plus
Étudier la sociologie, c’est, entre autres, comprendre les mécanismes structurels et culturels à l’origine des inégalités sociales au sein de notre système capitaliste et démocratique. C’est également saisir les vecteurs de changements sociaux et les acteurs qui s’y investissent avec comme objectif commun une société plus juste et égalitaire. Comment les théories sociologiques expliquent-elles les inégalités ? Quelles sont les grandes inégalités sociales qui affectent nos communautés ? Comment se reproduisent-elles d’une génération à l’autre ? Qui en sont les victimes ?
Julie Allard, Jonathan Scott
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internationales
Cet ouvrage introduit les lecteurs à la compréhension sociologique du concept d’inégalités sociales à l’aide de différentes théories sociologiques telles que le fonctionnalisme, le marxisme et l’interactionnisme. Il sera aussi question de recenser et d’expliquer certaines formes d’inégalités pouvant toucher des groupes d’individus selon les catégories sociales auxquelles ils appartiennent, notamment les inégalités de sexe, de revenu, de santé, mais aussi les inégalités générationnelles, environnementales et mondiales. Ce livre s’intéresse également à l’analyse des principaux mouvements sociaux luttant pour une plus grande justice sociale en fonction des inégalités préalablement abordées, notamment les mouvements féministe, altermondialiste, syndical. Il contient aussi des exercices et des mises en situation qui aideront les étudiants à appliquer leurs connaissances concernant les inégalités sociales. Jonathan Scott est professeur de sociologie au Collège de Valleyfield. Il est doctorant en sociologie à l’Université du Québec à Montréal. Dans le cadre de ses études doctorales, il s’intéresse au mouvement syndical québécois et à la configuration néolibérale. Il a été également actif dans le milieu de l’action communautaire et politique.
La version numérique du manuel, qui comprend également toutes les ressources complémentaires du manuel, est offerte gratuitement sur
aux étudiants comme aux professeurs à l’achat du manuel
papier, et ce, pour une durée de 5 ans. Accessible en ligne et hors ligne, elle permettra aux enseignants de projeter, d’annoter et de partager des notes avec les étudiants, qui pourront, eux aussi, annoter leur propre version numérique. CODE DE PRODUIT : 218618 ISBN 978-2-7617-7979-1
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SOCIOLOGIE LES INÉGALITÉS SOCIALES
Julie Allard est professeure de sociologie au Cégep de Drummondville. Elle détient une maîtrise en sociologie de l’Université du Québec à Montréal. Elle fut également assistante de recherche pour l’ARUC en économie sociale et chargée de projet en agriculture urbaine en milieu multiethnique et défavorisé.
Sylvain St-Jean
JULIE ALLARD JONATHAN SCOTT
9001, boul. Louis-H.-La Fontaine, Anjou (Québec) Canada H1J 2C5 Téléphone : 514-351-6010 • Télécopieur : 514-351-3534
Direction de l’ édition Philippe Launaz Direction de la production Danielle Latendresse Direction de la coordination Rodolphe Courcy Charge de projet Jean-Pierre Regnault Correction d’ épreuves Odile Dallaserra Réalisation graphique Les Productions Faire Savoir inc.
La Loi sur le droit d’ auteur interdit la reproduction d’ œuvres sans l’ autorisation des titulaires des droits. Or, la photocopie non autorisée – le photocopillage – a pris une ampleur telle que l’ édition d’ œuvres nouvelles est mise en péril. Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, du présent ouvrage est interdite sans l’ autorisation écrite de l’ Éditeur.
Les Éditions CEC inc. remercient le gouvernement du Québec de l’ aide financière accordée à l’ édition de cet ouvrage par l’ entremise du Programme de crédit d’ impôt pour l’ édition de livres, administré par la SODEC. Sociologie. Les inégalités sociales © 2015, Les Éditions CEC inc. 9001, boul. Louis-H.-La Fontaine Anjou (Québec) H1J 2C5 Tous droits réservés. Il est interdit de reproduire, d’ adapter ou de traduire l’ ensemble ou toute partie de cet ouvrage sans l’ autorisation écrite du propriétaire du copyright. Dépôt légal : 2015 Bibliothèque et Archives nationales du Québec Bibliothèque et Archives Canada ISBN : 978-2-7617-7979-1 Imprimé au Canada 1 2 3 4 5 19 18 17 16 15
L’ éditeur tient à remercier les professeurs dont les noms suivent pour leurs judicieuses suggestions, leur grande disponibilité et leur professionnalisme. Alexandre Boisvert, Cégep de Drummondville Lysanne Couture, Cégep Édouard-Montpetit Olga Lucio, Collège de Maisonneuve Maxime Marcoux-Moisan, Collège Montmorency
Sources iconographiques supplémentaires Page couverture : 12905358 © iStock/mymrin 45973558 © iStock/elwynn1130 35324316 © iStock/guitario 3042407 © iStock/Kuzma Pour tous les documents mis à disposition aux conditions de la licence Creative Commons (version 3.0 et précédentes), les adresses sont les suivantes : CC-BY (Paternité) : <creativecommons.org/licenses/by/3.0/ deed.fr_CA> CC-BY-SA (Paternité - Partage des conditions initiales à l’ identique) : <creativecommons.org/licenses/bysa/3.0/deed.fr_CA>
CARACTÉRISTIQUES DE L’OUVRAGE 3. LE MARXISME ET LA THÉORIE DU CONFLIT SOCIAL
Diverses rubriques fournissent des informations complémentaires sur des acteurs, des penseurs influents ou des événements marquants.
De quelle manière les marxistes voient-ils les inégalités sociales ? Celles-ci sont-elles produites par la société, par les groupes auxquels nous appartenons ? Ou bien sont-elles le résultat des incapacités individuelles comme le pensent les fonctionnalistes ? De toutes les théories présentées dans ce fascicule, seule la théorie marxiste n’a pas été élaborée dans une perspective proprement sociologique. Il est bon de se rappeler que Marx n’est pas un fondateur de la sociologie, mais plutôt un précurseur puisqu’il écrivit avant la naissance de la sociologie. Le marxisme est davantage une pensée issue de l’économie politique qui porte sur l’émergence du système économique capitaliste dans le contexte de la révolution industrielle. La discipline sociologique s’appropria le cadre conceptuel marxiste en l’adaptant au sein de la théorie du conflit social. Cette théorie approfondit l’analyse sociologique de la dynamique des conflits sociaux. Essentiellement, on considère que les classes sociales et les groupes sociaux qui se trouvent en conflit social ont des objectifs et des intérêts contradictoires. Tout comme le fonctionnalisme, l’approche marxiste trouve ses fondements dans le déterminisme social. L’environnement social est ainsi considéré comme déterminant dans la constitution de l’identité sociale. Autrement dit, l’individu subit les structures sociales ainsi que les conditions d’existence de son groupe social et c’est ce dernier qui le socialise. Comment les conditions d’existence, c’est-à-dire nos conditions de vie, nous socialisent-elles ? Marx dira que c’est à travers les rapports sociaux que l’être social et sa conscience sont déterminés. À minorités ont moins de contrôle sur propre trajectoire vie. Dans ce contexte, titreleur d’exemple, l’ouvrier ade une conscience, des idéesleetsens des de minorité en sociologie diffère du sens mathématique.d’ouvrier. Effectivement, ce qui détermine une minorité, comportements Pourquoi adopte-t-il des comporce n’est pas que celle-ci représente moins que la moitié de la population, mais bien qu’elle détienne tements d’ouvrier ? Parce qu’il est le produit identitaire de sa moins de pouvoir au sein de la société. Les et femmes déjà fait partiesocioprofessionnel. d’une minorité sociale elles famille de sonont environnement Ces (et rapen font toujours partie selon certains) même si elles représentent plus de la moitié de la population. ports sociaux créent et divisent la société en classes sociales Les personnes ayant la peau noire et enpositionnent Afrique du Sud au tempsau desein l’apartheid étaient classes. considérées les individus de ces mêmes comme une minorité sociologique bien qu’elles représentaient amplement la majorité en nombre. Elles détenaient peu de pouvoir politique et économique, notamment.
Philosophe, économiste et historien, il est considéré comme un précurseur de la sociologie contemporaine, car il est l’un des premiers, avec son ami Friedrich Engels (1820-1895), à comprendre la société et les groupes sociaux comme déterminants dans la trajectoire des individus. Marx écrira une œuvre incontournable, dont fait partie Le capital, une compréhension rigoureuse du système capitaliste de son époque.
Les différentes théories sociologiques, loin d’analyser les inégalités sociales de la même façon, peuvent à certains égards s’opposer. Le fonctionnalisme voit en les inégalités sociales une source potentielle de cohésion, tandis que la théorie du conflit social y voit une source de tensions. Le marxisme se penche sur la mauvaise redistribution de la richesse pour les expliquer. De son côté, la théorie de la reproduction sociale, sans nier cette réalité, se concentre sur l’institution scolaire pour les comprendre. Elle s’oppose également à la perception que les fonctionnalistes ont de la mobilité sociale étant donné qu’ils accordent des fonctions distinctes à l’école. Enfin, l’interactionnisme ne fait pas des inégalités sociales un objet central de son étude, mais nous avons vu que ces sociologues se préoccupent de l’exclusion sociale, apanage fréquent des individus victimes d’inégalités. La deuxième partie de ce fascicule se penche sur les différentes formes d’inégalités sociales.
Également, certains encadrés rassemblent les éléments vus jusque-là dans un tout cohérent et digeste.
Finalement, avec la répétition, il s’effectue une cristallisation de cette image négative dans toute la société (Antonius, 2002).
Cela veut dire que les groupes minoritaires sont représentés de façon unidimensionnelle cette et la théorie du conflit social Le et marxisme dimension est la plupart du temps péjorative. Dans ce contexte, les médias, comme agents de socialisation, auraient un rôle de reproduction des hiérarchies sociales en accolant des stéréotypes négatifs sur les individus appartenant à d’autres cultures. La valorisation de la culturelle dominante aurait comme conséquence de la considérer comme supérieure aux autres (Potvin, 2008).
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La théorie de la reproduction sociale
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Espérance de vie : différences par catégorie professionnelle (Angleterre et pays de Galles, 1997-1999) LES AUTOCHTONES, UN CAS PARTICULIER Les communautés autochtones du Québec et du Canada sont multiples et hétérogènes. Cependant, elles font presque toutes face à une discrimination ethnique qui se révèle dans des enjeux liés à l’employabilité et au développement économique sur les réserves, sans parler de certains problèmes sociaux venant exacerber ces embûches : alcoolisme, violence, assistance sociale, etc. Il faut remonter à la colonisation par les Français et les Anglais du « Nouveau Monde » pour saisir l’origine de cette discrimination. Effectivement, les colons européens avaient, tout comme pour les personnes ayant la peau noire, une piètre opinion des « peaux rouges », tel qu’on appelait les Amérindiens à l’époque (Losurdo, 2014). Pour les uns, le racisme entraînera l’esclavage ; pour les autres, le vol des terres et la mise à l’écart dans des réserves. Plus récemment, le rapport de la commission Vérité et réconciliation en 2012 a exposé les conditions difficiles ainsi que les différents types de maltraitance vécus par les enfants dans les pensionnats autochtones. De la fin des années
LES DIFFÉRENTES FORMES D’INÉGALITÉS
Les concepts fondamentaux utilisés au fil du texte sont définis dans des encadrés afin de rendre la lecture et la révision plus efficaces.
