement. 2. Mentir ne consiste pas uniquement à exprimer le faux avec l’intention de tromper, c’est aussi « s’exprimer ouvertement d’une façon » (comme lorsque vous avez affirmé qu’il ne se trouvait pas dans la maison) et « penser en son for intérieur d’une autre » (alors que vous étiez convaincu qu’il s’y trouvait). Cette affirmation était vraie, car elle correspondait à la réalité, mais vous ne le saviez pas. Sans en être conscient, vous avez exprimé le vrai avec l’intention de tromper.
A-t-on le droit ou même le devoir de mentir ? Kant se pose ensuite deux questions. La première question est la suivante : dans les situations où l’on ne peut éviter de répondre par oui ou par non, est-on autorisé à (en droit de) ne pas être véridique ? La deuxième question est : n’est-on pas obligé, dans une déclaration à laquelle on est contraint par un individu voulant user d’une violence illégitime, de ne pas être véridique pour empêcher un crime qui nous menace nous-même ou qui en menace un autre ? À l’instar de saint Augustin, le philosophe allemand défend la thèse selon laquelle une personne doit toujours être véridique. Selon lui, la véracité est un devoir absolu qui vaut en toutes circonstances, quelles que soient les conséquences qui peuvent en résulter pour soi ou pour autrui, puisqu’il est inconditionné et ne saurait dès lors souffrir aucune exception. Kant écrit : « La véracité dans les déclarations que l’on ne peut pas éviter est un devoir formel de l’homme à l’égard de chacun, quelle que soit l’importance du dommage qui peut en résulter pour lui ou pour un autre22. » Comment Kant est-il arrivé à penser de cette manière ? Kant a examiné le problème de la véracité en adoptant plusieurs perspectives. Dans la première perspective, il imagine l’existence sur une autre planète d’êtres raisonnables qui ne pourraient penser autrement que tout haut23. La voix de ces êtres exprimerait toujours ce qu’ils pensent vraiment, et aucun individu ne pourrait se méprendre sur les propos d’autrui. Dans un monde comme celui-là, on ne voit pas comment de tels êtres pourraient parvenir à coexister, à s’accorder entre eux et à avoir de l’estime pour autrui, s’ils n’étaient pas tous d’une pureté angélique. Imaginons cependant que certains d’entre eux aient des mauvaises pensées. Comme chacun aurait directement accès au for intérieur d’autrui, il est plus que probable que ces mauvaises pensées créeraient la mésentente et le mépris dans cette collectivité d’êtres majoritairement angéliques. Cependant, sur notre planète, cette incapacité de penser autrement que tout haut n’existe pas. L’homme peut en effet falsifier tout discours à sa guise, la mystification intentionnelle étant une faculté humaine. Quoique celle-ci inspire naturellement le mépris et la réprobation, elle n’inspire pas pour autant le mépris pour la nature humaine comme telle, car nous trouvons en nous la présence d’une disposition innée à lutter contre ce penchant et, par là, à considérer le genre humain non comme mauvais, mais comme une espèce d’êtres raisonnables qui font l’effort de se hisser du mal vers le bien24. Capable de donner l’apparence du vrai à ce qu’il croit être faux, l’être humain ne peut 22. EMMANUEL KANT, Sur un prétendu droit de mentir par humanité. 23. EMMANUEL KANT, Anthropologie du point de vue pragmatique (deuxième partie : Traits descriptifs). 24. Ibid.
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néanmoins éviter d’entendre la voix de sa propre conscience, qui lui ordonne d’accorder son discours à ce qu’il croit être vrai. S’il n’obéit pas à cette injonction interne, il attire sur lui le blâme de sa propre conscience. Dans la deuxième perspective, il aborde le problème de la véracité en regard de l’injustice causée par le mensonge. En abusant autrui, le menteur se rend évidemment coupable, la plupart du temps, d’une injustice à l’égard de son interlocuteur. La plupart du temps, parce que, dans l’exemple de l’assassin, il est vrai que l’hôte ne crée aucune injustice envers ce dernier en choisissant de lui mentir (sur ce qu’il croit être vrai). Cependant, qu’il y ait ou non une injustice à l’égard d’un interlocuteur en particulier, ce qui est vraiment beaucoup plus grave, écrit Kant, c’est que l’acte de mentir ruine la créance dans les déclarations entre les hommes en général, et une telle chose constitue une injustice à l’égard de l’humanité en général. Dans la troisième perspective, Kant a l’intention de démontrer l’existence de maximes d’action produites par la raison et possédant un pouvoir de conviction comparable à celui d’un théorème de géométrie. Par exemple, en géométrie euclidienne, nous savons que la somme des angles de tout triangle est égale à 180° (ainsi, la somme des angles est un invariant des triangles). Dans un triangle rectangle (qui possède un angle droit), le carré de l’hypoténuse (côté opposé à l’angle droit) est toujours égal à la somme des carrés des deux autres côtés. Ce théorème de Pythagore