L'Abrégé

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Avant-propos Les récits que l’on raconte sont une grammaire du monde : un héros est le sujet d’une phrase devenue histoire, dont l’action correspond au verbe, dans un lieu et à une époque qui servent de compléments. Parfois, comme la grammaire, leur sens se défile et se complexifie : sans certains outils, le lecteur peut s’y perdre comme dans une bibliothèque labyrinthique. Afin de faire échec à la complexité de la lecture, cet ouvrage vous fournit des outils pour mieux saisir l’œuvre littéraire, et un lexique afin de comprendre les procédés stylistiques, les genres et les courants littéraires, et d’entreprendre avec confiance le travail de l’analyse littéraire. En effet, ce guide expose la plupart des notions littéraires sous forme synthétique et à l’aide de nombreux exemples. Ces notions sont intégrées à un plus large contexte de connaissance (genres et courants littéraires, par exemple) permettant de mieux saisir les liens qu’elles entretiennent avec ce contexte et entre elles. Le principe qui a présidé à l’organisation des parties et des chapitres ressemble un peu à celui des poupées russes : en effet, les descriptions, que ce soit des procédés, des genres et des courants, s’emboitent les unes dans les autres afin d’arriver à une méthodologie complète et par étape, vous fournissant les outils nécessaires pour lire plus efficacement un texte littéraire et progresser vers la rédaction finale. Cet ouvrage se présente donc, dans son ensemble, comme un multiguide littéraire. La première partie, tel un dictionnaire, fait la recension de tous les procédés littéraires figurant dans une œuvre ; la deuxième partie décrit les quatre grands genres littéraires traditionnels, soit le récit, le théâtre, la poésie et l’essai. La troisième partie définit les courants littéraires en France et au Québec sous forme de tableaux ; du Moyen Âge à la postmodernité, la plupart des courants français et québécois sont présentés en ordre chronologique. La quatrième partie, quant à elle, approfondit toutes les connaissances préalables à la pratique de l’analyse littéraire. Différents modèles, conseils, façons de procéder viendront vous accompagner et répondre aux questions communes des étudiants lors de la rédaction. À noter Les mots en bleu renvoient au glossaire à la fin de l’ouvrage.

III


Table des matières

Partie 1 LES PROCÉDÉS LITTÉRAIRES Chapitre 1 Notions et procédés d’énonciation Entrée en matière ................................ 3 Contexte d’énonciation ....................... 4 Discours rapporté ................................ 6

Chapitre 2 Notions et procédés lexicaux Entrée en matière ................................ 8 Antonyme ............................................. 9 Archaïsme.......................................... 10 Champ lexical ..................................... 11 Connotation........................................ 12 Dénotation.......................................... 13 Emprunt.............................................. 14 Jeux de mots....................................... 15 Néologisme......................................... 16 Niveau de langue (ou registre).......... 17 Polysémie............................................ 18 Régionalisme ...................................... 19 Synonyme ........................................... 20

Chapitre 3 Notions et procédés grammaticaux Entrée en matière............................... 21 Les mots variables Adjectif ........................................ 22 Déterminant................................ 23 Nom............................................. 24 Pronom........................................ 25 Verbe............................................ 26

IV

Les mots invariables Adverbe ....................................... 27 Conjonction ................................. 28 Préposition .................................. 29 La phrase ............................................ 30

Chapitre 4 Figures de style Entrée en matière .............................. 33 Analogie — Allégorie ........................ 34 Analogie — Comparaison ................. 35 Analogie — Métaphore..................... 36 Analogie — Métaphore filée............. 38 Analogie — Personnification............. 39 Analogie — Prosopopée.................... 40 Analogie — Synesthésie.................... 41 Opposition — Antithèse.................... 42 Opposition — Oxymore..................... 43 Substitution — Antiphrase ................ 44 Substitution — Métonymie ............... 45 Substitution — Périphrase................. 46 Substitution — Synecdoque .............. 47 Atténuation — Euphémisme............. 48 Atténuation — Litote ......................... 49 Insistance — Anaphore ..................... 50 Insistance — Énumération (ou accumulation) .............................. 51 Insistance — Gradation ..................... 52 Insistance — Hyperbole..................... 53 Insistance — Pléonasme.................... 54 Insistance — Répétition..................... 55 Syntaxique — Chiasme...................... 56 Syntaxique — Ellipse.......................... 57 Syntaxique — Parallélisme................ 58

L’Abrégé • TABLE DES MATIÈRES


Chapitre 5 Notions et procédés sonores Entrée en matière............................... 59 Allitération.......................................... 60 Assonance........................................... 61 Homophone........................................ 62 Onomatopée....................................... 63 Paronyme............................................ 64

Chapitre 6 Tonalités littéraires Entrée en matière............................... 65 Comique.............................................. 66 Didactique........................................... 67 Épique................................................. 68 Fantastique......................................... 69 Ironique .............................................. 70 Ludique............................................... 71 Lyrique ................................................ 72 Merveilleuse ....................................... 73 Pathétique .......................................... 74 Polémique........................................... 75 Tragique.............................................. 76

Partie 2 LES GENRES LITTÉRAIRES Chapitre 7 Le genre narratif Entrée en matière............................... 79 Histoire Intrigue........................................ 80 Personnage.................................. 81

TABLE DES MATIÈRES

Narration Narrateur..................................... 82 Focalisation.................................. 84 Rythme narratif............................ 87 Les formes narratives Le roman et la nouvelle.............. 90 Le récit fantastique ..................... 92 Le conte (et la légende).............. 93 Le conte philosophique .............. 94 L’autobiographie.......................... 95

Chapitre 8 Le genre argumentatif Entrée en matière............................... 96 L’essai .................................................. 97

Chapitre 9 Le genre dramatique Entrée en matière............................... 98 Personnage......................................... 99 Paroles des personnages et didascalies ................................... 100 Intrigue ............................................. 102 Les formes dramatiques La tragédie................................. 103 La comédie ................................ 104 Le drame.................................... 105

Chapitre 10 Le genre poétique Entrée en matière............................. 106 Vers ................................................... 107 Rythme poétique Coupe du vers ........................... 109 Concordance et discordance..... 110 Strophe ............................................. 111 Rime ................................................. 112 Les formes poétiques ...................... 113

V


Partie 3

Partie 4

LES COURANTS LITTÉRAIRES

VERS L’ANALYSE LITTÉRAIRE

Chapitre 11

Chapitre 12

Les courants littéraires La littérature du Moyen Âge............ 117 La littérature de la Renaissance....... 120 Le baroque........................................ 122 Le classicisme.................................... 124 La littérature des Lumières............... 126 Le romantisme.................................. 128 Le réalisme et le naturalisme........... 130 Le symbolisme.................................. 132 Le surréalisme................................... 134 L’existentialisme................................ 136 Le théâtre de l’absurde (ou anti-théâtre) et le nouveau roman............................ 138 La littérature féministe..................... 140 La postmodernité.............................. 142 Littérature québécoise – Le terroir (et l’anti-terroir)............. 144 Littérature québécoise – La littérature du pays..................... 147 Littérature québécoise – La littérature migrante.................. 149

L’analyse Comment lire un texte littéraire ?.... 153 Comment analyser un récit et une pièce de théâtre ?...................... 155 Comment analyser un poème ?........ 158 Comment analyser un essai ?........... 159 Comment analyser un procédé littéraire ?.......................................... 160

Chapitre 13 La rédaction Qu’est-ce qu’une analyse littéraire ?.......................................... 162 Recommandations pour la rédaction....................................... 165 10 étapes essentielles lors de l’analyse....................................... 169 Mise en application des notions...... 170 Mise en application des notions Genre narratif............................ 171 Genre dramatique..................... 175 Genre poétique ......................... 179 Genre argumentatif .................. 182

Chapitre 14 La révision Quels sont les aspects à vérifier ?.... 184 Méthode d’autocorrection ............... 185 Glossaire ................................................... 187 Index des notions ..................................... 196 Index des noms propres .......................... 200 Bibliographie ............................................ 201 Sources et crédits des textes ................... 202

VI

L’Abrégé • TABLE DES MATIÈRES


Partie 1 LES PROCÉDÉS LITTÉRAIRES Afin de bien lire cet objet que l’on nomme littérature, il faut en premier lieu en connaitre les particularités. Un texte se conçoit comme littéraire, car, à l’intérieur de celui-ci, plusieurs réseaux de sens sont travaillés et codifiés ainsi. C’est la raison pour laquelle cette première partie s’attachera à expliquer les fondations sur lesquelles le travail de l’écrivain s’effectue et la forme du texte qui portera le contenu à analyser. Le matériau de l’écrivain, la langue, incite à consacrer cette partie au choix des mots que l’auteur effectue et aux relations qu’il établit entre eux. Les procédés littéraires participent à la signification générale du texte et contribuent à son originalité. Toute forme d’association ne résulte pas toujours en une figure de style, et les champs lexicaux ainsi que les tonalités littéraires et autres procédés font également partie des fondements à analyser tout d’abord lorsque l’on entre en contact avec une œuvre littéraire, soit-elle poétique, dramatique, argumentative ou narrative. Enfin, dans tout répertoire, il importe de fixer des limites : seuls les procédés littéraires les plus importants ont été décrits ici. On pourra toujours consulter les traités de rhétorique ou de stylistique pour trouver des procédés plus sophistiqués comme l’hypallage, la symploque ou l’homéotéleute.


Chapitre 1

Notions et procédés lexicaux Antonyme ............................................. 9 Archaïsme.......................................... 10 Champ lexical .................................... 11 Connotation ...................................... 12 Dénotation ........................................ 13 Emprunt ............................................ 14 Jeux de mots ..................................... 15 Néologisme ....................................... 16 Niveau de langue (ou registre) ........ 17 Polysémie .......................................... 18 Régionalisme ..................................... 19 Synonyme .......................................... 20

Chapitre 3

Chapitre 5

Notions et procédés grammaticaux Les mots variables Adjectif ....................................... 22 Déterminant .............................. 23 Nom............................................ 24 Pronom....................................... 25 Verbe .......................................... 26 Les mots invariables Adverbe ...................................... 27 Conjonction ................................ 28 Préposition ................................. 29 La phrase ........................................... 30

Notions et procédés sonores Allitération ........................................ Assonance ......................................... Homophone ...................................... Onomatopée ..................................... Paronyme ..........................................

Notions et procédés d’énonciation Contexte d’énonciation ....................... 4 Discours rapporté................................. 6

Chapitre 2

Chapitre 4 Figures de style Analogie – Allégorie ......................... Analogie – Comparaison .................. Analogie – Métaphore ...................... Analogie – Métaphore filée ............. Analogie – Personnification ............. Analogie – Prosopopée ....................

34 35 36 38 39 40

Analogie – Synesthésie .................... Opposition – Antithèse .................... Opposition – Oxymore ..................... Substitution – Antiphrase ................. Substitution – Métonymie ................ Substitution – Périphrase ................. Substitution – Synecdoque ............... Atténuation – Euphémisme ............. Atténuation – Litote .......................... Insistance – Anaphore ...................... Insistance – Énumération (ou accumulation) ............................. Insistance – Gradation ...................... Insistance – Hyperbole ..................... Insistance – Pléonasme .................... Insistance – Répétition ..................... Syntaxique – Chiasme ...................... Syntaxique – Ellipse .......................... Syntaxique – Parallélisme ................

