Pratiquer la misericorde - Empathie et solidarité

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Collection essenCiel

Étienne Séguier

Pratiquer la miséricorde Empathie et solidarité


Étienne Séguier

Pratiquer la miséricorde Empathie et solidarité

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Sommaire Introduction

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1. Selon la Bible, la miséricorde naît dans nos entrailles

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2. Dans nos entrailles, ressentir la colère et poser des gestes de solidarité 21

Fiche pratique 1 Des mots pour exprimer sa colère

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Fiche pratique 2 Liste des besoins humains fondamentaux que nous avons tous en commun 30 3. Dans nos entrailles, ressentir la peur et créer des espaces accueillants 35

Fiche pratique 3 Pratiquer la Technique d’Identification sensorielle des Peurs Inconscientes 44

Fiche pratique 4 Des mots pour ressentir et exprimer sa peur

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4. Dans nos entrailles, ressentir la tristesse pour accueillir celle des autres 47

Fiche pratique 5 Des mots pour ressentir et exprimer sa tristesse

Fiche pratique 6 Des mots pour ressentir et exprimer sa joie

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5. S’approcher pour trouver la bonne proximité

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Fiche pratique 7 L’art de la conversation banale mais vitale pour s’approcher de l’autre 63

Fiche pratique 8 Exercice pour développer son sens du toucher

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Fiche pratique 9 To care : prendre soin

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6. Donner mais aussi recevoir de nos prochains

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Fiche pratique 10 Pratiquer la double écoute

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7. Pardonner pour se remettre dans l’élan de la miséricorde 8. Accueillir Dieu, les autres et soi-même comme des inconnus 91 Conclusion Annexe

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Bibliographie

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Remerciements

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Introduction Assistons-nous à « la mondialisation de l’indifférence », selon la formule du pape François ? Nous disposons des connaissances techniques pour nourrir la planète et lutter contre la pauvreté. Mais nous serions de moins en moins touchés par la situation des personnes en détresse. Dans la Bible, la miséricorde est définie comme la capacité de ressentir dans nos entrailles la misère des autres. Elle naît d’abord dans notre ventre et dans notre cœur, à condition d’observer ce qui s’y vit. Si la tradition juive intègre volontiers le corps, notre société se montre plus réservée. À l’école, l’enseignement valorise les raisonnements et les constructions théoriques, mais délaisse l’intelligence émotionnelle – cette capacité à percevoir nos émotions et à entendre leurs messages. Dans une parabole célèbre (Luc 10, 25-37), Jésus raconte l’histoire d’un samaritain qui se détourne de son chemin pour secourir un homme gisant sur le bord de la route. Il s’est approché de lui après avoir été « pris aux entrailles ». L’écoute de notre ressenti serait ainsi un puissant facteur d’engagement. Certes, nous pouvons essayer de vivre sans ressentir ce qui traverse nos entrailles, mais nos émotions

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risquent alors de décider à notre place. Nous pouvons nous convaincre que nous ne nous mettons jamais en colère mais alors nos contrariétés risquent de prendre le contrôle de notre existence. Nous pouvons faire semblant de ne jamais avoir peur, mais alors nos appréhensions pourraient nous enfermer dans une vie étriquée. Nous pouvons bloquer la tristesse et agir comme si nous étions toujours prêts à rebondir rapidement après chaque échec, mais les années passant, notre corps pourrait en décider autrement. La notion de « miséricorde » fait un retour médiatique, promue par un ambassadeur de renom, le pape François. Il a ainsi décrété l’organisation d’un jubilé de la miséricorde, du 8 décembre 2015 au 20 novembre 2016. Cette année sainte correspond au 50e anniversaire de la clôture du Concile œcuménique Vatican II, en 1965, pour signifier que la démarche s’inscrit dans ce mouvement d’ouverture de l’Église catholique sur le monde. Mais, aussi bien chez les catholiques, les protestants et les orthodoxes, des chrétiens se mobilisent déjà pour faire preuve de solidarité. Et le grand public est aussi largement sollicité en ce sens. Qu’apporte, de plus, la notion de miséricorde par rapport aux efforts déjà déployés ? Je distingue deux façons de concevoir la miséricorde, l’une « descendante » et l’autre « ascendante ». Dans la version « descendante », la plus classique, il est d’usage de présenter d’abord comment Dieu fait preuve de bienveillance à notre égard. Des passages de l’Ancien

