Ben, la vie ne s'arrête jamais (Éd. Favre, 2024) - EXTRAIT

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Cet ouvrage a été réalisé grâce à l’amitié d’Eva et François Vautier, qu’ils en soient remerciés.

Extraits des livres : Être, Favre, 2012

La vie ne s’arrête jamais, Favre, 2012

Fluxus continue, Favre, 2013

Ben, ministre des cultures, Favre, 2013

Théorie de l’ego, Favre, 2014

Ben, ministre des affaires étrangères, Favre, 2015

Éditions Favre SA

Siège social : 29, rue de Bourg – CH-1002 Lausanne

Tél. : (+41) 021 312 17 17 – Fax : (+41) 021 320 50 59 lausanne@editionsfavre.com www.editionsfavre.com

Groupe Libella, Paris

Tous droits réservés pour tout pays. Toute reproduction, même partielle, par tous procédés, y compris la photocopie, est interdite.

Mise en page C. Duval

ISBN : 978-2-8289-2224-5

Dépôt légal en octobre 2024 © Éditions Favre SA, Lausanne, Suisse. Les Éditions Favre bénéficient d’un soutien structurel de l’Office fédéral de la culture pour les années 2021-2024.

TablE dEs maTièrEs

Signé Ben PAGE 9

CHAPITrE 1 PAGE 14

Être

CHAPITrE 2 PAGE 26

La vie ne s’arrête jamais

50 ans de performances de Ben

CHAPITrE 3 PAGE 64

Fluxus continue

CHAPITrE 4 PAGE 98

Théorie de l’ego

CHAPITrE 5 PAGE 150

Ministre des cultures

CHAPITrE 6 PAGE 192

Ministre des affaires étrangères

Biographie de Ben PAGE 229

Suite de la biographie de Ben par Florence Millioud PAGE 242

Liste des œuvres PAGE 254

Je n’écris jamais de préface, mais il faut une exception !

J’étais au Cambodge lorsqu’on m’a appelé pour m’annoncer la terrible nouvelle.

Je devais rencontrer Ben en juillet. On s’était parlé au téléphone en juin.

Il nous disait régulièrement être Alzheimer ! Ce qui était complètement faux. Bien au contraire, une vivacité incroyable et durable !

Ben, quelle personnalité chaleureuse, combative, vivante. Et un debater. Génial, y compris avec ses obsessions, comme le domaine de l’Ego. Il m’a envoyé d’innombrables textes sur ce sujet. Encore tout récemment.

Je me rappellerai toujours de nos agapes à la Colombe d’Or de Saint-Paul-de-Vence. Toujours.

signé bEn !

Ben, l’artiste qui ne laisse aucun répit à l’ennui, à l’inaction ou à la platitude, tout le monde l’aime… Même ceux qui croient le contraire. C’est juste, Ben bavarde, provoque, agite. Mais c’est parce qu’il ne lâche rien, porté par une pensée subversive au flux continu. Il rejoue sans cesse ses affirmations ? Vrai. Il s’agit de maintenir la perplexité collective. Et s’il fait de la vie, de la mort, des gens, de Dieu, de tout et rien, des œuvres d’art parce qu’il les signe, c’est pour signifier que l’inédit est une valeur en art. Tout est réfléchi. Avisé. Même le Ben qui joue au prof des bons mots avec la vente de T-shirts, puis de toute une collection de trousses d’écolier, d’agendas et de cahiers. Il y gagne, oui, l’éducation à l’esprit critique, aussi !

Reconnaître toutes ces spécificités à Ben Vautier, c’est donc aussi… l’aimer dans toute son humanité d’être sensible au monde. Et dans sa faillibilité d’artiste entretenant le doute comme le feu sacré de la création. Un artiste qui s’est fait seul, ralliant le conceptuel et le populaire dans une même intention de dire les choses, une personnalité artistique qui a pris son élan dans l’histoire de l’art tout en inscrivant son empreinte dans le présent.