Catégories professionnelles
DE PLUS PRÈS
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L’analyse que nous venons de voir nous démontre que ces « talents » individuels qui contribuent à la réussite scolaire seraient, en grande partie, déterminés par le capital culturel et économique du milieu familial. Cependant, comme toute théorie sociologique, il faut comprendre cette analyse comme une tendance lourde et non une situation s’imposant à tous les individus uniformément et systématiquement.
Karl Marx (1818-1883)
La valorisation de la culture dominante et la dévalorisation des cultures immigrantes et autres minorités sociales sont observables dans les médias (Potvin, 2008). En effet, il se produit, à travers CONCEPT LES RAPPORTS SOCIAUX les médias, un processus de formation des images négatives. Ce processus fonctionne de la manière Les rapports sociaux sont les liens d’interaction et d’interdépendance exissuivante : tant entre l’individu, les groupes dans lesquels il évolue et la société. Les • Il y a une distorsion des faits ou bien un lien de différents cause à effet souvent non prouvé scientifirapports sociaux orientent les individus et façonnent les choix. quement. Autrement dit, ils influencent la trajectoire sociale. • Ensuite, il se produit une généralisation à tout le groupe de la caractéristique négative. •
En somme, les enfants venant de quartiers défavorisés, en raison de leur habitus de classe connaissent plus de difficultés dans leur cheminement scolaire. Ils sont plus faiblement scolarisés, et obtiennent généralement des emplois plus précaires et à faible rémunération. C’est exactement le contraire pour ceux venant de quartiers plus favorisés. La reproduction sociale a donc des conséquences à très long terme. Selon une étude longitudinale s’étalant sur une vingtaine d’années, on conclut qu’environ le tiers des enfants défavorisés au début de l’étude vivent maintenant sous le seuil de la pauvreté (Serbin et al., 2010).
Cadres supérieurs et professions libérales Cadres et techniciens Main-d’œuvre non manuelle qualifiée Ouvriers qualifiés Ouvriers spécialisés Manœuvres
64 66 68 70 72 74 Hommes
Femmes
76 78 80 82 84
Espérance de vie (années)
Source : Marie-France Raynault et Dominique Côté, Le bon sens à la scandinave. Montréal, Presses de l’Université de Montréal.
Le gradient social de santé a été une découverte importante dans les années 1980. On savait déjà que la pauvreté affectait la santé, mais c’est avec étonnement que l’on a pris conscience que les inégalités économiques, à tous les échelons de la hiérarchie sociale, avaient des répercussions sur la santé. Évidemment, dans les plus bas échelons, les impacts sont encore plus importants. Comment expliquer ces écarts ? Les prochains éléments sont des facteurs explicatifs à considérer. LE SENTIMENT DE CONTRÔLE ET L’EXPOSITION AU STRESS
Les encadrés « De plus près » sont l’occasion d’une présentation plus étoffée d’une problématique ou d’un personnage illustre.
Le sentiment d’avoir le contrôle sur son travail, et sur sa vie en général, est déterminant au regard de la santé. Sommes-nous en position d’autorité ou de simples subalternes obligés constamment d’exécuter les décisions des autres ? Avons-nous la liberté et les moyens de prendre les décisions qui s’imposent dans nos vies : déménager, changer d’emploi, se procurer des biens nécessaires ou longtemps désirés ? La position sociale dans la hiérarchie influe sur ce sentiment de contrôle que peuvent ressentir les individus. Dans les cas où un individu participe peu à la vie sociale, bénéficie d’assistance sociale ou du chômage, il risque de vivre de l’isolement social et de ne pas avoir l’impression de contrôler sa destinée. Nous observons aussi que les individus situés dans les échelons du bas ou du milieu de la stratification sociale risquent d’être plus stressés. Ce stress permanent a de sérieuses répercussions sur la santé. Certains auteurs parlent aussi d’un sens de la cohérence qui réfère au fait de pouvoir donner des significations mobilisantes aux événements de sa vie et ainsi d’être résilient face au stress et aux difficultés de la vie (Paquet et Tellier, 2003).
EXPLORATION
Les habitudes de vie
Il ne fait pas de doute que certaines de nos habitudes quotidiennes sont néfastes pour la santé. Le tabagisme, une alimentation malsaine, la sédentarité, par exemple, constituent des facteurs de risque de nombreuses maladies. Ces « mauvaises » habitudes de vie sont davantage présentes dans les
EXERCICES
ABADIE, Pauline (2005). Le cumul des inégalités sociales et écologiques à travers le cas de la justice environnementale Les inégalités deface santé aux États-Unis – Une analyse juridique des inégalités à la localisation des industries polluantes, Mémoire, Paris, Universités Paris I et II.
AIDE-MÉMOIRE Répondre par vrai ou faux. 1. La division du travail social, où chaque individu a un rôle social, est un concept qui prône l’égalité entre les individus.
9. Les catastrophes écologiques sont toujours d’origine naturelle et affectent autant les régions riches que les régions pauvres.
AGENCE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX DE MONTRÉAL (2011). Les inégalités sociales de santé à Montréal. Rapport du directeur de santé publique 2011, Montréal, Gouvernement du Québec.
2. Pour Marx, la société est traversée par des conflits de classe.
10. Une minorité au sens sociologique est un groupe qui constitue moins de la moitié de la population et qui a moins de pouvoir.
AGENCE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX DE MONTRÉAL (2012). Le décrochage scolaire chez les jeunes du secondaire du réseau public à Montréal, [en ligne], page consultée le 23 janvier 2015, http ://csssstleonardstmichel.qc.ca/fileadmin/csss_slsm/Menu_corporatif/Publications/DecrochageScolaire1312201137_0 1.pdf /
3. Le contexte est important pour comprendre la déviance et la marginalisation. 4. Le capitalisme est l’unique système qui explique la subordination des femmes. 5. Bourdieu mentionne que le rôle de l’enseignant est important dans la reproduction des inégalités sociales. 6. La théorie de la reproduction sociale mentionne que les étudiants, par leur effort à l’école, pourront réussir. 7. Le fonctionnalisme considère les inégalités comme nécessaires au bon fonctionnement de la structure sociale. 8. Les ressources sont distribuées de manière inégale, car les personnes en position d’autorité ont du pouvoir.
11. Au sein de la société d’accueil, tous les immigrants sont traités de la même façon et discriminés pareillement. 12. L’espérance de vie varie seulement entre les populations de différents pays. 13. Les personnes défavorisées se sentent moins à l’aise dans le système de santé que celles des classes moyenne et supérieure. 14. La socialisation différenciée inculque aux garçons et aux filles des comportements différents, ce qui peut influencer leurs choix professionnels. 15. Le terme « réfugié environnemental » est un terme datant du 18e siècle.
QUESTIONS SUR LA MATIÈRE
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Des illustrations, des figures, des cartes, des tableaux ou des réseaux de concepts faciliteront votre compréhension de la matière.
1. Selon vous, pour quelles raisons les publicités illustrées dans le chapitre sur les inégalités sexuelles ont-elles été identifiées comme sexistes ?
3. Expliquez la raison pour laquelle, au Québec, les immigrants français et allemands, par exemple, sont moins discriminés qu’un immigrant venant du Moyen-Orient ?
2. Dans la théorie marxiste, pourquoi mentionne-t-on que les ouvriers sont exploités ?
4. Pour quelle raison certains pays du Sud, dans le processus de mondialisation, sont dépendants et exploités par certaines multinationales du Nord ?
Finalement, la section « Exploration » vous invite à pousser vos réflexions davantage en vous soumettant un choix d’ouvrages, de films et de sites Internet pertinents.
AKOUN, André, et Pierre ANSART (1999). Dictionnaire de sociologie, Paris, Le Robert/Seuil. AL-SHIHRI, Abdullah (2014). « Arabie Saoudite : les femmes pourraient conduire sous certaines conditions », La Presse, 7 novembre 2014, [en ligne], page consultée le 1er février 2015, http ://www.lapresse.ca/international/ moyen-orient/201411/07/01-4816942-arabiesaoudite-les-femmes-pourraient-conduire-souscertaines-conditions.php ANTONIUS, Rachad (2002). «Un racisme “respectable” », dans RENAUD, Jean, Linda PIETRANTONIO et Guy BOURGEAULT (dir.), Les relations en question : ce qui a changé depuis le 11 septembre 2001, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, p. 253-271. BANQUE MONDIALE. http ://donnees.banquemondiale. org/indicateur/SI.POV.GINI, page consultée le 13 décembre 2014. BAUDELOT, Christian, et Roger ESTABLET (1972). L’École capitaliste en France, Paris, Maspero. BECK, Ulrich (2008). La société du risque. Paris, Flammarion. BECK, François, Jean-Marie FIRDION, Stéphane LEGLEYE et Marie-Ange SCHILTZ (2014). Les minorités sexuelles face au risque suicidaire, Coll. Santé en action, INPES Éditions, Saint-Denis, http ://www.inpes.sante.fr/CFESBases/catalogue/pdf/1291.pdf BEEMAN, Jennifer, et Ruth ROSE (2011). « Travailleuses de la construction - Une discrimination systémique in-
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quiétante », Le Devoir, 2 novembre 2011, Montréal, [en ligne], page consultée le 1er février 2015, http ://www.le63 devoir.com/politique/quebec/334994/travailleuses-dela-construction-une-discrimination-systemique-inquiet ante
BERENI, Laure, Sébastien CHAUVIN, Alexandre JAUNAIT et Anne REVILLARD (2008). Introduction aux gender studies, Bruxelle, De Boeck. BERNSTEIN, Basil (1975). Langage et classes sociales. Paris, Édition de Minuit. BHERER, Laurence, Jean-Pierre COLLIN (coll.) (2008). La participation et la représentation politique des femmes au sein des instances démocratiques municipales, Montréal, INRS. BIHR, Alain, et Roland PFEFFERKORN (2008). Le système des inégalités, Paris, La Découverte. BOULET, Maude (2014). Même profession, salaires différents : les femmes professionnelles moins bien rémunérées, Mars 2014, Institut de la statistique du Québec, [en ligne], page consultée le 1er février, http ://www.stat.gouv.qc. ca/statistiques/travail-remuneration/industries/difference-salaire-homme-femme.pdf BOURDIEU, Pierre, et Jean-Claude PASSERON (1964). Les héritiers : les étudiants et la culture, Paris, Édition de Minuit. BOURDIEU, Pierre, et Jean-Claude PASSERON (1970). La reproduction, Paris, Édition de Minuit. BOURQUE, Sandrine (2012). Les réfugiés climatiques dans un vide juridique, 80e congrès de l’ACFAS, [en ligne], page consultée le 7 février 2015, http ://www.acfas.ca/publications/decouvrir/2012/05/refugies-climatiques-dans-vide-juridique. CAMPBELL, Christine, et Paul EID (2009). Judiciarisation des personnes itinérantes à Montréal : un profilage social, Québec, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. CHAMBERLAND, Line, Michaël. BERNIER et Christelle LEBRETON (2009). « Discrimination et stratégies identitaires en milieu de travail : une comparaison entre travailleurs gais et travailleuses lesbiennes », dans L. Chamberland, B. Frank et J. Ristock, Minorités sexuelles et constructions de genre, Ste-Foy, Presses de l’Université du Québec, p. 221-261.
