Une foule d'histoires - Pour les fins et les fous, 4e secondaire

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recueil d e textes4

activités incluses

Louise Roy Emanuele Setticasi

Monologue de Louis-José Houde Le divorce ............................................................................. 4

Nouvelle de Suzanne Myre Film d’horreur 18

Nouvelle de Corey Ford Alors, comme je disais 32

Chronique de Stéphane Laporte La dictature de l’instantanéité ........................................... 46

Bande dessinée de Stéphane Dompierre et Pascal Girard Jeunauteur ......................................................................... 58

Chanson de Clémence DesRochers La robe de soie 72

Textes narratifs – Exercice de style de Robert Soulières Ding, dong ! ........................................................................ 80

Monologue de Raymond Devos Ça peut se dire, ça ne peut pas se faire ............................ 94

Pièce de théâtre de Molière Le Bourgeois gentilhomme 104

Pièce de théâtre de Norman Frederick Simpson Néanmoins, par plaisir 114

Monologue de Martin Matte Mon frère ......................................................................... 132

Table
des matières

Le divorce

Une foule d’histoires pour les fins et les fous

LOUIS-JOSÉ HOUDE

Jen famille. J’aimaisvoir mes parents opérer,J gérer les activités. J’aime beaucoupobserver les couples, leur mécanique.

Louis-José Houde est un humoriste québécois né en 1977 à SaintApollinaire. Diplômé de l’École nationale de l’humour en 1998, il se fait remarquer par son débit extrêmement rapide et sa présence sur scène. Son humour moqueur fait qu’il remplit rapidement les salles. Il présente son premier spectacle solo en 2002. Son succès a été récompensé de nombreuses fois lors du gala Les Olivier.

Louis-José Houde travaille régulièrement à la télévision en tant qu’animateur. Comme acteur, on a pu le voir au grand écran dans Bon Cop, Bad Cop, De père en flic et Le sens de l’humour. Il possède également une formation de musicien. Il joue d’ailleurs de la batterie lors de ses spectacles pour divertir son public pendant l’entracte.

Du même auteur…

Mets-le au 3 ! (2007) Suivre la parade (2010)

J’aime les couples mariés depuisvingt ans, trente ans, quaranteJ’aime ça, les vieux couples. Uncouple qui mange… et qui s’embrassela bouche pleine. Ah ! pour moi,c’est l’ultime complicité. Quandtu t’embrasses la bouche pleine,c’est pour la vie ! C’est la bonne,agrippe-la.

Bon Cop, Bad Cop, Éric Canuel (2006)

De père en flic, Émile Gaudreault (2009)

Le sens de l’humour, Émile Gaudreault (2011)

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opérer, beaucoup mécanique.

À propos de Le divorce

« Le divorce » est un monologue portant sur un événement de la vie personnelle de Louis-José Houde, soit la séparation inattendue de ses parents. L’humoriste prend une situation malheureuse et en explore les facettes qui la rendent amusante. C’est l’art de voir le côté positif de la vie. L’humour a une fonction thérapeutique : celle de désamorcer un drame. Peut-être vaut-il mieux en rire qu’en pleurer… C’est le parti que prend Louis-José Houde pour aborder le thème du divorce.

depuis quarante ans. Un s’embrasse moi, ça Quand pleine, bonne,

Il ne faut pas oublier que les monologues sont écrits pour être dits en spectacle, donc qu’ils contiennent des marques d’oralité. « Le divorce » fait partie du livre Suivre la parade, qui regroupe les monologues de la tournée de spectacles qu’a faite LouisJosé Houde de 2007 à 2010. Même si ce monologue a été édité pour être lu, les marques d’oralité y demeurent bien présentes. À lire à voix haute si possible !

J’aimais
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Une foule d’histoires pour les fins et les fous

Pour se préparer à la lecture

Après avoir lu les textes des pages précédentes, réponds aux questions suivantes.

Lorsque les humoristes racontent des histoires personnelles, crois-tu que leurs récits sont totalement véridiques ? Explique ta réponse.

Tu connais sûrement Louis-José Houde. Que penses-tu de cet humoriste ? Comment expliques-tu son succès ?

On entend parfois certaines personnes dire que les humoristes massacrent la langue française. Que penses-tu de cette affi rmation ? Crois-tu que cette critique s’applique à Louis-José Houde ? Explique ta réponse.

Pourquoi le divorce affecte-t-il les enfants même lorsqu’ils sont adultes ?