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Testament sont cités pour rappeler sa patience à l’égard des hommes et insister sur sa grande capacité à nous pardonner. Dans un deuxième temps, l’accent est mis sur la façon dont Jésus a lui aussi exercé la miséricorde. Ce n’est que dans un troisième temps que nous sommes invités à faire de même avec notre entourage. Tout d’abord, en pardonnant, puis en nous engageant pour les plus pauvres. Cette présentation s’avère juste d’un point de vue théologique. Elle obéit à la logique des vases communicants : ayant reçu l’amour inconditionnel de Dieu, incarné en Jésus, nous sommes amenés à diffuser à nouveau cette miséricorde, en pardonnant, puis en prenant soin des personnes en détresse. Dans son intervention annonçant le Jubilé, le pape François s’exclame ainsi « Combien je désire que les années à venir soient comme imprégnées de miséricorde pour aller à la rencontre de chacun, en lui offrant la bonté et la tendresse de Dieu ! Qu’à tous, croyants ou loin de la foi, puisse parvenir le baume de la miséricorde, comme signe du Règne de Dieu déjà présent au milieu de nous 1. » Nous sommes nombreux à partager ce souhait. Cette façon de présenter la miséricorde n’a qu’un inconvénient : elle s’adresse à un public pour qui Dieu signifie encore quelque chose ! Or Dieu ne représente plus une réalité présente pour nombre de nos contemporains. Parfois même chez 1. Miséricordie vultus, bulle d’indication du Jubilé extraordinaire de la miséricorde, 11 avril 2015.

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certains croyants, la religion semble se réduire à une morale sans nourrir la vie intérieure. Dans cet ouvrage, je voudrais présenter une approche que je qualifie d’ascendante, qui me semble plus accessible pour le grand public. Je partirai de l’expérience d’être touché par la détresse des personnes que nous rencontrons – des proches comme des inconnus. L’accueil de la colère, de la peur et de la tristesse nous apprend à trouver une attitude juste avec les autres. Il constitue un bon remède pour lutter contre l’indifférence. Pris dans un mouvement d’échange où nous donnons et recevons, nous sommes capables alors de décider de pardonner quand les relations se figent à l’occasion d’un conflit. J’indiquerai enfin comment cette logique de la miséricorde que nous avons d’abord vécue au contact d’autres humains n’est sans doute possible que grâce à Dieu qui nous aime inconditionnellement.

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1I Selon la Bible, la miséricorde naît dans nos entrailles Faire preuve de compassion, d’empathie, se montrer clément, être bienveillant, pardonner, prendre pitié de, prendre soin ? Le mot « miséricorde » revêt plusieurs significations. Il n’est pas simple de savoir laquelle retenir d’autant que le terme n’appartient plus à notre vocabulaire courant. Dans ce premier chapitre, je propose d’observer le sens qui lui est donné dans l’Ancien Testament. Ce qui nous permettra de mieux comprendre notre difficulté à traduire cette notion, mais aussi à percevoir sa richesse symbolique. Le mot « miséricorde » apparaît dans la langue française dès le XIIIe siècle. Il découle directement du mot latin « misericordia » qui se compose de « miseria », misère, et de « cor », le cœur. L’adjectif misericors signifie « qui ressent dans son cœur la misère d’autrui ». Ce mot latin est lui-même la traduction d’un mot en hébreu qui veut dire « entrailles ». En hébreu, le vocable « Rah’amim » évoque ainsi le sein maternel et la tendresse. Mais il est plus souvent employé au pluriel sous la forme du mot « Rehem » qui signifie ventre de la mère. La miséricorde exprime ainsi

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l’attachement profond d’un être pour un autre. « Éphraïm est-il donc pour moi un fils si cher, un enfant tellement préféré, pour qu’après chacune de mes menaces je doive toujours penser à lui, et que mes entrailles s’émeuvent pour lui, que pour lui déborde ma tendresse ? » peut-on lire dans le livre de Jérémie (31,20). Dans l’Ancien Testament, cette bienveillance décrit essentiellement l’attitude de Dieu. Pour exprimer cette tendresse divine, les rédacteurs ont donc choisi une image physique, éminemment humaine. À vrai dire, les croyants de l’époque ont mis du temps à percevoir Dieu comme miséricordieux. Au contraire, les livres de l’Ancien Testament montrent un peuple juif qui redoute sa colère. Dieu serait blessant et cruel. Ils attribuent leurs malheurs à son courroux. L’histoire du prophète Élie illustre ces différentes perceptions. Il défie quatre cents prêtres de la religion de Baal pour savoir qui dispose de l’appui du dieu le plus guerrier. Élie gagne dans une mise en scène digne d’un péplum hollywoodien. Il se met alors à déprimer et veut mourir. Ce n’est que progressivement qu’il va découvrir que Dieu n’est que bienveillance. Il marche quarante jours dans le désert, puis se réfugie dans une grotte espérant que Dieu se manifeste par des démonstrations de puissance. Mais Dieu n’est pas dans la tempête, ni dans le tremblement de terre. Élie finit par sentir sa présence dans un subtil silence, le murmure d’une brise légère. Comme souvent avec la Bible, le texte peut être lu à un niveau plus spirituel. Nous cherchons Dieu à l’extérieur