41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58

60 61 62 63 64

Chapitre 6 Tonalités littéraires Comique ............................................ Didactique ......................................... Épique ............................................... Fantastique........................................ Ironique ............................................. Ludique ............................................. Lyrique ............................................... Merveilleuse ...................................... Pathétique ......................................... Polémique ......................................... Tragique ............................................

66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76


CHAPITRE 4 FIGURES DE STYLE

Entrée en matière Les figures de style font partie des procédés littéraires qui modifient la signification d’un mot ou d’une phrase par association, substitution ou addition. Elles sont nommées « tropes », « images » et « figures de rhétorique », et elles sont répertoriées différemment selon les rhétoriciens, ces derniers étant les spécialistes de ce sujet. Les figures sont classées ici par catégorie, à savoir : •F igures d’analogie : Elles sont fondées sur un rapprochement de mots impliquant un lien comparatif explicite ou sous-entendu. •F igures d’opposition : Elles sont fondées sur le rapprochement de termes aux significations contraires. •F igures de substitution : Elles se rapportent aux remplacements de mots ou de phrases par d’autres, équivalentes. •F igures d’atténuation : Elles consistent à adoucir une affirmation en faisant usage de pudeur. À l’inverse des figures d’amplification, elles visent à ménager la sensibilité de l’interlocuteur. •F igures d’insistance ou d’amplification : Les figures d’insistance soulignent l’importance d’une réalité par des moyens variés. À noter Certaines figures classées dans cette section, notamment l’énumération et la répétition, sont considérées également comme des figures de syntaxe par de nombreux rhétoriciens. Comme tout classement, celui-ci repose sur une part d’arbitraire. •F igures syntaxiques : Elles se rapportent à l’organisation des mots à l’intérieur de la phrase et d’une phrase à l’autre. À noter La transformation syntaxique peut s’effectuer par l’addition de mots ou par leur suppression ou encore par permutation, toujours dans l’intention de créer un effet stylistique. Encore une fois, il est à noter que cette division, pratique certes, est partiellement arbitraire puisque la plupart des figures influencent la structure de la phrase.

Chapitre 4 – FIGURES DE STYLE

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Analogie – Métaphore Définition Figure qui rapproche des concepts ou des réalités sans le support d’un mot de comparaison ou sans rendre explicite le lien de ressemblance. C’est une comparaison sous-entendue, sans le terme comparant. Certains rhétoriciens considèrent que la métaphore peut se former par attribution, ce qui la rapproche alors beaucoup de la comparaison, comme dans l’exemple suivant : « La liberté est un oiseau, on ne peut la mettre en cage. » Depuis le surréalisme, il est fréquent, comme pour la comparaison, d’associer arbitrairement des concepts ou des réalités sans liens communs. Exemple : « […] Ma femme aux poignets d’allumettes Ma femme aux doigts de hasard et d’as de cœur Aux doigts de foin coupé […] » (André Breton, « Union libre », Clair de terre, 1923) Les constructions métaphoriques possibles sont les suivantes : • par soustraction du comparant : La liberté comme l’oiseau vole dans le ciel. • par apposition : La liberté, colombe altière dans le ciel. • par l’adjonction d’un complément : La liberté, de ses ailes frêles, sillonne le ciel. Effet Transfigurer le sens des mots, créer un effet associatif entre deux thèmes que le lecteur devra retrouver, car le comparatif est absent. Comment repérer la métaphore ? Relevez les passages qui contribuent à transformer la nature des faits évoqués, en passant du concret à l’abstrait (ou l’inverse), du conceptuel au sensoriel (ou l’inverse), du terrestre au cosmique (etc.), alors que le comparant est absent.

Exemples

Analyse

Tirés de récits « Quasimodo était donc carillonneur de NotreDame. Avec le temps, il s’était formé je ne sais quel lien intime qui unissait le sonneur à l’église. Séparé à jamais du monde par la double fatalité de sa naissance inconnue et de sa nature difforme, emprisonné dès l’enfance dans ce double cercle infranchissable, le pauvre malheureux s’était accoutumé à ne rien voir dans ce monde au-delà des religieuses murailles qui l’avaient recueilli à leur ombre. Notre-Dame avait été successivement pour lui, selon qu’il grandissait et se développait, l’œuf, le nid, la maison, la patrie, l’univers. » Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, 1831

Quasimodo, personnage monstrueux médiatisé par Walt Disney, mais créé à l’origine par Victor Hugo, est prisonnier de sa difformité, idée que traduisent les métaphores où dominent la rondeur (les mots « cercle » et « œuf »), mais aussi l’idée d’emprisonnement. Par l’énumération finale à caractère métaphorique, l’œuf se trouve uni au monde, comme Quasimodo est uni à sa cathédrale, immense carapace de pierre, qui est devenue son seul univers.

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L’Abrégé • Partie 1 – LES PROCÉDÉS LITTÉRAIRES


« Cependant la nuit s’épaississait peu à peu, et les aspects, les sons et le sentiment des lieux se confondaient dans mon esprit somnolent ; je crus tomber dans un abîme qui traversait le globe. Je me sentais emporté sans souffrance par un courant de métal fondu, et mille fleuves pareils, dont les teintes indiquaient les différences chimiques, sillonnaient le sein de la terre comme les vaisseaux et les veines qui serpentent parmi les lobes du cerveau. » Gérard de Nerval, Aurélia, 1855

Dans ce texte hallucinatoire, plusieurs métaphores reposent sur des analogies sous-entendues : la nuit s’épaissit comme un liquide ; les fleuves semblent labourer la terre et les veines du crâne sont des serpents. On peut observer aussi que les figures de style créent une cosmogonie presque biblique : les quatre éléments, l’eau (les « fleuves »), le feu (le « métal fondu »), la terre (nommée dans le texte) et l’air (« les différences chimiques »), semblent annoncer une fin du monde. Cette fin du monde traduite par « je crus tomber dans un abîme » est celle du narrateur, guetté par le déséquilibre mental comme l’était Nerval lui-même, atteint de troubles nerveux au moment de la composition d’Aurélia.

Tirés de poèmes « Et je rêve d’aller comme allaient les ancêtres ; J’entends pleurer en moi les grands espaces blancs, Qu’ils parcouraient, nimbés de souffles d’ouragans, Et j’abhorre comme eux la contrainte des maîtres. […] Par nos ans sans vigueur, je suis comme le hêtre Dont la sève a tari sans qu’il soit dépouillé, Et c’est de désirs morts que je suis enfeuillé, Quand je rêve d’aller comme allait mon ancêtre. » Alfred DesRochers, « Je suis un fils déchu », À l’ombre de l’Orford, 1979

Alfred DesRochers exprime sa nostalgie d’une époque révolue, lorsque ses ancêtres, coureurs des bois, chasseurs et trappeurs, parcouraient librement le pays. La première strophe magnifie les ancêtres présentés comme des saints auréolés de « souffles d’ouragans ». Ce sont des héros à caractère mythique qui refusent de se plier à la « contrainte des maîtres ». Par contraste, le poète se présente sous les apparences d’un « fils déchu », qui n’est plus à la hauteur de ses géniteurs. Plusieurs mots ou syntagmes expriment la dégradation : « la sève a tari », « dépouillé », « désirs morts ». Le néologisme « enfeuillé » suggère le vocable « endeuillé », puisque ce hêtre auquel il se compare lui-même semble s’incliner devant l’adversité. Ces strophes à tonalité lyrique portent le souffle d’une aspiration épique, puisque le poète chante la gloire passée comme un appel à revitaliser l’avenir.

« Rien n’est plus doux aussi que de s’en revenir Comme après de longs ans d’absence, Que de s’en revenir Par le chemin du souvenir Fleuri de lys d’innocence Au jardin de l’Enfance. » Émile Nelligan, Le jardin d’antan, 1904

Ce texte à tonalité lyrique associe l’innocence à la blancheur du « lys » tandis que l’enfance y est figurée comme un « jardin », dans des vers qui expriment la nostalgie du temps passé. Dans ce poème comme ailleurs dans la poésie de Nelligan, la couleur dominante est le blanc, symbole de pureté.

Chapitre 4 – FIGURES DE STYLE

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Substitution – Antiphrase Définition Phrase qui exprime l’inverse de ce que pense ou ressent le locuteur. Généralement mise au service de l’ironie. Effet Renforcer la teneur de l’affirmation contraire et implicite du propos, parfois en y ajoutant de l’ironie. Peut également créer une situation comique lorsque l’interlocuteur ne saisit pas la teneur de l’antiphrase. Comment repérer l’antiphrase ? Reportez-vous à la connaissance que vous avez des personnages quand ils ne disent pas les paroles attendues de leur part ou qu’ils ne semblent pas tenir compte du contexte.

Exemples

Analyse

Tiré d’un récit « Allez, venez les garçons, on va dégager d’ici, faire ce qu’on aurait dû faire depuis longtemps : débarrasser le plancher tous les trois, […] regarde, Jerry, c’est la liberté ultime […]. » Frédéric Beigbeder, Windows on the World, 2003

Dans ce roman composé immédiatement après l’attaque terroriste des deux tours du World Trade Center, Frédéric Beigbeder imagine une intrigue, plausible dans les circonstances, celle d’un père retenu prisonnier au dernier étage de l’une des tours avec ses deux fils. Après avoir épuisé tous les espoirs d’être secouru, le père se résigne au suicide avec ses enfants. Dans les derniers moments, le narrateur use d’une antiphrase avant de se jeter dans le vide : il fait croire que tous trois s’envolent vers la liberté, un peu comme pourraient le faire les superhéros des bandes dessinées dont sont friands ses enfants. Dans ce cas particulier, l’antiphrase contribue au cynisme de la situation puisque les personnages sont des victimes innocentes de la folie meurtrière des hommes.

Tiré d’une pièce de théâtre « Dom Juan, faisant de grandes civilités — Ah ! monsieur Dimanche, approchez. Que je suis ravi de vous voir, et que je veux de mal à mes gens de ne vous pas faire entrer d’abord ! J’avais donné ordre qu’on ne me fît parler personne, mais cet ordre n’est pas pour vous, et vous êtes en droit de ne trouver jamais de porte fermée chez moi. Monsieur Dimanche — Monsieur, je vous suis fort obligé. […] Dom Juan — Comment ! vous dire que je n’y suis pas, à monsieur Dimanche, au meilleur de mes amis ! » Molière, Dom Juan, 1665

Dans cette comédie composée en prose, Molière met en scène un personnage de libertin non dépourvu d’ambigüité, à la fois grand seigneur et vil profiteur. Dans ce passage, il reçoit avec civilité monsieur Dimanche, un bourgeois venu lui réclamer le remboursement de sa dette. Dom Juan lui fait croire perfidement à son amitié, comme en témoignent les antiphrases surlignées, alors que la tactique vise en réalité à se débarrasser de l’importun sans lui donner un sou.

