Panorama de la littérature québécoise (extrait)

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PANORAMA QU B COISE DE LA LITT RATURE

JULIE BRUNET ÉRIC MONTPETIT

2,27 cm 1,25 cm 1,25 cm 2,27 cm 2,27 cm 2,27 cm DIMENSIONS POSITIONNEMENT
TABLE DES MATIÈRES V
Chapitre 1 – Les écrits de la Nouvelle-France (1534 à 1760) 1 La ligne du temps 2 Le contexte sociohistorique 4 Le contexte littéraire 7 Récits de voyage Jacques Cartier, Voyages au Canada (1534-1542) 10 Louis Jolliet, Journal de Louis Jolliet allant à la descouverte de Labrador (1694) 12 Louis-Armand de Lom d’Arce de La Hontan, Dialogues avec un sauvage (1703) 14 Relations des missionnaires Paul Le Jeune, Relation de 1633 16 Marie de l’Incarnation / Marie Guyart, Relation de 1654 18 Correspondance Élisabeth Bégon, Lettres au cher fils (1748-1753) 20 En résumé 22 Chapitre 2 – Une identité à écrire (1760 à 1900) 23 La ligne du temps 24 Le contexte sociohistorique 26 Le contexte littéraire 29 Contes et légendes fantastiques : de l’oral à l’écrit 31 Philippe Aubert de Gaspé fils, « L’homme de Labrador », dans L’influence d’un livre (1837) 32 Philippe Aubert de Gaspé père, Les anciens Canadiens (1863) 35 Honoré Beaugrand, La chasse-galerie (1900) 38 Le patriotisme 41 Essai François-Xavier Garneau, Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu’à nos jours (1845) 42 Henri-Raymond Casgrain, Le mouvement littéraire au Canada (1866) 44 Arthur Buies, La lanterne (1884) 46 Correspondance Chevalier de Lorimier, Déclaration de M. de Lorimier 1839 [1848] 48 Poésie Octave Crémazie, « Le drapeau de Carillon », Œuvres complètes (1882) ..................................................................... 50 Louis Fréchette, La légende d’un peuple (1887) 52 L’écriture intimiste au féminin 54 Correspondance Julie Bruneau-Papineau, Une femme patriote. Correspondance (1823-1862) 55 Journal intime Fadette / Henriette Dessaulles, Journal (1874-1881) 57 Roman Laure Conan / Félicité Angers, Angéline de Montbrun (1881-1882) 59 En résumé 62 Chapitre 3 – Une littérature entre tradition et modernité (1895 à 1945) 63 La ligne du temps 64 Le contexte sociohistorique 66 Le contexte littéraire 69 Le terroir et l’anti-terroir 71 Roman Patrice Lacombe, La terre paternelle (1846) 73 Rodolphe Girard, Marie Calumet (1904) 75 Louis Hémon, Maria Chapdelaine (1914) 77 Albert Laberge, La Scouine (1918) 80 Claude-Henri Grignon, Un homme et son péché (1933) 82 Jean-Charles Harvey, Les demi-civilisés (1934) 84 Félix-Antoine Savard, Menaud, maître-draveur (1937) 86 Germaine Guèvremont, Le Survenant (1945) 89 Poésie Alfred DesRochers, À l’ombre de l’Orford (1929) 92 Essai Lionel Groulx, Directives (1937) 94 La prise de parole des femmes : des voix subversives 96 Essai / Chronique Robertine Barry, Le Journal de Françoise (1905) 98 Roman Jovette Bernier, La chair décevante (1931) 100 La poésie moderne .................................................................................. 103 Émile Nelligan, Poésies complètes 1896-1941 104 Hector de Saint-Denys Garneau, Regards et jeux dans l’espace (1937) 106 Alain Grandbois, Rivages de l’homme (1948) .......................... 108 Anne Hébert, Le tombeau des rois (1953) 110 En résumé 112 Chapitre 4 – De nouveaux territoires imaginaires et esthétiques (1945 à 1960) 113 La ligne du temps 114 Le contexte sociohistorique 116 Le contexte littéraire 119 Le réalisme urbain 121 Roman Gabrielle Roy, Bonheur d’occasion (1945) 122 Roger Lemelin, Les Plouffe (1948) 125 Théâtre Gratien Gélinas, Tit-Coq (1948) 127 Marcel Dubé, Un simple soldat (1957) 129 Les récits de l’intériorité 132 Roman Françoise Loranger, Mathieu (1949) 133 Anne Hébert, « Le torrent » (1950) 135 André Langevin, Poussière sur la ville (1953) 138 L’exploration du Nord et l’imaginaire inuit 140 Roman Yves Thériault, Agaguk (1958) 141 Gabrielle Roy, La rivière sans repos (1970) 144 L’automatisme ............................................................................................ 146 Essai Paul-Émile Borduas, Refus global (1948) 148 Poésie Paul-Marie Lapointe, Le vierge incendié (1948) 151 Suzanne Meloche, Les aurores fulminantes (1949) 152 Roland Giguère, L’âge de la parole (1965) 154
Table des matières
VI TABLE DES MATIÈRES Théâtre Claude Gauvreau, Les oranges sont vertes (1958-1971) 156 En résumé 158
5 – Écriture et engagement (1960 à 1980) 159 La ligne du temps 160 Le contexte sociohistorique 162 Le contexte littéraire 164 La poésie du pays et les récits de la contestation 167 Poésie Gérald Godin, Cantouques : poèmes en langue verte, populaire et quelques fois française (1967) 168 Gaston Miron, L’homme rapaillé (1970) 169 Michèle Lalonde, Speak White (1968) 171 Chanson Gilles Vigneault, Les gens de mon pays (1965) 174 Félix Leclerc, Le tour de l’île (1975) 176 Roman Gérard Bessette, Le libraire (1960) 178 Marie-Claire Blais, Une saison dans la vie d’Emmanuel (1965) 180 Hubert Aquin, Prochain épisode (1965) 182 Réjean Ducharme, L’avalée des avalés (1966) 184 Récit autobiographique Claire Martin, Dans un gant de fer (1965) 186 An Antane Kapesh, Eukuan nin matshi-manitu innushkueu / Je suis une maudite sauvagesse (1976) 188 La langue en question 190 Essai Jean-Paul Desbiens, Les insolences du Frère Untel (1960) 191 Théâtre Michel Tremblay, Les belles-sœurs (1968) 193 Michel Tremblay, À toi, pour toujours, ta Marie-Lou (1971) 194 Monologue Yvon Deschamps, « Les unions, qu’ossa donne ? » (1968) 196 Poésie Denis Vanier, Lesbiennes d’acid (1972) 198 Josée Yvon, Filles-commandos bandées (1976) 199 La littérature féministe 201 Poésie Nicole Brossard, Mécanique jongleuse suivi de Masculin grammaticale (1974) 202 France Théoret, Bloody Mary (1977) 203 Roman Louky Bersianik, L’Euguélionne (1976) 205 Théâtre Pol Pelletier, La nef des sorcières (1976) 207 Denise Boucher, Les fées ont soif (1978) 209 Jovette Marchessault, Triptyque lesbien (1980) 211 Essai Hélène Pedneault, Chroniques délinquantes (1986) 214 En résumé 216 Chapitre 6 – Une littérature décentrée (1980 à 2001) 217 La ligne du temps 218 Le contexte sociohistorique 220 Le contexte littéraire 222 Le postmodernisme 224 Roman Jacques Poulin, Volkswagen Blues (1984) 225 Monique Proulx, Les aurores montréales (1996) 228 Gaétan Soucy, La petite fille qui aimait trop les allumettes (1998) 230 Théâtre Robert Lepage et al., La trilogie des dragons (1985) 232 Michel Marc Bouchard, Les Feluettes (1987) 235 Poésie Marie Uguay, Autoportraits (1982) 237 Hélène Dorion, Un visage appuyé contre le monde (1990) 238 Jean-Paul Daoust, 111, Wooster Street (1996) 240 Essai François Ricard, La génération lyrique (1992) 241 De nouvelles voix venues d’ailleurs ............................................. 244 Roman Ying Chen, La mémoire de l’eau (1992) 245 Sergio Kokis, Le pavillon des miroirs (1994) 247 Dany Laferrière, Pays sans chapeau (1996) 249 En résumé 252 Chapitre 7 – La littérature actuelle (Depuis 2001) 253 La ligne du temps 254 Le contexte sociohistorique 256 Le contexte littéraire 258 La littérature actuelle Roman Nicolas Dickner, Nikolski (2005) 260 Catherine Mavrikakis, Le ciel de Bay city (2008) 262 Kim Thúy, Ru (2009) 264 Jocelyne Saucier, Il pleuvait des oiseaux (2011) 266 Larry Tremblay, L’orangeraie (2013) 268 Simon Roy, Ma vie rouge Kubrick (2014) 270 Anaïs Barbeau-Lavalette, La femme qui fuit (2015) 272 Autofiction Nelly Arcan, Putain (2001) 274 Théâtre Evelyne de la Chenelière, Bashir Lazhar (2003) 276 Wajdi Mouawad, Incendies (2003) ............................................... 278 Poésie Chloé Savoie-Bernard, Royaume Scotch Tape (2015) 280 Rodney Saint-Éloi, Nous ne trahirons pas le poème (2019) 281 Essai Lori Saint-Martin, Mines de rien. Chroniques insolentes (2015) 283 Serge Bouchard, Les yeux tristes de mon camion (2016) 285 Dominique Fortier, Les villes de papier (2020) 287 De nouvelles voix autochtones 289 Roman Naomi Fontaine, Kuessipan (2011) .............................................. 290 Poésie Joséphine Bacon, Un thé dans la toundra /  Nipishapui nete mushuat (2013) 291 Natasha Kanapé Fontaine, Nanimissuat Île-tonnerre (2018) 294 Marie-Andrée Gill, Chauffer le dehors (2019) 295 En résumé 297 Annexe – Exemple de dissertation critique dialectique 298 Bibliographie 301 Index des noms propres 302 Index des œuvres étudiées 304 Index des notions littéraires .................................................................. 305 Crédits 306
Chapitre
Kittie Bruneau (1929-2021), Derrière l’île (1978). Huile sur toile, 131,6 x 175,5 x 2,6 cm. Musée national des beaux-arts du Québec.
Chapitre 5 É C riture et engagement 1960 à 1980

1960

Indépendance de 17 colonies d’Afrique

1961

Construction du mur de Berlin

Premier homme dans l’espace

1961

Élection du président américain John Fitzgerald Kennedy, chef du Parti démocrate, aux États-Unis

1962

Crise des missiles de Cuba

Fin de la guerre d’Algérie

1965

Début de la guerre du Viêtnam

1968

Aux États-Unis, assassinat de Martin Luther King

1963

Assassinat du président américain John F. Kennedy

Printemps de Prague

Événements de Mai 1968 en France

1969

Premier homme sur la Lune Bed-ins for Peace de John Lennon et Yoko Ono

1969

Festival de Woodstock aux ÉtatsUnis

1960

Élection du Parti libéral dirigé par Jean Lesage

1963

Premières manifestations du Front de libération du Québec (FLQ)

1961

1964

Adoption de la loi sur la capacité juridique de la femme mariée

Création du ministère de l’Éducation

Visite d’Élisabeth II au Québec : « le samedi de la matraque »

