Nomen

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[Nomen.]

L’origine des noms des espèces

Par l’auteur des podcasts

Baleine sous Gravillon et Mécaniques du Vivant

Pour nos frères et sœurs du Vivant

[Sommaire]

CHAQUE NOM EST UN COFFRE AU TRÉSOR 6

COMMENT NOMMER LE VIVANT ? 12

Les critères du choix d’un nom : classique n’est pas synonyme d’ennuyeux 18

Qui se ressemble s’assemble… dans un nom composé 48

Ces noms qui jouent à cache-cache dans celui d’une autre espèce 64

Des noms traîtres ou « confusants », qui induisent en erreur 78

Un zeste d’humour et une touche d’ironie 90

Les emprunts, les cadeaux… et les ovnis venus d’autres langues 110

Des hommages à des personnalités 132

Des noms de personnages fictifs pour des espèces… bien réelles 148

Le sexuel et le scatologique : jamais bien loin… 160

CHAQUE NOM EST UN COFFRE AU TRÉSOR

Les noms des êtres et des choses ne sont pas que de mornes étiquettes. « Les mots […] savent de nous des choses que nous ignorons d’eux », écrivait René Char dans son recueil Chants de la Balandrane, en 1977. Dès que l’on gratte un peu sous la surface, dès que l’on s’intéresse à leur histoire et à leur étymologie, des filons et des pépites apparaissent.

Sous renard, qui est le prénom du personnage principal du Roman de Renart à l’origine, c’est toute la société du xiie siècle qui est décrite ; sous pieuvre, il y a Victor Hugo en exil à Guernesey ; sous hibou grand duc, il y a une observation naturaliste très finaude ; sous raie manta, il y a un mot espagnol qui signifie « couverture, cape », car cette ballerine géante de 8 mètres d’envergure en rappelle la forme ; sous blob, il y a un film de science-fiction et d’horreur de 1958 dont l’interprète principal est un certain… Steve McQueen.

DANS LES MARGES…

Je suis passionné par le Vivant, dont je suis un fragment, une parcelle… comme vous qui me faites l’honneur de lire ces lignes. Il est ma famille, la tienne, celle de tous nos frères et sœurs humains et donc la nôtre. C’est pourquoi j’écris toujours Vivant avec une majuscule, comme pour nos noms de famille.

Baleine à bosse, Megaptera novaeangliae Son nom scientifique signifie « la [baleine] aux grandes nageoires de NouvelleAngleterre », la région du nord-est des États-Unis.

Je suis le battement d’ailes du papillon et le cœur de la baleine, le bourgeon qui s’ouvre et la bactérie qui se divise. Comme tous les naturalistes, je constate, la mort dans l’âme, l’éradication en masse de nos frères et sœurs du Vivant, qui vivent dans les marges que nous leur laissons… ou pas.

Je dis bien éradication et non extinction ou disparition, termes qui pourraient laisser penser qu’il s’agirait d’un lointain épiphénomène externe et inéluctable, de braises qui s’éteignent plus ou moins naturellement, à l’insu de notre plein gré. Non, aujourd’hui, la disparition du Vivant résulte bel et bien de nos modes de vie, de nos sociétés extractivistes d’hyperproduction et de surconsommation, ce que plus personne ne peut nier ou ignorer.

Mais « la fin du mois » et le confort humain priment sur la fin du monde vivant, et cette urgence maladive et court-termiste contribue à l’écraser davantage. Le Vivant est de fait « la cinquième roue du SUV » pour l’humain moyen, le cadet de ses soucis.

C’est pourquoi j’emploie tout le temps toute l’énergie que j’ai à raconter le Vivant. La célèbre phrase de Jacques-Yves Cousteau en résume bien le principe directeur : « On aime ce qui nous a émerveillés, et on protège ce qu’on aime. »

Il ne manque pas d’air le commandant Cousteau au demeurant… Je suis tombé de ma chaise lorsque j’ai vu les images de son célèbre film Le Monde du silence, sorti en 1956. L’homme au bonnet rouge a ordonné des inventaires de récifs à la dynamite, organisé le harponnage d’un clan de cachalots par simple jeu, ce qui a fini par tuer l’un d’eux par inadvertance, un bébé, avec l’hélice du bateau, au cours de la poursuite. Cousteau a ensuite demandé le massacre des requins longimanes attirés par le carnage, sans autres raisons que l’ignorance, le préjugé et la bêtise. Dans ce documentaire – récompensé par un oscar –, la découverte du monde marin s’apparente à un viol, en tout cas à un crime, et je pèse ces mots. Ils résument le parcours, la posture et la dualité de l’humain et de l’humanité, qui se soucient peu, individuellement et collectivement, de ce qui vit autour. Nous descendons pourtant tous du même ancêtre initial, LUCA, Last Universal Common Ancestor. Que penserait cette « grand-mère primordiale », qui ressemblait à une bactérie, de ce que ses lointains petits-enfants sont en train de faire ?

