Philosophies vivantes_La désobéissance civile

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Par son discours sur la désobéissance civile, Henry David Thoreau rappelle à l’individu son pouvoir et sa responsabilité en tant que citoyen. Aucune autorité ne peut résister à qui refuse de lui obéir. L’obéissance à une loi est ce qui lui donne sa légitimité et sa force. Cependant, si les gouvernants ne respectent pas les valeurs des gouvernés, le devoir moral peut commander de désobéir.

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Le citoyen doit-il jamais un instant abdiquer sa conscience au législateur ? À quoi bon la conscience individuelle alors ? […] Il m’importe de suivre les effets de mon obéissance. […] Une minorité ne peut rien tant qu’elle se conforme à la majorité ; ce n’est même pas alors une minorité. Mais elle est irrésistible lorsqu’elle fait obstruction de tout son poids.

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Thoreau a axé sa vie sur la poésie, l’imagination, la connaissance, le plaisir de la symbiose avec la nature et la fidélité à ses convictions morales. Il a cru à la primauté de l’exigence de justice sur tout intérêt collectif ou particulier. Le Discours sur la désobéissance civile est un texte important de la philosophie éthique et politique. Il démontre la pertinence et l’efficacité de la résistance pacifique à l’injustice. Par un simple geste de désobéissance aux lois iniques d’un État, Thoreau a posé les jalons de la lutte non violente et tracé la voie à des héros tels Gandhi et Martin Luther King.

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ISBN 978-2-7617-6202-1

DÉSOBÉISSANCE CIVILE

CODE DE PRODUIT : 214462

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Imprimé sur papier contenant 100% de fibres recyclées postconsommation.

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André Carrier a enseigné la philosophie au Cégep de Lévis-Lauzon. Il est titulaire d’une maîtrise en philosophie. Il est diplômé en sémiologie de l’École des hautes études en sciences sociales de Paris. Il pratique le droit et l'enseigne comme chargé de cours à l'Université Laval. La collection PHILOSOPHIES VIVANTES présente des œuvres de philosophes majeurs, d’hier et d’aujourd’hui, choisies pour leur contribution à l’histoire des idées et leur pertinence pour l’approfondissement de notre réflexion sur des sujets contemporains. Dans une perspective pédagogique, les textes originaux s’accompagnent d’informations et de pistes d’analyse essentielles à leur étude. Rendre la philosophie vivante, c’est nous permettre d’amorcer un dialogue direct avec ces auteurs et, dans cet échange, de stimuler notre pensée, d’aiguiser notre esprit critique et d’enrichir notre connaissance du monde.

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Ginette Legaré a enseigné la philosophie au Cégep de Lévis-Lauzon pendant trente-deux ans. Elle possède une formation en droit et en philosophie.

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THOREAU Traduction de Micheline Flak Présentation et notes André Carrier Ginette Legaré

9001, boul. Louis-H.-La Fontaine, Anjou (Québec) Canada H1J 2C5 Téléphone : 514-351-6010 • Télécopieur : 514-351-3534


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Direction de l’édition Philippe Launaz Direction de la production Danielle Latendresse Direction de la coordination Rodolphe Courcy Charge de projet et révision Les productions Faire Savoir inc. Correction d’épreuves Odile Dallaserra Réalisation graphique Les productions Faire Savoir inc.

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Pour tous les documents mis à disposition aux conditions de la licence Creative Commons (version 3.0 et précédentes), les adresses sont les suivantes : CC-BY (Paternité) : <creativecommons.org/ licenses/by/3.0/deed.fr_CA> CC-BY-SA (Paternité – Partage des conditions initiales à l’identique) : <creativecommons.org/licenses/bysa/3.0/deed.fr_CA> CC-BY-ND (Paternité – Pas de modification) : <creativecommons.org/licenses/bynd/3.0/deed.fr_CA>

La Loi sur le droit d’auteur interdit la reproduction d’œuvres sans l’autorisation des titulaires des droits. Or, la photocopie non autorisée – le photocopillage – a pris une ampleur telle que l’édition d’œuvres nouvelles est mise en péril. Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, du présent ouvrage est interdite sans l’autorisation écrite de l’Éditeur.

Les Éditions CEC inc. remercient le gouvernement du Québec de l’aide financière accordée à l’édition de cet ouvrage par l’entremise du Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres, administré par la SODEC. La désobéissance civile © 2013, Les Éditions CEC inc. 9001, boul. Louis-H.-La Fontaine Anjou (Québec) H1J 2C5 Tous droits réservés. Il est interdit de reproduire, d’adapter ou de traduire l’ensemble ou toute partie de cet ouvrage sans l’autorisation écrite du propriétaire du copyright. Dépôt légal : 2013 Bibliothèque et Archives nationales du Québec Bibliothèque et Archives Canada Imprimé sur papier contenant 100 % de fibres recyclées postconsommation. ISBN : 978-2-7617-6202-1 Imprimé au Canada 1 2 3 4 5 17 16 15 14 13


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Titres déjà parus dans la collection P H I L O S O P H I E S V I VA N T E S Aristote – Éthique à Nicomaque Camus – Le mythe de Sisyphe Darwin – La descendance de l’homme et la sélection sexuelle Descartes – Discours de la méthode Descartes – Méditations métaphysiques. Traité des passions de l’âme Freud – Une révolution de la connaissance de soi Hobbes – Léviathan Jonas – Le principe responsabilité Kant – Essai philosophique sur la paix perpétuelle Kant – Fondements de la métaphysique des mœurs Les stoïciens et Épicure – L’art de vivre Machiavel – Le Prince Marx – Manifeste. Manuscrits de 1844 Mill – De la liberté Mill – L’utilitarisme Nietzsche – Penseur intempestif Platon – Alcibiade Platon – Apologie de Socrate. Criton. Précédés de Euthyphron Platon – Gorgias Platon – Hippias Majeur Platon – La République Platon – Le Banquet Platon – Ménon Platon – Phédon Rousseau – Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes Rousseau – Du contrat social Thoreau – La désobéissance civile

Consultez la liste à jour des titres de la collection sur notre site Internet à l’adresse :

www.editionscec.com


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REMERCIEMENTS Merci à monsieur Philippe Launaz pour son exigence et ses conseils, ainsi qu’à toute l’équipe des Éditions CEC. Merci également aux lecteurs pour la pertinence de leurs suggestions. André Carrier et Ginette Legaré


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TABLE DES MATIÈRES THOREAU : ÉLÉMENTS DE BIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .1 Le précepteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .1 Le naturaliste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .3 La retraite à Walden . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .5 Un homme solitaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .6 L’engagement politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .7 REPÈRES HISTORIQUES ET CULTURELS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .10 LE CONTEXTE POLITIQUE ET CULTUREL DE LA DÉSOBÉISSANCE CIVILE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .19 Un pays jeune . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .19 La difficile question de l’esclavage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .20 L’expansion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .22 Le contexte culturel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .23 Les religieux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .24 Les écrivains et les philosophes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .27 Les pères fondateurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .27 Le mouvement transcendantaliste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .28 LES THÈMES DE LA DÉSOBÉISSANCE CIVILE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .33 L’État . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .35 Le gouvernement qui gouverne le moins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .35 La primauté de la liberté individuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .36 Un gouvernement contrôlé par les citoyens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .37 La responsabilité morale du citoyen . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .38 La désobéissance civile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .39 Le devoir de désobéissance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .39 La primauté du Bien sur la loi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .40 Les conditions de la désobéissance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .41 LA RÉSONANCE ACTUELLE DE LA DÉSOBÉISSANCE CIVILE . . . . . . . . . .43 Tolstoï . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .44 Gandhi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .45 Martin Luther King . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .47 Les émules de Thoreau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .50


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Table des matières

Les philosophes et la désobéissance civile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .52 Étienne de La Boétie : l’obéissance comme fondement du pouvoir . . . . . . . .53 Hanna Arendt : fondement et importance de la désobéissance civile . . . . . .53 John Rawls : les conditions de la légitimité de la désobéissance civile . . . . . .54 QUESTIONS DE COMPRÉHENSION ET DE SYNTHÈSE . . . . . . . . . . . . . . .57 Questions de compréhension . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .57 Questions de synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .58 LA DÉSOBÉISSANCE CIVILE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .61 DISCOURS SUR LA SERVITUDE VOLONTAIRE – Étienne de La Boétie . . . . .85 BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .91


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THOREAU : ÉLÉMENTS DE BIOGRAPHIE « Il faut louer quelques arpents, bien s’y installer et ne produire qu’une petite récolte pour la consommation immédiate. On doit vivre en soi, ne dépendre que de soi, et, toujours à pied d’œuvre et prêt à repartir, ne pas s’encombrer de multiples affaires. » THOREAU, La désobéissance civile. Henry David Thoreau naît le 12 juillet 1817 à Concord (Massachusetts), une petite municipalité d’à peine 2000 habitants, située près de la ville de Boston. Son père Thoreau en 1854. John est de descendance française. Sa mère, Cynthia Dunbar, est de descendance écossaise. Henry David a deux sœurs, Helen et Sophia, et un frère aîné, John junior. La maison où il est né sur Virginia Road a été préservée. Après quelques difficultés financières, la famille Thoreau vit grâce à une usine de crayons que son père a mise sur pied en 1824. Le jeune Henry David sera éduqué dans un premier temps à l’école de Concord. Comme les jeunes de sa génération, il apprend d’abord le latin et le grec ainsi que certaines langues modernes : le français, l’italien, l’allemand et l’espagnol. Grâce à une bourse d’études, il pourra parfaire sa formation à l’Université Harvard. Il y sera initié à la philosophie et à la science.