LES INÉGALITÉS
LES INÉGALITÉS
En fin de fascicule, une série d’exercices servent à vérifier la compréhension du propos et à stimuler une réflexion critique sur les questions centrales de la sociologie. Une version numérique du manuel est offerte gratuitement sur aux étudiants comme aux professeurs à l'achat du manuel papier. Accessible en ligne et hors ligne, elle permettra aux enseignants de projeter, d'annoter et de partager des notes avec les étudiants, qui plus . pourront, eux aussi, annoter leur propre version numérique. Le complément numérique est disponible sur
III
TABLE DES MATIÈRES Introduction ..............................................................................................................................................1 PREMIÈRE PARTIE LES INÉGALITÉS SOCIALES VUES PAR LES PRINCIPALES THÉORIES SOCIOLOGIQUES...........3 1. Mise en perspective ...........................................................................................................................5 Qu’est-ce que la propriété privée ?........................................................................................................5 Le droit de posséder .....................................................................................................................5 Inégalités et hiérarchie..................................................................................................................6 Le contexte d’émergence de la sociologie .....................................................................................6 La sociologie, une science critique ? ..............................................................................................7 2. Le fonctionnalisme ............................................................................................................................8 Rappel des notions importantes ...........................................................................................................8 La stratification sociale.........................................................................................................................9 La détermination de la hiérarchie des positions sociales..............................................................11 Les inégalités découlant de la stratification : un problème social ? ...............................................12 La mobilité sociale .............................................................................................................................13 Comment profiter d’une mobilité ascendante ? ...........................................................................14 3. Le marxisme et la théorie du conflit social ...................................................................................15 L’origine des classes sociales ...............................................................................................................16 Rappel des notions importantes..................................................................................................16 Les modes de production......................................................................................................16 Le capitalisme : cause des inégalités sociales..........................................................................16 L’exploitation par la plus-value...........................................................................................................17 Lutte des classes et transformation sociale..........................................................................................18 L’actualisation de la théorie de Marx...................................................................................................19 Du marxisme à la théorie du conflit social .........................................................................................20 4. L’interactionnisme............................................................................................................................22 Rappel des notions importantes .........................................................................................................22 Le concept d’exclusion sociale pour saisir les inégalités......................................................................22 La théorie de l’étiquetage social ..................................................................................................23 L’importance du contexte............................................................................................................25 L’interaction comme explication de l’exclusion sociale ................................................................25 5. La théorie de la reproduction sociale..............................................................................................26 Comment expliquer les inégalités sociales ? .......................................................................................26 Les causes des inégalités scolaires .....................................................................................................28 L’influence du milieu familial ......................................................................................................29 Les facteurs scolaires expliquant la reproduction des inégalités sociales ......................................30 Les cheminements scolaires ..................................................................................................30 Qu’est-ce qu’un bon étudiant ? Les normes scolaires .............................................................30 Et les professeurs dans tout cela ?..........................................................................................31
Table des matières
V
DEUXIÈME PARTIE LES DIFFÉRENTES FORMES D’INÉGALITÉS.....................................................................................34 6. Les inégalités socio-économiques ...................................................................................................35 Présentation des concepts ..................................................................................................................36 Les indicateurs des inégalités socio-économiques .......................................................................36 Le coefficient de Gini............................................................................................................36 Les quintiles et les déciles .....................................................................................................37 Les indicateurs de pauvreté ........................................................................................................38 Le seuil de faible revenu .......................................................................................................38 La mesure du panier de consommation ................................................................................38 Pauvreté absolue et pauvreté relative ....................................................................................39 Une définition sociologique de la pauvreté ...........................................................................39 Les causes des inégalités socio-économiques......................................................................................40 Les conséquences des inégalités socio-économiques ..........................................................................41 Les effets de la pauvreté sur l’individu ........................................................................................41 Les effets sur la santé physique et mentale ............................................................................41 La capacité de faire des choix................................................................................................42 La reproduction sociale ........................................................................................................42 Les effets des inégalités socio-économiques sur la société ...........................................................42 Les inégalités socio-économiques à l’échelle mondiale ................................................................42 7. Les inégalités sexuelles ...................................................................................................................45 Présentation des concepts .................................................................................................................45 Le patriarcat ...............................................................................................................................45 Sexe et genre ..............................................................................................................................46 La socialisation différenciée ........................................................................................................46 Discrimination systémique .........................................................................................................46 Quelles formes les inégalités de sexe peuvent-elles prendre ?..............................................................47 Le corps .....................................................................................................................................47 La planification des naissances..............................................................................................47 Utilisation du corps de la femme comme objet .....................................................................48 Le savoir.....................................................................................................................................48 L’accès à l’éducation ..............................................................................................................48 Le pouvoir..................................................................................................................................49 Liberté individuelle et statut juridique ..................................................................................49 La violence envers les femmes ..............................................................................................49 La participation au marché du travail....................................................................................50 La représentation politique des femmes ................................................................................51 8. Les inégalités ethniques ..................................................................................................................54 Comprendre le racisme......................................................................................................................54 L’origine du concept de race .......................................................................................................54 De la race au racisme..................................................................................................................55 L’esclavage aux États-Unis ....................................................................................................55 L’apartheid en Afrique du Sud ..............................................................................................55 La fin de l’acceptabilité sociale du concept de race......................................................................56 Comprendre l’ethnocentrisme............................................................................................................56 Les minorités visibles et sociales .................................................................................................57
VI
LES INÉGALITÉS
9. Les inégalités de santé.....................................................................................................................60 Les inégalités sociales de santé : constats ............................................................................................60 Les déterminants sociaux de la santé..................................................................................................62 Le statut socio-économique ........................................................................................................62 Le sentiment de contrôle et l’exposition au stress..................................................................63 Les habitudes de vie ...................................................................................................................63 L’environnement physique ..........................................................................................................64 Le système de santé ....................................................................................................................65 La théorie de la distance culturelle........................................................................................65 10. Les inégalités écologiques ...............................................................................................................66 Le droit à un environnement sain : inégalités d’accès .........................................................................66 Les conséquences sur les conditions de vie.................................................................................67 Les causes de la migration forcée des réfugiés environnementaux...............................................68 Un accusé principal : les changements climatiques................................................................68 La justice environnementale .................................................................................................69
Conclusion ..............................................................................................................................................71 Exercices .................................................................................................................................................72 Aide-mémoire....................................................................................................................................72 Questions sur la matière ....................................................................................................................72 Pour approfondir ...............................................................................................................................73 Travail d’analyse.................................................................................................................................75 Exploration .............................................................................................................................................76
Table des matières
VII
CHAPITRE 2
Le FONCTIONNaLISme Comment les inégalités sociales sont-elles perçues et analysées par les fonctionnalistes ? Sont-elles une fatalité naturelle ou le résultat de dynamiques sociales ? À quoi servent-elles ? Pouvons-nous agir sur elles ?
RAPPEL DES NOTIONS IMPORTANTES
Émile Durkheim (1858-1917) Émile Durkheim est un des fondateurs de la sociologie. Il a publié deux ouvrages majeurs (De la division du travail social et Le suicide) qui ont donné à cette nouvelle discipline une perspective spécifique. Influencé par le courant positiviste en sciences sociales, il s’appuie sur la biologie pour construire son modèle d’analyse et, plus précisément, sur le corps humain. Figure de proue du fonctionnalisme, il définira le fait social comme l’objet de la sociologie.
Le fonctionnalisme est une théorie sociologique riche de plusieurs courants et portée par de nombreux auteurs, les plus connus étant Émile Durkheim, Bronislaw Malinowski, Robert K. Merton et Talcott Parsons. Les fonctionnalistes considèrent la société comme un système composé d’institutions, de groupes et d’individus. Tous ces éléments doivent collaborer pour faire fonctionner la société et en assurer la stabilité. Les individus et les institutions occupent des fonctions et des rôles sociaux qui les mettent en interdépendance, afin de produire un arrangement optimal, propre à générer de la solidarité. Ces rôles sont, en général, choisis par les individus selon leur talent, c’est-à-dire que leurs habiletés particulières et leurs aptitudes les amènent à développer des compétences que la société mettra à profit. Ces compétences sont le plus souvent en relation avec un métier, un emploi, une occupation.
Cette approche est déterministe, c’est-à-dire qu’elle conçoit l’être humain comme étant conditionné par la société. L’individu intériorise les valeurs et les normes d’une culture donnée par le processus de socialisation. C’est ce processus de socialisation qui permet aux individus d’apprendre comment se comporter pour mieux s’intégrer à la société. Cette intégration sociale se réalise dans l’accomplissement de différents rôles sociaux. Comme la société fonctionne tel un corps humain, selon les fonctionnalistes, les individus et les institutions travaillent de concert dans un principe de complémentarité et de solidarité. Chaque élément de la société exerce une ou des fonctions spécifiques. On peut illustrer ce propos par l’exemple des agents de socialisation :
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la famille remplit les besoins essentiels de ses membres, notamment par l’alimentation, la transmission du langage et l’apprentissage des normes d’hygiène et de savoir-vivre ;
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l’école prépare les étudiants au marché du travail ;
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l’État gouverne en votant des lois et en répondant aux besoins de la population en élaborant des politiques et des programmes ;
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les groupes religieux assurent une fonction spirituelle ;
LES INÉGALITÉS SOCIALES VUES PAR LES PRINCIPALES THÉORIES SOCIOLOGIQUES
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les pairs permettent à l’individu de construire sa personnalité et de connaître l’amitié et l’entraide ;
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les médias ont, entre autres, des fonctions de divertissement et d’information. Ils influencent également les comportements, par exemple, la tenue vestimentaire ;
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le marché du travail conditionne les individus à standardiser leurs comportements en fonction de l’emploi recherché.
Le respect de cette organisation de la société permet à celle-ci d’être stable et de préserver la cohésion sociale. Nous avons besoin les uns des autres. Citoyens modernes, nous vivons dans une interdépendance que Durkheim nommait la solidarité organique dans son livre De la division du travail social. Ce type de solidarité vient du fait que chaque individu a un rôle et un statut précis, et chaque individu compte sur l’apport de tous les membres de la société pour Les normes sociales permettent aux individus de vivre ensemble. couvrir ses besoins. Cette notion expose le processus de différenciation et de spécialisation des fonctions, qui démontre que nous ne pouvons pas être tous des boulangers ou des médecins. Dans ce contexte, les individus avec différents talents et aptitudes qui sont orientés dans divers emplois sont positionnés dans une hiérarchie sociale. En relation avec les valeurs sociales dominantes, certaines catégories socioprofessionnelles sont valorisées et d’autres non. Nous verrons plus loin pourquoi et comment ce phénomène se produit.
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En résumé, groupes, institutions et individus ont des fonctions particulières et remplissent des rôles. Par exemple, certains enseignent, d’autres soignent, réparent des voitures, votent des lois, s’occupent des enfants, etc. Selon Durkheim, chaque individu doit avoir sa place, son rôle dans la société, un rôle qu’il accepte et avec lequel il est en harmonie. Cette harmonie est le résultat de la concordance entre l’emploi exercé et les talents « naturels » de l’individu.
LA STRATIFICATION SOCIALE Il a été mentionné que les individus choisissent leur rôle en fonction de leurs talents et de leurs aptitudes. Cependant, les choix sont conditionnés et déterminés en grande partie par la structure sociale. Autrement dit, comme nous l’avons vu précédemment, c’est par le processus de socialisation que les individus sont influencés dans leur prise de décisions. Par exemple, le milieu familial peut orienter le cheminement professionnel d’un individu, qui voudra peut-être suivre la trace de ses parents.