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Le divorce

LOUIS-JOSÉ HOUDE

Jem’ennuie des vacances en famille. J’aimais voir mes parents opérer , gérer les activités. J’aime beaucoup observer les couples, leur mécanique. J’aime les couples mariés depuis vingt ans, trente ans, quarante ans. J’aime ça, les vieux couples. Un couple qui mange… et qui s’embrasse la bouche pleine. Ah ! pour moi, ça c’est l’ultime complicité. Quand tu t’embrasses la bouche pleine, c’est pour la vie ! C’est la bonne, agrippe-la.

1. Le verbe opérer est-il employé dans son sens premier ? Quel est ce sens ?

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Des couples qui partent de chez des amis en fin de soirée, qui arrivent dans l’entrée, mettent les claques, le béret, les manteaux et recommencent à jaser dans la porte pendant une demi-heure… Non ! C’est fini ! C’est fini, vous êtes dans la porte ! Vous êtes disqualifiés comme visite !

2. a) Trouve trois mots de la même famille que jaseux. b) Quel procédé est utilisé pour former le mot jaseux ? Donne un autre exemple de ce procédé.

3. Que fait un plaisantin ?

4. a) Quel mot de la langue soutenue pourrait remplacer le mot cool ? b) Le mot cool a-t-il le même sens dans l’expression Un spectacle cool ? Explique ta réponse.

Mes parents : très jaseux de porte, très drôles, des parents parfaits, très ouverts d’esprit. Et leur ouverture d’esprit a eu un impact direct sur ma vie. Oui, c’est grâce à eux si je fais ce métier. Parce que je n’étais pas vieux quand j’ai décidé que je voulais entrer dans une école d’humoristes, et j’avais surtout… comment on dit ça, donc ? Ah oui ! Pas une cenne ! Et quand tu as dix-huit ans et que tu annonces à tes parents : « J’ai une idée pour ma vie… Je me verrais être plaisantin ! », ce n’est pas tout le monde qui dit : « Bonne idée, le gros ! » Mais ils ont été très cool, très ouverts. J’avais dix-neuf ans, je venais de faire le recensement… et le lapin de Pâques dans un Jean Coutu… Bref, ça allait mal. Je suis arrivé dans le salon : – OK, là, je suis sérieux. Je veux entrer à l’École nationale de l’humour.

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Ils ont répondu :

– Tu sais quoi ? Parfait. C’est ça que tu veux faire ? Go, on t’aide. Combien ça coûte ?

J’ai dit : – Sept mille piasses.

5. Remplace l’anglicisme Go par une expression française.

Ils ont ajouté : – Tu sais quoi ? On te verrait vraiment en sciences humaines… On te dit ça de même…

Et ils m’ont toujours encouragé, encore maintenant. Maintenant, c’est un peu plus compliqué parce qu’ils ont divorcé. Récemment. Après trente-six ans d’union. Trente-six ans, ce n’est plus une relation, c’est une tradition. Ils étaient plus vieux que La semaine verte à Radio-Canada !

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Une foule

pour les fins et les fous

Ce que je trouve triste, ce que je trouve dommage làdedans, c’est de se séparer à soixante ans. De divorcer… rendu à soixante ans. Il me semble que quand tu fais le trajet QuébecMontréal, tu ne t’arrêtes pas pour pisser à Longueuil… Tu fais un effort pour te rendre jusqu’au bout !

[…] – Louis-José, c’est ton père. Écoute, il faut que je te parle, c’est très sérieux, c’est très important. Es-tu bien assis ?

– Oui…

– Écoute, ta mère et moi, on va se séparer. Et moi, je réponds :

– En combien ?

Tellement je ne comprends pas de quoi il parle… Il me sort le mot « divorcer ». Oh… On dirait que j’ai compris, là. Première question, très simple :

– Pourquoi ?

– Ça marche plus, on n’a plus les mêmes intérêts.

– OK, mais vous avez soixante ans. Plus les mêmes intérêts ? Ça veut dire quoi ? Toi, t’es rendu dans le body piercing ?

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Elle, elle remonte des chars ? Ça marche plus ?

J’ai ajouté :

6. Remplace le québécisme chars par un terme moins familier.

– Est-ce que je peux te demander comment ça va, mais surtout, comment ça s’est fait ? Comment ça s’est passé ?

– Ah… Un p’tit coup sec !

On s’est mis à rire. Ça allait. Mais des fois, le rire n’est pas loin des larmes. C’est deux émotions qui se mélangent assez facilement. Je me suis mis à pleurer. Heille là, woh ! Je ne pleurais pas super fort […].