LE PRÉCEPTEUR Jeune diplômé, il se destine d’abord à l’enseignement. Cependant, à l’Académie de Concord où il est engagé, on préconise une méthode d’éducation qui repose sur la discipline, voire les châtiments corporels.


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Elizabeth Palmer Peabody (1804-1894).

Ralph Waldo Emerson (1803-1882).

Thoreau, pour sa part, croit plutôt aux vertus du libre contact avec la nature pour former la jeunesse. Ayant refusé d’appliquer les méthodes pédagogiques attendues, il sera congédié. Il ouvrira par la suite une école privée avec son frère John junior. Il appliquera, entre autres, les principes d’éducation de son amie transcendantaliste1 Elizabeth Peabody. Celle-ci croit à la nécessité d’une relation interactive de l’enfant avec l’objet de sa connaissance et à l’apprentissage par le jeu, notamment par l’herborisation. Par certains côtés, ce projet d’éducation n’est pas étranger à celui de Jean-Jacques Rousseau, en ce qu’il vise l’épanouissement de l’enfant par un contact avec la nature, une valorisation de la sensibilité et une absence d’autorité obtenue par la force. Malgré le succès de son école, après la mort de son frère en 1842, Thoreau ne poursuivra pas l’expérience. Il sera un temps précepteur des enfants du frère de son ami, l’écrivain et philosophe Ralph Waldo Emerson2. Il fera quelques travaux d’arpentage et des travaux manuels pour gagner sa vie. S’il a des capacités et une formation intellectuelles incontestables, il est avant tout soucieux de pouvoir travailler de ses mains.

1. Le transcendantalisme est un mouvement philosophique américain autour duquel Thoreau gravitera. 2. Ralph Waldo Emerson est né à Boston, au Massachusetts, le 25 mai 1803. Il fut pasteur unitarien et démissionna à la suite d’un conflit avec ses supérieurs. Au cours de voyages en Europe, il entre en contact avec plusieurs philosophes. Il s’intéresse aussi aux religions orientales. Cependant, il est un ardent défenseur de l’autonomie de la littérature américaine. Il vivra plusieurs années à Concord et occupera une place centrale dans le mouvement transcendantaliste. Poète, essayiste et philosophe, il meurt en 1882.


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Éléments de biographie

LE NATURALISTE Thoreau choisit de vivre dans la simplicité parce que tout ce qui est autre lui apparaît être un vain artifice. Son plaisir, il le trouve à observer la nature et plus encore à s’en sentir partie intégrante. Ne désirant pas que le travail accapare sa vie, il se demande comment rendre son gagne-pain poétique. À partir d’octobre 1837, Thoreau, à la suggestion d’Emerson, commence à écrire un journal dans lequel il note ses observations sur la vie et sur la nature. Il tient ce journal jusqu’en 1861. Il y puisera le contenu de plusieurs de ses publications. On y trouve un homme critique à l’égard de ce que la société impose à ses concitoyens qui, selon lui, mènent une vie pleine de désespoir. Il leur conseille de rechercher la pureté plutôt que la moralité et Dieu comme force cosmique, audelà des dieux que l’homme a inventés. Pour lui-même, il souhaite vivre dans la joie du corps et de l’âme. Thoreau relate aussi dans ce journal des instants de communion avec la nature où il lui semble pouvoir renoncer à son identité pour se perdre dans la réalité du monde. Mais il y affirme, par ailleurs, que le réel est beaucoup moins vrai que l’imaginaire. Surtout, il veut se fondre dans son environnement. Il préfère l’observation des animaux à la chasse ou à la pêche. Une journée où il n’a pas marché plusieurs heures dans les bois est à ses yeux une journée perdue. Il parcourt les forêts à pied. Il fera ainsi plusieurs excursions dans le Maine, qu’il relatera dans son ouvrage Les Forêts du Maine (1864). Dans son récit Une semaine sur les rivières Concord et Merrimack (1849), il raconte ses excursions en canot en compagnie de son frère. Il fera aussi plusieurs voyages sur le continent américain, dont un au Québec en 1850 avec son ami le poète William Ellery Channing. Mais jamais il ne visitera l’Europe. Thoreau retrouve le rapport holistique au monde qu’il préconise dans la culture amérindienne, qui le passionne. Il s’intéresse aussi aux grands textes de la culture de l’Inde, car ils ont une affinité avec la représentation des rapports entre l’âme humaine et le monde qui caractérise sa philosophie, et il cherche à les faire connaître. Il traduit des parties de la Bhagavad-Gita3. Thoreau accorde une grande place dans sa 3. Guide de sagesse et récit cosmologique, la Bhagavad-Gītā est l’un des principaux textes sacrés de l’Inde, avec les Vedas et les Upanishad.

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bibliothèque aux ouvrages des penseurs orientaux. Il a la réputation d’en posséder la plus importante collection. Par ailleurs, il sait nommer et répertorier la flore et la faune. Il devient le correspondant du naturaliste suisse Louis Agassiz, qui prépare un ouvrage sur la flore et la faune des États-Unis, et il publie en 1842 L’histoire naturelle du Massachusetts, ouvrage en partie critique de livres et en partie essai d’histoire naturelle. Il s’intéresse beaucoup à la botanique et aux diverses formes d’énergie. Ses connaissances lui permettront de mettre au point des méthodes nouvelles de fabrication de mines de crayon qui aideront grandement l’usine de son père, dans laquelle il s’implique sans enthousiasme. En 1851, Thoreau découvre les ouvrages de Darwin et il adhère à ses théories. À partir de 1852, il consacrera beaucoup de son temps à recueillir des informations pour ses publications sur l’histoire naturelle, à étudier la péninsule de Cape Cod et à donner des conférences sur la succession des arbres en forêt. Ses recherches seront utiles pour l’exploitation forestière et le reboisement. Thoreau demeure toutefois réticent à transformer son contact avec la réalité matérielle et naturelle par la réflexion théorique. Son attitude envers la science est ambiguë. D’une part, il est curieux et fin observateur et il collige des informations qui font qu’on le considère comme un scientifique. D’autre part, il reproche à la science d’être réductionniste: « Je crains que le caractère de ma science ne devienne d’année en année plus précis et plus technique ; c’est-à-dire qu’en échange de vues vastes

Étang de Walden.


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comme la voûte du ciel, je n’en sois réduit au champ du microscope. Je vois les détails, mais non le tout ni l’ombre du tout. J’additionne des parties, et prétends connaître » (Journal, août 1851). L’intelligence est, selon lui, plus féconde lorsque la poésie allie l’âme, la nature et l’imagination. Thoreau considère que la poésie est plus utile pour comprendre le monde que la science.

LA RETRAITE À WALDEN

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Pendant son enfance, Thoreau allait souvent se promener autour du grand et magnifique étang de Walden. Peut-être est-ce à cet endroit qu’il fit le choix de déserter la compagnie des humains et de fuir leur société artificielle pour chercher la sagesse dans une vie simple et naturelle. En juillet 1845, il décide d’expérimenter un mode de vie tout à fait conforme à sa philosophie. Il demande à Ralph Waldo Emerson, qui est propriétaire des rives de l’étang, la permission d’y construire une cabane. Il la construira de ses mains. « Si les hommes construisaient de leurs propres mains leur demeure, et se procuraient leur nourriture pour eux-mêmes comme pour leur famille, simplement et honnêtement, qui sait si la faculté poétique ne se développerait pas universellement, tout comme les oiseaux universellement chantent lorsqu’ils s’y trouvent invités ? » écrit-il4. La cabane est modeste. Elle suffit à ses besoins. Il a prévu un lit, une table et trois chaises. C’est qu’il compte bien y recevoir des amis. Il se félicite du peu d’argent investi dans la construction et des pauvres moyens avec lesquels il arrive à vivre. Il vit en autarcie grâce aux produits de son jardin ; ses repas sont frugaux, ses habits défraîchis, il ne fume pas, ne boit pas de vin non plus et ses loisirs sont ses moments passés dans Thoreau’s Cove, lieu ou Thoreau construisit sa cabane à Walden (marla nature. qué par un monticule de pierres).