Claire Kirkland-Casgrain est la 1re femme à être élue à l’Assemblée législative du Québec

Création du ministère des Affaires culturelles du Québec

Création de l’Office de la langue française

1967

Commission Bird

Le général de Gaulle à Montréal : « Vive le Québec libre ! »

Inauguration du métro de Montréal

Création des cégeps Expo 1967 à Montréal

1966

Création de la Fédération des femmes du Québec Élection de l’Union nationale dirigée par Daniel Johnson (père)

1969

Fondation de l’Université du Québec à Montréal

1968

Fondation du Parti québécois de René Lévesque

Pierre Elliott Trudeau devient le premier ministre du Canada

1960

Le libraire de Gérard Bessette (roman)

Les insolences du Frère Untel de JeanPaul Desbiens (essai)

1962

Pour la suite du monde de Pierre Perrault et Michel Brault (documentaire)

1963

Fondation par André Major de la revue Parti pris

1965

1960 à 1980 m onde qu É be C arts et lettres

Prochain épisode d’Hubert Aquin (roman)

Une saison dans la vie d’Emmanuel de Marie-Claire Blais (roman)

Dans un gant de fer, Claire Martin (autobiographie)

1967

Les cantouques de Gérald Godin (poésie)

1966

L’avalée des avalés de Réjean Ducharme (roman)

1968

« Les unions, qu’ossa donne ? » d’Yvon Deschamps (monologue)

Speak White de Michèle Lalonde (poésie)

Les belles-sœurs de Michel Tremblay (théâtre)

Spectacle L’Osstidcho avec Louise Forestier, Yvon Deschamps, Mouffe et Robert Charlebois

160 chapitre 5
1960 1961 1962 1963 1964 1965 1966 1967 1968 1969 1970 1960 1961 1962 1963 1964 1965 1966 1967 1968 1969 1970

1973

Début de la crise occidentale du pétrole Coup d’État au Chili

1975

Année internationale de la femme

1977

Génocide au Cambodge

1975

Fin de la guerre au Viêtnam

1979 Révolution islamique en Iran

1970

Élection du Parti libéral dirigé par Robert Bourassa

Mise en place du système d’assurance-maladie

Crise d’Octobre ; le gouvernement fédéral impose les mesures de guerre

1972

Affrontement politique menant à l’emprisonnement des trois chefs des centrales syndicales

1973

1976

Jeux olympiques de Montréal

Le 15 novembre, première élection remportée par le Parti québécois de René Lévesque

Conseil du statut de la femme Réélection du Parti libéral dirigé par Robert Bourassa

1974

Adoption du projet de loi 22 faisant du français la langue officielle du Québec

1977

Adoption de la Charte de la langue française (loi 101)

1980

Référendum sur l’avenir du Québec

1970

L’homme rapaillé de Gaston Miron (poésie)

Premier spectacle de La nuit de la poésie

1971

À toi, pour toujours, ta Marie-Lou de Michel Tremblay (théâtre)

1972

Lesbiennes d’acid de Denis Vanier (poésie)

1974

Superfrancofête à Québec avec Gilles Vigneault, Félix Leclerc et Robert Charlebois Mécanique jongleuse de Nicole Brossard (poésie)

1976

1977

Bloody Mary de France Théoret (poésie)

1978

Les fées ont soif de Denise Boucher (théâtre)

Création de La nef des sorcières à laquelle participe Pol Pelletier (théâtre)

L’Euguélionne de Louky Bersianik (roman-essai)

Je suis une maudite sauvagesse d’An Antane Kapesh (récit autobiographique)

La nef des sorcières de Pol Pelletier (théâtre)

Filles-commandos bandées de Josée Yvon (poésie)

1979

Création des Vaches de nuit de Jovette Marchessault (théâtre)

1980

Triptyque lesbien de Jovette Marchessault (théâtre)

Création de la revue

La Vie en rose dans laquelle Hélène Pedneault se fait connaître

ÉcritUre et eNGaGeMeNt 1960 À 1980 161
1971 1972 1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1971 1972 1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980

1960 à 1980 le C ontexte

so C iohistorique

l es ann É es 1960

l a rÉ volution tranquille : identit É et indÉ pendantisme

Au tournant des années 1960, les Québécois prennent conscience de leur identité particulière sur le continent américain. Illustrant cette quête d’identité, le terme « Canadiens français », associé à un passé révolu, est remplacé par celui de « Québécois ».

À partir de la création du Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) en 1960, plusieurs groupes de militants revendiquent l’indépendance politique du Québec. Le mouvement attire assez l’attention pour que le gouvernement canadien, dirigé par Lester B. Pearson, institue la commission Laurendeau­Dunton sur le bilinguisme et le biculturalisme au Canada afin de comprendre le malaise des Canadiens français au sein du pays. Au Québec, René Lévesque fonde le Parti québécois en 1968.

Par ailleurs, le Front de libération du Québec (FLQ), qui emprunte la voie du terrorisme de 1963 à 1970, est inspiré du modèle de Fidel Castro et Ernesto « Che » Guevara. Ses membres cherchent non seulement l’indépendance du Québec, mais ils veulent faire de la province un pays socialiste.

m odernisation et rÉ formes des institutions

Après la mort de Maurice Duplessis en 1959 et l’élection du Parti libéral de Jean Lesage en 1960, le Québec entame des réformes économiques, politiques et sociales qui se multiplient dans un puissant désir de changement et de modernisation, marquant la rupture avec le conservatisme et les valeurs traditionnelles du duplessisme.

Dès le début de son mandat, l’« équipe du tonnerre » du gouvernement Lesage met en œuvre son slogan : « C’est l’temps qu’ça change ». Afin de remédier à la sous ­ scolarisation et de prendre en main l’avenir du

Québec, le gouvernement Lesage repense et réorganise l’enseignement primaire et secondaire, met sur pied les cégeps (1967) et facilite l’accès à l’enseignement universitaire dans l’ensemble de la province par la création du réseau de l’Université du Québec (1968). Le système de l’éducation passe également des mains du clergé à celles de l’État. Grâce à ces réformes, nombreuses sont les femmes qui ont enfin accès à une éducation.

Afin de favoriser la croissance et l’indépendance économique de la province, le gouvernement Lesage met sur pied plusieurs sociétés d’État, dont Hydro­Québec qui achète la majorité des entreprises privées produisant de l’électricité, devenant ainsi un outil de développement collectif.

Le milieu culturel n’est pas oublié. De nouvelles maisons d’édition voient le jour et le nombre de titres publiés explose. Des centres de recherche universitaires et des revues spécialisées émergent, contribuant à la valorisation des lettres québécoises.

Les réformes entamées au début des années 1960 ont nourri les aspirations de la jeunesse québécoise. Or, à partir de 1968, nombreux sont ceux qui ressentent un blocage. La frustration devant le conservatisme de certaines institutions, notamment en matière politique et linguistique, mène à des manifestations qui tournent à la violence. L’émeute lors des festivités de la Saint­JeanBaptiste, en 1968, provoquée par la présence du premier ministre fédéral Pierre Elliott Trudeau et, en 1969, les

162 chapitre 5

manifestations contre le « Bill 63 », un projet de loi permettant aux communautés immigrantes d’envoyer leurs enfants à l’école anglaise, sont autant de symptômes d’une société au bord de la crise.

La jeunesse remet en question les structures de la société de consommation, sa classe politique, ses institutions, et se bat pour la liberté et l’égalité. En France, les contestations surnommées « Mai 1968 » prennent de l’ampleur. Le mouvement inspire d’ailleurs les étudiants québécois qui, à leur tour, se rebellent contre le système et organisent en octobre 1968 une grève dans les cégeps.

De nombreux baby­boomers adoptent les valeurs hippies de la contre ­ culture et de la beat generation Marginalité, liberté, non­violence, retour à la terre, respect des droits de la personne, rejet de la société de consommation et quête d’un bonheur spirituel sont les mots d’ordre de cette jeunesse.

l es ann É es 1970 : tensions so C iales

revendiC ations politiques

En 1970, des membres du Front de libération du Québec enlèvent l’attaché commercial britannique James Richard Cross et le ministre du gouvernement libéral Pierre Laporte. C’est la crise d’Octobre, point culminant d’une série d’attentats à la bombe et de vols de banques perpétrés par le FLQ depuis sa fondation en 1963. Le gouvernement fédéral promulgue la Loi sur les mesures de guerre : la suspension des libertés civiles et l’emprisonnement sans mandat d’environ 500 citoyens, parmi lesquels de nombreux poètes et écrivains québécois, auront raison de la crise. Sept jours après son enlèvement, Pierre Laporte est trouvé mort le 17 octobre 1970.

Le Parti québécois prend cependant le pouvoir en 1976, faisant renaître les espoirs et l’enthousiasme de plusieurs. La Charte de la langue française (la « loi 101 ») est adoptée en 1977. Lors du référendum sur l’indépendance du Québec de 1980, cependant, le camp du non l’emporte à 59,6 % contre 40,4 %. C’est la fin d’une époque.

revendiC ations ouvrières

Les années 1970, assombries par les lourdes difficultés économiques causées par le choc pétrolier, sont marquées par une série de grèves syndicales réclamant de meilleures conditions salariales. Les tensions augmentent en 1972,

alors que les affrontements mènent à l’emprisonnement des chefs des trois grandes centrales syndicales accusés d’avoir incité leurs membres à défier une ordonnance de retour au travail.

revendiC ations auto Chtones

La construction de barrages pilotée par Hydro­Québec nécessite le détournement de rivières et l’inondation d’immenses territoires occupés par des communautés autochtones. Ces projets colossaux se font au nom du développement économique de la société québécoise mais, refusant de négocier l’occupation du territoire avec ces communautés, le gouvernement du Québec fait subir aux Premières Nations une nouvelle forme de colonialisme qui dépossède encore davantage les Cris du secteur de la baie James et les Innus de la Côte­Nord.

revendiC ations f É ministes

La Révolution tranquille et, plus largement, les mouvements de contestation et de libération qui s’affirment au Québec et en Occident, avec plus de radicalisme dans la décennie 1970, créent un contexte propice à la « révolution féministe ». L’année 1975 a d’ailleurs été sacrée « Année internationale de la femme » par l’Assemblée générale des Nations Unies.

En 1961, Claire Kirkland­Casgrain devient la première députée québécoise. Elle contribue grandement aux avancées en matière d’autonomie juridique pour les femmes mariées. En 1973, le gouvernement québécois met sur pied le Conseil du statut de la femme, un organisme responsable de la défense des droits et intérêts des Québécoises.

Diversifié mais organisé, le mouvement des femmes prend pour cibles les inégalités et la discrimination basée sur le sexe, tout comme la domination masculine dans les sphères publique et privée. L’accès au marché du travail, la parité salariale, le droit à l’éducation pour toutes et tous ainsi que la participation active à la vie politique ne sont que quelques­unes de ses revendications. En outre, les questions concernant le corps et la sexualité s’affirment comme des enjeux majeurs : le droit à la contraception, à l’avortement mais aussi à la protection de l’intégrité du corps féminin, en proie à la violence masculine, sera ardemment défendu. Le slogan des années 1970, « le privé est politique », illustre l’un des plus importants axes de la pensée féministe de l’époque : les injustices et violences vécues par les femmes dans l’univers privé découlent directement de leur infériorité politique.

