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DAVE ANCTIL BENOÎT DUBREUIL
LES IDÉOLOGIES POLITIQUES
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L’Éditeur tient à remercier les professeurs dont les noms suivent pour leurs judicieuses suggestions, leur grande disponibilité et leur professionnalisme. Benjamin Bélair, Collège Montmorency Christian Brouillard, Cégep de Drummondville Roxane Fortier, Cégep de Thetford Daniel Gauthier, Collège de Valleyfield Simon Gélineau, Cégep régional de Lanaudière à l’Assomption Jean Karam, Collège Ahuntsic Valérie Lafrance, Collège Montmorency Corinne Lajeunesse, Cégep de Lévis-Lauzon Marcel Marsolais, Cégep de Baie-Comeau Éric Ouellet, Cégep de La Pocatière Johanne Paquin, Collège Édouard-Montpetit Nathalie Sentenne, Cégep régional de Lanaudière à Joliette Sources iconographiques supplémentaires Page couverture : 112761667 © Shutterstock/arindambanerjee Pour tous les documents mis à disposition aux conditions de la licence Creative Commons (version 3.0 et précédentes), les adresses sont les suivantes : CC-BY (Paternité) : <creativecommons.org/licenses/by/3.0/ deed.fr_CA> CC-BY-SA (Paternité - Partage des conditions initiales à l’identique) : <creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/deed.fr_CA>
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Les Éditions CEC inc. remercient le gouvernement du Québec de l’aide financière accordée à l’édition de cet ouvrage par l’entremise du Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres, administré par la SODEC. Les idéologies politiques © 2013, Les Éditions CEC inc. 9001, boul. Louis-H.-La Fontaine Anjou (Québec) H1J 2C5 Tous droits réservés. Il est interdit de reproduire, d’adapter ou de traduire l’ensemble ou toute partie de cet ouvrage sans l’autorisation écrite du propriétaire du copyright. Dépôt légal : 2013 Bibliothèque et Archives nationales du Québec Bibliothèque et Archives Canada ISBN : 978-2-7617-6204-5 Imprimé au Canada 1 2 3 4 5 17 16 15 14 13
CARACTÉRISTIQUES DE L’ OUVRAGE Très rapidement, l’opposition se cristallise entre les socialistes partisans de la démocratie libérale et ceux de la révolution russe. En France, par exemple, c’est en 1920 qu’apparaît la rupture entre ce qui deviendra le Parti socialiste et le Parti communiste français. En Angleterre, la même année, un Parti communiste est créé à l’initiative de Moscou pour préparer la révolution et faire compétition au Parti travailliste britannique, réformiste et modéré. En 1921, la branche révolutionnaire du Parti ouvrier belge se sépare pour créer le Parti communiste belge, alors que le Parti socialiste italien se divise pour donner naissance au Parti communiste italien, fidèle à Moscou et à la révolution.
Les encadrés « Synthèse » ramassent les éléments vus jusque-là dans un tout cohérent et digeste.
Bolcheviks ou mencheviks ? En 1903, les membres du Parti ouvrier social-démocrate de Russie se rassemblent en congrès à Bruxelles pour discuter de questions de stratégie. Une rupture apparaît entre les partisans de la révolution, dirigés par Lénine, et les socialistes modérés. Les révolutionnaires, qui sont majoritaires, prendront le nom de bolcheviks (de bolchinstvo, qui signifie « majorité » en russe). Les socialistes modérés deviendront alors les mencheviks (de menchinstvo, « minorité »).
Ces événements marquent la fin définitive de l’unité des différents courants et partis socialistes qui avaient été auparavant réunis dans la Première internationale (1864-1872) et la Deuxième internationale (1889-1923). Les partis communistes, révolutionnaires et fidèles à Moscou, se regroupent à partir de 1919 dans l’Internationale communiste (aussi connue sous le nom de Troisième internationale ou « Komintern »). De leur côté, les partis socialistes modérés et sociaux-démocrates fondent en 1923 l’Internationale ouvrière socialiste, qui deviendra en 1951 l’Internationale socialiste, qui existe encore aujourd’hui et rassemble les principaux partis de centre gauche à l’échelle mondiale.
CONCEPT
L’ idéologie politique désigne, au sens large, un ensemble d’ idées qui sont propres ou qui caractérisent une époque ou un contexte social, politique et historique donné. De manière plus spécifique, les idéologies politiques, apparues avec la modernité, représentent des ensembles de principes qui servent à organiser des croyances, des doctrines, des valeurs ou des intérêts en un système de pensée cohérent sur la société, son passé et son avenir. L’ analyse des idéologies peut être effectuée uniquement dans le but de classifier la diversité des idées politiques d’ une époque. Mais elle peut aussi être employée de manière à critiquer certains aspects de l’ organisation sociale et politique.
SYNTHÈSE
Si nous vivons toujours aujourd’hui dans un monde dominé par les États, ceux-ci ont bien changé durant les derniers siècles qui ont vu se former le monde moderne. Car notre monde politique est maintenant organisé par des lois, des chartes et, dans plusieurs cas, des systèmes électoraux qui nous autorisent à choisir des femmes et des hommes pour nous représenter dans des parlements, sans oublier toute l’organisation informelle qui permet de s’informer et de participer à la vie publique. D’où viennent ces innovations nombreuses ? Elles sont apparues graduellement avec la modernisation des sociétés occidentales à partir du 18e siècle. Cette modernisation a été poussée par l’humanisme : un courant d’idées né à la Renaissance qui va graduellement remplacer les idées dominantes de la religion et la tradition par l’émancipation de la raison humaine. Les grandes familles idéologiques modernes, tels le libéralisme et le socialisme, sont nées de cette impulsion humaniste et rationaliste que nous allons étudier dans un premier temps.
répondre d’une manière plus efficace que l’entreprise privée aux besoins concrets des populations. Le Mouvement Desjardins, par exemple, s’est implanté parce qu’il répondait aux besoins de la population canadienne-française, particulièrement dans les campagnes, qui avait de la difficulté à obtenir du crédit auprès des grandes banques. La coopérative agroalimentaire Agropur, en revanche, s’est développée parce qu’elle permettait de résoudre les difficultés des petits producteurs agricoles en matière de distribution et de mise en marché.
LE MARXISME ET LE COMMUNISME Aux yeux de leurs successeurs, les socialistes utopiques étaient aveuglés par leur op-
Le socialisme timisme39 en oubliant un fait fondamental : l’humain n’est pas toujours bon, et les relations sociales ne sont pas toujours harmonieuses. Pour réaliser l’égalité réelle entre les membres d’une structure sociale, il faut d’abord comprendre comment fonctionnent réellement – c’est-à-dire scientifiquement – les rapports sociaux. C’est ce que proposeront Karl Marx, Friedrich Engels et ceux qui s’en réclameront : les marxistes.
Les principales idéologies politiques ne sont pourtant pas des doctrines figées dans le temps qu’on pourrait étudier hors de leur contexte d’émergence. Les grandes idéologies modernes sont nées à travers des luttes sociales complexes qui ont engendré des conflits d’idées politiques. Ces idées politiques – mais c’est aussi vrai des idées scientifiques, esthétiques, etc. – changent et évoluent dans leur opposition les unes aux autres, ou mieux, comme des réactions les unes aux autres. Plutôt que de créer des continuités artificielles, l’étude des idéologies doit donc mettre l’accent sur les ruptures engagées par les penseurs et les acteurs politiques en insistant sur les raisons qui les ont poussés à promouvoir telle ou telle idée politique nouvelle.
Les encadrés « De plus près » sont l’ occasion d’ une présentation plus étoffée d’ une problématique ou d’ un personnage illustre.
COMMENT ÉTUDIER LES IDÉOLOGIES POLITIQUES ? L’objectif du politologue n’est pas le même que celui du penseur ou de l’acteur politique. Le politologue ne cherche pas à orienter le cours des événements, mais à le comprendre. Son but premier n’est pas de légitimer telles ou telles idées sur l’organisation du pouvoir, ni d’en réclamer une autre, mais de proposer des concepts qui
Introduction
SOCIALISME, MARXISME, COMMUNISME ET SOCIALDÉMOCRATIE : UNE IDÉOLOGIE OU PLUSIEURS ? Comme il est possible de le constater depuis le début de notre étude, dans le domaine des idées politiques, il existe souvent plusieurs termes pour désigner des idéologies apparentées les unes aux autres, et il est parfois difficile de s’y retrouver. C’est le cas des termes de socialisme, marxisme, communisme et social-démocratie. Désignent-ils un seul courant de pensée idéologique ou plusieurs ? Regardons ces idéologies une à une. Le socialisme est le courant idéologique le plus englobant et il apparaît historiquement avant les autres. Il s’oppose de manière générale au libéralisme en ce qu’il met l’accent sur la société (collectivité) plutôt que sur l’individu. Il s’applique aussi bien aux premiers socialistes dits « utopiques » qu’aux courants de pensée ultérieurs, comme le marxisme, dans ses variantes réformistes ou révolutionnaires.
D’OÙ VIENNENT LES IDÉOLOGIES POLITIQUES ?
Diverses rubriques fournissent des informations complémentaires sur des acteurs, des penseurs influents ou des événements marquants.
3
L ES IDÉOLO GIES ET LA MONTÉE AUX EXTR ÊMES
Les concepts fondamentaux utilisés au fil du texte sont définis dans des encadrés afin de rendre la lecture et la révision plus efficaces.
Communisme
DÉMOCRATIQUES
Libéralisme
Karl Marx est né en 1818 à Trèves, en Allemagne. C’est pendant ses études en droit, en histoire et en philosophie que Marx se familiarise avec les idées athées (héritées du philosophe Ludwig Feuerbach) et révolutionnaires (inspirées de la Révolution française). En 1842, il devient rédacteur en chef du journal d’opposition de tendance libérale, la Gazette rhénane. Mais il donne rapidement au journal une orientation révolutionnaire, ce qui lui fait perdre son emploi. Il s’exile alors à Paris et à Bruxelles où il s’impose comme intellectuel dans les milieux communistes et révolutionnaires. En 1847, c’est à lui que l’on confie la rédaction du Manifeste du Parti communiste qui paraîtra l’année suivante et dans lequel il pose les fondements de sa doctrine.
