d’histoire naturelle
Au début du XIXe siècle, quelques savants genevois se regroupent pour mettre en commun différents cabinets de curiosités et créer ainsi le Musée académique… institution exclusivement destinée à l’enseignement des sciences, de l’histoire et des arts. Mais ces érudits sont de mauvais gestionnaires. La Ville de Genève, appelée au secours, rachète le Musée en 1820 et l’ouvre au public… C’est le début d’une grande aventure.
ISBN 978-2-8289-1829-3
9 782828 918293
200 ans d’histoire naturelle
200 ANS
D’ H I S T O I R E N AT U R E L L E
D'HISTOIRE N AT U R E L L E Sous la direction de Jacques Ayer
Paléontologue, directeur du Muséum de Genève
Concept & coordination : Laurent Vallotton Adjoint scientifique et ornithologue au Muséum de Genève
Textes : Emmanuel Haymann Écrivain et historien
Photographies : Philippe Wagneur Photographe au Muséum de Genève
Archives : Juliette Oulevey Spécialiste en information documentaire au Muséum de Genève
Comité de lecture : Nadir Alvarez, Tommy Andriollo, Lionel Cavin, Pierre-Henri Heizmann, John Hollier, Jean Mariaux, Pascal Moeschler, Juliette Oulevey, Laurent Vallotton
Éditions Favre SA Siège social et bureaux 29, rue de Bourg CH-1003 Lausanne Tél. : (+41) 021 312 17 17 Fax : (+41) 021 320 50 59 lausanne@editionsfavre.com www.editionsfavre.com Groupe Libella Dépôt légal en Suisse en septembre 2020. Tous droits réservés pour tous pays. Sauf autorisation expresse, toute reproduction de ce livre, même partielle, par tous procédés, est interdite. Couverture : L’aile antérieure de l’Atlas Attacus atlas, un très grand papillon de nuit asiatique, évoque la tête d’un serpent.
Photographie © Philippe Wagneur, Muséum Genève
Répartis sur les pages de garde, les noms latins des 12 361 espèces animales décrites au Muséum entre 1820 et 2019. Citation recommandée : Ayer, J., Haymann, E., Vallotton, L., Wagneur, P. & Oulevey, J. (2020) : Muséum Genève : deux cents ans d’histoire naturelle. Éditions Favre SA, Lausanne. Graphisme : Francfort Communication & Partenaires, Lausanne François Bernaschina www.francfort.ch ISBN : 978-2-8289-1829-3 © 2020, Éditions Favre SA, Lausanne, Suisse. Les Éditions Favre bénéficient d’un soutien structurel de l’Office fédéral de la culture pour les années 2016-2020.
Sommaire Préface
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Invention d’un musée
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Après-midi d’hiver au musée académique
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1 Comment on invente un musée
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2 Visite au musée de la Grand-Rue
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3 Bastions-réminiscences
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4 Installation à Malagnou
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5 Les collections, archives du vivant
58
6 Le muséum au XXIe siècle
66
7 Ambre, une extraordinaire perspective
74
Collections
79
Chronologie
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Index des collections
282
Bibliographie sélective
285
Auteurs des légendes scientifiques
286
Remerciements
286
Table des matières
287
Photo : Nicolas Schopfer
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chopfer
UN BEAU MIROIR TENDU À NOTRE CITÉ
Lorsque l’on pense à un muséum d’histoire naturelle, on pense à un lieu somme toute universel, qui raconte l’histoire de notre planète, nous permet d’admirer des fourmis aussi bien que des tigres, des roches, des minéraux et des fossiles, bref nous présente la faune et la géologie mondiales.
Et pourtant… À lire dans les pages qui suivent l’épopée du musée de la route de Malagnou, il devient évident que cette institution est bel et bien genevoise et ne pourrait exister nulle part ailleurs telle quelle. Elle est un des plus beaux miroirs tendus à notre cité. Tout musée a son histoire. Celle du Muséum met en scène de grands hommes – les femmes étant à l’époque cantonnées aux coulisses − et leurs passions, des alliances ou encore les aléas politiques et économiques qui ont marqué la ville du bout du lac les deux cents dernières années. Et plus encore, puisque Henri Boissier, éminent savant genevois, se démenait avec enthousiasme depuis bien des années pour son Musée académique.