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L’Abrégé • Partie 1 – LES PROCÉDÉS LITTÉRAIRES


CHAPITRE 6 TONALITÉS LITTÉRAIRES

Entrée en matière La notion de « tonalité » est empruntée au domaine musical. En littérature, ce terme rappelle le « ton », que Le Petit Robert définit comme la « manière de s’exprimer dans un écrit ». Ce concept de « tonalité » est relié aux intentions de l’auteur, mais aussi à la réception de l’œuvre, à l’impression qu’elle laisse chez le lecteur, autre signification confirmée par le Robert. Plusieurs composantes contribuent à créer la tonalité dans un texte, tant les champs lexicaux et les descriptions qu’une certaine musicalité de la phrase, ou encore un usage concerté de certaines figures de style. Il importe toutefois de ne pas confondre tonalités et formes littéraires (ou sous-genres littéraires, notions qui seront abordées dans la partie 2). À titre d’exemple, la tragédie est une forme ou un sous-genre, où domine nécessairement la tonalité tragique, appellation qui peut aussi s’appliquer à de courts extraits d’un autre type d’œuvre. La tonalité lyrique concerne en premier lieu la poésie, mais on pourra l’appliquer à la prose également, surtout à celle qui se situe à la frontière de la poésie, comme c’est le cas chez des écrivains comme Chateaubriand ou Nerval.

Chapitre 6 – TONALITÉS LITTÉRAIRES

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Ironique Définition La tonalité ironique — que l’on appelle aussi « cynique » lorsqu’elle se veut provocatrice et « satirique » lorsqu’elle dénonce une réalité politique — permet de créer une distance et favorise le regard critique du lecteur. Elle est d’usage fréquent dans les essais. Il s’agit de textes où l’auteur adopte une distance critique par rapport à ce qu’il décrit. L’ironie peut avoir une tendance humoristique, qui permet à l’auditeur de rire de bon cœur avec le locuteur ; toutefois, plus on se rapproche du cynisme et de la satire, plus l’écart s’élargit entre le locuteur et le destinataire, là où le rire peut devenir grinçant. Caractéristiques de la tonalité ironique La tonalité ironique se reconnait aux caractéristiques suivantes : • dans les récits et pièces de théâtre, ce sont des personnages philosophes, intellectuels ou en position d’autorité (spécialement au théâtre) qui sont mis en scène ; personnages plus souvent masculins que féminins. Dans les essais, l’auteur s’exprime souvent directement ; • des thématiques politiques ou philosophiques prédominent ; • le style est façonné d’ironie, avec emploi d’antiphrases et de jeux de mots.

Exemples

Analyse

Tiré d’un court essai « Le culte des plantes vertes conduit aux pires abus. Ne voit-on pas ces jours-ci, en Arizona, des gens qui prétendent vivre sous une cloche de verre à l’intérieur de laquelle ils fabriquent leur pluie et leur lumière, font pousser leurs légumes, respirent leur oxygène, recyclent leurs excréments, vivent au cœur d’un jardin fait main ? Cette expérience scientifique cherche à démontrer que le vivant est heureux en vase clos. Là, tout peut être contrôlé. La pollution est au niveau zéro. Qui l’eût cru ? La perfection et la pureté, la santé à l’état pur, tout cela vient en pot. » Serge Bouchard (avec Bernard Arcand), « La plante verte », Du pâté chinois, du baseball et autres lieux communs, 1995

Ce passage, tiré d’un recueil d’articles à caractère ethnologique, montre comment l’humour peut servir l’analyse critique. Serge Bouchard semble d’abord décrire un projet expérimental mené en Arizona, mais, très rapidement, le lecteur est en mesure de saisir une pointe d’ironie dans l’énumération qui se termine par le recyclage des excréments. L’auteur se moque en fait de cette tendance, surtout américaine, de vivre en communauté fermée, d’éviter les contacts avec des gens différents sous prétexte de fuir toute forme de contamination. La recherche compulsive de la perfection, « la santé à l’état pur », relève d’idéaux qui, poussés à l’extrême, seraient, selon lui, contraires à la vie.

Tiré d’une fable « Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon roi ; Vos scrupules font voir trop de délicatesse. Eh bien ! manger moutons, canaille, sotte espèce, Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes, Seigneur, En les croquant, beaucoup d’honneur […]. » Jean de La Fontaine, « Les animaux malades de la peste », Fables, livre VII, 1694

Dans cette fable, La Fontaine place dans la bouche du renard une réplique ironique adressée au lion (personnifiant le roi) qui vient de confesser avoir « dévoré force moutons ». Le Renard considère que c’est un honneur que le roi leur a rendu en les mangeant. Cet exemple montre que l’ironie résulte de l’usage de plusieurs figures : une litote (« Vos scrupules font voir trop de délicatesse ») et une antiphrase (« Vous leur fîtes, Seigneur, / En les croquant, beaucoup d’honneur »). L’ironie implique souvent l’emploi de plusieurs procédés comiques.

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L’Abrégé • Partie 1 – LES PROCÉDÉS LITTÉRAIRES


Partie 2 LES GENRES LITTÉRAIRES La lecture d’un roman, d’un poème, d’un essai ou d’une pièce de théâtre ne se fait pas de la même façon et avec les mêmes outils. Chacun de ces modes d’écriture contient son propre vocabulaire, ses récurrences, ses particularités : c’est la raison pour laquelle cette partie s’attachera à démystifier les outils derrière chacun des genres à l’étude afin d’en faciliter la lecture et l’analyse. Comme chaque étudiant au collégial doit minimalement découvrir, dans chacun de ses cours de littérature, deux genres selon le choix des professeurs, ici, nous les élaborons tous afin de vous donner une formation préalable à la lecture du roman, de la poésie, du théâtre et de l’essai. Après la découverte de chacun de ces genres, de son dictionnaire propre et de ses particularités, vous pourrez recourir au guide d’étude de chaque genre qui sera à votre disposition.


Chapitre 7

Chapitre 9

Le genre narratif Histoire Intrigue ...................................... Personnage ................................ Narration Narrateur.................................... Focalisation ................................ Rythme narratif .......................... Les formes narratives Le roman et la nouvelle ............ Le récit fantastique .................... Le conte (et la légende)............. Le conte philosophique ............. L’autobiographie ........................

Le genre dramatique Personnage........................................ 99 Paroles des personnages et didascalies .................................. 100 Intrigue ............................................ 102 Les formes dramatiques La tragédie................................ 103 La comédie ............................... 104 Le drame .................................. 105

80 81 82 84 87 90 92 93 94 95

Chapitre 8 Le genre argumentatif L’essai ................................................. 97

Chapitre 10 Le genre poétique Vers .................................................. Rythme poétique Coupe du vers........................... Concordance et discordance.... Strophe ............................................ Rime................................................. Les formes poétiques .....................

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CHAPITRE 7 LE GENRE NARRATIF

Entrée en matière Le genre narratif possède une longue histoire ; son ancêtre occidental est apparu en Grèce antique sous la forme de l’épopée narrant les aventures merveilleuses des dieux de la mythologie. Au Moyen Âge, ce genre se transformera en littérature courtoise et en roman de chevalerie. C’est toutefois grâce aux écrivains Chrétien de Troyes, Rabelais et Cervantès, ainsi qu’aux effusions lyriques et baroques des premiers romans de la Renaissance, que ce genre gagnera ses lettres de noblesse. Il explosera lors de la période du romantisme, courant dont les effusions lyriques, la psychologie et les tourments des personnages seront particulièrement transposables dans la narration intérieure, au « je », de ce genre. Le réalisme français et ses représentants, tels Balzac et Flaubert, ajouteront à la puissance de ce style grâce à la prépondérance de descriptions détaillées et à la présence de narrateurs omniscients dans leurs œuvres. Aujourd’hui, le roman se retrouve dans différentes propositions qui collent à la tradition réaliste ou l’éclipsent totalement. Le souci de réalisme, bien que toujours présent dans plusieurs récits, n’est plus un incontournable du genre narratif ; la liberté créative, la subjectivité et l’apparition de genres polymorphes, mélangeant les styles et les temps et brisant le souci de vraisemblance, marquent la période contemporaine. Pourquoi le genre narratif domine-t-il encore ? Par la richesse de ses constituants : l’histoire et l’enchainement des évènements, le parcours de personnages engagés dans une quête particulière, la narration elle-même et l’ensemble des moyens utilisés pour régir le récit, la vision du monde d’un auteur et le style d’écriture. Il est important de noter que ce genre dominant comporte plusieurs sous-genres et des formes kaléidoscopiques qui, parfois, peuvent en compliquer l’analyse. Dans le contact entre le texte et le lecteur du roman moderne, la place du lecteur est centrale et celui-ci devra dégager sa propre interprétation du récit. En effet, les idées ne sont généralement pas formulées explicitement dans un récit ; pour atteindre le destinataire, elles passent par la médiation des personnages et de l’intrigue dans le roman plus traditionnel, phénomène qui pourra complètement disparaitre dans un roman moderne, ne laissant que très peu de balises pouvant interpréter la quête du récit. Les différents outils d’analyse du roman, proposés dans le présent chapitre, donneront des cadres de lecture qui peuvent s’appliquer aux autres genres : il est possible de trouver dans tout type de texte des passages narratifs ; par exemple, il se peut qu’au théâtre un personnage raconte une anecdote ou il arrive qu’un essayiste inclue un passage narratif pour illustrer une argumentation. Toutefois, les notions présentées dans ce chapitre visent surtout l’analyse des principales formes du récit fictif : le roman, la nouvelle et le conte. Chapitre 7 – LE GENRE NARRATIF

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Narration : Narrateur Définition Le narrateur est celui qui est chargé du récit, c’est la voix qui raconte l’histoire. Voici des questions à poser afin de le trouver : « Qui raconte ? Qui régit la narration, qui la prend en charge ? » Le narrataire est le destinataire fictif, inscrit dans certaines œuvres, à qui l’auteur, qui intervient dans son récit, s’adresse occasionnellement. Narrateur-personnage Définition Narrateur présent ou représenté sous forme de personnage qui raconte l’histoire en usant du pronom « je ». Effet Toute subjectivité dans la narration pousse le lecteur à adopter une vision semblable à celle du narrateur. Le lecteur a tendance à adopter les valeurs de celui qui raconte. Deux possibilités : 1. Narrateur protagoniste ou narrateur-héros, qui raconte sa propre histoire. Effet Stimuler l’identification du lecteur au protagoniste : • voir le monde par un regard unique ; • donner un caractère autobiographique à certains récits.

Exemples

Analyse

Tirés de romans « J’ai arpenté les cours pavées jusqu’à ce que le soir tombe. Impossible de trouver mon père. Je ne l’ai plus jamais revu. […] » Patrick Modiano, Dora Bruder, 1997

Dans ces deux extraits, la présence du pronom à la première personne, le « je », indique que le héros joue le rôle de narrateur. Dans le passage de Patrick Modiano, le caractère autobiographique du roman est mis en lumière par la référence au père et par le fait qu’il est connu de source sure que Modiano a effectivement passé une partie de sa vie à tenter de résoudre l’énigme de ce père disparu durant la Seconde Guerre mondiale. Dans l’exemple de Mario Girard, le choix d’un narrateur subjectif marque une intention de provoquer, confirmée notamment par l’usage du terme « sexy ».

