Histoire du monde

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Histoire monde du

Une histoire connectée du XVe siècle à nos jours

Pierre-Luc Brisson

Lochin Brouillard

Louis Lafrenière

François Tougas

Guillaume Tremblay

Table des matières

Introduction

Qu’est-ce que l’histoire ? Le monde comme objet historique Faire l’histoire de la mondialisation

SECTION 1: LE MONDE AVANT 1500

1 Les fondements anciens d’un monde en formation

Introduction

1.1 Le concept de civilisation et son étude dans la longue durée

1.2 Le monde méditerranéen : un carrefour des civilisations

1.2.1 L’expansion coloniale phénicienne et grecque

1.2.2 Le monde gréco-romain : un monde de cités et d’empires

1.3 La Chine : le développement d’une tradition impériale

1.3.1 Les Qin, les Han et la formation de l’État impérial chinois (IIIe siècle av. – IIIe siècle apr.)

1.3.2 Le confucianisme

1.4 L’Inde

1.4.1 L’Empire maurya et l’unification du continent indien (IVe – IIe siècles av.)

1.4.2 La naissance et la diffusion du bouddhisme

1.4.3 Les empires Kouchan et Gupta (Ier – Ve siècles apr.)

1.5 Le monde arabo-musulman

1.5.1 L’expansion de l’islam et la fondation des califats musulmans

1.5.2 La Méditerranée comme lieu de rencontre entre l’Islam et le monde chrétien

1.6 Les royaumes africains

1.7 La Mésoamérique

1.7.1 Le monde maya

1.7.2 Teotihuacan

Conclusion

En résumé

Une synthèse par les sources

Le monde à l’aube du XVe siècle : prémisses à une grande connexion

Introduction

2.1 La désintégration de l’Europe : l’émergence de la féodalité

2.1.1 De la chute de Rome à la reconstitution d’empires chrétiens

2.1.2 Le rôle politique, économique et intellectuel de l’Église dans la société

2.1.3 L’essor urbain européen et l’expansion des royaumes occidentaux

2.2 Le nouveau trait d’union : l’empire des Mongols

2.2.1 La vie nomade et les conquêtes

2.2.2 L’autorité du khan

2.2.3 Le pouvoir mongol

2.3 La Grande Peste

2.3.1 La peste et les connexions mongoles

2.3.2 Vers la Chine : les conséquences politiques de la pandémie

2.4 La Chine : entre l’ouverture et le repli

2.4.1 L’Empire ming

2.4.2 Mise en contact avec le monde de l’océan Indien : exploration ou diplomatie ?

2.4.3 Une ouverture éphémère sur le monde

2.5 L’océan Indien : un espace prospérant au rythme des connexions maritimes

2.5.1 L’origine et les caractéristiques de la route des épices

2.5.2 La transformation du monde musulman

2.6 L’Amérique

2.6.1 L’Empire aztèque

2.6.2 L’Empire inca

Conclusion

En résumé

Une synthèse par les sources

3 Une première mondialisation [1415-1540]

Introduction

3.1 Les reconquêtes et les conquêtes : les origines ibériques des conquêtes portugaises et espagnoles

III Table des matières
2

3.2 La colonisation portugaise : les explorations et les comptoirs

3.2.1 Une société plurielle

3.2.2 Des innovations rendent l’expansion possible

3.2.3 Henri le Navigateur, la soif de conquêtes, de commerce et la mise en échec de l’islam

3.2.4 La naissance d’une nouvelle économie atlantique

3.2.5 Le modèle indien : réguler et taxer le commerce afro-asiatique

3.2.6 La résistance aux Portugais

3.3 La lointaine naissance de l’Amérique d’aujourd’hui : le premier contact colonial

3.3.1 Le premier voyage de Christophe Colomb

3.3.2 Les débuts de la colonisation

3.3.3 Malintzin, Cortés et l’esclavage des femmes

3.3.4 La guerre contre l’empire des Aztèques et la conquête au Mexique

3.3.5 La conquête de l’Empire inca

3.3.6 La justification de la conquête et le débat de Valladolid

3.3.7 Comprendre le « succès » espagnol

3.3.8 L’échange colombien ou la première mondialisation

Conclusion

En résumé

Une synthèse par les sources

SECTION 2 : LA CONNEXION DE L’ESPACE

MONDIAL [1500 ‑1825]

4 Les transformations à l’échelle du globe [1500-1800]

Introduction

4.1 La revitalisation de l’économie asiatique

4.1.1 Potosí : aux sources des liquidités du marché international

4.1.2 L’argent américain inonde l’économie chinoise

4.1.3 Les routes maritimes et terrestres du commerce euroasiatique

4.1.4 La Chine des Ming et les marchands européens

4.1.5 La dynastie Qing : la fermeture de la Chine au monde extérieur

4.2 L’Afrique : un continent déstructuré face aux interventions étrangères [1500-1800]

4.2.1 Un environnement varié

4.2.2 Des sociétés multiformes

4.2.3 Interactions avec les mondes atlantique et indien

4.3 Le renouveau impérial dans le monde musulman : l’Empire ottoman, la Perse safavide et l’Inde moghole

4.3.1 La Sublime Porte ottomane

4.3.2 Le monde vu depuis la Perse

4.3.3 Gérer la différence : les empires multiethniques des Ottomans et des Moghols

Conclusion En résumé Une synthèse par les sources

5 La montée en force de pays européens : État moderne, Réforme protestante, mercantilisme et révolution scientifique [1500-1750]

Introduction

5.1 L’émergence de l’État moderne en Europe

5.1.1 La construction de l’État moderne

5.1.2 La mise en place de l’État moderne

5.2 La religion, un enjeu aux conséquences multiples

5.2.1 La Réforme protestante

5.2.2 La religion et le pouvoir politique

5.2.3 La Contre-Réforme et la guerre de Trente Ans

5.2.4 La tolérance religieuse

5.2.5 Une Église apostolique tournée vers le Nouveau Monde

5.3 La soif de l’or, le mercantilisme et les développements coloniaux

5.3.1 Le mercantilisme

5.3.2 Le colonialisme européen

5.4 Une meilleure compréhension du monde et de ses réalités physiques

5.4.1 Les croyances et la domination des savoirs antiques

5.4.2 Les premiers pas

5.4.3 L’apport de Copernic

5.4.4 La remise en question des arguments d’autorité

5.4.5 La révolution scientifique du XVIIe siècle

5.4.6 L’émergence de l’astronomie

5.4.7 La révolution scientifique et la Chine

Conclusion

En résumé

Une synthèse par les sources

IV Table des matières

Produire et s’enrichir : l’esclavage

Introduction

6.1 L’esclavage moderne

6.1.1 Ce que signifie être esclave

6.2 La mise en place du système esclavagiste moderne

6.2.1 Le laboratoire de São Tomé : plantation sucrière et commerce triangulaire

6.3 La traite

6.3.1 La traite atlantique

6.4 La déshumanisation

6.4.1 Devenir esclave : un processus par étapes

6.4.2 Esclave : une condition anonyme

6.4.3 La question de la reproduction

6.4.4 Le Code noir

6.5 La résistance à l’esclavage

6.5.1 Fuite et marronnage

6.5.2 Les révoltes

6.6 L’invention de la race

6.6.1 De la religion à la race : la question raciale dans le monde ibérico-américain

6.6.2 Noirs et Blancs, des catégories construites par la traite

6.7 Les sociétés esclavagistes

6.7.1 Les plantations : Barbade, Jamaïque, Saint-Domingue, Brésil, États-Unis, etc.

6.7.2 L’univers du sucre : la production, la consommation et le pouvoir politico-culturel

6.7.3 En marge des plantations : de la Nouvelle-France au Bas-Canada

Conclusion

En résumé

Une synthèse par les sources

7 L’émergence du Nouveau Monde [1750-1825]

Introduction

7.1 Les Lumières

7.1.1 Les idées phares

7.1.2 Les Lumières et le monde

7.2 La guerre de Sept Ans [1756-1763]

7.2.1 Cadre général

7.2.2 Un siècle marqué par la guerre

7.2.3 La rupture d’un fragile équilibre en Amérique

7.2.4 En Inde, la Troisième guerre carnatique

7.2.5 Une envergure nouvelle

7.2.6 Le traité de Paris de 1763 dans une perspective internationale

7.2.7 La Révolte de Pontiac et le réveil de la conscience autochtone

7.3 Les Révolutions atlantiques

7.3.1 La création des États-Unis d’Amérique

7.3.2 La Révolution française

7.3.3 La révolution haïtienne

7.3.4 Les indépendances latino-américaines

Conclusion

En résumé

Une synthèse par les sources

8 Une révolution du quotidien : les mutations socio-économiques à l’échelle globale [1780-1900]

Introduction

8.1 La Grande-Bretagne à l’origine de la révolution industrielle

8.1.1 Les innovations britanniques

8.1.2 Le libéralisme économique et la montée en force du capitalisme

8.1.3 De la révolution technique à la révolution industrielle

8.1.4 La révolution industrielle à l’échelle globale

8.2 L’explosion démographique et ses bouleversements mondiaux

8.2.1 La révolution agricole

8.2.2 L’explosion démographique

8.3 L’organisation sociale traditionnelle remise en cause

8.3.1 Une structure sociale qui se complexifie

8.3.2 Les grandes luttes sociales (enfants, femmes, monde ouvrier)

8.4 Les idéologies révolutionnaires

8.4.1 Le courant utopique

8.4.2 La pensée de Karl Marx

8.4.3 La naissance de la social-démocratie

Conclusion

En résumé

Une synthèse par les sources

9 L’âge d’or de l’impérialisme colonial [1800-1914]

Introduction

9.1 L’impérialisme : un concept à inscrire dans le temps

9.2 Continuités et ruptures : la colonisation de peuplement au XIXe siècle

9.2.1 La poursuite de la colonisation de peuplement

9.2.2 Une colonisation intérieure ?

9.2.3 Vers le Commonwealth britannique

V Table des matières
6

9.3 La transition vers l’impérialisme colonial

9.3.1 Les vecteurs de changement dans les rapports internationaux

9.3.2 Vers l’impérialisme colonial : la transition britannique

9.3.3 Les Provinces-Unies transforment leurs rapports hégémoniques

9.4 L’impérialisme colonial à son apogée

9.4.1 La France à la conquête de l’Asie, naissance de l’Indochine

9.4.2 Le partage de l’Afrique

9.4.3 Le Japon à l’assaut du continent asiatique

9.4.4 La constitution de l’Empire britannique

9.5 L’émergence de l’impérialisme au XIXe siècle

9.5.1 La Chine, un avant-goût de la montée en force de l’impérialisme

9.5.2 Déclin et partage de l’Empire ottoman

9.5.3 La montée en puissance d’un nouveau pays impérialiste : les États-Unis

9.5.4 La poursuite de l’impérialisme colonial au début du XXe siècle

Conclusion

En résumé

Une synthèse par les sources

10 Le grand bouleversement des identités : la question raciale, les nationalismes et la construction des États modernes au XIXe siècle

Introduction

10.1 Le racisme scientifique

10.1.1 L’invention du racisme

10.1.2 Naturalisme, couleurs et races

10.1.3 L’usage du racisme

10.2 Les constructions identitaires en contexte colonial

10.2.1 La création de nouvelles identités au moyen de catégories et structures administratives

10.2.2 Relations entre colonisateurs et colonisés

10.2.3 Colonisation et identité de genre

10.3 Fin de la traite atlantique et abolition de l’esclavage

10.3.1 Révoltes d’esclaves et reconfiguration coloniale

10.3.2 Les métropoles et l’abolition

10.4 Nations et nationalismes

10.4.1 Naissance de la nation

10.5 Tensions identitaires, empires et mouvements nationaux

10.5.1 Les soulèvements des années 1830-1840

10.5.2 Les patriotes des Canadas [1837-1838]

10.5.3 L’expansion américaine vers l’ouest et la guerre américanomexicaine [1846-1848]

10.5.4 Le Printemps des peuples [1848]

10.6 La guerre de Sécession [1861-1865] ou la seconde naissance de la nation américaine

10.6.1 L’esclavage aux États-Unis avant le début de la guerre de Sécession [1776-1861]

10.6.2 La question esclavagiste et les origines du conflit

10.6.3 La guerre civile et la victoire de l’Union [1861-1865]

10.6.4 L’émancipation des esclaves et la difficile reconstruction des États-Unis [1865-1877]

10.7 Le déclin d’empires centenaires : les cas de l’Autriche et de l’Empire ottoman [1848-1908]

Conclusion

En résumé

Une synthèse par les sources

SECTION 3 : RECONFIGURATIONS MONDIALES [DE 1900 À NOS JOURS]

11 Guerres mondiales – La grande conflagration planétaire [1900-1945]

Introduction

11.1 L’implosion des impérialismes européens : les deux conflits mondiaux et leurs ramifications globales

11.1.1 La Première Guerre mondiale [1914-1918]

11.1.2 La Seconde Guerre mondiale [1939-1945]

11.2 La polarisation du monde durant les deux conflits mondiaux : le choc des idéologies

11.2.1 Fascisme, nazisme et autoritarisme

11.2.2 L’URSS, la Chine et l’idéologie communiste

11.2.3 L’internationalisme libéral américain

VI Table des matières

11.3 Les deux conflits mondiaux : des impacts profonds dans la longue durée

11.3.1 Après l’anéantissement, la reconstruction

11.3.2 Les conséquences irréversibles de la guerre

11.3.3 L’émergence d’un nationalisme panarabe

11.4 Les femmes en lutte

11.4.1 Mouvements nationaux et internationaux pour les droits des femmes

11.4.2 L’accès à la citoyenneté : droits politiques ou droits civils ?

11.4.3 Entre féminisme révolutionnaire et réaction : les femmes sous les régimes communiste et fasciste

11.5 Les génocides et les ethnocides au XXe siècle

11.5.1 Le concept de génocide et la question du droit international

11.5.2 La colonisation et les génocides des Autochtones

11.5.3 Le génocide arménien

11.5.4 La Shoah

11.5.5 Dans le monde communiste : l’URSS, le Cambodge, la Chine

11.5.6 Génocides, guerre froide et décolonisation : de l’Indonésie au Rwanda

Conclusion

En résumé

Une synthèse par les sources

12 Un nouveau paradigme mondial : guerre froide et décolonisation

Introduction

12.1 Un nouveau paradigme mondial

12.1.1 Guerre froide et décolonisation : deux phénomènes distincts, mais indissociables

12.1.2 Recolonisation ou décolonisation

12.1.3 Penser l’après-guerre

12.1.4 La reconfiguration asiatique

12.1.5 La question nucléaire

12.2 Les multiples chemins de l’indépendance dans le tiers monde

12.2.1 Un néocolonialisme qui opère dans l’ombre : l’Iran, le Guatemala

12.2.2 Le mouvement des non alignés

12.2.3 Des indépendances chèrement payées

12.2.4 La révolution comme autre forme d’indépendance : le cas de Cuba

12.3 Un monde sous tension

12.3.1 La crise des missiles

12.3.2 Le conflit israélo-palestinien

12.3.3 Des blocs sous tension

12.4 Entre ombre et lumière : des actions clandestines aux négociations internationales

12.4.1 Les guerres sales : une approche transnationale

12.4.2 L’URSS et les États-Unis : une relation ambivalente

12.4.3 La religion entre décolonisation et guerre froide : la révolution iranienne et la première guerre d’Afghanistan

12.4.4 Un réformisme qui arrive trop tard : les années Gorbatchev et l’implosion du bloc de l’Est

12.5 Pour la suite du monde : luttes féministes et place des femmes

12.5.1 Les quêtes pour l’égalité

12.5.2 Les femmes africaines et les combats pour la liberté

12.5.3 Les féminismes radicaux et les mouvements de libération de la femme

Conclusion

En résumé

Une synthèse par les sources

Conclusion – Tendances contemporaines d’un monde connecté, de 1990 à aujourd’hui

Le libéralisme global La mutation des conflits

L’érosion des frontières

L’échange colombien 500 ans plus tard

Glossaire Index

VII Table des matières
Benjamin West, détail de La mort du général Wolfe (1770). Huile sur toile (152,6 x 24,5 cm). Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

L’émergence du Nouveau Monde [1750-1825]

La seconde moitié du XVIIIe siècle constitue une période charnière – il y a un avant les révolutions politiques de 1776-1830 et un après. Ce chapitre permet de survoler ces événements essentiels à la compréhension du monde actuel. En étudiant d’abord les idées de la philosophie des Lumières et la guerre de Sept Ans, premier conflit d’envergure globale, vous pourrez mieux apprécier les caractéristiques d’une période qui donne naissance à une série de nouveaux États indépendants.