FascismeEn
NON DÉMOCRATIQUES Socialisme
KARL MARX (1818-1883) De toute l’histoire de l’humanité, aucun penseur ne peut prétendre avoir eu un impact politique équivalant à celui de Karl Marx. L’homme a donné son nom à une école de pensée, le marxisme, en vertu duquel ont été menées des révolutions qui ont changé le visage de la planète. Et pendant plusieurs décennies, plus d’un être humain sur quatre a vécu dans un État où le marxisme faisait figure d’idéologie officielle du régime.
DE PLUS PRÈS
Conservatisme
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1849, Marx s’installe à Londres où il demeurera jusqu’à sa mort, en 1883. C’est là qu’il rédigera son œuvre principale, Le Capital (en allemand : Das Kapital), un grand traité d’économie politique dont il publie la pre-
LES IDÉOLOGIES POLITIQUES
Toutes les sociétés démocratiques sont aujourd’hui gouvernées par des formations politiques influencées par les trois grandes familles idéologiques modernes : le libéralisme, le socialisme et le conservatisme. Le fascisme et le communisme ont été, au siècle dernier, des montées aux extrêmes idéologiques, à gauche comme à droite. La chute de ces mouvements antidémocratiques dans la seconde moitié du denier siècle a eu pour effet de consacrer le libéralisme au centre du continuum droite-gauche dans les démocraties parlementaires.
PRENDRE PARTI, C’EST CHOISIR UNE DIRECTION ! Être de gauche ou de droite est une question relative aux contextes historiques, politiques et idéologiques. Comme plusieurs concepts en politique, ceux de « gauche » et de « droite » sont souvent utilisés de manière rhétorique et polémique, comme les étiquettes que l’on utilise pour discréditer un adversaire. Au Québec, par exemple, le Parti Québécois (PQ) se définit comme un parti de gauche, mais ce statut est contesté depuis plusieurs années : le parti Québec solidaire (QS) considère qu’il représente désormais la « vraie » gauche puisque le PQ a adopté, au cours de ses derniers mandats comme gouvernement élu, des politiques économiques associées à la droite économique libérale.
EXERCICES AIDE-MÉMOIRE Pourriez-vous répondre facilement par vrai ou faux aux assertions suivantes et donner la réponse aux questions sur la matière du chapitre ? Si vous hésitez, relisez les sections concernées.
EXPLORATION BICKERTON, James, Alain G. GAGNON et Patrick J. SMITH (2002). Partis politiques et comportement électoral au Canada : filiations et affiliations, Montréal, Boréal. BOBBIO, Norberto (1996). Droite et gauche : essai sur une distinction politique, Paris, Éditions du Seuil. BOURGIN, Georges et Pierre RIMBERT (1980). Le socialisme, Paris, Presses universitaires de France. BURNS, James Henderson (1997). Histoire de la pensée politique moderne, Paris, Presses universitaires de France. CHÂTELET, François (1999). Les Lumières, Paris, Hachette. CORNETTE, Joël (2005). Absolutisme et Lumières (1652-1783), Paris, Hachette. COTTRET, Monique (2002). Culture et politique dans la France des Lumières : 1715-1792, Paris, Colin.
1. Les penseurs rationalistes des Lumières étaient des partisans du progrès des sociétés et de l’humanité.
7. Pour les marxistes, la lutte des classes apparaît seulement avec l’industrialisation au 19e siècle.
2. John Locke soutient que le gouvernement a besoin du consentement des citoyens pour gouverner.
8. Les marxistes trouvaient que les théories des premiers socialistes étaient trop « scientifiques ».
3. Adam Smith pense que l’être humain est naturellement porté à aider autrui.
9. Les sociaux-démocrates ne croient pas à la possibilité de faire avancer la cause des travailleurs en participant aux élections et en étant représentés au Parlement.
4. Les libéraux économiques pensent que le libre marché et la concurrence sont bons pour tous, même pour les pauvres. 5. Charles Fourier était un marxiste. 6. Le matérialisme historique est la doctrine philosophique à la base du marxisme.
CRAPEZ, Marc (1997). La Gauche réactionnaire : mythes de la plèbe et de la race dans le sillage des Lumières, Paris, Berg International.
10. Le conservatisme est né au 20e siècle.
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Au Canada, les trois principaux partis politiques reflètent la distribution standard des grandes traditions idéologiques de la droite et de la gauche (voir figure ci-après). Le Parti conservateur (PC) est le plus à droite, le Nouveau parti démocratique (NPD) le plus à gauche et le Parti libéral du Canada est au centre de ces deux formations politiques.
Des illustrations, des figures, des cartes, des tableaux ou des réseaux de concepts facilitent la compréhension de la matière.
LES IDÉOL OGIES DES TRO IS PRINC IPALES FO RM ATIONS POLITIQ UES AU CANADA NPD
PC
PLC
LES IDÉOLOGIES POLITIQUES
11. Herder est l’un des premiers penseurs du nationalisme. 12. L’idéologie politique environnementaliste est aussi critique vis-à-vis les familles idéologiques du libéralisme et du socialisme.
CRAPEZ, Marc (1998). Naissance de la gauche : suivi de Précis d’une droite dominée, Paris, Michalon. DE BEAUVOIR, Simone (1949). Le deuxième sexe, Paris, Gallimard. ENGELS, Friedrich (2005). Socialisme utopique et socialisme scientifique, Bruxelles, Aden éditions. FLAMANT, Maurice (1979). Le libéralisme, Paris, Presses universitaires de France. HABERMAS, Jürgen (1988). Le discours philosophique de la modernité, Paris, Gallimard. HALEVY, Elie (2006). Histoire du socialisme européen, Paris, Gallimard. HÉRITIER, Françoise (1996). « Masculin/féminin : la pensée de la différence ». Paris, O. Jacob.
QUESTIONS SUR LA MATIÈRE 1. Identifiez et expliquez brièvement les trois grands principes politiques issus du rationalisme des Lumières qui ont influencé les deux grandes familles idéologiques modernes, le libéralisme et le socialisme.
2. Quelles sont les trois grandes transformations qui ont permis l’essor du libéralisme au tournant du 19e siècle ? 3. Qu’est-ce que la division du travail dans la conception marxiste ?
HÉRITIER, Françoise (2002). « Masculin/féminin. 2, Dissoudre la hiérarchie ». Paris, O. Jacob. HERMET, Guy, Julian T. HOTTINGER et Daniel-Louis SEILER (1998). Les Partis politiques en Europe de l’Ouest, Paris, Economica.
Exercices
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En fin de fascicule, une série d’ exercices servent à vérifier la compréhension du propos et à stimuler une réflexion critique sur les questions centrales de la science politique.
HIRATA, Helena S. (2004). « Dictionnaire critique du féminisme ». Paris, Presses universitaires de France. HIRSCHMANN, Albert O. (1991). Deux siècles de rhétorique réactionnaire, Paris, Fayard. HOBSBAWM, Eric J. (1988). L’Ère des révolutions, Paris, Éditions Complexe. KANT, Emmanuel (1985). « Réponse à la question : Qu’est-ce que les Lumières ? », dans Œuvres philosophiques, Tome II, Paris, Gallimard, p. 209. KESSLER, Nicolas (1998). Le conservatisme américain, Paris, Presses universitaires de France.
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LES IDÉOLOGIES POLITIQUES
Finalement, la section « Exploration » vous invite à pousser vos réflexions davantage en vous soumettant un choix d’ ouvrages, de films et de sites Internet pertinents.
Introduction
III
TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 Qu’ est-ce qu’ une idéologie politique ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 D’ où viennent les idéologies politiques ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 Comment étudier les idéologies politiques ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 Pourquoi connaître la diversité des traditions idéologiques ? . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 1. LE RATIONALISME MODERNE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 La pensée réformiste des Lumières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 2. LE LIBÉRALISME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 Le libéralisme classique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 Le libéralisme économique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 Le néolibéralisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 3. LE SOCIALISME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 Le socialisme utopique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 Le marxisme et le communisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 Réformer ou révolutionner la société ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 4. LE CONSERVATISME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 Le traditionalisme et les réactionnaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 Le nationalisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 Le pragmatisme conservateur : l’ anti-utopie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44 Le conservatisme des valeurs et le populisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46 5. LA GAUCHE ET LA DROITE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 Le sens politique des idées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 Prendre parti, c’ est choisir une direction! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 6. DES IDÉOLOGIES CONTEMPORAINES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56 Le féminisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 L’ écologisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60 CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66 EXERCICES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 Aide-mémoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 Questions sur la matière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 Pour approfondir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68 Analyse comparative des discours politiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 EXPLORATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
IV
LES IDÉOLOGIES POLITIQUES
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LE LIBÉRALISME D
ans le langage courant, on qualifie quelqu’un de « libéral » lorsque celui-ci manifeste une attitude de générosité et d’ouverture d’esprit. Mais le concept de libéralisme a plutôt été forgé au 19e siècle à partir du mot latin « liber », qui désignait, sous les lois de l’Empire romain, les hommes libres par rapport à ceux qui ne l’étaient pas (les esclaves et les serfs). Ce choix ne fut pas arbitraire. Car la tradition idéologique du libéralisme se veut l’unique et authentique héritière du legs des Lumières. Si elle accorde une grande place aux valeurs de progrès social et de bonheur humain, elle accorde cependant la place centrale à la liberté individuelle. Les fondateurs du libéralisme n’ont certes pas inventé la liberté politique, dont l’histoire est très ancienne. Dans l’Antiquité, les républiques grecques et romaines ont conçu des modèles de sociétés complexes dans lesquelles les citoyens possédaient des droits ainsi qu’un pouvoir politique considérable. C’est à ces exemples anciens du républicanisme que les Lumières vont en appeler pour justifier les révolutions démocratiques de la fin du 18e siècle qui ont donné naissance à la République fédérale américaine et à la République française. Toutefois, cette idéologie républicaine, trop optimiste, déformait la réalité historique. En effet, l’organisation des républiques antiques reposait essentiellement sur la guerre et non sur le respect des droits des personnes comme le réclamaient les révolutionnaires modernes. Trop pauvres pour subvenir à leurs besoins croissants par l’agriculture et le commerce, les républiques anciennes n’hésitaient pas à user du moyen de la guerre pour s’enrichir et former leurs citoyens pour qu’ils deviennent des soldats redoutables. Pendant des siècles, les républiques de Grèce et d’Italie ont ainsi conquis et pillé les peuples d’Europe, d’Afrique et d’Orient pour subvenir aux besoins croissants de leurs citoyens. À cause même de leur organisation économique primitive, qui dépendait de la conquête et de l’esclavage, l’idéologie politique des anciens Grecs et Romains était aussi violente qu’intolérante, prônant ouvertement l’impérialisme et l’esclavagisme.