7. Rédige la phrase Heille là, woh ! dans un registre de langue plus soigné.

8. Relève une métaphore dans les lignes 83 à 89 et explique-la.

9. Le mot Christie a-t-il un sens mélioratif ou dépréciatif ? Explique ta réponse.

Ce que j’ai trouvé bizarre aussi après, c’est de vivre ça à vingt-sept, vingt-huit ans. Ce n’est pas plus facile quand tu es petit, mais au moins, quand tu es petit et que tes parents se séparent et se remarient, tu as un petit avantage : tu as plus de cadeaux. Heille ! J’ai trente ans ! C’est moi qui en achète le plus ! Et ma blonde, à ce moment-là, avait aussi des parents séparés et remariés, donc je me suis retrouvé avec un minibus de parents… C’est toujours la fête de quelqu’un ! Et je suis tout le temps rendu chez Stokes ! Ou chez Le Rouet. Le Rouet… Christie de magasin de cadeaux de beaux-parents !

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Ce qui est plus dur aussi quand tu vis ça à mon âge, c’est que tu as eu plus de temps pour les voir ensemble. Tu les as vus faire une grande partie de leur vie ensemble. Tu es peut-être plus attaché à eux, ensemble. Je m’ennuie de les voir ensemble. Je m’ennuie d’entendre quelqu’un appeler ma mère par son prénom. Ma mère s’appelle Angèle. Il y en a qui l’appellent Angèle, mais ce sont ses amis ou le reste de la famille, ça sonne très poli : « Angèle, bonjour, Angèle… » Mon père, il disait : « Anghhhèle ! » C’était le seul qui avait le droit d’ajouter un H inutile au milieu : « ANGHHHÈLE ». Ça sonnait bien.

Aujourd’hui, ils sont très heureux chacun de leur côté. Et même moi, je peux dire qu’il y a quelque chose que j’aime bien là-dedans. C’est que, depuis que ma mère vit seule, je me rends compte que c’est un peu moi l’homme dans sa vie… Maintenant, quand elle a besoin d’aide, elle appelle Big-L ! J’aime tellement ça, je suis son monsieur de confiance.

J’arrive là… Je visse des cossins : « C’est en Gyproc, ici ? Pas de trouble, j’ai mes outils, tasse-toi, je suis en chantier ! » Heille, je ne l’ai pas ! J’ai des brillants sur mon chandail, pensez-vous que je répare des murs ? C’est un choix que tu fais dans la vie, ça. Tu te tortilles sur une scène avec des brillants, ou tu es utile. Moi, j’ai choisi de me tortiller, je ne répare pas de murs ! Je ne monte pas de meubles non plus. L’autre jour, je lui montais une bibliothèque, ça a donné une cafetière !

10. Quel terme accepté dans la langue française pourrait remplacer la marque de commerce Gyproc ?

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Elle vit toute seule dans une grande maison et il y a toujours des petits travaux, des petites rénovations à faire. Je l’aide comme je peux. Ce n’est pas facile. On dit que, pour un couple, des rénovations, c’est souvent une source de chicane. Oui. Mais quand c’est mère et fils, c’est encore pire. Elle surveille encore plus ce que tu fais. C’est ta mère pour de vrai, celle-là ! Elle ne fait pas juste jouer à l’être… Elle est l’originale.

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Ma mère vit dans les Cantons-de-l’Est. Et moi, je loue un chalet dans le même coin. Quand je vais au chalet, souvent j’arrête chez elle, en chemin. L’autre jour, je l’appelle de l’auto :

11. Nomme deux villes que tu connais dans les Cantons-de-l’Est.

12. Remplace l’anglicisme suit par un terme français.

13. Le mot flanellette est un québécisme. Quel mot correct trouves-tu dans le dictionnaire pour le remplacer ?

– Maman, je suis en chemin. Je m’en vais au lac, je vais arrêter chez toi prendre mon suit de plongée. OK, je ne fais pas de plongée, c’était juste pour être un peu cool. J’aime que, pendant deux secondes, vous vous soyez dit : « Oh ! Louis fait de la plongée… » Non, en fait, j’allais chercher mon pyjama en flanellette. Quoi ? À la campagne, la nuit, c’est frais. Il y a brise, man, il y a brise. Je lui dis : – Maman, j’arrête deux minutes. Je viens chercher mon pyjama en flanellette.

Elle me répond :

– Ah… J’ai rien à manger ! Il y a juste une mère qui peut répondre « J’ai rien à manger » à « Je viens chercher mon pyjama en flanellette ».