À la fin de ce chapitre, vous serez en mesure de répondre aux questions suivantes.

1 ] Comment les idées portées par la philosophie des Lumières permettent-elles d’éclairer les événements révolutionnaires en Amérique, puis en France ?

2 ] De quelle manière des facteurs de nature extérieure et intérieure favorisent-ils l’accession des colonies d’Amérique à l’indépendance ?

3 ] Comment les différents mouvements d’indépendance se distinguent-ils ?

4 ] Des idéaux liés à la philosophie des Lumières s’y trouvent-ils ?

239
Chapitre 7

Introduction

[ 1750-1825 ]

Le passage au XVIIIe siècle fait figure de cascade où s’emballent les logiques développées dans les siècles précédents. Une part importante des changements, qui auront tôt fait de transformer l’espace atlantique, se manifeste d’abord par le déploiement du courant philosophique des Lumières. Ce courant critique les contradictions de sociétés où l’essentiel du pouvoir politique demeure entre les mains de la noblesse et du clergé alors que la richesse se concentre de plus en plus au sein de la bourgeoisie qui occupe une place centrale dans l’économie et dès lors dans la société. Au même moment, alors que les sociétés coloniales se développent sur les plans de la richesse et des institutions, leur soumission aux métropoles européennes heurte les intérêts de certains de leurs habitants. Les frictions qui existent aux frontières mal définies des empires mènent à d’innombrables guerres qui culminent avec la guerre de Sept Ans (de 1756 à 1763). Celle-ci offre un avant-goût de ce que peut être un conflit mondial. Les suites de ce conflit, qui voit triompher la Grande-Bretagne, accélèrent les bouleversements qui porteront le monde colonial à l’avant-garde de l’histoire.

7.2

La guerre de Sept Ans [1756-1763], p. 247

1704 Dialogue avec un Sauvage de Lahontan 1748 De l’esprit des lois de Montesquieu 1754-1760 Guerre de la Conquête 1756-1763 Troisième guerre carnatique
Amériques Europe Asie 1700 1710 1720 1730 1740 1750 1760 1770
1756-1763 Guerre de Sept Ans
1775-1783 Guerre d’indépendance américaine 1789-1804 Révolution française 1791-1804 Révolution haïtienne 1810-1825 Guerres d’indépendance en Amérique latine 1804-1815 Empire napoléonien 1780 1790 1800 1810 1820 1830 1840 7.3 Les Révolutions atlantiques, p. 253 7.1 Les Lumières, p. 242

Lumières

Courant de pensée européen découlant des idées de la Renaissance qui dénonce l’oppression religieuse et politique et prône la raison et le savoir.

Indépendance

Indépendances latino-américaines Révolution française

Les Lumières

On appelle les Lumières le mouvement intellectuel qui déferle sur l’Europe et ses colonies à partir de la fin du XVIIe siècle. Les philosophes liés à ce mouvement s’inspirent des méthodes développées lors de la Révolution scientifique, appliquant notamment les principes de la pensée rationnelle aux questions sociales, morales, religieuses et politiques de leur temps. Contrairement à la doctrine religieuse, qui voit l’être humain comme une créature destinée à souffrir en attendant l’expiation de ses péchés après la mort, l’esprit des Lumières présente un point de vue plus idéaliste sur l’humain. Par la recherche des « lois naturelles » gouvernant le comportement humain, il espère participer à l’amélioration du monde par le biais de changements favorisant l’atteinte du bonheur et de la liberté pour chacun.

Depuis déjà 200 ans, l’univers intellectuel européen a connu d’importantes transformations. Pendant cette période d’incubation de l’esprit scientifique, les sources traditionnelles de connaissance et d’interprétation du monde se sont érodées (voir le chapitre 5). Encore attachés aux explications formulées dans l’Antiquité gréco-romaine, des intellectuels européens ont graduellement perçu et exposé les lacunes et erreurs importantes de ces textes. Les travaux de Copernic, Kepler ou Galilée ont nourri cette remise en question. Jusqu’à Descartes et Newton, pour ne nommer que ceux-là, des penseurs se sont activés à refonder les savoirs sur des bases précises, mesurables et universelles.

Les philosophes des Lumières baignent dans un contexte propice à l’exploration de nouvelles explications du monde social qu’ils habitent. D’abord, le schisme du christianisme lors de la Réforme avait déjà exclu la possibilité que l’Église impose sa pensée de manière universelle. Ensuite, la contestation de la légitimité de l’autorité monarchique gagne du terrain, particulièrement depuis l’exécution de Charles Ier en Angleterre en 1649 (voir le chapitre 5). Ces deux facteurs, combinés à la multiplication des contacts et échanges avec des sociétés dont les assises ne sont ni chrétiennes ni monarchiques, contribuent à stimuler la réflexion concernant les sources de l’autorité politique et de la vie en société. Le corpus d’idées issu de cet immense chantier intellectuel contribue à des bouleversements historiques d’une ampleur que personne n’anticipait au début du XVIIIe siècle.

242 Chapitre 7 L’émergence du Nouveau Monde [1750-1825]
7.1 Concepts clés
américaine Révolution haïtienne Idéaux des Lumières Rivalités impériales

7.1.1 Les idées phares

Dès le XVIIe siècle, des intellectuels tentent d’expliquer les phénomènes observables sans passer par la référence au divin. Francis Bacon (1561-1626), un intellectuel et homme d’État anglais, propose dans son ouvrage intitulé Novum Organum (1620) une méthode inductive pour constituer, par observations particulières, des connaissances justes et fiables sur le monde naturel. C’est l’empirisme. À pareille époque, le Français René Descartes (1596-1650) introduit de nouvelles conceptions du savoir. Dans son Discours sur la méthode (1637), il fait du doute méthodique le point de départ de sa méthode, et poursuit ses recherches sur la voie de la mathématisation des connaissances. Bien qu’imparfaite, la pensée de ces auteurs participe à la découverte par Newton de lois mathématiques régissant certains phénomènes cosmologiques. Or, si l’univers céleste répond à des lois dont la découverte est accessible à la raison humaine, pourquoi la compréhension des sociétés humaines ne le serait-elle pas aussi ?

L’Anglais John Locke a rejeté l’idée de l’origine divine du pouvoir monarchique. Il lui a substitué celle d’un pacte entre sujets et souverain, où les premiers confient le pouvoir politique à un souverain en échange d’une garantie de leur sécurité et de leur propriété (voir le chapitre 5). Ce contrat social permet aux individus de s’épanouir et d’aspirer au bonheur. En cas de rupture du contrat, il devient légitime pour le peuple de renverser et remplacer le souverain. Dans l’Europe du XVIIIe siècle, la simple observation des gestes et agissements des monarques envers leurs sujets et leur très forte propension à se faire la guerre est en opposition radicale avec l’idée d’une société fondée sur le contrat social. Ces observations contribuent au développement d’une pensée critique et plusieurs proposent des réformes radicales visant l’amélioration concrète de leur société.

Par exemple, dans son ouvrage De l’esprit des lois, le philosophe Montesquieu recherche en quoi consiste un bon gouvernement. Étudiant les règnes des souverains passés, il révèle les dérives constantes des régimes où le pouvoir est confié à une seule personne. Pour protéger la société de ces abus, il développe l’idée d’une séparation du pouvoir. Se référant aux institutions de la République romaine, Montesquieu croit que le pouvoir de promulguer les lois (le pouvoir législatif), de les mettre en application (le pouvoir exécutif) et de juger des délits (le pouvoir judiciaire) doit être remis à des personnes différentes afin de limiter la possibilité que l’une d’entre elles en abuse. Avec les mécanismes appropriés, chaque branche du pouvoir devrait être en mesure de contrecarrer les dérapages des autres, prévenant ainsi les dérives tyranniques des régimes absolutistes. Cette idée ne restera pas lettre morte…

La philosophie des Lumières demeure néanmoins un espace de débat, et non une célébration d’idées toutes consensuelles. Par exemple, tous ne sont pas aussi critiques qu’un Montesquieu ou un Rousseau au sujet de l’absolutisme monarchique. Au contraire, un penseur comme Voltaire tente d’insuffler les principes des Lumières aux souverains de son époque, jugeant qu’un pouvoir despotique peut agir pour le bien de la société dans la mesure où il opère sur les bases de la raison 7.1 L’influence du despotisme éclairé sera bien réelle dans certaines cours d’Europe, notamment en Russie, où l’impératrice Catherine II encourage l’éducation au sein de son empire, tandis qu’en Prusse et en Autriche, les empereurs Frédéric II et Joseph II adoptent des mesures incitant à la tolérance religieuse entre catholiques et protestants.

Ces questionnements politiques s’étendent aussi aux femmes. Si la conception de l’homme change (il est désormais considéré comme détenteur de la souveraineté politique), des femmes prennent également la plume avec éloquence pour revendiquer une place égale au titre de sujet politique. C’est ce que fera Mary Wollstonecraft (17591797) dans l’ouvrage A Vindication of the Rights of Women (Défense des droits de la femme, 1792) où elle condamne l’infériorité dans laquelle les femmes sont maintenues. Sa critique sociale dénonce la société patriarcale qui refuse aux femmes une éducation équivalente à celle des hommes.

Méthode inductive

Démarche de raisonnement à partir d’observations ou de faits qui mènent à leur explication.

Empirisme

Courant philosophique, partiellement opposé au rationalisme, selon lequel toute connaissance du monde provient de l’expérience sensible de celui-ci.

Doute méthodique

Principe de la philosophie cartésienne rejetant tout a priori dans la construction de la pensée.

Contrat social Convention entre l’État et les individus selon laquelle la population cède une part de sa liberté en échange de la sécurité que l’État lui garantit.

Despotique

Se dit de l’exercice arbitraire et absolu du pouvoir politique.

Voltaire dînant à Sanssouci à la table du roi Frédéric II

243 7.1 Les Lumières
Adolph von Menzel, La Table ronde du roi Frédéric II à Sanssouci (1850). Huile sur toile (20,4 x 17,5 cm). Détruit par le feu en 1945. Le roi Frédéric II de Prusse (en veston rouge) semble discuter avec Voltaire (à gauche). 7.1

Mary WoLLstoNeCraFt [1759-1797]

D’origine bourgeoise mais sans fortune, Mary Wollstonecraft occupe divers emplois à Londres comme dame de compagnie, gestionnaire d’écoles et gouvernante d’enfants issus de familles aristocratiques. Ces expériences l’amènent à publier ses réflexions sur l’éducation des jeunes filles en 1786. Désormais liée au monde littéraire, elle rencontre des philosophes, voyage en France à l’aube de la Révolution française et prend part à la vie intellectuelle entourant ces événements importants par la publication d’ouvrages prenant fait et cause pour les révolutionnaires. Sa Défense des droits de la femme parue en 1792 sera rapidement traduite et publiée en France.

« […] Rousseau déclare qu’une Femme ne doit jamais se sentir indépendante un seul moment ; qu’il faut qu’elle soit constamment gouvernée par la crainte qui la détermine à exercer son adresse naturelle ; en un mot, il en veut faire une esclave coquette pour en faire un objet plus attrayant de désir, une plus douce compagne pour l’homme, toutes les fois qu’il voudra se délasser. Il pousse plus loin ses raisonnements, qu’il prétend tirer des indications de la nature, et insinue que le courage et la véracité, ces clés de la voûte de l’édifice de toutes les vertus humaines, ne doivent être cultivées chez elles qu’avec certaines restrictions, parce que l’obéissance est la grande leçon qu’il faut constamment inculquer aux Femmes [...].

Quelle absurdité ! quand s’élèvera-t-il donc un grand homme d’un caractère assez juste et d’un génie assez puissant pour dissiper les nuages que l’orgueil et le goût de la jouissance ont répandus sur ce sujet ! quand même les Femmes seraient naturellement inférieures aux hommes, leurs vertus devraient être toujours les mêmes en qualité, sinon en degré [...].

L’opinion établie que la Femme fut créée pour l’homme, a probablement pris naissance de l’histoire oùMoïse s’est permis d’être poète ; cependant, comme je présume que ce n’est que le très petit nombre, dans ceux qui se sont occupés de ce sujet, qui n’a jamais supposé qu’Ève ait été tirée, littéralement parlant, d’une des côtes d’Adam, il faut convenir que cette induction tombe d’elle-même, ou que tout ce qu’on peut en conclure, c’est qu’à partir de l’antiquité la plus reculée, l’homme a toujours pris plaisir à se servir de sa force pour subjuguer sa compagne, et de son adresse pour lui faire ployer la tête sous le joug, parce que son égoïsme voulait que la Femme, ainsi que le reste de la création, fût entièrement consacrée à ses jouissances. »

Quelle est sa position sur le statut de la femme ? ?

Que reproche Mary Wollestonecraft à Jean-Jacques Rousseau ?

7.1.2 Les Lumières et le monde

La philosophie des Lumières s’inscrit dans le contexte d’une époque où l’Europe a bénéficié, dans les derniers siècles, d’apports intellectuels et matériels considérables de la part de ses colonies. Les échanges avec des populations entièrement étrangères à la culture européenne, l’importation et la consommation de leurs produits tout comme la curiosité que suscite la nouveauté jouent un rôle dans le renouvellement de la pensée.

Le développement des économies de plantation et leur connexion au réseau commercial européen sont responsables de la mise en marché, en Europe, de produits nouveaux et exotiques. D’abord chers et réservés à une élite, le tabac, le sucre, le café ou le thé connaissent une baisse de prix à la suite de la hausse de la production et de l’importation qui les rend plus accessibles. On crée de nouveaux espaces destinés à leur consommation 7.2 . Salons de thé et cafés deviennent des lieux de rencontre et de socialisation où des nobles et des bourgeois

244 Chapitre 7 L’émergence du Nouveau Monde [1750-1825]
Mary Wollstonecraft, Défense des droits de la femme, 1792. John Opie, Mary Wollstonecraft (1797). Huile sur toile (76,8 x 64,1 cm). National Portrait Gallery, London. © IanDagnall Computing / Alamy banque d’image.

7.2

Nouveaux espaces de socialisation à l’époque des Lumières

?

Au moins deux produits issus des colonies peuvent être observés dans cette image. Qu’ont-ils en commun ?

À quelles activités les personnes réunies dans ce café s’adonnent-elles ?

s’assemblent pour discuter des derniers pamphlets politiques, des ouvrages philosophiques et des traités scientifiques au sein d’une population – généralement aisée – où progresse la littératie.