Le fonctionnalisme
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Pour mieux comprendre la position sociale occupée par les individus dans la hiérarchie sociale, on doit avoir recours au concept fonctionnaliste de stratification sociale. Cet ordre hiérarchique procède à une classification des individus à l’aide de différents instruments de mesure, soit des classifications selon la catégorie socioprofessionnelle, la classe sociale, le sexe, l’âge, l’ethnie ou même le prestige. C’est donc par cette stratification sociale que l’on peut saisir les inégalités dans les termes fonctionnalistes. En prenant l’exemple des catégories socioprofessionnelles, nous pouvons observer une répartiLa famille a une grande influence sur le choix professionnel futur des enfants. tion hiérarchique qui montre une distribution inéquitable de la scolarité, du pouvoir, du prestige et du revenu. Les catégories socioprofessionnelles sont une référence pertinente dans l’analyse des inégalités sociales dans une société capitaliste comme la nôtre, où la valeur du travail est centrale. On représente souvent cette stratification sous la forme d’une échelle ou encore d’une pyramide, où les professions et positions sociales sont classées en strates. Par strate, nous entendons des catégories dans lesquelles les individus ont un emploi, un niveau de scolarité, des aptitudes, un niveau de pouvoir et un revenu similaires. Ainsi, chaque catégorie socioprofessionnelle peut être une strate, car l’ensemble des individus qui en font partie ont sensiblement le même rôle social. Ces rôles donnent lieu à des statuts sociaux particuliers. Le statut social désigne la position que l’on occupe dans la structure sociale en relation avec la perception sociale que l’on a du rôle. Ce rôle estil vu comme étant prestigieux ? Donne-t-il du pouvoir ? Est-il dévalorisé ? Par exemple, dans notre société, le rôle social du médecin est très valorisé ; cela donne donc lieu à un revenu élevé et à un statut social hautement reconnu. Il nous reste maintenant à comprendre pourquoi certaines catégories socioprofessionnelles sont valorisées plus que d’autres et se trouvent en haut de la stratification sociale.
Talcott Parsons (1902-1979) Sociologue états-unien et père de la théorie du structuro-fonctionnalisme, courant influent du fonctionnalisme, Talcott Parsons élabore une théorie de l’action sociale. Cette action est réalisée par un acteur, mais celui-ci s’inscrit dans un ensemble de systèmes. Ainsi, l’acteur ne contrôle pas entièrement les situations dans lesquelles il agit. Il élabore également une théorie de la socialisation. Ces œuvres majeures sont The Structure of Social Action, publiée en 1937, et The Social system, en 1951.
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La détermination de la hiérarchie des positions sociales Selon Parsons, l’action sociale est déterminée par les valeurs et les normes de la société. Comme nous l’avons vu, les individus orientent leur choix professionnel selon ces déterminants. Ainsi, ils sont intégrés au système social (la stratification) pourvu qu’ils en respectent les normes inhérentes. Les valeurs dominantes poussent également les individus à apprécier davantage certaines professions plutôt que d’autres. Ces différences peuvent donner lieu à des inégalités de rémunération, des conditions de travail plus ou moins avantageuses (régime de retraite généreux, assurance médicale fournie, etc.), ou à la reconnaissance sociale de ces professions. Or, toujours selon Parsons, ce sont les valeurs reconnues et partagées par les membres d’une société considérées comme les plus significatives qui vont établir une échelle des professions. Par le fait même, les strates sont accompagnées d’un statut socioprofessionnel correspondant qui donne un prestige relatif aux différentes professions. Dans ce contexte, le degré de nécessité des services amène certains métiers à être considérés comme indispensables dans une société. Nous pouvons prendre comme exemple les médecins et les policiers. Les conditions de pratique des professions sont déterminantes également dans la détermination du salaire ; on peut penser encore une fois aux policiers, mais aussi aux pompiers et aux métiers de la construction. L’investissement de la part des individus qui le pratiquent est à prendre en considération, particulièrement en ce qui concerne la durée et la nature des études. En effet, certains cheminements scolaires nécessitent des habiletés spécifiques, un « talent » que ne possèdent pas tous les individus. Comme le mentionne Parsons, outre la fonction de socialisation, l’agent de socialisation école a une seconde fonction, soit celle de sélection sociale. En général, la gratification future qui motive ces individus à suivre un parcours scolaire plus long viendra d’un salaire plus élevé que la moyenne et d’une valorisation sociale. Selon cette analyse sociologique, ces personnes doivent donc être « récompensées » pour cet apport et pour l’effort consenti. On peut conclure que cette vision fonctionnaliste de la hiérarchie professionnelle est méritocratique.
CONCEPT
LA MÉRITOCRATIE Une société méritocratique est un système hiérarchique récompensant les plus « méritants » selon les valeurs et les normes dominantes, ceux qui sont identifiés comme étant « les meilleurs ». D’un autre côté, on sanctionne les gens ayant des difficultés et n’atteignant pas un certain niveau d’excellence. Nous pouvons affirmer que le système d’éducation est méritocratique. Dans notre société, les médecins sont perçus comme étant très méritants, entre autres en raison du long et difficile cheminement scolaire nécessaire pour parvenir à l’exercice de leur profession. Cependant, une personne itinérante ou un assisté social sont vus comme n’ayant pas fourni les efforts nécessaires à leur réussite individuelle et sociale, ce qui les empêche d’accéder à de meilleures conditions de vie.
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Par rapport à certaines professions, d’autres paramètres serviront à établir la rémunération, qui peut être comprise comme étant une expression de la valeur sociale de la profession. Par exemple, la reconnaissance par le public, l’accès au statut de « vedette », est un facteur déterminant du revenu. Nous pouvons assez bien expliquer que des personnalités publiques telles que Céline Dion soient riches. Le fait de travailler dans un secteur de l’économie où l’argent circule abondamment est également un élément important. Par exemple, les joueurs de hockey professionnels sont plutôt privilégiés quant à leur rétribution. Les droits de diffusion des matchs de même que la vente de produits dérivés procurent des revenus non négligeables aux directions des équipes de hockey, ce qui permet aux joueurs de se négocier des salaires très élevés, évidemment en fonction de leur « valeur » et de leur prestige sur le marché des joueurs, et cela, en relation avec leurs habiletés et aptitudes en tant que joueurs. Cela est possible, car le sport exerce dans notre société d’importantes fonctions de divertissement et d’expression d’un sentiment d’appartenance à une communauté (Defrance, 2011).
Tous les métiers remplissent une fonction, mais ils n’ont pas tous la même valorisation sociale.
Prenons un exemple de métier moins valorisé, cette fois-ci : le métier de plongeur dans un restaurant. Il est socialement accepté que le salaire lié à cet emploi soit plutôt bas, malgré les conditions parfois difficiles d’exercice de l’emploi, car les qualifications requises sont minimes et le cheminement scolaire est court. Cependant, les fonctionnalistes peuvent souligner l’importance de cette fonction professionnelle dans la société. On rappelle ainsi que tous les individus ont un rôle important à remplir au sein de nos sociétés contemporaines. Par contre, il faut néanmoins accepter les inégalités qui découlent de la stratification des fonctions socioprofessionnelles. Bien qu’elles soient toutes nécessaires, elles ne sont pas toutes valorisées par les valeurs communes et dominantes. Vous trouverez un exercice à la fin de cet ouvrage vous permettant de mieux comprendre ce phénomène.
Les inégalités découlant de la stratification : un problème social ? Les fonctionnalistes ne considèrent pas que les inégalités inhérentes aux professions (salaires, conditions de travail, etc.) sont en elles-mêmes un problème social. Il est vu comme normal que les plus « talentueux » de la société bénéficient d’un revenu plus élevé que la moyenne et d’un statut plus prestigieux. Cette situation fait dire aux fonctionnalistes que les inégalités sont inévitables, et même, dans certains cas, nécessaires. Nécessaires, car il faut que certains individus soient motivés à faire les
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efforts pour occuper certaines professions importantes pour la société et demandant des investissements individuels de plusieurs ordres, notamment de temps, de scolarisation et d’argent. Il est important de noter que la valorisation sociale et le prestige de certains métiers ou occupations se fondent sur des valeurs et des croyances qui changent d’une société à une autre. Cette analyse fonctionnaliste fait en sorte que nous acceptons les inégalités de salaires entre les différents métiers, et donc que certains individus soient plus fortunés que d’autres. Les facteurs vus précédemment sont des éléments explicatifs des écarts de revenus, qui sont donc « légitimes » selon cette école de pensée.
Comme mentionné précédemment, le fonctionnalisme est une approche théorique déterministe. Les individus sont considérés comme conditionnés par leur environnement social et ayant peu d’impact sur ce dernier. Pareillement, les inégalités engendrées par les strates échappent en partie au contrôle des individus. Ces strates précèdent les individus et les déterminent forcément. Ce déterminisme peut paraître inflexible, créant des inégalités et des injustices qui semblent condamner l’individu à reproduire intégralement les comporte- L’amélioration des conditions de vie passe par une mobilité sociale ascendante, fruit d’un changement de statut professionnel. ments de son environnement social. Toutefois, les fonctionnalistes apportent des nuances à cette analyse en introduisant le concept de mobilité sociale. Même si les individus n’ont pas de pouvoir de changement sur la composition des catégories elles-mêmes, au contraire des castes, ils n’y sont pas confinés, c’est-à-dire qu’ils peuvent changer de strate. Soit ils améliorent leurs conditions socioprofessionnelles et bénéficient d’une mobilité ascendante, soit ils perdent des privilèges à la suite de difficultés et subissent une mobilité descendante. Nous verrons que lorsqu’il est question de mobilité sociale, l’école joue un grand rôle.
CONCEPT
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LA MOBILITÉ SOCIALE
LE DÉTERMINISME SOCIAL C’est la perspective sociologique expliquant les comportements des individus par l’environnement social ainsi que par les structures sociales comme la famille, l’école, les amis, le quartier, etc. Pour les sociologues déterministes, les comportements humains doivent être expliqués par les structures sociales et non par des choix individuels, car ceux-ci sont également influencés par l’environnement social.
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CONCEPT
LE SYSTÈME DE CASTES Il s’agit d’un système hiérarchique qui divise les catégories de personnes par la transmission héréditaire du statut. Ces catégories sociales identifient des groupes d’individus en situation de domination et de subordination. Les différences fondamentales entre les strates et les castes sont que ces dernières ne découlent pas de la place de l’individu dans l’économie et identifient des rôles sociaux spécifiques très stricts. Dans ce type de système, la mobilisation sociale est impossible. On a en particulier observé cette organisation hiérarchique en Inde.
La mobilité sociale peut être vécue par un individu, mais aussi par des générations. On a observé, par exemple, que la génération qui a suivi celle des baby-boomers, appelée la génération X, a eu des conditions de travail plus difficiles étant donné les transformations de l’économie et du marché du travail depuis les années 1980 (Noiseux, 2014). Ainsi, dans certaines familles, les enfants se sont retrouvés dans une strate moins « élevée » que celle de leurs parents. En général, la maladie, une réorientation professionnelle, la parentalité et des crises économiques sont des facteurs parmi d’autres qui peuvent être à la source d’une mobilité descendante. Mais ce qui intéresse particulièrement les fonctionnalistes, c’est la possibilité pour les individus de bénéficier d’une mobilité ascendante, ce qui peut signifier moins d’injustice.
Comment profiter d’une mobilité ascendante ? Les fonctionnalistes ont une réponse assez claire à cette question : la fréquentation scolaire et la diplomation. Ainsi, la démocratisation de l’éducation qu’a connue le Québec moderne a permis à des générations de gravir certains échelons de la pyramide sociale en comparaison de la position occupée par leurs parents. Cette accessibilité fait en sorte que tous les individus, qui ont à la base certains talents et qui y mettent les efforts nécessaires, peuvent accéder aux plus hautes fonctions. Certains sociologues s’intéressant particulièrement au domaine de l’éducation, tel Pierre Bourdieu, auront tôt fait de critiquer et de relativiser cette vision des choses.