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Une foule d’histoires pour les fins et les fous

Alors je lui dis :

– Non, maman, commence pas à cuisiner, je veux pas te déranger. Fais pas de repas, pas de festin, casse-toi pas la tête…

Déjà, elle n’est plus là, c’est fini, elle est partie, elle n’écoute plus, il n’y a rien à faire…

[…]

14. Comment appelle-t-on le mot qui cherche à imiter, à l’écrit, un son entendu ?

15. Explique le sens de la dernière phrase à l’aide d’une comparaison.

J’arrive chez elle, j’ouvre la porte de la maison… Ça sentait le réveillon ! Sur la table, il y avait une pièce de viande… tellement grosse qu’un vétérinaire aurait pu la réanimer ! Avec une soupe… pas une soupe, un bol de réconfort. Une fois, j’étais chez elle, ça n’allait pas super bien, elle m’a fait une soupe. Une soupe de ma mère, servie dans un bol de ma grand-mère. Je roucoulais… hrouhrour… Il n’y a rien de plus réconfortant que la bouffe de sa mère. Je suis allé souper là une couple de fois dernièrement… Je me suis abonné au réconfort maternel. J’ai une carte, je punche, café gratis prochain coup.

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© Louis-José Houde, Phaneuf Musique, Prends ton bord.
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après la lecture

Comment qualifi erais-tu l’univers créé par Louis-José Houde dans son monologue : merveilleux, fantastique ou réaliste ? Explique ta réponse.

La variété de langue utilisée par le monologuiste est parfois populaire. Trouve un exemple de chacune des caractéristiques de la langue populaire dans les lignes 16 à 34 et 66 à 91.

a) Mots considérés comme des québécismes

b) Anglicismes critiqués

c) Prononciation relâchée

Quel procédé emprunté au genre poétique Louis-José Houde utilise-t-il dans le premier paragraphe pour créer un effet d’insistance ? Que veut-il exprimer ?

a) Quelles caractéristiques de ses parents apprécie particulièrement Louis-José ?

b) Comment ses parents ont-ils aidé l’humoriste dans sa carrière ?

c) Comment l’auteur dit-il que ses parents ont quand même eu une certaine hésitation quand il leur a annoncé l’investissement que représentait son choix de carrière ?

La famille est-elle importante dans l’échelle des valeurs de Louis-José Houde ? Explique ta réponse.

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a) Dans les lignes 45 à 54, relève et explique deux comparaisons qui créent un effet comique.

b) Selon toi, quel message veut ainsi communiquer l’humoriste ? Quelle différence le monologuiste voit-il entre les conséquences du divorce des parents quand les enfants sont jeunes et quand les enfants sont adultes ? Explique cette différence.

a) Louis-José aime-t-il vraiment être devenu le monsieur de confiance (ligne 107) de sa mère ? Comment l’exprime-t-il ?

b) Sa réponse laisse croire que le métier d’humoriste est inutile. Es-tu d’accord avec cette vision de ce métier ? Pourquoi ?

a) Qui sont les gens que Louis-José Houde cite directement tout au long de son texte ? Donne un exemple de chacune de ces personnes en indiquant les lignes du texte où se trouvent ces citations.

b) Selon toi, lorsque Louis-José fait son monologue devant un public, sur quel ton joue-t-il ces personnages ?

Relève un passage du texte que tu trouves particulièrement drôle et explique ton choix.

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Alors, comme je disais COREY FORD

Jla question parce

Une

Corey Ford est un auteur américain né en 1902 et décédé en 1969. À la fois humoriste, écrivain, dramaturge et scénariste, il a publié une trentaine de livres et écrit plus de 500 textes pour des magazines et des journaux.

non seulement lesJ ne semblent pas me voir, maisils parlent à travers moi. Je nepeux jamais finir une histoire.moment psychologique, quelqu’unrenverse un verre, on sonne à laporte, voilà ma femme

Il est le créateur du personnage d’Eustace Tilley, un dandy qui tenait une chronique dans le magazine New Yorker. Corey Ford a également écrit des scénarios de films pour Hollywood dans les années 1930. Il est surtout connu dans le monde anglo-saxon, ses textes n’ayant été que rarement traduits.

Du même auteur…

Sans arrêt,

Les livres de Corey Ford sont aujourd’hui difficiles à trouver.