En plus de ces espaces nouveaux, le monde littéraire de l’époque est nourri par l’apport de regards extérieurs posés sur la société européenne, et aussi par l’observation et l’étude de sociétés entièrement étrangères à la culture européenne. Dans un style très populaire, plusieurs ouvrages font le récit de voyages et de rencontres rendus possibles par le contact colonial. C’est le cas par exemple du célèbre dialogue entre le Baron de Lahontan et Kondiaronk, chef des Wendats 7.3 . Les lecteurs européens y découvrent le point de vue raisonné d’un chef autochtone sur la société française ayant colonisé son territoire. Ce type d’ouvrage alimente la spéculation sur les formes originelles d’organisations sociales, au point où les anthropologues David Graeber et David Wengrow estiment qu’un penseur comme Jean-Jacques Rousseau en tire la figure du « bon sauvage ». Elle lui permet de mettre en scène l’humain à l’état de nature, avant l’arrivée des structures sociales qui l’auraient corrompu. En ce sens, les contacts coloniaux permettent de construire le regard critique sur l’Europe en employant les arguments

Lahontan dialogue avec Kondiaronk, chef des Wendats (Hurons) 7.3

« Écoute, mon Frère, je te parle sans passion, plus je réfléchis à la vie des Européens et moins je trouve de bonheur et de sagesse parmi eux. Il y a six ans que je ne fais que penser à leur état. Mais je ne trouve rien dans leurs actions qui ne soit au-dessous de l’homme, et je regarde comme impossible que cela puisse être autrement, à moins que vous ne vouliez vous réduire à vivre, sans le Tien et le Mien, comme nous faisons. Je dis donc que ce que vous appelez argent est le démon des démons, le Tyran des Français ; la source des maux à la perte des âmes et le sépulcre des vivants. Vouloir vivre dans le Pays de l’argent et conserver son âme, c’est vouloir se jeter au fond du Lac pour conserver sa vie ; or ni l’un ni l’autre ne se peuvent. Cet argent est le Père de la luxure, de l’impudicité, de l’artifice, de l’intrigue, du mensonge, de la trahison, de la mauvaise foi, […] généralement de tous les maux qui sont au Monde. »

?

Selon les propos de Kondiaronk rapportés par Lahontan, quelle serait la condition première pour que les Européens accèdent au bonheur ?

245 7.1 Les Lumières
Anonyme, Interior of a London coffee-house (v. 1690-1700). Dessin sur papier (14,7 x 22 cm). British Museum, Londres. © Lordprice Collection / Alamy banque d'image. Lahontan, Dialogues avec un Sauvage, 1702-1703. Francis Back, Kondiaronk © Raphaëlle & Félix Back.

eNCyCLoPédIe ou dICtIoNNaIre raIsoNNé des sCIeNCes, des arts et des MétIers

Une planche de l’ Encyclopédie illustrant un atelier de fabrication d’épingles. Il est probable qu’Adam Smith ait été inspiré par de telles représentations lorsqu’il a élaboré sa réflexion sur la division du travail. L’ Encyclopédie traite à la fois de sujets techniques et de questions morales, religieuses et politiques. Les 130 auteurs sont en grande majorité des hommes français, à l’exception d’une dizaine d’entre eux, et proviennent des classes favorisées du tiers état ou de la noblesse et du clergé.

développés outre-mer par des personnes vivant dans des sociétés plus égalitaires ou sans notion de propriété privée.

Inspirées par l’observation du monde social et naturel, les Lumières tentent aussi de recueillir et de diffuser l’ensemble des savoirs. Rassembler la somme des connaissances humaines en un seul ouvrage devient l’ambition de l’Encyclopédie dirigée par Diderot et d’Alembert. Prétendant contenir les savoirs fondés sur la raison ou l’observation, l’Encyclopédie contient des propos critiques des religions organisées et des régimes politiques de l’époque. Publiées à partir de 1751, les conceptions quant à la souveraineté des peuples, à leur droit à la liberté et à la recherche du bonheur entraînent l’interdiction, quoique temporaire, de sa publication par le roi de France Louis XV et le pape Clément XIII.

Cette ambition dans l’acquisition des savoirs sur le monde s’incarne aussi dans les missions d’explorations que les couronnes européennes confient à des commandants comme LouisAntoine de Bougainville et James Cook. Ces deux navigateurs parcourent des distances incommensurables pour explorer le Pacifique, en développer la cartographie et recueillir un maximum d’informations concernant les peuples, les espèces animales et végétales qui s’y trouvent. Les naturalistes participant à ces expéditions à la fois stratégiques et scientifiques travaillent sans relâche à recueillir des échantillons ou des images des espèces rencontrées. Ce regard porté sur le monde contribuera au développement des sciences, comme la biologie ou l’anthropologie, et alimentera l’effort de classification des espèces, dont l’espèce humaine, à l’origine de ce qu’on appelle le racisme scientifique (voir le chapitre 10).

1 Quels développements intellectuels antérieurs rendent la philosophie des Lumières possible ?

2 Quelles idées des Lumières sont en contradiction avec la réalité de leur époque ?

3 Pourquoi peut-on dire que la philosophie des Lumières est, d’une certaine manière, le produit des empires ?

246 Chapitre 7 L’émergence du Nouveau Monde [1750-1825]
Denis Diderot et coll., Encyclopédie, ou Dictionnaire Raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers (Epinglier), Planches tome IV, 1765.

[1756-1763] 7.2

La guerre de Sept Ans

7.2.1 Cadre général

Il n’est pas rare que les conflits portent des noms différents selon les points de vue de chacun. La guerre de Sept Ans 7.4 , premier conflit mondial, a été livrée sur presque tous les continents et océans entre 1756 et 1763. Du point de vue nord-américain, la paix est réellement rompue dès mai 1754, alors qu’une expédition dirigée par George Washington, aidée des Autochtones, s’introduit en territoire français et y massacre un groupe de Français. L’historiographie américaine retient plus souvent l’appellation French and Indian War (guerre des Français et des Indiens) 7.5 qui dénote l’accent mis sur l’ennemi dans les Treize colonies et fait fi de l’aspect mondial du conflit. De son côté, l’historiographie québécoise retient le nom de guerre de la Conquête 7.6 dont l’issue est marquée par la cession de la Nouvelle-France à la GrandeBretagne. En Inde, elle porte le nom de Troisième guerre carnatique 7.7 , puisque les opérations militaires s’y déroulant s’inscrivent dans un conflit plus ancien.

Quatre noms, quatre perspectives sur un conflit dont l’issue fera de la Grande-Bretagne une véritable puissance mondiale au détriment de la France. Plus encore, l’effet sur les populations autochtones d’Inde et d’Amérique du Nord sera une des conséquences immédiates importantes de cette guerre.

La

de

Le raid sur le

de

visant la déportation des Acadiens dans le

de la French and Indian War

L’église Notre-Dame-des-Victoires de

la guerre de la Conquête.

Robert

247 7.2 La guerre de Sept Ans [1756-1763]
7.4 Jean-Baptiste Martin le jeune, Prise de Port-Mahon sur l’île de Minorque, le 29 juin 1756, (entre 1756 et 1778). Huile sur toile (86 x 143 cm). Château de Versailles. © The Picture Art Collection / Alamy banque d'images. guerre Sept Ans est ponctuée de nombreux sièges en Europe, dont celui de Port Mahon à Minorque, Méditerranée. 7.6 Richard Short, Vue de la Cathédrale Notre-Dame-de-la-Victoire, Québec (1761). Estampe (32,4 x 50,8 cm). Gracieuseté de Bibliothèque et Archives Canada. Québec en ruine après 7.5 Thomas Davies, Vue du pillage et de l'incendie de la ville de Grimross (1758). Aquarelle sur papier vergé (36,9 x 53,5 cm). Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. © The Picture Art Collection / Alamy banque d'images. village Grimross cadre 7.7 William Heath, Clive at Plassey, 1757 (1821). Encre et aquarelle sur papier. © National Army Museum, Londres.
7.4 7.6 7.5 7.7
Clive à Plassey dans le cadre de la Troisième guerre carnatique.

7.2.2 un siècle marqué par la guerre

Le XVIIIe siècle est marqué par les effets de nombreuse rivalités impériales. Tout au long du XVIIIe siècle, alors que la puissance impériale de l’Espagne et du Portugal poursuit un lent déclin, les plus importantes frictions européennes se déplacent du côté de la France et de la Grande-Bretagne. Durant la période allant de 1689 à 1815, ces deux puissan ces sont demeurées en guerre durant 64 années. Essentiellement, l’animosité qui les oppose provient de l’extension de l’influence française en Europe, des tensions interreligieuses entre catholiques (France) et protestants (Grande-Bretagne) et des conquêtes impériales outre-mer aux dépens de l’Espagne, du Portugal et des Pays-Bas. Ces guerres incessantes imposent des coûts importants aux États dont les revenus dépendent des tarifs douaniers sur les importations et les exportations.

L’attitude guerrière des monarchies européennes va jusqu’à expliquer certaines transformations économiques survenues au cours des décennies précédant la guerre de Sept Ans. Très coûteuses, les guerres sont habituellement financées par des taxes qui doivent être autorisées par des assemblées diverses (Parlement, États généraux, cortes, etc.). Pour contourner cette difficulté, les monarques recourent plutôt à l’endettement auprès de prêteurs domestiques et étrangers. À titre d’exemple, l’Angleterre crée une « dette nationale » en centralisant les emprunts à long terme. En garantissant la valeur de ces emprunts, elle offre davantage de sécurité à ses créanciers, ce qui lui confère un avantage sur ses compétiteurs.

En revanche, en déployant autant de leurs ressources sur les conflits armés, les empires européens négligent la surveillance du commerce international qu’ils souhaitent pourtant réguler et taxer (voir la section 5.3 sur le mercantilisme). La contrebande se développe donc entre les colonies appartenant aux couronnes adverses, multipliant l’activité économique et stimulant la croissance du monde colonial.

7.2.3 La rupture d’un fragile équilibre en amérique

Le traité d’Utrecht de 1713 avait mis fin à la guerre de Succession d’Espagne par la mise en place d’un fragile équilibre en Amérique du Nord et en Europe, car aucune des puissances européennes n’était en mesure d’aspirer à s’imposer aux autres. Si Louis XIV n’avait pas réussi à unifier les couronnes de France et d’Espagne, il avait tout de même réussi à placer son petit-fils sur le trône espagnol où la dynastie des Bourbons s’impose.

En Amérique du Nord, le traité d’Utrecht 7.8 privait la France des territoires correspondant à l’actuelle Nouvelle-Écosse, une partie de Terre-Neuve et tout le pourtour de la baie d’Hudson. Néanmoins, elle conservait un immense territoire allant de La Nouvelle-Orléans à la vallée du Saint-Laurent. Les Treize colonies anglaises étaient séparées des possessions françaises par une vaste chaîne de montagnes, les Appalaches. Dans les années suivantes, la France allait s’employer à fortifier la vallée de l’Ohio et du Mississippi, de manière à sécuriser les voies de communication entre La Nouvelle-Orléans et le nord de la Nouvelle-France.

Ce faisant, le Traité maintenait le blocage des colonies anglaises les plus peuplées. La population des Treize colonies passe d’environ 474 000 en 1720 à 1 207 000 en 1750, dépassant largement celle de la Nouvelle-France estimée à 90 000. Cette explosion démographique pose un problème particulièrement criant dans les colonies du sud, où la nature agraire de l’économie exige toujours plus de territoire pour installer de nouveaux fermiers et cultivateurs. L’impossibilité de s’étendre légalement vers l'ouest provoque de nombreuses escarmouches avec les Français et leurs alliés autochtones. Ainsi, le fragile équilibre du traité d’Utrecht s’effrite sous la pression démographique et spéculative des colons anglais.

Que la guerre éclate en 1754 en Amérique n’a donc rien d’étonnant. À partir du moment où la petite bande de George Washington massacre la troupe de l’officier Jumonville près du fort Duquesne, les autorités coloniales anglaises se mettent sur un pied de guerre. Les Anglais établissent un plan d’attaque visant à prendre la Nouvelle-France sans déclaration de guerre. En Europe, les hostilités commencent deux ans plus tard après la formation d’une alliance

248 Chapitre 7 L’émergence du Nouveau Monde [1750-1825]

L’Amérique du Nord après le traité d’Utrecht, 1730

OCÉAN ATLANTIQUE

entre la France, l’Autriche et la Russie, qui s’opposent essentiellement à la Grande-Bretagne, à la Prusse et au Hanovre. Loin d’être les deux seuls théâtres des hostilités, les batailles navales et terrestres se dérouleront des Caraïbes aux Philippines, en passant notamment par l’Inde et les côtes africaines.

7.2.4 en Inde, la troisième guerre carnatique

Vers 1750, le sous-continent indien est divisé. L’affaiblissement de l’Empire moghol permet à des principautés de s’émanciper. Le règne d’Aurangzeb avait marqué l’extension maximale de l’Empire. Les Moghols avaient atteint un point que l’historien Paul Kennedy qualifie de « surextension impériale » à partir duquel les conquêtes additionnelles entraînent des coûts dépassant les bénéfices. Sous Aurangzeb, l’Inde devient la première économie mondiale, mais l’intransigeance religieuse de ce sultan sunnite alimente l’opposition interne et prépare des soulèvements. Les compagnies militaro-commerciales européennes déjà présentes sur les rivages indiens n’allaient pas tarder à profiter de cet affaiblissement.

Implantée sur les côtes indiennes depuis 1608, l’East India Company (EIC) dispose de ports commerciaux, souvent arrachés aux Portugais ou aux Espagnols. Au XVIIIe siècle, les frictions avec la France et sa Compagnie des Indes orientales retiennent l’attention depuis leur installation à Pondichéry, au sud du Bengale où l’EIC est bien établie. En jouant habilement ses cartes diplomatiques et en favorisant le retournement d’alliances contre l’empereur moghol et les Français, l’EIC parvient, sous la gouverne de Robert Clive, à s’emparer du pouvoir réel sur le Bengale et à expulser la France de la côte est de l’Inde. Ceci confirme la conquête effective de l’Inde par la Couronne britannique, qui se déploiera pleinement au siècle suivant (voir le chapitre 9).

249 7.2 La guerre de Sept Ans [1756-1763]
Baie d’Hudson Golfe du Mexique
7.8
Trois-Rivières Baltimore Bâton-Rouge Biloxi Boston Cahokia Charleston Fort Frontenac Détroit Kaskaskia Mobile Montréal New York Nouvelle-Orléans Philadelphie Québec Tadoussac Fort Rosalie Fort Toulouse Fort-de-Chartres Fort Orléans Fort Saint-Louis Fort Beauharnois Fort Bourbon Fort Dauphin Fort La Reine Fort Saint-Pierre Fort Duquesne PAYS-D’EN-HAUT
BASSE-LOUISIANE CANADA HAUTE-LOUISIANE LOUISBOURG NOUVELLEÉCOSSE TerreNeuve A p p a l a c h e s 0 435 870 km Légende Ville Fort Possessions britanniques Treize colonies Autres possessions Possessions françaises Nouvelle-France Possessions espagnoles Colonies espagnoles TERRE D E R U P E RT
ACADIE

robert CLIVe et MIr JaFar [1757]

Robert Clive (1725-1774) est envoyé à Madras au service de l’East India Company en 1743, à l’âge de 18 ans. Les frictions avec les Français qui multiplient les alliances avec les princes indiens l’amènent au service militaire. C’est lors de son second voyage en Inde en 1756, tandis que commence la guerre de Sept Ans, que le talent de Clive pour semer la pagaille entre les princes indiens permet de renverser le nawab du Bengale (le représentant de l’empereur moghol, lui-même dépourvu de réel pouvoir à cette époque). Il est remplacé par son neveu Mir Jafar (représenté sur la peinture). Confirmé au titre de gouverneur de l’EIC, il consolide l’emprise de celle-ci sur le Bengale. Lorsque les nouvelles de son immense enrichissement personnel parviennent à Londres, il est mis en accusation par le Parlement, mais est finalement acquitté. Affaibli par cette épreuve, il se suicide à Londres en 1774.

7.2.5 une envergure nouvelle

La guerre de Sept Ans s’inscrit dans la tendance des conflits précédents. L’augmentation massive des coûts des opérations, l’extension de l’échelle des combats et l’implication très importante des troupes autochtones alliées aux puissances européennes combattantes caractérisent ce conflit.