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LES IDÉOLOGIES POLITIQUES
Le monde moderne est bien différent de celui de l’Antiquité. Dès le 16e siècle, l’État souverain est devenu la principale organisation institutionnelle. Ensuite, les nouvelles idées rationalistes apportées par les Lumières au 18e siècle ont influé sur le pouvoir et l’organisation sociale en place. D’importants penseurs politiques avaient déjà proposé, dès la fin du 17e siècle, les grandes idées qui vont former la matrice intellectuelle du libéralisme classique. Mais l’idéologie libérale deviendra dominante seulement au tournant du 19e siècle. Ces trois grandes évolutions sociopolitiques sont à l’origine du libéralisme entre les années 1700 et 1900 : I.
la transformation de l’absolutisme politique vers l’État de droit ;
II.
la transformation de l’économie agricole vers le capitalisme ;
III. la transformation des valeurs médiévales vers celles de la bourgeoisie.
Représentation de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui épouse, résume et organise le progressisme des Lumières et les idées libérales en défendant les principes de la liberté, de l’égalité et de la dignité de toutes les personnes.
La trajectoire de l’idéologie libérale, qui accompagne ces trois profondes transformations, est riche et complexe. Pour en distinguer les étapes principales, l’étude des idéologies distingue le libéralisme classique, qui se forme aux 17e et 18e siècles, du libéralisme économique, qui deviendra prépondérant au 19e siècle, ainsi que le néolibéralisme, qui apparaît dans la deuxième moitié du 20e siècle. Étudions maintenant ces trois étapes de l’évolution du libéralisme dans l’ordre chronologique.
LE LIBÉRALISME CLASSIQUE À l’origine, le libéralisme est profondément politique au sens où il s’intéresse avant tout à la question du pouvoir. Les premiers auteurs libéraux en appellent à la nécessité de libérer ou plutôt d’affranchir les hommes des pouvoirs et des institutions archaïques issus de l’époque médiévale. En particulier, l’idéologie libérale apparaît sous forme d’opposition à ce que les derniers grands penseurs des Lumières désignaient sous le nom d’absolutisme.
Le libéralisme
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CONCEPT
ABSOLUTISME L’ absolutisme définit la souveraineté de l’État comme étant le commandement de droit divin du souverain sur ses sujets. Dans le contexte des monarchies européennes des années 1500-1700, l’absolutisme désigne ainsi le pouvoir sans borne (absolu) du roi sur la population de son royaume. Il s’agit d’une idéologie politique importante dans l’histoire du gouvernement. Elle affirme que la fonction du pouvoir monarchique est d’assurer la paix Louis XIV (1638-1715). civile et la suprématie de la loi dans l’État au nom Surnommé le Roi-Soleil, il est la figure emblématique de de Dieu et de la tradition. Malgré ses abus de poul’absolutisme, qu’il a instauré voir évidents, l’absolutisme, conférant au monarque en France. Son règne dura 72 ans. Portrait par Charles une autorité sans limites (intégrale, continuelle et Lebrun (1661). indiscutable) sur toutes les affaires de son royaume, a permis de réaliser l’unité politique et territoriale de pays comme la France, le Royaume-Uni, l’Espagne et la Russie en associant la sécurité de toutes les parties du royaume à l’autorité d’un pouvoir étatique centralisé, capable de faire taire par la force les conflits religieux et civils. Au cours des années 1500-1700, l’idéologie absolutiste avait sanctionné, au nom de la religion et de la tradition, la toute-puissance des rois sur leurs populations. Ainsi les gouvernements avaient-ils tendance à être arbitraires, et les populations à subir la domination d’un gouvernement au pouvoir excessif. Confronté aux changements socioéconomiques modernes, l’absolutisme n’est plus en mesure d’assurer l’ordre et la paix uniquement par la force. La gestion partiale des ressources et l’application arbitraire des lois incitent les sujets des différents royaumes à exiger des réformes dans l’administration de la justice.
Le Débat sur les langues lors de la première Assemblée législative du Bas-Canada le 21 janvier 1793 par Charles Huot (1913).
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LES IDÉOLOGIES POLITIQUES
Pour ne pas perdre entièrement le contrôle des ressources économiques, la monarchie doit de plus en plus accepter le principe de la représentation politique en soumettant une partie de son pouvoir aux parlements. En Angleterre et en NouvelleAngleterre, puis en France et ailleurs, la noblesse terrienne et la bourgeoisie des villes crieront de plus en plus : « Pas de taxation sans représentation ! » Ces revendications vont modifier la définition même de l’État. Avec l’essor du libéralisme, le gouvernement sera ainsi graduellement soumis à l’influence des parlements. Le parlementarisme désigne la pratique de la représentation politique ainsi que l’institution législative, l’organe parlementaire, organisant les lois sous forme de projets à débattre. Les parlementaires seront les principaux acteurs influencés par les idées libérales. Ils se donneront pour rôle de représenter les citoyens payeurs de taxes (contribuables) pour surveiller le pouvoir monarchique. Ce faisant, l’État devient une puissance plus responsable et compétente. Pour les parlementaires libéraux, il s’agit en outre d’organiser la société pour répondre aux nouveaux défis apportés par les grandes transformations socioéconomiques modernes. À partir de la fin du 18e siècle, l’État commence ainsi à se professionnaliser. Les institutions de gouvernance n’appartiennent plus à personne en particulier, mais bien à tous ; on les qualifie désormais de publiques. Cela signifie que, pour les diverses instances chargées d’imposer les règles collectives, les citoyens payeurs de taxes sont de plus en plus considérés comme des égaux au sens juridique.
CONCEPT
PARLEMENTARISME Le parlementarisme désigne, dans les États de droit, la pratique de la représentation politique par des parlementaires élus ainsi que l’institution législative elle-même. En effet, c’est le Parlement qui est à l’origine des lois soumises par le gouvernement sous forme de projets à débattre. Dans les États de droit modernes, le parlementarisme permet ainsi aux citoyens d’intervenir indirectement dans les politiques du gouvernement par l’élection de représentants parlementaires chargés de représenter leurs intérêts. L’idéologie libérale se manifeste ainsi à la faveur de la montée en force du parlementarisme, qui va élargir le statut de citoyenneté à la bourgeoisie. Les parlementaires forceront les monarques à soumettre leurs projets à des réglementations plus consensuelles, par l’entremise d’institutions publiques et légales dont l’application est neutre – au moins théoriquement – quant aux intérêts et aux valeurs de tous et chacun. La neutralité et la publicité – c’est-à-dire le caractère public de l’État – deviennent alors des caractéristiques essentielles des sociétés libérales naissantes : elles illustrent que, dans les sociétés modernes, même le pouvoir étatique doit se soumettre à la loi !
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On désigne cette évolution comme l’apparition de l’État de droit, c’est-à-dire d’un État qui agit en se conformant à la loi. L’évolution vers l’État de droit incite les gouvernements à mettre en place des systèmes de justice plus professionnels et impartiaux. Cette évolution demande la création de formations juridiques spécialisées pour les avocats et les juges ainsi que la mise en place de cours de justice financées publiquement pour être capables d’assumer un rôle de plus en plus grand dans le fonctionnement efficace de la société. Idéologiquement parlant, de tels changements s’appuient sur une vision qui rejette l’autorité de la tradition à la faveur de l’autorité de la raison. Sous l’influence du rationalisme des Lumières, les penseurs libéraux envisagent l’ensemble de l’organisation de la société politique sur un modèle juridique, abstrait et rationnel, soit une entente mutuelle entre individus libres et égaux que l’on désigne par l’expression de contrat social. Cette vision rationnelle de la société est le fondement philosophique de l’idéologie libérale.
CONCEPT
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CONTRAT SOCIAL Issue directement de l’héritage rationaliste moderne, et en particulier des philosophies de Thomas Hobbes (1588-1679), de John Locke et de JeanJacques Rousseau (1712-1778), la pensée libérale envisage les institutions politiques essentiellement sur la base du contrat social. Il s’agit d’une représentation parfaitement rationnelle et abstraite de la société, dans laquelle on imagine cette dernière comme un ensemble d’individus libres, ayant conclu un contrat avec l’État afin que celui-ci garantisse leurs droits fondamentaux. Les droits individuels limitent ainsi la capacité d’intervention des pouvoirs étatiques, mais aussi des autres pouvoirs, comme ceux de l’Église ou de la noblesse. En effet, l’entente mutuelle entre les contractants, à l’origine de tous les pouvoirs organisés, est fondée sur la représentation fictive et juridique de la société. Au sein de cette reconstruction du partenariat social, les liens sociaux et politiques, ainsi que les lois, sont le fruit d’une négociation perpétuelle entre les organes de pouvoir et les partenaires de la société politique. C’est pourquoi l’autorité des lois elle-même repose sur le consentement entre individus détenteurs de droits naturels. Ces droits fondamentaux étant subjectifs et inaliénables, le pouvoir politique ne peut non plus les extorquer. Cela signifie qu’en tant qu’êtres naturellement libres, les individus ont des droits inaliénables qui doivent en tout temps être respectés, ce qui a pour effet de limiter la portée des lois adoptées par le gouvernement. C’est ainsi en fonction du respect de ces droits fondamentaux que les gouvernements sont établis et doivent gouverner : le respect des clauses du contrat social est la condition de l’obéissance des citoyens.