permet entre autres de calculer la longueur d’un des côtés d’un triangle rectangle, si l’on connaît les deux autres. Il s’agit de vérités incontestables. Cependant, dans le domaine moral, la raison ne produit pas aussi facilement de telles vérités. Kant veut montrer qu’une telle chose est possible. L’argument de Kant ressemble à ceci : si je pense qu’un théorème de géométrie est vrai lorsque je l’examine à l’aide de ma raison, je pense qu’il est également vrai pour tous les êtres humains qui l’examineront à l’aide de leur raison. De la même façon, si je pense qu’une maxime d’action (la maxime d’une action est une règle de conduite que se prescrit un individu) est acceptable pour moi lorsque je l’examine à l’aide de ma raison, je pense qu’elle sera également acceptable pour tous les êtres humains qui l’examineront à l’aide de leur raison. Par conséquent, je dois vouloir que tout être humain agisse comme j’ai l’intention de le faire en ce moment, et tout être humain doit vouloir agir comme j’ai l’intention de le faire. À ce propos, Kant s’exprime clairement par rapport à la nécessité de vouloir universaliser les maximes d’action : « Pour savoir ce que je dois faire pour que mon vouloir soit moralement bon, je n’ai pas besoin d’être particulièrement perspicace. Ignorant du cours du monde, incapable de me préparer à tous les événements qui peuvent s’y produire, je me demande seulement : peux-tu aussi vouloir que ta maxime devienne une loi universelle ? Là où ce n’est pas le cas, elle doit être rejetée […]. » EMMANUEL KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs (première section).
Pour éclairer son propos, Kant donne l’exemple d’un individu qui envisage de faire une promesse mensongère :
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« Cet individu se voit pressé par le besoin d’emprunter de l’argent. Il sait parfaitement qu’il ne pourra rembourser, mais voit aussi qu’on ne lui accordera aucun prêt s’il ne promet pas avec fermeté de rendre l’argent à un moment déterminé. Il a envie de faire une telle promesse ; mais il conserve assez de conscience morale pour se demander : n’est-il pas interdit et contraire au devoir de se tirer d’affaire par un tel expédient ? À supposer qu’il se résolve pourtant à y recourir, la maxime de son action s’énoncerait ainsi : quand je me crois à court d’argent, j’accepte d’en emprunter et de promettre de le rendre, bien que je sache que tel ne sera jamais le cas. […] qu’adviendrait-il dès lors que ma maxime serait érigée en loi universelle ? Mais dans ce cas je vois d’emblée qu’elle ne pourrait jamais acquérir la valeur d’une loi universelle de la nature et s’accorder avec elle-même, mais qu’inévitablement il lui faudrait se contredire. Car universaliser une loi selon laquelle chaque individu croyant être dans le besoin pourrait promettre tout ce qui lui vient à l’esprit, avec l’intention de ne pas tenir ses promesses, cela reviendrait à rendre même impossible le fait de promettre, ainsi que le but qu’on peut lui associer, dans la mesure où personne ne croirait à ce qu’on lui promet, et qu’au contraire tout le monde rirait de telles déclarations en n’y voyant que de vains subterfuges. » EMMANUEL KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs (deuxième section).
Dès lors que ma maxime (lorsque je manque d’argent, j’emprunte et promets de rembourser, même si je sais que je ne le ferai pas) serait transformée en loi universelle (tout être humain doit faire une promesse mensongère lorsqu’il se trouve dans l’embarras et pense qu’il ne peut s’en tirer autrement), elle aurait pour conséquence d’annihiler l’existence même des promesses. Si cette maxime était transformée en loi universelle, il serait alors impossible de faire des promesses puisque chacun saurait que personne ne les respecte. Il serait contradictoire de vouloir faire une promesse fallacieuse et, en même temps, vouloir que tous fassent des promesses mensongères, car, ce faisant, l’action que j’envisage d’accomplir (faire une promesse) serait désormais impossible à réaliser. Concernant l’exemple de Kant, il existe une autre raison de rejeter une loi universelle ordonnant de faire des promesses mensongères, et celle-ci concerne le but visé par la promesse. Dans cet exemple, le but consistait à obtenir un prêt par le biais d’un mensonge. Si tous les êtres humains devaient faire des fausses promesses lors d’un emprunt, la possibilité même d’emprunter disparaîtrait, étant donné que tous les prêteurs potentiels sauraient qu’on ne les rembourserait pas. Il serait par conséquent contradictoire de vouloir une telle loi. Si je ne peux vouloir que tous les autres aient le devoir de faire de fausses promesses (lesquelles constituent un type de mensonge), je ne peux vouloir moi-même agir ainsi, car il serait contradictoire de ne pas vouloir que tous les autres agissent de la même manière que moi. C’est pourquoi il est toujours déraisonnable de faire des promesses fallacieuses, nous dit Kant.