7.9

Un chantier naval britannique

Les opérations militaires maritimes impliquent des flottes toujours plus nombreuses, dotées de navires toujours plus grands 7.9 . La présence dominante de l’artillerie dans les combats explique en partie les coûts faramineux de la guerre de Sept Ans. Les trésors publics sont donc massivement ponctionnés et les belligérants doivent recourir à des prêts toujours plus élevés. Cette tendance pèse lourdement sur les économies d’Europe. À titre d’exemple, entre 1710 et 1760, la proportion du revenu national britannique consacré aux dépenses militaires passe de 9 % à 14 %, ce qui est extrêmement élevé par rapport aux standards d’aujourd’hui. Pour assumer ces coûts, outre s’endetter, le gouvernement britannique taxe les produits en provenance des colonies ainsi que l’alcool. Cette dépendance des revenus tirés du commerce crée une pression sur l’extension des réseaux commerciaux et leur protection, générant à son tour un besoin pour davantage de puissance militaire avec les dépenses qu’elle implique.

Hors de l’Europe, la guerre de Sept Ans s’inscrit dans une tendance bien ancrée dans les pratiques impériales consistant à utiliser des troupes autochtones sur les champs de bataille. Par exemple, la bataille de Plassey, à l’issue de laquelle l’EIC mettra la main sur le Bengale, opposait les Britanniques à une armée indofrançaise composée de plus de 40 000 soldats, dont seulement une cinquantaine étaient français. Les troupes coloniales sont aussi importantes dans le conflit, particulièrement celles des colonies britanniques d’Amérique du Nord, dont la forte implication dans l’invasion de la Nouvelle-France favorise le sentiment d’indépendance qui s’installe après la guerre.

au XVIIIe siècle, l’immensité des ressources dédiées aux flottes de guerre contribuera à l’endettement croissant et aux difficultés financières des couronnes européennes. Cette vue d’un chantier naval britannique présente les plus gros navires construits à l’époque.

Les civils sont aussi durement touchés par la guerre en Amérique. Dans les possessions britanniques d’Acadie, la résistance des Acadiens aux exigences britanniques quant à la loyauté indispose l’occupant. En 1755, le gouverneur anglais prend la

250 Chapitre 7 L’émergence du Nouveau Monde [1750-1825]
Francis Hayman, Robert Clive et Mir Jafar après la bataille de Plassey, 1757 (1760). National Portrait Gallery, Londres. © Niday Picture Library / Alamy. John Cleveley the Elder, Le Royal George à Deptford montrant le lancement de la Cambridge en 1755 (1757). Huile sur toile (12,9 x 187,9 cm). National Marine Museum, Londres. © Zuri Swimmer / Alamy banque d’images.

décision de déporter la population acadienne dans les Treize colonies, ce qui confère le double avantage de sécuriser la Nouvelle-Écosse et d’ouvrir celle-ci à des colons anglais. Véritable nettoyage ethnique, la déportation de milliers d’Acadiens demeure profondément ancrée dans la mémoire des populations de cette région.

7.2.6 Le traité de Paris de 1763 dans une perspective internationale

Vers 1761, alors que les villes de Québec et de Pondichéry (Inde) sont occupées par l’Angleterre, les négociations de paix commencent entre la Grande-Bretagne et la France qui, comme l’Espagne, doit négocier un traité permettant de sauver ses possessions les plus rentables.

Le traité de paix signé à Paris en 1763 7.10 , tout comme la Proclamation royale émise par le roi d’Angleterre quelques mois plus tard, modifie substantiellement la configuration des rapports entre les peuples de l’Amérique du Nord.

En signant le traité de Paris, la France cède la Nouvelle-France à l’Empire britannique. Le royaume, lourdement endetté par les guerres, n’a plus d’intérêt pour sa colonie du nord de l’Amérique, qui ne fait plus le poids devant le commerce très profitable du sucre produit par les milliers d’esclaves de Saint-Domingue. La France tient aussi à conserver les pêcheries des bancs de Terre-Neuve et à maintenir la très lucrative traite de l’Atlantique. La combinaison de ces trois éléments, sucre, morue et esclaves, atteste d’un changement de vision en France. On passe alors d’une vision impériale à une vision commerciale, où les intérêts strictement économiques prévalent.

Du côté anglais, la situation économique est tout aussi préoccupante, car bien qu’elles génèrent d’importants revenus aux compagnies privées qui les exploitent, les colonies et les routes maritimes qui les unissent à la métropole sont défendues par l’État. Par conséquent, avec les gains territoriaux, dont la Nouvelle-France, l’empire français des Indes, quelques îles antillaises et la Floride, l’Empire britannique endosse un fardeau financier considérable.

Dans la vallée du Saint-Laurent, et principalement autour de Québec, les Britanniques avaient ravagé le territoire, brûlant nombre de villages, de navires et de récoltes. Une fois la reddition des Français obtenue, le régime militaire tente de ménager la population en tolérant les manifestations religieuses catholiques. Mais une fois la colonie officiellement acquise en 1763, la Couronne britannique souhaite en faire une colonie comme les autres, c’est-à-dire dotée d’institutions civiles britanniques. La Proclamation royale de 1763 crée cette administration, la réservant aux seuls protestants. Elle rétrécit aussi l’ancienne Nouvelle-France à un maigre territoire centré sur la vallée du Saint-Laurent et désormais appelé Province of Quebec. Les lois civiles et criminelles britanniques s’appliquent alors. Bien que tolérée, la religion catholique n’a plus de statut légal, ce qui empêche son clergé de collecter la dîme, une taxe destinée à l’Église.

Souhaitant pacifier les Autochtones de l’Ouest, la Proclamation royale interdit la colonisation au-delà de la ligne de partage des eaux traversant les Appalaches. Les riches plaines de l’Ohio convoitées par les spéculateurs de Pennsylvanie, de Virginie ou des Carolines leur échappent. Graduellement, l’excitation causée par la conquête de la Nouvelle-France se transforme en ressentiment contre un régime qui freine les aspirations expansionnistes des Treize colonies. Ces volontés d’expansion avaient pourtant été la cause du déclenchement de la guerre en  Amérique du Nord…

Le traité de Paris est signé officiellement en février 1763. La décision du roi de France de céder la Nouvelle-France à la Grande-Bretagne déplaît énormément aux nombreuses tribus autochtones alliées des Français. Tandis que les Français les considéraient comme des alliés, l’attitude anglaise à leur égard est marquée par un mépris qui s’incarne notamment dans la cessation de l’envoi de cadeaux, pratique culturelle au cœur de la diplomatie entre communautés à l’époque. Observant une diminution des échanges, notamment des armes et des munitions, un vaste sentiment d’insécurité se répand à travers les tribus, dont les chefs se coalisent contre l’occupant dès la fin de l’hiver 1763.

Le

251 7.2 La guerre de Sept Ans [1756-1763]
traité de Paris
traité de paix qui met fin à la guerre de sept ans, Paris, 10 février 1763.
7.10

Panindianisme

(ou panamérindianisme)

Mouvement visant à unifier l’ensemble des groupes autochtones d’un vaste territoire dans le but de protéger notamment leur culture et leurs autres intérêts.

7.2.7 La révolte de Pontiac et le réveil de la conscience autochtone

Après la prise de Québec en 1759 et la reddition de Montréal l’année suivante, le commandement des territoires, s’étalant de la vallée du Saint-Laurent au Mississippi, tombe entre les mains de Sir Jeffrey Amherst, un général anglais. Les communautés autochtones au sud des Grands Lacs, comme les Delawares et les Ottawas, vivent difficilement la transition. Ce mécontentement découle d’une directive d’Amherst qui prive ces tribus du commerce des armes, objets essentiels à leur défense. Dans ce contexte, un réveil s’opère graduellement à travers les groupes soumis au régime anglais. Le message d’un prophète nommé Neolin se répand dans toute la région située au sud des Grands Lacs. Neolin prédit la disparition des communautés autochtones si les Anglais ne sont pas chassés. C’est la naissance d’un premier mouvement de militantisme panindien. S’appuyant sur ce mouvement, le chef ottawa Pontiac lance une première offensive contre les Anglais à fort Détroit au printemps 1763. C’est le début de la Révolte de Pontiac, qui enflamme la région alors qu’une quantité impressionnante de tribus prennent les armes et attaquent plusieurs des forts anglais.

La réponse anglaise combine opérations militaires et pratiques génocidaires. Utilisant le couvert de la diplomatie, les Anglais remettent à des chefs Delaware des présents parmi lesquels des couvertures infectées par la petite vérole. Ainsi commence une stratégie coordonnée pour affaiblir les Autochtones par la maladie. À la fin du printemps 1763, les ordres d’Amherst sont clairs : il faut exterminer les Autochtones rebelles. « Vous ferez bien d’essayer d’inoculer les Indiens au moyen de couvertures, de même que de tenter toute autre méthode qui puisse servir à éradiquer cette race exécrable. Je serais fort heureux que votre plan de les chasser au moyen de chiens puisse prendre effet », écrit-il au colonel Henry Bouquet, le 16 juillet 1763. En dépit de cette violence, les Britanniques ne parviennent pas à calmer les tribus autochtones coalisées qui cherchent à expulser ceux perçus comme des occupants et à précipiter le retour des Français. Les membres de ces tribus peinent à concevoir qu’on puisse se disputer leurs terres dans le cadre de traités signés en Europe alors qu’ils n’ont pas été défaits militairement. Sans appui de la France, le mouvement s’essouffle et les pressions sont fortes en faveur d’une reprise de la traite des fourrures. La paix revient finalement en 1765.

souLèVeMeNt des PaXtoN boys [1763]

Les tensions sont vives à la frontière entre la Pennsylvanie et les territoires occupés par les Autochtones. L’éclatement de la Révolte de Pontiac encourage les colons à agresser brutalement des Autochtones non combattants. Lors du soulèvement des Paxton Boys, une cinquantaine de colons ivres massacrent 20 membres de la nation Susquehannock sans défense. Aucun procès n’a lieu en dépit de l’appel du gouverneur John Penn à arrêter les coupables.

252 Chapitre 7 L’émergence du Nouveau Monde [1750-1825]
Anonyme, « Paxton Boys uprising (Soulèvement des Paxton Boys), 1763 » (1841). Lithographie dans Encyclopædia Britannica

4 Quelles réalités du XVIIIe siècle confèrent une échelle mondiale à la guerre de Sept Ans ?

5 Comment ce conflit affecte-t-il les relations entre des sociétés partout dans le monde ?

6 Quels problèmes la fin de la guerre de Sept Ans laisse-t-elle entrevoir pour ses principaux belligérants ?

7.3

Les révolutions atlantiques

La seconde moitié du XVIII e siècle est décidément marquée par une accélération d’événements politiques jamais observée dans l’histoire humaine. En l’espace d’un peu plus de 50 ans (entre 1776 et 1830), la majorité des colonies d’Amérique rompent leurs liens coloniaux et se transforment en États indépendants. En Europe, le continent est secoué par une succession de conflits civils et de guerres de nature impérialiste. Ces phénomènes sont intimement liés, mais il faut se garder d’y voir un ensemble homogène d’événements ayant des causes, des déroulements et des issues uniformes. Depuis l’Amérique du Nord, en passant par l’Europe pour revenir dans le sud de l’Amérique, nous suivrons le ballet des révoltes, des révolutions et des indépendances qui donneront à ce continent plusieurs facettes de son apparence actuelle.

7.3.1

La création des états-unis d’amérique

Les treize colonies après la guerre de sept ans

La guerre de Sept Ans laisse les empires européens dans un état d’instabilité. Même victorieuse, la Grande-Bretagne n’y échappe pas. Des adaptations importantes sont nécessaires pour rendre viables les nouvelles possessions de la Couronne. En Europe, le gouvernement est aux prises avec une crise financière majeure. Les dettes de guerre faramineuses contractées pour mener les campagnes militaires terrestres et maritimes autour du globe forcent les États à trouver de nouvelles sources de revenus à travers de nouvelles taxes. Le Parlement de Londres, qui ne compte aucun député issu des colonies, rejette l’idée d’une hausse des taxes foncières prélevées sur les sujets de la mère patrie et trouve beaucoup plus facile d’imposer ce fardeau aux sujets des colonies.

En Amérique, l’instabilité prend plusieurs formes. En plus du soulèvement de Pontiac aux frontières occidentales, les colonies sont frappées par une récession d’après-guerre causée par la chute du prix du tabac. Les forces britanniques voient aussi avec suspicion la population d’origine française qui continue de vivre dans la vallée du Saint-Laurent. S’ajoute un problème économique : avec l’adjonction des vastes territoires conquis, les coûts d’entretien des colonies quintuplent entre 1754 et 1764, passant de 70 000 à 350 000 livres. Les décisions prises par le gouvernement anglais pour remédier aux défis financiers auxquels il fait face deviendront, comme nous le verrons, les causes de l’animosité grandissante des colons envers leur métropole.

253 7.3 Les Révolutions atlantiques

En comparant cette carte avec celle tracée par John Mitchell en 1755 (disponible sur maZoneCEC), quels éléments incarnent la divergence de points de vue entre les aspirations des colons et les décisions prises par la Couronne ?

La montée de l’insatisfaction chez les colons

Dans ce contexte passablement tendu, le roi et le Parlement provoquent la montée de l’insatisfaction chez les élites politiques et marchandes des Treize colonies. D’abord, la Proclamation royale de 1763 ordonne la création d’un vaste territoire réservé aux Autochtones, privant les colonies d’une possibilité tant attendue d’expansion à l’ouest 7.11 . Elle oblige également les « squatteurs », les nombreux colons qui s’y étaient établis illégalement, à s’en retirer. Plus encore, l’armée régulière est maintenue dans les colonies, alors qu’elles avaient l’habitude d’assurer leur défense de manière autonome. La présence militaire anglaise en temps de paix suscite la méfiance des colons qui perçoivent comme étranger ce dispositif militaire.

L’Amérique du Nord après la Proclamation royale, 1763 7.11

Légende

Possessions britanniques

Province de Québec

Nouvelle-Écosse

Terre-Neuve

Terre de Rupert

Treize colonies

Floride

Territoire autochtone

Possession espagnole

Louisiane

Ensuite, marchands et membres de l’élite coloniale ressentent des changements dans les rapports économiques entre leurs colonies et la métropole. Ils voient arriver, par dizaines, des agents britanniques responsables de la collecte des droits de douane, lesquels étaient virtuellement absents au cours des décennies précédentes. De manière à renflouer ses coffres et à payer ses dettes, le Parlement émet une série de lois ayant pour objet de générer des revenus pour le trésor britannique. La première d’entre elles, le Sugar Act, ou Loi sur le Sucre, réintroduit une taxe sur le sucre et le café. Cette forme de taxation cadre tout à fait avec les pratiques mercantilistes de l’époque. Toutefois, pour les colons, la nouveauté réside dans le fait que la taxe est réellement collectée par des agents de douane, ce à quoi ils n’étaient pas accoutumés. De surcroît, les autorités coloniales s’offusquent de l’absence de consultation des assemblées coloniales sur cette question de taxation. Dans les années qui suivront, lorsque les agents de la Couronne commencent à percevoir les taxes et à saisir les cargaisons des contrebandiers, le slogan « No taxation without representation » (Pas de taxation sans représentation) commence à circuler.

254 Chapitre 7 L’émergence du Nouveau Monde [1750-1825]
?
Mexique Baie d’Hudson OCÉAN ATLANTIQUE FLORIDE LOUISIANE TERRITOIRE AUTOCHTONE OHIO TE R R EN E UVE TERRE D E R U P E RT T R E I Z E C O L ONIES NOUVELLEÉCOSSEPROVINCEDEQUÉBEC
ET–MIQUELON (FRANCE)
Mer du Labrador Golfe du
SAINT-PIERRE–
0 335 670 km

La situation s’envenime encore davantage avec le Stamp Act de 1765 (Loi sur le Timbre). Cette loi introduit une nouvelle mesure visant cette fois-ci à taxer les documents officiels circulant dans les colonies. Dorénavant, ces documents devront porter un sceau (stamp) acheté auprès des autorités coloniales. Pour la première fois, Londres commence à taxer non pas le produit des échanges entre les colonies et la métropole, mais les activités économiques, juridiques, et même celles de la presse (chaque copie des journaux doit porter un timbre). Cette taxe touche donc les activités des juristes (contrats, testaments) et des commerçants (permis), c’est-à-dire l’élite coloniale.