Les titres suivants sont en anglais :

The Gazelle’s Ears (1926)

Has Anybody Seen Me Lately ? (1958)

The Time of Laughter (1967)

Cloak and dagger, Fritz Lang, adaptation de l’un des romans de Corey Ford (1946)

ilconnaît).

que
qui, alertéepar une odeur de brûlé, se lève.
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je suis interrompu,et au moment où je crois pouvoirme faire entendre de nouveau demon interlocuteur c’est lui quicommence à me raconter une histoire(inutile de continuer la mienne,
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que gens mais ne histoire. Au quelqu’un alertée

À propos de

Alors, comme je disais

Le quotidien alimente les écrivains, c’est bien connu. Pour eux, les petits détails de la vie de tous les jours sont inspirants. Bien des humoristes exploitent d’ailleurs ces petits soucis du quotidien pour faire rire. Ils choisissent un thème des plus banals et, à partir de leurs observations, exagèrent et caricaturent les comportements de leur entourage. Le procédé fonctionne bien parce que le public arrive à s’identifier immédiatement à leur histoire.

« Ah oui, ça m’arrive à moi aussi ! » C’est ce qu’on se dit lorsque des écrivains, des cinéastes ou encore des humoristes racontent des histoires sur la vie de couple, les petites chicanes entre amis, les relations familiales, les prises de bec dans les magasins, les comportements des automobilistes dans les embouteillages, etc.

pouvoir histoire il la

Dans le texte suivant, Corey Ford décrit avec exagération une personne visiblement agacée par un certain comportement de ses proches. Le personnage s’imagine être le seul à se faire constamment interrompre lorsqu’il parle. Paranoïaque ? Peut-être. Et c’est bien cette paranoïa qui fait sourire.

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Pour se préparer à la lecture

Après avoir lu les textes des pages précédentes, réponds aux questions suivantes.

As-tu de la facilité, dans un grand groupe, à raconter une histoire sans te faire interrompre ? Y a-t-il des gens qui ont plus de facilité que d’autres pour raconter ce qui leur est arrivé ?

Quelles sont les qualités nécessaires pour être un bon conteur d’anecdotes ?

Généralement, quelle est ta réaction lorsqu’on te coupe la parole ?

Dans ce texte, le narrateur fait de l’autodérision. Quel est le sens du mot autodérision ? Donne des exemples de ce comportement.

On pourrait dire que le narrateur est un peu un « perdant ». (On utilise parfois l’anglicisme looser.)

Pourquoi les personnages de perdants sont-ils aussi intéressants dans les œuvres de fiction ?

Connais-tu d’autres personnages de « perdants » sympathiques célèbres, au cinéma ou en littérature ? Lesquels ?

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Alors, comme je disais

COREY FORD

Nonseulement les gens me regardent sans me voir : ils m’écoutent aussi sans m’entendre. Je ne peux jamais terminer une histoire parce que, lorsque j’en arrive au fait, quelqu’un renverse un verre d’eau, ou bien, la sonnette se fait entendre, ou encore, ma femme se met à sentir quelque chose qui brûle. Je passe ma vie à m’arrêter au milieu d’une anecdote. Bien sûr, dès que j’arrive à reprendre la parole, la personne à laquelle je m’adressais s’est déjà

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1. Remplace l’adjectif futile par un synonyme.

Une foule d’histoires pour les fins et les fous mise à me raconter autre chose. Je pourrais bien me raconter l’histoire à moi-même, mais ce serait un exercice futile puisque je l’ai déjà entendue.

2. Que signifie l’expression dans l’expectative ?

3. Que signifie l’expression d’un goût plus douteux ?

Il doit y avoir quelque chose dans ma voix qui déclenche les pleurs des bébés. Quand ce n’est pas cela, c’est Junior qui tire sur la manche de son père en plein milieu d’une histoire pour l’entraîner dans une discussion quasi chuchotée : « Mais c’est maintenant que j’ai envie de partir. » Quelquefois, c’est mon hôte qui doit se lever pour laisser sortir le chat ou entrer le chien, et à d’autres moments, le son d’une voiture freinant en catastrophe fait tourner toutes les têtes dans l’expectative. (Fait à noter, cela n’arrive que lorsque je tiens vraiment à ce que le public entende mon histoire. Lorsque je raconte en douce à un ami une anecdote d’un goût plus douteux, le silence tombe soudainement sur la pièce, et tout le monde m’écoute attentivement alors que je bafouille à la recherche d’une chute plus décente.)

Le problème, c’est que tout ce que je dis semble rappeler aux gens quelque chose qu’ils ont à dire, eux. Par exemple, hier soir au dîner, je me lance dans un récit hilarant à propos de mon dernier voyage dans le Maine, lorsque la femme prenant place en face de moi sent le besoin de m’interrompre pour préciser qu’elle était dans le Maine l’été précédent et me demande si je suis allé à Ogunquit parce que, bien sûr, il y a

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disais

à Ogunquit ce petit endroit – dont le nom lui échappe – mais où l’on trouve les homards les plus fabuleux. Dans son sillage, la femme assise à ma droite se rappelle ce petit commerce de Boston où l’on trouve les palourdes frites les plus délicieuses, ce qui amène bien sûr ma voisine de gauche à nous expliquer qu’on trouve les meilleures assiettes de fruits de mer à Long Island, avant que l’hôtesse n’invite tout le monde à passer au salon pour regarder la télévision.