4. Walden ou la vie dans les bois, Gallimard, 1922, p. 47. (Traduit par L. Fabulet.)


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Sa retraite n’est cependant pas complète. Il fait des courses à la ville, visite des amis et reçoit une ou deux personnes à la fois. Il prend des notes sur ses observations et continue d’écrire son journal. En septembre 1847, il retourne vivre dans la maison familiale. Il rédige Walden ou la vie dans les bois à partir des pages de son journal des années 1842 à 1850. Il écrit, au sujet de son départ de Walden : « Je quittai les bois pour un aussi bon motif que j’y étais allé. Peut-être me sembla-t-il que j’avais plusieurs vies à vivre, et ne pouvais plus donner de temps à cellelà5. »

UN HOMME SOLITAIRE

© Library of Congress

Thoreau demeura célibataire toute sa vie. On lui connaît quelques amours qui n’eurent pas les suites souhaitées. Lucy Ellen Sewall, celle qui sera l’une des premières femmes américaines à devenir médecin, aurait peut-être accepté sa demande en mariage ; malheureusement pour lui, son père s’y opposa. Peut-être fut-il aussi secrètement amoureux de l’épouse de son ami Emerson, mais l’histoire n’en dit pas plus. Il eut une grande affection pour son frère et développa aussi de longues amitiés. Celle qu’il entretenait avec Ralph Waldo Emerson, qui l’initia au mouvement philosophique transcendantaliste et marqua sa vie intellectuelle, était profonde. II habita un temps avec sa famille et s’attacha à son fils Waldo, qui mourut en bas âge. Les deux hommes s’éloignèrent finalement l’un de l’autre. La municipalité de Concord, bien que petite, attirait à cette époque une communauté de philosophes et de poètes. Thoreau y fit d’importantes rencontres. Il se lia d’amitié avec des auteurs et des journalistes progressistes, tels le romancier Nathaniel Hawthorne, le philosophe utopiste Amos Bronson Alcot, qui faisait la promotion des méthodes éducatives d’avant-garde, et William Ellery Channing, abolitionniste et auteur Sarah Margaret Fuller (18101850).

5. Op. cit., p. 322.


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d’un retentissent ouvrage sur l’esclavage. Thoreau publiait régulièrement dans la revue Dial, dont la journaliste activiste et féministe Sarah Margaret Fuller était rédactrice en chef. Il entretenait avec elle des rapports amicaux. Thoreau s’est joint au mouvement transcendantaliste, qui naît chez ces intellectuels et ces artistes regroupés à Concord. Les transcendantalistes sont en quête d’une vérité première et de l’essence spirituelle de l’être au-delà de la pensée établie et institutionnalisée ainsi que du carcan religieux. Ils cherchent à comprendre les lois fondamentales qui gouvernent l’existence, lesquelles ne correspondent nullement aux lois sociales. Ils ne croient pas que le nouveau mode de vie qu’apporte l’industrialisation naissante soit conforme au désir de plaisir des humains. Les transcendantalistes cherchent à vivre une vie libre et saine où le travail manuel s’allie au travail intellectuel. Ils sont très actifs et cherchent à faire vivre la philosophie, les sciences et les arts dans leur communauté. Ils défendent une société sans travail servile et sans obligation qui ne soit consentie. Le transcendantalisme deviendra à la mode, ce qui donnera lieu à quelques excès dans l’interprétation de ces principes.Thoreau partage ces idéaux, mais il se tiendra loin de toute dérive.

L’ ENGAGEMENT POLITIQUE Thoreau s’intéresse aux débats politiques et à l’évolution de la société. À l’âge de 20 ans, jeune diplômé, il prononce un discours intitulé L’esprit commercial des temps modernes et son influence sur le caractère politique, moral et littéraire d’une nation. Cependant, il se dit apolitique. Un homme se dévalorise en étant membre d’une organisation politique, affirme-t-il dans son journal. Et pourtant, comme le groupe d’artistes et d’intellectuels qui gravitent autour de Concord et du cercle des transcendantalistes, il a milité activement pour la cause abolitionniste. Il a aidé des esclaves en fuite à franchir la frontière canadienne et a pris la défense des fugitifs qu’on ramenait à leur maître ou à qui on intentait des procès. Dans les années 1850, Thoreau donne des conférences contre les lois esclavagistes. En 1855, il rencontre à Concord le capitaine John Brown, un abolitionniste qui en appela à l’insurrection armée pour mettre fin à l’esclavage. Thoreau prononce des conférences pour le soutenir et un éloge funèbre le jour de son exécution. Il a écrit Plaidoyer pour John Brown et Les derniers jours de John Brown. « Cela ne coûte

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rien d’être juste », rappelle-t-il au début de son plaidoyer, puis il salue le courage qu’a eu cet homme « d’affronter sa patrie elle-même lorsqu’elle se trouvait dans l’erreur ». L’engagement de Thoreau s’est manifesté aussi dans sa farouche opposition à la poursuite de la guerre américano-mexicaine. Il trouvait moralement inacceptable que son pays en agresse un autre pour s’emparer de son territoire. En raison de l’engagement du gouJohn Brown (1800-1859), célèbre abolitionniste amérivernement dans la guerre contre le cain. Il s’empara en 1859 de Mexique et de son laxisme dans sa lutte l’arsenal fédéral à Harper’s contre l’esclavage, Thoreau refuse de Ferry (Virginie) en vue de payer ses impôts pendant six ans. Le mener une guerre contre les colons esclavagistes. Cepen25 juillet 1846, alors qu’il se rend chez dant, les esclaves ne répondison cordonnier, il est arrêté par un rent pas à l’appel et il fut agent de recouvrement et emprisonné. capturé, jugé et pendu. Il deMais, à son grand dam – car il voulait viendra un martyr et un héros pour les soldats nordistes penque son emprisonnement fasse scandant la guerre de Sécession. dale –, sa tante acquittera sa dette un Victor Hugo avait écrit une letjour plus tard. Cependant, pour explitre ouverte à la presse amériquer son refus, il prononcera le 16 jancaine pour prendre la défense de John Brown. vier 1848 au Lyceum de Concord une conférence qui sera publiée en 1849 sous le titre Discours sur la désobéissance civile. Par ses propos, il a tracé la voie à un mode de contestation non violent qui sera l’arme de plusieurs militants politiques. Henry David est depuis longtemps atteint de tuberculose. La maladie se ravive en 1859 à la suite d’une excursion téméraire lors d’une tempête. Bien qu’affaibli, il continuera un temps ses explorations et il consacrera les derniers mois de sa vie à mettre de l’ordre dans ses manuscrits, avec l’aide de sa sœur Sophia. Il meurt le 6 mai 1862 dans la ville où il a passé presque toute sa vie. Ne croyant ni au paradis ni à l’enfer, il accepte la mort comme un retour à la nature. À sa tante, venue à


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son chevet et qui lui demande s’il s’est réconcilié avec Dieu, il répond qu’il ne savait pas qu’ils s’étaient querellés. Et à cet autre qui veut l’entretenir de l’au-delà, il rétorque : « Un monde à la fois. » Il est enterré au cimetière de Sleepy Hollow, situé sur Bedford Street, près du centre de Concord. Écrivain, naturaliste, philosophe et essayiste, Henry David Thoreau laissera derrière lui l’image d’un homme pauvrement vêtu se promenant dans la ville avec ses outils d’observation. Ses œuvres intéresseront peu le grand public à son époque. Et pourtant, il est un précurseur : sa vie et ses idées inspireront tant les amoureux de la nature que les adeptes de la simplicité volontaire, les tenants de la contestation pacifique, les défenseurs des libertés individuelles ou les anarchistes voulant se gouverner en vertu de leurs propres convictions morales.