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de nous-mêmes attendant qu’il intervienne de manière spectaculaire, pour nous éviter d’affronter les difficultés de la vie. Puis en rentrant en nous-mêmes, en étant simplement disponibles, nous percevons une présence plus discrète, de l’ordre d’un « subtil silence ». Il faut du temps pour se délester des images de Dieu qui semble juger et se venger pour enfin éprouver sa miséricorde. Si l’on reprend l’histoire du peuple juif, il lui a fallu plusieurs générations pour découvrir la bienveillance de Dieu. Au début, les prophètes perçoivent les guerres et l’exil comme des châtiments divins. Mais ils vont se rendre compte que ces évènements malmènent, en premier lieu, des pauvres et des innocents. De même, les fléaux naturels s’abattent sans aucun discernement détruisant aussi les récoltes des « bons » croyants. Progressivement, les prophètes vont donc passer d’un Dieu cruel à un Dieu bienveillant. Le bibliste, Pierre Gibert 2, situe le basculement avec le prophète Jérémie et surtout avec le second Isaïe. Au chapitre 41, verset 13 nous pouvons ainsi lire « Car moi, le Seigneur, je suis ton Dieu, qui tiens ta main droite, qui te dis : ne crains pas, c’est moi qui t’aide ». Pierre Gibert précise que : « le peuple, les hommes n’ont pas changé du jour au lendemain. Ils sont même restés les mêmes et le resteront 2. Ce que dit la Bible sur… La miséricorde, Gibert Pierre, Draillard Bénédicte (Interviewer), Nouvelle Cité, 2014.

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longtemps, encore. » Mais la miséricorde divine ne dépend pas du bon comportement de ses fidèles. Je note au passage qu’il a fallu au peuple juif plusieurs générations pour découvrir ce visage de Dieu, il est possible que cette découverte nous prenne toute une vie ! Progressivement, les auteurs des livres de l’Ancien Testament vont donc commencer à utiliser le mot « entrailles » pour exprimer cet attachement. Il ne s’agit pas d’analyser, mais de ressentir. D’un point de vue physiologique, les entrailles désignent l’ensemble des organes contenus dans l’abdomen et au niveau de la cage thoracique. Parfois, ils décrivent explicitement les intestins, d’autres fois le ventre. Nous retrouvons ce sens, par exemple dans Ézéchiel (3,3) « Il me dit : Fils de l’homme, nourris ton ventre et remplis tes entrailles de ce rouleau que je te donne ! Je le mangeai, et il fut dans ma bouche doux comme du miel. » Cette dimension se trouve aussi présente lors des sacrifices comme dans le texte de l’Exode « Tu couperas le bélier par morceaux, et tu laveras les entrailles et les jambes, que tu mettras sur les morceaux et sur sa tête. » (Ex 29,17). Le mot exprime également des dérangements intestinaux, comme dans Jérémie. « Mon ventre, ô mon ventre ! Je me tords de douleur. Et les parois de mon cœur, elles claquent ! » peuton lire. C’est donc bien un terme physique qui est choisi pour parler de miséricorde.

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Les entrailles sont aussi utilisées pour évoquer la maternité. Dans le livre de la Genèse, lorsque Abraham s’inquiète de ne pas posséder de descendance, Dieu répond que « ce n’est pas [un membre de ta maison] qui héritera de toi, mais celui qui sortira de tes entrailles ». Nous retrouvons l’idée d’une proximité filiale, entre un enfant et sa mère, et par extension entre nous et Dieu. Au sens figuré, le mot « entrailles » désigne ce qui se trouve dans les profondeurs, un lieu vital, mystérieux, presque inaccessible, que l’on ne voit pas. La miséricorde nous touche dans notre être essentiel, au-delà des apparences et des conventions. « La terre est bouleversée dans ses entrailles », lit-on chez Job (28,5). On évoque alors le cœur profond de l’homme. L’expression n’est pas à prendre, au premier degré pour parler du muscle cardiaque, mais comme le centre de notre être, lieu de la rencontre avec Dieu. Les entrailles désignent aussi le lieu où se manifestent affections et sentiments. Ainsi lorsque Joseph voit son frère Benjamin : « Ému jusqu’aux entrailles, il se hâta de chercher un endroit pour pleurer. Il gagna la chambre privée. Là, il pleura. » (Ge 43,30). Dans sa plainte, Job lance « mes entrailles ne cessent de fermenter, des jours de peine sont venus vers moi ». (Job 30,27). Ou encore dans le livre des Lamentations : « Mes entrailles bouillonnent, mon cœur est bouleversé, ma bile se répand » (Lm. 1,20 ; 2,11).