Au début du XIXe siècle donc, l’ancien recteur de l’Académie de Genève se bat pour que soit créé un vrai musée d’histoire naturelle, regroupant des collections constituées par des savants et des particuliers genevois. Il ne fut pas seul, heureusement, tant la Genève de cette époque abritait un nombre de scientifiques de renom absolument extraordinaire.
non seulement Genève est devenue une ville bénéficiant d’une réelle aura scientifique hors de nos frontières, mais elle a également pu voir s’implanter, après quelque cent cinquante ans de déménagements successifs, en bas de la route de Malagnou, un bâtiment conçu pour répondre aux besoins spécifiques des sciences naturelles. Aujourd’hui, de nouveau à l’étroit, le Muséum d’histoire naturelle va s’agrandir. Le projet Ambre, qui va sortir de terre ces toutes prochaines années, va lui permettre de repenser ses espaces afin de pouvoir mener ses missions dans le respect des normes actuelles, du confort et des besoins des visiteurs et des visiteuses. Aujourd’hui plus que jamais, le Muséum est une institution indispensable à notre société. Il est un lieu d’étude et de préservation de notre environnement, de notre biodiversité. Son combat est le nôtre, celui que nous devons mener ensemble pour sauver notre planète mise à mal. Bien consciente de cela, la Ville de Genève est fière de l’avoir accompagné dans son histoire et son développement depuis que, le 10 mai 1820, le Conseil d’État déclara que les collections du Musée académique seraient désormais propriété de la Ville. Je remercie donc les équipes qui se sont succédé au Muséum, à sa direction, dans ses laboratoires, sur le terrain, dans les salles et les bureaux, lui permettant de devenir cette belle institution que nous fêtons aujourd’hui. Je vous souhaite à tous et à toutes une bonne lecture.
Sami Kanaan
Maire de Genève
Grâce à la ténacité, la curiosité et la passion de ces hommes de sciences – et des quelques femmes à avoir réussi à s’imposer dans ces cercles qui leur étaient traditionnellement fermés, comme Christine Jurine, qui a laissé de cruciales observations entomologiques – 5
Fondée par François-Jules Pictet de la Rive en 1832, la Bibliothèque du Muséum regroupe aujourd’hui 70 000 ouvrages dont environ 4000 volumes précieux.
Invention d’un musée
APRÈS-MIDI D’HIVER AU MUSÉE ACADÉMIQUE Un vent glacé souffle sur Genève, et toute la ville semble se recroqueviller derrière ses murailles… Ce 9 mars 1820, l’offensive tardive de l’hiver agace Henri Boissier : au Musée académique, il va falloir rallumer le poêle du rez-de-chaussée ! En effet, ce jeudi-là en fin d’après-midi, les membres de l’administration vont recevoir en leur hôtel de la GrandRue une centaine de donateurs et quelques édiles de la cité. Mais qui va payer la facture 1 ? Un charitable mécène ? de charbon L’Académie elle-même ? La Ville de Genève ? Pour l’instant, seules des générosités privées et des initiatives particulières ont permis au Musée de se constituer au fil des années. Henri Boissier lui-même, professeur de belleslettres, d’archéologie et de chimie, a offert au Musée académique son cabinet d’histoire naturelle… Mais attention, ces mots deux fois centenaires n’ont pas tout à fait le sens qu’on leur prêterait aujourd’hui. Le Musée n’est pas obligatoirement un espace d’exposition ouvert aux curieux, l’Académie n’est pas une réunion de savants et le cabinet n’a rien à voir avec un lieu de travail… En fait, le Musée est ici une réunion d’éléments disparates destinés à l’enseignement, l’Académie représente l’ancêtre de la future Université et le cabinet est une collection vaguement classée et 1 Procès-verbaux de la commission du Musée académique, Archives de la Ville de Genève.