À partir de la promulgation de la Loi sur le Timbre, l’élite coloniale s’organise et provoque une série d’événements présentant diverses formes de violence. Les notables du Massachusetts créent une nouvelle organisation, les Sons of Liberty (Fils de la Liberté). Cette organisation réunit des membres de la population blanche (artisans ou membres de la petite bourgeoisie) qui organisent des manifestations. Celles-ci donneront lieu à de nombreuses émeutes, à des agressions envers les agents britanniques

7.12 et même des membres de l’élite coloniale. Parallèlement à ces flambées de violence, les gouvernements des différentes colonies conviennent de s’assembler en octobre 1765. Réunis en congrès à New York, les représentants demandent officiellement au gouvernement britannique d’abroger le Stamp Act, ce qui sera fait l’année suivante.

La guerre d’indépendance

À mesure que s’accumulent les tensions, la position de la métropole se durcit et la violence s’accroît dans les colonies. Londres retire certaines taxes, mais en introduit d’autres, accompagnées de mesures toujours plus impopulaires, comme le Quartering Act de 1766 qui oblige les colons à loger et à nourrir les soldats britanniques. Aux nouvelles taxes introduites par le Townshend Act (thé, papier, verre, plomb, colorants), les autorités coloniales réunies en congrès répondent par une campagne de boycottage des produits anglais. Les femmes sont les principales responsables du boycottage. Elles trouvent, par exemple, des produits de substitution à ceux normalement issus de l’importation ou encore elles accroissent significativement la production artisanale. En d’autres mots, elles rendent possible de se passer des produits britanniques. On estime que les importations en provenance d’Angleterre chutent de moitié au cours des mois suivants. En 1770, le Parlement anglais retire la plupart des nouvelles taxes, témoignant du grand succès des contestations. Toutefois, l’agitation particulièrement aiguë que présentait la colonie du Massachusetts, et principalement la ville de Boston, inquiète Londres.

C’est dans ce contexte tendu que survient, le soir du 5 mars 1770, le massacre de Boston 7.13 . Lorsqu’une manifestation tourne à l’émeute, les soldats britanniques en garnison à Boston font feu sur la population. À partir de cet événement, la radicalisation de part et d’autre s’amplifie. Pour apaiser les tensions, Londres retire de nombreuses taxes, permettant aux boycottages de cesser et aux échanges de reprendre. Toutefois, les taxes sur le thé maintenues par le Tea Act de 1773 provoquent une réaction hostile chez les Fils de la Liberté. Ceux-ci, vêtus d’habits autochtones, montent à bord des navires amarrés du port de Boston et jettent à l’eau les cargaisons de thé en quelques heures. Le « Boston Tea Party » suscite la colère en Angleterre. La marche vers la lutte armée s’accélère.

Quels éléments de cette illustration démontrent la violence qui prévaut à Boston ?

Repérez au moins deux éléments qui rappellent des faits historiques qui sont réellement survenus avant 1774. Par une brève recherche, trouvez la signification de « Liberty Tree ».

255 7.3 Les Révolutions atlantiques
Les Bostoniens payant un agent du fisc, 1774
7.12
Philip Dawe (attribué), Les Bostoniens payant l’agent du fisc (1774). © Gift of William H. Huntington. des colons du Massachusetts torturant un officier britannique. une fois goudronné et emplumé, on lui fait boire du thé brûlant.
?

Cette

Le massacre de Boston, 1770

La réponse de Londres à cet affront des Fils de la Liberté est sévère. Elle prend la forme d’une série de lois, les Coercive Laws (ou Lois coercitives) que l’élite coloniale s’empresse de qualifier de « lois intolérables ». Le port de Boston, l’un des plus importants en Amérique, est fermé. La colonie, soumise à la loi martiale, est occupée par une armée de 10 000 soldats. De plus, craignant la coalition entre Canadiens français et Anglo-Américains, le Quebec Act (Acte de Québec) promulgue de nouvelles frontières pour la Province of Quebec, qui s’étend désormais sur un gigantesque territoire au sud des Grands Lacs. Les colons canadiens-français sont dorénavant autorisés à vivre sous le droit civil français, alors que l’Église catholique et le régime seigneurial sont restaurés officiellement.

En septembre 1774, 55 délégués représentant 12 des Treize colonies (la Géorgie demeurait absente pour le moment) se réunissent à Philadelphie, en Pennsylvanie, dans le cadre du premier Congrès continental. Les colonies sont divisées quant aux actions à prendre, certaines désirent demeurer loyales à la Couronne et négocier une représentation au Parlement de Londres, alors que d’autres cherchent l’indépendance pure et simple. En réaction à cette assemblée, le roi George III ordonne intempestivement que les colonies soient dorénavant considérées comme en rébellion. C’est dans ce contexte extrêmement tendu que le 19 avril 1775, en périphérie de Boston, retentissent les premiers coups de feu de la guerre d’indépendance.

Finalement, le 4 juillet 1776, le Congrès continental adopte une déclaration d’indépendance unilatérale 7.14 7.15 . Londres répond par le déploiement de toute sa capacité militaire et navale. De son côté, le Congrès ordonne la création d’une armée continentale qu’il confie au général George Washington.

La victoire finale des forces continentales n’aurait pu être possible sans un facteur décisif. Dès 1776, souhaitant prendre sa revanche de la défaite de 1763, la France supporte massivement les colons insurgés. L’envoi d’officiers, d’armes, de munitions et de vêtements permet à l’armée continentale de maintenir une capacité d’opération alors que ses rangs sont décimés par la maladie. Puis la France intensifie son implication en formant une alliance avec les

7.14

À partir de la peinture de Tornbull, à l’avantage de quel groupe social l’indépendance est-elle effectuée ?

La déclaration d’indépendance

? 256 Chapitre 7 L’émergence du Nouveau Monde [1750-1825]
John Trumbull, Déclaration d’indépendance (1817). Huile sur toile (366 x 549 cm). US Capitol National Portrait Galery, Washington. Paul Revere, The Boston Massacre (Le massacre de Boston) (1770). Gravure (26 x 23,2 cm). Metropolitan Museum of Art, New York.
7.13
gravure de Paul revere a largement circulé en réponse à la violente confrontation du 5 mars 1770. Passant entre les mains de milliers de personnes, ce type de représentation a alimenté le ressentiment colonial envers la métropole en présentant les troupes anglaises à la manière d’une force occupante hostile et violente.

Déclaration unanime des 13 États unis d’Amérique réunis en congrès le 4 juillet 1776 7.15

« Lorsque, dans le cours des événements humains, il devient nécessaire pour un peuple de dissoudre les liens politiques qui l’ont attaché à un autre et de prendre, parmi les puissances de la Terre, la place séparée et égale à laquelle les lois de la nature et du Dieu de la nature lui donnent droit, le respect dû à l’opinion de l’humanité oblige à déclarer les causes qui le déterminent à la séparation.

Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. Toutes les fois qu’une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l’abolir et d’établir un nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l’organisant en la forme qui lui paraîtront les plus propres à lui donner la sûreté et le bonheur. […]

Mais lorsqu’une longue suite d’abus et d’usurpations, tendant invariablement au même but, marque le dessein de les soumettre au despotisme absolu, il est de leur droit, il est de leur devoir de rejeter un tel gouvernement et de pourvoir, par de nouvelles sauvegardes, à leur sécurité future. Telle a été la patience de ces Colonies, et telle est aujourd’hui la nécessité qui les force à changer leurs anciens systèmes de gouvernement. L’histoire du roi actuel de Grande-Bretagne est l’histoire d’une série d’injustices et d’usurpations répétées, qui toutes avaient pour but direct l’établissement d’une tyrannie absolue sur ces États. […] »

Jefferson Thomas. Déclaration unanime des 13 États unis d’Amérique réunis en congrès le 4 juillet 1776

États-Unis, plongeant ainsi ouvertement dans la guerre. De leur côté, les Américains ont la sagesse d’éviter le plus possible les affrontements majeurs avec les troupes britanniques, professionnelles et beaucoup mieux entraînées que l’hétéroclite troupe continentale formée à la hâte. Lorsque l’Espagne emboîte le pas à la France et que les flottes combinées des couronnes Bourbon (les rois des deux royaumes étant de même famille) entreprennent un blocus des côtes américaines, les troupes impériales britanniques sont forcées de capituler. La paix est finalement signée à Versailles le 3 septembre 1783 et la Grande-Bretagne reconnaît l’indépendance des États-Unis.

La construction d’un nouvel état

En rompant leurs liens avec la monarchie anglaise, les colonies auraient pu se constituer en 13 États souverains, mais leur survie immédiate dépendait de leur capacité à mettre en commun leurs ressources. Elles se dotent donc d’un gouvernement et d’institutions aptes à les diriger dans l’adversité comme dans la paix délicate à venir. Le Congrès opte ainsi pour la création d’un État fédéral. La nouvelle entité naissante comporte des caractéristiques nouvelles pour l’époque. D’abord, les délégués décident de ne pas rétablir une monarchie, trop susceptible de se transformer en tyrannie. On choisit plutôt de mettre en place un régime républicain fondé sur une constitution qui prévoit que les détenteurs du pouvoir exécutif (le président) et législatif sont élus.

En abolissant la monarchie, la Constitution américaine rompt avec la tendance qui prévaut partout dans le monde. Elle confie le pouvoir de légiférer au Congrès, formé du sénat et de la chambre des représentants où siègent des élus. Cet aménagement est conforme à la tradition anglaise importée dans les colonies des siècles plus tôt. La Constitution américaine reprend de manière évidente les principes énoncés par le philosophe des Lumières Montesquieu qui prescrivait, pour éviter les dérives autocratiques, de diviser le pouvoir politique et de mettre en place des mécanismes pour que chacune des branches soit en mesure de freiner l’autre advenant des abus. En dépit de ces garanties, les craintes nourries à l’endroit du pouvoir fédéral inquiètent. Pour pallier ces inquiétudes, 10 amendements sont rédigés et adoptés en 1791 7.16 . Ils constituent le Bill of Rights, ou Déclaration des droits, qui énonce les droits individuels des personnes et dont les principes rappellent en partie ceux prévalant depuis 1689 en Angleterre (voir le chapitre 5, aux pages 182 et 183).

Amendement Modification à un texte officiel adopté par une assemblée représentative.

257 7.3 Les Révolutions atlantiques

Bien que plusieurs ouvrages populaires qualifient ce régime politique de démocratique, il faut plutôt parler d’un régime républicain ne reposant pas sur le pouvoir du peuple dans son ensemble. Le droit de vote restera très longtemps réservé aux seuls hommes blancs propriétaires, excluant la vaste majorité de la population : les femmes, les esclaves ainsi que les citoyens non propriétaires.

Le Bill of Rights 7.16

« Amendement I : Le Congrès ne fera aucune loi qui touche l’établissement ou interdise le libre exercice d’une religion, ni qui restreigne la liberté de parole ou de la presse, ou le droit qu’a le peuple de s’assembler paisiblement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour le redressement de ses griefs.

Amendement II : Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, le droit qu’a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé.

Amendement III : L’État ne peut loger de troupes chez l’habitant en temps de paix. En temps de guerre, cela ne doit être fait que dans les conditions prévues par la loi.

Amendement IV : Le droit des citoyens d’être garantis dans leur personne, leur domicile, leurs papiers et effets, contre les perquisitions et saisies non motivées ne sera pas violé […].

Amendement V : Nul ne sera tenu de répondre d’un crime capital ou infamant sans un acte de mise en accusation, spontané ou provoqué, d’un grand jury […] ; nul ne pourra, dans une affaire criminelle, être obligé de témoigner contre lui-même, ni être privé de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans procédure légale régulière ; nulle propriété privée ne pourra être expropriée dans l’intérêt public sans une juste indemnité.

Amendement VI : Dans toutes poursuites criminelles, l’accusé aura le droit d’être jugé promptement et publiquement par un jury impartial de l’État et du district oùle crime aura été commis […], d’être instruit de la nature et de la cause de l’accusation, d’être confronté avec les témoins à charge, de disposer de moyens légaux pour contraindre la comparution des témoins à décharge, et d’être assisté d’un conseil pour sa défense.

Amendement VIII : Les cautions et les amendes excessives, ainsi que les châtiments cruels ou exceptionnels, sont interdits. »

The Bill of Rights, 1791.

Voyez-vous des liens entre les amendements du bill of rights et les motifs qui ont poussé les colonies anglaises à s’affranchir de la tutelle de la Couronne britannique ?

7 Dans quelle mesure peut-on attribuer la responsabilité du déclenchement de la guerre d’indépendance américaine à la Grande-Bretagne ?

8 Qu’est-ce qui distingue le régime mis en place aux États-Unis de ceux que l’on observait jusqu’alors dans le monde dominé par l’Europe ?

9 Décrivez la relation changeante entre Blancs et Autochtones à cette époque.

258 Chapitre 7 L’émergence du Nouveau Monde [1750-1825]
?

7.3.2 La révolution française

Les sources nationales et internationales des troubles

À l’approche du dernier quart du XVIIIe siècle, la France demeure une société d’Ancien Régime La dynastie des Bourbons règne sur une société d’ordres 7.17 caractérisée par une inégalité de statut entre les différents groupes qui forment la société. Les Lumières critiquent ce monde depuis maintenant des décennies, mais le mécontentement gagne également la paysannerie, épuisée et frustrée par son fardeau de taxation. Ce sentiment d’injustice s’ajoute à une vie déjà difficile marquée par un travail acharné qui n’empêche pas les périodes ponctuelles de disette. Cette situation offre un terreau fertile pour que germe le grain de la révolte, voire de la révolution…

Malgré cette situation, le déclencheur de la révolution se trouve peut-être davantage du côté des dynamiques internationales. Les emprunts destinés à soutenir financièrement les révolutionnaires américains dans le but de nuire à l’Angleterre couplés aux frais de la guerre de Sept Ans totalisent un fardeau financier que la Couronne de France peine à rembourser. Pour y faire face, le roi Louis XVI se voit contraint de taxer les groupes normalement exemptés de tout impôt : noblesse et clergé. Mais pour arriver, il doit convoquer les États généraux, une vieille institution où se rassemblent des représentants des trois ordres. Dans le contexte de la monarchie absolue, les États généraux n’avaient pas été convoqués depuis 1615 ! Chaque ordre n’y dispose que d’un seul vote, ce qui confère un avantage indéniable à la noblesse et au clergé qui peuvent imposer leurs décisions au tiers état malgré l’écrasante majorité de celui-ci dans la population du royaume.

Ancien Régime

Expression qui fait référence au pouvoir politique caractérisé par l’absolutisme, les ordres sociaux, la pensée économique liée au mercantilisme et une religion d’État imposée par le monarque, dans la France aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Que signifie la caricature ? Qui présente-t-elle et quel message envoie-t-elle ? La société d’ordres 7.17

Lors des États généraux, le tiers état rejette cette inégalité fondamentale. Les délégués affirment que ceux qui travaillent et payent les taxes sont les véritables acteurs de la « nation » et que chaque membre présent, plutôt que chaque ordre, devrait avoir un vote. Alors que se déroulent les débats, des révoltes paysannes éclatent. L’ordre ancien est en train de vaciller. Les membres du tiers état se déclarent alors « assemblée nationale ». Ils rompent avec les États généraux, et prêtent serment (le serment du Jeu de paume 7.18 ) de rester unis tant que le roi ne reconnaît pas leur souveraineté. Dans la foulée de ces événements, la révolte gagne Paris. Le 14 juillet 1789, une foule pénètre dans la Bastille, un dépôt d’armes qui sert aussi de prison politique, et en prend le contrôle. Face à la foule en colère, le roi décide de ne pas déployer l’armée. La ville passe sous contrôle populaire. La nouvelle gagne la campagne et alimente la révolte paysanne. La Révolution française se met en branle.

de la monarchie constitutionnelle à la république laïque

Dès 1789, l’effervescence révolutionnaire est palpable. Renverser la société d’ordres est un premier pas, changer la société est le suivant. La « Déclaration des droits de l’homme et du

?