MA PART DE COLIBRI… ET DE BALEINE

Animé par cette urgence, à la faveur de la Covid-19 en 2020, j’ai créé la famille de podcasts Baleine sous Gravillon. En plus du navire amiral éponyme, la petite famille a été rejointe un an plus tard par trois petits frères complémentaires, Combats, Nomen et Petit Poisson deviendra Podcast. Je les surnomme parfois « les MousqueTerres du Vivant ».

Le podcast Nomen – « nom » en latin – est d’ailleurs l’inspiration et le prolongement audio de ce livre. Chaque semaine, avec Pierre Avenas, nous y dévoilons, en alternance, l’origine des noms de mammifères, d’oiseaux, de poissons et d’arbres.

J’en profite pour rendre hommage et remercier Pierre, auteur, avec la célèbre linguiste Henriette Walter, de plusieurs livres qui font partie des bibles et des ouvrages de référence de ces émissions. Ils sont tous mentionnés dans la bibliographie. La sagesse et les informations qu’ils contiennent irriguent également en partie celui que vous tenez entre les mains…

Depuis 2022, j’anime Mécaniques du Vivant sur France Culture, dans la lignée de mes prédécesseurs, qui sont d’abord mes modèles : Jean Claude Ameisen, Michel Pastoureau, Françoise Héritier, Henriette Walter, Lynn Margulis, Rachel Carson, JeanMarie Pelt, Robert Hainard, Jean-Henri Fabre...

Dans chacune de ces émissions, je suis notamment très attentif à l’origine des mots, à leur étymologie. J’ai toujours à cœur de raconter le Vivant en dévoilant les origines souvent méconnues des noms des espèces et de beaucoup de termes scientifiques. Mon grand bonheur est de partager le sens caché d’un mot très courant et très simple. Lorsque je rappelle qu’humain a la même racine qu’humus, en l’occurrence « la terre », j’espère toucher quelque chose de profond chez l’auditeurice. Quand j’explique qu’économie et écologie sont les deux sœurs fâchées de la même maison, oikos en grec, qui a donné le préfixe éco-, j’espère planter une graine, comme dans la nouvelle de Jean Giono, L’Homme qui plantait des arbres. Nous devrions tous planter au moins un arbre dans notre vie.

DU NOM DE LA ROSE… À CELUI DU CHIMPANZÉ

Je vous souhaite de lire ce livre allongé sous un arbre, un brin d’herbe au coin des lèvres. « Si vous possédez une bibliothèque et un jardin, vous avez tout ce qu’il vous faut », disait Cicéron.

Mais si par hasard vous êtes assis dans un fauteuil, sur une chaise ou un tabouret, vous allez encore mieux comprendre ce qui suit. La stabilité et la capacité à soutenir de ces meubles ne sont possibles qu’à partir de trois pieds, plus souvent quatre.

Ma passion des mots, des langues et de l’étymologie est entièrement résumée par quatre citations lumineuses. Chacune illustre cet étrange intérêt pour l’étymologie, une science pourtant incomplète, délicate, incertaine, difficile, piégeuse, mais in fine source inépuisable de connaissance et d’émerveillement.

Comme les archéologues ou les détectives, quand nous découvrons ce que nous avons eu du mal à trouver, nous sommes parcourus par un sentiment de soulagement, de joie et parfois de fierté. Celui d’avoir apporté un peu de lumière dans l’inconnu, d’avoir rassasié notre curiosité et, dans mon cas, de partager ces découvertes avec le plus grand nombre.

Ces quatre citations sont les piliers non seulement de ce livre, mais aussi de mon travail en général.

J’ai déjà cité celle de René Char : « Les mots […] savent de nous des choses que nous ignorons d’eux ».

Il y a aussi : « Nommer les choses, c’est déjà les posséder un peu. » Je ne suis pas parvenu à en retrouver l’auteur, pour les éventuels fins limiers qui envisageraient ce livre comme un début de conversation, ce que j’espère.