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agencée. Bref, en langage moderne, Henri Boissier a offert à l’Université sa collection d’histoire naturelle pour la formation des étudiants genevois. Pourtant, en cette journée de 1820, une grande mutation se dessine : l’administration du Musée a finalement accepté l’idée de recevoir du public. Oh, pas trop souvent, deux heures par semaine seulement les jeudis après-midi, mais quel bouleversement ! Depuis plusieurs années, les savants genevois choyaient le Musée pour leur propre satisfaction et celle d’une poignée d’étudiants. Au nom de la science et de l’instruction, ils avaient réuni des objets aussi hétéroclites que des instruments de physique, des médailles antiques, des oiseaux, des tortues, des reptiles, des poissons naturalisés, des œufs, des nids, des papillons, des fossiles, des coquillages… une accumulation soigneusement entreposée au numéro 11 de la Grand-Rue, dans l’hôtel particulier mis à la disposition de l’Académie par la municipalité genevoise. Ces collections entretenues avec passion ne pouvaient pas demeurer encore longtemps hors de la vue des Genevois, il fallait bien finir par les montrer. Et le souci d’Henri Boissier pour le paiement de sa note de combustible n’est pas étranger à cette décision… En acceptant les visiteurs, l’administrateur espère bien persuader les plus hautes instances genevoises de prendre en charge les frais de l’institution ! Deux conseillers d’État sont venus participer à cette première assemblée
des souscripteurs et donateurs du Musée : Marc-Antoine Fazy, riche propriétaire d’une filature à Carouge, et Jacques-François Roux, vieux briscard de la politique genevoise. L’ouverture du Musée concédée avec parcimonie va‑t-elle se révéler suffisante pour séduire le gouvernement ? En prenant la parole, Henri Boissier sait qu’il va devoir se montrer éloquent et convaincant. Il évoque les buffets vitrés qu’il a lui-même offerts pour le salon du premier étage, les instruments d’astronomie légués par Jacques de Chapeaurouge, un Genevois établi à Hambourg, les appareils consacrés aux expériences électriques, les animaux répertoriés et exposés. Après avoir brossé ce tableau édifiant, il en vient à l’essentiel… Avec une hargne mal contenue, il parle des « fonds insuffisants », des « frais imprévus », des « moyens dépassés », puis se fait plus insistant encore : « Quelques personnes ont estimé qu’une institution de cette nature, capable de s’accroître indéfiniment, et d’une utilité incontestable, était vraiment nationale, et devrait être regardée comme une propriété du chef-lieu du canton, et conséquemment demeurer à sa charge2. »
2 Premier rapport sur l’origine et l’accroissement du Musée académique, Paschoud, 1820.
Jusqu’en 1872, l’ancien Hôtel du Résident, sis Grand-Rue 11 à Genève, a abrité le Musée académique. Bibliothèque de Genève
L’appel au secours a été entendu. Deux mois plus tard, le 10 mai 1820, le Conseil d’État déclare les collections du Musée académique « propriété de la Ville de Genève ». Les factures impayées de charbon, le loyer en retard et les salaires dus aux gardiens sont aussitôt réglés par la municipalité. C’est la fin des embarras pour Henri Boissier, et la métamorphose décisive d’une aventure qui a commencé quelques décennies auparavant, dans les soubresauts de la Révolution…
Demain, le temps Le Muséum doit parler du temps long, alors que nous sommes, avec nos vies, dans le temps court. Actuellement, la performance est de faire tout très rapidement, de plus en plus vite, c’est ainsi que fonctionne notre société occidentale. Il faut pourtant se réconcilier avec une vision à long terme. Deux cents ans d’histoire du Muséum, ce n’est rien, finalement. Il faut apprendre à voir les choses sur une échelle de temps qui intègre les problèmes à résoudre : crise climatique et effondrement de la biodiversité. Parce qu’il est dans une tradition du long terme, un musée prend du sens quand il s’exprime sur ces thématiques tout en les mêlant à une efficacité immédiate. Pascal MOESCHLER, biologiste au Muséum
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Les cabinets de curiosités, très à la mode dès le XVIIe siècle, furent souvent, par leurs collections hétéroclites, à l’origine des musées d’histoire naturelle. Ici le cabinet de curiosités d’Ole Worm (1588-1654), provenant de l’ouvrage Museum Wormianum, 1655. Source : Wikipédia