Les femmes sont particulièrement douées pour tuer une histoire en plein milieu. Il y a, par exemple, celle qui démolit votre narration avec une sollicitude impitoyable. Elle vous interrompt sans cesse pour vous demander si votre fauteuil est confortable, si vous n’avez pas trop chaud, ou si votre cocktail est bien à votre goût. Elle balaie sans arrêt la pièce du regard et, alors que j’en arrive au point culminant de mon récit, son visage s’illumine à l’arrivée d’un couple d’amis qu’elle sent le besoin d’accueillir par des gestes enthousiastes. « Ah, Mr. et Mrs. Reeper1, vous arrivez juste à temps pour entendre George nous parler de son désopilant voyage dans le Maine. Vous ne voulez pas manquer ça. Tu veux bien recommencer depuis le début, George ? » Il s’avère que les Reeper ont déjà entendu l’histoire, mais c’est sans importance puisque j’ai moi-même perdu le fil du récit.

4. Comment, dans le contexte, une femme fait-elle preuve de sollicitude ?

1. N.d.t. Nom faisant écho au Grim Reaper (version anglaise de la Faucheuse ou personnalisation de la mort), pour renforcer l’idée des « tueurs d’histoire ».

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Il y a aussi la femme un brin nerveuse qui vous interrompt parce qu’elle entend sans arrêt des bruits inquiétants. Elle est certaine qu’il y a quelqu’un en bas, ou encore qu’elle entend une fuite quelque part, et ça, c’est si elle ne vous freine tout simplement pas dans votre envolée en levant un doigt et en chuchotant un théâtral « Vous entendez ? » Quand son mari finit par la convaincre qu’il s’agit simplement d’un radiateur qui vient de se mettre en marche, l’intérêt pour ce que vous racontiez est mort et enterré.

Un tueur d’histoire aguerri n’a même pas besoin de formuler un seul mot pour accomplir sa tâche. Il entre dans la pièce en marchant sur le bout des pieds alors que vous en êtes à mi-chemin dans votre narration, et se joint à vos spectateurs en arborant un sourire désolé, et en gesticulant de façon à vous faire comprendre qu’il ne veut surtout pas vous interrompre. Vous attendez que sa chaise arrête de grincer pour recommencer votre histoire. Il vous écoute avec un intérêt soutenu, sans vous quitter des yeux même lorsqu’il sort sa pipe de sa poche pour la tapoter doucement sur le cendrier de porcelaine avant d’y souffler une ou deux fois pour émettre un son chuintant désagréable. Vous grimacez légèrement et oubliez toute une séquence d’événements. Sans arrêter de vous fixer, il sort sa blague à tabac, remplit sa pipe et commence à vérifier ses poches à la recherche d’allumettes. Elles ne sont pas dans son veston, pas plus que dans sa veste ou ses pantalons et à force de le voir se tâter désespérément, vous craquez et lui tendez votre briquet. Votre récit est à l’eau, mais vous pouvez tout de même retirer un certain plaisir en lui grillant quelques poils de moustache.

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Les objets comme les avertisseurs ou les téléphones sont des tueurs d’histoire d’une efficacité redoutable. Un homme d’affaires avec deux téléphones sur son bureau est littérale ment imperméable même au meilleur des conteurs. À peine avez-vous bafouillé vos premiers mots que sa secrétaire passe sa tête par la porte pour annoncer à Mr. Threep2 qu’elle a la connexion avec Washington. Quand Mr. Threep en a enfin terminé avec Washington et reprend une position confortable dans sa chaise pivotante pour vous demander où vous en étiez, sa secrétaire repasse la tête dans la porte entrouverte pour lui dire que Chicago est maintenant sur la ligne. La meilleure solu tion, lorsqu’on est pris dans une pareille impasse, est de mettre son manteau et son chapeau, et d’aller trouver la première cabine téléphonique pour appeler Mr. Threep à frais virés.