LES IDÉOLOGIES POLITIQUES
À la suite des publications de John Locke, la pensée libérale a fortement misé sur cette notion de contrat social, plusieurs fois reprise jusqu’à aujourd’hui, pour penser la justice des sociétés. Le libéralisme émet des conditions exigeantes pour que le pouvoir de l’État puisse être considéré comme juste. Selon le libéralisme dans sa formulation classique, le pouvoir politique étant l’objet d’un contrat volontaire entre gouvernés, il n’est légitime que s’il est en mesure de garantir l’ensemble des droits des contractants. Encore aujourd’hui, on trouve cet aspect central de la doctrine libérale dans la Déclaration universelle des droits de l’humain ainsi que dans les documents constitutionnels intégrant les chartes de droits et libertés qui s’en inspirent. Le libéralisme classique est finalement à l’origine de l’idéal du gouvernement représentatif. La représentation, toutefois, est un concept ambigu qui peut désigner des réalités contradictoires. En effet, que représente-t-on au juste ? Et comment le représentant peut-il être fidèle à ceux qu’il représente ? La représentation peut laisser place à un jeu politique qui favorise les intérêts d’une partie seulement de la population. Le gouvernement représentatif fut d’ailleurs explicitement conçu par opposition avec la démocratie directe inspirée des Grecs et des Romains – gouvernement du peuple, pour le peuple et par le peuple. Dans la tradition libérale, la représentation permet plutôt aux individus d’être représentés tout en les déchargeant de l’essentiel du fardeau de la politique : elle laisse les individus se consacrer à leurs activités privées. La démocratie directe demanderait, au contraire, une mobilisation constante du peuple dans les instances décisionnelles. Elle paraît donc incompatible avec le mode de vie des modernes, attachés à la sphère de la vie privée et à la jouissance personnelle de leurs libertés. Le gouvernement représentatif offre ainsi une sorte de compromis : l’État peut agir d’une manière cohérente et efficace, et les élections fournissent la possibilité de démettre les gouvernements abusifs ou incompétents.
DE PLUS PRÈS
John Locke par sir Godfrey Kneller (1697).
JOHN LOCKE (1632-1704) Le philosophe anglais John Locke est considéré comme le grand fondateur du libéralisme classique. Il a défendu les principes de la liberté individuelle et du constitutionnalisme, et prend parti pour l’institution du parlementarisme comme contrepoids essentiel à l’autorité gouvernementale. La pensée politique de Locke est avant tout une critique de l’absolutisme royal. Ses principaux ouvrages, ses Traités du gouvernement civil (1690), exposent les fondements idéologiques du libéralisme.
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La critique des gouvernements arbitraires est fondée chez Locke dans l’idéal de liberté individuelle du citoyen. Mais le philosophe développe aussi une conception originale de « l’origine, de l’étendue et des fins véritables » du gouvernement civil ou constitutionnel. Pour y parvenir, il s’appuie sur l’idéalisation rationnelle offerte par le contrat social, qui lui permet de démonter les principales institutions organisant la société politique. Il considère d’abord que le pouvoir politique se situe au niveau législatif, c’est-à-dire le pouvoir de faire des lois. Le gouvernement civil a pour objet principal la paix et la sécurité des personnes ; il doit en conséquence faire des lois et les exécuter pour atteindre ces objectifs. Cependant, le fonctionnement réel du pouvoir doit demeurer compatible avec les droits que l’humain hérite de la nature, dont la liberté de conscience et le droit de poursuivre son propre bonheur. De sorte qu’un gouvernement civil sera légitime uniquement s’il repose sur le consentement libre de ceux qui vivent soumis à ses lois. Pour gouverner, les hommes politiques ont donc besoin de la confiance (trust) du peuple. Et pour obtenir cette confiance (to be entrusted), les gouvernants doivent être représentatifs (trustee) et ont donc besoin de l’autorisation explicite des gouvernés. Si le gouvernement n’a plus la confiance du peuple, alors ce dernier peut à bon droit le renverser, pacifiquement ou violemment, pour le remplacer. Le libéralisme, depuis Locke, considère que si le pouvoir et l’État sont des artifices nécessaires à la vie des individus en société, il n’en demeure pas moins qu’ils sont dangereux. Les humains sont grégaires, c’est-à-dire qu’ils sont naturellement portés à vivre en société, mais ce n’est que tardivement que l’histoire humaine a connu la puissance étatique. Étant la forme d’organisation politique la plus puissante jamais inventée, l’État représente une menace permanente et sans précédent pour la liberté et les droits individuels. Locke considère donc que l’action de l’État doit être en tout temps limitée. En outre, le pouvoir des lois doit se limiter à la gestion responsable des relations naturelles entre individus (comme le commerce, les mariages et autres échanges). L’action gouvernementale devant se limiter à gérer les conflits de la vie civile pour réaliser une harmonie des intérêts, en aucun cas le pouvoir politique ne peut se substituer à la liberté personnelle des citoyens (par exemple en leur imposant des décrets par la force) ou attenter à leur propriété individuelle par des taxations arbitraires. Dans sa célèbre Lettre sur la tolérance (1689), Locke montre en outre que la poursuite individuelle de ses intérêts est l’inclination naturelle de l’humain, fût-il solitaire ou en société. Ainsi, c’est l’état de libre poursuite des biens personnels qui représente le critère à partir duquel il est possible d’évaluer la justesse des gouvernements. Un État libre est aussi un État légitime, car les individus obéiront uniquement aux lois compatibles avec
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LES IDÉOLOGIES POLITIQUES
leurs intérêts bien compris. Et pour que les individus puissent découvrir et comprendre leurs intérêts, ils ont besoin de jouir d’une sphère de liberté qui soit la plus étendue possible, mais dans les limites des règles légales et mutuellement consenties de l’ensemble de la société. Locke montre que même la religion profite de cette liberté puisque les individus peuvent alors vivre une vie spirituelle à l’abri des atteintes contre leur libre conscience. En conséquence, la pensée de Locke prépare la séparation de l’Église et de l’État. Cette séparation du religieux et du politique est à l’origine du principe, aujourd’hui reconnu dans tous les États libéraux, de la neutralité étatique en matière de croyances et de valeurs. Ce principe libéral central laisse aux individus le droit de choisir la manière dont ils veulent vivre leurs vies. Le libéralisme classique a proposé un puissant idéal de justice politique affirmant la préséance des droits et intérêts individuels sur ceux de la collectivité. Par conséquent, l’idéologie libérale classique est fondée sur une conception individualiste de la société et abandonne largement les objectifs de bonheur, d’égalité sociale et de fraternité universelle promus par les Lumières révolutionnaires. Sous l’influence de Locke, la conception de la justice libérale soutient plutôt que les droits individuels sont prioritaires par rapport aux besoins collectifs, mais aussi que les besoins des collectivités sont eux-mêmes réductibles à ceux des individus qui les composent. Sous l’impulsion des principes de Locke, l’idéologie du libéralisme acquiert rapidement une grande influence. Sa force principale réside dans sa grande cohérence philosophique, qui a séduit l’élite politique et intellectuelle occidentale. Grâce à la diffusion des idées libérales au 19e siècle, rendue possible par la multiplication des journaux, les grands principes du libéralisme seront graduellement adoptés par la plupart des sociétés occidentales. En faisant la promotion de l’individu libre et d’une vision juridique ou contractuelle de la société et du pouvoir, le libéralisme classique place les idéaux de liberté, de propriété privée et de rationalité des individus au fondement de toutes les réformes sociales et politiques. La doctrine du constitutionnalisme sera, à ce titre, une innovation sans précédent ; elle est au fondement de l’État de droit contemporain. Cette doctrine considère que les pouvoirs des parlements et de l’État, pour être compatibles avec la liberté des citoyens, doivent s’exprimer par la loi et être soumis à des procédures fiables de justice. Ce faisant, le gouvernement doit nécessairement être limité et encadré par une constitution, c’est-à-dire un ensemble de règles plus ou moins formelles qui régissent le fonctionnement général de l’État, de ses instances ainsi que ses relations avec les citoyens. Le constitutionnalisme est l’expression de ce droit contracté en commun (common law) : il permet de gérer les relations juridiques entre individus – les garanties de propriété, les contrats, les systèmes matrimoniaux, etc. – par des procédures équitables de justice.
Le libéralisme
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LES PRINCIPES FONDAMENTAUX DU LIBÉRALISME CLASSIQUE On peut résumer les principes fondamentaux du libéralisme classique en sept points :
SYNTHÈSE
I.
La rationalité politique – Le libéralisme accorde une très grande place à la raison politique, puisqu’il considère que les humains doivent pouvoir accorder leur consentement explicite au gouvernement civil afin que celui-ci soit compatible avec leur liberté. De plus, les libéraux croient au progrès des institutions et de la société, dont le moteur est la capacité humaine d’analyser et de comprendre le monde.
II. L’individualisme moral – La valeur morale ultime et la fonction politique première de la vie en société sont la conservation et la prospérité des individus. Chaque individu est une « personne morale », donc chaque individu est porteur de droits. Tous les individus, malgré leurs différences, ont droit au respect et à la dignité. III. La liberté civile – Comme son nom l’indique, le libéralisme est avant tout une doctrine de la liberté individuelle qui n’existe cependant, dans la réalité, que sous un gouvernement des lois. Cette liberté civile ne signifie pas que chacun peut faire ce qui lui plaît quand bon lui semble – ce que l’on appelle plutôt la « licence » et qui peut mener rapidement à la loi du plus fort – ; elle implique au contraire le respect des droits d’autrui. IV. L’égalité civile – Si les libéraux considèrent que les humains naissent naturellement libres et égaux en dignité, ils acceptent cependant les inégalités socioéconomiques. En effet, les inégalités occasionnées par le mérite personnel sont compatibles avec la liberté et l’égalité civiles. V.