« J’écris sexy. J’écris la jupe courte et la jambe longue. Mon soliloque sollicite. » Mario Girard, Le ventre en tête, 1996

2. Narrateur témoin, qui raconte l’histoire du héros (le narrateur n’est donc pas le personnage principal au centre de la fiction). Effet Augmenter l’ascendance du héros sur le lecteur, puisque les péripéties vécues par le protagoniste sont observées par les yeux d’un témoin qui, la plupart du temps, admire le héros ; par ailleurs, conserver des zones d’ombre, puisque le témoin ne sait pas tout du héros.

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L’Abrégé • Partie 2 – LES GENRES LITTÉRAIRES


Exemple

Analyse

Tiré d’un roman « Il arriva chez nous un dimanche de novembre 189… Je continue de dire “chez nous”, bien que la maison ne nous appartienne plus. » Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes, 1913

Le jeu des pronoms est plus complexe dans un récit raconté par un narrateur témoin. Le « je » (« Je continue ») se rapporte ici à un personnage secondaire, François Seurel, qui raconte l’histoire du héros Augustin Meaulnes (« Il arriva »), qui donne son titre au roman, Le Grand Meaulnes. Le « nous » (« chez nous ») renvoie à la maison d’enfance du narrateur, jouxtée à l’école, où le père de François est instituteur. L’amitié qui va se tisser entre les deux personnages devient un des thèmes du roman.

Narrateur externe Définition Narrateur non représenté en tant que personnage ou absent du récit, aussi appelé « narrateur à la troisième personne ». L’histoire donne l’impression de se raconter par elle-même. Le narrateur donne accès à l’intériorité des personnages et à leurs pensées. Il peut se déplacer vers leur passé ou se projeter dans l’avenir et en sait plus que tous les personnages. Le narrateur adopte en quelque sorte le point de vue de Dieu sur ses créatures : rien ne lui échappe. Effet Contribuer à l’illusion de vraisemblance puisque la réalité semble observée avec neutralité. L’auteur jouit d’une plus grande liberté dans la narration. Le lecteur doit toutefois tenir en éveil son esprit critique, car ce procédé ne fait que créer l’illusion de l’objectivité ou de la neutralité.

Exemple

Analyse

Tiré d’un roman « Après un dernier moment d’attente et d’anxiété, pendant lequel l’excès de l’émotion mettait Julien comme hors de lui, dix heures sonnèrent à l’horloge qui était au-dessus de sa tête. Chaque coup de cloche fatal retentissait dans sa poitrine, et y causait comme un mouvement physique. Enfin, comme le dernier coup de dix heures retentissait encore, il étendit la main et prit celle de Madame de Rênal, qui la retira aussitôt. Julien, sans trop savoir ce qu’il faisait, la saisit de nouveau. » Stendhal, Le rouge et le noir, 1830

Pour déterminer s’il s’agit d’un narrateur non représenté, il vaut mieux se reporter aux descriptions qu’aux parties dialoguées. Quand les personnages sont nommés par leur nom ou leur prénom ou qu’on réfère à eux par l’usage du pronom personnel de la troisième personne, comme c’est le cas pour Madame de Rênal et Julien, le lecteur peut déduire avec sureté que le narrateur n’est en rien un personnage du récit. L’usage d’un narrateur non représenté donne à ce dernier beaucoup de latitude. Le lecteur a en effet accès à l’intériorité du personnage, Julien, à son « anxiété » et à son « excès d’émotion » ; non seulement il perçoit les sensations intimes du personnage lors de ce « coup de cloche qui retentit dans sa poitrine », mais il observe aussi les gestes qu’il fait, comme celui d’étendre la main. Il peut également surveiller les réactions de Madame de Rênal.

Chapitre 7 – LE GENRE NARRATIF

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Narration : Focalisation Définition Technique narrative qui permet de raconter une histoire en variant l’angle de perception. En cours de récit, le lecteur peut être amené à regarder une scène par les yeux d’un ou de plusieurs personnages. Le lecteur se demande alors de quel point de vue la scène est observée. À noter Le romancier peut donc faire le choix d’une seule focalisation, maintenue tout au long du récit, ou de plusieurs qui varient au fil du déroulement des scènes. Dans le cas d’un narrateur-personnage Le choix d’un narrateur à la première personne entraine généralement comme conséquence l’adoption d’une focalisation interne (point de vue du personnage narrateur sur les évènements, les choses ou les êtres). Le choix d’un narrateur à la première personne a généralement pour conséquence le maintien de la focalisation interne tout au long du récit. Mais il existe quelques rares exceptions, comme L’étranger d’Albert Camus : la narration à la première personne coexiste avec l’adoption d’une focalisation externe, ce qui confère notamment à cette œuvre son originalité. Effet Le même que pour la narration à la première personne puisqu’ici narration et focalisation ne font qu’un.

Exemple

Analyse

Tiré d’un récit « Je la prends en sauvage, sans douceur, d’un coup, lui fais mal. […]  J’enfouis mon nez dans le creux de son cou, son souffle comme un océan dans mon oreille. Je suis bien, la douceur est atroce. Une artère palpite contre ma tempe ; l’intérieur de sa cuisse tendre, fragile, contre ma hanche ; la moiteur de nos peaux épousées et les effluves tièdes qui montent de ce gouffre sulfureux entre nous, et ces doigts qui gravent des sillons brûlants dans ma chair, tout cela m’aspire, me submerge, ma volonté est désarticulée, Katarina me broie, me noie, rugissant comme une vague en falaise. » Guillaume Vigneault, Carnets de naufrage, 2011

On reconnait ici que le narrateur qui dit « je » adopte une focalisation interne puisque c’est sa perception de la scène qui est décrite. En effet, la scène est vue à partir du point de vue du narrateur, qui nous instruit de la confusion qui règne dans ses sentiments : au délice succède la peur, et l’enivrement de l’acte amoureux lui laisse l’impression d’être tombé dans un gouffre. Ce choix de focalisation contribue à la démonstration de la tension amoureuse et de sa complexité : le lecteur est témoin de la perception du héros, décelable à travers des expressions telles que « douceur », « atroce », « Katarina me broie, me noie » et « tout cela m’aspire, me submerge ».

Dans le cas d’un narrateur externe Dans le cas d’un narrateur à la troisième personne, il y a trois possibilités de focalisation : 1. Focalisation interne : la perspective d’un personnage est privilégiée. Certains écrivains font le choix de maintenir cet angle de perception tout au long d’un récit. D’autres se servent de ce procédé comme d’un moyen pour varier la façon de présenter l’action dans une scène.

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L’Abrégé • Partie 2 – LES GENRES LITTÉRAIRES


Narration : Rythme narratif Définition Toute intrigue se développe dans le temps et dans l’espace, deux aspects étroitement liés dans la fiction. Le narrateur dispose de moyens variés pour accélérer le rythme du récit (plusieurs évènements dans un court laps de temps) ou, au contraire, pour réduire la vitesse de narration (une longue description, qui évacue l’action et ralentit le rythme du récit). Il est à noter qu’un changement de temps peut entrainer un changement de lieu ou des modifications du cadre spatial. Analepse ou rétrospective ou retour en arrière Définition Évocation, par le narrateur, d’évènements qui se sont passés antérieurement. Retour en arrière. Effet Permettre une connaissance plus approfondie du personnage, de la situation, ou résoudre l’énigme.

Exemple

Analyse

Tiré d’un roman « Il m’était arrivé une aventure semblable, vingt ans auparavant. J’avais appris que mon père était hospitalisé à la Pitié-Salpêtrière. Je ne l’avais plus revu depuis la fin de mon adolescence. […] Je me souviens d’avoir erré pendant des heures à travers l’immensité de cet hôpital, à sa recherche. […] » Patrick Modiano, Dora Bruder, 1997

Dans cet extrait, l’auteur utilise le marqueur de temps « vingt ans auparavant » pour indiquer le retour en arrière. Il crée un raccourci permettant de faire connaitre des faits, des sentiments, sans avoir à revenir de façon exhaustive à tout ce qui a précédé et suivi l’évènement en question. Afin d’illustrer certains souvenirs reliés à ce qu’il vit au présent, Modiano utilise l’ellipse qui, tout en donnant de la profondeur narrative au personnage, met en lumière son passé.

Description ou pause Définition Inventaire des caractéristiques d’un personnage, d’un paysage ou d’un décor, par le narrateur. Effet Permettre un arrêt dans le cours des évènements, en particulier lorsque cette description s’étale sur plusieurs paragraphes.

Exemple

Analyse

Tiré d’un roman « Cette rue, maintenant peu fréquentée, chaude en été, froide en hiver, obscure en quelques endroits, est remarquable par la sonorité de son petit pavé caillouteux, toujours propre et sec, par l’étroitesse de sa voie tortueuse, par la paix de ses maisons qui appartiennent à la vieille ville, et que dominent les remparts.  » Honoré de Balzac, Eugénie Grandet, 1833

Le lecteur est en mesure de noter les termes très précis (surlignés dans le texte), souvent des qualificatifs, qui permettent de visualiser la rue. Cette description, dont sont absents personnages et évènements, met donc l’intrigue en suspens. Aucun des verbes ne traduit quelque action ou quelque mouvement que ce soit.

Chapitre 7 – LE GENRE NARRATIF

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LES FORMES NARRATIVES

Le récit fantastique Le récit fantastique peut prendre la forme du conte, de la légende, de la nouvelle ou du roman. Au lendemain de la Révolution française, qui se termine par des épisodes sanglants, ce sont les écrivains romantiques qui propagent le gout de ces récits inquiétants, peuplés de morts-vivants et de personnages vampiriques. Le vocable romantisme noir sert à désigner ce type de récit pratiqué par Charles Nodier (1780-1844), Théophile Gautier (1811-1872), Villiers de L’Isle-Adam (1838-1889), Jules Barbey d’Aurevilly (1808-1889). Précisons que le fantastique ne s’éteint pas avec le courant romantique dont il est issu, d’autres courants et écrivains l’ont pratiqué par la suite de façon magistrale, comme c’est le cas de Guy de Maupassant (1850-1893). Le récit fantastique : tableau descriptif Histoire

Personnages Le héros, personnage dont l’équilibre mental est fragile, peut être victime d’hallucinations ou confondre le rêve et la réalité. Parmi les personnages secondaires, il est possible d’en trouver des maléfiques, susceptibles de faire glisser le héros dans l’irrationnel : morts-vivants, vampires, personnages incarnant le diable. Intrigue Des évènements surnaturels se produisent, qui brisent la sensation de sécurité que donne la routine du quotidien. L’action se situe souvent la nuit (temps de l’obscurité mais aussi de l’onirisme et du fantasme) ; les lieux de l’action sont souvent singuliers (châteaux à décoration surchargée, architecture gothique) ou compliqués (dédales, labyrinthes, etc.).