Quand il s’agit de mettre fin brutalement à un récit, force est d’avouer que rien ne vaut un serveur de restaurant. Les serveurs ont un sens inné du timing qui fait l’envie de tous les tueurs d’histoire sérieux. Imaginez que vous ayez invité un client important à déjeuner et que vous cherchiez à le mettre dans l’état d’esprit idéal en lui racontant une bonne histoire que vous avez entendue pas plus tard que la veille. Juste comme vous vous mettez en train, le serveur vous ouvre un menu gigantesque en plein visage et coupe votre lien avec votre interlocuteur. Vous passez la commande et recommen cez donc votre histoire avant que le serveur ne revienne vous faire le même coup avec le menu en vous expliquant qu’il 2. N.d.t. Le mot threep est surtout utilisé au Royaume-Uni et, tantôt comme nom ou comme verbe, il fait référence à un caractère opiniâtre, têtu.

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Une foule d’histoires pour les fins et les fous n’y a plus de coquilles Saint-Jacques. À partir de ce moment, vous commencez à envoyer votre serveur chercher d’obscurs condiments à la cuisine en faisant tous les efforts pour terminer votre histoire avant qu’il ne soit de retour. Bien sûr, ce manège ne peut pas tromper longtemps la vigilance du serveur, qui se met à rôder aux alentours de votre table : il vous dérange sans cesse soit pour ajouter de l’eau dans vos verres ou pour enlever des miettes imaginaires, quand il ne verse pas carrément de la sauce hollandaise sur votre manche. Habituellement, l’arrivée de l’addition coïncide précisément avec la chute du récit.

Il ne faudrait surtout pas oublier les stoppeurs d’histoire qui vous corrigent au fur et à mesure que vous racontez. Prenons par exemple cette anecdote tordante qui m’est arrivée alors que je me rendais dans le Maine. Mon épouse aime beaucoup cette histoire et elle me demande sans arrêt de la raconter lorsque nous sommes invités à dîner.

« Allez, George, raconte la fois où nous sommes allés dans le Maine, lance-t-elle, et tout le monde devrait être attentif parce que vous allez crouler de rire. N’oublie pas de faire les accents, George. »

— Eh bien, que je débute, l’an dernier, alors qu’on conduisait vers le Maine...

— Ce n’était pas l’an dernier, George, me lance mon épouse toujours aussi serviable. C’était l’année d’avant parce que l’été dernier, nous sommes allés à Cape Cod.

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comme je disais

— Oui, enfin, nous essayions de trouver une ville appelée Simsbury...

— Sudbury, lance ma femme. Je suis certaine qu’il s’agissait de Sudbury parce qu’on allait voir les Twitchell.

— J’ai connu des gens nommés Twitchell, lance notre hôte à ce moment, et donnant par le fait même la première marque d’intérêt pour le récit. Mais ils vivaient en Pennsylvanie.

— C’était plutôt au New Jersey, fait remarquer sa femme. Et ils s’appelaient en fait Twigger.

— Continue avec ton histoire, George, insiste ma femme. Ne t’arrête pas comme ça tout le temps.

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— Alors nous nous étions égarés et à un certain moment, nous avons frappé à la porte de cette maison de ferme.

— Nous n’avons pas vraiment cogné à la porte, précise mon épouse. Nous avons klaxonné parce que le fermier travaillait au champ, tu ne te rappelles pas, George, c’était là l’élément principal de l’histoire. »

J’essaie à nouveau : « Alors, comme je disais... »

Je me rends compte à ce moment que personne ne me regarde. Tous les yeux sont tournés au-delà de moi, vers la porte, où la cuisinière opine du chef.

« Le dîner est servi, lance notre hôtesse en se levant avec empressement. Vous devez tous être affamés ! »

Un jour, j’aimerais vous raconter la chose hilarante qui nous est arrivée alors qu’on se rendait dans le Maine. J’aimerais vraiment vous raconter ce qui s’est passé alors qu’on conduisait vers le Maine. Nous nous sommes trompés de chemin et nous sommes arrêtés sur cette ferme, et le fermier a dit...

(Note de l’éditeur : Désolé de vous interrompre, monsieur Ford, mais nous n’avons plus de place.)

© 1955 by the Readers Digest Association, Inc.

© Renewed 1983 by John Stebbins and Hugh Grey.

By permission of Harold Orber Associates Incorporated. Traduit par Alain Menier, © Les Éditions CEC inc., 2013.

42 Une foule d’histoires pour
les fins et les fous

après la lecture

a) Le narrateur de cette histoire est-il participant ou omniscient ? Explique ta réponse.

b) Connaît-on le nom du narrateur ? Si oui, quel est-il ?

Trouve des indices qui révèlent que l’on est dans un univers étatsunien.

Quel est le thème principal développé dans cette histoire : l’amour, la communication, le langage ou la sociabilité ? Relève dans le premier paragraphe (lignes 1 à 12) des mots qui sont liés à ce thème.