BENJAMIN CONSTANT : IL FAUT TENIR COMPTE DES CONSÉQUENCES Benjamin Constant (1767-1830) n’est pas du tout d’accord avec saint Augustin et Kant. Selon lui, une personne ne doit pas toujours dire la vérité. L’argument de Constant est simple et sensé : si on ne tenait pas compte des caractéristiques particulières de la situation, le principe suivant lequel on doit toujours dire la vérité aboutirait parfois, s’il était appliqué systématiquement, à des conséquences moralement inadmissibles.
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Benjamin Constant (1767-1830) Homme politique, écrivain et philosophe, Benjamin Constant est né à Lausanne le 25 octobre 1767. Il fut presque aussitôt orphelin de mère. Suivant son père toujours en déplacement en Europe, il reçoit une éducation disparate (qu’il raconte avec humour dans Le Cahier rouge) en Belgique, en Angleterre, en Allemagne, en Écosse et en France (premier séjour à Paris en 1787). Il fait preuve de talents précoces, notamment dans le domaine de la musique et des langues. Benjamin Constant assiste à la Révolution française. Il fréquente la Société des idéologues, un groupe de
penseurs qui se réunit à partir de 1795 sous l’égide du philosophe et homme politique Antoine Destutt de Tracy. Il occupe une charge de député durant de longues années. Nommé par Napoléon au Tribunat (une assemblée délibérante), il s’y oppose par la suite, critiquant son militarisme et son despotisme. À cette époque, il rédige De l’esprit de conquête et de l’usurpation, dans leurs rapports avec la civilisation européenne, qui démontre que les gouvernements se servent de la guerre comme d’un moyen d’accroître leur autorité. On connaît fort bien Constant grâce à une riche correspondance, un important Journal intime et des récits autobiographiques, dont le célèbre roman Adolphe, publié en 1816 à Paris et à Londres. Encore faut-il mentionner quelques-unes de ses œuvres théoriques : Des Réactions politiques (1797) ; De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes (1819); De la religion, considérée dans sa source, ses formes et son développement (5 vol., 1824-1831) ; Mélanges de littérature et de politique (1829) ; Du polythéisme romain, considéré dans ses rapports avec la philosophie grecque et la religion chrétienne (publication posthume : 1833). Benjamin Constant meurt à Paris le 8 décembre 1830.
Constant reprend l’exemple de l’assassin. Dans ce cas particulier, le mensonge ne serait pas un crime, remarque Benjamin Constant. Il affirme même que dire la vérité en serait un puisque, ce faisant, vous condamneriez une personne innocente à mourir. L’objection est forte. Considérant qu’un devoir est ce qui, chez un individu, correspond aux droits d’un autre25, Constant en déduit que nous devons la vérité seulement à ceux qui ont droit à la vérité. Celui qui veut nuire à autrui n’a donc pas droit à la vérité. Constant refuse donc d’admettre le principe général selon lequel on doit toujours dire la vérité et propose un nouveau principe (on doit la vérité seulement à ceux qui ont droit à la vérité). Ce faisant, il introduit le concept de principe intermédiaire qui constitue un moyen d’application du principe général auquel il est relié. Lorsqu’on est incapable d’appliquer un principe général aux circonstances, c’est que l’on n’a pas découvert le principe intermédiaire26 qu’exige la situation particulière dont on s’occupe. S’ils sont séparés de leurs principes intermédiaires, les principes généraux de la morale produisent du désordre dans les relations humaines, tout comme les principes généraux de la politique en produisent dans les relations civiles lorsqu’ils sont séparés de leurs principes intermédiaires. 25. BENJAMIN CONSTANT, Des Réactions politiques (chapitre VIII : Des principes). 26. Ibid.
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L’existence des principes intermédiaires « Le principe moral, par exemple, que dire la vérité est un devoir, s’il était pris d’une manière absolue et isolée, rendrait toute société impossible. Nous en avons la preuve dans les conséquences très directes qu’a tirées de ce principe un philosophe allemand, qui va jusqu’à prétendre qu’envers des assassins qui vous demanderaient si votre ami qu’ils poursuivent n’est pas réfugié dans votre maison, le mensonge serait un crime. Ce n’est que par des principes intermédiaires que ce principe premier a pu être reçu sans inconvénients. Mais, me dira-t-on, comment découvrir les principes intermédiaires qui manquent ? Comment parvenir même à soupçonner qu’ils existent ? Quels signes y a-t-il de l’existence de l’inconnu ? Toutes les fois qu’un principe, démontré vrai, paraît inapplicable, c’est que nous ignorons le principe intermédiaire qui contient le moyen d’application. »
Gracieuseté de M. André Comte-Sponville.
BENJAMIN CONSTANT, Des Réactions politiques (chapitre VIII : Des principes).