ÉcritUre et eNGaGeMeNt 1960 À 1980 163

le C ontexte l itt É raire

1960 à 1980

l es ann É es 1960

Le milieu littéraire des années 1960 est imprégné de l’esprit de renouveau des premières années de la Révolution tranquille et se caractérise par un dynamisme hors du commun. De pair avec les réformes économiques, politiques, sociales et culturelles, la littérature exprime un vif désir de changement. Pour plusieurs écrivains, elle s’inscrit dans une quête identitaire accompagnant la conscience nationale qui s’impose tant dans la société en général que dans le milieu culturel. Dès lors, on ne parlera plus de littérature canadienne­française, mais de littérature québécoise.

l a poÉ sie du pays ou «

l’âge de la parole »

C’est à travers la « poésie du pays » que s’expriment d’abord les aspirations de l’époque. Gaston Miron et Jacques Brault, par exemple, publient aux Éditions de l’Hexagone (créées en 1953) des textes empreints de lyrisme, exaltant la beauté du territoire tout en dénonçant l’aliénation du peuple québécois. Paul Chamberland et Gérald Godin, associés à la revue Parti pris (1963 ­1968), signent des textes plus revendicateurs, polémiques et clairement associés à une idéologie socialiste. Mais ces écrivains, ainsi que Michèle Lalonde avec son célèbre poème­manifeste Speak White, ont en commun une volonté d’engagement : leur parole est portée par le désir de contribuer à la libération du peuple québécois, victime d’aliénations séculaires, et à la fondation d’un pays nouveau.

Plusieurs chansonniers (Félix Leclerc, Gilles Vigneault, Raymond Lévesque, Pauline Julien, etc.) se rattachent à ces poètes par les thèmes qu’ils exploitent. On les retrouve côte à côte dans de nombreuses manifestations et fêtes populaires alors que le mouvement nationaliste est en marche. Ensemble, ils participent, voire donnent naissance à la ferveur indépendantiste des années 1960.

Par ailleurs, de nombreux essais traiteront de la question nationale au cours des décennies 1960­1970, notamment

La nuit de la poésie est un événement majeur dans l’histoire littéraire du Québec. Au théâtre Gesù, à Montréal, se rassemblent pendant la soirée et la nuit du 27 mars 1970 une soixantaine de poètes de générations et d’horizons divers pour la plus grande célébration de la parole québécoise jamais vue. Près de 4000 personnes y assisteront. Ici, Michèle Lalonde récite son célèbre poème Speak White

ceux de Pierre Vadeboncœur, La ligne du risque (1963), et de Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique (1968).

l es romans de la Contestation

Vers 1965, le roman prend le relais de la poésie en tant que genre majeur et connaît un succès retentissant. Gérard Bessette, Marie­Claire Blais, Hubert Aquin et Réjean Ducharme ne sont que quelques­uns des écrivains qui seront chaudement accueillis par la critique et le public, au Québec comme en France.

164 chapitre 5

Contrairement aux poètes du pays, ces romanciers ne se rassemblent pas tant autour de l’engagement politique que d’une révolte multiforme contre l’ordre établi, qu’il soit religieux, politique, moral ou familial. En participant à la grande liquidation des valeurs traditionnelles ayant maintenu les Québécois dans l’aliénation, individuellement et collectivement, ainsi qu’en proposant des formes d’écriture romanesque inédites, dans une langue faisant preuve d’une grande inventivité, ils contribuent toutefois, comme les poètes, à la construction d’une littérature nationale originale et audacieuse.

l ’autobiographie : à la Crois É e du moi et du monde

L’autobiographie, un genre peu pratiqué encore à cette époque, s’installe en 1965 quand la romancière et nouvelliste Claire Martin publie Dans un gant de fer, qui raconte son enfance dans une famille bourgeoise dominée par un père tyrannique, de même que ses années de couvent auprès de religieuses intransigeantes et puritaines, peignant ainsi un portrait implacable de la société de la Grande Noirceur. Thérèse Renaud, poète automatiste, en fera autant dans Une mémoire déchirée (1978), où elle parlera de son enfance et de son adolescence à la même époque et dans un milieu similaire. De son côté, l’essayiste innue An Antane Kapesh, en collaboration avec l’anthropologue José Mailhot, fait paraître Eukuan nin matshi-manitu innushkueu / Je suis une maudite sauvagesse (1976), un récit autobiographique bilingue, puissant réquisitoire contre le processus d’assimilation que les Blancs ont fait subir aux Premières Nations.

l es ann É es 1970

Au cours de la décennie 1970, la jeune génération d’écrivains issue du baby­boom met de côté la question nationale au profit d’une littérature plus contestataire, que ce soit

sur le plan idéologique ou formel. Certains participent même à une remise en question radicale du langage et de la littérature elle­même.

l es m É tamorphoses du th É âtre

Au théâtre, qui se transforme alors moins rapidement que la poésie ou le roman, le renouveau survient avec Michel Tremblay et Les belles-sœurs (1968). Cette tragicomédie met en scène des femmes issues du milieu prolétaire qui témoignent des frustrations causées par leur vie misérable. À la fois femmes, issues d’un milieu modeste et s’exprimant dans une langue populaire, ces protagonistes marginales, qui n’avaient encore jamais été montrées au théâtre québécois, créent une onde de choc. Le public bourgeois est scandalisé, surtout du fait que la pièce est écrite en joual ; mais dans l’ensemble, la réaction est plus qu’enthousiaste, et l’engouement pour ce dramaturge ne se démentira plus. Outre en matière de langue, la pièce Les belles-sœurs innove sur le plan formel en proposant un étonnant amalgame de monologues, de chœurs et de dialogues qui traduisent la solitude des personnages, leurs aliénations partagées ainsi que leurs difficultés à se comprendre.

Après Tremblay, le « jeune théâtre » ira plus avant dans l’exploration de nouvelles formes dramatiques, notamment par le recours à l’improvisation et à la création collective. Le Grand Cirque ordinaire, le Théâtre Euh ! et le Théâtre expérimental de Montréal (TEM), fondé par Jean­Pierre Ronfard, Robert Gravel et Pol Pelletier, comptent parmi les troupes les plus représentatives de ce courant. Pelletier fera par ailleurs partie du collectif à l’origine de la pièce La nef des sorcières (1976), une des œuvres les plus importantes de l’écriture féministe de l’époque. En 1979, l’autrice se séparera du TEM pour mettre sur pied le Théâtre expérimental des Femmes.

La pièce Les belles-sœurs, de Michel Tremblay, présentée sur scène pour la première fois le 28 août 1968 au Théâtre du Rideau Vert, dans une mise en scène d’André Brassard. Rangée avant, Denise Proulx, Denise Filiatrault et, de gauche à droite, Denise de Jaguère, Lucille Bélair, Sylvie Heppel, Germaine Giroux, Marthe Choquette, Hélène Loiselle, Germaine Lemyre, Luce Guilbeault, Rita Lafontaine, Josée Beauregard, Odette Gagnon.

ÉcritUre et eNGaGeMeNt 1960 À 1980 165

l a Contre- C ulture et la nouvelle ÉCriture

Au nom de la liberté et de la modernité, de jeunes poètes de la décennie 1970 se détournent de la génération de L’Hexagone, de ses valeurs et de son esthétique, qu’ils remplacent par un fougueux esprit de contestation ainsi qu’une profonde réflexion sur le contenu et la forme poétiques. Ils puisent leurs influences dans l’Amérique contestataire des beatniks, dont Jack Kerouac, Allen Ginsberg, Lawrence Ferlinghetti et William S. Burroughs sont les principaux représentants, de même que dans la culture des hippies et du rock. Bien qu’ils délaissent la poétique de leurs prédécesseurs, on retrouvera ces jeunes poètes aux côtés de Gaston Miron, de Jean­Guy Pilon, de Pierre Morency et des chansonniers du pays dans quelques­uns des grands spectacles emblématiques de cette époque comme Poèmes et chants de la résistance (1968, 1971 et 1973) et la mythique Nuit de la poésie (1970).

Les représentants de la contre­culture québécoise tels Patrick Straram, Denis Vanier et Josée Yvon remettent fortement en question les valeurs de la société bourgeoise, bien­pensante et capitaliste. Leur révolte se fait sentir dans leurs propos provocateurs : sexualité débarrassée de tout tabou, expérimentations avec les drogues, mise de l’avant de toutes les formes de marginalité, voire révolution sociétale totale. Leur écriture se fait rebelle, agressive, faisant fi de tous les canons, de toutes les règles et de la bienséance.

Les poètes qui se réclament du formalisme, hérité des avant­gardes européennes, s’intéressent quant à eux à la forme du texte elle­même. L’exploration du langage et sa déconstruction sont mises à l’avant­plan dans leur démarche parfois hermétique. François Charron et Roger Des Roches s’inscriront dans la mouvance de cette « nouvelle écriture », tout comme Nicole Brossard et France Théoret, dans la première mouture de leur œuvre.

l e f É minisme

Alors que le mouvement des femmes bat son plein dans la décennie 1970, la littérature s’affirme comme l’un des véhicules privilégiés de leurs revendications ainsi qu’un lieu de réflexion sur la condition et l’identité féminines. Influencées par leurs homologues américaines et françaises, les écrivaines féministes développent toutefois une écriture originale et particulièrement subversive.

Ces dernières investissent tous les genres, dont elles se plaisent d’ailleurs à brouiller les frontières : prose et poésie se côtoient de près, théorie et fiction, pareillement. Ainsi Louky Bersianik fait­elle paraître en 1976 L’Euguélionne, un roman où se mélangent science­fiction et essai sur la condition féminine. Vers la fin des années 1970, de grandes pièces sont créées et mises en scène, telles Môman travaille pas, a trop d’ouvrage (1976), du Théâtre des Cuisines, et La nef des sorcières (1976), signée par sept autrices de renom. Denise Boucher, peut­être plus encore que Tremblay, fera scandale avec Les fées ont soif (1978), une pièce iconoclaste, écrite dans une langue crue, qui dénonce haut et fort, non sans humour, les aliénations vécues par les femmes, individuellement et collectivement.

Enfin, nombreuses sont les féministes de l’époque à écrire des textes au « je », qui explorent l’intimité, l’identité et le moi féminins, témoignant d’une volonté de mettre au jour ce qui était autrefois exclu du discours public et littéraire : le corps, le désir et la sexualité des femmes. Mais la dimension politique de leurs écrits reste tout de même présente, tout comme l’ambition de montrer la nature commune de l’expérience des femmes.

166 chapitre 5
Librairie des femmes d’ici, rue Rachel Est, à Montréal, en mai 1978. Aux côtés des fondatrices figurent plusieurs écrivaines féministes.

l a po É sie du pays et les r ÉC its de la C ontestation

l a poÉ sie du pays

Après le temps de la solitude vécue et exprimée par les poètes au cours des décennies 1930 et 1940, la poésie des années 1960 s’impose comme un phénomène collectif d’une ampleur inégalée dans les lettres québécoises. De nombreux poètes, associés à divers lieux d’édition parmi lesquels L’Hexagone et Parti pris, se sentent investis d’une mission sociale et se rejoignent. Certains adoptent une tonalité plus polémique (Gérald Godin, Michèle Lalonde, Paul Chamberland) ; d’autres s’avèrent plus lyriques (Gaston Miron, Jean­Guy Pilon, Jacques Brault). Mais tous, ensemble, solidaires et fraternels, s’engagent dans la voie de la libération du Québec et d’un nouveau pays à fonder.