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LES THÈMES DE LA DÉSOBÉISSANCE CIVILE « En d’autres termes, lorsqu’un sixième de la population d’une nation qui se prétend le havre de la liberté est composé d’esclaves, et que tout un pays est injustement envahi et conquis par une armée étrangère et soumis à la loi martiale, je pense qu’il n’est pas trop tôt pour les honnêtes gens de se soulever et de passer à la révolte. » THOREAU, La désobéissance civile. Thoreau prononce sa conférence intitulée Les droits et les devoirs des individus en face du gouvernement le 16 janvier 1848 au Lyceum de Concord. Le titre changera pour devenir Résistance au gouvernement civil lors d’une première publication en 1849 et Du devoir de désobéissance civile, dans un recueil posthume publié en 1866. Cette conférence sera

Plaque commémorative du passage de Thoreau en prison, Concord, MA. On y lit : « Henry David Thoreau a été emprisonné une nuit dans une prison à cet endroit en juillet 1846 pour avoir refusé de reconnaître le droit de l’État de prélever des impôts en soutien de l’esclavage – un épisode rendu célèbre dans son essai La désobéissance civile. »


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connue par la suite sous le titre abrégé La désobéissance civile . On sait qu’elle fait suite à un refus prolongé de payer ses impôts, qui lui a valu un court emprisonnement. Thoreau s’insurge contre l’exploitation de l’homme par l’homme et contre la guerre injuste. En l’occurrence, dans son pays et dans son siècle, l’esclavage des Noirs et la guerre contre le Mexique incarnent ces réalités à ses yeux. La dénonciation de l’exploitation et de la guerre est commune à une multitude de philosophes de tous lieux et de tout temps. Cependant, elle suscite des réactions diverses. Alors que certains se réfugient dans un individualisme qui peut aller jusqu’à la misanthropie, d’autres, au contraire, préconisent une mise en commun des forces. Du libertaire, défenseur farouche des droits personnels, au socialiste collectiviste qui consacre sa vie à libérer sa société, l’éventail des postures politiques est large. Les moyens d’action sont également très diversifiés. La violence peut apparaître comme un devoir moral du citoyen juste. Cette thèse est développée au 19e siècle principalement par les socialistes marxistes et certains groupes anarchistes. D’autres, opposés aux méthodes violentes, préfèrent un patient travail au sein des institutions démocratiques. Un grand nombre opte pour une résignation silencieuse et se réfugie dans la spiritualité ou s’absorbe dans les nécessités de la vie pratique. Thoreau ne préconise aucun de ces choix. Il opte pour une solution rebelle et pacifique, la désobéissance civile. Désobéir est un geste grave, car il menace l’ordre social. Thoreau en est conscient. Mais obéir l’est aussi, car il cautionne le statu quo. Chez Thoreau, la désobéissance est un geste moral et individuel qui vise un changement politique. Il ne saurait être accompli pour la défense de ses propres intérêts, car il s’agirait alors de délinquance. Le geste n’est pas non plus révolutionnaire au sens où il ne vise pas un renversement de l’État. Il est plutôt une forme de résistance afin de rappeler ce dernier à ses engagements. On dit qu’à Emerson qui lui demandait pourquoi il était en prison, il répondit: « Pourquoi n’y êtes-vous pas ? » C’est dire que, pour lui, la désobéissance civile est un devoir, s’il y a injustice. « Sous un gouvernement qui emprisonne quiconque injustement, la véritable place d’un homme juste est aussi en prison », écrit-il. Trois thèmes sont développés par Thoreau dans son texte sur la désobéissance civile. Le premier concerne l’État, ses torts et ses faiblesses,


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Le Capitole des États-Unis en 1846, siège du Congrès, le pouvoir législatif.

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sa légitimité et ses devoirs. Le deuxième thème a trait à la responsabilité morale du citoyen, qui est personnelle et ne peut pas être déléguée à la majorité par un simple exercice de vote. Et enfin le dernier thème est la désobéissance civile proprement dite.

L’ÉTAT Thoreau voudrait un État moins imposant, garant des libertés individuelles et qui soit sous le contrôle des citoyens. Le gouvernement qui gouverne le moins La conférence de Thoreau est un plaidoyer contre son gouvernement, à qui il ne pardonne pas sa tolérance à l’égard de lois inhumaines. Ces lois tolèrent l’esclavage et mettent toute la population à contribution pour capturer et exécuter les esclaves fugitifs. « Pas un instant, je ne saurais reconnaître pour mon gouvernement cette organisation politique qui est aussi le gouvernement de l’esclave. » Il reproche aussi à ce gouvernement d’enrôler de pauvres soldats qui ne font qu’obéir sans conviction et qui meurent pour arracher au Mexique ses territoires. Tout cela au profit d’une poignée de bien nantis. Que quelques dirigeants puissent asservir l’ensemble des citoyens à leurs intérêts et qu’ils sacrifient la justice à la prospérité du commerce et de l’agriculture sont inacceptables à ses yeux.


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Qui plus est, l’État ne lui apparaît pas d’une grande utilité. Certes, il prétend voir à l’expansion du pays, à l’éducation et aux affaires économiques. Cependant, c’est plutôt le peuple qui fait tout cela et, finalement, le gouvernement ne fait que créer des embûches. Pour toutes ces raisons, Thoreau reprend volontiers la devise de Jefferson qui veut que « le gouvernement le meilleur est celui qui gouverne le moins ». Et il ajoute que « lorsque les hommes y seront préparés », ils auront un gouvernement qui ne gouverne pas du tout. Il partage avec les anarchistes l’idée que les humains peuvent se gouverner par eux-mêmes sans devoir être soumis à une autorité. Il suffit que les citoyens y soient préparés. Entendons qu’il faudrait, entre autres, qu’ils sachent faire passer les exigences de la justice avant leur intérêt personnel, sans qu’ils y soient contraints par une autorité. La primauté de la liberté individuelle Son désir de limiter au maximum les interventions de l’État répond aussi à une autre préoccupation, celle de préserver la liberté des individus. La liberté est un droit fondamental. L’État a le devoir de la préserver et de la garantir. « Le gouvernement est [un outil grâce auquel] les hommes voudraient bien arriver à vivre chacun à sa guise. » Ces propos rappellent ceux de John Locke22. Thoreau affirme : « Je ne suis pas né pour qu’on me force. Je veux respirer à ma guise. » Cette façon de mettre en lien le rôle de l’État et la liberté suppose qu’on ait de cette dernière une certaine conception. La définition de la liberté est un problème qui est au centre du débat philosophique depuis longtemps. L’absence de contrainte est-elle ce qui qualifie de façon suffisante la liberté ? Ne faut-il pas plutôt mettre l’accent sur la possibilité pour chacun de réaliser sa nature propre ou de réaliser ses volontés ? L’individu peut-il être libre sans une libération collective ? Peut-on prétendre que moins un État est interventionniste, plus il respecte la liberté de ses citoyens ? L’État ne doit-il pas plutôt intervenir pour rétablir un équilibre des forces entre les citoyens afin que chacun ait le plus possible les moyens de vivre sa liberté ? L’accroissement des libertés des uns peut-il passer par certaines contraintes pour les autres ? Thoreau, pour sa part, défend l’idée que la liberté consiste à réaliser sa nature propre : « Si une plante ne peut vivre selon sa nature, elle dépé22. Voir le chapitre précédent.


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rit ; un homme de même. » Toute intervention de l’État qui ne respecte pas la nature fondamentale du citoyen et ses droits naturels brime la liberté. Thoreau est profondément individualiste. Il tolère mal de fondre son identité dans le tout de sa collectivité représentée par l’État. Il souhaite même que l’État lui permette de « vivre en marge, sans se mêler des affaires du gouvernement ni se laisser étreindre par lui ». Il écrit : « Je ne suis pas responsable du bon fonctionnement de la machine sociale. » Cependant, il n’est pas égoïste; il se soucie du bien-être de ceux qu’il appelle ses voisins. Mais il s’agit là d’un devoir moral et non d’une responsabilité politique. Malgré la radicalité de ces propos, Thoreau ne nie pas toute légitimité à l’État. Il ne demande pas d’emblée « point de gouvernement », mais plutôt « un meilleur gouvernement ». La question devient alors de savoir ce qu’est un bon gouvernement. Un gouvernement contrôlé par les citoyens « Jamais il n’y aura d’État vraiment libre et éclairé, tant que l’État n’en viendra pas à reconnaître à l’individu un pouvoir supérieur et indépendant d’où découleraient tout le pouvoir et l’autorité d’un gouvernement prêt à traiter l’individu en conséquence. » Le gouvernement doit correspondre aux attentes des gouvernés. Le fondement de l’autorité de l’État est le consentement du citoyen. Il affirme ainsi que la souveraineté en tant que droit exclusif d’exercer l’autorité politique appartient aux gouvernés. Déjà, le philosophe anglais Thomas Hobbes (1588-1679), dans son ouvrage Le Léviathan (1651), fondait la légitimité de l’État sur le consentement des citoyens. John Locke, on le sait, soutient la même idée. Pour Hobbes, cependant, les citoyens délèguent entièrement leur autorité à l’État, qui a pour seul devoir d’assurer la sécurité de ses sujets. Locke est plus exigeant. Il préconise une division des pouvoirs et il reconnaît un droit de résistance aux citoyens. L’État doit aussi assurer la liberté et le droit de propriété. Thoreau, pour sa part, croit que l’État doit être un outil au service des citoyens. Mais il ne peut se contenter de satisfaire les intérêts et les désirs d’une majorité. Il y a peu de sagesse dans la multitude ; elle n’a pas à « trancher du bien et du mal », pense-t-il. Thoreau rejoint