La tolérance idéologique – Le libéralisme est en soi une doctrine favorable aux différences et aux désaccords, qui affirme que le devoir de tolérance est au cœur de l’État de droit. La tolérance permet d’abord de préserver les libertés contre la violence et la peur ; elle permet ensuite d’enrichir la société de perspectives nouvelles, contribuant au progrès de la raison politique.
VI. Le consentement politique – Le libéralisme émet plusieurs conditions à l’exercice légitime du pouvoir politique, parmi lesquelles le consentement est la première : les individus, pour vivre ensemble tout en demeurant libres, doivent consentir aux limites collectivement imposées à leur liberté. Le principe de représentation politique du gouvernement parlementaire ou représentatif est donc incontournable pour protéger la liberté et l’égalité civiles.
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LES IDÉOLOGIES POLITIQUES
VII. Le constitutionnalisme – Le libéralisme est une doctrine du gouvernement limité ou constitutionnel. Pour demeurer compatible avec la liberté, le pouvoir de l’État doit être limité par diverses institutions dont les principales sont la division des pouvoirs et une constitution établissant les droits et les responsabilités de tous et chacun.
LE LIBÉRALISME ÉCONOMIQUE Les grandes innovations technologiques et économiques ont eu un impact majeur sur la vie et les idées politiques. La diffusion de la poudre à canon et de la boussole, par exemple, ou l’invention de l’imprimerie ont modifié le cours de l’histoire, ne serait-ce qu’en permettant que certains États puissent étendre leur puissance sur de plus vastes territoires, que les ressources disponibles se multiplient et se diversifient, et que les idées nou- La révolution industrielle a engendré des transformations non velles se transmettent plus aisément. Ces seulement économiques, mais aussi politiques. Tableau de Herman changements importants vont prendre Heyenbrock (1890). un tournant nouveau au 19e siècle. La révolution industrielle place en effet l’économie – et bientôt l’égalité économique – au centre d’un nouveau débat politique. Ces transformations économiques et sociales ont alimenté une nouvelle variante du libéralisme : le libéralisme économique. Car l’idéologie libérale ne s’intéresse pas seulement aux réformes politiques. Elle a aussi un point de vue très spécifique et politiquement engagé sur l’économie. La révolution industrielle du 19e siècle marque le passage d’une société principalement rurale et vivant de l’agriculture à une société basée sur la production industrielle et la consommation de plus en plus importante de produits manufacturés. Cette « Grande transformation », pour reprendre l’expression consacrée par l’historien et économiste Karl Polanyi (1886-1964), donne naissance au libéralisme économique. Les politologues distinguent souvent le libéralisme classique, que nous avons introduit précédemment, et le libéralisme économique. Ce libéralisme économique se distingue du libéralisme classique par une attention bien plus grande portée à la dimension économique de la vie sociale. En effet, non seulement les libéraux du 19e siècle voient-ils d’un bon œil l’industrialisation, mais ils la souhaitent aussi ardemment. Elle provoquera des changements profonds dans l’organisation de la société, créant de nouvelles classes sociales qui auront un impact majeur dans la transformation des idéologies modernes.
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CONCEPT
CLASSE SOCIALE La classe sociale est un concept permettant de décrire les groupes qui composent la société. Les classes sociales désignent des ensembles d’individus définis en fonction d’un ou de plusieurs critères ou attributs spécifiques en vue de les différencier d’autres ensembles d’individus. Au Moyen Âge, par exemple, la société est divisée entre nobles et serfs selon deux critères : l’hérédité des titres familiaux de propriété et la connaissance de l’art militaire, attributs qui appartiennent en propre à la noblesse. Les classes sociales constituent en même temps des hiérarchies sociales et politiques, car les critères ou attributs qui distinguent les individus permettent aussi à une catégorie d’entre eux (habituellement minoritaires) de détenir un certain contrôle sur ceux qui ne les possèdent pas. Ce pouvoir permet à son tour à la classe sociale minoritaire d’exploiter économiquement la classe sociale majoritaire, mais politiquement plus faible. Plusieurs changements économiques, politiques et idéologiques ont rendu possible la révolution industrielle. Parmi ces changements, notons la liberté grandissante des travailleurs ou artisans dans les villes, le développement du commerce et l’enrichissement des entrepreneurs. Dans des pays comme la France, les Pays-Bas, l’Allemagne et l’Angleterre, le commerce maritime avait permis à des marchands d’accumuler des fortunes considérables au cours des siècles, ce qui avait donné lieu à l’ouverture de nouveaux marchés. De grandes manufactures s’étaient développées. La religion protestante, largement répandue dans les milieux commerçants européens, encourageait l’esprit d’entreprise. Et la vague démocratique qui suit la Révolution française va elle aussi contribuer à affaiblir, voire à carrément détruire à travers l’Europe le lien de dépendance entre les paysans et les aristocrates qui persiste encore. Tout au long des 18e et 19e siècles, l’impact des innovations technologiques accélère donc cette évolution et fait entrer tous ces facteurs en résonance pour produire une réorganisation complète de la production industrielle et de l’agriculture, de même qu’un accroissement spectaculaire du commerce. L’Angleterre est le principal foyer de cette industrialisation, qui va s’étendre rapidement en France, en Belgique, en Allemagne et jusqu’en Amérique du Nord. Dans le domaine agricole, de nouvelles inventions et machines vont permettre d’accroître la productivité tout en réduisant la main-d’œuvre nécessaire à la production. Une agriculture plus productive employant moins de gens va à son tour permettre de nourrir une population plus importante tout en libérant une maind’œuvre grandissante pour les usines qui apparaissent. De nombreux paysans gagnent alors la ville à la recherche de travail. On appelle ce mouvement l’urbanisation. Si le phénomène de l’urbanisation a commencé lentement dès la fin du Moyen Âge, il a pris son véritable essor avec la ré-
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L’urbanisation est fort probablement le plus important changement social et économique qu’a connu l’humanité depuis l’invention de l’agriculture. Au lieu de vivre des produits de la terre, le paysan déménagé en ville doit vendre sa force de L’urbanisation continue de croître aujourd’hui. Guangzhou (anciennetravail. Au lieu de produire lui-même ment Canton), en Chine, fait partie de l’agglomération de villes la plus l’essentiel de sa consommation, il reçoit peuplée du monde, avec ses 40 millions d’habitants. un salaire lui permettant d’acheter des biens sur le marché. Contrairement au paysan, le citadin n’est plus en contact direct avec la production des biens qu’il consomme. La relation entre le producteur et le consommateur passe désormais par l’intermédiaire de l’argent. Les sociologues et les économistes nomment ce processus la monétarisation des rapports économiques : la monnaie intervient systématiquement dans les échanges de biens, introduisant ce qu’on appelle la division du travail, c’est-à-dire la spécialisation des tâches de production.
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© Chensiyuan 2011 CC-BY
volution industrielle et se poursuit aujourd’hui en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Alors que moins de 2% de la population mondiale vivait dans des villes dans les années 1700, en 2012, c’est plus de 50% !
DIVISION DU TRAVAIL Au Moyen Âge, les villages paysans forment des ensembles économiques pratiquement autonomes : ils produisent presque tout ce dont ils ont besoin. Dans la société moderne, le travail devient de plus en plus spécialisé. Par exemple, des travailleurs se spécialisent dans la production de la nourriture ou du vêtement, alors que d’autres se consacrent à leur distribution et à leur mise en marché. Aujourd’hui, la division du travail a atteint un tel niveau que, pour produire ce que l’on trouve dans un panier d’épicerie, il faut coordonner le travail de milliers, voire de millions d’individus disséminés aux quatre coins de la planète. Les penseurs libéraux vont prendre acte de la nouvelle importance de l’économie productive dans l’organisation sociale. Ils vont comprendre pourquoi l’industrialisation et l’urbanisation sont deux processus complémentaires de coordination sociale. Ces processus sont le moteur du progrès économique : ils transforment le visage de l’Europe et de l’Amérique du Nord tout en encourageant les réformes qui accélèrent l’enrichissement des sociétés.
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Mécanicien de centrale électrique travaillant sur une pompe à vapeur, par Lewis Hine (1920). Cette photographie représente le nouveau rapport de l’homme avec la production et le travail instauré par la révolution industrielle.
CONCEPT
Toutefois, l’industrialisation ne fait pas que des heureux. Construites à la hâte, les nouvelles villes industrielles soumettent souvent leurs habitants à des conditions de vie pénibles. Les infrastructures d’égouts et de transports font défaut, ce qui occasionne des problèmes d’insalubrité publique et de maladie contagieuse. Les ouvriers habitent souvent dans des logements de fortune surpeuplés, qui menacent de s’écrouler ou de brûler à tout moment. Le travail des femmes et des enfants est fréquent, les journées sont longues, les salaires maigres, et les conditions de travail marquées par l’insécurité et les accidents fréquents. Il est difficile d’exagérer l’étendue de la misère dont souffrent les ouvriers de l’époque (une situation qu’on trouve aujourd’hui dans les bidonvilles de plusieurs métropoles des pays en développement). En raison de leurs conditions de vie particulières, ces ouvriers en viennent à constituer une nouvelle classe sociale à laquelle les théoriciens socialistes, dont les idées seront analysées plus loin, donneront le nom de prolétariat.