Pour eux, prendre la parole, c’est avant tout participer à un projet politique. Il s’agit de dénoncer les aliénations vécues par le peuple québécois, de l’inviter à regarder en face sa situation d’infériorité et de soumission, quitte à lui renvoyer une image de lui­même difficile à soutenir : celle d’un « peuple ­ concierge » ( Speak White , Michèle Lalonde, 1968), par exemple, ou encore d’une « gang de

christs / qui se plaint jamais » (« Cantouque des hypothéqués », Gérald Godin, 1967). Le poète se fait ainsi le guide d’un peuple avec qui il cherche à partager un désir de s’affranchir et un sens de l’engagement dans l’avenir.

Prendre la parole, pour ces poètes, c’est aussi exalter le sentiment d’appartenance au pays à fonder ensemble ; revaloriser l’identité québécoise et, pour cela, célébrer, souvent à grand renfort de lyrisme et d’images grandioses, les beautés du territoire à reconquérir.

l es rÉCits de la Contestation

Les romanciers qui s’illustrent à partir de la moitié de la décennie 1960, eux, ne font pas front commun comme les poètes du pays. Leurs œuvres partagent néanmoins des préoccupations thématiques et formelles liées de près à l’esprit de la Révolution tranquille.

En effet, Le libraire (1960) de Bessette, Une saison dans la vie d’Emmanuel (1965) de Blais, Prochain épisode (1965) d’Aquin ou encore L’avalée des avalés (1966) de Ducharme proposent des personnages non conformistes, voire révoltés, souvent adolescents, qui s’attaquent à la religion, à la morale sexuelle rigide, à l’institution de la famille, au statu quo politique, bref à tout ce qui appartient au passé, au monde des adultes et des anciens, et qui nuit à l’épanouissement individuel et collectif des Québécois.

À la plume somme toute plus classique des romanciers des générations précédentes, ceux qui publient au milieu de la décennie 1960 préfèrent une narration autodiégétique et mettent en scène le geste d’écrire lui­même : chez Bessette, Blais et Aquin, les protagonistes ne se contentent pas de raconter eux­mêmes leur histoire, mais nous donnent aussi à lire le récit qu’ils en font dans leurs journaux intimes. Qui plus est, dans Une saison dans la vie d’Emmanuel et dans Prochain épisode, cette écriture intime fictive se mêle à une parodie du roman du terroir, dans le premier cas, et à un faux roman d’espionnage, dans le second. Enfin, ces romans, qui reposent presque tous sur un humour ou une ironie se présentant comme l’une des armes privilégiées de la contestation, sont portés par une grande créativité langagière, voire un ludisme verbal.

ÉcritUre et eNGaGeMeNt 1960 À 1980 167
Le poète et politicien Gérald Godin avec Pauline Julien, chanteuse et comédienne. Tous deux fervents militants indépendantistes, ils furent l’un des couples les plus mythiques du Québec.

G Érald Godi N (1938-1994)

Natif de Trois-Rivières, Gérald Godin commence en 1958 une carrière de journaliste au Nouvelliste, à Trois-Rivières, où il travaille jusqu’en 1963. Amoureux de la chanteuse Pauline Julien, il s’installe avec elle à Montréal et devient recherchiste pour Radio-Canada. Entre 1963 et 1976, il se joint à l’équipe de Parti pris, une revue et une maison d’édition ouvertement de gauche dont les thèmes de prédilection sont le socialisme et l’indépendance politique du Québec. En octobre 1970, l’engagement politique de Godin amène les autorités à le soupçonner d’être lié au Front de libération du Québec (FLQ) et d’avoir participé aux enlèvements de James Richard Cross et de Pierre Laporte. À la suite de la mise en application de la Loi sur les mesures de guerre par le gouvernement fédéral de Pierre Elliott Trudeau, Godin est temporairement incarcéré, sans preuve ni mandat, tout comme près de 500 citoyens. Aux élections provinciales de 1976, il bat le chef libéral, Robert Bourassa, dans son propre comté, et devient député à l’Assemblée nationale du Québec. Il le restera jusqu’en 1994.

Dans les années 1960, Godin fait paraître ses premiers recueils de poésie : Chansons très naïves (1960), Poèmes et Cantos (1962), Nouveaux Poèmes (1963) et Les cantouques (1967). Ce dernier recueil marque en quelque sorte un tournant dans son écriture, laquelle prend désormais une orientation beaucoup plus politique. Ce n’est qu’en 1990 qu’il signe un roman, L’ange exterminé. Son dernier recueil de poèmes, Les botterlots, est publié en 1993.

De manière générale, l’écriture de Godin traduit son amour de la langue populaire dans toute sa diversité, de l’archaïsme aux mots inventés. Le mot « cantouque » en est un bel exemple. Rappelant par sa sonorité le mot « cantique », il évoque les chants bibliques solennels, mais chez Godin, le mot a pour origine l’anglais « cant hook », outil employé par les bûcherons et les draveurs pour déplacer des billots de bois. La symbolique à la fois ouvrière et biblique de ce mot élève au rang de héros les travailleurs de la forêt, ainsi que tous les exploités. Godin dénonce leur misère et l’injustice qu’ils subissent.

Cantouque des hypothéqués (1967)

Les crottés les Ti­Cul les tarlas les Ti­Casse ceux qui prennent une patate avec un coke

les cibouettes les Ti­Pit les cassés les timides les livreurs en bicycle des épiciers licenciés

les Ti­Noir les cassos les feluettes les gros­gras ceux qui se cognent sur les doigts avec le marteau du boss

les Jos Connaissant les farme­ta­gueule ceux qui laissent leurs poumons dans les moulins de coton

toutes les vies du jour le jour tous les coincés des paiements à rencontrer les hypothéqués à perpétuité

la gang de christs qui se plaint jamais les derniers payés les premiers congédiés ils n’ont pas de couteau entre les dents mais un billet d’autobus mes frères mes frères

168 chapitre 5
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sur l’erre d’aller l’erre de tomber l’erre de périr dans les matins clairs du lundi ils continuent mais sur l’élan les pelleteux les neuf à cinq les pères de famille sans enfants WANTED RECHERCHÉ

atelier d ’ analyse

Exploration

1. Quelles sont les marques de la langue populaire dans ce poème ?

2. Relevez deux procédés permettant de donner une musicalité au texte.

3. Quel effet produit l’énumération dans ce poème ?

pour cause d’agonie pour drôle de pays

Ils sont de l’époque où la patrie c’était un journal « Cantouque des hypothéqués », Cantouques & Cie, Éditions Typo, 2012 [1967], p. 226­227. Cet extrait a été reproduit aux termes d’une licence accordée par COPIBEC.

4. Relevez les deux connotations du mot « hypothéqués » dans le poème.

5. Identifiez quatre expressions renvoyant au contexte sociopolitique des années 1960.

Rédaction

Est-il juste d’affirmer que ce poème exprime une vision du monde misérable ?

Gasto N Miro N (1928-1996)

Né à Sainte-Agathe-desMonts, un village fréquenté par de nombreux touristes anglophones à l’époque de son enfance, Gaston Miron prend rapidement conscience que l’anglais est considéré comme la langue d’une élite. À 19 ans, il s’installe à Montréal où l’affichage publicitaire, majoritairement anglais, provoque chez lui une seconde prise de conscience politique. Le bilinguisme colonial le pousse à militer politiquement et à fonder, avec Olivier Marchand, L’Hexagone, une maison d’édition qui sera la première à se consacrer exclusivement à la poésie québécoise. Parallèlement à ses activités d’éditeur, Miron écrit de la poésie et en fait la lecture dans diverses soirées, notamment lors de La nuit de la poésie du 27 mars 1970. Le mois suivant, il remporte le Prix de la revue Études françaises, une distinction qu’accompagnera la publication en recueil, aux Presses de l’Université de Montréal, des poèmes qu’il avait fait paraître auparavant dans diverses revues. Ce recueil culte, abondamment primé, c’est L’homme rapaillé. Miron y exprime un profond désir de contrer tout ce qui provoque l’aliénation des Québécois. En raison de ses allégeances politiques, Miron est d’ailleurs

emprisonné lors de la crise d’Octobre, à l’instar de plusieurs autres artistes.

L’homme rapaillé rassemble de nombreux poèmes d’amour, mais plusieurs sections du recueil sont consacrées à la situation politique des Québécois, notamment « La marche à l’amour », « La batèche » et « La vie agonique ». Ces poèmes en vers libres sont écrits dans une langue que Miron considérait comme « natale », c’est-à-dire composée de régionalismes, d’expressions populaires et parfois d’anglicismes traduisant une expérience typiquement québécoise. Une souffrance empreinte d’espoir se dégage de ces textes, le poète esquissant le rêve d’un pays. Selon Miron, l’homme serait libre d’aimer seulement lorsqu’il aurait conquis son identité à travers l’action politique et l’engagement concret envers sa patrie, son peuple et sa langue.

« Compagnon des Amériques » fait partie de « La vie agonique ». Miron s’adresse à son pays comme à une femme aimée. Dans une langue à la syntaxe laborieuse et aux images complexes renvoyant au territoire québécois, il tente de faire sentir au lecteur la blessure que sa patrie porte comme un fardeau. Toutefois, il exprime une ferme volonté de la défendre et de repousser toutes les formes d’oppression.

ÉcritUre et eNGaGeMeNt 1960 À 1980 169
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Compagnon des Amériques (1970)

Compagnon des Amériques

Québec ma terre amère ma terre amande ma patrie d’haleine dans la touffe des vents j’ai de toi la difficile et poignante présence avec une large blessure d’espace au front dans une vivante agonie de roseaux au visage je parle avec les mots noueux de nos endurances nous avons soif de toutes les eaux du monde nous avons faim de toutes les terres du monde dans la liberté criée de débris d’embâcle nos feux de position s’allument vers le large l’aïeule prière à nos doigts défaillante la pauvreté luisant comme des fers à nos chevilles

mais cargue­moi en toi pays, cargue­moi et marche au rompt le cœur de tes écorces tendres marche à l’arête de tes dures plaies d’érosion marche à tes pas réveillés des sommeils d’ornières et marche à ta force épissure des bras à ton sol mais chante plus haut l’amour en moi, chante je me ferai passion de ta face je me ferai porteur de ton espérance veilleur, guetteur, coureur, haleur de ton avènement un homme de ton réquisitoire un homme de ta patience raboteuse et varlopeuse un homme de ta commisération infinie

l’homme artériel de tes gigues

dans le poitrail effervescent de tes poudreries dans la grande artillerie de tes couleurs d’automne dans tes hanches de montagnes dans l’accord comète de tes plaines dans l’artésienne vigueur de tes villes devant toutes les litanies de chats­huants qui huent dans la lune devant toutes les compromissions en peaux de vison devant les héros de la bonne conscience les émancipés malingres les insectes des belles manières devant tous les commandeurs de ton exploitation de ta chair à pavé de ta sueur à gages mais donne la main à toutes les rencontres, pays toi qui apparais par tous les chemins défoncés de ton histoire aux hommes debout dans l’horizon de la justice qui te saluent salut à toi territoire de ma poésie salut les hommes et les femmes des pères et mères de l’aventure

L’homme rapaillé, Éditions Typo, 2016 [1970], p. 101­102. Cet extrait a été reproduit aux termes d’une licence accordée par COPIBEC.