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Pour exprimer sa détresse, le prophète Isaïe trouve des élans poétiques. « Les cris de joie ont cessé. Comme la harpe, mes entrailles frémissent sur Moab. » (Isaïe 16,11). À l’inverse, celui qui ferme ses entrailles, se prive de ressentir et de se laisser toucher. Ainsi dans la première épître de Jean (3,17), l’avertissement est clair : « Si quelqu’un possède les biens du monde, et que, voyant son frère dans le besoin, il lui ferme ses entrailles, comment l’amour de Dieu demeure-t-il en lui ? », peut-on lire. Le lien entre ressenti et solidarité ne peut être plus explicite. Dans le cantique de Zacharie enfin, celui-ci lance à l’occasion de la naissance de son fils Jean Baptiste : « et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très Haut, car tu marcheras par-devant sous le regard du Seigneur, pour préparer ses routes (…) », la traduction littérale fournit ensuite une explication, « C’est par les entrailles de bonté de notre Dieu. » (Luc 1,78). L’expression – « les entrailles de bonté » – est magnifique pour celui qui prend le temps de la ressentir. Cette façon de localiser physiquement la miséricorde mérite toute notre attention. Si la Bible insiste ainsi sur le ressenti de Dieu, n’est-ce pas pour nous inviter à observer ce qui se passe dans notre corps, lorsque nous sommes en présence des autres ? Sinon nos élans de solidarité risquent de rester à l’état de projet théorique. Dans les chapitres suivants, j’aimerais présenter les trois grandes émotions que sont la colère, la peur et la tristesse. Notre société ne sait plus comment les accueillir. Alors, elle nous propose de les

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bloquer en niant leur existence ou en les anesthésiant à coup d’antidépresseurs. Pourtant, sans elles, nous risquons de nous enfoncer toujours plus loin dans l’indifférence et le repli sur soi.

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Fiche pratique 1 Des mots pour exprimer sa colère Voici une liste de mots qui permettent de nommer ce que l’on ressent lorsque nous sommes en colère. je me sens contrarié agacé crispé mécontent énervé exaspéré en colère indigné irrité excédé courroucé furieux enragé

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Fiche pratique 2 Liste des besoins humains fondamentaux que nous avons tous en commun 4. Nos colères permettent de prendre conscience de ces besoins qui ne sont pas satisfaits et nous invitent à en prendre soin.

Besoins physiologiques Abri Air Alimentation Hydratation Lumière Repos Mouvement, exercice Respect du rythme Temps pour soi

4.

Cette liste s’inspire des travaux de Marshall Rosenberg, à l’origine de la communication non violente.

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Pratiquer la miséricorde Étienne Séguier Le pape François n’a pas fini de nous surprendre. Voilà qu’il consacre une année de Jubilé à la miséricorde, alors que le mot a presque disparu de notre vocabulaire. Tout au plus ce terme évoque-t-il les bonnes œuvres de ceux qui se penchent sur la misère du monde, mais sans réellement s’impliquer pour le faire évoluer. Et pourtant si l’on s’intéresse au sens premier du mot dans la Bible, il désigne notre capacité à ressentir dans nos entrailles la détresse des autres. Dans ce livre, Étienne Séguier plaide pour une nouvelle approche de la miséricorde qui laisse une place aux émotions. Nous cultivons une réelle empathie et un authentique pardon quand nous nous laissons toucher par les autres. S’appuyant sur son expérience de l’accompagnement des personnes, il montre comment favoriser des relations où l’on apprend à donner mais aussi à recevoir. Ayant expérimenté cet apport des autres, nous pouvons alors sentir que nous sommes portés – aimés – par plus grand que nous, celui que les chrétiens nomment Dieu. Dans un monde difficile qui nous pousse souvent au repli sur soi, ce livre est une belle invitation à faire preuve de miséricorde et à redécouvrir son prochain. Étienne Séguier est journaliste à l’hebdomadaire La vie (en charge de la rubrique spiritualité) et coach au sein du cabinet de développement personnel « Cultive tes talents ». Il y donne notamment des formations à la communication bienveillante et à l’ennéagramme. Il a publié : Cultive tes talents ! Nourrir sa foi avec le développement personnel, aux éditions DDB ; Traverser les épreuves : Méditation sur le chemin de croix et Élargis l’espace de ta tente. Ennéagramme et foi chrétienne, tous les deux aux éditions Empreinte Temps présent. ISBN 978-2-35614-093-7

8,00 €

www.editions-empreinte.com


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