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Préface
Les éoliennes industrielles sont devenues, en deux décennies à peine, aux côtés des panneaux photovoltaïques, le symbole de la transition énergétique et de la modernité. Bien qu’elles ne produisent encore « que » 6,5 % de l’électricité mondiale, leur développement est impressionnant et tous les scénarios de « neutralité carbone » à horizon 2050 misent dessus pour une part très significative – entre 25 et 50 % – du mix électrique.
Si leur bilan carbone est très favorable par rapport aux sources fossiles comme le charbon et le gaz, leur impact environnemental est loin d’être nul : elles sont consommatrices de nombreuses ressources, ciment, métaux, balsa, résines issues de la pétrochimie ; elles sont en partie non recyclables après une durée de vie assez faible (20 à 30 ans) ; elles augmentent la mortalité des oiseaux et chauve-souris, un effet indésirable qui ira croissant avec l’augmentation de puissance et de la hauteur des machines.
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La course au gigantisme des aérogénérateurs nous permet naïvement d’espérer qu’on produira « vert » dans le futur sans trop remettre en cause nos « besoins », mais nous fait oublier qu’il existe toute une gamme de possibilités pour exploiter la force du vent à des échelles intermédiaires, de l’éolienne « personnelle » à l’éolienne de village.
À travers ce livre richement illustré et pédagogique, on parcourt l’histoire, on s’initie aux bases techniques de l’auto-construction d’un projet, mais surtout, on réfléchit à la juste échelle technologique, on questionne nos manières de produire et consommer demain, on imagine une société plus sobre, des réflexions indispensables pour nous réinscrire dans les limites planétaires. Cela donne furieusement envie de s’y mettre : à vos rabots !
Philippe Bihouix Ingénieur,
auteur de L’âge des low tech. Vers une civilisation techniquement soutenable (Seuil, 2014 ; Points 2021).
Introduction
Pour qui ne sait quel port gagner, point de vents favorables.
Sénèque, Lettres à Lucilius (LXXI)
On a parfois l’impression d’avoir fait le tour d’un sujet, d’en connaître tous les acteurs, les recoins, les références… Et puis un jour, on remarque une petite porte bien cachée, discrète ; on l’avait sûrement déjà vue mais sans vraiment y avoir prêté attention. Alors, puisque l’on tourne en rond et que c’est tout ce qu’il nous reste, on l’entrouvre… Et voilà que soudain, dans l’encadrement, se dévoile, à perte de vue, un monde inconnu, un univers à part entière, coloré, verdoyant, avec des gens qui s’activent, des sourires… C’est à ce moment-là que l’on prend conscience que ce que l’on pensait être l’horizon du monde n’était en fait que les murs d’une cour dans laquelle nous tournions, enfermés.
C’est exactement l’impression que j’ai eu le jour où, à force de buter sur les contradictions du « grand éolien », ou de chercher quelle serait la petite éolienne domestique idéale, robuste, performante, abordable, réparable, j’ai dû me rendre à l’évidence : autant essayer de faire passer un chameau par le chas d’une aiguille ! C’est ainsi qu’un peu par hasard, un peu par dépit, sans vraiment en attendre grandchose, j’ai entrouvert la porte des éoliennes autoconstruites. Moi qui pensais avoir fait le tour du sujet, j’ai tout à coup réalisé que je ne savais rien ! Je me suis retrouvé face à un univers merveilleux, rempli de possibles et fourmillant de personnes se passant gaiement les outils utiles à la réalisation d’éoliennes en bois : postes à souder, rabots, planes…
J’ai tout d’abord trouvé cela curieux, amusant, divertissant, sans vraiment en percevoir le potentiel, ni en termes de production d’énergie, ni en termes d’autonomie. On est plutôt habitués à penser « hightech » et à se dire que tout ce que l’on fait soi-même est forcément « moins bien », « moins sérieux » que les produits du commerce. J’ai finalement saisi que le rendement de ces turbines, s’il était parfois moins élevé que les générateurs commerciaux, pouvait tout autant les surpasser1. Surtout, c’est en allant rendre visite aux propriétaires de ces machines à vent autoconstruites que j’ai compris que ces dernières incarnaient « l’anti-obsolescence » : conçues avec un design simple, des matériaux robustes et des techniques accessibles à toutes et tous, elles témoignent d’une durée de vie quasi infinie.
Il se peut, bien sûr, qu’une pale casse, ou qu’une pièce se rompe par l’usure, mais pour le propriétaire autoconstructeur, auto-installateur et autoproducteur, qui connaît son « œuvre » par cœur et qui l’entretient soigneusement, cela n’implique jamais que quelques heures de bricolage pour la remettre en état.
En considérant la durée de vie et la réparabilité de ces machines, elles deviennent alors imbattables. C’est déjà énorme, mais ce n’est pourtant pas leur plus grand mérite ! En effet, il existe bien plus important et bien plus autonomisant que l’électricité que produiront ces moulins ; à savoir le partage, la confiance en soi, les connaissances et savoir-faire qu’ils nous permettent d’acquérir.
Chaque construction est unique, fruit d’un travail attentionné, patient et créatif. C’est une déclaration d’amour à la matière et à ses prochains, nous permettant de renouer un instant avec « l’Art » de l’artisanat.
Et que dire du pouvoir émancipateur lorsque l’on conçoit son outil et produit son énergie ?
Dans l’autoconstruction, le chemin compte autant que la fin. Je vous propose que nous l’empruntions ensemble afin de vous dévoiler un aperçu de ce monde merveilleux !