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En somme, nous avons vu comment les fonctionnalistes expliquent les inégalités sociales. La hiérarchie pourrait être bénéfique pour la société si tout le monde accepte la place qui est la sienne. Ainsi, avec le concept de division du travail social, les fonctionnalistes peuvent en venir à considérer les inégalités sociales comme étant nécessaires pour la cohésion et le bon fonctionnement de la société.
La diplomation universitaire permet l’accession à des emplois mieux rémunérés en général.
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LES INÉGALITÉS SOCIALES VUES PAR LES PRINCIPALES THÉORIES SOCIOLOGIQUES
CHAPITRE 5
La THÉORIe De La RepRODUCTION SOCIaLe La théorie de la reproduction sociale est un bel exemple d’une pensée sociologique innovante de la deuxième moitié du 20e siècle. Celle-ci a été élaborée par Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, qui se sont inspirés des théories déterministes classiques.
COMMENT EXPLIQUER LES INÉGALITÉS SOCIALES ? Les inégalités sont-elles liées uniquement à une mauvaise redistribution de la richesse ? Sont-elles vraiment le produit de nos talents individuels distinctifs ? Qu’en est-il vraiment de ces talents ? Y a-t-il des agents de socialisation particuliers qui pourraient expliquer ces inégalités ? La compréhension de celles-ci passet-elle par l’exclusion ?
Pierre Bourdieu (1930-2002) S’inscrivant dans une perspective déterministe, il consacre la majorité de ses recherches sociologiques à la compréhension de la reproduction des inégalités sociales, et celles plus précisément liées à l’école. Il écrit avec JeanClaude Passeron (1930- ) deux ouvrages marquants en sociologie : La reproduction et Les Héritiers. Il fut l’un des sociologues les plus influents de la deuxième moitié du 20e siècle.
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Au sein de cette théorie contemporaine, les inégalités sociales sont analysées à la lumière de l’institution scolaire. En effet, le système d’éducation serait un facteur déterminant dans la création et le maintien des inégalités à l’intérieur de nos sociétés. L’hypothèse de départ est que le système d’éducation diffuse et impose une culture qui est loin d’être neutre socialement. Bien au contraire, cette culture serait celle des classes dominantes, de l’élite sociale. Par cette culture éducative favorisant les enfants des classes supérieures et moyennes, l’école met en place une sélection sociale qui défavorise les enfants de milieux moins aisés. Il y aurait, par exemple, une corrélation entre l’origine sociale et le décrochage scolaire. Voici un exemple tiré d’une étude montréalaise qui illustre assez bien ce lien. Cette étude s’intéresse au parcours des jeunes du secondaire en fonction de l’indice de vulnérabilité socioéconomique. L’indice de vulnérabilité est calculé à partir de six éléments :
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le premier est la proportion d’enfants de 6-17 ans vivant dans des familles prestataires d’assistance-emploi ;
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le second est la proportion d’enfants de 5-17 ans vivant dans des familles sous le seuil de faible revenu ;
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ensuite, la proportion d’enfants de 0-17 ans vivant dans des familles monoparentales féminines ;
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la proportion de familles immigrantes avec enfants de 0-17 ans vivant sous le seuil de faible revenu ;
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la proportion de parents avec enfants de 0-17 ans sans diplôme ni certificat ;
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finalement, le taux de chômage des parents avec enfants de 0-17 ans.
LES INÉGALITÉS SOCIALES VUES PAR LES PRINCIPALES THÉORIES SOCIOLOGIQUES
Nous pouvons constater dans le graphique suivant que plus l’indice de vulnérabilité s’accroît, plus le taux de sortie des jeunes du secondaire sans diplôme augmente. Les différents points représentent tous les CLSC de Montréal. Taux de sortie sans diplôme du secondaire (2008-2009) en fonction de la vulnérabilité socioéconomique des jeunes (2006) dans les CLSC de Montréal
ÉTaux de sortie sans diplôme (%)
60 50 40 30 20 10 0 -10
-8
-6
-4 -2 0 2 4 Indice de vulnérabilité socioéconomique
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Source : Direction de la santé publique, Agence de la santé et des services sociaux de Montréal (2012) Le décrochage scolaire chez les jeunes du secondaire du réseau public à Montréal.
C’est cette réalité que la théorie de la reproduction sociale tente d’expliquer, c’est-à-dire ce qui fait en sorte que les étudiants venant de milieux défavorisés sont surreprésentés dans les statistiques sur le décrochage scolaire.
CONCEPT
SOUS-REPRÉSENTATION ET SURREPRÉSENTATION Ces notions sont comprises en relation avec la représentation d’une catégorie sociale dans une problématique ou une situation spécifique. Nous dirons qu’une catégorie d’individus est surreprésentée dans les statistiques si sa proportion dans la problématique est plus importante que dans la réalité. À l’inverse, nous affirmons qu’une catégorie sociale est sousreprésentée si sa représentation est moindre dans la problématique que sa proportion réelle. On peut utiliser l’exemple de la sous-représentation féminine en politique. Comme les femmes composent environ 50 % de la population, on considère qu’elles devraient être représentées dans la même proportion dans les instances de pouvoir. C’est dans cette perspective que la parité à l’Assemblée nationale reste un objectif, c’est-à-dire qu’il y ait le
La théorie de la reproduction sociale
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même nombre de députés masculins que de députées féminines. Par rapport à l’exemple qui nous intéresse, nous pouvons constater que sur le territoire du CSSS de Verdun, un des quartiers pauvres de Montréal, le taux de décrochage est de 39,3 %, comparativement à l’ouest de l’île, une région qui comprend, entre autres, Westmount, où les jeunes ne décrochent que dans une proportion de 11,4 %. Le taux moyen de décrochage dans l’île de Montréal est de 25 %. Les jeunes habitant le quartier plus défavorisé sont donc surreprésentés dans ces statistiques sur le décrochage.
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LES CAUSES DES INÉGALITÉS SCOLAIRES Partant du postulat que les classes sociales différentes ont une culture différente (culture bourgeoise et culture ouvrière), Bourdieu et Passeron transposent cette idée aux sociétés d’aujourd’hui. Pour eux, chaque classe sociale développe des habitus distincts. C’est l’intériorisation de ces habitus qui oriente les comportements, façonne les attitudes et les aptitudes de chaque enfant. Ainsi, cette intériorisation expliquerait partiellement le succès scolaire de certains élèves (venant de classes favorisées) et les échecs d’autres (classes défavorisées). Les enfants héritent en général de l’habitus, de la culture et, par le fait même, de la position sociale de leurs parents. De là l’appellation de la théorie de la reproduction sociale. En raison de cette transmission culturelle, les enfants reproduisent les modèles sociaux de leurs parents et leurs propres enfants reproduiront probablement leur position sociale. Les enfants intègrent très jeunes leur habitus, lequel sera déterminant pour leur place future dans la société.
DE PLUS PRÈS
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LES NOTIONS IMPORTANTES DU VOCABULAIRE DE BOURDIEU Bien que Bourdieu ait élaboré un langage sociologique riche avec plusieurs notions qui sont devenues incontournables, deux de celles-ci sont centrales pour notre propos. Pour poursuivre la présentation de la théorie de la reproduction sociale, il est essentiel de s’assurer de la compréhension des concepts de capital et d’habitus. Habitus Bourdieu nous explique que l’habitus est produit par un conditionnement associé à une classe sociale ou un milieu social qui oriente les pratiques, les comportements, les actions et les représentations sociales des individus. Autrement dit, le fait d’appartenir à un milieu en particulier et d’être socialisé par des agents de socialisation spécifiques aura une incidence certaine sur les attitudes, aptitudes et comportements des personnes. Pour Bourdieu, l’habitus peut contenir autant des connaissances générales, des aptitudes pour l’école ou pour un métier que des goûts alimentaires ou vestimentaires.
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Comme nous le verrons, le concept d’habitus est essentiel pour comprendre les inégalités sociales relativement à l’école. Effectivement, le cheminement scolaire des étudiants de milieux défavorisés est moins long que celui des enfants des milieux favorisés, et cela doit être mis en lien avec leur socialisation. Capital Par capital, Bourdieu n’entend pas seulement sa déclinaison économique. La définition qu’il en donne est beaucoup plus vaste et regroupe plusieurs formes de capital. • Le capital économique est défini par les possessions matérielles et financières accumulées par un individu ou un groupe social. • La deuxième forme de capital est culturelle. Ce type de capital regroupe aussi bien les connaissances générales que scolaires et les diplômes acquis. • Ensuite, nous dira Bourdieu, il existe un capital social. Celui-ci se traduit par l’ensemble des relations sociales, les contacts et les amitiés entretenus par un individu ou un groupe social. • La quatrième et dernière forme de capital est symbolique. Cette forme est plus abstraite. Elle représente la reconnaissance et la légitimité par les tiers de la position sociale occupée par un individu. Comme nous allons le voir, les professeurs sont dans une position d’autorité par rapport à leurs élèves par leur pouvoir de sanction. À travers cette forme particulière de capital, nous pouvons saisir que dans tous les arrangements sociaux il y a des gens en fonction de leur rôle social qui ont du pouvoir et d’autres pas. Cette distribution inégale du pouvoir entraîne des inégalités sociales.
L’influence du milieu familial Pour les auteurs, les inégalités scolaires seraient donc moins reliées au capital économique qu’au capital culturel, bien que l’on ne puisse nier qu’il y ait un lien certain entre les deux formes. Les parents de milieux défavorisés ont un capital culturel qui concorde moins avec celui du système scolaire, car ils ont eu un cheminement court, c’est-à-dire qu’ils n’ont souvent pas fait d’études postsecondaires. L’acquisition du capital culturel est intimement liée à celui des parents. À titre d’exemple, l’enfant venant d’un milieu modeste a moins l’occasion de lire, va moins au musée et dans les bibliothèques, et il est moins stimulé intellectuellement, en général. Le fait de lire, d’aller au musée ou bien d’être entouré de personnes informées sur les enjeux sociaux et politiques favorise une meilleure intégration dans le système scolaire. Dans la même dynamique, le capital culturel reconnu et valorisé au sein de l’école est un capital culturel appris dans les classes favorisées. Effectivement, les programmes scolaires sont élaborés par des personnes instruites ayant un fort capital culturel. Bien qu’il y ait toujours un souci d’aider les étudiants en difficulté, les normes dominantes dans le système éducatif sont liées aux aptitudes et aux compétences des classes moyennes et supérieures. La culture des classes populaires a tendance à être dévalorisée.
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De nombreux parents venant de milieu défavorisé voient l’institution scolaire comme étant hostile à leur endroit et manifestant peu de compréhension à l’égard de leur situation. En fait, ces parents n’arrivent pas à mobiliser suffisamment les compétences parentales nécessaires pour accompagner leur enfant dans son cheminement scolaire. Des recherches démontrent qu’un plus grand rapprochement entre les parents de milieux défavorisés et l’institution scolaire serait bénéfique pour l’enfant. L’école devrait s’adapter davantage au milieu d’origine de ces élèves (Kanouté, 2006).