Cette phrase d’Albert Camus est très souvent – trop souvent – citée : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. »

J’ai gardé la meilleure pour la fin de cette introduction. Il se trouve qu’Umberto Eco l’a placée à la toute fin de son roman Le Nom de la rose, publié en français en 1982 : « Stat rosa pristina nomine, nomina nuda tenemus. » Eco ne l’a pas traduite, ce que j’ai trouvé génial. C’est le début de la conversation entre un auteur et ses lecteurs et lectrices, celle que je proposais plus haut. Beaucoup de lecteurs restés sur leur faim l’ont supplié de l’expliciter, un peu comme un rappel pour un chanteur. Sa réponse fut l’Apostille au « Nom de la rose », publiée en 1987.

Ce cliffhanger en latin a changé ma vie et suscité ma carrière. Cette phrase signifie : « De la rose originelle ne subsiste que le nom, aujourd’hui nous n’avons que des noms nus, vides de sens1. »

Puisse ce livre lever le voile sur le sens, le parfum, le murmure et l’enchantement des noms que portent les espèces qui nous entourent, nos frères et sœurs de la famille du Vivant.

« Les mots […] savent de nous des choses que nous ignorons d’eux ».

rené char

« Nommer les choses, c’est déjà les posséder un peu. »
« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. »
« Stat rosa pristina nomine, nomina nuda tenemus. »

umberto eco

albert camus

Les critères du choix d’un nom : classique n’est pas synonyme d’ennuyeux

Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? La plupart des noms d’espèces sont attribués en vertu de constatations de bon sens, logiques et évidentes : une caractéristique physique, une couleur, une provenance géographique, une ressemblance avec un objet ou un autre être, des sons ou des chants… En science, comme dans presque tous les domaines, « la simplicité est la sophistication suprême » selon l’aphorisme de Léonard de Vinci. Antoine de Saint-Exupéry l’a aussi exprimé dans Terre des hommes : « Il semble que la perfection soit atteinte non quand il n’y a plus rien à ajouter, mais quand il n’y a plus rien à retrancher. » Vous allez constater dans les exemples suivants que classique et logique ne sont cependant pas synonymes d’ennuyeux…

[Eucalyptus arc-en-ciel]

Hauts en couleurs

Beaucoup d’espèces portent des noms liés à leur couleur. Pour ne pas sombrer dans la « mammiférite aiguë », cette tendance bien humaine et anthropomorphique2 à ne s’intéresser qu’à nos plus proches cousins mammifères, il me paraît juste de commencer par un arbre. Sur Terre, 83 % de la biomasse – la masse de tout ce qui vit – est composée de plantes. Loin derrière les 12 % de bactéries, les animaux, dont l’humain, ne représentent que 0,47 % du total3.

Commençons donc par une plante. Il resterait autour de 2 900 milliards d’arbres sur Terre aujourd’hui, soit 2 fois moins qu’il y a 12 000 ans, point de bascule entre le dernier âge de glace, le Pléistocène, et notre mini-ère géologique actuelle, l’Holocène, entre les cueilleurs-chasseurs4 et les premiers agriculteurs-éleveurs. Un quart de ces arbres poussent dans les forêts boréales et trois quarts sous les tropiques. Près de 15 milliards sont ratiboisés chaque année. Il y a donc 360 arbres pour un humain sur la planète. Ce que l’on pourrait aussi formuler ainsi : chaque humain est responsable de 360 arbres.

En matière de couleurs, un des champions est l’eucalyptus arc-en-ciel, Eucalyptus deglupta, de la famille des Myrtacées, qui comprend aussi le célèbre myrte, dont on tire une liqueur en Corse, et le giroflier des clous de girofle. Originaire de l’île philippine de Mindanao, cet arbre-arlequin perd en permanence des lambeaux d’écorce. Son tronc passe du vert pâle au vert foncé, puis au bleu, violet, orange et enfin au marron…

La rose fait encore mieux. Elle n’est pas nommée d’après sa couleur… elle a donné son nom à cette couleur ! En anglais, l’adjectif pink est apparu sur le tard, au début du xviiie siècle. Nos voisins de la « perfide Albion5 » utilisaient auparavant le mot incarnation, « couleur chair », pour désigner la couleur rose.

Les critères du choix d’un nom : classique n’est pas synonyme d’ennuyeux

Eucalyptus arc-en-ciel, Eucalyptus deglupta

Cette espèce est la seule de son genre ne provenant pas dʼAustralie mais de lʼîle de Mindanao, dans les Philippines.

LA NUIT, TOUS LES ÉLÉPHANTS

AUSSI SONT GRIS

Beaucoup d’animaux sont également désignés par leur couleur. Les ours sont par exemple blancs, noirs ou bruns. Le panda, dont le nom vient du népalais nigálya pónya, « mangeur de bambou », est, quant à lui, noir et blanc. Cette caractéristique a d’ailleurs été retenue par les Tibétains, qui l’appellent domtra, « ours panaché ». Le plus végétarien des 8 espèces d’ours porte aussi ce noir et blanc dans son nom scientifique : Ailuropoda melanoleuca, « pied de chat noir et blanc ».