170 chapitre 5
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Image tirée du documentaire Pour la suite du monde (1962) de Michel Brault et Pierre Perrault. Chef-d’œuvre du cinéma direct, il met en scène la population de l’Isle-aux-Coudres vivant au cœur du fleuve Saint-Laurent.

atelier d ’ analyse

Exploration

1. Quel est l’effet de la personnification du Québec dans ce poème ?

2. Relevez deux vers illustrant une difficulté à exprimer clairement une idée. Quel lien peut-on établir avec l’état de la langue parlée au Québec à cette époque ?

3. Relevez les mots de vocabulaire appartenant à la langue populaire québécoise.

4. Quelle interprétation peut-on faire de la longue énumération dans la quatrième strophe (l. 19 à 40) ?

5. Dans la dernière strophe, identifiez deux procédés littéraires exprimant la solidarité.

Rédaction

Miron évoque davantage les souffrances que les espoirs. Discutez.

Michèle l alo N de (1937-2021)

À la fois poète, essayiste et dramaturge, Michèle Lalonde est une figure incontournable de la littérature québécoise. Diplômée en philosophie, Lalonde écrit la pièce Ankrania ou Celui qui crie (1957), puis publie les recueils de poésie Songe de la fiancée détruite (1958) et Geôles (1959). En 1967, une fresque symphonique pour chœur et deux récitants qu’elle réalise en collaboration avec André Prévost, intitulée « Terre des hommes », est jouée lors du gala d’ouverture de l’Exposition universelle de Montréal. Elle a également publié d’autres écrits portant sur l’identité nationale et linguistique des Québécois, comme « Panneauxréclame » (1970), Défense et illustration de la langue québécoise (1979) ainsi que Cause commune : manifeste pour une internationale des petites cultures (1981), coécrit avec Denis Monière.

Passionnée d’histoire, Michèle Lalonde s’intéresse à tout ce qui contribue à construire l’identité, la structure et la mémoire d’un peuple et souhaite sortir la poésie des cercles intellectuels élitistes. Elle écrit debout et à haute voix, car elle conçoit sa poésie comme une création rythmique, une chorégraphie dramatique susceptible de toucher tout un chacun.

Son poème Speak White est de loin le plus connu et le plus célèbre, notamment à cause de sa puissance d’évocation. C’est lors de La nuit de la poésie de 1970 que Lalonde récite avec éloquence ce poème poignant écrit en 1968 pour le spectacle Poèmes et chants de la résistance organisé en soutien à des prisonniers membres du Front de libération du Québec (FLQ). Devant plus de 2000 personnes et la caméra de Jean-Claude Labrecque qui immortalise le moment, elle expose le sort misérable des Québécois, le lie à celui des autres peuples exploités et dénonce toutes les formes d’impérialisme et l’alinénation par le biais de la langue. En 2015, Robert Lepage fait du poème le noyau de son spectacle sur la mémoire qu’il intitule 887. L’origine de l’expression raciste « speak white » remonte à loin dans l’histoire. En effet, des anglophones en situation d’autorité obligeaient alors des esclaves noirs, des Autochtones et des ouvriers canadiens-français à « parler la langue des Blancs » , leurs maîtres ou leurs patrons. Cette insulte était encore fréquemment utilisée dans les années 1970 au sein des grandes entreprises. Par sa portée universelle, ce poème lance un appel à la solidarité envers tous les peuples opprimés.

ÉcritUre et eNGaGeMeNt 1960 À 1980 171

aN aNta N e Kapesh (1926-2004)

Née en 1926 à Kuujjuaq, au nord du Québec, An Antane Kapesh est éduquée selon les traditions du peuple innu, celui que les premiers missionnaires français ont nommé « Montagnais ». Mariée dès 1943, elle donne naissance à neuf enfants qu’elle élève de manière traditionnelle jusqu’à la création de la réserve de Mani-utenam, près de Sept-Îles, en 1953, où sa famille est forcée de se sédentariser. De 1965 à 1967, elle est la cheffe de la communauté innue de Matimekush, près de Schefferville et est à même de constater les effets néfastes de la vie en réserve. En 1970, elle fait la rencontre de l’anthropologue José Mailhot, en visite dans sa réserve pour apprendre l’innu. Constatant sa révolte devant la condition des Autochtones, Mailhot l’invite à écrire un livre s’adressant aux Blancs et dans lequel elle développerait son réquisitoire.

Après quatre années de travail en collaboration avec José Mailhot, elle publie en 1976 un essai autobiographique en langue innue et en français, Eukuan nin matshi-manitu innushkueu / Je suis une

maudite sauvagesse. En 1979, Kapesh fait paraître un nouveau livre qui a pour titre Qu’as-tu fait de mon pays ? Ce roman allégorique parle du processus de dépossession et d’acculturation des Autochtones à l’arrivée des premiers colons en Amérique. En 1981, elle adapte Eukuan nin matshi-manitu innushkueu / Je suis une maudite sauvagesse au théâtre, à Montréal, toujours en collaboration avec José Mailhot.

Dans Eukuan nin matshi-manitu innushkueu / Je suis une maudite sauvagesse, premier livre en français signé d’une main autochtone, Kapesh parle de l’histoire du peuple innu, de sa culture et de ses traditions. Elle y dénonce l’exploitation des ressources minières, les pensionnats, les règles entourant la chasse, la vente d’alcool, le système de justice et le traitement médiatique que subissent les Premières Nations. Aussi, l’écrivaine y revendique des droits pour les Autochtones et s’élève contre tout projet d’assimilation. Dans cet extrait, elle explique avec précision le processus d’acculturation par lequel les Innus sont passés au cours des années 1953 à 1976.

Eukuan nin matshi-manitu innushkueu / Je suis une maudite sauvagesse

À l’époque où nous, les Indiens montagnais, vivions dans le bois, on nous a construit une école. C’était en 1953. Quand nous l’avons vu construire, jamais nous n’avons pensé que cette école nous ferait perdre notre culture et jamais nous n’avons imaginé qu’elle serait source de misères pour nous plus tard. Quand on a voulu nous construire une école, on nous a dit toutes sortes de bonnes choses. On a procédé de cette façon au début, seulement pour ne pas nous mécontenter. Quand le Blanc a ainsi songé à donner à nos enfants une éducation de Blancs, moi je crois que lui devait alors savoir parfaitement que dans l’avenir il nous créerait des embêtements, nous qui sommes Indiens. Et il est vrai que nous, les Indiens, quand

(1976)

le Blanc nous a autrefois parlé de vivre comme lui, nous n’avons rien compris à cela et nous n’avons pas du tout pensé à ce qui nous arriverait dans l’avenir, une fois que nous aurions vécu la vie du Blanc pendant un certain nombre d’années.

Voici en quels termes je réfléchis à présent à cette école qu’on a construite pour nous : probablement qu’elle n’était pas bonne pour nous et probablement qu’elle n’avait aucune valeur pour nous, les Indiens. Quand on songe aujourd’hui aux raisons pour lesquelles on nous a construit cette école, de deux choses l’une : ou on l’a bâtie

188 chapitre 5
[…]
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pour notre bien ou on l’a bâtie pour nous faire du tort. Pour ma part, j’incline à penser que c’était uniquement pour nous faire du tort, pour nous faire disparaître, pour nous sédentariser, nous les Indiens, afin que nous ne dérangions pas le Blanc pendant que lui seul gagne sa vie à même notre territoire. Voilà les seules raisons pour lesquelles on nous a construit une école. Quand le Blanc a songé à venir nous trouver pour exploiter notre territoire, quand il a songé à y construire un chemin de fer, il s’est mis à parler de nous et à insinuer que la culture que nous avions n’était pas bonne et que nous n’étions pas civilisés.

De nos jours, le Blanc dit souvent : « Les enfants indiens nous causent des problèmes, ils ne veulent pas aller à l’école. » Le Blanc dit vrai mais cela n’est pas surprenant. Comment l’enfant indien pourrait­il aimer cela ? Disons par hypothèse que nous, les Indiens, invitions le Blanc à nous accompagner dans notre culture, dans le bois ; si le Blanc n’aimait pas venir avec nous, jamais nous ne le frapperions, nous, avec un bâton pour le forcer à nous accompagner. Quand le Blanc, lui, a incité mes enfants – qui sont des enfants indiens – à recevoir une éducation de Blancs, il les y a terriblement forcés, il est allé jusqu’à se servir d’un bâton. Depuis des années que le Blanc contraint nos enfants à recevoir une éducation de Blancs, je le crois, c’est vrai qu’ils doivent lui causer des problèmes. Mais moi je pense qu’à présent lui ne s’inquiète et ne se fatigue déjà plus beaucoup au sujet de nos enfants : il a déjà la certitude que c’est lui qu’ils suivront éternellement. Moi je crois que le Blanc aujourd’hui n’a aucun regret concernant nos enfants. C’est maintenant à

atelier d ’ analyse

Exploration

1. Montrez à l’aide de procédés d’énonciation que An Antane Kapesh marque la frontière entre les Innus et les Blancs.

2. Pour quelles raisons les parents innus ont-ils à s’inquiéter de leurs enfants après que ceux-ci sont allés étudier dans les pensionnats ?

3. Quels groupes se sont substitués aux familles innues dans l’éducation des enfants ? Quel effet ces groupes ont-ils pu avoir sur la vision du monde et les croyances des jeunes Innus ?

notre tour, nous les Indiens, d’avoir des raisons de nous inquiéter énormément à leur sujet et d’avoir à cause d’eux de graves problèmes et de grands regrets.

À cause de l’éducation de Blancs qu’ils ont reçue, aujourd’hui mes enfants ne connaissent rien de leur culture indienne, ils perdent leur langue indienne, ils mangent à peine de leur nourriture indienne, ils ont perdu leurs coutumes vestimentaires. Parce qu’ils sont allés à l’école du Blanc, nos enfants se trouvent à présent dans l’entre­deux : ils sont incapables de gagner leur vie dans leur culture indienne et ils ne sont pas habitués à la gagner à la manière des Blancs. Aujourd’hui je vois les miens, tout ce qui leur reste à faire c’est de flâner. Mes enfants indiens avaient pourtant eux aussi une culture et elle était meilleure. Chaque Indien qui enseignait sa propre culture à ses enfants faisait de grands efforts pour la leur bien enseigner avec l’espoir de les voir bien gagner leur vie en chassant toutes les espèces d’animaux indiens.

Moi j’estime qu’il est très important de faire de grands efforts pour nous mettre à la recherche de notre culture et de notre langue indiennes et pour les conserver. À mon avis, de tous les peuples de la terre, il n’y en a vraisemblablement aucun qui ait la fierté de la culture et de la langue du peuple voisin. Nous, les Indiens, avions une culture indienne et une langue indienne dont nous pouvions être fiers.

Eukuan nin matshi-manitu innushkueu / Je suis une maudite sauvagesse, Mémoire d’encrier, 2019 [1976], p. 61, 67, 71, 73, 83. Cet extrait a été reproduit aux termes d’une licence accordée par COPIBEC.

4. Derrière le projet des réserves et celui des pensionnats, quelle intention An Antane Kapesh prête-t-elle aux fonctionnaires ?