Les facteurs scolaires expliquant la reproduction des inégalités sociales Ces facteurs explicatifs sont au nombre de quatre. Premièrement, il sera question des cheminements scolaires différents des enfants des quartiers favorisés et ceux de quartiers défavorisés. Ensuite, nous verrons la définition d’un bon élève. Comme troisième facteur, nous expliquerons la place centrale de la profession d’enseignement dans cette reproduction des inégalités sociales et pour terminer, nous traiterons du type de langage parlé par le milieu familial. LES CHEMINEMENTS SCOLAIRES L’institution scolaire secondaire et collégiale est généralement divisée en deux cheminements : l’un est plus court et sert le secteur technique (DEP, AEC, etc.) et l’autre mène vers des techniques collégiales et l’université. Le cheminement plus allégé est majoritairement parcouru par les étudiants venant d’un environnement socio-économique moins favorisé. Nous parlons ici de programmes professionnels du niveau secondaire qui préparent hâtivement au marché du travail. Ces étudiants sont dirigés par les professionnels du système scolaire, par exemple, des conseillers d’orientation, en fonction de leurs attitudes et aptitudes. Cependant, ces dernières ne sont pas le reflet des qualités individuelles « naturelles », mais trouvent leur origine dans le contexte social et familial. Les enfants venant de milieux favorisés ont en moyenne de meilleurs résultats et sont perçus comme ayant de la facilité dans leurs études ; ils sont donc encouragés à suivre le cheminement long, c’està-dire un cheminement permettant l’accès aux études universitaires. Cette division scolaire favorise ainsi le maintien des inégalités sociales, car le cheminement universitaire donne, en général, la possibilité d’un revenu plus élevé (Frenette, 2014).
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QU’EST-CE QU’UN BON ÉTUDIANT ? LES NORMES SCOLAIRES
Une des normes sociales d’un comportement attendu des étudiants : lever la main pour poser une question ou y répondre.
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Nous avons évoqué précédemment que les normes que prônent l’école et les normes intériorisées dans les milieux favorisés sont sensiblement les mêmes : une bonne culture générale, un langage soigné, la valorisation de l’éducation en sont de bons exemples. Dans ce cadre, l’étudiant perçu comme un « bon étudiant », c’est-à-dire posant les gestes appropriés au sens des normes du point de vue du professeur, est souvent l’enfant venant d’un milieu favorisé. Ces mêmes normes sociales peuvent être tant des connaissances que des comportements. À l’inverse, parce qu’ils sont le produit d’une culture et d’un capital culturel
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différents, les comportements et les normes des milieux moins favorisés sont discrédités et les enfants étiquetés comme des individus à problèmes et même « anormaux ».
Enfin, il faut préciser que le système scolaire s’appuie sur des mécanismes de sélection et une normalisation des acquis (Baudelot et Establet, 1972). Nous entendons par normalisation des acquis que chaque étudiant doit atteindre un niveau de connaissances ou de compétences pour avoir accès au grade suivant. Par exemple, pour qu’un élève de première année puisse passer en deuxième année du primaire, il faut qu’il soit parvenu à atteindre les objectifs de lecture et d’écriture nécessaires. S’il ne réussit pas, il doit recommencer sa première année. Bien que nous sachions que les élèves n’arrivent pas à l’école avec le même bagage de connaissances en fonction de leur milieu, ils sont tous évalués de la même manière. Cette normalisation des acquis qui est similaire à la culture dominante favorise les élèves de milieux nantis, ce qui peut être une des hypothèses explicatives du taux de décrochage La normalisation des acquis favorise certains enfants et en défavorise d’autres scolaire plus élevé dans les milieux plus dé- en fonction de leur contexte social. Tous les élèves n’entament pas leur cheminement scolaire avec un bagage équivalent. favorisés.
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Nous pouvons donner un exemple concret d’une norme sociale qui fonde l’inégalité des chances face à la connaissance. Il a été démontré et répertorié qu’il existe des différences linguistiques entre les milieux favorisés et défavorisés. Les milieux favorisés transmettraient le langage de type formel et les milieux défavorisés, un langage de type commun (Bernstein, 1975). Le langage formel réfère à une langue qui respecte les règles de grammaire, qui a un vocabulaire riche et approprié aux situations qu’elle tente de décrire. C’est le langage utilisé par l’élite intellectuelle et par les médias, la plupart du temps. Le langage commun, pour sa part, est davantage caractérisé par des phrases courtes avec une syntaxe instable et un emploi minimal de mots. L’emploi de sacres peut être une caractéristique de ce langage. Ce type de langage devient souvent un symbole de spécificité culturelle, par exemple le joual au Québec. Encore une fois, nous pouvons dire que le langage formel est le langage scolaire, alors que le langage de type commun, aussi appelé « familier », est sanctionné négativement dans cette institution.
ET LES PROFESSEURS DANS TOUT CELA ? Les professeurs sont importants dans cette reproduction sociale, bien malgré eux, car ils sont les exécutants de l’appareil scolaire et ce sont eux qui mettent en application les mécanismes de sélection à l’intérieur de la classe, ce sont eux qui reconnaissent les « bons » et les « mauvais » étudiants. Cette reconnaissance se matérialise par leur pouvoir de sanction. Dans ce contexte particulier, les « bons» sont sanctionnés positivement avec de bons résultats et inversement, les « mauvais » le sont négativement avec des résultats médiocres. Ces sanctions sont toujours liées aux valeurs et aux normes sociales dominantes de l’institution scolaire. Ces valeurs et normes sociales prônées par l’institution
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sont incluses dans les programmes d’enseignement et les compétences à atteindre, de même que les contenus essentiels à apprendre. Ces sanctions répétées entraînent par effet d’accumulation des retards, des échecs et, dans plusieurs cas, le décrochage. Le capital symbolique dont bénéficient les professeurs les place dans une position de domination, ce qui explique en partie pourquoi, malgré leur position d’autorité, ces individus en situation de pouvoir font rarement face à de la contestation. Par exemple, la position de l’enseignant dans une Le professeur met en application les programmes éducatifs et évalue la classe est reconnue et légitime aux yeux des étumatière enseignée. Il est la personne qui sanctionne dans l’institution scolaire. diants, même si cette position en est une d’autorité. Les étudiants vont se plaindre s’il leur semble que les règles ont été appliquées injustement. Cependant, les règles en tant que telles ne sont pas contestées, ce qui maintient en place les normes dominantes. Nous venons de voir des facteurs explicatifs de l’écart de réussite et de persévérance scolaires entre les élèves aisés et défavorisés. Lorsqu’il est question de réussite scolaire, une autre catégorie est souvent prise en compte, celle du genre. On s’inquiète particulièrement du décrochage et des échecs chez les garçons. On peut se demander quel facteur est le plus déterminant. Les tableaux suivants nous permettent de nous rendre compte que c’est l’origine sociale plutôt que le genre qui provoque les écarts les plus importants dans les taux de décrochage. Différence du taux de décrochage scolaire entre les genres et selon l’origine sociale (garçons), Québec, réseau public, 2008-2009 Différence selon le genre
Différence chez les garçons selon l’origine sociale
Garçons = 25,8 %
Garçons de milieux défavorisés = 35,9 %
Filles = 17,4 %
Garçons de milieux favorisés = 15,6 %
Écart = 8,4 points de pourcentage
Écart = 20,3 points de pourcentage
Différence du taux de décrochage scolaire entre les genres et selon l’origine sociale (filles), Québec, réseau public, 2008-2009 Différence selon le genre
Différence chez les filles selon l’origine sociale
Garçons = 25,8 %
Filles de milieux défavorisés = 26,1 %
Filles = 17,4 %
Filles de milieux favorisés = 8,7 %
Écart = 8,4 points de pourcentage
Écart = 17,4 points de pourcentage
Source : CSQ, Le décrochage et la réussite scolaires des garçons : déconstruire les mythes, rétablir les faits.
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LES INÉGALITÉS SOCIALES VUES PAR LES PRINCIPALES THÉORIES SOCIOLOGIQUES
En somme, les enfants venant de quartiers défavorisés, en raison de leur habitus de classe connaissent plus de difficultés dans leur cheminement scolaire. Ils sont plus faiblement scolarisés, et obtiennent généralement des emplois plus précaires et à faible rémunération. C’est exactement le contraire pour ceux venant de quartiers plus favorisés. La reproduction sociale a donc des conséquences à très long terme. Selon une étude longitudinale s’étalant sur une vingtaine d’années, on conclut qu’environ le tiers des enfants défavorisés au début de l’étude vivent maintenant sous le seuil de la pauvreté (Serbin et al., 2010). L’analyse que nous venons de voir nous démontre que les « talents » individuels qui contribuent à la réussite scolaire seraient, en grande partie, déterminés par le capital culturel et économique du milieu familial. Cependant, comme toute théorie sociologique, il faut comprendre cette analyse comme une tendance lourde et non une situation s’imposant à tous les individus uniformément et systématiquement. Les différentes théories sociologiques, loin d’analyser les inégalités sociales de la même façon, peuvent à certains égards s’opposer. Le fonctionnalisme voit en les inégalités sociales une source potentielle de cohésion, tandis que la théorie du conflit social y voit une source de tensions. Le marxisme se penche sur la mauvaise redistribution de la richesse pour les expliquer. De son côté, la théorie de la reproduction sociale, sans nier cette réalité, se concentre sur l’institution scolaire pour les comprendre. Elle s’oppose également à la perception que les fonctionnalistes ont de la mobilité sociale étant donné qu’ils accordent des fonctions distinctes à l’école. Enfin, l’interactionnisme ne fait pas des inégalités sociales un objet central de son étude, mais nous avons vu que ces sociologues se préoccupent de l’exclusion sociale, apanage fréquent des individus victimes d’inégalités. La deuxième partie de ce fascicule se penche sur les différentes formes d’inégalités sociales.
La théorie de la reproduction sociale
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CHAPITRE 7
LeS INÉGaLITÉS SeXUeLLeS Les inégalités entre les hommes et les femmes semblent faire partie de l’histoire de la plupart des sociétés, peu importe la culture et l’époque. L’objectif de ce chapitre n’est pas de rendre compte de façon exhaustive des discriminations vécues à travers le temps et l’espace par les femmes, mais bien de présenter les concepts nécessaires pour bien comprendre ce phénomène et de donner des indications quant aux types d’iniquités dont elles sont victimes. Nous survolerons également la problématique actuelle de la diversité sexuelle, c’est-à-dire les enjeux reliés à l’orientation sexuelle, à l’identité sexuelle et au genre.
PRÉSENTATION DES CONCEPTS L’émergence de la théorie féministe a amené la construction d’un cadre conceptuel particulier pour analyser les rapports inégalitaires entre les hommes et les femmes. Ces concepts ont permis de montrer le caractère unique des inégalités et des discriminations subies par les femmes. Il ne faut pas oublier que ces inégalités reposent sur un rapport de pouvoir entre les sexes où un groupe est privilégié par rapport à l’autre. Dans ce chapitre, nous tenterons de mieux comprendre les origines de ces inégalités de même que leurs conséquences concrètes.