Comme les chats la nuit, les dauphins sont en général gris. L’un d’eux est cependant rose, comme les flamants, c’est le boto, Inia geoffrensis. Ce cétacé vit dans les eaux souvent troubles et opaques de l’Amazone6. Le blanc des bébés orques est, lui aussi, légèrement rosé, et on a découvert une raie manta rose. En revanche, les éléphants roses ne sont observables que les soirs de fête bien arrosés…

Les critères du choix d’un nom : classique n’est pas synonyme d’ennuyeux

[Coq]

Et autres stars de la chansonnette plus ou moins matinale

Dans cette catégorie des noms liés à un son, un cri, un chant ou une vocalisation, les champions sont les oiseaux. Vous connaissez tous le coucou, mais saviez-vous que la huppe, le corbeau et tant d’autres tirent aussi leur nom de leur cri : les onomatopées « houp houp houp » pour la première et « crôa crôa » pour le second. Difficile d’éviter de parler du coq en la matière. Le coq gaulois est le plus vieil emblème de la France. Il a toujours été plus ou moins présent à travers les différentes époques et régimes politiques, même si aujourd’hui il s’affiche davantage sur les maillots des sportifs – Allez les Bleus ! – que dans les documents officiels de la République. Le coq, plus que d’autres emblèmes nationaux, reflète bien ce « French flair », ce petit côté « décalé », « terroir », « plumage rutilant mais pieds dans le fumier », qui est consubstantiel de la France, pays du bon vin, de la bonne chère, du raffinement, mais aussi de la beauferie et des sempiternelles râleries pour un oui ou pour un non. « C’est le seul oiseau qui arrive à chanter les pieds dans la merde », avait ironisé Coluche en son temps.

UN RIDICULE ASSUMÉ ET MÊME RECYCLÉ

Ce sont… les Romains qui sont à l’origine de cet emblème. Ils l’utilisaient en effet pour se moquer des barbares gaulois, rétifs et chamailleurs. Il faut dire que le mot latin gallus signifie à la fois « gaulois » et « coq ».

Du iiie au ixe siècle, les Francs récupèrent ce symbole. Après une éclipse au Moyen Âge, l’image fédératrice du coq français renaît au xive siècle, alors que les Allemands, les Italiens et les Anglais se servent de cette caricature inventée par les Romains pour se moquer des rois de France. Mais ironiquement, les rois français assument finalement cet héritage pour le retourner contre leurs ennemis, même si le coq s’est toujours effacé devant la fleur de lys, emblème royal (et végétal !).

Vers 1789, le coq revient sur le devant de la scène avec la Révolution française, souvent coiffé d’un bonnet phrygien. Il est alors un symbole de liberté et de citoyenneté. Le coq est toujours là,

Coq bankiva ou coq doré, Gallus gallus spadiceus Toutes les espèces de coqs et de poules domestiquées – il y a moins de 4 000 ans –proviennent de cette espèce sauvage originaire des forêts du Sud-Est asiatique.

Les critères du choix d’un nom : classique n’est pas synonyme d’ennuyeux

en filigrane, au moment de l’adoption de La Marseillaise par la Convention, en 1795. « Contre nous de la tyrannieuh… » Non mais !

En 1804, Napoléon Ier, sous le premier Empire, lui préfère l’aigle impérial, une des superstars – avec le lion – des armes et des emblèmes de tant d’autres pays. « Le coq n’a point de force, il ne peut être l’image d’un empire tel que la France. » Dont acte.

Mais le coq gaulois revient en force dans les années 1830, à l’initiative de Louis-Philippe. Il apparaît sur les drapeaux et les boutons d’habits de la garde nationale, puis sur les timbres et les pièces de monnaie.

Pour autant, bien que le coq figure aussi sur les sceaux du Directoire puis sur certaines pièces d’or des IIe et IIIe Républiques, il ne sera jamais vraiment un symbole officiel du pouvoir.

Lors de la Première Guerre mondiale, le coq se dresse sur les affiches, face à l’envahisseur allemand. À la fin du conflit, le gallinacé trône sur de nombreux monuments aux morts, visibles jusqu’à aujourd’hui.

LE CHANT DU COQ DANS TOUTES LES LANGUES

Mais d’où vient le nom de notre fier oiseau national ? Tout comme l’anglais cock, il est tout simplement inspiré de son chant. En anglais d’Amérique et d’Australie, à partir de l’époque victorienne, cock, qui signifie aussi « pénis » en argot, est remplacé par rooster, « celui qui se perche ».