Comment on invente un musée En cette année 1794, ils sont quatre. Quatre Genevois déterminés… •• Un politicien, François Romilly, l’un des 120 membres de l’Assemblée nationale genevoise chargée de rédiger une nouvelle Constitution. •• Un artiste-peintre, Jean-Pierre Saint-Ours, qui a espéré faire une carrière à Paris. Mais freiné dans son ascension par sa nationalité genevoise, il est vite revenu dans sa petite patrie du bout du lac. •• Un pharmacien et chimiste, Pierre-François Tingry, né à Soissons, et qui a choisi Genève. Il a obtenu la bourgeoisie de la ville et mène dans son officine des recherches en chimie et en minéralogie. •• Un physicien, Marc-Auguste Pictet, qui, en plus de ses cours académiques, donne des cours publics de physique expérimentale suivis par une foule d’auditeurs enthousiastes. La politique, l’art, la chimie et la physique réunis… Ces quatre hommes bien différents ont un objectif commun : ouvrir pour leurs compatriotes un lieu d’exposition, d’instruction et de réflexion digne d’une ville de 25 000 habitants. Il s’agira d’assurer l’éducation des jeunes en les éveillant aux œuvres du passé, aux mystères de la nature et aux expériences de la science en marche. 14
Le moment est particulièrement bien choisi : la cité a retrouvé un certain calme après plusieurs années d’une violence révolutionnaire qui a versé dans les excès, les exactions, les exécutions. Sur les remparts, des hommes coiffés du bonnet phrygien rouge vif ont naguère défilé et menacé… Des partis se sont opposés : les Négatifs, qui refusaient toutes formes de concessions démocratiques, les Englués, qui soutenaient le gouvernement des patriciens, et les Égaliseurs, qui réclamaient l’égalité des droits pour tous. Les uns et les autres se sont affrontés à coups de nerfs de bœufs, de piques et de fourches. À la suite de ces convulsions, une nouvelle Constitution garantissant la démocratie directe et la séparation des pouvoirs a pu heureusement apaiser les esprits. En 1794, le temps est donc venu de songer à ouvrir ce musée si souvent rêvé. Les quatre hommes imaginent un écrin dans lequel seraient déposés des tableaux, des sculptures, des ensembles scientifiques… Car nous sommes à cette époque charnière où l’ancienne passion de la collection destinée seulement à accumuler des bizarreries diverses fait place à une recherche de sens. Les cabinets de curiosités de jadis sont remplacés par des cabinets spécialisés en physique, en chimie ou en histoire naturelle… On veut désormais expliquer, classer, transmettre. Mais où trouver l’emplacement prestigieux qui accueillera ce nouveau musée ? Justement, le résident de France a quitté le somptueux
hôtel particulier de la Grand-Rue occupé par ses prédécesseurs depuis quelques décennies. Le nouveau représentant de la République française sait que l’époque n’est plus au luxe ostentatoire, à la richesse étalée, à l’aristocratie triomphante, il faut à présent se faire modeste, humble, effacé… Le résident, une sorte d’ambassadeur, préfère donc sagement économiser le loyer annuel 550 livres que son gouvernement de 1 devait jusqu’ici verser à la Ville de Genève, propriétaire du bâtiment, et se contente d’aller occuper un appartement, place du Grand-Mézel. Bref, le résident parti, le rez-de-chaussée et les deux étages de l’hôtel de la GrandRue restent vides… On peut désormais y installer les sciences et les arts réclamés pour l’instruction publique. Le Conseil général, nouvelle instance gouvernementale, vote un budget de 30 000 livres, moitié pour l’achat du cabinet de physique de Pictet et moitié pour l’acquisition du cabinet d’histoire naturelle de Tingry. Une somme énorme quand on sait qu’un bon ouvrier gagne alors à peine 320 livres par année. Mais les magistrats jugent sans doute que rien n’est trop onéreux pour l’édification des peuples… Car l’hôtel du résident, devenu Maison nationale, s’ouvre à un large public invité à venir s’y instruire en suivant les cours donnés par quelques professeurs dévoués et bénévoles. Les instruments de physique de Pictet, destinés à un enseignement ludique fondé sur la présentation d’expériences, remportent un grand succès, notamment « la
maison explosive », qui doit démontrer les effets chimiques de l’étincelle électrique. C’est une sorte de jouet en forme de maisonnette qui inclut un « pistolet de Volta », création du Lombard Alessandro Volta. Il s’agit d’un petit vase de fer-blanc contenant hydrogène et oxygène emprisonnés par un bouchon de liège… et le mélange explose au contact d’une étincelle produite par une machine électrostatique, la détente des gaz soulève alors le toit de la petite maison, les murs s’effondrent avant que le savant ne remette tout en ordre pour reproduire l’expérience à la prochaine démonstration1. 1 De nombreux instruments du cabinet Pictet sont visibles au Musée d’histoire des sciences, parc de la Perle du Lac, Genève.