PROLÉTAIRES ET BOURGEOIS À l’origine, le mot « prolétaire » désignait le citoyen romain qui ne possédait rien sauf le droit de vote. Dans les théories socialistes, le prolétaire est celui qui n’a d’autre choix pour vivre que de vendre sa force de travail pour survivre. Il la vend au bourgeois, c’est-à-dire à celui qui possède les moyens de production (voir définition plus loin) et les capitaux. Dans les régimes parlementaires, étant les principaux payeurs de taxes (contribuables), les bourgeois dominent aussi la vie politique et s’assurent de maintenir cet avantage sur la classe des travailleurs. Le prolétaire désigne donc une position sociale pire que celle du pauvre puisqu’il est exploité (économiquement) et dominé (politiquement) par les bourgeois. Mais il faut comprendre que le libéralisme économique n’est pas que l’expression d’un point de vue économique favorable à la modernisation industrielle des sociétés. Il s’agit aussi de l’idéologie officielle d’une classe sociale entrepreneuriale qui vise l’enrichissement personnel des mieux nantis. L’industrialisation a été portée par une
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classe particulière de citoyens, les bourgeois, qui détenaient les ressources financières suffisantes pour acheter les machines et organiser de nouveaux modes de production, et ainsi profiter du commerce créé par l’apparition de nouveaux biens de consommation. Nous avons vu que les penseurs libéraux classiques souhaitaient défendre les droits individuels contre l’arbitraire du pouvoir de l’État ou de l’Église. Au cours du 19e siècle, ce sont les bourgeois qui étendent les principes du libéralisme pour transformer la plupart des vieux régimes dynastiques en démocraties parlementaires où des représentants élus peuvent décider des affaires de l’État. Selon les bourgeois libéraux, la meilleure manière de favoriser l’industrialisation, c’est de laisser aux acteurs économiques le plus d’espace possible pour innover et prendre des initiatives. Comment ? En éliminant les barrières à l’investissement de capitaux comme les taxes et les impôts, qui limitent le développement des capacités de production et de consommation. Pour devenir riche, un État doit donner à ses citoyens le droit de s’enrichir. Il fait alors place au mécanisme dit de la main invisible, selon lequel l’action des uns, accomplie sans contrainte ni intervention et dans un intérêt strictement personnel, aura un effet bénéfique sur les autres, et viceversa. Dans un contexte de liberté, estiment donc les libéraux, la production et la consommation sont censées s’organiser de façon optimale par la force des choses. Et pour des penseurs comme Adam Smith, l’action de l’État doit se limiter aux quelques champs d’activité suivants, de manière à ne pas entraver le libre jeu du marché, conçu comme un bienfait :
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•
protéger le territoire contre les États étrangers (l’armée) ;
•
protéger les personnes et faire respecter les contrats qu’elles concluent entre elles (la police et les tribunaux) ;
•
construire de grandes infrastructures publiques (chemins de fer, ponts, réseaux d’aqueduc, etc.) ;
•
empêcher la formation de monopoles qui nuisent à la saine concurrence et à l’efficacité économique.
ADAM SMITH (1723-1790) Adam Smith voit le jour en 1723, en Écosse. Philosophe et économiste, il s’inscrit dans le courant dit des Lumières écossaises, qui se développe au cours du 18e siècle autour de figures intellectuelles comme les philosophes Francis Hutcheson et David Hume. Son œuvre nous aide à comprendre le passage de la philosophie morale à ce qui deviendra la science économique moderne. Dans son premier livre important, Théorie des sentiments moraux
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(1759), il s’interroge sur la manière dont les individus, si souvent égoïstes, parviennent pourtant à formuler des jugements moraux où ils prennent les autres en considération. Smith y développe sa théorie du spectateur impartial, qui met de l’avant la capacité qu’ont les humains de recevoir le point de vue d’autrui et de porter des jugements sur la base d’un sentiment de sympathie. Mais l’œuvre la plus célèbre de Smith demeure sa Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776), que l’on décrit parfois comme le premier ouvrage de science économique. D’une manière détaillée, l’auteur y compare différents modèles économiques et avance des thèses importantes sur la division du travail, le rôle de l’État, le fonctionnement de la monnaie, la concurrence et le fonctionnement du marché. Au cours du 19e siècle, les principes du libéralisme deviennent rapidement la pensée dominante en matière économique. L’application des principes libéraux entraîne l’industrialisation rapide de l’Europe occidentale. Les effets sont fulgurants. Pour favoriser le commerce et l’industrie, les gouvernements investissent massivement dans les infrastructures et notamment dans les chemins de fer et les canaux de navigation. Quelques États européens – surtout l’Angleterre et la France – profitent de cette période pour construire de gigantesques empires coloniaux. L’Empire britannique est certainement le plus étendu : de l’Australie au Canada, en passant par l’Inde et une grande partie de l’Afrique, il couvre à son apogée environ le quart des terres émergées du globe ! Les colonies servent d’abord et avant tout à approvisionner la métropole en matières premières, bien que certaines – surtout les colonies de peuplement européen comme le Canada et l’Australie – prennent le train de l’industrialisation dès la première moitié du 19e siècle. Au Canada, par exemple, la construction du canal Rideau (entre Ottawa et Kingston), celle du canal Lachine (à Montréal) et celle du Grand Trunk Railway (qui relie Montréal et les Grands Lacs) sont les moments forts de cette période où les États visent à exercer leur emprise sur l’espace par la puissance combinée de l’industrie et de la technologie.
© Musée McCord
La relation entre la pensée libérale et l’impérialisme, c’est-à-dire la domination d’un État sur d’autres peuples au point de vue économique, politique ou autre, a toujours été ambiguë et paradoxale. Comment une idéologie politique peut-elle à la fois défendre la liberté individuelle et permettre la domination coloniale ?
Entrée du canal Lachine vers 1910.
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Les libéraux comme Adam Smith, plus proches du libéralisme classique, favorisaient plutôt l’ouverture des frontières que la domi-
nation coloniale ; ils adhéraient au principe du libre-échange entre les pays et, par conséquent, s’opposaient à la politique de conquête et d’expansion du gouvernement britannique. Dans la seconde moitié du 19e siècle, par contre, plusieurs penseurs et politiciens libéraux furent des défenseurs enthousiastes de l’impérialisme britannique. À cette époque, le colonialisme était souvent présenté comme une manière de civiliser des peuples ou des groupes humains jugés inférieurs en leur apportant le commerce et la civilisation. La colonisation du Congo par la Belgique, par exemple, avait officiellement pour but de lutter contre le commerce des esclaves noirs par les marchands arabes ! Dans les faits, le colonialisme répondait surtout à un processus de compétition entre les puissances européennes pour le prestige, la puissance militaire et l’ouverture de nouveaux marchés de consommation des produits manufacturés dans les métropoles coloniales.
SYNTHÈSE
UNE CONCEPTION ÉCONOMIQUE DE LA SOCIÉTÉ Adam Smith, penseur écossais considéré comme le père de l’économie moderne, a forgé l’expression « main invisible » pour décrire l’effet du laisserfaire de l’État sur l’économie. Selon Smith, une société où chacun recherche son intérêt personnel peut néanmoins, sous certaines conditions, favoriser le bien de tous. L’exemple classique est celui du boulanger : ce n’est pas pour faire plaisir au client qu’il cherche à faire le meilleur pain possible, mais pour augmenter ses propres ventes. Or, quelle est la meilleure manière de vendre davantage ? C’est de produire un pain que les gens vont aimer et vouloir acheter. Par conséquent, la meilleure manière d’obtenir que tous mangent du bon pain, c’est de laisser au boulanger la liberté de maximiser son profit. Inutile de lui ordonner de faire du bon pain ; son intérêt personnel lui fera forcément prendre en compte l’intérêt de tous ! Plusieurs années avant Smith, Bernard Mandeville, un philosophe, docteur en médecine et satiriste d’origine néerlandaise, avait tenu une réflexion similaire dans La fable des abeilles (1705). L’auteur y prenait l’exemple des abeilles pour expliquer que des vices privés, tels que la consommation effrénée de biens, la rapacité ou l’égoïsme, pouvaient avoir des vertus publiques en stimulant l’enrichissement général. C’est la théorie de la tarte des revenus : plus la tarte des revenus collectifs est grande, plus les pointes de tarte dont bénéficie chaque classe sociale grossissent, de sorte que même les pauvres profitent de l’enrichissement égoïste des riches… Chez Smith, ce raisonnement acquiert une forme beaucoup plus précise : Or, ce n’est que dans la vue du profit qu’un homme emploie son capital à faire valoir l’industrie, et par conséquent il tâchera toujours d’employer son capital à faire valoir le genre d’industrie dont le produit promettra la plus grande valeur, ou dont
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on pourra espérer le plus d’argent ou d’autres marchandises en échange. […] À la vérité, son intention en général n’est pas en cela de servir l’intérêt public, et il ne sait même pas jusqu’à quel point il peut être utile à la société. […] il ne pense qu’à son propre gain ; en cela, comme dans beaucoup d’autres cas, il est conduit par une main invisible, pour remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions ; et ce n’est pas toujours ce qu’il y a de plus mal pour la société, que cette fin n’entre pour rien dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d’une manière bien plus efficace pour l’intérêt de la société, que s’il avait réellement pour but d’y travailler. ADAM SMITH (1966). Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, Livre IV, chap. 2, Osnabrück, O. Zeller, p. 35. (Édition originale 1776.)
Le raisonnement de Smith jouera un rôle essentiel tant dans le développement de l’idéologie du libéralisme économique que dans celui de la science économique. Sa philosophie prépare d’une certaine manière le principe économique de la loi de l’offre et de la demande, qui suppose que les producteurs sont capables d’adapter leur offre en fonction de la demande. Ce principe renforce à son tour les idées favorables au libre-échange, qui suppose qu’un pays ou une région ne cherchera pas à produire ce qu’un autre pays ou région peut produire à moindre coût. Dans les deux cas, la main invisible du marché assurera la meilleure répartition possible des ressources. Dans un monde idéal, le marché tendra aussi à égaliser les conditions de vie : si une région est plus pauvre, les salaires y seront moins élevés, ce qui encouragera les entreprises à y investir pour produire plus de richesses. Les critiques du libéralisme souligneront que, dans la réalité, la main invisible n’est pas toujours opérante ou bienfaitrice. Pour que la main invisible réalise ses promesses et que le laisser-faire économique procure un certain équilibre entre production et consommation ou entre demande et offre, il faut qu’un certain équilibre préalable soit atteint, notamment entre le pouvoir économique des producteurs et celui des consommateurs – une situation de concurrence parfaite, mais la plupart du temps bien hypothétique ! – Adam Smith était bien sûr conscient du caractère idéal de sa théorie. C’est pourquoi il mettra beaucoup d’énergie à critiquer les monopoles, qu’ils soient privés ou publics, parce qu’ils nuisent au fonctionnement optimal du marché.