Le patriarcat
DE PLUS PRÈS
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Le concept de patriarcat est certainement l’un des plus importants, car il identifie l’origine des inégalités sexuelles dans un système social où les individus sont socialisés. Une société « patriarcale » est définie comme étant une communauté encadrée par des normes dominantes masculines. Cela revient à dire que ce type de société est organisé de telle façon que l’homme détient le pouvoir au sein de l’ensemble des structures sociales telles que les sphères économique, politique, familiale, etc. Les hommes sont davantage présents dans les instances décisionnelles, par exemple, au sein des conseils d’administration des entreprises. Lorsqu’il est question de la violence conjugale, les victimes sont généralement des femmes. Tous ces exemples sont imputables, en partie, au système patriarcal. Ce système, comme le système capitaliste, crée deux catégories de personnes dont l’une détient le pouvoir, ici, les hommes dans la position du dominant, et l’autre, les femmes, en position de subordination (Delphy, 2009). ANALYSE CRITIQUE DU TRAVAIL DOMESTIQUE – CHRISTINE DELPHY (1941- ) Christine Delphy est une sociologue française qui s’intéresse à la question de l’inégalité entre les sexes à travers le féminisme matérialiste. Ce courant théorique s’appuie sur le concept marxiste du conflit de classes. Cependant, en lieu et place du capitaliste qui oppresse la classe ouvrière et donne du pouvoir à la classe bourgeoise, elle construit son analyse sur le
Les inégalités sexuelles
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patriarcat qui oppresse la classe féminine et donne du pouvoir à la classe masculine. Selon Delphy, ce qui est à la base du patriarcat, c’est le travail domestique non rémunéré exécuté au sein de la famille par la femme au détriment d’un travail salarié exécuté sur le marché du travail. C’est parce que la femme est assignée à ce travail domestique, entre autres par la socialisation différenciée, qu’elle est plus souvent à la maison ou en situation de travail salarié à temps partiel. Elle est donc subordonnée économiquement à son conjoint. Autrement dit, pour Delphy, l’oppression des femmes se comprend à travers le patriarcat et le capitalisme, qui reposent sur le mode de production domestique.
Sexe et genre On a longtemps pensé que les différences entre les hommes et les femmes découlaient de la biologie. Ayant chacun un sexe, c’est-à-dire des organes reproducteurs différents et complémentaires, il allait de soi que les comportements, attitudes, capacités des femmes et des hommes soient également différents et complémentaires. L’apparition du concept de genre a permis de « dénaturaliser » ce phénomène : le genre est l’identité sexuelle socialement construite (Mead, 1982). Des recherches anthropologiques, par l’observation de différentes tribus, ont permis de démontrer que les hommes et les femmes apprennent à se comporter d’une façon particulière par la socialisation différenciée et que d’une société à l’autre, les composantes du genre féminin et du genre masculin varient (habillement, démarche, intérêts, choix professionnels, etc.). Jusqu’alors, la naturalisation des comportements avait permis de légitimer, par la biologie, les inégalités de sexe, en arguant que l’on ne pouvait rien contre elles, qu’elles étaient inscrites dans la nature.
Socialisation différenciée Comment le fait de socialiser différemment les garçons et les filles peut-il contribuer aux inégalités sexuelles ? Comment l’existence de deux genres, féminin et masculin, crée-t-elle de la discrimination ? Dès leur naissance, tous les agents de socialisation indiquent aux garçons et aux filles les comportements et attitudes qu’ils doivent adopter pour être conformes aux valeurs et normes de la société, donc pour être acceptés socialement (Bereni et al., 2008). Que ce soit par l’attitude des parents, la répartition des tâches à la maison, les dessins animés pour enfants, les jouets, etc., les enfants comprennent que les sexes sont différents et que cette différence est importante et encouragée. À plus long terme, ces simples différences découlant de la culture se cristallisent et se transforment en stéréotypes, des images rigides qui deviennent des freins à la liberté de choix et à l’individualité. La socialisation différenciée est à la source de problématiques telles que les inégalités salariales, l’hypersexualisation des jeunes filles, et même la violence.
Discrimination systémique Comme nous venons de le voir, le système patriarcal divise les individus en deux catégories sexuées. Ensuite, il donne le pouvoir à l’une de ces catégories au détriment de l’autre. Ainsi, nous pouvons
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LES DIFFÉRENTES FORMES D’INÉGALITÉS
dire que la discrimination systémique est la résultante de ce type de système qui discrimine toujours les mêmes, et ce, de multiples façons. Il faut bien comprendre ici que l’origine des discriminations n’est pas produite par les capacités individuelles, mais par le fait d’appartenir à telle catégorie plutôt qu’à une autre. Autrement dit, nous pouvons affirmer que les femmes sont systématiquement discriminées par le fait d’être femme et cela, à terme, peut grandement nuire à leur épanouissement personnel. Sur le marché du travail, cette discrimination systémique se manifeste, par exemple, par des écarts salariaux et une sous-évaluation des emplois féminins (Commission de l’équité salariale, 2009). On trouve aussi des conditions de travail très difficiles pour les femmes (harcèlement psychologique et physique) dans certains milieux comme celui des métiers de la construction, où elles ne représentent que 1,2 % des employés (Beeman et Rose, 2011). Une discrimination systémique signifie donc que les politiques, les lois, les normes formelles et informelles (du marché du travail, par exemple), les valeurs dominantes d’une société font en sorte de privilégier un groupe par rapport à un autre dans pratiquement tous les aspects de la vie privée et sociale. Cette discrimination n’est pas temporaire ou spontanée ; elle se construit dans le temps, s’immisce dans les valeurs et paraît presque normale après un certain temps.
QUELLES FORMES LES INÉGALITÉS DE SEXE PEUVENT-ELLES PRENDRE ? À travers le monde, certaines questions sensibles touchant les conditions de vie des femmes et leur égalité avec les hommes sont récurrentes. Certaines régions du monde sont aux prises avec des réalités particulières. Ce que l’on observe cependant partout, c’est un système patriarcal qui fait en sorte de maintenir les femmes dans des rôles de subalternes et de contrôler différents aspects de leur vie : leur corps, le savoir auquel elles ont accès et le pouvoir qu’elles peuvent exercer.
Le corps Notre corps est une entité qui nous apparaît totalement privée : il nous appartient et nous seuls devrions pouvoir prendre des décisions par rapport à lui. L’analyse particulière de la situation des femmes démontre que c’est loin d’être toujours le cas dans la vie sociale. LA PLANIFICATION DES NAISSANCES Ce concept réfère essentiellement à l’accès à la contraception et à l’avortement, qui permettent aux femmes d’avoir le contrôle sur leur reproduction. Alors que la contraception est plutôt bien acceptée et disponible dans la plupart des pays du monde, il n’en va pas de même pour l’avortement. En raison de considérations souvent religieuses et politiques, les interruptions volontaires de grossesse sont interdites dans de nombreux pays. Comme on peut le voir dans la figure de la page suivante, quelques pays interdisent encore l’avortement en toutes situations, peu importe l’état de santé de la mère ou du fœtus. Au Canada, l’avortement a été décriminalisé à la fin des années 1980, mais l’accès à l’avortement reste inégal entre les provinces (Quirion, 2008 ; Leblanc, 2014). Le fait que les femmes n’aient pas un accès libre et gratuit à des services médicaux d’interruption de grossesse a des conséquences qui peuvent être dramatiques. Des avortements effectués de façon clandestine dans des conditions sanitaires souvent douteuses peuvent être très dangereux pour la santé des femmes et même entraîner la mort. Ne pas pouvoir prendre la décision de mettre fin à une grossesse peut entraîner de la détresse psychologique, des problèmes économiques ou encore le décrochage scolaire.
Les inégalités sexuelles
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UTILISATION DU CORPS DE LA FEMME COMME OBJET
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Le corps féminin est un outil de marketing abondamment utilisé par les compagnies qui souhaitent vendre toutes sortes de produits : bière, parfum, vêtements, voitures, musique, etc. On expose des corps féminins qui se ressemblent tous : jeunes, minces, tout en courbes. Cette utilisation abondante dans les publicités à la télévision, dans les revues, sur les panneaux d’affichage, dans les films et les vidéoclips engendre une objectivation du corps de la femme, c’est-à-dire que l’on perçoit les femmes dans les publicités comme des objets. Cette représentation récurrente par les médias, un agent de socialisation très important, a des conséquences sur les relations hommes-femmes et sur la façon dont chaque sexe se représente soi-même, sans parler de la perte d’estime de soi chez les femmes, surtout chez les jeunes filles, de même que l’hypersexualisation et les troubles alimentaires.
Le corps de la femme est souvent utilisé comme produit de marketing.
Le savoir L’accès au savoir par l’entremise de l’éducation publique est déterminant pour l’émancipation sociale des femmes. L’ACCÈS À L’ÉDUCATION La scolarisation a été un enjeu central de la lutte des femmes. Longtemps reléguées au travail domestique et retirées de l’école très jeunes, les Québécoises sont maintenant proportionnellement plus nombreuses que les hommes à avoir un diplôme universitaire au Québec (Gauthier, 2014). Pour cela, il a fallu l’instauration de la loi sur l’instruction publique dans les années 1960 rendant la fréquentation scolaire obligatoire et l’ouverture une à une des facultés universitaires. Il en va tout autrement dans certaines régions du monde, où l’éducation des filles est dévalorisée, voire combattue. Par exemple, au Nigéria, un groupe armé islamiste appelé Boko Haram, ce qui signifie « L’éducation occidentale est un péché », a beaucoup fait parler de lui ces dernières années (Sampson, 2014). Le groupe est connu pour ses attaques et ses massacres, mais surtout pour ses enlèvements de masse de jeunes filles, qu’il compte marier et convertir à l’islam.
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LES DIFFÉRENTES FORMES D’INÉGALITÉS
Bien qu’en Occident les femmes n’aient plus d’obstacles légaux à la scolarisation, le choix du programme d’études qu’elles feront est influencé par la socialisation différenciée. Éduquées à prendre soin des autres, à communiquer et à entrer en relation, elles choisissent le plus souvent des programmes d’études en relation avec les sciences humaines, l’enseignement, les soins infirmiers et la relation d’aide (Villeneuve, 2011). Ces préférences ne sont pas néfastes en elles-mêmes, mais elles contribuent à maintenir des filières professionnelles stéréotypées de même que des écarts de revenus.
Le pouvoir Les inégalités de sexe se manifestent également dans la distribution du pouvoir entre les sexes : le pouvoir que les personnes ont sur elles-mêmes, sur l’économie et sur la politique. LIBERTÉ INDIVIDUELLE ET STATUT JURIDIQUE Au Québec, les femmes mariées ont été des mineures au sens de la loi jusqu’en 1964, année où la loi 16 sur la capacité juridique de la femme mariée a été adoptée grâce à la première femme élue à l’Assemblée nationale, Claire Kirkland Casgrain. Les Québécoises étaient donc jusque-là sous l’autorité du père ou du mari et ne pouvaient prendre de décisions importantes pour elles-mêmes, telles que signer un contrat, louer un appartement ou encore accepter une intervention chirurgicale pour leur enfant. La signature du mari était toujours requise. Au Québec et en Occident, cette situation a bien changé ; cependant, ailleurs dans le monde, des femmes sont toujours tenues dépendantes des hommes autour d’elles. Le cas de l’Arabie saoudite est notable en ce sens. Par exemple, les femmes y sont contraintes dans leurs déplacements : elles ne peuvent conduire une voiture que sous certaines conditions très strictes (Al-Shihri, 2014). Cette insuffisance de droits individuels maintient les femmes dans une situation de dépendance envers les hommes, ce qui peut mener à d’autres abus, telle que la violence domestique. LA VIOLENCE ENVERS LES FEMMES
La violence a un sexe, c’est-à-dire que les femmes ont un taux de victimisation quatre fois plus élevé que les hommes dans les cas de violence conjugale et représentent 90 % des victimes d’agressions sexuelles au Canada (Cuillerier-Serre, 2013). Ailleurs dans le monde, la violence envers les femmes peut
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La violence est un réel problème de société et un phénomène tabou ; les victimes ont donc tendance à rester dans l’ombre. Cette violence, qui peut prendre plusieurs formes (physique, psychologique, verbale, sexuelle, économique), provient le plus souvent de la sphère conjugale (Lieber, 2008).
Bien que la violence envers les femmes soit généralement illustrée par sa forme physique, il y a plusieurs autres types de violence à considérer, tels que la violence psychologique et économique.
