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Remettre l’éolienne au milieu du village
Le dimanche nous allions aux moulins […]. Là-haut, les meuniers payaient le muscat […] et jusqu’à la noire nuit on dansait des farandoles. Ces moulins-là, voyez-vous, faisaient la joie et la richesse de notre pays. Malheureusement, des Français de Paris eurent l’idée d’établir une minoterie à vapeur […] et les pauvres moulins à vent furent tous obligés de fermer. […] Plus de muscat ! plus de farandole !
Le mistral avait beau souffler, les ailes restaient immobiles…
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A. Daudet, Lettres de mon moulin, 1869
ÉOLIENNES INDUSTRIELLES :
UNE MONOCULTURE
COMME UNE AUTRE
Quand on parle d’éoliennes, on pense tout de suite à ces immenses turbines, hautes de 100 m ou plus, au fuselage blanc, aux pales pointues et aérodynamiques, avec l’autocollant d’une multinationale apposée sur la nacelle, au beau milieu d’un champ ou sur la crête d’une colline.
Depuis peu, le décor s’étend jusqu’aux côtes Atlantique et de la Manche, où l’on peut, lors de nos balades, les apercevoir au loin.
Et puis, c’est à peu près tout. Voici la diversité de l’éolien moderne : d’énormes aérogénérateurs, très complexes et capitalistiques, nécessitant des moyens hors-norme, produisant beaucoup d’électricité, sur un marché réservé aux plus grands acteurs financiers2.
Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi…
Fut un temps, pas si lointain, où les moulins tournaient pour alimenter scieries et papeteries, où les éoliennes produisaient de l’électricité en direct pour de petits commerces, où le transport à la voile était rapide et développé, où le pompage de l’eau se faisait grâce au vent, où les machines étaient indestructibles et infiniment réparables, faites de composants et de matériaux simples, considérées comme outils populaires, fruits d’un savoir-faire artisanal, garantes d’une vie sociale riche et active.
Pendant des siècles, l’énergie éolienne fut la force motrice principale de l’humanité, mais le « progrès » a réduit toutes ces machines et techniques à l’oubli et, avec elles, l’organisation sociale, le savoir-faire et les modes de vies qui les entouraient. Poussée par la recherche de compétitivité et de rendement, la sélection technique n’a retenu qu’un type de machine, pour un seul usage, et l’a poussée au paroxysme de sa complexité et de sa performance.
Les éoliennes modernes sont à l’image d’un monde de monocultures ultra-performantes, comme pourrait l’être un champ de maïs génétiquement conçu par des experts pour sa taille et son rendement, adapté aux machines plus qu’aux Hommes. Tels d’immenses colosses aux pieds d’argiles, leur efficacité n’a d’égales que leur dépendance aux engins, aux matières premières, aux échanges mondialisés et leur fragilité face aux imprévus.
Mais surtout, plutôt que de s’intégrer dans une démarche de sobriété, elles permettent de subvenir à l’augmentation globale de la consommation et des besoins (comme on le voit sur le graphique ci-dessous).
Je ne dis pas qu’elles n’ont pas leur place, mais si l’on recherche la résilience, elles ne devraient être mises en œuvre qu’une fois les questions des besoins et du projet de société véritablement posées. Elles feraient alors probablement partie d’un écosystème de techniques et d’usages plus diversifiés, se complémentant les uns les autres dans une dynamique globale de décroissance de la consommation et de réduction des inégalités… ce dont nous sommes malheureusement très loin3 !
Peut-on dire que la vie s’organise aujourd’hui autour d’une éolienne industrielle comme elle s’organisait hier autour d’un moulin ?
Peut-on dire que l’éolienne industrielle est une technique adaptée aux compétences et besoins des individus, et donc appropriée et appropriable ? Qu’elle engendre un monde plus sobre et plus juste ?
Ce schéma représente la consommation énergétique mondiale (en Mtoe)5. Il est clair que les énergies renouvelables (« hydraulique » et « autres ») s’ajoutent aux énergies carbonées pré-existantes... La célèbre « transition énergétique » n’existe donc pas. Elle est en réalité un « empilement énergétique » alimentant la croissance de la consommation globale.