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Tocqueville, qui craignait que la démocratie américaine ne conduise à une tyrannie de la majorité. Il croit que c’est l’État qui doit être garant du bien et de la justice et ces derniers sont dictés par une source originelle de vérité plus fondamentale que la Bible et la Constitution : « Seuls peuvent me forcer ceux qui obéissent à une loi supérieure à la mienne», dit-il. Ainsi, si l’individu a préséance sur l’État, c’est que sa conscience a accès à une loi morale universelle et qu’il doit s’assurer que les gouvernants la respectent.

LA RESPONSABILITÉ MORALE DU CITOYEN Le citoyen doit exiger que l’État agisse conformément à ce qu’il considère être le bien. Cette responsabilité est individuelle. Il ne suffit pas de s’en remettre à des représentants qui feront les lois et gouverneront selon les règles de droit et des principes établis dans une constitution protectrice de la division du pouvoir et des droits fondamentaux. La responsabilité politique va plus loin : l’exigence de conformité au bien doit être absolue, active et sans compromis. Voter pour choisir entre différentes options de gouvernance et pour sanctionner ou non après coup les décisions prises n’est pas suffisant. « Même voter pour ce qui est juste, ce n’est rien faire pour la justice. Cela revient à exprimer mollement votre désir qu’elle l’emporte. Un sage n’abandonne pas la justice aux caprices du hasard. » La responsa-

Les derniers moments de John Brown, par Thomas Hovenden (1884).


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bilité de l’individu est totale : « Le citoyen doit-il jamais un instant abdiquer sa conscience au législateur ? À quoi bon la conscience individuelle alors ? » La minorité doit avoir le courage de ne pas se soumettre à la majorité : « Une minorité ne peut rien tant qu’elle se conforme à la majorité ; ce n’est même pas alors une minorité. Mais elle est irrésistible lorsqu’elle fait obstruction de tout son poids. » Mais alors, que doit faire le citoyen ? Thoreau répond : « [Que] chacun fasse connaître le genre de gouvernement qui commande son respect et ce sera le premier pas pour l’obtenir. Et l’un des moyens d’exiger du gouvernement qu’il agisse selon nos attentes est de refuser de lui obéir s’il agit autrement. »

LA DÉSOBÉISSANCE CIVILE Thoreau ne partage pas les convictions que Platon prêtait à Socrate dans le dialogue intitulé Criton23. Socrate prétend qu’il faut obéir aux lois même si on les considère comme injustes. Thoreau affirme plutôt: « Si, de par sa nature, cette machine [l’État] veut faire de nous l’instrument de l’injustice envers notre prochain, alors je vous le dis, enfreignez la loi.» Les conséquences, aussi fâcheuses soient-elles, sont un moins grand mal que de tolérer l’injustice. Et quant à « recourir aux moyens que l’État a prévus pour remédier au mal... [Ils] prennent trop de temps et la vie d’un homme n’y suffirait pas ». La désobéissance est ainsi selon Thoreau un devoir moral exigeant, plus urgent que la nécessité d’obéir à la loi dans certaines conditions. Le devoir de désobéissance La colère de Thoreau s’élève contre ceux qui obéissent. Ceux qui le font avec leur corps, sans avoir à décider, mais sans exercer leur jugement. C’est la masse des citoyens. La majorité silencieuse, en quelque sorte. « Ceux-là ne commandent pas plus le respect qu’un bonhomme de paille ou une motte de terre. » L’obéissance à la loi peut même être dangereuse quand elle envoie des jeunes gens mourir sur les champs de bataille pour des causes auxquelles ils ne croient même pas. Thoreau va jusqu’à demander si ces militaires soumis qui guerroient contre les Mexicains sont vraiment des hommes.

23. Dialogue de Platon dans lequel Socrate refuse l’offre de Criton de l’aider à fuir sa prison.

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« Nous sommes responsables des effets de notre obéissance », affirme-t-il. Obéir, c’est donner son soutien aux actions du gouvernement et ainsi en assumer l’entière responsabilité. Endosser l’injustice et la violence, c’est être soi-même injuste et violent. La primauté du bien sur la loi « Il n’est pas souhaitable de cultiver le même respect pour la loi et pour le bien. La seule obligation qui m’incombe est de faire bien. » Voilà toute la justification de la désobéissance civile. Si le bien et la loi s’opposent, le devoir du citoyen est de choisir le bien. Et qui plus est, c’est là le meilleur service que les citoyens peuvent rendre à l’État. C’est parce qu’ils « mettent aussi leur conscience au service de l’État qu’ils en viennent […] à lui résister ». La désobéissance est dangereuse : elle trouble l’ordre public et peut ainsi déstabiliser l’État ; elle peut entraîner des conséquences économiques graves ou encore faire perdre le confort de la sécurité. Thoreau ne se laisse pas convaincre par ce constat. À ceux qui reprochent à la désobéissance de troubler l’ordre public, il répond que leur argument est fondé sur l’opportunisme et non sur la justice : « Si j’ai injustement arraché une planche à l’homme qui se noie, je dois la lui rendre au risque de me noyer », rétorque-t-il. Si l’injustice contre laquelle il faut lutter est grave, le rétablissement de la justice est plus urgent que la stabilité de l’État. En d’autres termes, le désordre n’est pas le pire des maux ; il est même la condition de tout changement. Quant à l’argument de l’insécurité économique, il n’ébranle pas Thoreau, qui n’est pas tendre à l’égard de ceux qui ont le souci de s’enrichir. Il reproche aux marchands, aux commerçants et aux fermiers qui acceptent l’esclavage et la poursuite de la guerre au Mexique de faire passer leurs intérêts avant l’humanité. Il conclut que « plus on a d’argent, moins on a de vertu », car l’appât de l’argent conduit à refuser de se poser certaines questions essentielles. Thoreau concède qu’il est difficile de renoncer au confort et à la sécurité que procure la protection du gouvernement en place. Mais que penser de l’Américain qui « ne s’aventure à vivre que soutenu par sa Compagnie d’Assurances mutuelles, en échange de la promesse d’un bel enterrement » ? Il vaut mieux diminuer ses besoins afin de rester


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indépendant, de se délivrer de la peur et de pouvoir rester fidèle à sa conscience. Accomplir ce qui est juste est le premier devoir moral. Obéir à un État injuste, c’est l’aider à persister dans cette injustice. Nous sommes responsables des effets de notre obéissance. « Les gens qui, tout en désapprouvant le caractère et les mesures d’un gouvernement, lui concèdent leur obéissance et leur appui sont sans conteste ses partisans les plus zélés et par là, fréquemment, l’obstacle le plus sérieux aux réformes », affirme Thoreau. Par contre, il est convaincu que l’action d’un seul honnête homme peut changer les choses. Les conditions de la désobéissance La désobéissance émane tout d’abord d’une indignation morale. Elle n’a pas sa source dans la défense d’intérêts personnels, mais dans celle d’intérêts collectifs. Pour Thoreau, ce sont l’esclavage et la guerre au Mexique qui sont inacceptables. La désobéissance est dans un premier temps un geste individuel. Personne n’a la responsabilité de tout faire, nous dit Thoreau, mais chacun doit faire quelque chose et, au minimum, doit éviter de faire le mal. Le geste doit aussi être public. Il est important d’en accepter la sanction. C’est de devoir mettre d’honnêtes gens en prison qui discrédite l’État : « S’il n’est d’autre alternative que celle-ci : garder tous les justes en prison ou bien abandonner la guerre et l’esclavage, l’État n’hésitera pas à choisir. » Et si la désobéissance débute modestement dans une action isolée, elle peut avoir selon Thoreau des répercussions importantes et ceux qui en doutent « ignorent de combien la vérité est plus forte que l’erreur, de combien plus d’éloquence et d’efficacité est doué dans sa lutte contre l’injustice l’homme qui l’a éprouvée un peu dans sa personne même ». Somme toute, la désobéissance de Thoreau est un geste de résistance qui est d’abord personnel et fondé sur sa conscience morale. Il est cohérent avec ses actions pour venir en aide aux esclaves fugitifs et avec son opposition à la guerre contre le Mexique. S’il avait été accompli par tous les abolitionnistes et par tous les opposants à la guerre, un tel geste de désobéissance aurait pu transformer la société. Cet espoir de réunir en une action rebelle et non violente toute une population a été repris, depuis, par plusieurs. Qu’on pense à la lutte des Indiens contre l’Empire britannique, à celle des Noirs américains contre la ségrégation

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raciale, à celle des femmes pour la libre disposition de leur corps, à celle des travailleurs pour faire respecter leurs droits, à celle des écologistes, à celle des altermondialistes et des indignés qui réclament une justice sociale. La désobéissance civile est un moyen d’action politique qui a quelques réussites à son actif.