La société d’ordres. À faut espérer qu’eu jeu la finira ben tôt (« Il faut espérer que ce jeu-là finira bientôt ») (1789). Gravure à l’eau-forte coloriée (20,6 x 16,7 cm). Musée Carnavalet, Paris. À la veille de la révolution, la roture est devenue le « tiers état » qui, contrairement à la noblesse et au clergé, est le seul ordre à devoir payer les impôts.

Roture

259 7.3 Les Révolutions atlantiques
Qui n’est pas noble.

Le serment du Jeu de paume

citoyen » (voir la section Une synthèse par les sources) qui est adoptée représente parfaitement cette volonté de transformation. Elle constitue une rupture éclatante avec l’Ancien Régime en mettant en scène un nouvel acteur politique central : le citoyen. Celui-ci, doté de droits et porteur du pouvoir politique, devient la figure autour de laquelle s’organise la vie politique.

Le citoyen est un sujet de droit, c’est-à-dire qu’il détient des droits civils et politiques, et qu’il jouit donc des libertés individuelles (par exemple la liberté de conscience ou d’expression). Si son statut lui permet de participer à la vie politique, il a en revanche des obligations : respecter les lois, payer les impôts et les taxes, participer à la défense de la société, etc. Avec la figure du citoyen, c’est l’organisation politique de la société dans son entièreté qui change. Comme l’écrit la sociologue Dominique Schnapper, la citoyenneté, c’est :

est à l’origine de

séparation

« le principe de la légitimité politique. Le citoyen […] est détenteur d’une part de la souveraineté politique. C’est l’ensemble des citoyens, constitués en collectivité politique ou en “communauté des citoyens” qui, par l’élection, choisit les gouvernants. […] Les gouvernés reconnaissent qu’ils doivent obéir aux ordres des gouvernants parce que ceux qui leur donnent ces ordres ont été choisis par eux et restent sous leur contrôle ».

7.19

La marche sur Versailles, 1789

La Déclaration de 1789 garantit à tous les citoyens des droits et des libertés, elle fait d’eux des sujets égaux devant la loi. Il est toutefois important de se poser la question : qui est considéré comme citoyen ? Les Noirs libres qui vivent en France ou encore les Juifs au statut historique ambigu le sont-ils ? Les pauvres, les illettrés, etc. ? Divers groupes comme ceux-ci se voient, dans le mouvement révolutionnaire, octroyer la citoyenneté (avant de se la faire retirer quelques années plus tard, suivant les changements de pouvoir). Un groupe en particulier demeure en marge de la citoyenneté : les femmes. Dans les premières années de la révolution, bien qu’elles jouissent des libertés civiles, les femmes adultes sont légalement exclues du corps politique.

Devant cette situation, des femmes se mobilisent 7.19 Certaines réclament, par exemple, le droit de porter les armes pour défendre la révolution. Elles participent aussi aux débats politiques, revendiquant le plein accès aux droits conférés par la citoyenneté. Parmi celles-ci, certaines affirment haut et fort le statut d’égalité qui doit prévaloir entre femmes et hommes. C’est le cas d’Olympe de Gouges, femme de lettres et figure révolutionnaire qui rédige la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » (voir la section Une synthèse par les sources). Pour elle, si « la femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune ». Avec une bien triste ironie, c’est sur ce même échafaud que de Gouges périt.

Anonyme, Journées des 5 et 6 octobre (1789). Gallica BnF.

Le 5 octobre 1789, des milliers de personnes, dont une majorité de femmes, marchent vers Versailles, où s’est réfugié le roi, pour lui réclamer la signature des décrets de la Constitution.

En 1793, la mort par décapitation de Louis XVI, de la reine Marie-Antoinette et de la révolutionnaire Olympe de Gouges sont emblématiques des années nommées, a posteriori, la Terreur. Jusqu’à 40 000 personnes périssent sous la lame de la guillotine 7.20 . Alors que les combats internes entre

260
L’émergence
Chapitre 7
du Nouveau Monde [1750-1825]
Jacques-Louis David, Le Serment du jeu de paume (1790). Huile sur toile. Musée Carnavalet, Paris. Ce serment la des pouvoirs et de la souveraineté nationale. Cet événement a eu lieu le 20 juin 1789 dans la salle du Jeu de paume, à Versailles.
7.18

théroIGNe de MérICourt [1762-1817]

Issue d’une famille paysanne fortunée, Anne Josèphe Terwagne s’établit à Paris avant la révolution. Elle s’enthousiasme pour celle-ci dès 1789 et gravite autour de l’Assemblée. Ayant tissé des liens avec de nombreux dirigeants révolutionnaires, elle devient célèbre sous le nom de Théroigne de Méricourt. « Offensée par la tyrannie que les hommes exercent sur son sexe », selon ses mots, elle s’attire des ennemis. Emprisonnée pendant plusieurs mois par des adversaires de la révolution, elle rentre à Paris après sa libération oùelle tente d’inciter les femmes à s’armer. Elle s’engage alors dans les manifestations du printemps 1792 et prend les armes au mois d’août. Son courage est récompensé d’une couronne civique. Dans la tourmente des conflits entre factions révolutionnaires, elle propose que les femmes servent de médiatrices. Prise à partie par des militants révolutionnaires, elle est fouettée en public. Sa santé mentale en est grandement fragilisée. Arrêtée en juin 1794, elle est jugée pour folie et termine ses jours à l’hôpital psychiatrique de la Salpêtrière oùelle meurt en 1817.

factions révolutionnaires s’intensifient et que les adversaires de la révolution à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières se mobilisent, les exécutions sont vues par certains, comme Maximilien de Robespierre, comme le seul moyen de maintenir l’idéal révolutionnaire en marche.

Alors que les affrontements divers se poursuivent durant plusieurs années, une figure incontournable gravit les échelons du pouvoir politique et militaire : Napoléon Bonaparte.

L’épisode napoléonien

Originaire de la petite noblesse corse, Napoléon commence sa formation militaire alors qu’il est encore enfant. Trop jeune pour être engagé dans l’action révolutionnaire, il bénéficie des troubles qui engendrent un besoin en officiers pour monter rapidement dans la hiérarchie. De général, il se fait nommer consul avant de s’autoproclamer empereur, en 1804.

Au pouvoir, Napoléon maintient certains éléments issus de la révolution, notamment au niveau des réformes administratives, mais il revient sur d’autres dimensions. Il redonne sa place au catholicisme, concentre les pouvoirs, abandonne les idées du parlementarisme et multiplie les symboles impériaux (rappels de la gloire romaine, arcs de triomphe, etc.).

Napoléon navigue habilement en eaux troubles. Couronné empereur, il prend le titre d’empereur des Français 7.21 et non d’empereur de France. Il veut projeter l’image d’un dirigeant au service du peuple. Le pouvoir qu’il détient lui permet d’implanter certaines transformations durables qui feront des émules. Parmi les plus significatives, on note le Code napoléonien, une réforme du droit civil qui, inspirée du droit romain (Code Justinien), impose un ordre juridique commun.

Dans la foulée de son ascension fulgurante, Napoléon vise à « exporter » la révolution à l’extérieur des frontières de France. Mais la liberté, l’égalité et la fraternité ne sont pas des principes qui s’imposent par la force… Le projet napoléonien devient rapidement une entreprise de conquête.

La puissante armée française dont s’est dotée la république, mise au service d’un militaire pourvu d’un certain génie et qui sait être aimé des troupes, fait des ravages en Europe et même au-delà. L’Égypte d’abord, puis le Portugal, l’Espagne, l’Autriche, les territoires germaniques et italiens ainsi que la Russie deviennent les cibles et les conquêtes de

7.20

un des symboles les plus emblématiques de la terreur, et pour certains de la révolution dans son ensemble, la guillotine est un outil de mise à mort qui s’inscrivait dans une logique humaniste, car il s’agissait du moyen d’exécution le plus rapide et sans souffrance jamais inventé.

261 7.3 Les Révolutions atlantiques
La Guillotine et la Terreur Page frontispice de l’Almanach des prisons (1795), un ouvrage anti-Robespierre, Gallica BnF. Jean-Baptiste et Pierre-Étienne Lesueur, détail de Théroigne de Méricourt (1793-1795). Gouache (36 x 50 cm). Musée Carnavalet, Paris.

7.21

Napoléon, empereur des Français

Napoléon et de ses armées 7.22 . À son apogée, l’empire napoléonien englobe environ 40 % de la population européenne !

Si dans un premier temps Napoléon enchaîne les succès et peut prétendre à une domination européenne, c’est entre autres parce que ses ennemis ne parviennent pas à mettre leurs différends de côté et à se rallier. Mais la liste des ennemis de la France napoléonienne ne fait que s’allonger, avec les Britanniques au premier rang. Acceptant de faire front commun, les différentes puissances d’Europe parviennent à freiner l’empereur des Français. D’abord en Russie en 1812, puis définitivement, à Waterloo en Belgique, en 1815.

Paradoxalement, la volonté de forger un empire européen entraîne plutôt le résultat inverse, soit la montée des multiples nationalismes d’Europe centrale. Dans le sillage des troupes napoléoniennes en retraite, c’est le printemps des peuples qui commence à germer (voir le chapitre 10). En 1815, on organise le congrès de Vienne. Les différentes entités politiques y conviennent de respecter les frontières établies afin d’éviter de nouvelles révolutions ou de nouvelles guerres. Les monarques chassés par Napoléon reprennent leurs trônes ; Louis XVIII, de la famille Bourbon, devient le nouveau roi en France.

L’empire napoléonien à son apogée en 1812 7.22

Empire français États satellites de l’Empire français

Alliés de Napoléon Coalition contre Napoléon Territoires conquis par Napoléon Campagne de Russie

10 Quels facteurs internes et externes contribuent au déclenchement de la Révolution française ?

11 Quelle conception de l’humain prend une forte ampleur dans ce contexte ?

12 La Révolution française est-elle un succès immédiat ? Expliquez.

262 Chapitre 7 L’émergence du Nouveau Monde [1750-1825]
Jean-Auguste-Dominique Ingres, Napoléon I er sur le trône impérial (1806). Huile sur toile (1,63 x 2,60 m). Musée de l’Armée, Paris.
Mer Méditerranée Mer Noire Mer du Nord Mer Baltique OCÉAN ATLANTIQUE PORTUGAL ROYAUME-UNI EMPIRE FRANÇAIS ESPAGNE AFRIQUE ROYAUME DE LA NORVÈGE ET DU DANEMARK CONFÉDÉRATION DU RHIN SUISSE ROYAUME D’ITALIE ROYAUME DE SARDAIGNE ROYAUME DE NAPLES ROYAUME DE SICILE SUÈDE PRUSSE GRAND-DUCHÉ DE VARSOVIE EMPIRE DE RUSSIE EMPIRE D’AUTRICHE EMPIRE OTTOMAN
Légende
0 375 750 km

7.3.3 La révolution haïtienne

Dans la foulée de la révolution aux États-Unis, la seconde colonie européenne à lutter pour son indépendance et à l’obtenir est la partie française de la petite île de Saint-Domingue, qui deviendra Haïti 7.23 . Toutefois, si son territoire n’est pas particulièrement vaste, les conséquences de l’indépendance haïtienne sur le monde atlantique sont indéniables. Près de deux décennies avant que ne s’amorce le mouvement d’indépendance des colonies espagnoles d’Amérique, la colonie esclavagiste française de Saint-Domingue empruntera le complexe et violent chemin vers son indépendance. En abordant cet épisode, nous comprenons comment les mouvements indépendantistes d’Amérique ne peuvent être considérés isolément, mais doivent plutôt être envisagés en dialogue avec l’Europe.

À la fin des années 1780, Saint-Domingue est toujours une colonie française extrêmement prospère. Colonie esclavagiste par excellence, des dizaines de milliers de nouveaux esclaves débarquent encore sur l’île annuellement. Au total, c’est près de 600 000 esclaves qui y travaillent. Ils forment environ 90 % de la population, à laquelle s’ajoutent environ 30 000 Blancs (propriétaires, administrateurs, marchands, etc.) et 30 000 Noirs libres (esclaves affranchis). Cette population servile travaille sur plus de 700 plantations de canne à sucre et près de 3 000 plantations de café, dont la production a explosé au cours du XVIIIe siècle. Ce modèle économique, combiné aux qualités du sol et du climat de l’île, fait de Saint-Domingue la « perle des Antilles ». À elle seule, la colonie génère environ les deux tiers de l’ensemble des revenus extérieurs de la France ! L’île produit approximativement 50 % de la production mondiale de sucre et de café ! Ainsi, lorsque s’amorce la révolte initiale, la France fera tout en son pouvoir pour tenter de garder le contrôle de sa colonie.

Pour comprendre le mouvement vers l’indépendance d’Haïti, il est essentiel de se tourner vers les événements qui surviennent en France à cette époque. En 1789, la métropole est marquée par sa propre révolution. Ainsi, les idées républicaines qui circulent en France, particulièrement les notions d’égalité et de liberté, trouvent une résonnance particulièrement significative à Saint-Domingue, colonie sévèrement esclavagiste.

Dans cette colonie, c’est paradoxalement chez la minorité blanche de l’île que l’idée d’indépendance se manifeste. Inspirée de l’exemple états-unien, une portion de l’élite blanche cherche à déclarer l’indépendance de l’île en s’arrogeant les pouvoirs détenus par la métropole.

La France n’allait certes pas accepter de perdre son joyau antillais ; les insurgés sont donc réprimés avec force.

Ainsi, les colonies de plantation françaises des Caraïbes commencent à s’agiter et une décision prise en France républicaine viendra mettre le feu aux poudres. En 1791, l’Assemblée nationale française octroie le droit de vote aux hommes libres de couleur vivant en métropole. Cette décision entraîne une véritable guerre civile dans la colonie puisqu’elle génère des conflits au sein de la population blanche, de même qu’entre Blancs et Noirs libres. Les esclaves profitent alors de ces conflits pour se révolter.

Dès août 1791, les esclaves obtiennent un certain succès et, en avril 1792, la métropole concède aux Noirs libres l’égalité des droits. La France mise d’ailleurs sur eux pour rétablir l’ordre afin de reprendre la production. Mais cela ne suffit clairement pas. Ainsi, en août 1793, une expédition est dépêchée pour faire appliquer le décret et soumettre les esclaves toujours révoltés. Les envoyés métropolitains, Léger-Félicité Sonthonax et Étienne Polvérel, constatent la reconfiguration du pouvoir qui prévaut à Saint-Domingue.

263 7.3 Les Révolutions atlantiques
La révolution haïtienne
7.23
Dessin par Auguste Raffet, gravure par Hébert, Combat et prise de la Crête-à-Pierrot, 4 - 24 mars 1802 (1839), dans M. de Norvins Histoire de Napoléon, p. 239.

toussaINt LouVerture

Toussaint Louverture est un esclave affranchi issu d’une lignée royale africaine et libre depuis les années 1770. Après la révolte, il devient gouverneur adjoint, puis général de division et enfin chef de l’Armée de Saint-Domingue à partir de 1797. Lorsque les tensions refont surface, Toussaint affronte l’expédition haïtienne déployée par Napoléon. De plus en plus contesté par sa propre base, il est capturé et déporté en France oùil meurt dans une prison du Jura, le 7 avril 1803.