En l’hôtel de la Grand‑Rue, Marc-Auguste Pictet donnait des cours de physique expérimentale. Sous ses doigts, cette maison explosait grâce à un système mettant en contact une étincelle, produite par de l’électricité statique, avec un gaz, procédé connu sous le nom de « pistolet de Volta ». Tôle peinte, fin du XVIIIe siècle. Musée d’histoire des sciences. MHS 1406
L’occupation française et ses cadeaux Le musée généraliste de la Grand-Rue fonctionne cahin-caha pendant quelques années, mais l’époque est agitée… Face à son grand voisin français, gourmand et envahissant, la petite République de Genève ne va pas pouvoir préserver son indépendance très longtemps. Le 15 avril 1798, prétextant un imaginaire complot contre les libertés, cavaliers et artilleurs français entrent dans la ville par ses trois portes, Rive, Neuve et Cornavin. Les envahisseurs se précipitent à l’Hôtel de Ville, désarment la garde, pointent des canons sur le bâtiment et convoquent l’Assemblée nationale qui se voit quasiment contrainte de voter à la hâte la réunion de Genève à la France. En effet, vu de Paris il s’agit bien d’une réunion, à la rigueur d’une annexion, mais la plupart des Genevois parlent d’une occupation… La ville n’est plus désormais que le chef-lieu du département du Léman, et la préfecture va s’installer à l’hôtel de la Grand-Rue dont il faut rapidement déménager les collections… On en dépose une partie dans le salon de la municipalité, situé sans doute à l’intérieur même de l’Hôtel de Ville, tandis que d’autres éléments sont placés à la Bibliothèque publique, c’est-à-dire dans les combles du vieux Collège fondé par Calvin. La grande salle de la bibliothèque est désormais ornée d’une suite de portraits des réformateurs, des humanistes et des savants qui ont honoré l’Académie de Genève. Un peu plus loin s’alignent les bustes édifiants de Jean-Jacques Rousseau, de Jean Calvin, de Théodore de Bèze. Et puis, à l’arrière, on expose des pièces archéologiques : médailles rares, vases grecs, statues romaines, armes antiques. Et les collections de Pictet et de Tingry ? Plutôt que de prendre le risque de les voir partir à Paris, l’autorité genevoise préfère les
revendre à leur propriétaire. De toute façon, ni le cabinet de physique ni celui d’histoire naturelle n’avaient été entièrement payés ! Sur les 15 000 livres promises à chacun, Pictet n’a touché que la moitié et Tingry moins encore. Mais il n’y a plus de Musée, plus de Maison nationale, et l’administration genevoise se montre pressée de se débarrasser d’objets scientifiques dont elle ne sait que faire… Et si ces précautions ne suffisaient pas ? Et si la France occupante cherchait à dérober les richesses artistiques et scientifiques de Genève ? Pour empêcher juridiquement ce pillage redouté, l’Assemblée déclare les biens issus de l’ancienne République « communs et indivisibles entre tous les citoyens pour en affecter les revenus à l’éducation, au culte réformé et au soutien de l’industrie ». Pour établir parfaitement cette protection et gérer l’ensemble de ces trésors dans l’intérêt de tous, une Société économique est créée. On soupçonnait la puissance occupante de vouloir s’emparer des trésors genevois, on avait tort. Paris, tout au contraire, crut de bonne politique de faire des cadeaux à la préfecture du Léman ! Pour l’enseignement du dessin, la capitale envoya d’abord des peintures, des copies de statues antiques et des sculptures modernes. Il fut ensuite décidé en haut lieu que Genève devait posséder son propre Musée d’histoire naturelle, mais qu’allait-on pouvoir y exposer ? Quelques trésors puisés dans les réserves du Muséum parisien devaient faire l’affaire… Pour faire le tri et opérer un choix, les professeurs du Jardin des Plantes appellent AugustinPyramus de Candolle, leur élève venu de Genève, un jeune homme de 20 ans, déjà habile botaniste. Durant deux mois, Candolle explore les dépôts, fait remplir des caisses entières d’animaux empaillés. Il collectionne des oiseaux, une tête d’hippopotame, un zèbre, un singe, mais aussi des pierres curieuses, de beaux fossiles, des coquillages, des cornes diverses… En février 1799, il 15
L’immense majorité des 15 millions de spécimens conservés au Muséum sont des invertébrés, comme cette sauterelle d’Amérique centrale.