La vie dans les campagnes a toujours été rythmée par le chant du coq à l’aube. Cette onomatopée, cocorico, varie beaucoup d’une langue à l’autre. En voici quelques exemples, avec une gradation –subjective – vers les plus bizarres. Nous sommes chacune et chacun le bizarre, l’idiot ou le génie de quelqu’un d’autre…

• Latin : cocococo

• Espagnol : quiquiriquí

• Breton : kotogogog

• Néerlandais : kukeleku

• Allemand : kickeriki

• Suédois : kuckeliku

• Arabe : kîkî kîkî

• Chinois mandarin : o o o

• Népalais : frootti tootti tu

• Irlandais : mac na hóighe slán (? !)

• Turc : ü-ürü-üüü

• Et l’anglais, qui ne fait rien comme tout le monde : cock-a-doodle-do

[Panthère des neiges]

Les « AOG », appellations d’origine géographique

Beaucoup d’espèces sont logiquement nommées en fonction de leur origine géographique ou de leur milieu de vie. Exemple : la panthère de l’Amour, Panthera pardus orientalis, dont seulement une cinquantaine d’individus survivent sur les rives du fleuve Amour, qui sépare la Sibérie de la Chine. C’est le félin le plus rare du monde. Autre exemple plus connu : la panthère des neiges, Panthera uncia. Il en resterait moins de 5 000 en tout, dont la moitié en Chine. Son aire de répartition s’étend sur 12 pays. De la Chine à la Mongolie, en passant par le Népal, le Pakistan, l’Inde, et les pays du Caucase, dont les noms finissent en -stan. C’est vaste : autour de 2 millions de km², soit 4 fois la France ! Ce fantôme parcourt son territoire, entre 2 500 et 6 000 mètres, dans les prairies d’altitude en été et dans les forêts de conifères en hiver.

La panthère des neiges a un synonyme : once. Ce nom étrange vient du mot lonza (« lynx » en latin)… qui a perdu son l. Celui qui a commis cette faute pensait que le l était l’article ! Dans les pays en -stan sus-évoqués, comme le Kazakhstan, on l’appelle irbis, son nom russe.

MIAULER OU RUGIR, IL FAUT CHOISIR

Son nom scientifique est intéressant, lui aussi. Jusqu’en 2017, la panthère des neiges s’appelait Uncia uncia. Elle était la seule de son genre. Tout ça parce que, contrairement à ses grands cousins panthérinés (lion, tigre, léopard, jaguar et deux espèces de panthères nébuleuses), elle ne rugit pas ! Or, cette impressionnante capacité est entièrement due à l’os hyoïde, ce petit os de la gorge, le seul du corps qui n’est relié à aucun autre et sur lequel s’attachent les cordes vocales chez l’humain. Il est brisé en cas de strangulation, ce que contrôlent les médecins légistes. Quand il est mou, comme chez le lion et le tigre, l’animal peut rugir et feuler. Mais quand il est trop dur, comme chez le minet, le puma, le lynx et notre reine des neiges, les puissants barytons font alors place aux timides miauleurs de la sous-famille des FéliNés… Panthérinés (barytons) et FéliNés (miauleurs) sont donc les deux groupes frères de la famille des FéliDés.

Les critères du choix d’un nom : classique n’est pas synonyme d’ennuyeux

Les noms, quels qu’ils soient, sont des coffres remplis de trésors. En », le curieux ou la curieuse s’embarque pour un voyage dans l’histoire, la géographie, les cultures, les langues, les sciences… Chaque nom d’espèce raconte au moins une passionnante histoire.

A minima, ils dévoilent une caractéristique marquante ou subtile, mais aussi toutes sortes de mésaventures. Parfois, il s’agit de savoureux allers-retours dans les langues et les cultures (balbuzard ou

Ailleurs, des noms sont issus d’erreurs de compréhension ou de traduction, comme pour la chauve-souris ou l’once (l’un des autres noms de la panthère des neiges). Certains sont amusants ou ironiques (hibou , lézard Jésus-Christ, grolar ou pizzly…), voire moqueurs et vengeurs (babouin, Neopalpa donaldtrumpi).

D’autres, infiniment respectueux au contraire, consacrent des noms de scientifiques (grenouille de Darwin), de célébrités (poisson ), voire de personnages fictifs, du , en passant par le blob, dont le

Derrière chaque nom d’espèce, il y a donc celui d’un naturaliste ou d’une scientifique, d’un explorateur ou d’une voyageuse, d’un escroc, d’un histoire…

« Les mots […] savent de nous des choses que nous ignorons d’eux ».

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