Extrait Cultiver l'eau douce

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Samuel

François

Antoine

Cultiver

l’eau douce

DU JARDIN DE PLUIE À L’HYDROLOGIE RÉGÉNÉRATIVE, DES SOLUTIONS CONCRÈTES

POUR RÉGÉNÉRER NOS ÉCOSYSTÈMES

Sommaire

Restaurer le cycle de l’eau : un guide pour agir

Un monde bouleversé par les extrêmes

Le changement climatique bouleverse notre monde, rendant visibles des déséquilibres longtemps ignorés. Les inondations se multiplient dans certaines régions tandis que d’autres sont ravagées par des sécheresses persistantes. Ces événements ne sont pas isolés : ils témoignent de la rupture du cycle naturel de l’eau. Trop souvent, l’humain a altéré les écosystèmes, amplifiant les effets d’un excès ou d’un manque d’eau. Comprendre ce cycle est aujourd’hui indispensable pour restaurer un équilibre vital.

L’eau, source de vie, est devenue un enjeu de survie. Nous observons des phénomènes de plus en plus intenses : des inondations ravageuses qui submergent villes et campagnes, des sécheresses prolongées qui assoiffent les sols et mettent en péril les cultures. Ces catastrophes ne sont que la partie visible d’un dysfonctionnement global : l’altération des cycles de l’eau. Si nous n’agissons pas, ces extrêmes deviendront notre nouvelle normalité.

En tant qu’acteurs du vivant, nous partageons une responsabilité commune : celle de ralentir ces transformations et d’apprendre à vivre en harmonie avec l’eau. En tant qu’auteurs de ce guide, nous avons choisi de vous inviter à explorer l’hydrologie régénérative, une approche ancrée dans la compréhension des cycles de l’eau et leur restauration.

Ralentir, infiltrer, réhydrater : le cœur de l’hydrologie régénérative

Depuis des millénaires, les sociétés traditionnelles ont composé avec l’eau, construisant leur survie autour de ses rythmes naturels. Aujourd’hui, en observant ces pratiques anciennes et en y intégrant des savoirs contemporains, l’hydrologie régénérative offre des solutions adaptées au xxie siècle.

L’hydrologie régénérative repose sur trois piliers fondamentaux : ralentir, infiltrer et réhydrater. Ralentir l’écoulement de l’eau permet de diminuer les érosions et d’offrir à la terre le temps d’absorber ce précieux liquide. Infiltrer l’eau dans les sols nourrit les nappes phréatiques et restaure des réserves naturelles, essentielles face à la sécheresse. Enfin, réhydrater les paysages assure la résilience des écosystèmes, favorisant une biodiversité riche et durable.

Les techniques d’hydrologie régénérative s’appliquent aussi bien dans les champs agricoles que dans les jardins urbains. Imaginons un talus érodé par les pluies torrentielles : grâce à des aménagements simples et low-tech comme des fascines ou des noues, l’eau peut être retenue, filtrée et progressivement rendue au sol. Ces pratiques permettent de transformer des paysages dégradés en espaces fertiles, capables de s’auto-soutenir.

Stockage et arrosage, souvent perçus comme des solutions isolées, ne sont qu’une partie de la réponse. Ils complètent une approche globale, centrée sur la compréhension des cycles de l’eau. En réintégrant l’eau dans ses dynamiques naturelles, nous pouvons non seulement pallier les excès, mais aussi renforcer la résilience de nos jardins, champs et forêts.

Un livre pour agir

Ce guide s’adresse à vous, jardiniers, agriculteurs, paysagistes, citoyens sensibles au vivant. Il se veut un outil pratique pour vous permettre d’agir, quel que soit l’espace dont vous disposez. Que vous cultiviez un petit jardin ou gériez un grand domaine, il existe des solutions adaptées pour ralentir et infiltrer l’eau, restaurer des sols vivants et s’allier avec les plantes pour transformer vos espaces.

En écrivant ce livre, nous avons puisé dans notre expérience, notamment dans les travaux menés au sein des Alvéoles, notre laboratoire d’expérimentations. Chaque chapitre est nourri d’exemples concrets, de techniques éprouvées et de réflexions sur l’échelle des interventions. Car l’échelle importe : ce qui fonctionne pour un balcon peut s’étendre à des projets communautaires et territoriaux.