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LA DÉSOBÉISSANCE CIVILE De grand cœur, j’accepte la devise : « Le gouvernement le meilleur est celui qui gouverne le moins37 » et j’aimerais la voir suivie de manière plus rapide et plus systématique. Poussée à fond, elle se ramène à ceci auquel je crois également : « que le gouvernement le meilleur est celui qui ne gouverne pas du tout » et lorsque les hommes y seront préparés, ce sera le genre de gouvernement qu’ils auront. Tout gouvernement n’est au mieux qu’une « utilité », mais la plupart des gouvernements, d’habitude, et tous les gouvernements, parfois, ne se montrent guère utiles. Les nombreuses objections – et elles sont de taille – qu’on avance contre une armée permanente méritent de prévaloir ; on peut aussi finalement les alléguer contre un gouvernement permanent. L’armée permanente n’est que l’arme d’un gouvernement permanent. Le gouvernement lui-même – simple intermédiaire choisi par les gens pour exécuter leur volonté – est également susceptible d’être abusé et perverti avant que les gens puissent agir par lui. Témoin en ce moment la guerre du Mexique38, œuvre d’un groupe relativement restreint d’individus qui se servent du gouvernement permanent comme d’un outil ; car au départ, jamais les gens n’auraient consenti à cette entreprise. Le gouvernement américain – qu’est-ce donc sinon une tradition, toute récente, qui tente de se transmettre intacte à la postérité, mais perd à chaque instant de son intégrité ? Il n’a ni vitalité ni l’énergie d’un seul homme en vie, car un seul homme peut le plier à sa volonté. C’est une sorte de canon en bois que se donnent les gens. Mais il n’en est pas moins nécessaire, car il faut au peuple des machineries bien compliquées – n’importe lesquelles pourvu qu’elles pétaradent – afin de répondre à l’idée qu’il se fait du gouvernement. Les gouvernements nous montrent avec quel succès on peut imposer aux hommes, et mieux, comme ceux-ci peuvent s’en imposer à eux-mêmes, pour leur propre 37. Devise favorite de Jefferson adoptée par les transcendantalistes. 38. Déclarée en 1846 par le président Polk, cette guerre était très impopulaire au Massachusetts.


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avantage. Cela est parfait, nous devons tous en convenir. Pourtant, ce gouvernement n’a jamais de lui-même encouragé aucune entreprise, si ce n’est par sa promptitude à s’esquiver. Ce n’est pas lui qui garde au pays sa liberté, ni lui qui met l’Ouest en valeur, ni lui qui instruit. C’est le caractère inhérent au peuple américain qui accomplit tout cela et il en aurait fait un peu plus si le gouvernement ne lui avait souvent mis des bâtons dans les roues. Car le gouvernement est une « utilité » grâce à laquelle les hommes voudraient bien arriver à vivre chacun à sa guise, et, comme on l’a dit, plus il est utile, plus il laisse chacun des gouvernés vivre à sa guise. Le commerce et les affaires, s’ils n’avaient pas de ressort propre, n’arriveraient jamais à rebondir par-dessus les embûches que les législateurs leur suscitent perpétuellement et, s’il fallait juger ces derniers en bloc sur les conséquences de leurs actes, et non sur leurs intentions, ils mériteraient d’être classés et punis au rang des malfaiteurs qui sèment des obstacles sur les voies ferrées. Mais pour parler en homme pratique et en citoyen, au contraire de ceux qui se disent anarchistes, je ne demande pas d’emblée « point de gouvernement », mais d’emblée un meilleur gouvernement. Que chacun fasse connaître le genre de gouvernement qui commande son respect et ce sera le premier pas pour l’obtenir. Après tout, la raison pratique pour laquelle, le pouvoir une fois aux mains du peuple, on permet à une majorité de régner continûment sur une longue période ne tient pas tant aux chances qu’elle a d’être dans le vrai, ni à l’apparence de justice offerte à la minorité, qu’à la prééminence de sa force physique. Or un gouvernement, où la majorité règne dans tous les cas, ne peut être fondé sur la justice, même telle que les hommes l’entendent. Ne peut-il exister de gouvernement où ce ne seraient pas les majorités qui trancheraient du bien ou du mal, mais la conscience ? Où les majorités ne trancheraient que des questions justiciables de la règle d’opportunité ? Le citoyen doit-il jamais un instant abdiquer sa conscience au législateur ? À quoi bon la conscience individuelle alors ? Je crois que nous devrions être hommes d’abord et sujets ensuite. Il n’est pas souhaitable de cultiver le même respect pour la loi et pour le bien. La seule obligation qui m’incombe est de faire bien. On a dit assez justement qu’un groupement d’hommes n’a pas de conscience, mais un groupement d’hommes consciencieux devient un groupement doué


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de conscience. Le résultat courant et naturel d’un respect indu pour la loi, c’est qu’on peut voir une file de militaires, colonel, capitaine, caporal et simples soldats, enfants de troupe et toute la clique, marchant au combat par monts et par vaux dans un ordre admirable contre leur gré, que dis-je ? contre leur bon sens et contre leur conscience, ce qui rend cette marche fort âpre en vérité et éprouvante pour le cœur. Ils n’en doutent pas le moins du monde : c’est une vilaine affaire que celle où ils sont engagés. Ils ont tous des dispositions pacifiques. Or, que sont-ils ? Des hommes vraiment ? Ou bien des petits fortins, des magasins ambulants au service d’un personnage sans scrupules qui détient le pouvoir ? Visitez l’Arsenal de la Flotte et arrêtez-vous devant un fusilier marin, un de ces hommes comme peut en fabriquer le gouvernement américain ou ce qu’il peut faire d’un homme avec sa magie noire; ombre réminiscente de l’humanité, un homme debout vivant dans son suaire et déjà, si l’on peut dire, enseveli sous les armes, avec les accessoires funéraires, bien que peut-être. Ni tambour, ni musique alors n’accompagnèrent Sa dépouille, au rempart emmenée au galop ; Nulles salves d’adieu, de même, n’honorèrent La tombe où nous avions couché notre héros39 La masse des hommes sert ainsi l’État, non point en humains, mais en machines avec leur corps. C’est eux l’armée permanente, et la milice, les geôliers, les gendarmes, la force publique, etc. La plupart du temps sans exercer du tout leur libre jugement ou leur sens moral ; au contraire, ils se ravalent au niveau du bois, de la terre et des pierres et on doit pouvoir fabriquer de ces automates qui rendront le même service. Ceux-là ne commandent pas plus le respect qu’un bonhomme de paille ou une motte de terre. Ils ont la même valeur marchande que des chevaux et des chiens. Et pourtant on les tient généralement pour de bons citoyens. D’autres, comme la plupart des législateurs, des politiciens, des juristes, des ministres et des fonctionnaires, servent surtout l’État avec leur intellect et, comme ils font rarement de distinctions 39. Citation d’un poème de Charles Wolfe (1791-1823), Les funérailles de sir John Moore.