« Ben est art ». « Ben est le plus fort », « Ben, c’est n’importe quoi », « Ben est un menteur qui le sait » ... Ben assène ! Il ponctue le quotidien, l’interrompt, le politise. Envahit l’espace commun dans un désir de communication directe avec tout un chacun et pointe la réalité crue avec ses lettres faussement naïves, tout en remplissant de lucidité ce vide qu’il fuyait comme l’inanité absolue.

si c’était si simple

Il suffit de considérer l’ampleur de chacune de ses expositions enchaînées à un rythme de coureur de fond, de visualiser l’amas hétéroclite qui façonne sa demeure de Saint-Pancrace sur les hauteurs de Nice - et c’est pareil à l’intérieur - ou de songer à son « Magasin ».

Œuvre titre condensant l’âme de l’échoppe de disques qu’il a tenue à Nice, installation phare aujourd’hui conservée au Centre Pompidou à Paris, et pièce à conviction d’un art né dans la frénésie pour s’épanouir dans la prolifération. Avec un principe prioritaire : apporter du nouveau à l’art. Le défi semble accessible, Ben a même cru y être arrivé du premier coup.

Déclarant en 1955 son premier dessin de banane comme une forme « inédite dans le monde de l’art » .

Erreur ! Son ami le peintre Yves Klein le remballe et l’encourage : « Expose plutôt tes grands poèmes à l’encre de chine. »

Les murs lui servent d’abord de support, l’écriture blanche s’échappant d’un fond noir viendra après. Ben a vingt ans. A son actif d’adulte et d’artiste naissant : une petite dynastie de peintres dans son ascendance suisse côté paternel, dont l’aïeul Louis Benjamin Vautier (1829-1898), des jobs de coursier et de laveur de vitres. Puis la responsabilité de la librairie-papeterie à Nice qui lui achète sa mère et qu’il transforme en magasin de disques et en galerie où se pressent César, Arman, Martial raysse. « Je crois que mes premières expériences artistiques ont été d’ouvrir des livres, de chercher si je trouvais quelque chose de neuf, de le couper, de le coller aux murs de ma chambre. Et ensuite de vendre ces livres tronqués. »

braquer les regards

Sûr… qu’on l’entend encore rire par sursaut après cette sortie inimitable. Mais il faut faire vite, Ben ne laisse pas de temps au temps, toujours à l’affût, toujours prêt, un magnétophone accroché autour du cou, au cas où. L’art et la vie quotidienne avancent, inséparables. Dada puis Marcel Duchamp ont libéré les consciences en ce sens, dès 1960 Fluxus brise les dernières chaînes, Ben Vautier en diffuse l’esprit. Il vit et dort dans la vitrine d’une galerie londonienne pendant 15 jours, fait du vélo dans les airs en hurlant dans son magasin, jette Dieu à la mer et pose sur la Promenade des Anglais avec une pancarte « Regardez-moi cela suffit. »

Ben a-t-il le sens de l’humour ? Celui de la comédie, c’est certain. Quand on lui tire le portrait, l’attitude est autre à chaque fois. Penseur. Hilare. Fier. Impertinent. Candide. Faussement bourru. Impérial. Là aussi, il accumule, sans doute mu par cette nécessité viscérale de se renouveler.

Le personnage, alter-ego de l’artiste, fait sourire mais il faut plutôt rester en alerte. Dans ses petites phrases qui claquent, imparables, dans ses vérités objectives, parfois subjectives, Ben manie le verbe en théoricien.