5. Identifiez quatre conséquences concrètes de l’implantation des réserves et des pensionnats autochtones sur le mode de vie des Innus.

Rédaction

Chez An Antane Kapesh, le récit personnel est aussi collectif. Discutez.

ÉcritUre et eNGaGeMeNt 1960 À 1980 189
[…]
[…]
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qu’est devenue michelle duclos ? (1976)

la fascination de la fonction de bander en dépasse la banalité

c’est alors que nous opérerons un détournement de charge dans le cul de leur âme secouant la tacite beauté de sa torpeur. le Grand froid gris gèle les taudis et les nuages.

Seulement les schizophrènes et les radicales ont raison parce qu’elles ignorent la conception même des fausses frontières.

nous docteurs, sorcières et assassines, nous voulons répandre la conscience comme une malaria fiévreuse et addictive.

nous ne supporterons plus la séniorité, le préjugé la claustration de la famille du statu­quo dans sa vision rétentionnée de l’ennui

plaquer la peur une fois pour toutes, lui marcher dans face, éliminer les entraves, les mythes, les idoles, la notion d’obscénité, de commerce.

atelier d ’ analyse

Exploration

1. Qui se cache derrière le « nous » qui s’exprime dans ce poème ? Donnez deux preuves à l’appui de votre réponse.

2. Que cherche à dire Yvon dans la deuxième strophe (l. 8 à 10) ?

3. Relevez le lexique de la combativité.

dissoudre les vides aspirants, la programmation des bibittes et des ruines et toutes les terreurs qu’on s’invente. aujourd’hui pauvre­riche danser aux crécelles de leur monnaie qui meurt plus jamais traquée, hors de leurs tracks rectilignes, à jamais détraquée jusqu’à ce que notre pensée ne devienne que pur cristal. Filles-commandos bandées, Éditions Les Herbes rouges, no 35, 2020 [1976], [non paginé]. Republié comme l’un des trois textes composant le livre Danseuses-mamelouk, Éditions Les Herbes rouges, 2020.

4. Quelles cibles sont visées dans les deux dernières strophes (l. 11 à 27) ?

5. Dans la dernière strophe, quels sens revêtent les mots « traquée », « tracks » et « détraquée » ?

Rédaction

Dans ce poème, Josée Yvon en appelle uniquement à une révolution féministe. Discutez.

200 chapitre 5
1 Michelle Duclos est une Québécoise condamnée pour avoir fait de la contrebande d’explosifs. En 1965, elle est arrêtée à New York, où elle s’était rendue en voiture, avec 30 bâtons de dynamite dont devait se servir le Black Liberation Front pour faire sauter la statue de la Liberté.
5 10 15 20 25
Denis Vanier et Josée Yvon dans leur appartement, le 29 mai 1987, chacun à sa place habituelle à la table.

l a litt É rature f É ministe

Si les poètes (surtout des hommes) ont connu leur « âge de la parole » au début de la décennie 1960, les écrivaines féministes connaissent le leur au cours des années 1970, au moment où le mouvement des femmes atteint son apogée. Pour elles, le projet de libération québécois se fonde avant tout sur leur propre émancipation en tant que femmes. La littérature sera le haut lieu de leurs combats contre les oppressions et violences dont elles sont victimes dans la réalité comme dans le langage et l’ordre symbolique, mais elle sera aussi un espace de réflexion et d’affirmation à la fois personnelle et collective. Dans leurs textes se côtoieront le « je », le « nous » et un « elle » désignant à la fois une personne singulière et l’ensemble des femmes.

Nicole Brossard, France Théoret et Madeleine Gagnon, qui ont d’abord publié sous la bannière formaliste, se tournent vers une pratique qui réintègre la subjectivité de l’auteur, ou plutôt de l’autrice, au cœur du texte. Leurs œuvres poétiques et narratives explorent alors le langage dans une perspective sexuée. Le corps, la sexualité et le désir féminins y occupent une place privilégiée. Au reste, ces derniers traversent un large pan de la production des femmes de l’époque.

La langue en tant que construction patriarcale est également questionnée dans de nombreux textes appartenant à des genres divers. Dans L’Euguélionne (1976), le magistral roman­essai de Louky Bersianik, se lit un véritable traité sur la féminisation linguistique. L’autrice a d’ailleurs énormément contribué à faire avancer cette question au Québec.

Les rapports entre femmes, entre mères et filles notamment, de même que le lesbianisme sont également des préoccupations récurrentes dans l’écriture féministe. Jovette Marchessault opère une synthèse de ces thèmes dans « Les vaches de nuit », un monologue porté par un grand souffle

Nicole Jolicœur (1947- ), Femme en hystérie (d’après J.-M. Charcot), détail (1980). Gouache, crayon de cire, mine de plomb et crayon-feutre sur papier japon, 45,7 x 849 cm. Musée des beaux-arts du Canada. La plasticienne Nicole Jolicœur questionne les représentations stéréotypées des femmes, ici celles du XIXe siècle sur leur prétendue hystérie.

poétique. Comme c’est également le cas de Bersianik et de nombreuses autrices de l’époque, Marchessault écrit des textes radicaux. Le radicalisme est à entendre ici au sens étymologique. « Radical », en effet, provient d’un mot latin signifiant « à la racine ». Ainsi, le féminisme radical est un courant de pensée qui cherche à remonter à la racine de l’oppression des femmes, le système patriarcal, pour mieux le contester.

Au théâtre, la fin des années 1970 accueille des pièces chocs telles La nef des sorcières (1976), écrite collectivement par Luce Guilbault, Marthe Blackburn, France Théoret, Odette Gagnon, Marie­Claire Blais, Pol Pelletier et Nicole Brossard, et Les fées ont soif (1978), de Denise Boucher. Ces deux œuvres de combat, qui ont fait grand bruit, ont en commun de présenter plusieurs protagonistes exprimant leur malheur, leur colère et leur solitude à travers des monologues, tout en illustrant la dimension collective de l’expérience des femmes, entre autres par le recours au chœur dans la pièce de Boucher.

L’essai est par ailleurs un genre très pratiqué par les femmes. Elles y ont recours pour penser leur condition et leur identité. Parmi les ouvrages majeurs, il faut citer, outre L’Euguélionne, D’elles (1979) de Suzanne Lamy et L’échappée des discours de l’œil (1981) de Madeleine Ouellette ­ Michalska. Enfin, la plume des féministes s’exerce aussi dans des revues telles que Québécoises deboutte !, Les Têtes de pioche et La Vie en rose, où Hélène Pedneault publie ses chroniques délinquantes pendant plusieurs années.

ÉcritUre et eNGaGeMeNt 1960 À 1980 201

Marie : Entendez­vous la musique des vieilles casseroles trouées ?

La Statue : Les voiles du temple claquent comme de vieux drapeaux mouillés. (Silence.) Le temps est lourd ce soir.

Marie : Je m’appelle Marie. Ils glorifient mes maternités, et pourtant moi ils ne peuvent pas me souffrir.

MadeLeine : Je suis la celle au grand cœur. Qu’ils disent. Eux. Qui est­ce qui se donne à se faire aimer de moi ?

La Statue : Je suis le désert qui se récite grain par grain. Jour après jour.

Marie : J’pense que je vais prendre des calmants.

MadeLeine : J’en ai marre de boire.

Marie : C’est toujours pareil. Y a jamais rien qui change. Moi qui pensais que j’ferais mieux que ma mère.

La Statue : Qui ça, moi ?

Marie : Je ne suis pas rendue beaucoup plus loin qu’elle.

MadeLeine : Qu’est­ce que tu voudrais qui change ?

Marie, en riant : Et nous vîmes les victimes se mettre à penser.

Elles quittent leur lieu respectif pour aller vers un lieu neutre et chantent ensemble.

ChanSon d’erranCe

Si cette chanson vous semble

Paroles tristes et amères

Voix de grandes désillusions

Mots de pertes et de défaites

Prenez pitié de nous

Prenons pitié de vous

La vérité est en exil

La beauté loin en péril

L’amour est très malade

Nous sommes à la recherche

De nos corps, de nos cœurs, de nos têtes

Nous voilà à demi vivantes

Femmes tues, femmes battues

La pièce Les fées ont soif a été portée sur scène pour la première fois en 1978 au Théâtre du Nouveau Monde, dans une mise en scène de Jean-Luc Bastien. Louisette Dussault, Michèle Magny et Sophie Clément ont été les premières actrices à incarner les personnages mythiques de cette œuvre iconoclaste de Denise Boucher, qui a fait scandale.

Aliénées, outragées

Toutes passions brûlées, et la douce

Pénélope a son voyage

Nos amants ahuris pâlissent

Nos mères détournées de leurs corps

Nous ont privées de nos trésors

Nos mains font le plein dans des vides

Les vagues meurent pour rien sur nos seins

Si cette chanson vous semble

Paroles tristes et amères

Voix de grandes désillusions

Mots de pertes et de défaites

Prenez pitié de nous

Prenons pitié de vous

Nous sommes des femmes égarées

Folles, démentes, étrangères

Que faisons-nous sur cette terre Violente et scandaleuse ?

Est-ce qu’on peut changer une destinée ?

Les fées ont soif, Éditions Typo, 2008 [1978], p. 17­21. Cet extrait a été reproduit aux termes d’une licence accordée par COPIBEC.

210 chapitre 5
25 30 35 40 45 50 55 60 65 70 75

atelier d ’ analyse

Exploration

1. Identifiez les répliques qui soulignent la stagnation des personnages féminins, dont deux ayant une connotation religieuse.

2. Deux métaphores et une comparaison faisant référence à des sons sont employées par les personnages dans la première partie de l’extrait. Repérez-les et décrivez ce qu’elles évoquent.

3. Que suggère le fait que « les victimes se mettent à penser » ?

4. Quelles sont les significations possibles de la métaphore de l’errance qu’on trouve dans la chanson située à la fin de l’extrait ?

5. En vous basant entre autres sur le choix et l’utilisation des pronoms, décrivez comment cette chanson permet d’illustrer que les personnages comprennent peu à peu la nature collective de leur aliénation.

Rédaction

Peut-on dire que cet extrait permet d’entrevoir une libération pour les trois personnages ?

j oV ette MarchessaU lt (1938-2012)

Jovette Marchessault naît en 1938, à Montréal, dans une famille ouvrière. Bien qu’elle soit toujours restée très vague à ce sujet, elle aurait des racines innues. Artiste féministe autodidacte, elle se fait connaître par la peinture et la sculpture au cours de la décennie 1970. Une trentaine d’expositions lui sont consacrées dans plusieurs grandes villes du monde. Puis, elle se tourne vers l’écriture. Au cours de sa carrière, elle signe des romans, des poèmes, des articles, endosse les rôles d’éditrice (Squawtach Press) et de professeure de théâtre (UQAM), mais elle sera surtout reconnue pour sa dramaturgie qui lui vaudra plusieurs prix d’envergure. Ses textes seront portés sur la scène dès 1979, notamment par le Théâtre du Nouveau Monde, le Théâtre expérimental des Femmes et le Théâtre d’Aujourd’hui.

L’ensemble de l’œuvre de Marchessault est traversé par son amour des femmes et sa volonté de faire vivre leur mémoire et leur culture. S’y retrouvent ainsi souvent des figures féminines phares du passé, des écrivaines plus particulièrement, telles Laure Conan, Germaine Guèvremont, Gabrielle Roy et Anne Hébert, protagonistes de sa pièce La saga des poules mouillées (1981), dont l’improbable rencontre permet de penser l’aliénation vécue par les créatrices et d’espérer son dépassement.