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LES IDÉOLOGIES POLITIQUES
LE NÉOLIBÉRALISME Une nouvelle variante du libéralisme économique, appelée néolibéralisme, a acquis une grande influence dans le monde économique et politique contemporain. Mais que signifie ce « néo » ? À quel moment cesse-t-on d’être un simple libéral pour devenir un néolibéral ? Quelle est la différence ? D’un point de vue historique, le concept de néolibéralisme s’est diffusé chez les économistes libéraux pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Pour eux, il s’agissait de défendre la liberté individuelle face à la présence hégémonique de l’État dans l’économie du 20e siècle. Mais en quoi ces libéraux étaient-ils des « néolibéraux » ? Essentiellement, il s’agissait pour eux de conserver la tradition libérale classique et économique – celle qui remontait à John Locke et à Adam Smith –, mais en tenant compte des nouvelles réalités du 20e siècle. L’idéologie néolibérale peut ainsi être associée à une tendance à la radicalisation des principes politiques et économiques du libéralisme, en particulier contre l’influence considérable qu’a eue le socialisme dans le monde (prochaine section).
© Université de Chicago
DE PLUS PRÈS
MILTON FRIEDMAN (1912-2006) Si l’on ne devait nommer qu’un seul penseur à l’origine du néolibéralisme, ce serait sans aucun doute l’économiste Milton Friedman, même s’il a toujours rejeté l’étiquette. Né en 1912, il est surtout connu comme fondateur de l’École de Chicago, un groupe d’économistes parmi lesquels on trouve de nombreux Prix Nobel, dont Friedman lui-même. Pour plusieurs critiques des politiques sociales et économiques inspirées du socialisme, il est l’économiste le plus important de la deuxième moitié du 20e siècle. Pour Friedman, les politiques d’investissement mises en place par les gouvernements pour réduire le chômage dans les périodes de crise ne peuvent avoir qu’un effet temporaire et superficiel. En investissant massivement dans l’économie, l’État ne fait que créer des conditions favorables au retour de l’inflation. Friedman recommandera donc aux gouvernements d’éviter les politiques économiques de relance et de régulation pour adopter des politiques monétaires fixes. L’État doit simplement s’assurer que la quantité de monnaie en circulation est suffisante puisque c’est elle qui détermine en fin de compte l’inflation. L’importance attribuée à la quantité de monnaie a amené les économistes à qualifier de « monétariste » l’approche de Friedman et de ses successeurs. Sur le plan politique, les prises de position de Milton Friedman ont fait l’objet de critiques violentes tout au long de sa carrière. Avec Friedrich
Le libéralisme
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Hayek et d’autres économistes, il a formé la Société du Mont-Pèlerin pour faire valoir les idées néolibérales et critiquer le développement de l’Étatprovidence. Le moment le plus controversé de sa carrière fut sans doute son voyage au Chili en 1975, deux ans après le coup d’État du général Pinochet, où plusieurs de ses anciens étudiants d’origine chilienne venaient d’inspirer des réformes libérales. Milton Friedman ne croyait pas à l’efficacité de la plupart des interventions de l’État, comme les politiques sociales dispendieuses. Pour réduire les inégalités sociales, il s’est néanmoins très tôt fait le défenseur de l’« impôt négatif sur le revenu », qui consiste à remettre de l’argent aux travailleurs dont le revenu est insuffisant pour payer de l’impôt. Le système américain de crédit d’impôt sur le revenu d’emploi (Earn Income Tax Credit, EITC), qui s’inspire largement de cette idée, est aujourd’hui le principal mécanisme de redistribution sociale aux États-Unis. Au cours des années 1970 et 1980, le terme « néolibéralisme » en est ainsi venu à désigner une idéologie amalgamant (de manière plus ou moins cohérente) nombre de critiques adressées à l’intervention politique dans l’économie. Sans trop entrer dans les détails du débat économique, notons que les économistes néolibéraux – surtout associés à l’École de Chicago et notamment à Milton Friedman et à Friedrich Hayek, tous deux récipiendaires d’un prix Nobel – soutenaient que les politiques d’intervention avaient produit à long terme la conjonction inédite de la stagnation économique (chômage élevé et croissance faible) et de l’inflation (hausse des prix). Ils donnèrent à ce phénomène le nom de stagflation. Cette conjonction était assez surprenante puisqu’un chômage élevé a généralement tendance à faire baisser les salaires des travailleurs et, indirectement, le prix des biens et des services. Pour répondre aux crises de stagflation, les économistes néolibéraux ont ainsi proposé à plusieurs gouvernements de mener des politiques sociales et monétaires austères afin de lutter contre l’inflation et de résorber le chômage à moyen terme. Leur influence a été considérable en Amérique latine – d’abord dans le Chili de Pinochet dans les années 1970, puis au Mexique, en Argentine et au Brésil –, dans le monde anglo-saxon – dans les États-Unis de Reagan, le Royaume-Uni de Thatcher et le Canada de Mulroney –, puis dans plusieurs pays du Sud par l’action du FMI et de la Banque mondiale. Si on s’entend aujourd’hui pour dire que les politiques néolibérales ont été parfois efficaces pour lutter contre l’inflation et, dans certains cas, contre le chômage, on critique également leur impact significatif sur les inégalités sociales. Dans certains cas, ces politiques semblent même avoir été catastrophiques. Le cas le plus célèbre est celui de la crise économique qu’a connue l’Argentine entre 1998 et 2002, crise au cours de laquelle des millions d’Argentins perdirent leur emploi et leurs épargnes.
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LA GAUCHE ET LA DROITE L’ une des oppositions les plus durables dans les démocraties libérales est celle qui règne entre la gauche et la droite. Ces étiquettes se rapportent cependant à des positions idéologiques si larges et si variables qu’il est souvent difficile de s’y retrouver. C’est pourquoi, à la lumière de l’étude des trois principaux courants idéologiques, nous allons maintenant clarifier les enjeux contemporains entourant le positionnement idéologique des acteurs et formations politiques.
© Alina Zienowicz 2007 CC-BY-SA
LE SENS POLITIQUE DES IDÉES D’abord une anecdote historique : l’opposition entre la gauche et la droite a été forgée au lendemain de la Révolution française, alors que le roi était toujours formellement chef de l’État français. L’ Assemblée législative (l’Assemblée nationale) rassemblant les députés français était alors divisée sur la question du « veto » royal, c’est-à-dire sur le droit qu’avait le roi de bloquer les projets de loi ou leur entrée en vigueur – ce qu’on appelle le droit de Le Parlement européen à Bruxelles. Encore de nos jours, de nom- veto. Or, ceux qui voulaient maintenir cette breux parlements, notamment ceux où les représentants sont dis- prérogative royale se trouvaient à siéger à posés en hémicycle, adoptent une disposition par appartenance droite, ceux qui y faisaient obstacle, à gauche. politique. Par exemple, le Parlement européen siège par groupes En somme, la droite regroupait les députés politiques, classés par allégeance gauche-droite, comme en France. réactionnaires favorables à l’Ancien Régime, le clergé et une partie de la noblesse, la gauche les députés progressistes qui souhaitaient faire avancer les idéaux de la Révolution, c’est-à-dire les représentants de la bourgeoisie ainsi que les membres de la noblesse libérale inspirés par les idéaux des Lumières.
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LES IDÉOLOGIES POLITIQUES
L’opposition gauche-droite a ensuite progressé concurremment à l’évolution des courants idéologiques modernes (voir figure ci-dessous). Au départ, le libéralisme était plutôt identifié à gauche parce qu’il s’opposait aux conservateurs, représentants de la royauté, de la noblesse et de l’Église. Mais au cours du 19e siècle, l’évolution du libéralisme bourgeois vers le libéralisme économique forcera la critique socialiste et le repositionnement à droite ultérieur de la majorité des libéraux. Pour les socialistes, en effet, le libéralisme, comme les conservateurs partisans de l’Église et de la royauté, se situait à droite, alors que la « vraie » gauche s’incarnait dans le nouveau progressisme, soit le mouvement ouvrier, en souhaitant radicaliser et étendre à la classe ouvrière les idéaux de la Révolution française – la liberté, l’égalité et la fraternité.
LES FAMILLES IDÉOLOGIQUES SUR LE CONTINUUM GAUCHE/DROITE Gauche
Droite Libéralisme
Conservatisme
Au 20e siècle, on connaîtra aussi la montée aux extrêmes des idéologies, à droite comme à gauche (voir figure page suivante). En effet, la rupture entre la social-démocratie et le communisme, puis celle entre le conservatisme et le fascisme ont eu pour effet de consacrer le libéralisme au centre du spectre idéologique. À gauche, nous avons vu que les socialistes modérés ont été accusés d’être de « droite » par les socialistes révolutionnaires. Pourquoi ? Parce que, selon les communistes, ils acceptent de jouer le jeu de la démocratie parlementaire en participant aux élections et en formant des gouvernements de coalition avec des partis bourgeois. Et l’histoire ne s’arrête pas là. Dans les années 1960, après la rupture entre Pékin Être de gauche ou de droite, cela dépend du contexte et et Moscou, les communistes partisans de Mao Tsé- des forces en présence. toung accusent les partisans de l’URSS de « dérive droitière », parce que ces derniers renoncent alors à exporter par la guerre la révolution bolchevique. À droite, les conservateurs aussi connaîtront une rupture importante au tournant des années 1930, avec la naissance d’un nouveau nationalisme populiste extrême : le fascisme. Ces mouvements conservateurs d’extrême droite mettront au pouvoir des partis fascistes en Italie, puis en Allemagne et en Espagne. Comme cela est arrivé à gauche, l’extrême droite fasciste aura pour effet de rapprocher la droite conservatrice plus près du libéralisme.