Narration

Choix de voix narrative : qui raconte ? Tous les choix de narrateurs sont possibles ; un narrateur identifié au héros pousse le lecteur à douter de la réalité. Choix de regard ou de perspective : qui observe ? La focalisation est souvent interne : le lecteur doit pouvoir pénétrer la conscience d’un personnage pour mettre en doute, par son entremise, les principes de rationalité.

Thématique

La thématique couvre le réseau des émotions associées à la peur et à la mort. Le bien, le mal, l’érotisme et la sexualité : le roman fantastique sert souvent à transgresser la morale, à franchir les frontières qui séparent le rêve de la réalité.

Style et procédés d’écriture

Variation dans les formulations de phrases et usage d’un lexique particulier, traduisant l’émotion. Recours à tous les éléments picturaux (couleurs, formes) pour susciter une atmosphère menaçante. Usage d’hyperboles, de comparaisons, de personnifications et autres figures de style pour concrétiser le danger.

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L’Abrégé • Partie 2 – LES GENRES LITTÉRAIRES


Partie 3 LES COURANTS LITTÉRAIRES Individualisme, hypersexualisation, explosion des médias et surenchère de la publicité : différents thèmes qualifiant notre époque et associés à la littérature postmoderne. Mais qu’en est-il de ces œuvres d’autrefois, celles que l’on comprend plus difficilement, car elles ne se déroulent pas dans notre époque ? Que faire de ces œuvres archaïques et désuètes pour certains, mystérieuses et enrichissantes pour d’autres ? Quelles étaient les mœurs sociales, le contexte sociohistorique et les préoccupations stylistiques qui ont vu naitre ces œuvres, et, surtout, quels thèmes et problématiques s’y trouvaient de façon plus manifeste ? Tel est le motif des courants littéraires, regrouper des circonstances et caractéristiques afin de nous aider à comprendre l’air du temps et les préoccupations de groupes d’écrivains ayant façonné l’histoire littéraire. Bien que la littérature du monde soit tout aussi riche que la nôtre, ce chapitre sera consacré plus exclusivement aux littératures française et québécoise, dont les principaux courants littéraires sont circonscrits en tableaux donnant un aperçu global de chaque courant ayant marqué l’histoire littéraire depuis le Moyen Âge. Dans le souci de vous assister dans l’application pratique, ce chapitre vous sera notamment utile lors d’analyses littéraires, et ce, à plusieurs égards : le contexte sociohistorique ainsi que différents renseignements enrichiront, entre autres, la rédaction du sujet amené et de l’ouverture, tout comme les tableaux « Aide-mémoire » vous permettront de mieux déceler les procédés stylistiques lors de l’explication des citations.


Chapitre 11 Les courants littéraires La littérature du Moyen Âge .......... La littérature de la Renaissance ..... Le baroque ...................................... Le classicisme .................................. La littérature des Lumières ............. Le romantisme ................................ Le réalisme et le naturalisme ......... Le symbolisme ................................ Le surréalisme.................................. L’existentialisme ..............................

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Le théâtre de l’absurde (ou anti-théâtre) et le nouveau roman .......................... La littérature féministe ................... La postmodernité ............................ Littérature québécoise – Le terroir (et l’anti-terroir) .............. Littérature québécoise – La littérature du pays ...................... Littérature québécoise – La littérature migrante ...................

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CHAPITRE 11 LES COURANTS LITTÉRAIRES

La littérature du Moyen Âge Époque Du xe au xve siècle La langue française se distingue progressivement du latin ; l’Empire chrétien prend forme ; les grands seigneurs se font la guerre et ralentissent l’unification du royaume ; la féodalité, qui place les hommes dans un rapport de dépendance les uns envers les autres, oriente les rapports sociaux et politiques. Les genres littéraires sont en gestation. Les textes sont instables (parce que chantés à l’origine), avec des différences selon les versions retenues. Caractéristiques générales La littérature sous influence religieuse

• Importance de la mythologie religieuse dans tous les genres. • Chansons de geste, dont le héros, chevalier, participe à une guerre sainte contre les infidèles. • Lyrisme empruntant un caractère superstitieux, mystique ou fataliste. • Inquiétude spirituelle liée à la mort et à la peur du Jugement dernier et de l’enfer.

La littérature de cour

• Expression du raffinement des mœurs : le chevalier sublime son désir pour la dame. • Promotion des valeurs et des coutumes de l’élite aristocratique (sens de l’honneur, fidélité et soumission). • Transposition dans les rapports amoureux du cérémonial relatif à la vassalité. • Parodie de la vie courtoise.

La littérature chevaleresque

• Valorisation du héros épique, le chevalier. • Exaltation des valeurs guerrières, comme la vaillance et le sens de l’honneur. • Manichéisme du monde fondé sur une opposition simplifiée entre le bien et le mal.

La littérature du merveilleux

• Dans les chansons de geste, transformation de faits historiques en légendes. • Personnages de géants et de nains, de fées et de sorcières ; animaux chimériques. • Absence de frontière entre le monde réel et le monde surnaturel. • Philtres, maléfices et métamorphoses miraculeuses.

La littérature versifiée

• Chansons de geste composées en laisses (tirade, couplet ou suite de vers) assonancées (avec reprise d’un même son). • Répétition de formules pour aider à la mémorisation du récit. • Adoption de la ballade pour exprimer le lyrisme. • Jeu avec les mots dans les textes à caractère satirique. • Textes instables, avec des différences selon les versions retenues.

Chapitre 11 – LES COURANTS LITTÉRAIRES

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Le classicisme Époque xviie siècle Âge d’or de la civilisation française en Europe grâce à Louis XIV, monarque absolu et prestigieux. Période marquée par une longévité inégalée du règne de ce souverain, dont l’influence illuminera les autres pays d’Europe. Amateur de théâtre, de danse et de musique, ce roi sera l’instigateur d’une vie de cour de lettrés où la culture et l’honnête homme domineront dans les salons. Louis XIV, que l’on comparera au dieu Apollon, dieu du soleil, imprègnera son époque d’un souci de l’ordre et de la raison, qui laissera ses traces dans l’art et l’architecture. Les œuvres classiques s’inspireront des modèles grecs et latins et remettront au gout du jour, notamment dans le théâtre, les règles strictes de la période antique. Genres privilégiés Le théâtre est le genre privilégié. La poésie classique est aussi très présente. D’autres genres, souvent considérés comme mineurs, sont à la mode à cause de leur caractère moralisateur : c’est le cas des fables, des maximes, des contes et des sermons. Principaux représentants Pierre Corneille ; Molière dans ses grandes comédies versifiées ; Jean Racine dans toute sa production ; Nicolas Boileau et autres. Caractéristiques générales Littérature qui sert la gloire du roi et favorise le rayonnement de la civilisation française

Sous Louis XIV, tout doit prendre des allures de majesté. • Les relations prennent une allure protocolaire et l’art est toujours empreint de solennité. Gout pour tout ce qui est de l’ordre du grandiose, du spectaculaire. • Les auteurs accordent leur attention à des questions de foi et font planer un climat de religiosité. L’art doit justifier son existence d’un point de vue moral.

Intrigues et personnages illustrant l’idéal de l’honnête homme

Dans les tragédies : • les protagonistes centraux sont des princes, des grands du royaume, transposés dans un contexte de l’Antiquité ; • le héros se fait un point d’honneur de privilégier la gloire du royaume et de mettre en veilleuse ses ambitions ou ses sentiments personnels ; • le héros tragique analyse ses motifs personnels et tente de tempérer ses ardeurs. Dans les comédies : • le protagoniste au centre du récit est généralement un bourgeois dont on se moque ; • les domestiques sont des personnages stéréotypés au service de cette caricature ; • les personnages jeunes cherchent à contourner les règles et à échapper au contrôle des parents.

Thématique mettant l’accent sur les oppositions

• Dans la comédie : scènes de la vie privée ; en revanche, la tragédie permet de pénétrer les cercles du pouvoir. • Les thèmes de la rivalité et de la jalousie coexistent avec ceux de l’honneur et du devoir. De plus, l’amour place souvent le jeune homme ou la jeune femme en conflit avec les figures de l’autorité. • Le sens de l’honneur et des responsabilités l’emporte sur le gout du bonheur.

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L’Abrégé • Partie 3 – LES COURANTS LITTÉRAIRES


Écriture règlementée

Les dramaturges doivent en particulier respecter la règle des trois unités : • d’action : concentration de l’action en un seul évènement ; • de temps : concentration de l’action en une seule journée (l’intrigue doit se rapprocher le plus possible du temps de la représentation pour donner l’illusion que fiction et réalité se confondent) ; • de lieu : un seul lieu (espace de rencontre polyvalent). Les écrivains doivent se plier à des contraintes de composition et, en particulier, respecter les règles suivantes : • la vraisemblance, en présentant une réalité de conventions qui se cantonne dans le sublime ; • la bienséance, selon laquelle on doit tenir compte de la décence sur scène et éviter la représentation de la sensualité, de la vulgarité ou du bizarre. Il faut en outre reléguer dans les coulisses les gestes de violence.

Sur le plan du style

• On favorise l’élégance et l’épuration : la langue est celle de la cour, dont l’Académie française, fondée en 1635, fixe l’usage. Seul Molière s’aventure dans la transcription des dialectes régionaux et populaires. • Les tragédies, genre noble par excellence, sont versifiées. Afin que la comédie jouisse d’une plus grande considération, Molière choisit de rédiger ses grandes comédies en vers. La préséance est donnée à l’alexandrin, vers souple et altier. • Les autres genres, souvent considérés comme mineurs – la fable ou le roman, par exemple –, se conforment en général à l’esprit du courant.

Genre narratif Genre dramatique

• La tragédie est le genre noble qui a préséance ; elle est souvent écrite en suivant les règles strictes de la versification et, plus particulièrement, celles de l’alexandrin. • Molière, toutefois, remettra la comédie à l’avant-plan, en y ajoutant les fonctions cathartiques et plus nobles de la tragédie. • Respect strict de la règle des trois unités dans la tragédie ; unités de temps, de lieu et d’action. • Le genre dramatique a, tout comme son modèle repris de l’Antiquité, des fonctions cathartiques. • Tonalité tragique dans les tragédies. • Tonalité comique, ironique et satirique dans les comédies. • Explosion des figures de style, dont une grande présence de l’hyperbole, de l’euphémisme, de l’antithèse et de l’oxymore, de la métaphore et de la gradation ainsi que de l’assonance.

Genre poétique

• Poèmes de forme fixe, grande présence de l’alexandrin. • Les genres dramatique et poétique se confondent, les tragédies sont écrites sous une forme très stricte et formelle, qui respecte les règles de versification de l’alexandrin.

Thèmes populaires

Aide-mémoire pour l’étude d’un texte de la période classique Le récit est moins valorisé que le genre dramatique, à l’exception de la fable, ce court récit qui sert à illustrer une morale, notamment chez La Fontaine à travers les péripéties de différents animaux personnifiés, et des maximes.

Les thèmes de la rivalité et de la jalousie coexistent avec ceux de l’honneur et du devoir ; thème de l’amour souvent en conflit avec les figures de l’autorité ; l’honneur, l’idéal de l’honnête homme, la voix de l’ordre et de la raison, la noblesse, le devoir et les responsabilités, la passion, la fatalité et le destin, l’exercice du pouvoir, l’aristocratie.