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se manifester de façon encore plus dramatique par des crimes d’honneur, des attaques à l’acide ou encore des viols collectifs. LA PARTICIPATION AU MARCHÉ DU TRAVAIL La participation des femmes au marché du travail est un élément incontournable, car il permet l’indépendance économique de ces dernières et, par conséquent, l’égalité entre les sexes. En 1976, le taux d’emploi des femmes était de 41,9 % et est passé à 57,9 % en 2012 (Emploi et Développement social Canada). En 1997, lorsque le réseau public des garderies a été instauré, le taux d’emploi des femmes a encore fait un bond en avant, ce qui a permis un rattrapage par rapport au taux d’activité des femmes en Ontario et dans l’ensemble du Canada (Fortin, Godbout, St-Cerny, 2012). Toutefois, cet acquis semble constamment mis en péril en raison de la remise en question de l’universalité du programme des services de garde du Québec. Encore aujourd’hui, de nombreux obstacles au travail des femmes subsistent. 1. La conciliation famille-travail est une difficulté importante. Une charge de travail trop élevée, des horaires atypiques et prolongés, la rigidité des institutions de garde et scolaire quant aux horaires, le manque de places en garderie, le stress et l’exigence de performance (StAmour et al., 2005) font en sorte d’épuiser les jeunes mères, dont certaines songent à retourner au foyer (Duval, 2009). 2. Le plafond de verre est également un élément à considérer. Ce concept réfère au fait qu’il est beaucoup plus difficile pour les femmes d’accéder à des postes de direction et de faire partie de l’élite économique (Jérôme-Forget, 2012). Cette exclusion des femmes de postes bien rémunérés accentue, entre autres, les écarts de revenu entre les sexes et le pouvoir détenu par chacun d’entre eux. Le fait d’avoir des enfants limite encore aujourd’hui le parcours professionnel des femmes. Par exemple, ce sont elles qui s’absentent davantage du travail pour obligations familiales (Demers, 2013). Cette situation contribue à ce que les employeurs voient d’un meilleur œil la paternité que la maternité, ce qui influence nécessairement leur choix lors d’une embauche ou lorsqu’il est temps de donner une promotion. 3. Enfin, malgré certaines avancées, le partage du travail domestique et des soins aux enfants est toujours inégalitaire entre les conjoints québécois. Une division sexuelle du travail plutôt traditionnelle guide toujours beaucoup de couples lorsqu’il est temps de séparer les tâches à faire. Le tableau suivant nous permet de prendre connaissance de ces inégalités domestiques par l’écart entre le nombre d’heures consacrées par les femmes et les hommes aux tâches ménagères.
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LES DIFFÉRENTES FORMES D’INÉGALITÉS
Heures hebdomadaires moyennes consacrées aux tâches ménagères par les hommes et les femmes selon leur statut d’emploi et celui de leur conjoint(e), Canada, 2010 Femmes
Hommes
% supplémentaire des femmes
Deux soutiens à temps plein
13,9
8,6
62 %
Deux soutiens, femme à temps partiel, homme temps plein
21,0
8,6
144 %
Deux soutiens, femme temps plein, homme temps partiel
13,9
11,8
18 %
Couple un soutien, femme
14,6
15,2
-4 %
Couple un soutien, homme
23,4
8,8
166 %
Aucun soutien
17,3
10,6
63 %
Célibataire
10,0
6,3
59 %
Source : Institut de recherche et d’informations socio-économiques, http ://iris-recherche.qc.ca/wp-content/uploads/2014/10/14-01239-IRIS-NotesTaches-domestiques_WEB.pdf.
Enfin, il ne faut pas oublier de souligner que les écarts de revenu entre les hommes et les femmes peuvent être importants selon le niveau de scolarisation et le type de profession. Par exemple, les professions traditionnellement « féminines » (coiffeuse, esthéticienne, éducatrice, infirmière, enseignante, etc.) sont moins bien payées que les professions traditionnellement « masculines » (mécanicien, métiers de la construction, ingénieur, etc.). En outre, des écarts salariaux sont aussi perceptibles à l’intérieur d’une même profession (Boulet, 2014). LA REPRÉSENTATION POLITIQUE DES FEMMES À travers le monde, les femmes ont lentement acquis le droit de vote, le plus souvent après de nombreuses luttes. Le Canada a connu le mouvement des suffragettes, qui obtiennent gain de cause en 1918, tandis qu’au Québec, elles doivent attendre jusqu’en 1940. Il faut encore attendre une vingtaine d’années avant de voir une femme élue à l’Assemblée nationale. En 2012, Pauline Marois devient la première femme première ministre au Québec, 72 ans après l’instauration du droit de vote pour les femmes. En 2013, les femmes représentaient 33 % des élus à l’Assemblée nationale. Cependant, leur sous-représentation est encore plus importante au palier municipal (Lafleur, 2013). L’implication des femmes en politique est fondamentale pour l’égalité des sexes. La présence des femmes au Parlement peut faire en sorte de faire avancer certains dossiers qui les concernent particulièrement : congés parentaux, programmes d’aide aux familles monoparentales, prévention de la violence, etc. Cependant, il est encore difficile de convaincre des femmes de se présenter en politique et elles demeurent minoritaires au sein des partis politiques. La socialisation différenciée, la maternité, une culture politique machiste, une prise de parole difficile, le harcèlement sexuel au travail et le manque de modèles féminins dans des postes de pouvoir sont, parmi d’autres, des hypothèses explicatives de la plus faible présence des femmes dans l’arène politique (Bereni et al.,
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2008). Le tableau suivant présente une typologie d’autres obstacles à une représentation équitable des femmes sur la scène politique (Bherer et Collin, 2008). Principaux facteurs susceptibles d’expliquer la faible représentation des femmes sur la scène politique Le recrutement La sélection Facteurs microsociologiques Facteurs mésosociologiques • La disponibilité et l’inégale répartition des charges familiales • La situation socioéconomique • Le statut des élus • Une socialisation politique de l’action politique
L’élection Facteurs macrosociologiques
• Le faible renouvellement • La domination d’un seul de la classe politique modèle d’homo politicus • Le financement de l’investi- • L’accès des femmes aux postes les plus influents ture • Des réseaux sociaux peu va- • Le mode de scrutin lorisables en contexte politique • L’absence de femmes dans les postes clés des partis politiques • Le choix ou l’obtention d’une circonscription perdue d’avance
Source : La participation et la représentation politique des femmes au sein des instances démocratiques municipales, Laurence Bherer et Jean-Pierre Collin, 2008, p. 7.
En somme, bien que l’égalité hommes-femmes puisse sembler « déjà là » pour de nombreuses personnes, cette perception ne résiste pas à l’épreuve des faits (Delphy, 2004). La sociologie des rapports sociaux de sexe tente d’expliquer la persistance de certaines manifestations de l’inégalité hommes-femmes comme nous venons de le voir, en relation avec le contrôle du corps, du savoir et du pouvoir des femmes. De nombreux obstacles se dressent quant à une égalité de fait entre les hommes et les femmes dans nos sociétés. Le néolibéralisme, les crises économiques, les mesures d’austérité et la disparition de certains programmes sociaux sont des caractéristiques des sociétés actuelles et ne sont pas étrangers aux inégalités sexuelles (Pfefferkorn, 2013).
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LES DIFFÉRENTES FORMES D’INÉGALITÉS
DE PLUS PRÈS
L’ENJEU DE LA DIVERSITÉ SEXUELLE La discrimination envers les femmes n’est pas la seule que l’on pourrait ranger dans la catégorie des inégalités sexuelles. En effet, les études sociologiques se penchent de plus en plus sur l’ensemble des minorités sexuelles qui sont, elles aussi, victimes de discriminations à travers le monde (Girard et Rojas Castro, 2012). LGBT, LGBTQIA, LGBTTBQI. Diversité des minorités sexuelles Les minorités sexuelles sont le plus souvent identifiées par différents acronymes. On parle, en général, des lesbiennes, gais, bisexuels, transsexuels, transgenre, bispirituel, intersexuel, queer et asexués. L’étudiant(e) qui voudra comprendre davantage la définition de chacune de ces catégories et leurs réalités propres devra entamer des lectures plus approfondies sur le sujet. Cependant, on peut affirmer que ces minorités ont en commun de ne pas respecter les normes dominantes de l’hétérosexualité et des genres féminin et masculin, ce qui les unit dans leur lutte contre la discrimination, malgré leurs différences. On sait depuis longtemps que les gais et lesbiennes sont victimes de discrimination basée sur l’orientation sexuelle, que ce soit dans le milieu scolaire ou sur le marché du travail (Chamberland, 2009). Cependant, on s’intéresse de plus en plus aux difficultés rencontrées et à la violence vécue, par exemple, par les personnes qui souhaitent changer de sexe ou dont l’expression de genre ne correspond pas aux normes dominantes (Richard et Chamberland, 2014). Une étude récente démontre également que les jeunes faisant partie d’une minorité sexuelle sont plus à risque de se suicider en raison de la discrimination qu’ils subissent (Beck et al., 2014).
Les inégalités sexuelles
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plus
Étudier la sociologie, c’est, entre autres, comprendre les mécanismes structurels et culturels à l’origine des inégalités sociales au sein de notre système capitaliste et démocratique. C’est également saisir les vecteurs de changements sociaux et les acteurs qui s’y investissent avec comme objectif commun une société plus juste et égalitaire. Comment les théories sociologiques expliquent-elles les inégalités ? Quelles sont les grandes inégalités sociales qui affectent nos communautés ? Comment se reproduisent-elles d’une génération à l’autre ? Qui en sont les victimes ?
Julie Allard, Jonathan Scott
www.cecplus.com
internationales
Cet ouvrage introduit les lecteurs à la compréhension sociologique du concept d’inégalités sociales à l’aide de différentes théories sociologiques telles que le fonctionnalisme, le marxisme et l’interactionnisme. Il sera aussi question de recenser et d’expliquer certaines formes d’inégalités pouvant toucher des groupes d’individus selon les catégories sociales auxquelles ils appartiennent, notamment les inégalités de sexe, de revenu, de santé, mais aussi les inégalités générationnelles, environnementales et mondiales. Ce livre s’intéresse également à l’analyse des principaux mouvements sociaux luttant pour une plus grande justice sociale en fonction des inégalités préalablement abordées, notamment les mouvements féministe, altermondialiste, syndical. Il contient aussi des exercices et des mises en situation qui aideront les étudiants à appliquer leurs connaissances concernant les inégalités sociales. Jonathan Scott est professeur de sociologie au Collège de Valleyfield. Il est doctorant en sociologie à l’Université du Québec à Montréal. Dans le cadre de ses études doctorales, il s’intéresse au mouvement syndical québécois et à la configuration néolibérale. Il a été également actif dans le milieu de l’action communautaire et politique.
La version numérique du manuel, qui comprend également toutes les ressources complémentaires du manuel, est offerte gratuitement sur
aux étudiants comme aux professeurs à l’achat du manuel
papier, et ce, pour une durée de 5 ans. Accessible en ligne et hors ligne, elle permettra aux enseignants de projeter, d’annoter et de partager des notes avec les étudiants, qui pourront, eux aussi, annoter leur propre version numérique.
SOCIOLOGIE LES INÉGALITÉS SOCIALES
Julie Allard est professeure de sociologie au Cégep de Drummondville. Elle détient une maîtrise en sociologie de l’Université du Québec à Montréal. Elle fut également assistante de recherche pour l’ARUC en économie sociale et chargée de projet en agriculture urbaine en milieu multiethnique et défavorisé.
Sylvain St-Jean