Triptyque lesbien (1980), recueil de trois courts textes, se présente quant à lui comme une célébration de la solidarité et de l’amour entre femmes. Marchessault y dénonce les contraintes imposées au corps et au désir féminins, ainsi que la distance qu’instaure le patriarcat entre mères et filles, donc entre femmes. Elle montre aussi que, lorsqu’il n’est plus soumis aux interdits que font peser sur lui l’Église et le patriarcat, le couple mère-fille peut devenir un modèle de solidarité féminine, l’assise d’un monde nouveau.

Les vaches de nuit, deuxième volet de cette trilogie, a été présenté sur scène pour la première fois en 1979 par Pol Pelletier, qui l’a joué ensuite pendant 40 ans. Prenant la forme d’un monologue métaphorique, il est narré par une génisse racontant le dur quotidien de sa mère. Le soir venu et la loi des hommes endormie, une incroyable métamorphose s’opère néanmoins. La vache laitière, libérée de ses chaînes, emmène sa fille vers une communauté de mammifères femelles, présidée par des corneilles porteuses de mémoire. Revêtant les apparences d’un sabbat de sorcières, cette assemblée où nul sortilège ne se déploie, offre à toutes un espace pour se dire, se souvenir, se célébrer, se revaloriser, se mettre au monde.

ÉcritUre et eNGaGeMeNt 1960 À 1980 211

Les vaches de nuit (1980)

Extrait 1

Ma mère est une vache. Avec moi, ça fait deux. De belles vaches laitières, beurrières, créatrices de ces doux océans de lait magnétique qui circule dans le corps des humains. Du beau bétail brun, comme ils disent quelquefois. Toutes les vaches, sans discrimination de races, de poids, de couleurs, sont castrées en bas âge. Pourquoi ? Parce que tout ce beau bétail brun, à quelques exceptions près, est nymphomane. Ma mère a beau brouter de l’eau bénite et de l’eau de vaisselle à journée longue, rien à faire, la tare ancestrale est en elle, comme en nous toutes.

Au bas de l’échelle de l’infini, les vaches ! Damnées vaches !

Ma mère est une vache, une race d’abondance. Ma mère est une bête de rente, un capital fixe que l’on a intérêt à entretenir aussi longtemps que dure sa régularité.

Le jour, la conformation générale de ma mère possède toutes les formes de la femelle. En vache bien faite, ma mère a des hanches écartées, des sécrétions mammaires abondantes, la fesse longue, le bassin large, la poitrine profonde, le sacrum saillant. Dans l’ensemble son corps est long et étoffé. Son œil est limpide et doux, doux, doux, sa tête inclinée, ses oreilles petites. Bref, tout ce qui est l’indice d’un caractère tranquille et soumis. Il est aussi primordial qu’elle marche à quatre pattes. […]

Moi, la génisse, la vachette, ça fait assez longtemps que j’observe ma mère pour vous dire à quel moment précis commence l’heureuse métamorphose d’une vache de jour en vache de nuit ! Ça commence quand le soleil se couche et que le nocturne se met à circuler librement dans les vieilles cuisines de nos maisons. Tout le monde au lit ! Tout le monde dort ! […]

Et nous partons !

212 chapitre 5
[...]
5 10 15 20 25 30
Pol Pelletier a été la première adaptatrice, metteure en scène, scénographe et actrice de la pièce Les vaches de nuit, qu’elle considère comme l’un des plus puissants textes jamais écrits sur la condition féminine. Elle l’a joué autour du monde pendant près de 40 ans.

Et nous allons ailleurs, jubilation pour le corps, farine pour la faim, air pour nos poitrines et nos veines, nous allons ailleurs, vers notre nuit de vaches grasses. Et nous montons de plus en plus haut dans les cycles du ciel. L’une à côté de l’autre, l’une tournée vers l’autre, portant à la cicatrice de notre mutilation, le désir de voyager ensemble au­delà des souterrains de notre temps de jour dans les vieilles cuisines. Ce désir éclatant est resté indompté et nous ouvrons en nous des espaces de douceur. Bercements d’extases ! Balancements millénaires qui nous élancent en dehors de l’éclipse du quotidien des abattoirs.

Voici que nous sommes toutes nues dans nos robes, dans la chair de nos robes de nuit, dans l’embrasement de nos poils. Fille, mère, mère, fille, la hiérarchie s’en va faire un tour ailleurs quand les vaches de nuit se bercent dans les lacs de la tendresse en sueur.

Et nous partons ! Et nous volons vers notre rendez­vous dans la voie lactée.

Extrait 2

Ici, entre chienne et louve, tout est dit, tout doit se dire ! La fumée monte, les corneilles allument une autre pipe de maïs et racontent, racontent encore. Chaque nuit, quelqu’une se lève, pendant que les dames corneilles bourrent leurs pipes. Quelqu’une se lève, pour se raconter à son tour, quand la souvenance lui est rendue. Quelquefois, c’est une baleine qui dit l’extermination ! Quelquefois, c’est une bisonne qui dit les massacres, les tueries ! Ou une brebis, pour dire le sacrifice, ou une ânesse, pour dire

atelier d ’ analyse Exploration

1. Que veut dire la narratrice quand elle affirme métaphoriquement que sa mère « a beau brouter de l’eau bénite et de l’eau de vaisselle à journée longue, rien à faire, la tare ancestrale est en elle, comme en nous toutes » (l. 8-11) ?

2. Comment le portrait que fait la narratrice de sa mère en vache de jour suggère-t-il l’asservissement des femmes ?

3. Relevez le vocabulaire appréciatif employé par la narratrice dans sa description du voyage qu’elle fait en compagnie de sa mère une fois la nuit tombée. À quel(s) champ(s) lexical(aux) appartient-il ?

les coups de fourche au ventre. Ou une oursonne, une mammouth enfant, une chauve­souris qui disent la colère furieuse. La disent, la jappent, la hurlent, la croassent, la glapissent, la pleurent, la chantent. Pour qu’enfin le temps des femelles ne soit plus ainsi qu’une brume errante, une minute de silence dans leurs mémoires.

Et les plus maudites d’entre les maudites, se relèvent peu à peu de l’imprécision et de l’inexistence.

Comme le temps passe vite à s’écouter parler le cœur dans la voie lactée ! À peine le temps de commencer à comprendre que le soleil menace déjà de se lever ! Que ceux d’en bas menacent déjà d’enquêter sur les bruits joyeux qu’ils ont entendus toute la nuit, sur leur tête. On se quitte dans un dernier galop, le temps de reconduire les corneilles dans leurs dortoirs et chacune est en route vers son perchoir, sa vieille cuisine, sa mare de boue, sa parcelle d’espace. Au revoir ! Ce n’est qu’un au revoir mes sœurs. Oui, nous nous reverrons !

De tant s’aimer, de tant espérer, de tant s’enseigner la conscience et la fierté chaque nuit, chaque vache de nuit, je sais qu’on se rapproche du moment où cette terre promise nous sera rendue et qu’alors, alors, dans un moment de reconnaissance, dans un cri de passion, nous la nommerons autrement.

« Les vaches de nuit », Triptyque lesbien, Éditions de la pleine lune, 1980, p. 83­87, 93­94. Cet extrait a été reproduit aux termes d’une licence accordée par COPIBEC.

4. Dans le second extrait, les corneilles et les mammifères se rencontrent pour se raconter et s’écouter pour « qu’enfin le temps des femelles ne soit plus ainsi qu’une brume errante » (l. 13-14). Que signifie cette comparaison ?

5. Dans cet extrait, de quelle chanson populaire l’autrice détourne-t-elle le titre afin d’exprimer l’espoir en la solidarité féminine ?

Rédaction

Peut-on dire que les figures féminines présentes dans ce texte sont plus libres qu’aliénées ?

ÉcritUre et eNGaGeMeNt 1960 À 1980 213
35 40 45 50 5 10 15 20 25 30

enrésumé 1960 à 1980

l ’ É poque

Dans le monde

1963 Assassinat de John Fitzgerald Kennedy

1968 Assassinat de Martin Luther King

Événements de Mai 1968 en France

1965-1975 Guerre du Viêtnam

1975 Année internationale de la femme

Au Québec 1960 Élection du Parti libéral de Jean Lesage

1967 Expo 1967

1970 Crise d’Octobre ; Loi sur les mesures de guerre

1976 Jeux olympiques de Montréal

1re élection du Parti québécois

1977 Charte de la langue française (loi 101)

1980 Référendum sur l’avenir du Québec

l es id É ologies

Indépendantisme Volonté de faire du Québec un pays

Décolonialisme Militantisme pour la libération des colonies de leurs tutelles européennes

Militantisme pour la libération des Premières Nations de la tutelle du gouvernement fédéral

Socialisme Anticapitalisme / Répartition équitable de la richesse

Féminisme Militantisme pour les droits des femmes

Condition féminine

1961 Claire Kirkland-Casgrain, 1re femme députée provinciale

1964 Égalité juridique des femmes mariées

1966 Création de la Fédération des femmes du Québec

1967 Commission Bird sur la situation des femmes au Canada

1973 Création du Conseil du statut de la femme

Syndicalisme Militantisme contre les disparités salariales et les mauvaises conditions de travail

Condition autochtone

1960 Droit de vote aux élections fédérales

Rafles des enfants autochtones dans les réserves (1960-1980)

1969 Droit de vote aux élections québécoises

la litt É rature

Courants La poésie du pays et les récits de la contestation

Représentants

Poésie : Gérald Godin, Michèle Lalonde, Gaston Miron

Chanson : Félix Leclerc, Gilles Vigneault

Roman : Hubert Aquin, Gérard Bessette, Marie-Claire Blais, Réjean Ducharme

Récit autobiographique : An Antane Kapesh, Claire Martin

Thèmes Pays, beauté du territoire ; identité, aliénations, engagement, solidarité, espoir ; liberté ; contestation des institutions

Caractéristiques formelles Je, nous, tonalités lyrique, polémique et ironique ; mise en scène de l’écriture ; inventivité verbale ; écriture autobiographique

La langue en question

Essai : Jean Paul Desbiens

Théâtre : Michel Tremblay

Monologue : Yvon Deschamps

Poésie : Denis Vanier, Josée Yvon

La littérature féministe

Poésie : Nicole Brossard, France Théoret

Roman : Louky Bersianik

Théâtre : Denise Boucher, Jovette Marchessault, Pol Pelletier

Essai : Hélène Pedneault

Joual ; aliénations, milieux populaires, contestations ; révolte contre les institutions

Joual, anglicismes ; innovations formelles au théâtre, tragi-comédie, monologue, chœur ; esthétique contre-culturelle ; tonalités polémique et ironique

Féminisme, révolte contre le patriarcat, les institutions et les modèles de féminité traditionnels ; liberté, corps, sexualité, lesbianisme, intimité ; rapport mère-fille ; langue normative

Formalisme ; écriture subversive, langue crue, forme éclatée ; je, nous ; innovations formelles au théâtre, monologue, chœur ; tonalités polémique, satirique, ironique, lyrique

216 chapitre 5

Annexe

exemple de dissertAtion critique diAlectique

La dissertation critique est un exercice qui demande que l’on adopte un point de vue sur un sujet invitant à peser le pour et le contre d’une question (dissertation critique dialectique), ou encore à comparer deux personnages, deux thèmes, voire deux textes pour en dégager les ressemblances et les différences (dissertation critique analogique).