Se voyant incapables de rétablir l’ordre préexistant, ils choisissent une mesure extrême afin de ramener le calme et sauver la situation pour la métropole : ils déclarent la liberté des esclaves. Il s’agit d’une mesure de dernier recours pour sauver la colonie. Certes, la métropole y perd l’extrême rentabilité que lui confère le modèle esclavagiste, mais elle garde néanmoins le contrôle de l’île et des profits qu’elle génère. L’affranchissement est cependant accompagné de règles très strictes qui rappellent, à bien des égards, le servage (voir le chapitre 2) européen. Mais malgré ces limitations, l’abolition est bien accueillie par les esclaves rebelles. Si bien qu’en février 1794, Toussaint Louverture, le principal meneur des insurgés, accepte de se rallier à la France et de cesser les combats. La révolte prend ainsi fin…

Durant les années de révolte, les esclaves revendiquaient leur droit à l’humanité et s’appropriaient, d’une certaine façon, les idées de la Révolution française. Revendiquer le droit à la représentation politique ou nier les pouvoirs absolus de la monarchie est pour l’époque une posture révolutionnaire. Ces idées sont d’ailleurs au cœur des révolutions américaine et française. C’est toutefois encore plus radical d’insister sur l’application des droits humains pour tous les individus, de faire valoir – et croire –, pour reprendre les mots de l’anthropologue Sydney Mintz, « qu’il existe une définition universelle de qui est humain ».

Malgré les transformations, le pays demeure très instable. Louverture gouverne sans réelles considérations pour les autorités françaises. Il se défait progressivement de ses adversaires politiques. Il étend son contrôle sur l’île, envahissant même la partie orientale sous contrôle espagnol en 1800. En juin 1801, une première constitution 7.24 est adoptée par les autorités locales. Si elle renforce l’abolition de l’esclavage, elle laisse cependant de côté la question de la propriété paysanne des terres. L’écriture de cette constitution n’est pas en soi un acte d’indépendance, mais Napoléon, désormais au pouvoir en France, ne l’apprécie aucunement. Il y voit le premier pas vers l’indépendance et dépêche 20 000 soldats à Saint-Domingue pour mater ceux qu’il considère comme rebelles. C’est le début d’une terrible guerre coloniale et raciale. En 1802, quelques mois après la mort de Louverture, une alliance entre Noirs et Métis voit le jour. Sous le commandement d’un des fidèles alliés de Louverture, Jean-Jacques Dessalines, cette alliance oppose l’ultime résistance aux troupes françaises. C’est le début de la fin pour les troupes métropolitaines. Aidé par les maladies tropicales qui affaiblissent les troupes françaises, par un terrain qui sert admirablement bien les insurgés et par une intervention britannique aux dépens de la flotte française, Dessalines proclame l’indépendance de l’île le 1er janvier 1804.

La suite n’est pas facile pour le nouveau pays qui fut violemment ravagé par plus d’une décennie d’horribles combats. La France, ne voulant pas revivre un autre Haïti, libère les esclaves dans plusieurs colonies comme la Guadeloupe et la Martinique. Voulant maintenir le contrôle sur ses colonies, la métropole est prête à diminuer son profit. Cette attitude « conciliante » ne sera toutefois pas déployée envers son ancienne colonie. L’indépendance ne fut reconnue qu’en 1824 par la France. Profitant de la faiblesse de la nouvelle nation, la France impose en 1825 un traité extrêmement désavantageux pour l’île en échange de son indépendance : le paiement de 150 millions de francs-or. Il faudra 150 ans au pays pour rembourser cette « dette originelle ».

264 Chapitre 7 L’émergence du Nouveau Monde [1750-1825]
Anonyme, Général Toussaint Louverture (XIXe siècle). The New York Public Library.

Les constitutions de 1801 et 1805

Avant même l’indépendance, sous l’influence de Toussaint Louverture, une première constitution est rédigée en 1801. Son écriture contribue à attiser les tensions entre la France et la colonie, menant à la reprise des combats. En 1805, une fois l’indépendance acquise, une nouvelle constitution, officielle cette fois, sera rédigée et adoptée. En voici des extraits.

Constitution de 1801

Article 3.

Il ne peut exister d’esclaves sur ce territoire, la servitude y est à jamais abolie. Tous les hommes y naissent, vivent et meurent libres et Français.

Article 4.

Tout homme, quelle que soit sa couleur, y est admissible à tous les emplois.

Article 5.

Il n’y existe d’autre distinction que celle des vertus et des talents, et d’autre supériorité que celle que la loi donne dans l’exercice d’une fonction publique. La loi est la même pour tous, soit qu’elle punisse, soit qu’elle protège.

Constitution de 1805

Article premier.

Le peuple habitant l’île ci-devant appelée Saint-Domingue, convient ici de se former en État libre, souverain et indépendant de toute autre puissance de l’univers, sous le nom d’Empire d’Haïti.

Article 2.

L’esclavage est à jamais aboli.

Article 3.

Les citoyens haïtiens sont frères entre eux ; l’égalité aux yeux de la loi est incontestablement reconnue, et il ne peut exister d’autre titre, avantages ou privilèges, que ceux qui résultent nécessairement de la considération et en récompense des services rendus à la liberté et à l’indépendance.

Article 4.

La loi est une pour tous, soit qu’elle punisse, soit qu’elle protège.

Haïti, Constitution impériale du 20 mai 1805

?

Article 9.

Nul n’est digne d’être Haïtien, s’il n’est bon père, bon fils, bon époux, et surtout bon soldat.

Article 12.

Aucun blanc, quelle que soit sa nation, ne mettra le pied sur ce territoire, à titre de maître ou de propriétaire et ne pourra à l’avenir y acquérir aucune propriété.

Article 13.

L’article précédent ne pourra produire aucun effet tant à l’égard des femmes blanches qui sont naturalisées haïtiennes par le gouvernement, qu’à l’égard des enfants nés ou à naître d’elles. […]

Article 14.

Toute acception de couleur parmi les enfants d’une seule et même famille, dont le chef de l’État est le père, devant nécessairement cesser, les Haïtiens ne seront désormais connus que sous la dénomination générique de Noirs.

Comparez les deux extraits. Qu’est-ce qui a changé ?

Que peut-on comprendre des rapports de genre et des rapports hommes-femmes à partir de la Constitution de 1805 ?

265 7.3 Les Révolutions atlantiques
7.24
Haïti, Constitution impériale du 3 juillet 1801

La dIMeNsIoN réVoLutIoNNaIre de L’INdéPeNdaNCe haïtIeNNe

Réduire la révolution haïtienne à une simple guerre d’indépendance serait une erreur fondamentale. Si le mouvement qui culmine dans l’indépendance de SaintDomingue et la création de la République haïtienne en 1804 s’inscrit effectivement dans la mouvance de rupture des liens coloniaux entre l’Amérique et l’Europe, à Haïti cette indépendance est profondément révolutionnaire. Dire de Saint-Domingue qu’il s’agissait d’une société esclavagiste, c’est insister sur le fait que l’entièreté de la société était conditionnée par l’esclavage : le modèle économique, certes, mais les relations entre individus, la famille, les rapports politiques, jusqu’à la culture et la vie amoureuse ou sexuelle, rien n’échappait aux effets de l’esclavage. En obtenant son indépendance et en rompant avec la pratique de l’esclavage et sa nature totalisante, Haïti vivait une transformation radicale de sa société. Plus qu’une simple indépendance, l’émancipation haïtienne fut une profonde révolution.

D’après vous, quelle signification peut-on donner au geste de Dessalines, le personnage au centre de la toile ?

13 Quels phénomènes inspirent la révolution haïtienne ?

14 Comment les catégories raciales teintent-elles cet événement historique ?

7.3.4 Les indépendances latino-américaines

Créole

Personne d’origine européenne née dans les colonies d’Amérique.

Patriote

Personne qui prend les armes pour défendre ce qu’elle considère être sa patrie, son pays.

Républicanisme

Idéologie politique conférant à l’État le rôle d’assurer le bien commun par le gouvernement et non par un monarque.

Pour comprendre les indépendances latino-américaines 7.25 , il est surtout essentiel de distinguer la dimension proprement américaine du phénomène. Bien qu’elles y pénètrent, les Lumières européennes éclairent bien moins la situation américaine à la veille des indépendances que l’on pourrait le croire. En fait, on se méfie même de la Révolution française et des valeurs qu’elle porte. Comme l’écrivait en 1799 Francisco de Miranda (1750-1812), militaire et intellectuel libéral vénézuélien : « Nous avons devant nous deux exemples majeurs, les révolutions américaine et française. Imitons prudemment la première tandis que nous évitons minutieusement la seconde. »

Dans l’Amérique espagnole, les mouvements indépendantistes sont principalement le fait des minorités créoles et métisses. Si de nombreux Autochtones participent aux guerres de libération, dans un camp comme dans l’autre, la libération souhaitée est celle des descendants européens, bien plus que celle des populations colonisées par les Espagnols. Chez les leaders patriotes souhaitant l’affranchissement du joug colonial espagnol, on se méfie grandement des idées en provenance de France. Pour eux, l’exemple à suivre se trouve davantage du côté états-unien. La liberté qu’ils incarnent, au sens de rupture du lien de domination coloniale, et le républicanisme qu’ils portent constituent une source d’inspiration majeure dans l’Amérique espagnole.

266 Chapitre 7 L’émergence du Nouveau Monde [1750-1825]
Madsen Mompremier, Dessalines déchirant la partie blanche du drapeau (Dessalines Ripping the White out of the Flag) (1995). Huile sur toile (77,2 x 91,4 cm). © Fowler Museum at UCLA. Museum purchase.
?

7.25

Simón Bolívar et Diego Portales à propos des nouvelles républiques d’Amérique latine

Une fois les indépendances des pays d’Amérique latine acquises, la question du modèle politique à adopter demeure très vive. Si la quasi-totalité des pays opte pour des républiques, les enjeux entourant le gouvernement, le fédéralisme ou la démocratie se retrouvent au cœur de débats parfois fort houleux. Parmi ceux que l’on considère comme les pères des indépendances, les postures parfois autoritaires contrastent avec les idées de liberté et de démocratie associées au mouvement d’indépendance. Discours de Simón Bolívar au moment d’adopter une première constitution pour la Bolivie :

« J’ai dû ramasser toutes mes forces pour vous exposer mes opinions sur la façon de gouverner une nation libre, selon les principes adoptés par les peuples cultivés. Et pourtant, l’histoire de leurs expériences ne nous montre que de longues périodes de désastres, interrompues par des éclairs de bonheur. Quels guides devons-nous suivre, dans la nuit d’aussi ténébreux exemples ? […]

Législateurs ! Votre devoir vous appelle à résister à l’assaut de deux monstres ennemis qui se combattent l’un l’autre, mais s’uniront pour vous attaquer. La tyrannie et l’anarchie forment un immense océan d’oppression, entourant la petite île de la liberté, sans relâche assaillie par la violence des eaux, et par les ouragans qui les poussent sans cesse à la submerger. Voyez cette mer que va sillonner votre fragile nef dont le pilote est si inexpert. »

Propos de Diego Portales, auteur de la constitution chilienne, au sujet de la démocratie :

« La démocratie […] est une absurdité dans des pays comme ceux de l’Amérique, qui sont empreints de vices et dont les citoyens font preuve d’un manque total des vertus nécessaires à une véritable république. La monarchie n’est toutefois pas l’idéal américain ; si l’on sort d’une monarchie terrible pour s’enfoncer dans une autre, que gagnons-nous ? La république est le système que l’on doit adopter. Mais savezvous comment je la conçois pour ces pays ? Un gouvernement centralisé et fort, dont les membres sont des exemples authentiques de vertu et de patriotisme, et ainsi enlignent les citoyens sur le direct chemin de l’ordre et des vertus. Lorsqu’ils atteindront un degré de moralité [suffisant], alors nous pourrons avoir ce type de gouvernement complètement libéral, libre et plein d’idéaux, en lequel tous les citoyens peuvent participer. »

?

Que craignent les pères de l’indépendance au moment d’établir les nouveaux États latino-américains ? Quelles sont leurs positions à propos de l’autoritarisme et de la démocratie ?

267 7.3 Les Révolutions atlantiques
Bolívar, Simón, « Discours sur la Constitution de Bolivie (1826) », Bolívar, pages choisies (choix de lettres, discours et proclamations), Paris, Institut de hautes études de l’Amérique latine, 1966, p. 72 et 73. Portales, Diego, « Lettre à J. M. Cea », Lima, mars 1822, dans Epistolario de don Diego Portales, Vol. I, Recopilación y notas de Ernesto de la Cruz, Santiago de Chile, Dirección general de prisiones, 1930.

7.26

Charles III, roi d’Espagne et des Indes de 1759 à 1788

Le mécontentement créole à la veille des indépendances

À la veille des indépendances, il existe dans les colonies espagnoles d’Amérique un mécontentement important au sein de la communauté créole qui forme l’élite coloniale. Cette dernière critique le monopole des Péninsulaires sur les plus hauts postes de l’administration (vice-roi, gouverneur, etc.), ce qui limite le pouvoir politique créole, bien que ceux-ci soient bien représentés dans les échelons administratifs inférieurs. Ce qui irrite davantage les Créoles, ce sont les réformes bourboniennes mises en place sous le règne de Charles III (1759-1788)  7.26 . La nouvelle dynastie régnante en Espagne souhaite rendre ses colonies plus profitables pour la métropole et met en place une série de transformations administratives, politiques et économiques pour y parvenir. Ces réformes viennent altérer les modes de fonctionnement qui s’étaient établis dans les colonies au fil des siècles et réduisent le pouvoir des Créoles. Toutefois, cette irritation ne suffit pas à voir naître une mobilisation en faveur d’une indépendance pleine et entière.

Si les réformes bourboniennes et la réaction qu’elles engendrèrent nous aident à comprendre l’état d’esprit créole à la veille de l’indépendance, il ne faut pas y voir la cause immédiate pour autant. C’est plutôt du côté de l’Espagne métropolitaine qu’ont lieu les événements décisifs menant au déclenchement des guerres d’indépendance en Amérique latine.

Péninsulaire

Personne née dans la Péninsule ibérique qui occupe, temporairement, un poste officiel dans les colonies de Nouvelle-Espagne.

En Europe, le début des années 1800 est marqué par les guerres napoléoniennes. Napoléon Bonaparte mène une série de guerres en Europe pour « exporter » les idéaux de la Révolution française. En 1808, 100 000 hommes de l’armée française entrent sur le territoire espagnol sous prétexte d’aller occuper le Portugal (alors allié des Britanniques). Napoléon en profite pour renverser le roi Ferdinand VII d’Espagne  7.27 et installe son frère, Joseph Bonaparte, sur le trône espagnol.

La crise de l’État en Espagne provoque une crise de légitimité du pouvoir dans les colonies. Les autorités espagnoles, tout comme l’appareil d’État colonial, sont toujours en place en Amérique. Cependant, avec l’éviction du roi, elles perdent leur autorité morale. Sans roi comme

268 Chapitre 7 L’émergence du Nouveau Monde [1750-1825]
La capitulation de Madrid devant Napoléon 7.27 Antoine-Jean Gros, Capitulation de Madrid, le 4 décembre 1808 (1810). Huile sur toile (361 x 500 cm). Musée du Château de Versailles. © Abbus Acastra / Alamy banque d’images. Anton Raphael Mengs, Portrait de Charles III d’Espagne (1760). Huile sur toile (151,8 x 110,3 cm). Museo Nacional del Prado, Madrid.

symbole de légitimité de l’ordre colonial, pire encore, avec un usurpateur sur le trône, plus rien ne justifie leur pouvoir. Pour pallier cette situation, une série de juntes (juntas) sont mises en place un peu partout sur le continent américain. Les juntes sont une sorte de gouvernement provisoire ayant pour objectif d’administrer le territoire dans l’attente d’un retour du monarque légitime. Les juntes américaines s’inspirent en partie de celles qui voient le jour en Espagne à la même période. Elles sont principalement formées de Créoles, bien qu’on y rencontre aussi certains Péninsulaires.