Collections
Quartz MHNG 001.001
Les 400 premiers échantillons enregistrés dans les réserves du Muséum sont des roches et des minéraux. Cette géode de quartz porte le premier numéro officiel de la collection du Muséum : 001.001. Elle provient de la riche collection d’objets d’histoire naturelle d’Henri Boissier (1762-1845), recteur de l’Académie de Genève, professeur de littérature et d’archéologie, personnage central de la genèse du Muséum.
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Les larves de ces superbes longicornes orientaux sont xylophages et creusent des galeries dans le tronc d’arbres tropicaux parfois destinés au bois ouvré. Ces spécimens appartenant à la collection de Jeannine Morati (1942-2009) et Michaël Huet ont rejoint celle du Muséum en 2010. Institutrice, Jeannine prit sa retraite anticipée en 1990 pour se dédier pleinement à sa passion pour les coléoptères. Elle proposa gracieusement ses compétences au Muséum où, dès 1993 et à raison de deux jours par semaine jusqu’à la veille de sa mort accidentelle, elle aida à l’entretien et à la mise en valeur de la collection générale de coléoptères. Mais elle passa à la postérité en publiant en 2004, avec Michaël Huet, une révision taxinomique des magnifiques longicornes du genre Pachyteria. D’une profonde humilité, il fallut des années pour la convaincre d’accepter de devenir correspondante du Muséum, titre honorifique que le Conseil administratif de la Ville de Genève s’empressa de lui décerner en décembre 2008.
Pachytère à cou roux Pachyteria ruficollis MHNG ENTO 76634
Pachytère basale Pachyteria basalis MHNG ENTO 76637
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Pachytère de Cooman Pachyteria coomani MHNG ENTO 76636
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Monazite MHNG 498.002
Grâce aux très petites quantités d’éléments radioactifs qu’il contient, on peut dater la cristallisation de ce petit minéral orange dans les fentes alpines. Ce chronomètre naturel joue un rôle important, car il a notamment permis de montrer que ces fentes se sont formées à plusieurs reprises pendant la formation des Alpes. Il donne donc des indications précieuses sur les processus de formation des chaînes de montagnes.
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Émeraude orvert Chlorostilbon mellisugus MHNG MAMO 313.027
L’Émeraude orvert est un colibri qui pèse entre 2 et 3 grammes. Comme tous les colibris, il est originaire du Nouveau Monde et présente la particularité d’avoir des battements d’ailes hyper rapides, jusqu’à 80 par seconde. Le développement du bréchet, lieu d’attache des puissants muscles pectoraux, est particulièrement visible. Les oiseaux qui ne volent pas du tout, comme les autruches, les casoars ou les kiwis, sont totalement dépourvus de cette carène.
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Vous venez de consulter un EXTRAIT d’un livre paru aux Éditions Favre. Tous droits réservés pour tous pays. Toute reproduction, même partielle, par tous procédés, y compris la photocopie, est interdite. Éditions Favre SA Siège social : 29, rue de Bourg – CH–1002 Lausanne Tél. : +41 (0)21 312 17 17 lausanne@editionsfavre.com www.editionsfavre.com