André Comte-Sponville (1952-) Philosophe, André Comte-Sponville est né à Paris le 12 mars 1952. Après des études à l’École normale supérieure, rue d’Ulm à Paris, et à la Sorbonne, il est reçu à l’agrégation de philosophie en 1975. Il enseigne de 1976 à 1998. Il quitte l’enseignement afin de se consacrer à l’écriture. Parmi ses nombreux ouvrages, mentionnons : Traité du désespoir et de la béatitude ; Petit traité des grandes vertus ; La sagesse des Modernes (Dix questions pour notre temps) (avec Luc Ferry) ; Impromptus ; L’esprit de l’athéisme : Introduction à une spiritualité sans Dieu ; Dictionnaire philosophique ; Présentations de la philosophie ; Le sexe ni la mort : Trois essais sur l’amour et la sexualité ; Le capitalisme estil moral ?
Le principe moral selon lequel dire la vérité est un devoir constitue un principe inapplicable, s’il est pris sans tenir compte des circonstances, car il détruirait la société. Il n’en demeure pas moins qu’on ne doit pas le rejeter, car les bases de la morale seraient renversées. Si un principe est reconnu vrai, il ne doit donc jamais être abandonné, peu importe ses dangers apparents. Il faut donc chercher le principe intermédiaire qui lui correspond, afin d’appliquer ce principe général comme il doit l’être.
ANDRÉ COMTE-SPONVILLE : LA VÉRACITÉ EST UNE VALEUR IMPORTANTE, MAIS RELATIVE André Comte-Sponville27 donne raison à Benjamin Constant. Il pense lui aussi que la véracité n’est pas un devoir absolu. Si nous nous accordons parfois le droit de mentir, si nous considérons parfois que nous avons le devoir de mentir, c’est parce que la véracité n’est pas un devoir absolu, mais plutôt une valeur relative qui n’a de sens que lorsqu’on tient compte des aspects particuliers de la situation et qu’il faut, pour cette raison, la confronter à d’autres valeurs. La véracité est certes une valeur importante, mais elle s’impose seulement si aucune autre valeur plus forte ne s’y oppose. Dans une situation où l’on se demande si l’on doit dire la vérité, on doit donc examiner si des valeurs supérieures à la véracité s’opposent à celle-ci, car on doit toujours tenir compte des conséquences prévisibles de ses
27. ANDRÉ COMTE-SPONVILLE et LUC FERRY, La sagesse des Modernes (Dix questions pour notre temps), Paris, Éditions Robert Laffont, collection « Pocket », 1998, p. 267-278.
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actes. Voici des exemples de valeurs supérieures à la véracité : la sauvegarde de la vie des individus, le respect de leur dignité et la valeur de non-cruauté. Comte-Sponville fournit un exemple semblable à celui de Benjamin Constant. Imaginons que l’assassin soit un membre de la Gestapo, en France, entre 1940 et 1945. Il vous demande si vous savez où se trouvent des Juifs ou des résistants afin de les éliminer. On voit immédiatement que le principe kantien selon lequel il faut toujours dire la vérité aboutirait à empêcher, en pratique, toute résistance contre le nazisme (comment résister au nazisme sans mentir à la Gestapo ?) et toute solidarité avec les éventuelles victimes. Ici, la sauvegarde de la vie et le respect de la dignité des Juifs et des résistants sont deux valeurs supérieures à la véracité, et s’y opposent. Vous ne pouvez, en même temps, dire la vérité (dire où se trouvent des Juifs et des résistants) tout en protégeant leur vie et en respectant leur dignité. C’est une chose impossible. Vous devez choisir entre les deux. Ici, la moralité se trouve du côté de la vie et de la dignité, et non du côté de la véracité. Il y a des véracités coupables « Ne mens pas ? Ce n’est pas un absolu, puisqu’il y a des véracités coupables. Ne tue pas ? Cela dépend des situations, puisqu’il y a des guerres justes et des meurtres légitimes. Celui qui ment à la Gestapo, celui qui tire (même dans le dos) sur un soldat allemand, pendant la guerre, a fortiori celui qui aurait assassiné Hitler, nous ne pouvons que les approuver, et non en nous réclamant de je ne sais quel impératif catégorique, mais au nom d’une certaine idée de l’homme, de la civilisation, de la morale, idées dont nous savons bien qu’elles sont toujours sociales, historiques et relatives, donc discutables (les nazis, d’évidence, n’avaient pas les mêmes), mais qu’elles n’en fonctionnent pas moins, pour nous et dans telle ou telle situation, comme des absolus. Il y a place ici pour ce qu’on pourrait appeler, je n’ai pas peur du paradoxe, un absolu relatif (un absolu pour nous, et non pas en soi), un absolu subjectif (ce sur quoi nous ne céderions, ou ne voudrions céder, à aucun prix), ou, mieux, un absolu pratique (un absolu en acte, qui est l’objet non de la raison, mais de la volonté). Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de principes, ni qu’on puisse s’en passer (le propos de Benjamin Constant n’est d’ailleurs nullement de les condamner, mais au contraire de les sauver du rigorisme, qui les rend inapplicables, comme du nihilisme, qui nous voue à l’arbitraire) […]. Point de morale sans principes, certes. Mais point de principes moraux sans prudence. On débouche ici sur ce que Max Weber appellera une éthique de la responsabilité, au nom de laquelle nous devons répondre des “conséquences prévisibles de nos actes”. » ANDRÉ COMTE-SPONVILLE et LUC FERRY, La sagesse des Modernes (Dix questions pour notre temps), Paris, Éditions Robert Laffont, collection « Pocket », 1998, p. 270-271.