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morales, il arrive que sans le vouloir ils servent le Démon aussi bien que Dieu. Une élite, les héros, les patriotes, les martyrs, les réformateurs au sens noble du terme, et des hommes, mettent aussi leur conscience au service de l’État et en viennent forcément, pour la plupart, à lui résister. Ils sont couramment traités par lui en ennemis. Un sage ne servira qu’en sa qualité d’homme et ne se laissera pas réduire à être « la glaise » qui « bouche le trou par où soufflait le vent40 » ; il laisse ce rôle à ses cendres pour le moins. Je suis de trop haut lieu pour me laisser approprier Pour être un subalterne sous contrôle Le valet et l’instrument commode D’aucun État souverain de par le monde41 Celui qui se voue corps et âme à ses semblables passe à leurs yeux pour un bon à rien, un égoïste, mais celui qui ne leur voue qu’une parcelle de lui-même est salué des titres de bienfaiteur et philanthrope. Quelle attitude doit adopter aujourd’hui un homme face au gouvernement américain ? Je répondrai qu’il ne peut sans déchoir s’y associer. Pas un instant, je ne saurais reconnaître pour mon gouvernement cette organisation politique qui est aussi le gouvernement de l’esclave. Tous les hommes reconnaissent le droit à la révolution42, c’est-à-dire le droit de refuser fidélité et allégeance au gouvernement et le droit de lui résister quand sa tyrannie ou son incapacité sont notoires et intolérables. Il n’en est guère pour dire que c’est le cas maintenant. Mais ce l’était, pense-t-on, à la Révolution de 1775. Si l’on venait me dire que le gouvernement d’alors était mauvais, parce qu’il taxait certaines denrées étrangères entrant dans ses ports, il y aurait gros à parier que je m’en soucierais comme d’une guigne, car je peux me passer de ces produits-là43. Toutes les machines ont leur friction et peut-être celle-là faitelle assez de bien pour contrebalancer le mal. En tout cas, c’est une 40. SHAKESPEARE, Hamlet, V-I-321-337. 41. SHAKESPEARE, Le Roi Jean, V-2-80-84. 42. Allusion à la Déclaration d’indépendance américaine. 43. Allusion au Boston Tea party (voir le chapitre « Contexte politique et culturel »).


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belle erreur de faire tant d’embarras pour si peu. Mais quand la friction en arrive à avoir sa machine et que l’oppression et le vol sont organisés, alors je dis « débarrassons-nous de cette machine ». En d’autres termes, lorsqu’un sixième de la population d’une nation qui se prétend le havre de la liberté est composé d’esclaves, et que tout un pays est injustement envahi et conquis par une armée étrangère et soumis à la loi martiale, je pense qu’il n’est pas trop tôt pour les honnêtes gens de se soulever et de passer à la révolte. Ce devoir est d’autant plus impérieux que ce n’est pas notre pays qui est envahi, mais que c’est nous l’envahisseur. Paley44 qui fait généralement autorité en matière de morale, dans son chapitre intitulé « Sur le devoir de la soumission au Gouvernement civil », ramène toute obligation civique à une formule d’opportunisme et il poursuit : « Aussi longtemps que l’intérêt de toute la société l’exige, c’est-à-dire tant qu’on ne peut résister au gouvernement établi ou le changer sans troubler l’ordre public, la volonté de Dieu est d’obéir au gouvernement établi et de ne plus... » Ce principe, une fois admis, la justice de chaque cas particulier de résistance se réduit à une évaluation de l’importance du danger et du grief d’une part, et de la probabilité et du prix de la réforme d’autre part. « Sur ce point, dit-il, chacun est juge. » Mais Paley semble n’avoir jamais envisagé de cas auxquels la règle d’opportunisme n’est pas applicable, où un peuple aussi bien qu’un individu doit faire justice, à tout prix. Si j’ai injustement arraché une planche à l’homme qui se noie, je dois la lui rendre au risque de me noyer. Ceci, selon Paley, serait inopportun. Mais celui qui, dans un tel cas, voudrait sauver sa vie, la perdrait. Ce peuple doit cesser de maintenir l’esclavage et de porter la guerre au Mexique, même au prix de son existence nationale. Dans la pratique, les nations sont d’accord avec Paley, mais y a-t-il quelqu’un pour penser que le Massachusetts agisse en toute justice dans la conjoncture actuelle ? Dans ses brocards de pute, un État qui tapine La traîne portée haut, et l’âme à la sentine 44. William Paley (1543-1805), théologien britannique qui s’intéresse à la philosophie morale et politique et à la philosophie des religions, dans Principes de philosophie morale et politique (1785).

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En langage clair, ce n’est pas la kyrielle de politiciens du Sud qui s’oppose à une réforme au Massachusetts, mais la kyrielle de marchands et de fermiers qui s’intéressent davantage au commerce et à l’agriculture qu’à l’humanité et qui ne sont nullement prêts à rendre justice à l’esclave et au Mexique, à tout prix. Je ne cherche pas querelle à des ennemis lointains, mais à ceux qui, tout près de moi, collaborent avec ces ennemis lointains et leur sont soumis : privés d’aide, ces gens-là seraient inoffensifs. Nous sommes accoutumés de dire que la masse des hommes n’est pas prête ; mais le progrès est lent, parce que l’élite n’est, matériellement, ni plus avisée ni meilleure que la masse. Le plus important n’est pas que vous soyez au nombre des bonnes gens, mais qu’il existe quelque part une bonté absolue, car cela fera lever toute la pâte. Il y a des milliers de gens qui par principe s’opposent à l’esclavage et à la guerre, mais qui en pratique ne font rien pour y mettre un terme ; qui se proclamant héritiers de Washington ou de Franklin, restent plantés les mains dans les poches à dire qu’ils ne savent que faire et ne font rien ; qui même subordonnent la question de la liberté à celle du libre-échange et lisent, après dîner, les nouvelles de la guerre du Mexique avec la même placidité que les cours de la Bourse et peut-être, s’endorment sur les deux. Quel est le cours d’un honnête homme et d’un patriote aujourd’hui ? On tergiverse, on déplore et quelquefois on pétitionne, mais on n’entreprend rien de sérieux ni d’effectif. On attend, avec bienveillance, que d’autres remédient au mal, afin de n’avoir plus à le déplorer. Tout au plus, offre-t-on un vote bon marché, un maigre encouragement, un « Dieu vous assiste » à la justice quand elle passe. Il y a 999 défenseurs de la vertu pour un seul homme vertueux. Mais il est plus facile de traiter avec le légitime possesseur d’une chose qu’avec son gardien provisoire. Tout vote est une sorte de jeu, comme les échecs ou le trictrac, avec en plus une légère nuance morale où le bien et le mal sont l’enjeu ; les problèmes moraux et les paris, naturellement l’accompagnent. Le caractère des votants est hors-jeu. Je donne mon vote, c’est possible, à ce que j’estime juste ; mais il ne m’est pas d’une importance vitale que ce juste l’emporte. Je veux bien l’abandonner à la majorité. Son urgence s’impose toujours en raison de son opportunité. Même voter pour ce qui est juste, ce n’est rien faire pour la justice. Cela revient à exprimer mollement votre désir qu’elle l’emporte. Un sage n’abandonne pas la


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justice aux caprices du hasard ; il ne souhaite pas non plus qu’elle l’emporte par le pouvoir d’une majorité. Il y a bien peu de vertu dans l’action des masses humaines. Lorsqu’à la longue la majorité votera pour l’abolition de l’esclavage, ce sera soit par indifférence à l’égard de l’esclavage, soit pour la raison qu’il ne restera plus d’esclavage à abolir par le vote. Ce seront eux, alors, les véritables esclaves. Seul peut hâter l’abolition de l’esclavage celui qui, par son vote, affirme sa propre liberté. J’entends parler d’une « Convention » prévue à Baltimore ou ailleurs pour choisir un candidat à la Présidence ; cette « Convention » serait principalement constituée de rédacteurs en chef de journaux et de politiciens de carrière ; mais moi, je me dis : qu’importe à un homme indépendant, intelligent et respectable la décision où ils peuvent aboutir? N’aurons-nous pas quand même le bénéfice de la sagesse et de l’honnêteté de cet homme-là ? Ne pouvons-nous tabler sur des votes indépendants ? Le pays ne compte-t-il pas nombre d’individus qui n’assistent pas aux conventions ? Mais non, je m’aperçois que des hommes honorables, ou soi-disant tels, ont immédiatement dévié de leur position et désespèrent de leur pays, alors que leur pays aurait bien plutôt sujet de désespérer d’eux. Ils adoptent sans tarder un des candidats ainsi choisis comme le seul disponible, prouvant ainsi leur propre disponibilité aux desseins du démagogue. Leur voix n’a pas plus de valeur que celle d’un quelconque étranger sans principes ou d’un Américain qui s’est vendu. Oh ! que ne puis-je trouver un homme, un vrai, comme dit l’autre, pas une chiffe qu’on retourne comme un gant ! Nos statistiques sont en défaut : le chiffre de la population a été surfait. Combien d’hommes y a-t-il dans ce pays pour 1000 m2 ? À peine un. L’Amérique n’offre-t-elle pas aux hommes la moindre tentation de venir s’y fixer ? L’Américain s’est réduit à n’être qu’un « Membre Affilié » – type reconnaissable à l’hypertrophie de son sens grégaire et à un manque manifeste d’intellect et d’allègre confiance en soi – dont le premier et le principal souci en venant au monde est de veiller à l’entretien des Hospices et – avant même d’avoir endossé comme il se doit la Toge virile – de s’en aller ouvrir une souscription pour le soutien des veuves et des orphelins éventuels ; qui, en un mot, ne s’aventure à vivre que soutenu par sa Compagnie d’Assurances mutuelles, en échange de la promesse d’un bel enterrement.