Chapitre 11 – LES COURANTS LITTÉRAIRES

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LITTÉRATURE QUÉBÉCOISE

Le terroir (et l’anti-terroir) Époque 1845-1945 Une petite société perdue dans le vaste continent américain, qui se relève lentement de la conquête de son territoire par les Britanniques et de la perte de contact avec la métropole française. Genre privilégié Le genre narratif est privilégié. Principaux représentants Patrice Lacombe (à l’origine du courant), Antoine Gérin-Lajoie, Louis Hémon, Claude-Henri Grignon, Albert Laberge, Ringuet, Germaine Guèvremont. Caractéristiques générales Le mode de vie agricole sert de cadre identitaire

Deux visions possibles de la vie rurale : • une vision romantique, qui idéalise le mode de vie et l’associe à une mission agriculturiste : les romanciers du terroir. Point de vue optimiste ; • une vision qui nuance ou dénonce cette idéalisation (dans la progression vers un anti-terroir). Point de vue plus pessimiste.

Intrigues reflétant une société agricole et traditionnelle

• Les personnages ont des activités reliées à la terre. • Les hommes exercent leur autorité sur leur femme et les pères, sur leurs enfants ; ils sont généralement respectés dans leur famille. (Anti-terroir : Ringuet, qui présente dans Trente arpents un père réduit à l’impuissance.) • Les femmes mariées ou bonnes à marier se veulent des chrétiennes exemplaires, prêtes à adopter un mode de vie frugal. (Anti-terroir : La Scouine d’Albert Laberge, qui présente une vision déplorable de la condition féminine en milieu agricole.) • Les jeunes adultes se soumettent généralement aux exigences du groupe. • Le curé agit comme conseiller. • Sont associés au danger ou au mal : l’Amérindien (vie nomade et immorale), l’Américain (l’exil ou les valeurs matérialistes), l’Anglais (le conquérant), le citadin (la perdition morale) et tout étranger dont on ne connait pas les origines. (Anti-terroir : Le survenant, qui illustre la difficulté d’adaptation au cadre de vie traditionnel.) • Narration traditionnelle (narrateur à la troisième personne). Lenteur du rythme narratif, qui suit celui de l’écoulement des saisons. Choix de narration dans la lignée du réalisme : narrateur omniscient, écriture d’observation, organisation logique et chronologique des évènements.

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L’Abrégé • Partie 3 – LES COURANTS LITTÉRAIRES


Thématique homogène

• La religion : la littérature se soumet à une finalité morale et patriotique en présentant comme sacré le mode de vie rural. • La terre façonne la mentalité des personnages : l’attachement viscéral à la terre, le sens de l’épargne, la résignation devant le malheur, une forme de fatalisme assez généralisé. • Le passé : toute la société semble en mode de préservation, non seulement du sol hérité des ancêtres, mais aussi des traditions, des contes, etc. ; elle est donc tournée vers le passé. • La famille est en fait le personnage central du roman du terroir et la paroisse en est une extension ; l’appartenance à la famille décide de l’identité de l’individu : on pratique la religion des parents, on parle la langue maternelle. • La ville est mauvaise puisqu’elle permet le contact avec les valeurs du capitalisme associé au protestantisme anglo-saxon. Les romanciers comme Ringuet et Germaine Guèvremont ont tendance à présenter une vision plus nuancée de ces thèmes ; d’autres vont jusqu’à rejeter ces valeurs, comme Albert Laberge, dont l’écriture est très influencée par le naturalisme français.

Écriture en quête de style

• Maladresse des premiers récits du terroir, puis raffinement progressif. • Tendance au roman à thèse (pour appuyer l’idéologie agriculturiste ou la contester). • Importance des descriptions. Langue truffée d’archaïsmes.

Chapitre 11 – LES COURANTS LITTÉRAIRES

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Genre narratif

• Roman de mœurs, social et historique de facture réaliste. Narration à la troisième personne ; emprunt aux techniques littéraires et caractéristiques de la littérature réaliste. Écriture simpliste, peu de figures et d’effets de style. • Souci de vraisemblance, le roman est patriotique : il veut illustrer un idéal concret de vie rurale. Tonalité lyrique dont la terre est l’objet ; sentimentalisme et vision idyllique du passé. • Grande place laissée à la description des pratiques agricoles, des fêtes communautaires, des pratiques religieuses, des habitants, des métiers, des habitations rurales, des animaux et des contes. • Opposition à l’individualisme moderne, au matérialisme américain, au désordre urbain, au laïcisme et au protestantisme, au cinéma, au cosmopolitisme, au féminisme et au socialisme. • Anti-terroir : mouvement qui commence dans les années 1930 et se termine autour de la Seconde Guerre mondiale ; il se veut une critique des valeurs figées du terroir ; il s’intéresse plus à l’actualité qu’au passé. Personnages qui marquent l’opposition entre les groupes du terroir (le bon vit à la campagne et le mauvais, en ville) et ceux de l’anti-terroir ; « fidèles » s’oppose à « infidèles », « enracinés » à « déracinés », « sédentaires » à « nomades ».

Genre dramatique

Tonalité comique et burlesque. Début du théâtre burlesque, qui allie danse, musique et chant. Comédies musicales, opérettes, ainsi que quelques pièces du répertoire français.

Genre poétique

• Versification plutôt classique, calquée sur la poésie française sur le plan structurel. • La poésie entre 1930 et 1945 vit un renouveau esthétique (Alain Grandbois, Hector de Saint-Denys Garneau).

Thèmes populaires

Aide-mémoire pour l’étude d’un texte du courant du terroir et de l’anti-terroir

• Les thèmes du terroir abordent la terre, l’agriculture, la famille, la langue, la religion, la tradition, la transmission des valeurs, la campagne, le travail, la patrie, la survivance. • Les thèmes de l’anti-terroir contestent les précédents, ridiculisant le clergé et l’obsession patriotique. Thèmes nouveaux reliés à la ville, au monde moderne ; critique de la pauvreté, de la dégradation humaine, de la misère ; l’anti-terroir représente les réalités d’un Québec changeant : journaux, cinéma, tramway, radio, chômage.

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L’Abrégé • Partie 3 – LES COURANTS LITTÉRAIRES


Partie 4 VERS L’ANALYSE LITTÉRAIRE La rédaction d’une analyse ou d’une dissertation littéraire demande une lecture attentive et une certaine culture générale ; le présent chapitre montrera que rédiger une analyse et la réussir exige, comme la pratique de n’importe quelle activité – qu’elle soit scientifique ou sportive –, de la méthode et des connaissances. En effet, avant de commencer cette tâche spécifique, il faudra que vous emmagasiniez les connaissances essentielles à sa rédaction ; ainsi, l’étude préalable des procédés littéraires, des genres et des courants littéraires aura déjà contribué à jeter un éclairage sur le texte que vous devez analyser avec la précision d’un artisan et la logique d’un mathématicien. De plus, dans ce chapitre, nous tenterons de vous transmettre des méthodes pour aborder le sujet sur lequel une analyse ou une dissertation doit être rédigée, pour bien le lire et pour vous poser les questions essentielles avant de commencer toute rédaction, ne fût-ce que le premier paragraphe ; des modèles selon le genre étudié vous seront proposés ; la façon d’interpréter les procédés littéraires au sein de citations sera illustrée, et des conseils vous seront dispensés afin que vous évitiez les nombreux pièges. Une méthode de révision est également suggérée, afin d’orienter l’autocorrection du texte rédigé, étape cruciale de la démarche puisqu’elle contribuera grandement à la réussite de vos projets de rédaction.


Chapitre 12 L’analyse Comment lire un texte littéraire ?......................................... Comment analyser un récit et une pièce de théâtre ?..................... Comment analyser un poème ?....... Comment analyser un essai ?.......... Comment analyser un procédé littéraire ? ........................................

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Recommandations pour la rédaction...................................... 10 étapes essentielles lors de l’analyse...................................... Mise en application des notions..... Mise en application des notions Genre narratif........................... Genre dramatique.................... Genre poétique......................... Genre argumentatif..................

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Chapitre 13

Chapitre 14

La rédaction Qu’est-ce qu’une analyse littéraire ?......................................... 162

La révision Quels sont les aspects à vérifier ?... 184 Méthode d’autocorrection .............. 185


Comment analyser un récit et une pièce de théâtre ? Les personnages Qui ? À noter L’étude des personnages est une étape essentielle qui permet de dégager la thématique et d’orienter le plan de la dissertation. S’il y a deux personnages en relation, ils peuvent présenter des visions du monde comparables (plan comparatif) ou opposées.

Quelle place le personnage occupe-t-il ? • Héros (ou antihéros). • Personnage principal ou secondaire. • Figurant. • Personnage collectif (ensemble, les personnages sont traités en bloc comme un seul personnage, comme le sont les provinciaux dans Eugénie Grandet, par exemple). Quelles relations ces personnages entretiennent-ils ? (Schéma actanciel) Destinateur Objet   Destinataire

Adjuvant

Sujet

Opposant

• Sujet au centre du récit, en quête d’un objet (le but à atteindre). • Adjuvant ou opposant dans l’aventure (le sujet reçoit-il de l’aide et se heurte-t-il à des obstacles ?). • Destinateur ou destinataire (ce qui pousse le sujet dans sa quête et l’être ou la chose qui en tire profit). Comment le personnage est-il décrit ? • Que pense-t-il ? Que ressent-il ? • Que dit-il ? • Comment agit-il ? Comment réagit-il ? • Comment évolue-t-il ? Quelle information peut-on déduire pour décrire le personnage ? • Aspect physique. • Aspect psychologique. • Aspects social et culturel (milieu, classe sociale, profession, etc.). L’intrigue Quoi ?

Chapitre 12 – L’ANALYSE

Comment les évènements s’articulent-ils ? (Schéma narratif) • Situation initiale. Qui ? Quels sont les personnages centraux ? Où ? Quel est le lieu de l’intrigue (pays, ville, etc.) ? Quand ? À quel moment, à quelle époque se déroule l’intrigue ? Pourquoi ? Quel semble être l’objet de la quête ? Que recherche le héros ? • Élément déclencheur. Quoi ? Quel est l’élément déclencheur de l’action qui vient rompre l’équilibre initial ? • Déroulement (quête d’équilibre). Comment le personnage cherche-t-il à échapper au danger ou à se soustraire à la menace ? Quelles sont les principales péripéties ? Comment les autres personnages se situent-ils par rapport à la quête du héros ? • Dénouement. • Situation finale. Suiteà àlalapage page suivante suivante Suite

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Quoi ? (suite)

De quelle nature sont-ils ? • Vraisemblables ? • Invraisemblables ? • Mystérieux ? • Etc. Comment ces évènements sont-ils présentés ? • Par anticipation (projection dans l’avenir) ? • Par inversion (ouverture du récit par le dénouement ou la situation finale de l’histoire) ? • Par rétrospective (retour dans le passé) ? • Par enchainement (succession d’évènements en ordre logique) ? • Par alternance (entrelacement de deux intrigues reliées à une quête) ? • Par enchâssement (insertion d’une seconde intrigue dans la principale) ?