Un exemple imaginé par Jean-Cassien Billier illustre très bien l’opposition entre la véracité et la valeur de non-cruauté28. Votre femme souffre d’une dépression grave et entretient des idées suicidaires. De plus, elle vous a prévenu que si elle apprenait un jour que vous la trompiez, elle se suiciderait. Lors d’un voyage d’affaires à Hong Kong, vous succombez aux charmes d’une belle inconnue. Première question : devez-vous téléphoner à votre épouse dépressive pour lui avouer votre infidélité ? Deuxième question, qui se pose nécessairement lors d’un aveu : quel degré de vérité devez-vous à votre épouse ? Autrement dit, devez-vous tout lui raconter en détail (« Elle avait 28. JEAN-CASSIEN BILLIER, « Faut-il avouer ses infidélités? », Philosophie magazine, n° 7, mars 2007, p. 46-47.
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des seins magnifiques et j’ai éprouvé avec elle un plaisir jusqu’alors inconnu »), y compris vos pensées les plus intimes (« Elle me faisait penser à toi il y a vingt ans, mais en plus sensuelle)29 » ? Dans cet exemple, la sauvegarde de la vie d’autrui l’emporte sur la véracité, car, en disant la vérité à votre épouse, vous prenez le risque qu’elle mette fin à ses jours. En outre, le principe qui prescrit de ne pas nuire à autrui, ou du moins de lui nuire le moins possible, ce qui implique d’éviter la cruauté, l’emporte également, dans cette situation particulière, sur la véracité. La valeur de noncruauté (il ne faut pas être cruel) vous interdit de lui raconter par le menu ce que vous avez ressenti et pensé en faisant l’amour avec l’autre, car lui dire l’entière vérité transformerait votre aveu en un acte de cruauté. Ce que la position de Constant et celle de Comte-Sponville ont en commun, cela se nomme la « responsabilité d’analyse ». Lorsque la question de la véracité se pose (dois-je dire la vérité ou non ?), ma responsabilité d’analyse est engagée : je dois tenter de comprendre tous les aspects importants de la situation afin de déterminer en quoi consiste mon devoir moral.
4. ANALYSE DE LA SITUATION UN CONFLIT DE JUGEMENTS MORAUX OPPOSE LE LIEUTENANT ET LA MEURTRIÈRE Dans Les lois de la gravité, le romancier met en scène un conflit de jugements moraux qui oppose les deux personnages principaux. L’intrigue se noue autour d’un désaccord moral fondamental : la meurtrière pense qu’il est de son devoir moral de s’incriminer de la mort de son mari ; le lieutenant Pontoise pense tout à fait le contraire. Le désaccord initial apparaît d’abord comme une divergence de points de vue, une façon différente de percevoir la situation. La résolution du désaccord ne peut alors advenir que si chacun consent à se mettre à la place de l’autre, lorsque chacun considère les éléments qui comptent aux yeux de l’autre. L’élargissement du point de vue devient alors une condition essentielle pour bien juger moralement.
LA MEURTRIÈRE DOIT SE METTRE À LA PLACE DU LIEUTENANT C’est justement dans cette perspective que le lieutenant a invité la meurtrière à se mettre à sa place afin qu’elle puisse élargir son point de vue. En lui racontant deux épisodes de sa vie personnelle, il incite la meurtrière à faire appel à son imagination pour arriver à se mettre à sa place lorsqu’il s’est retrouvé à deux reprises dans une fâcheuse situation. Devait-il dire la vérité aux policiers devant le bar de Lisieux ? Devait-il avouer au grand costaud qu’il baise sa femme, et que c’est lui qui l’a frappé devant le bar ? En l’incitant à imaginer ces deux épisodes, le lieutenant espère bien qu’ils pourront entreprendre une véritable discussion morale.
Se mettre à la place d’autrui Le lecteur du roman de Jean Teulé ne peut aucunement savoir si le lieutenant possède, en son for intérieur, une théorie explicite sur la nature d’une bonne discussion morale. Le romancier ne men29. Ibid., p. 47.
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tionne rien à ce sujet. Ce qu’il fait cependant, c’est qu’il nous présente un lieutenant qui, utilisant les ressources de sa mémoire et de son imagination, raconte deux petites histoires qui devraient faire naître, dans l’esprit de la meurtrière, des images concrètes concernant deux événements survenus dans son passé. Et ces événements devraient l’inciter à réfléchir sur sa décision de s’incriminer. L’attitude du lieutenant laisse sous-entendre que l’une des conditions pour bien juger moralement consiste à bien voir la situation30. Dans son esprit, il est évident qu’une telle condition implique qu’il faut être capable de sortir de soi et se mettre à la place d’autrui pour voir d’autres façons de penser moralement, d’où l’importance de l’imagination. Lorsque survient un désaccord moral, celui-ci ne s’explique donc pas toujours par un différend sur les principes et les concepts moraux ainsi que sur les arguments qui justifient de les utiliser ; il peut s’expliquer aussi par différentes façons de voir la situation.