L’univers décrit te semble-t-il réaliste ou merveilleux ? Pourquoi ?

Quel type de séquence est inséré dans les lignes indiquées ? Explique tes réponses.

a) Lignes 30 à 43 b) Lignes 76 à 88 Quelle est la différence entre le pronom vous à la ligne 165 et les autres usages de ce pronom aux lignes 70 à 88 ?

Alors, comme je disais 43
1 2 3 4 5 6
• Narrative • Descriptive • Explicative • Argumentative • Dialoguée

Dans la séquence dialoguée qui commence à la ligne 131 et se termine à la ligne 162 :

a) quel passage constitue la phase d’ouverture ? b) quelles marques graphiques révèlent qu’il s’agit d’une séquence dialoguée ?

c) combien de personnages échangent les paroles rapportées dans la phase d’interaction ? Qui sont-ils ? d) quel passage constitue la phase de clôture ?

Dans la séquence dialoguée des lignes 131 à 162, le narrateur fait un commentaire ironique qui dénote qu’il est agacé par les interruptions de sa femme. Relève ce commentaire.

Aux lignes 44 à 130, le narrateur a regroupé en catégories les personnes qui l’interrompent quand il raconte une histoire.

a) Pourquoi le narrateur pourrait-il être accusé de sexisme dans sa présentation des deux premières catégories de personnes (lignes 44 à 69) ?

b) Décris brièvement les deux catégories de femmes interruptrices d’histoire présentées par le narrateur.

c) Aux lignes 70 à 130, le narrateur décrit trois autres types d’interrupteurs d’histoire. Nomme-les et décris brièvement comment ils nuisent au narrateur d’une histoire.

44 Une foule d’histoires pour les fins et les fous
8 9 7

Qu’est-ce qui est amusant dans les extraits suivants ?

a) Lorsque je raconte en douce à un ami une anecdote d’un goût plus douteux, le silence tombe soudainement sur la pièce, et tout le monde m’écoute attentivement […] (lignes 23 à 26).

b) Votre récit est à l’eau, mais vous pouvez tout de même retirer un certain plaisir en lui grillant quelques poils de moustache (lignes 87-88).

c) La meilleure solution, lorsqu’on est pris dans une pareille impasse, est de mettre son manteau et son chapeau, et d’aller trouver la première cabine téléphonique pour rappeler Mr. Threep à frais virés (lignes 99 à 103).

d) Les serveurs ont un sens inné du timing qui fait l’envie de tous les tueurs d’histoire sérieux (lignes 104 à 106).

a) Chaque fois que le narrateur fait référence à l’histoire du Maine, que fait-il pour confirmer que cette histoire doit absolument être racontée ? Relève quatre exemples.

b) Pourquoi fait-il cela ?

Qu’as-tu trouvé d’amusant dans ce texte ?

Compare le ton de cet auteur à celui d’un humoriste monologuiste que tu connais, par exemple Louis-José Houde ou Martin Matte.

Alors, comme je
45
disais
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Nesortez pas vos mouchoirs… Ce recueil ne cherche pas à vous faire pleurer, mais plutôt à vous faire sourire. Les onze textes humoristiques qu’il propose vous surprendront. À la base, l’humour, c’est l’étonnement, l’originalité, un regard neuf sur les choses parfois les plus banales. Que ce soit dans un monologue, une chanson, une nouvelle ou une pièce de théâtre, les personnages présents dans ce recueil amusent et vivent des situations pour le moins loufoques. Ils ont tous un côté comique qui pourra sûrement vous faire penser à des gens de votre entourage. Ou alors, peut-être que certains d’entre vous se reconnaîtront dans ces caricatures… Car il arrive que l’on joue au plus fin ou qu’on ait l’air un peu fou ! C’est avec beaucoup de finesse dans l’écriture que Molière, Louis-José Houde, Martin Matte, Clémence DesRochers, Stéphane Laporte, Raymond Devos, Suzanne Myre et bien d’autres partagent leur brin folie !

Chaque texte est accompagné d’une mise en contexte et d’activités pour mieux apprécier la lecture.

Offre numérique

Pour l’animation en classe et la correction collective, utilisez le corrigé incluant le recueil de textes, version numérique, qui vous permet de projeter, d’annoter et de feuilleter le corrigé, incluant le recueil de textes en entier.

Le corrigé incluant le recueil de textes, version numérique, est offert sur clé USB ou sur abonnement à maZoneCEC.com.

Les composantes de la collection

Recueil de textes pour l’élève, version papier

Recueil de textes pour l’élève, version numérique

Corrigé incluant le recueil de textes, version papier

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