Où ? Quand ?

Comment les lieux et l’époque sont-ils décrits ? • Quel est le cadre spatiotemporel ? • La nature semble-t-elle favorable ? Les paysages sont-ils décrits de façon pittoresque ? Ou le contraire ? • Les lieux sont-ils ouverts ou fermés ? • Y a-t-il une valeur symbolique rattachée à ces lieux ? • Quelle est l’influence du lieu sur l’action ? (Par exemple, un huis clos n’aura pas le même effet qu’un espace ouvert.) • Quels objets occupent ces lieux et dans quel but ? Comment les personnages se déplacent-ils dans ces lieux ? • Dans l’espace social, sont-ils dans un rapport de progression, de déchéance ou de marginalisation ? • Comment la mentalité, la morale et les valeurs idéologiques sont-elles décrites, et en quoi influent-elles sur l’intrigue ?

L’organisation du texte Comment ?

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Comment le récit est-il raconté ? Quels sont les éléments organisateurs du récit ? • Quel choix de narrateur a été fait ? • Le narrateur est-il représenté ou non représenté ? Est-il narrateur-héros ? Narrateur témoin ? Narrateur à la troisième personne ? • Quelle est la nature de la focalisation dans le récit : interne, externe ou focalisation zéro ? • Y a-t-il des ellipses, des analepses, des prolepses, des descriptions, des scènes, des sommaires ou des pauses qui modifient le rythme du récit ? • Comment le texte est-il divisé ? En chapitres, en actes et en scènes, en tableaux ? • Y a-t-il des monologues, des tirades, des dialogues ? • Y a-t-il d’autres éléments qui contribuent à l’organisation du texte ?

L’Abrégé • Partie 4 – VERS L’ANALYSE LITTÉRAIRE


La thématique et la vision du monde Pourquoi ?

Quelles grandes idées se dégagent de l’étude du texte ? • Orientation psychologique, affective : enfance, famille, sexualité, amour, amitié, culpabilité, etc. ? • Orientation sociale : pouvoir et savoir, solidarité, compétition, argent, justice, liberté, violence, etc. ? • Orientation philosophique : Dieu, la religion, l’idéal, la condition humaine, etc. ? • Les mots clés du texte sont-ils soutenus par un ensemble de termes synonymes ou de sens connexes (champ lexical) ? • Quelle est la tonalité générale (impression qui se dégage d’un texte, reliée à l’atmosphère générale) : polémique, tragique, comique, fantastique, etc. ? • Le courant littéraire et le lien avec le contexte social fournissent-ils des pistes d’analyse ?

Le style Comment ?

Quels choix ont été faits au point de vue du lexique ? • Le texte est-il lisible ou hermétique ? • Y a-t-il dénotation ou connotation ? De quelle nature ? Quels sont les choix de l’auteur au point de vue de la syntaxe ? Par quels moyens l’auteur crée-t-il un rythme particulier ? • Nature des phrases, longueur et complexité. • Répétition, énumération. • Effets de symétrie et autres procédés. • Modes et temps verbaux. Quelles sont les figures de style utilisées par l’auteur ? Dans quel but ? Quel est le niveau de langue utilisé ? • Soutenu (l’auteur utilise un vocabulaire recherché) ? • Correct (l’auteur utilise la langue de manière à la rendre accessible au lecteur moyen) ? • Familier ou populaire (l’écrit s’éloigne de la norme grammaticale et se rapproche de la langue orale) ? Le texte exploite-t-il une dimension comique ? ou relève-t-il de la comédie ? • Jeux de langage variés, doubles sens. • Quiproquos, malentendus, etc. • Au théâtre, on tiendra compte aussi de la gestuelle. • Nature de l’humour : ironique, cynique ou sarcastique.

À noter Les questions dans la colonne de gauche de ce tableau permettent de faire le résumé du texte narratif.

Chapitre 12 – L’ANALYSE

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Comment analyser un procédé littéraire ? Lors de l’analyse d’un procédé littéraire, il est utile de préciser ce que l’utilisation d’un tel procédé entraine comme effet, en évitant de redire sur quel(s) mot(s) repose le procédé, puisque cette information a déjà été fournie dans la citation elle-même. Voici quelques trucs afin de bien expliquer le fonctionnement des figures de style et des procédés sonores. Les figures d’analogie (allégorie, comparaison, métaphore, métaphore filée, personnification, prosopopée, synesthésie) Il s’agit de dire ce qui est comparé (le comparé), avec quoi il est comparé (le comparant) et pourquoi (caractéristique commune). Évidemment, ces mots techniques ne doivent jamais être écrits ; l’idée est de faire une démonstration sans mentionner les techniques sous-jacentes. Par exemple, dans Baudelaire : « La musique souvent me prend comme une mer ! » Exemple d’analyse : « Dans ce vers, l’auteur du xixe siècle établit un lien de ressemblance entre deux réalités à priori fort dissemblables, soit la musique et la mer ; en fait, pour Baudelaire, la musique possède une puissante capacité d’entrainement, semblable à celle de la grande bleue. » Les figures d’opposition (antithèse, oxymore) Une opposition sert à mettre en évidence une caractéristique contraire que possèdent deux réalités. Il faut donc dire clairement ce en quoi les réalités antagonistes s’opposent, puis quel effet cet antagonisme produit. Voici un exemple de Phèdre, qui évoque les conséquences de l’amour coupable qu’éprouve Phèdre à l’égard de son beau-fils Hippolyte : « Tu me haïssais plus, je ne t’aimais pas moins. » Exemple d’analyse : « Dans l’antithèse de l’exemple cité, Racine oppose les sentiments respectifs d’Hippolyte (qui hait) et de Phèdre (qui aime) : le jeune homme déteste donc sa belle-mère en raison même de l’amour que celle-ci lui porte. C’est cet antagonisme dans les sentiments qui crée entre eux le malentendu, source du caractère tragique de la pièce. » Les figures de substitution (antiphrase, métonymie, périphrase, synecdoque) Ces figures dissimulent une réalité afin d’insister sur le sens caché ou de faire des associations entre deux idées ressemblant aux figures d’analogie. Par exemple, la métonymie et la synecdoque sont des figures qui consistent à évoquer une réalité par le biais d’une autre réalité qui lui est liée. Dans l’analyse, on va donc d’abord dire quelle est la réalité évoquée, puis expliquer pourquoi l’auteur a choisi de la désigner par une autre réalité. Voici un exemple de synecdoque : « Fer qui causes ma peine, / M’es-tu donné pour venger mon honneur ? / M’es-tu donné pour perdre ma Chimène ? » (Le Cid). Exemple d’analyse : « Le fait que Rodrigue prenne son épée à partie, par le moyen d’une synecdoque – il évoque le fer dont elle est faite –, montre qu’il est conscient de son caractère offensif, puisqu’il pense justement à aller se battre avec le père de sa bien-aimée, combat qui risque fort de se solder par le décès du plus âgé des deux hommes. Rodrigue est donc très triste de devoir se livrer à ce combat et s’adresse à l’épée, par le biais d’une apostrophe, ce qui permet de saisir la profondeur de la solitude dans laquelle il se trouve. » Les figures d’atténuation (euphémisme, litote) Les figures d’atténuation servent à rendre moins blessante une réalité jugée taboue. Comment les analyser ? En disant clairement quelle réalité est ainsi dissimulée, puis la raison pour laquelle ce tabou est respecté, dans le cas spécifique du texte étudié. Par exemple, dans le roman L’éducation sentimentale de Gustave Flaubert : « Elle se laissa renverser sur le divan, et continuait à rire sous ses baisers. »

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L’Abrégé • Partie 4 – VERS L’ANALYSE LITTÉRAIRE


MISE EN APPLICATION DES NOTIONS

Genre narratif L’extrait suivant est tiré de La femme au collier de velours d’Alexandre Dumas père, écrivain romantique, né en 1802, décédé en 1870. Résumé de l’œuvre Hoffmann, jeune Allemand à l’équilibre fragile, est fiancé à une pure jeune fille nommée Antonia. Il souhaite visiter Paris avant son mariage et en demande la permission à sa fiancée. Arrivé à Paris en pleine révolution, il rencontre une danseuse sensuelle et provocante, Arsène, qui le fascine à lui faire perdre la tête. Dans les dernières pages du roman, Hoffmann trouve Arsène au pied de la guillotine ; il trahit les vœux de fidélité faits à sa fiancée en passant la nuit avec la jeune femme dans une auberge. Extrait « Deux garçons entrèrent, portant une table toute servie, qu’ils faillirent laisser tomber en apercevant cet amas de richesses que pétrissaient les mains crispées de la jeune fille. […] Les garçons apportèrent plusieurs bouteilles de vin de Champagne, et se retirèrent. Derrière eux, Hoffmann alla pousser la porte, qu’il ferma au verrou. Puis, les yeux ardents de désir, il revint vers Arsène, qu’il retrouva près de la table, continuant de puiser la vie, non pas, à cette fontaine de Jouvence, mais à cette source du Pactole. — Eh bien ! lui demanda-t-il. — C’est beau, l’or ! dit-elle ; il y avait longtemps que je n’en avais touché. — Allons, viens souper, fit Hoffmann, et puis après, tout à ton aise, Danaé, tu te baigneras dans l’or si tu veux. Et il l’entraîna vers la table. — J’ai froid ! dit-elle. Hoffmann regarda autour de lui : les fenêtres et le lit étaient tendus en damas rouge : il arracha un rideau de la fenêtre et le donna à Arsène. Arsène s’enveloppa dans le rideau, qui sembla se draper de lui-même comme les plis d’un manteau antique, et sous cette draperie rouge sa tête pâle redoubla de caractère. Hoffmann avait presque peur. […] À mesure qu’il buvait, à ses yeux du moins, Arsène s’animait ; seulement, quand, à son tour, Arsène vidait son verre, quelques gouttes rosées roulaient de la partie inférieure du collier de velours sur la poitrine de la danseuse, Hoffmann regardait sans comprendre puis sentant quelque chose de terrible et de mystérieux là-dessous, il combattit ses frissons intérieurs en multipliant les toasts qu’il portait aux beaux yeux, à la belle bouche, aux belles mains de la danseuse. Elle lui faisait raison, buvant autant que lui, et paraissant s’animer, non pas du vin qu’elle buvait, mais du vin que buvait Hoffmann. Tout à coup un tison roula du feu. Hoffmann suivit des yeux la direction du brandon de flamme, qui ne s’arrêta qu’en rencontrant le pied nu d’Arsène. Sans doute, pour se réchauffer, Arsène avait tiré ses bas et ses souliers, son petit pied, blanc comme le marbre, était posé sur le marbre de l’âtre, blanc aussi comme le pied avec lequel il semblait ne faire qu’un. Hoffmann jeta un cri. — Arsène ! Arsène ! dit-il, prenez garde ! — À quoi ? demanda la danseuse. Chapitre 13 – LA RÉDACTION