LA SOURCE DU DÉSACCORD MORAL ENTRE LE LIEUTENANT ET LA MEURTRIÈRE Si le lieutenant demande à la meurtrière à se mettre à sa place, il le fait en espérant qu’elle puisse mieux juger la situation dans laquelle elle se trouve (en voulant s’incriminer). Ne pense-t-il pas que la source du désaccord moral qui les oppose réside dans leur incapacité de comprendre la « vision» que l’un et l’autre ont de la situation ? La meurtrière a poussé son mari alors qu’il se trouvait sur le balcon de leur appartement du onzième étage, elle se sent coupable de l’avoir tué, et c’est la seule raison qu’elle fournit pour justifier son incrimination. De son côté, le lieutenant estime qu’elle a débarrassé la société d’un salaud et que la disparition de cet individu n’est une perte pour personne. Pourquoi donc devrait-il prendre sa déposition ? Avant d’arriver à un éventuel accord sur cette situation morale (si toutefois une telle chose est possible), chaque participant doit d’abord tenter de comprendre comment elle est vécue par l’autre d’une manière qui, pour être différente, n’en demeure pas moins compréhensible. Et chaque participant doit être conscient que les deux jugements moraux explicités dans la discussion sont différents parce qu’ils s’enracinent dans une perception de la situation qui est propre à chacun. En incitant la meurtrière à imaginer les deux épisodes où il n’a pas dit la vérité, le lieutenant désire qu’elle se mette à la place d’autrui afin qu’elle considère les choses différemment. Cette façon de faire (imaginer des situations morales nouvelles pour la meurtrière) ne garantit pas qu’ils pourront résoudre le désaccord moral qui les oppose, mais l’exercice de se mettre à la place d’autrui est la seule manière de lui donner du sens, la seule manière de mettre à l’épreuve nos théories, nos principes et nos concepts moraux, en testant leur pertinence sur des situations nouvelles.
LA CONCEPTION DE LA VÉRACITÉ DU LIEUTENANT Le lieutenant est arrivé à la conclusion que dire la vérité, dans les deux situations qu’il vient d’évoquer, aurait été absolument stupide. Qu’est-ce que son propos donne à voir à la meurtrière ? Ce qui est sous-entendu dans le discours du lieutenant, c’est une conception particulière de la véracité. En quoi consiste-t-elle ? De quel(s) philosophe(s) s’inspire-t-elle ? 30. Une bonne discussion morale dépend également de la maîtrise de principes et de concepts ainsi que de la capacité à argumenter de manière rationnelle.
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La conception de la véracité de saint Augustin Selon saint Augustin, dire le faux avec l’intention de tromper, voilà en quoi consiste l’acte de mentir. Et la position de saint Augustin à propos du mensonge est claire et nette : il ne faut jamais mentir, car le mensonge n’est jamais excusable. Pourquoi n’est-il jamais excusable ? Parce que mentir met en péril le salut de notre âme. Voilà la raison. Certes, saint Augustin ne peut pas en apporter la preuve, mais sa conviction est totale. La conception de la véracité du lieutenant s’apparente-t-elle à celle de saint Augustin ? On sait que la meurtrière a menti aux policiers lorsqu’ils sont venus constater la mort tragique de son mari. Cependant, ce n’est pas ce mensonge qui l’oppose au lieutenant, mais le fait de vouloir avouer son crime maintenant, 10 ans après les faits, alors que personne ne lui demande rien. Le lieutenant ne peut donc pas s’inspirer des propos de saint Augustin, et ce, pour deux raisons : la première étant que la meurtrière ne ment pas si elle continue de taire ce qui s’est vraiment passé lorsque son mari a perdu la vie ; la deuxième étant que le lieutenant analyse la situation sans jamais avoir à l’esprit le salut de l’âme de la meurtrière.
La conception de la véracité de Kant Pour Kant, si un individu se trouve dans une situation où il ne peut éviter de répondre, lorsqu’on le questionne, cet individu doit alors dire la vérité. Il n’a pas le droit de mentir. Selon lui, la véracité est un devoir absolu qui vaut en toutes circonstances, quelles que soient les conséquences qui peuvent en résulter pour soi ou pour autrui. Et pourquoi doit-on toujours dire la vérité ? Kant fournit quatre raisons pour justifier sa position : 1. La voix de notre propre conscience nous ordonne d’accorder notre discours à ce qu’on croit être vrai, sinon on attire sur nous le blâme de notre conscience. 2. En abusant autrui, on se rend coupable, la plupart du temps, d’une injustice à l’égard de notre interlocuteur. 3. Dans tous les cas, l’acte de mentir ruine la croyance dans les déclarations entre les hommes en général. 4. Il serait déraisonnable de vouloir vivre dans un monde où existerait une loi universelle ordonnant de mentir. Le lieutenant partage-t-il la même conception que Kant ? Lorsqu’il affirme que l’aveu du crime serait une pure connerie, il ne tient évidemment pas compte des arguments de Kant.