Dans ce contexte, on constate toutefois la naissance de deux clans qui s’opposent. D’un côté, les royalistes fidèles à la Couronne d’Espagne, de l’autre, les patriotes qui luttent pour l’indépendance des colonies à l’égard de la métropole 7.28

7.28

ÉTATS-UNIS

Golfe du Mexique

PROVINCESUNIES DE L’AMÉRIQUE CENTRALE

Mer des Antilles

Carabobo 1821

Boyaca 1819

Pichincha 1822

OCÉAN PACIFIQUE

Junin 1824

Ayacucho 1824

OCÉAN ATLANTIQUE

Angostura 1819

Chacabuco 1818

Maipu 1818

269 7.3 Les Révolutions atlantiques
L’Amérique latine : empire colonial et républiques indépendantes (1811-1830)
HONDURAS VENEZUELA PARAGUAY ARGENTINE CHILI COLOMBIE MEXIQUE PÉROU BRÉSIL ÉQUATEUR BOLIVIE URUGUAY Légende
soulèvements
des insurgés
et date de
bataille
de l’indépendance 1811 1813 1816 1818 1819 1821 1822 1823 1825 1828 0 750 1 500 km
Les
Victoire
Maipu 1818 Lieu
la
Obtention

Liberté de ventre

Principe juridique qui reconnaît la liberté des enfants nés de mères esclaves.

Le déroulement général des guerres d’indépendance

Que ce soit à travers l’activité des juntes ou dans des manifestations parallèles, l’idée de l’indépendance fait rapidement son chemin. En 1810, l’Argentine devient le premier pays à déclarer son indépendance de l’Espagne, indépendance qu’elle obtiendra en 1816. Puis une série de guerres suivra dans ces régions et sur l’ensemble du continent.

Milice

Armée non professionnelle formée à partir de la population d’une région ou d’un pays.

Au début des conflits, certains Créoles parlent déjà d’indépendance, mais cette idée est loin de faire l’unanimité. Beaucoup souhaitent simplement plus d’autonomie au sein de l’empire. Et certaines décisions des juntes vont clairement dans ce sens : proclamation de la liberté de commerce, liberté de presse, création de bibliothèques et de journaux, limitation de l’esclavage (« liberté de ventre » au Chili, interdiction de la traite des esclaves au Venezuela), voire ébauche de constitutions. Des combats voient néanmoins le jour entre royalistes et patriotes, mais ils ne se généralisent pas à l’ensemble du continent et demeurent localisés. Ce contexte de plus grande autonomie et de tensions croissantes précipite les colonies dans une lutte armée lorsque Ferdinand VII reprend le pouvoir en 1814, après l’abdication de Napoléon. Commence alors une guerre directe entre la monarchie espagnole et les patriotes au sein des colonies. Une fois revenu sur le trône, le monarque espagnol s’empresse de rejeter tout projet constitutionnel évacuant le lien colonial. Cette attitude, jumelée aux tensions existantes en Amérique entre Créoles et Péninsulaires, mène rapidement à la lutte armée. La Couronne envoie un corps expéditionnaire de 10 000 hommes pour mater la révolte. Cette décision plonge non seulement le continent dans les guerres, mais elle confirme la volonté d’émancipation au sein des colonies. À cet égard, bien que les guerres d’indépendance soient généralement perçues comme un phénomène lié aux hommes créoles, elles ne sont pas la responsabilité unique d’une seule élite sociale et politique. Les femmes y jouent un rôle beaucoup plus important que l’histoire ne le laisse généralement croire. Les femmes sont surtout impliquées dans l’entretien des troupes. Elles suivent les soldats de la milice jusqu’au champ de bataille pour préparer les repas et soigner les blessés. Elles jouent également un rôle très important pour tout ce qui touche aux questions d’espionnage et de communication. D’ailleurs, elles s’occupent souvent de diffuser de l’information sur les conditions des armées alliées, sur les positions de l’ennemi, etc., et certaines d’entre elles prennent aussi les armes et participent au combat.

Ultimement, la dernière phase des guerres (1817-1825) est caractérisée par le retrait des troupes espagnoles et la poursuite de guerres civiles entre Créoles et Métis indépendantistes

Les FeMMes et La Lutte Pour L’INdéPeNdaNCe

S’il est indéniable que l’on compte majoritairement des hommes au combat, il ne faut pas négliger l’engagement direct dans la guerre de certaines femmes aux horizons fort variés. Cette présence des femmes confère d’ailleurs une certaine dimension révolutionnaire à la guerre d’indépendance.

Parmi les femmes révolutionnaires, on retrouve Gertrudis Bocanegra. Née dans le Michoacán, elle est mariée à un soldat de milice avec qui elle a plusieurs enfants. Lorsque s’enclenche la lutte pour l’indépendance, son mari et son fils aîné s’engagent à la suite de Miguel Hidalgo. Tous deux meurent peu de temps après, ce qui pousse Bocanegra à s’engager à son tour en tant que courrier du côté des insurgés. Elle devient par la suite espionne et organise aussi de nombreuses rencontres clandestines. Elle est arrêtée lorsqu’elle s’apprête à effectuer le vol d’armes dans une garnison de Pátzcuaro. Condamnée, elle est fusillée le 11 octobre 1817 à l’âge de 52 ans.

Un autre exemple, sans doute l’un des plus frappants, est celui de Manuela Medina, surnommée La Capitana (la Capitaine). Autochtone de la région de Taxco (État du Morelos), elle rejoint José María Morelos au combat en 1813. Elle est rapidement promue au rang de capitaine par la Junte suprême. Menant ses troupes lors de sept batailles différentes, elle est gravement blessée en 1821. Elle succomba à ses blessures en 1822 à l’âge de 42 ans. Medina incarne pleinement la dimension révolutionnaire à l’intérieur de la guerre.

270 Chapitre 7 L’émergence du Nouveau Monde [1750-1825]
Manuela Medina Gertrudis Bocanegra

d’un côté, et entre Péninsulaires, Espagnols et Créoles royalistes de l’autre. Les patriotes ont le dessus et les déclarations d’indépendance se succèdent, alors que la dernière bataille survient à Ayacucho, au Pérou, en 1824. La défaite des forces royalistes est confirmée.

des indépendances à géographie variable

Bien qu’il soit possible de parler des indépendances latino-américaines comme d’un seul et unique phénomène, il est important de garder en tête qu’il s’agit d’un moment historique à géographie variable. Selon les régions, la proximité du pouvoir, la composition démographique, etc., chacune des régions de l’espace latino-américain vit l’indépendance selon ses propres modalités.

L’exemple du Mexique est éclairant pour comprendre cette route sinueuse vers l’indépendance. On constate qu’une multitude d’acteurs interagissent de manière parfois inattendue et que l’avènement de la nation indépendante est loin d’être tracé d’avance.

Dès 1808, en Nouvelle-Espagne (le Mexique actuel), ce ne sont pas des patriotes créoles qui se placent à l’avant-garde de l’indépendance, mais étonnamment des Péninsulaires libéraux. Ils chassent le vice-roi José de Iturrigaray et reconnaissent le pouvoir de la junte de Séville. La dimension paradoxale du mouvement ne s’arrête pas là. À partir de 1810, un groupe de Créoles royalistes orchestre un plan afin de s’emparer du pouvoir au nom du roi déchu Ferdinand VII. Leur plan échoue toutefois et un prêtre du nom de Miguel Hidalgo y Costilla  7.29 décide de passer à l’action révolutionnaire. Plutôt que de rallier les notables locaux, Hidalgo est rejoint par des milliers de mestizos et d’Autochtones dont la longue histoire d’oppression trouve écho dans les paroles du prêtre. Après certains succès, Hidalgo est capturé 1811, puis exécuté.

Le mouvement ne s’arrêta pas pour autant à ce moment. José María Morelos  7.30 , un autre prêtre, qui avait connu Hidalgo des années auparavant, prend le leadership de la révolte. Morelos, un mestizo, prône l’abolition de l’esclavage et du tribut imposé aux Autochtones ainsi qu’une réforme agraire, ce qui lui met à dos une part importante de l’élite. Son mouvement se divise de plus en plus sur la base des classes socio-raciales de la société de Nouvelle-Espagne. Plus radical qu’Hidalgo, Morelos considère que les citoyens doivent choisir leur propre forme de gouvernement et envisage un État au sein duquel les distinctions raciales ne s’appliqueraient pas : tous seraient Américains.

L’indépendance du Mexique est déclarée en 1813. L’esclavage doit être aboli, l’Église catholique romaine est maintenue, mais on met de l’avant une constitution à caractère libéral. L’armée espagnole continue néanmoins les combats et enchaîne les victoires. En 1815, Morelos est capturé et jugé. Il est exécuté la même année. La défaite de Morelos met en veille le mouvement indépendantiste mexicain. Il faut attendre 1820 pour que le vent de l’indépendance se lève à nouveau. En Espagne, Ferdinand VII ouvre la porte à une monarchie constitutionnelle. Paradoxalement, cette décision amène un nombre important de Créoles mexicains royalistes prospères et influents à se joindre au mouvement vers l’indépendance.

En 1821, un jeune commandant de l’armée espagnole au Mexique, Agustín de Iturbide, change son fusil d’épaule. Il s’empare de Mexico et instaure un empire dont il devient le chef. Deux ans plus tard, son empire s’effondre et la république est fondée.

15 Quelles sont les causes du mécontentement dans les colonies espagnoles ?

16 Décrivez le rôle des fractures sociales dans les indépendances latino-américaines.

17 Présentez certains des effets des événements extérieurs de l’époque sur la pensée des patriotes de Nouvelle-Espagne.

271 7.3 Les Révolutions atlantiques
Le prêtre Miguel Hidalgo Le prêtre José María Morelos 7.29 7.30 José Clemente Orozco, Hidalgo (1965). Portion de fresque du Palais gouvernemental de Jalisco. © Salvador alc 2010, CC-BY-SA Creative Commons license 3.0. Petronilo Monroy, José María Morelos y Pavón (1890). Huile sur toile (168 x 120 cm). Museo de Historia Mexicana, Mexico.

Décidément, le XVIIIe siècle combine en une recette explosive les frictions impériales longuement accumulées au développement d’un corpus d’idées relativement nouvelles. Cette combinaison entraîne un changement dans l’identité de nombreux habitants aisés des colonies et d’Europe. Désormais, la soumission aux intérêts des métropoles leur semble un fardeau plus qu’un avantage. Autant dans les colonies qu’en France, le passage de sujet à citoyen se répand dans l’imaginaire collectif et contribue à former d’autres régimes politiques plus représentatifs des populations et de leurs élites. Le dernier quart du XVIIIe siècle est ainsi marqué par un ballet insurrectionnel ou révolutionnaire où s’affrontent des groupes aux idées ou aux intérêts divergents. On remarque par ailleurs que les tensions intérieures des entités étatiques ou coloniales jouent souvent un rôle sur la forme prise par les nouveaux États issus des indépendances ou des révolutions. Que ce soit en codifiant leurs préoccupations concernant les pauvres, en excluant les personnes disposant de certains traits de couleur ou en garantissant des droits à certains groupes et non à d’autres, les nouveaux gouvernements s’adaptent à leur nouvelle réalité. Il n’en demeure pas moins qu’à la fin du siècle, les structures fondamentales n’ont pas encore pleinement changé. Impérialisme, monarchies et esclavage poursuivent leur logique dans le XIXe siècle, et d’autres crises générées par ces structures sont à venir.

en résumé

Rivalités impériales Guerre de Sept Ans

Pressions financières sur les couronnes européennes

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est / sont à l’origine de… favorise(nt)… bases intellectuelles

Idéaux

Indépendance américaine

Révolution française

Indépendances latino-américaines

272 Chapitre 7 L’émergence du Nouveau Monde [1750-1825]
Conclusion
Souveraineté
Citoyenneté • Liberté • Égalité
des Lumières •
Révolution
haïtienne
!

Une synthèse par les sources

déclaration des droits de l’homme et du citoyen

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est adoptée par les députés du tiers état réunis en Assemblée nationale à Versailles en 1789, au début de la Révolution française. La déclaration énonce une série de droits naturels dont sont dotées les personnes. Elle prévoit aussi la manière dont ces droits seront mis en œuvre, notamment en évoquant le prélèvement d’impôts à l’ensemble des citoyens.

Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, consi dérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous.

En conséquence, l’Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être Suprême, les droits suivants de l’homme et du citoyen.

Article premier - Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

Article 2 - Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression.

Article 3 - Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.

Article 4 - La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.

Article 5 - La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.

Article 6 - La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. […]

Article 7 - Nul homme ne peut être accusé, arrêté ou détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites. […]

Article 9 - Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas

nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.

Article 10 - Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi.

Article 11 - La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. […]

Article 13 - Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés. […]

Article 16 - Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution.

Article 17 - La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen 1789.

273 Une synthèse par les sources

déclaration des droits de la femme et de la citoyenne

Pionnière du féminisme naissant au XVIIIe siècle, Olympe de Gouges participe activement à la Révolution française par la publication, en 1791, d’une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, adressée à la reine Marie-Antoinette. Sa lutte pour l’émancipation des femmes s’arrête brutalement en 1793 alors qu’elle est condamnée à la guillotine avec d’autres membres des girondins, sa faction politique.

Préambule

Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la nation, demandent d’être constituées en Assemblée nationale. Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme, sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer dans une déclaration solennelle, les droits naturels inaliénables et sacrés de la femme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs, afin que les actes du pouvoir des femmes, et ceux du pouvoir des hommes, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés [...]En conséquence, le sexe supérieur, en beauté comme en courage, dans les souffrances maternelles, reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les Droits suivants de la Femme et de la Citoyenne.

Article premier. La Femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

Article 2. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de la Femme et de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et surtout la résistance à l’oppression.

Article 3. Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation, qui n’est que la réunion de la Femme et de l’Homme : nul corps, nul individu, ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.

Article 4. La liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui ; ainsi l’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme lui oppose ; ces bornes doivent être réformées par les lois de la nature et de la raison. […]

Article 6. La loi doit être l’expression de la volonté générale ; toutes les Citoyennes et Citoyens doivent concourir personnellement ou par leurs représentants, à sa formation ; elle doit être la même pour tous : toutes les Citoyennes et tous les Citoyens, étant égaux à ses yeux, doivent être également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leurs capacités, et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents. […]

Article 10. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même fondamentales, la femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune [...].

Article 11. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de la femme, puisque cette liberté assure la légitimité des pères envers les enfants. Toute Citoyenne peut donc dire librement, je suis mère d’un enfant qui vous appartient, sans qu’un préjugé barbare la force à dissimuler la vérité […].

Article 13. Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, les contributions de la femme et de l’homme sont égales ; elle a part à toutes les corvées, à toutes les tâches pénibles ; elle doit donc avoir de même part à la distribution des places,

des emplois, des charges, des dignités et de l’industrie. […]

Article 17. Les propriétés sont à tous les sexes réunis ou séparés : elles ont pour chacun un droit lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.

Postambule

Femme, réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l’usurpation. L’homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. Ô femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé. [...] Craignez-vous que nos Législateurs français, correcteurs de cette morale, longtemps accrochée aux branches de la politique, mais qui n’est plus de saison, ne vous répètent : femmes, qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ? Tout, auriez-vous à répondre. [...] Quelles que soient les barrières que l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à le vouloir. […]

Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 1791.

274 Chapitre 7 L’émergence du Nouveau Monde [1750-1825]

Questions

1 Sur quelles valeurs centrales les quatre sources évoquant les principes des droits de la personne présentés dans ce chapitre (Déclaration unanime des 13 États unis d’Amérique [page 257], Bill of Rights [page 258], Déclaration des droits de l’homme, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne) reposent-elles ?

2 Résumez les principes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et ceux de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Quelles divergences observez-vous ?

3 De quelle manière la Déclaration des droits de l’homme et celle de la femme attaquent-elles directement l’absolutisme monarchique ?

4 Démontrez de quelle manière la Déclaration d’indépendance des États-Unis s’inscrit dans une dynamique globale.

275 Une synthèse par les sources

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