Combien de fois n’a-t-il pas répété qu’il aurait aimé être philosophe, forcément « un grand philosophe » . Ou politicien, évidemment « un grand politicien ». Ben est un libre penseur, un aiguillon de l’évidence, une indispensable piqûre de rappel. Ben est un théoricien qui a choisi l’art de le dire et l’ego trône en tête de liste. « Toute l’histoire de l’art, c’est une histoire d’ego. De moi qui crie : regardez ce que j’ai découvert de nouveau, professe-t-il en 1989 sur un plateau télé, invité de Thierry Ardisson. Le nouveau, c’est être libre de trouver autre chose. »

Une fin qui n’en est pas une

Dans ses questions - sa matière d’artiste - Ben se construit, il poursuit son introspection, force la nôtre, sans être prisonnier d’une forme, ni captif d’un genre. Performeur, auteur, rédacteur de newsletter, chanteur, vidéaste, peintre, sculpteur, l’énergie est inépuisable et sans hiérarchie. Peu importe les supports, les lieux ou les publics : il crée ! Le paradoxe est total, lui, le caïd de la synthèse, ne se laisse pas résumer en une ligne, ni même en mille.

« Je suis Ben », abrège-t-il. L’unique Ben, celui qui a « amené l’écriture et la vérité dans le monde de l’art » . Celui vit au-delà la mort - qu’il a choisie à 88 ans en se tirant une balle le 5 juin 2024, quelques heures après le décès de son épouse Annie - parce que débattre, c’est être vivant. Parce que ses aphorismes restent, lanceurs d’alerte !

CHAPITRE 1

Être

la ViE

EsT FanTasTiQUE

l a vie est fantastique les directeurs de centres d’art se spécialisent dans les discours inauguraux avec : comment remercier avec : comment passer la parole

l a vie est fantastique aux européennes pendant que les Jacobins se disputent, les régionalistes marqueront des points. j’en suis content

l a vie est fantastique je viens de boire un pastis cochon j’aime le ragot de k qui me dit que l’amie de mon ami taille des pipes aux amis de son mari

l a vie est fantastique j’aime celui qui met des plaques anonymes à Paris qui disent : ici habite Mme Durand qui arrose ses fleurs tous les mardis

l a vie est fantastique le monde change on n’y peut rien et c’est bien ou est-ce si bien ?

l a vie est fantastique on vend dans les supermarchés des miroirs sans tain à mettre entre le salon et la chambre à coucher

Être

l a vie est fantastique

1- Hélène est allée au vernissage sans robe mais en dessous sexy

2- Castro était l’ange chouchou des Français et le voilà devenu le diable

3- J’ai entré 200 nouveaux artistes dans ma liste Ben méchant

4- Orlan sera-t-elle interdite par le gouvernementavec la loi qui interdit les transformations humaines ?

l a vie est fantastique

Pour écrire un poème il suffit d’écrire la vie est fantastique d’appuyer sur retour et de raconter n’importe quoi

l a vie est fantastique

Les magasins sont pleins de monde les musées vides sauf quand on y traîne les enfants par classes et paquets

l a vie est fantastique

1- Saviez-vous que l’eau pense et que ses pensées naissent et meurent en pluie

2- Dans la villa dite des arts les gens s’observent et ne se touchent pas

3- Il y a un nouvel hammam à Nice les bourgeois déposent leurs femmes à cinq heures et reviennent les chercher à minuit ou plus tard

l a vie est fantastique

Je doute de moi il se peut que je ne sois ni ethniste ni communiste ni néo-réaliste mais simplement opportuniste ceci étant j’aime toujours les femmes nues

l a vie est fantastique

Henry Flynt croit que l’homme peut traverser les murs mais ne le sait pas et si c’était vrai ? Je vais essayer

l a vie est fantastique

Poésie tu es « vie » mais pourquoi quand les autres pleurent, meurent, souffrent croire cela poétique ?

l a vie est fantastique

ils m’ont drogué puis abandonné dans une chambre d’hôtel avec un tigre vivant attaché au pied du lit

l a vie est fantastique je deviens fou je traverse l’avenue nu pour prendre un bain dans une baignoire au milieu de la chaussée une fois dans la baignoire j’appelle ma mère

l a vie est fantastique l’étranger venu d’ailleurs est parti claquant la porte sans la belle serveuse la serveuse, elle a enlevé son tablier qu’elle a accroché au porte-manteau et elle a dit aux hommes assis : je me demande pourquoi vous voulez que je reste.

Vous venez de consulter un

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