La conception de la véracité de Benjamin Constant Selon Benjamin Constant, un individu n’est pas toujours tenu de dire la vérité. Si on ne prenait pas en considération les caractéristiques particulières de la situation, le principe suivant lequel on doit toujours dire la vérité aboutirait parfois, s’il était appliqué systématiquement, à des conséquences moralement inadmissibles. La conception de Constant s’apparente beaucoup à celle du lieutenant. Pour ce dernier, il faut tenir compte des circonstances avant de décider de dire ou ne pas dire la vérité. La meurtrière devraitelle dire la vérité sur ce qui s’est réellement passé il y a longtemps, alors qu’elle a poussé son odieux
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mari qui les violentait, elle et ses enfants, et qui, une fois de plus, menaçait de se suicider ? Dans l’esprit du lieutenant, il n’en est pas du tout question, car elle doit tenir compte des caractéristiques particulières de la situation et des conséquences qui découleraient de son aveu. En fait, en poussant son mari, qui s’était mis lui-même dans une position assez dangereuse, elle a réagi émotionnellement au comportement de ce salaud. Ce n’est pas tant une action qu’elle a faite, qu’une réaction à une situation hautement provocante. Et que serait-il arrivé à ses enfants si elle s’était dénoncée lorsque les policiers sont arrivés sur les lieux du drame ? N’a-t-elle pas tenu compte des conséquences de son aveu sur ses enfants, dans l’éventualité où elle pourrait être reconnue coupable de meurtre ? Comme elle a débarrassé la société d’un salaud, comme il s’agit presque d’un cas de légitime défense, et comme personne ne lui demande rien, le mieux qu’elle puisse faire, c’est de se taire. À quoi cela servirait-il de se dénoncer aujourd’hui ?
La conception de la véracité de Comte-Sponville Selon Comte-Sponville, la véracité n’est pas un devoir absolu. Elle est plutôt une valeur relative qui n’a de sens que lorsqu’on tient compte des aspects particuliers de la situation, et il faut, pour cette raison, la confronter à d’autres valeurs. La véracité est certes une valeur importante, mais elle s’impose seulement si aucune autre valeur plus forte ne s’y oppose. Concernant la situation de la meurtrière, le lieutenant doit se demander si des valeurs supérieures à la véracité s’opposent à celle-ci. Le lieutenant ne peut faire autrement que d’évaluer l’épisode du meurtre s’il veut évaluer correctement la situation actuelle de la meurtrière, c’est-à-dire l’intention d’avouer son crime. À propos de l’épisode du meurtre, la protection de ses enfants représente une valeur supérieure à la véracité : si elle s’était accusée du meurtre, ses enfants auraient été placés dans une famille d’accueil, et peutêtre même dans deux familles différentes. Quant à la situation actuelle de la meurtrière, la liberté qui est la sienne représente également aux yeux du lieutenant une valeur plus forte que la véracité. Pourquoi la meurtrière devrait-elle perdre sa liberté, se demande-t-il ?
L’IMPORTANCE D’UN VÉRITABLE DIALOGUE ENTRE LE LIEUTENANT ET LA MEURTRIÈRE Si le lieutenant veut convaincre la meurtrière du bien-fondé de sa position morale, il doit établir un véritable dialogue avec elle. Pour penser avec l’autre, et non pour l’autre, il faut accorder de l’importance au dialogue : un échange où l’explicitation des points de vue, les raisonnements, la réflexion critique et l’écoute constituent les bases d’une véritable discussion rationnelle. Ainsi, pour convaincre la meurtrière qu’elle devrait interpréter sa situation différemment, le lieutenant ne peut pas s’en tenir aux deux seuls exemples qu’il lui a présentés ; il devra expliciter sa conception de la véracité, laquelle stipule qu’on ne doit pas toujours dire la vérité, car il faut tenir compte des circonstances, et il faut examiner si des valeurs supérieures à la véracité s’opposent à celle-ci. Il devra aussi lui faire part du raisonnement qui l’a conduit à juger qu’elle ne devrait pas avouer son crime et écouter ce qu’elle en pense.
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5. QUESTIONS 1. Selon Brice Parain, ce qui caractérise notre parole, « c’est qu’elle est libre, c’est que nous pouvons dire n’importe quoi, n’importe quand, n’importe comment, à n’importe qui, lorsque nous n’avons pas peur ». À n’en pas douter, le mensonge politique ou l’intimidation à l’école sont des conduites qui découlent du fait que notre parole est libre. Mais ce n’est pas la seule chose qui les rend possibles. Quelle est cette autre chose ? 2. Pensez-vous que le lieutenant Pontoise a raison de refuser de prendre la déposition de la meurtrière ? Expliquez pourquoi. (Autrement dit, pensez-vous que cette femme devrait continuer de cacher la vérité sur le meurtre qu’elle a commis 10 ans auparavant ?) 3. Quel est le critère qui permet de juger de la gravité d’un mensonge ? 4. Parmi les points de vue sur la véracité que nous avons examinés (saint Augustin, Emmanuel Kant, Benjamin Constant et André Comte-Sponville), quel est le point de vue qui vous semble le plus valable ? (Justifiez votre réponse.)