La gauche et la droite
© XtoF 2009 CC-BY
Socialisme
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LES IDÉOLOGIES ET LA MONTÉE AUX EXTRÊMES Communisme
NON DÉMOCRATIQUES Socialisme
DÉMOCRATIQUES
Fascisme Conservatisme
Libéralisme Toutes les sociétés démocratiques sont aujourd’hui gouvernées par des formations politiques influencées par les trois grandes familles idéologiques modernes : le libéralisme, le socialisme et le conservatisme. Le fascisme et le communisme ont été, au siècle dernier, des montées aux extrêmes idéologiques, à gauche comme à droite. La chute de ces mouvements antidémocratiques dans la seconde moitié du dernier siècle a eu pour effet de consacrer le libéralisme au centre du continuum gauche-droite dans les démocraties parlementaires.
PRENDRE PARTI, C’EST CHOISIR UNE DIRECTION ! Être de gauche ou de droite est une question relative aux contextes historiques, politiques et idéologiques. Comme plusieurs concepts en politique, ceux de « gauche » et de « droite » sont souvent utilisés de manière rhétorique et polémique, comme les étiquettes que l’on utilise pour discréditer un adversaire. Au Québec, par exemple, le Parti québécois (PQ) se définit comme un parti de gauche, mais ce statut est contesté depuis plusieurs années : le parti Québec solidaire (QS) considère qu’il représente désormais la « vraie » gauche puisque le PQ a adopté, au cours de ses derniers mandats comme gouvernement élu, des politiques économiques associées à la droite économique libérale. Au Canada, les trois principaux partis politiques reflètent la distribution standard des grandes traditions idéologiques de la droite et de la gauche (voir figure cidessous). Le Parti conservateur (PC) est le plus à droite, le Nouveau parti démocratique (NPD) le plus à gauche et le Parti libéral du Canada est au centre de ces deux formations politiques.
LES IDÉOLOGIES DES TROIS PRINCIPALES FORMATIONS POLITIQUES AU CANADA NPD
PC
PLC
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Mais le tableau idéologique des formations politiques est rarement aussi simple… Pour compliquer les choses, les courants de pensée ont historiquement tendance à se subdiviser sur l’axe gauche-droite. Au sein du libéralisme, des courants sympathiques aux réformes sociales sont apparus très tôt et ont pris la forme d’un libéralisme tantôt progressiste, tantôt social et tantôt réformiste ; souvent à mi-chemin entre le libéralisme et la social-démocratie, ils se regroupent essentiellement dans leur opposition au néolibéralisme. Le clivage gauche-droite a également fait son chemin au sein de la pensée idéologique issue du conservatisme. Certains groupes chrétiens, par exemple, ont repris les préoccupations sociales propres au socialisme pour développer un courant chrétien social. Ce courant fut très populaire au Québec, notamment à travers les organisations de jeunesse catholique, mais aussi dans des pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique et plusieurs autres d’Amérique latine. Afin d’éviter de se perdre parmi tous ces mouvements, sous-mouvements et contremouvements idéologiques, les politologues qui tentent de discerner la droite de la gauche font souvent appel à une autre distinction dans leur grille d’analyse : celle qui existe entre les domaines de la morale et de l’économie. •
Dans le domaine moral, la droite est influencée par un certain conservatisme, plus ou moins prononcé d’un pays à l’autre. Elle aura davantage tendance à défendre les normes et les valeurs traditionnelles (comme la famille, la religion ou la patrie) et à valoriser l’ordre, l’effort et la discipline. De son côté, la gauche prendra position pour la libéralisation, la remise en question des normes et des valeurs traditionnelles, et la défense des personnes et des groupes plus vulnérables (minorités, immigrants, pauvres, etc.). L’opposition entre la gauche et la droite se canalisera alors sur des questions comme la justice pénale (que faire avec les criminels ?, doit-on criminaliser la drogue ?, etc.), les mœurs (l’avortement, le divorce, le mariage homosexuel, etc.) et l’identité nationale (l’utilisation des signes religieux dans l’espace public, l’intégration des immigrants, la défense nationale, etc.). La droite aura tendance à défendre des positions plus fermes, alors que la gauche cherchera plutôt les accommodements favorables aux personnes les plus vulnérables dans la perspective d’une plus grande égalité sociale.
•
Dans le domaine économique, l’opposition portera d’abord sur la place de l’État dans l’économie. Disons dans les grandes lignes que la gauche sera généralement favorable à une place accrue de l’État, alors que la droite sera encline à laisser plus de place au libre marché. On dira de la gauche qu’elle est plus interventionniste, alors que la droite favorise le laisser-faire. Dans les faits, l’opposition gauche-droite dans le domaine économique prendra souvent la forme d’un débat entre l’égalité et l’efficacité. La gauche soutiendra que l’intervention de l’État dans l’économie et la création de programmes sociaux (éducation, santé, aide sociale) sont nécessaires pour assurer la justice sociale, l’égalité entre les citoyens ainsi qu’une meilleure efficacité d’ensemble rendue
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possible par une meilleure coopération sociale. La droite aura tendance à dire que l’intervention de l’État est, dans les faits, peu efficace et que l’on peut produire davantage de richesse en réduisant les impôts et en laissant faire les individus et les entreprises. Mais ici encore, méfions-nous du caractère souvent superficiel de l’opposition gauche-droite : rares sont les personnes de gauche qui souhaitent détruire complètement le libre marché, et rares sont celles de droite qui souhaitent complètement éliminer l’intervention de l’État. Dans les faits, la majorité des individus sont d’avis que l’État et le marché doivent jouer un rôle complémentaire pour assurer l’efficacité et l’égalité… même si les choses se durcissent lorsqu’il s’agit de discuter de politiques et de programmes sociaux particuliers !
© Bundesarchiv, Bild 102-02134 CC-BY-SA
Cette distinction entre les questions morales et économiques nous permet de voir pourquoi l’opposition gauche-droite est souvent difficile à comprendre et à appliquer. Car dans la réalité, les choses ne sont pas aussi tranchées. En effet, rien n’interdit à quelqu’un qui se situe à gauche sur le plan moral d’être plutôt de droite sur le plan économique. Ou le contraire ! Par exemple, on peut avoir des valeurs très conservatrices sur le plan moral (être contre l’avortement) et être en faveur de programmes sociaux généreux (pour l’assurance-maladie gratuite). Ou encore, avoir des valeurs très progressistes sur le plan moral et être en désaccord avec l’intervention de l’État dans l’économie… On peut enfin se considérer très à gauche et pourtant se faire étiqueter de droite par certaines personnes encore plus à gauche. Voilà pourquoi les partis politiques de gauche comme de droite sont souvent déchirés entre différentes tendances idéologiques, selon qu’ils préféreront mettre de l’avant les aspects moraux ou économiques du débat politique.
Les extrêmes se rejoignent : union des Nazis (national-socialistes qu’Hitler décrivait comme n’étant ni de gauche, ni de droite) avec le parti réactionnaire et monarchiste allemand (Parti national du peuple) en 1931.
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Ajoutons pour finir que la distinction entre la gauche et la droite peut aussi en venir à s’estomper, notamment en situation de radicalisation extrême. C’est pourquoi on dit parfois que les extrêmes se touchent, signifiant par là que l’extrême gauche et l’extrême droite partagent plusieurs points en commun. Au cours du 20e siècle, ce fait est devenu particulièrement apparent sous les régimes nazis et communistes qui ont exacerbé jusqu’à une violence inouïe les idéologies nationalistes et socialistes.
LA GAUCHE ET LA DROITE : UNE DISTINCTION MORALE OU ÉCONOMIQUE ? Droite économique Moins d’intervention de l’État dans l’économie M. Friedman
M. Thatcher V. Poutine
PLC Gauche morale
PC
Droite morale Défense des valeurs traditionnelles
Critique des valeurs traditionnelles
A. Hitler
P. É. Trudeau
NPD
J. Stiglitz
M. Tsé-toung
E. Bernstein
V. Lénine K. Marx
J. Staline
Gauche économique Plus d’intervention de l’État dans l’économie
Pour représenter l’opposition gauche-droite, les politologues utilisent souvent un graphique où l’un des axes renvoie à la dimension morale et l’autre, à la dimension économique. Nous avons utilisé ici le même graphique pour y placer plusieurs des penseurs et acteurs abordés dans l’ouvrage selon leur opinion politique. Pouvez-vous faire de même avec les principaux politiciens que vous connaissez ?
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Étudier la politique, c’est d’abord comprendre le langage dans lequel s’expriment les acteurs du pouvoir. Que signifie être progressiste ? Qui est réactionnaire et pourquoi ? Comment distinguer, dans les discours politiciens, si les propositions sont de droite, de centre ou de gauche ? Comment savoir se situer à travers ces différentes orientations politiques ? Comment les partis politiques interprètent-ils les grands principes de liberté et d’égalité ? Cet ouvrage introduit les lecteurs à l’évolution des grandes idées politiques occidentales. Il développe en profondeur les traditions modernes du libéralisme, du socialisme et du conservatisme. Les principaux concepts et contextes historiques de ces familles idéologiques y sont exposés de manière structurée et approfondie. Sont également développés les outils indispensables permettant d’analyser l’influence politique des idéologies, en particulier les orientations des partis politiques sur le continuum gauche-droite. L’ouvrage intègre également les idéologies du féminisme et de l’écologisme qui influencent directement nos débats politiques. Il contient enfin des sections consacrées aux exercices et à l’exploration qui permettront aux étudiants d’approfondir leurs connaissances des enjeux idéologiques.
Dave Anctil Dave Anctil est professeur au Collège Jean-de-Brébeuf. Il détient un doctorat de la Sorbonne (Paris-1) et de l’Université de Montréal. Il a œuvré à titre de chargé de cours, de chercheur postdoctoral et a publié de nombreux livres et articles sur la politique dont Introduction à la science politique. Idées, concepts et régimes (avec Benoît Dubreuil aux Éditions CEC, 2007). Benoît Dubreuil Benoît Dubreuil détient un doctorat de l’Université libre de Bruxelles. Il a été chercheur postdoctoral à l’Université du Québec à Montréal et a publié plusieurs livres et articles sur l’éthique, la politique et l’épistémologie. Il a travaillé au sein des gouvernements du Québec et du Canada dans le domaine des politiques de l'enseignement supérieur et des politiques sociales.
CODE DE PRODUIT : 214464 ISBN 978-2-7617-6204-5
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