Dans les deux cas, il s’agit de défendre sa position en présentant un argumentaire structuré, clair et convaincant, tout en s’appuyant sur des passages tirés du ou des textes à l’étude, que l’on analyse minutieusement tant sur le plan du contenu (thèmes, propos, idées, vision du monde, etc.) que de la forme (genre, style, procédés d’écriture, etc.). On doit donc faire appel à ses connaissances littéraires, mais aussi, le cas échéant, à ses connaissances sociohistoriques et culturelles. Que le libellé du sujet se présente sous forme interrogative ou affirmative, la démarche reste la même : on doit opposer deux idées (le pour et le contre ou les ressemblances et les différences) dans deux premiers paragraphes pour trancher dans un troisième.

À l’Épreuve uniforme de langue d’enseignement (EULE), c’est ce type de travail qui doit être réalisé et réussi pour fins de diplomation.

Libellé du sujet : Est-il exact d’affirmer que le jeune immigrant costaricain vit positivement sa transplantation à Montréal dans la nouvelle « Gris et blanc » de Monique Proulx ?

Sujet amené

On peut amener le sujet en le situant dans son contexte : 1) sociohistorique, 2) littéraire ou 3) biographique (en lien avec l’autrice ou l’auteur).

Sujet posé

Sujet divisé (annonce des idées principales)

La littérature des années 1980-1990 au Québec voit l’émergence d’un grand nombre d’écrivains immigrants dont les œuvres abordent des thèmes tels que l’exil, le choc des cultures et l’identité culturelle. Au même moment, des écrivains originaires du Québec développent aussi un intérêt pour ces problématiques. C’est le cas de Monique Proulx qui, dans « Gris et blanc », une nouvelle épistolaire tirée de son recueil intitulé Les aurores montréales (1996), met en scène un jeune immigrant costaricain décrivant sa transplantation à Montréal, une expérience pour lui à la fois positive et négative. Si sa condition économique s’améliore quelque peu, le narrateur semble toutefois aux prises avec certains problèmes d’adaptation à son nouvel environnement. Néanmoins, les découvertes enthousiasmantes que fait le garçon en terre d’accueil ont raison de ses résistances.

Idée principale

Idée secondaire

Preuve ou citation

Énumération intégrée à la phrase, précédée d’un deux-points

La référence est placée directement après la citation, entre parenthèses

Explication

Tout d’abord, la vie montréalaise est marquée par une certaine aisance matérielle qu’apprécie le narrateur. Il semble en effet satisfait, voire fier des commodités offertes dans le nouvel appartement, pourtant petit, qu’il occupe avec sa famille : « un sofa, un matelas neuf, deux tables, quatre chaises droites presque de la même couleur et un réfrigérateur merveilleux qui pourrait contenir des tortillas en grand nombre » (l. 3-5). Cette énumération suggère l’impression agréable d’abondance qu’il ressent. Le jeune garçon emploie aussi

298 Annexe

plusieurs adjectifs mélioratifs (« neuf », « droites », « merveilleux ») pour décrire cet ameublement qui, comprend-on, diffère de celui que devait contenir sa demeure plus humble de Puerto Quepos. Il se montre plus particulièrement admiratif devant les dimensions du réfrigérateur, mais également du poêle, qu’il qualifie lui aussi de « merveilleux » (l. 4, 15). En outre, le narrateur a accès à une meilleure alimentation que celle dont il devait se contenter dans son pays natal, lui qui s’extasie devant les « morceaux de bœuf énormes » goûtés récemment, « d’une tendreté comme il n’y en a pas à Puerto Quepos » (l. 39-40). Encore une fois, il évoque la quantité et la qualité des produits qui sont désormais à sa portée et dont il était privé au Costa Rica où sa famille, semble-t-il, ne pouvait se procurer ce genre de denrées. Ainsi donc, sur le plan matériel, tant en ce qui a trait au logement qu’à l’alimentation, le jeune Costaricain paraît heureux de s’être installé à Montréal.

Toutefois, le narrateur ne s’accommode pas parfaitement de son nouvel environnement. Il a par exemple du mal à s’acclimater aux températures hivernales. À son destinataire, il explique ainsi : « il fait froid comme tu ne peux pas imaginer même si c’est seulement novembre. En ce moment, j’ai trois chandails en laine de Montréal sur le dos, et mamà se réchauffe devant la porte ouverte du four » (l. 12-15). Pour cet immigrant venu d’un pays où il fait toujours chaud, le froid est si effarant qu’il peine à le qualifier. Cette température inimaginable, il ne peut donc la décrire qu’à l’aide d’exemples de la manière dont lui et sa mère tentent de s’en protéger. De plus, il déplore l’aspect terne de la ville. À plusieurs reprises, il emploie l’adjectif « gris », qui lui apparaît même comme « la couleur nationale » (l. 42), pour brosser le portrait de la métropole contenant « beaucoup d’asphalte et de maisons grises » (l. 7-8). L’école qu’il fréquente est également « grise avec une cour en asphalte grise et un seul arbre » (l. 28-29). Il ajoute que la « mer de Montréal [le fleuve Saint-Laurent] est grise et tellement moderne qu’elle ne sent pas les choses vivantes » (l. 22-23). La mention de l’arbre unique et chétif de la cour de son école, de même que celle de l’odeur de l’eau, renvoient l’image d’un environnement dénué de vie et peu attrayant. Bref, tant à cause du climat que du paysage urbain, le jeune narrateur éprouve des difficultés à s’adapter à sa terre d’accueil.

Mais en définitive, la vie à Montréal procure surtout au jeune immigrant de nouvelles sources d’émerveillement. Il est, d’une part, fortement impressionné par la profusion de marchandises proposées dans les magasins :

Citations mises entre parenthèses Idée secondaire

Preuve ou citation

Citations courtes fondues ou intégrées à la phrase

Explication

Conclusion partielle (synthèse de l’idée principale et des idées secondaires)

Citation en discours rapporté direct

exemple de dissertAtion critique diAlectique 299

Citation longue placée en retrait, précédée d’un deux-points

Si tu voyais ces magasins, Manu, ils ont des magasins que tu dirais des villages en plus civilisé et en plus garni, tu peux marcher des heures dedans sans avoir le temps de regarder tous les objets merveilleux que nous achèterons une fois rendus plus loin dans le chemin vers la richesse. (l. 43-47)

La comparaison entre les magasins et les villages, associée à l’hyperbole « tu peux marcher des heures dedans sans avoir le temps de regarder tous les objets » illustrent l’ébahissement du narrateur devant l’abondance matérielle perceptible dans les commerces de sa ville d’adoption. Il se promet d’ailleurs d’acquérir éventuellement de nombreux objets « merveilleux », adjectif encore une fois répété et qui évoque clairement son émerveillement. D’autre part, la chute de la nouvelle montre le garçon complètement ébloui par la splendeur virginale de la neige, qu’il aperçoit pour la première fois de sa vie aux côtés de sa mère, alors qu’ils restent « tous les deux à regarder dehors en riant comme des êtres sans cervelle » (l. 51). Le plaisir de cette découverte est en outre décuplé par le rôle qu’il prête à cette « beauté blanche qui tombait à plein ciel, absolument blanche partout où c’était gris » (l. 52-53). La neige, désignée par la périphrase méliorative « beauté blanche », vient en effet masquer l’aspect terne de la ville déploré par le narrateur. Ainsi, Montréal, avec ses magasins immenses, et surtout lorsqu’elle est recouverte par la neige, se présente pour lui comme un lieu fascinant.

Rappel de la position adoptée

Synthèse de l’argumentation :

Idées principales et idées secondaires dans l’ordre dans lequel elles ont été développées.

Élargissement du sujet ou ouverture

On peut 1) proposer un nouveau lien au contexte sociohistorique, littéraire ou biographique de l’auteur ;

2) établir un lien avec une autre œuvre de l’auteur étudié ou d’un autre auteur ;

3) proposer une nouvelle piste de réflexion sur le texte à l’étude.

Somme toute, le jeune immigrant costaricain de la nouvelle de Monique Proulx vit plutôt positivement son installation à Montréal, d’abord en raison du bien-être matériel qu’il y gagne, en matière d’habitation comme d’alimentation. S’il rencontre par ailleurs quelques difficultés d’acclimatation à son nouvel environnement à la fois nordique et urbain, le sentiment positif d’émerveillement devant la vastitude des magasins et, plus que tout, devant la neige, pour lui d’une grande beauté, l’emportent. Cohabitant avec ce récit, le recueil de Monique Proulx comprend d’autres nouvelles épistolaires écrites par des personnages en exil, dont « Jaune et blanc », narrée par une immigrante chinoise qui, elle aussi, écrit à un être cher resté dans son pays natal pour lui parler de son adaptation à la société montréalaise.

300 Annexe
Citation intégrée à la phrase

DE LA LITT RATURE

PANORAMA QU B COISE

Cet ouvrage propose un portrait renouvelé de notre histoire littéraire par le biais de grands classiques et d’œuvres moins connues. Les textes choisis témoignent non seulement de préoccupations actuelles mais contribuent aussi à mettre en valeur des voix qui par le passé ont été trop souvent négligées, entre autres celles des femmes, des Autochtones et des communautés culturelles.

UN REGARD NEUF ET INCLUSIF SUR LA LITTÉRATURE QUÉBÉCOISE

Cette anthologie offre :

• une centaine d’extraits, accompagnés d’autant de nouveaux sujets de dissertation critique, pour bien préparer à l’épreuve uniforme de français ;

• des biographies d’autrices et d’auteurs et des mises en contexte étoffées des extraits à l’étude ;

• des contextes sociohistoriques et littéraires approfondis qui permettent une meilleure compréhension des œuvres ;

• des tableaux synthèses qui résument les principales caractéristiques des périodes, des courants et des genres à l’étude ;

• une iconographie riche et propice à stimuler la réflexion sur les textes et leurs enjeux.

Sur maZoneCEC, accédez à l’ouvrage en format numérique (PC, Mac, Chromebook et iPad) ainsi qu’aux contenus suivants :

• plus de 300 exercices interactifs et autocorrectifs ;

• guide méthodologique ;

• ateliers supplémentaires d’analyse et de rédaction sous forme de fiches reproductibles en format PDF et Word ;

• corrigé de tous les ateliers d’analyse ;

• hyperliens vers des contenus multimédias.

AUTRICE ET AUTEUR

Julie Brunet est diplômée de l’Université du Québec à Montréal et de l’Université Laval. Professeure de français et de littérature au Collège Lionel-Groulx depuis 2006, elle se spécialise en études québécoises et féministes.

Éric Montpetit est diplômé de l’Université de Montréal et de l’Université McGill. Professeur de littérature et de cinéma au Collège Lionel-Groulx depuis 1997, la culture québécoise est son domaine de spécialisation.

CODE DE PRODUIT : 224137

ISBN 978-2-7662-0876-0

2,27 cm 1,25 cm 1,25 cm 2,27 cm 2,27 cm 2,27 cm RÉFÉRENCE DIMENSIONS POSITIONNEMENT

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