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— Ce tison… ce tison qui touche votre pied... Et, en effet, il couvrait à moitié le pied d’Arsène. — Ôtez-le, dit-elle tranquillement. Hoffmann se baissa, enleva le tison, et s’aperçut avec effroi que ce n’était pas la braise qui avait brûlé le pied de la jeune fille, mais le pied de la jeune fille qui avait éteint la braise. — Buvons ! dit-il. — Buvons ! dit Arsène. […] Alors le même mirage revint troubler l’esprit d’Hoffmann. Cette femme bondissante, qui s’était animée par degrés, opérait sur lui avec une attraction irrésistible. Elle avait pris pour théâtre tout l’espace qui séparait le piano de l’alcôve, et, sur le fond rouge du rideau, elle se détachait comme une apparition de l’enfer. Chaque fois qu’elle revenait du fond vers Hoffmann, Hoffmann se soulevait sur sa chaise : chaque fois qu’elle s’éloignait vers le fond, Hoffmann se sentait entraîné sur ses pas. Enfin, sans qu’Hoffmann comprît comment la chose se faisait, le mouvement changea sous ses doigts : ce ne fut plus l’air qu’il avait entendu qu’il joua, ce fut une valse : cette valse, c’était le Désir, de Beethoven ; elle était venue, comme une expression de sa pensée, se placer sous ses doigts. De son côté, Arsène avait changé de mesure ; elle tourna sur elle-même d’abord, puis peu à peu élargissant le rond qu’elle traçait, elle se rapprocha d’Hoffmann. Hoffmann haletant la sentait venir, la sentait se rapprocher, il comprenait qu’au dernier cercle elle allait le toucher, et qu’alors force lui serait de se lever à son tour, et de prendre part à cette valse brûlante. C’était à la fois chez lui du désir et de l’effroi. Enfin Arsène, en passant, étendit la main, et du bout des doigts l’effleura. Hoffmann poussa un cri, bondit comme si l’étincelle électrique l’eût touché, s’élança sur la trace de la danseuse, la joignit, l’enlaça dans ses bras, continuant dans sa pensée l’air interrompu en réalité, pressant contre son cœur ce corps qui avait repris son élasticité, aspirant les regards de ses yeux, le souffle de sa bouche, dévorant de ses aspirations à lui ce cou, ces épaules, ces bras ; tournant non plus dans un air respirable, mais dans une atmosphère de flamme qui, pénétrant jusqu’au fond de la poitrine des deux valseurs, finit par les jeter, haletants et dans l’évanouissement du délire, sur le lit qui les attendait. Quand Hoffmann se réveilla le lendemain, un de ces jours blafards des hivers de Paris venait de se lever, et pénétrait jusqu’au lit par le rideau arraché de la fenêtre. Il regarda autour de lui, ignorant où il était, et sentit qu’une masse inerte pesait à son bras gauche. Il se pencha du côté où l’engourdissement gagnait son cœur, et reconnut, couchée près de lui, non plus la belle danseuse de l’Opéra, mais la pâle jeune fille de la place de la Révolution. » Alexandre Dumas, La femme au collier de velours, 1851

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L’Abrégé • Partie 4 – VERS L’ANALYSE LITTÉRAIRE


Observation : Questions à poser Quelle est la situation initiale ? Hoffmann se retire dans une auberge avec Arsène. Quelle est la situation finale ? Quand Hoffmann se réveille, il voit une pâle jeune fille à ses côtés ; le lecteur conclut qu’elle était déjà morte quand Hoffmann l’a trouvée au pied de la guillotine. Qui raconte la scène ou qui est chargé du récit ? Un narrateur absent, non représenté (le récit semble se raconter de lui-même). Les trois premières phrases du récit relèvent d’une focalisation externe. De quel point de vue la scène est-elle observée ? (Les indices textuels sont surlignés en bleu dans le texte.) À partir du moment où tout est vu par les yeux du personnage principal nommé Hoffmann – ce qui est confirmé par les passages « les yeux ardents de désir » suivi de « Hoffmann regarda autour de lui » −, la focalisation devient interne. Quelles sont les techniques narratives utilisées ici ? Des descriptions et un dialogue en discours direct.

Que sait-on de la dynamique des personnages ? Hoffmann, actant principal, sujet de la quête, héros à l’équilibre fragile, nous fait douter des frontières entre le surnaturel et le réel. Personnage secondaire, objet de la quête : Arsène, à la fois femme fatale (stéréotype romantique) et mortevivante (stéréotype fantastique). Comment peut-on qualifier le rythme narratif ? Le rythme narratif est accéléré par une succession rapide d’évènements (surlignés en rose dans le texte). Quels thèmes peut-on dégager de l’extrait ? Les deux thèmes qui dominent dans ce récit à tonalité fantastique sont nommés explicitement : le désir et l’effroi, comme en témoignent les champs lexicaux mis en relief dans le texte (surlignés en orange et en jaune dans le texte). Quelle est la tonalité dominante ? La tonalité fantastique domine, ce qui est confirmé par le fait que le lecteur est prisonnier des hallucinations du personnage principal (évènements insolites), personnage qui va bientôt basculer dans la folie.

Comment progresser vers la rédaction ? Question d’analyse : Dans l’extrait de La femme au collier de velours de l’auteur Alexandre Dumas, montrez que le récit est dominé par la tonalité fantastique. • Revoir les étapes et les recommandations préalables. • Planifier l’analyse et cerner les deux idées principales. • Trouver les citations. • Écrire le texte : rédiger les paragraphes de développement, intégrer les concepts relatifs au genre narratif, les illustrer par des exemples et des citations.

Chapitre 13 – LA RÉDACTION

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Exemple de deux paragraphes de développement Dans cet extrait qui sert de dénouement au roman, Alexandre Dumas, par les protagonistes Hoffmann et Arsène, met en place des personnages typiques du genre fantastique. D’une part, dans cette scène finale, le lecteur perçoit la réalité par les yeux du héros, alors même qu’il bascule dans une ivresse fantastique causée par l’alcool. Il a d’ailleurs de multiples hallucinations : des gouttes rosées coulent du cou de la belle danseuse qui éteint un tison de feu de son pied nu. Ce changement est indiqué par une focalisation interne dans les passages relatifs au regard : Hoffmann « regarda » avec des « yeux ardents de désir » et « à ses yeux du moins, Arsène s’animait ». Le lecteur peut dès lors déduire que les descriptions relèvent soit du surnaturel, soit de la folie. La narration met donc en évidence la tonalité fantastique de cette scène. D’autre part, le personnage d’Arsène conjugue les caractéristiques de deux stéréotypes : celui de la femme fatale et celui de la morte-vivante. Comme femme fatale, elle incarne la sensualité : elle est vêtue de rouge, couleur de la passion, et elle suscite la « flamme » du désir jusqu’à « l’évanouissement du délire ». Cependant, elle représente aussi le mal et suscite « l’effroi » : elle est « une apparition de l’enfer » qui danse une « valse brûlante », tout en offrant son corps au jeune homme « haletant » de désir. Le lecteur comprend finalement que cette jeune fille, trouvée au pied de l’échafaud la veille, avait été exécutée avant que le personnage principal ne l’emmène à la chambre d’hôtel. La « pâleur » de la fin est en fait celle de la mort. Hoffmann est en quelque sorte puni de s’être laissé aller à la sensualité, de s’être écarté de ses idéaux de pureté. Ainsi, ces deux personnages, par leurs actions et les descriptions les entourant, répondent au genre attendu du récit fantastique. Le récit, qui jusqu’alors semblait présenter une vision vraisemblable de la réalité, bascule, dans ses dernières pages, dans le surnaturel. En effet, le lecteur est en mesure de constater que l’extrait illustre les caractéristiques propres à la littérature fantastique : Hoffmann est un artiste et son imagination favorise les hallucinations, ce que confirme la phrase suivante : « Alors le même mirage revint troubler l’esprit d’Hoffmann. » Par l’emploi de la focalisation interne, Dumas fait percevoir la réalité par les yeux fous d’un Hoffmann délirant. Le lecteur doute de l’authenticité de ce qui lui est rapporté. Toute cette scène ne semble être, en fait, que le produit de l’imagination d’Hoffmann, et la belle danseuse ne serait rien d’autre que la personnification d’un fantasme. Par ailleurs…

À vous de jouer • Relisez le texte et trouvez la deuxième idée secondaire du deuxième paragraphe et ajoutez-y une miniconclusion. • À partir de ces deux paragraphes de développement, et de vos connaissances sur Alexandre Dumas et son courant littéraire, rédigez une introduction qui comportera un sujet amené, un sujet posé et un sujet divisé. • À partir des deux paragraphes de développement, rédigez une conclusion qui comportera une synthèse ainsi qu’une idée d’ouverture.

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L’Abrégé • Partie 4 – VERS L’ANALYSE LITTÉRAIRE



2e édition

L’Abrégé

GUIDE DES NOTIONS LITTÉRAIRES

est un outil indispensable pour mieux apprécier les œuvresEve littéraires. Catherine Groleau Cet ouvrage présente la plupart des notions et des procédés littérairesCéline de façon succincte Thérien dans une mise en page épurée facilitant le repérage des notions. La théorie est illustrée par des exemples variés, tirés d’œuvres des littératures québécoise et française. Nouveautés de la 2e édition : • une organisation claire et efficace en quatre parties, identifiées par des onglets ; • une mise en page épurée facilitant le repérage des notions ; • des tableaux aide-mémoires, axés sur les procédés d’écriture, pour chacun des courants littéraires ; • une quatrième partie, « Vers l’analyse littéraire », remaniée et bonifiée afin d’aider l’étudiant à mieux lire un texte littéraire, à mieux le résumer et le comprendre, à progresser vers la rédaction finale et à réviser son texte ; • de nombreux exercices interactifs auxquels l’étudiant a maintenant accès sur MaZoneCEC et qui lui permettent d’aller plus loin dans ses apprentissages. Un accès de deux ans à la version numérique de l’ouvrage est offert gratuitement sur MaZoneCEC aux étudiants comme aux professeurs à l’achat du manuel papier. Accessible en ligne et hors ligne, la version numérique permet aux enseignants de projeter, d’annoter et de feuilleter l’ouvrage en entier et de partager des notes et des documents avec les étudiants, qui pourront, eux aussi, annoter leur propre version numérique. La version numérique propose également du matériel complémentaire pour les enseignants et des activités interactives pour les étudiants.

Les auteures

Ayant enseigné pendant plus de trente ans au Cégep André-Laurendeau et au Collège de Maisonneuve, Céline Thérien est l’auteure de l’Anthologie de la littérature d’expression française, tomes 1 et 2. Dans la collection Grands Textes, qu’elle a dirigée pendant plusieurs années, elle a rédigé des études sur Molière (Dom Juan et Les Femmes savantes) et sur Camus (La Peste et L’Étranger). Catherine Eve Groleau poursuit présentement un doctorat en littérature comparée à l’Université de Montréal. Elle est professeure de littérature au Collège de Bois-de-Boulogne et a publié au sein de diverses maisons d’édition, dont Triptyque (Mœbius), Ulysse et CEC dans la collection Grands Textes (études sur Molière, Le Bourgeois gentilhomme, et sur Balzac, Le Père Goriot).


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