6. EXERCICE Un cas de non-divulgation d’une condition médicale dangereuse À l’automne 2008, le Journal de Montréal rapportait le cas d’une femme ayant contracté le VIH alors que son nouveau conjoint savait qu’il était séropositif. La femme était veuve depuis quelques années, et voilà qu’elle rencontre un homme qui lui plaît, avec qui elle s’entend bien, et elle en tombe amoureuse. Durant les six premiers mois de leurs fréquentations, le couple avait eu des rapports sexuels protégés. Après cela, la femme avait demandé à son nouveau conjoint d’aller ensemble passer des tests chez son médecin (à elle). Le conjoint lui répond qu’il préfère se rendre chez son propre médecin. Les tests que la femme a passés (chez son médecin à elle) indiquent qu’elle n’est porteuse d’aucune infection ni d’aucune maladie transmissible sexuellement. Il aurait été surprenant qu’il en soit autrement, puisqu’elle avait pratiqué l’abstinence durant ses années de veuvage, et qu’elle n’avait pas eu d’autres partenaires que ce nouveau conjoint. Cependant, le conjoint en question, lui, était séropositif, et il le savait depuis un bon bout de temps. Il a préféré mentir sur son état de santé, en fournissant à sa conjointe un faux papier, pour faire croire qu’il était en bonne santé, et que, par conséquent, il n’y avait aucun danger s’ils cessaient d’utiliser des condoms. Ce qui devait arriver arriva : la conjointe a contracté le VIH. Elle est maintenant séropositive. Éventuellement, sa séropositivité évoluera en sida, et elle en mourra. Le comportement du conjoint séropositif est-il moralement condamnable ? Autrement dit, le conjoint avait-il le devoir de dire la vérité ? Pour répondre à cette question, vous devez appliquer les points de vue de Kant, de saint Augustin, de Constant et de Comte-Sponville concernant la véracité.
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Jean-Pierre Légaré
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Questions
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Jean-Pierre Légaré Jean-Pierre Légaré a enseigné la philosophie au Cégep de Joliette (1973-1981) et au Cégep de SaintJérôme (1981-2011).
CODE DE PRODUIT : 214947 ISBN 978-2-7617-6772-9
9
782761
767729
www.cecplus.com
Jean-Pierre Légaré
Questions
ÉTHIQUES Comment doit-on agir ?
QUESTIONS ÉTHIQUES - COMMENT DOIT-ON AGIR ?
Lorsque nous délibérons sur une action, nous sommes en quête de justifications qui pourraient montrer que nous avons raison d’agir ainsi, qu’il s’agit là de la meilleure chose à faire, tout en nous demandant s’il ne vaudrait pas mieux agir autrement. Pour trouver une réponse satisfaisante à ce type de questionnement, il faut évaluer l’efficacité de cette action eu égard à la fin que nous poursuivons (ce pour quoi nous voulons agir). Mais il arrive aussi que la situation singulière dans laquelle nous nous trouvons nous force à évaluer le caractère moral de cette action : la fin visée et le moyen utilisé (l’action) sont-ils acceptables ? Les conséquences prévisibles de cette action sont-elles bonnes ? Comment pouvons-nous justifier nos jugements moraux, c’est-à-dire nos jugements qui apprécient les conduites humaines du point de vue du bien et du mal ? Ces interrogations, et bien d’autres encore, s’inscrivent à l’intérieur d’un questionnement où l’on se réfère à des normes et des valeurs qui pourraient nous indiquer comment agir dans une situation singulière. Dans cet ouvrage, chaque chapitre porte sur une question spécifique, et chacune d’elles entretient un rapport avec l’action humaine. À la différence d’une approche plus traditionnelle qui privilégie la présentation d’un auteur ou d’une théorie par chapitre, nous avons préféré une approche par questions, plus susceptible d’intéresser les étudiants qui auront été ou seront amenés, dans la vie réelle, à se poser des questions éthiques. Les questions traitées dans cet ouvrage sont les suivantes : • Suffit-il de pouvoir faire ce que l’on veut pour être véritablement libre ? • Doit-on toujours dire la vérité ? • Comment peut-on déterminer qu’une action est moralement préférable à une autre ? • Comment peut-on justifier l’acte de punir ? • A-t-on le droit de se donner la mort ? Les cinq chapitres ont été rédigés selon une formule originale. Chaque chapitre commence par une mise en situation tirée d’une œuvre littéraire ou philosophique et qui suscite une question éthique. Cette situation est ensuite analysée à la lumière du point de vue des grands philosophes qui ont réfléchi sur cette question.
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