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Ce n’est une obligation pour personne, bien sûr, de se vouer à l’extirpation de tel ou tel mal, aussi criant et injuste soit-il ; on peut très bien se consacrer à d’autres poursuites ; mais qu’au moins on ne s’en lave pas les mains : ne pas accorder à ce mal d’attention soutenue ne veut pas dire qu’il faille lui accorder un appui de fait. Si je me livre à d’autres activités, à d’autres projets, il me faudrait au moins veiller d’abord à ne pas les poursuivre juché sur les épaules d’autrui. Je dois d’abord en descendre pour permettre à mon prochain de poursuivre, lui aussi, ses projets. Voyez quelle grossière ambiguïté on tolère ! J’ai entendu dire à certains de mes compatriotes : « Il ferait beau voir qu’on me mette en demeure d’aider à mater une révolte des esclaves ou de me mobiliser pour le Mexique. Vous verriez si j’irais ! » ; et pourtant, ces mêmes hommes ont chacun directement par leur obéissance, et de la sorte indirectement par leur argent, avancé un remplaçant. Il est applaudi le soldat qui refuse de servir dans une guerre injuste, par ceux-là mêmes qui ne refusent pas de servir le gouvernement injuste qui fait la guerre ; il est applaudi par ceux-là mêmes dont il dédaigne et réduit à néant l’autorité ; comme si l’État devenu pénitent allait jusqu’à engager quelqu’un pour se faire fouetter au moment du péché, sans s’arrêter un instant de pécher pour autant. Ainsi, sous le nom d’Ordre et de Gouvernement Civique, nous sommes tous amenés à rendre hommage et allégeance à notre propre médiocrité. On rougit d’abord de son crime et puis on s’y habitue ; et le voilà qui d’immoral devient amoral et non sans usage dans la vie que nous nous sommes fabriquée. L’erreur la plus vaste et la plus répandue exige pour la soutenir la vertu la plus désintéressée. Le léger reproche auquel se prête d’habitude la vertu de patriotisme, ce sont les âmes nobles qui sont les plus susceptibles de l’encourir. Les gens qui, tout en désapprouvant le caractère et les mesures d’un gouvernement, lui concèdent leur obéissance et leur appui sont sans conteste ses partisans les plus zélés et par là, fréquemment, l’obstacle le plus sérieux aux réformes. D’aucuns requièrent l’État de dissoudre l’Union, de passer outre aux injonctions du Président. Pourquoi ne pas la dissoudre eux-mêmes – l’union entre eux et l’État – en refusant de verser leur quote-part au Trésor ? N’ontils pas vis-à-vis de l’État la même relation que l’État vis-à-vis de l’Union ? Et les mêmes raisons qui les ont empêchés de résister à l’Union, ne les ont-elles pas empêchés de résister à l’État ?


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Comment peut-on se contenter d’avoir tout bonnement une opinion et se complaire à ça ? Quel plaisir peut-on trouver à entretenir l’opinion qu’on est opprimé ? Si votre voisin vous refait, ne serait-ce que d’un dollar, vous ne vous bornez pas à constater, à proclamer qu’il vous a roulé, ni même à faire une pétition pour qu’il vous restitue votre dû ; vous prenez sur-le-champ des mesures énergiques pour rentrer dans votre argent et vous assurer contre toute nouvelle fraude. L’action fondée sur un principe, la perception et l’accomplissement de ce qui est juste, voilà qui change la face des choses et des relations ; elle est révolutionnaire par essence, elle n’a aucun précédent véritable. Elle ne sème pas seulement la division dans les États et les Églises, mais aussi dans les familles ; bien plus, elle divise l’individu, séparant en lui le diabolique du divin. Il existe des lois injustes : consentirons-nous à leur obéir ? Tenterons-nous de les amender en leur obéissant jusqu’à ce que nous soyons arrivés à nos fins – ou les transgresserons-nous tout de suite ? En général, les hommes, sous un gouvernement comme le nôtre, croient de leur devoir d’attendre que la majorité se soit rendue à leurs raisons. Ils croient que s’ils résistaient, le remède serait pire que le mal ; mais si le remède se révèle pire que le mal, c’est bien la faute du gouvernement. C’est lui le responsable. Pourquoi n’est-il pas plus disposé à prévoir et à accomplir des réformes ? Pourquoi n’a-t-il pas d’égards pour sa minorité éclairée ? Pourquoi pousse-t-il les hauts cris et se défend-il avant qu’on le touche ? Pourquoi n’encourage-t-il pas les citoyens à rester en alerte pour lui signaler ses erreurs et améliorer ses propres décisions ? Pourquoi crucifie-t-il toujours le Christ – pourquoi excommunie-t-il COPERNIC et LUTHER et dénonce-t-il WASHINGTON et FRANKLIN comme rebelles ? On dirait que le refus délibéré et effectif de son autorité est le seul crime que le gouvernement n’ait jamais envisagé, sinon pourquoi n’at-il pas mis au point de châtiment défini, convenable et approprié ? Si un homme qui ne possède rien refuse, ne serait-ce qu’une fois, de gagner un dollar au profit de l’État, on le jette en prison pour une durée qu’aucune loi, à ma connaissance, ne définit et qui est laissée à la discrétion de ceux qui l’y ont envoyé ; mais vole-t-il mille fois un dollar à l’État qu’on le relâche aussitôt. Si l’injustice est indissociable du frottement nécessaire à la machine gouvernementale, l’affaire est entendue. Il s’atténuera bien à l’usage –

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Par son discours sur la désobéissance civile, Henry David Thoreau rappelle à l’individu son pouvoir et sa responsabilité en tant que citoyen. Aucune autorité ne peut résister à qui refuse de lui obéir. L’obéissance à une loi est ce qui lui donne sa légitimité et sa force. Cependant, si les gouvernants ne respectent pas les valeurs des gouvernés, le devoir moral peut commander de désobéir.

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Le citoyen doit-il jamais un instant abdiquer sa conscience au législateur ? À quoi bon la conscience individuelle alors ? […] Il m’importe de suivre les effets de mon obéissance. […] Une minorité ne peut rien tant qu’elle se conforme à la majorité ; ce n’est même pas alors une minorité. Mais elle est irrésistible lorsqu’elle fait obstruction de tout son poids.

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Thoreau a axé sa vie sur la poésie, l’imagination, la connaissance, le plaisir de la symbiose avec la nature et la fidélité à ses convictions morales. Il a cru à la primauté de l’exigence de justice sur tout intérêt collectif ou particulier. Le Discours sur la désobéissance civile est un texte important de la philosophie éthique et politique. Il démontre la pertinence et l’efficacité de la résistance pacifique à l’injustice. Par un simple geste de désobéissance aux lois iniques d’un État, Thoreau a posé les jalons de la lutte non violente et tracé la voie à des héros tels Gandhi et Martin Luther King.

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ISBN 978-2-7617-6202-1

DÉSOBÉISSANCE CIVILE

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Imprimé sur papier contenant 100% de fibres recyclées postconsommation.

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André Carrier a enseigné la philosophie au Cégep de Lévis-Lauzon. Il est titulaire d’une maîtrise en philosophie. Il est diplômé en sémiologie de l’École des hautes études en sciences sociales de Paris. Il pratique le droit et l'enseigne comme chargé de cours à l'Université Laval. La collection PHILOSOPHIES VIVANTES présente des œuvres de philosophes majeurs, d’hier et d’aujourd’hui, choisies pour leur contribution à l’histoire des idées et leur pertinence pour l’approfondissement de notre réflexion sur des sujets contemporains. Dans une perspective pédagogique, les textes originaux s’accompagnent d’informations et de pistes d’analyse essentielles à leur étude. Rendre la philosophie vivante, c’est nous permettre d’amorcer un dialogue direct avec ces auteurs et, dans cet échange, de stimuler notre pensée, d’aiguiser notre esprit critique et d’enrichir notre connaissance du monde.

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Ginette Legaré a enseigné la philosophie au Cégep de Lévis-Lauzon pendant trente-deux ans. Elle possède une formation en droit et en philosophie.

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