Forts de notre expertise en design de permaculture, nous préconisons une approche globale qui nous invite à penser en écosystème. L’homme occupe une place unique mais n’est pas au-dessus des autres espèces vivantes, il fait partie du vivant.

Faire alliance avec le vivant

Expérimenter les principes de l’hydrologie régénérative, c’est bien plus qu’une démarche technique ou une simple série d’actions : c’est une transformation profonde de notre regard sur le vivant. Adopter cette approche, c’est embrasser un changement de paradigme où l’humain cesse de se percevoir comme maître de la nature pour redevenir un élément interdépendant, humble mais puissant, au sein des écosystèmes. C’est reconnaître que chaque goutte d’eau, chaque brin d’herbe, chaque micro-organisme joue un rôle essentiel dans l’équilibre fragile mais magnifique de la vie sur Terre.

La restauration des cycles de l’eau est une clé de voûte pour relever de nombreux défis contemporains : sécurité alimentaire, régulation climatique, préservation de la biodiversité et adaptation aux extrêmes météorologiques. En réapprenant à collaborer avec la nature, nous nous offrons une opportunité unique de réparer les erreurs du passé et de bâtir des systèmes résilients pour l’avenir. Cependant, ce défi exige une posture d’humilité : nous ne pouvons pas prétendre tout contrôler, mais nous avons le pouvoir d’apprendre, de restaurer et de régénérer.

Ce guide est une invitation à l’action concrète. En explorant ces pages, vous découvrirez des moyens de transformer vos espaces qu’il s’agisse d’un jardin, d’un champ agricole ou d’un espace urbain en sanctuaires pour l’eau et la biodiversité. Chaque geste compte : planter un arbre pour ralentir le ruissellement, créer une noue pour infiltrer l’eau de pluie, ou simplement préserver une zone humide naturelle. Ces actions, si modestes soient-elles, s’additionnent pour générer un impact global.

Mais ce voyage ne s’arrête pas aux frontières de votre espace. En partageant ces pratiques avec vos proches, vos voisins ou votre communauté, vous devenez un catalyseur de changement. Ensemble, nous pouvons imaginer et co-créer des territoires où l’eau retrouve sa juste place, où la vie prospère et où les humains apprennent à s’intégrer harmonieusement dans les cycles naturels.

Regardons le futur comme une opportunité, non comme une fatalité. Chaque goutte d’eau restaurée est un pas vers un monde où l’équilibre entre l’humain et la nature peut être rétabli. Engageons-nous avec espoir et détermination, et faisons de chaque action, aussi petite soit-elle, une pierre sur le chemin de la régénération. Ensemble, donnons à l’eau une chance de continuer à être ce qu’elle a toujours été : la source de toute vie sur Terre.

Vous ne verrez plus jamais l’eau de la même manière

L’eau est au cœur du vivant. Elle sculpte les paysages, nourrit les sols, conditionne la croissance des plantes et régule les climats. Pourtant, sa présence, son absence ou ses excès deviennent des défis majeurs à l’échelle mondiale. Sécheresses prolongées, inondations destructrices, épuisement des nappes phréatiques, érosion des sols…, autant de symptômes d’un cycle de l’eau profondément altéré par nos aménagements et nos modes de gestion.

Pendant longtemps, l’eau a été perçue comme une ressource à exploiter, à drainer, à canaliser. Les infrastructures modernes ont souvent cherché à l’éloigner rapidement des terres, accélérant son ruissellement et privant les sols de leur capacité à l’absorber. Cette approche a favorisé un cercle vicieux où les zones arides s’assèchent davantage et où les épisodes de fortes pluies entraînent des catastrophes. Pourtant, l’eau n’est pas seulement une ressource : elle est un élément structurant des écosystèmes, un flux dynamique qui doit être compris et accompagné pour assurer la résilience des territoires.

Comment retrouver un équilibre hydrique ? Comment capter, stocker et redistribuer l’eau en s’inspirant du fonctionnement naturel des paysages ? Ces questions sont au cœur de l’hydrologie régénérative, une approche qui vise à ralentir l’eau, à favoriser son infiltration et à restaurer ses cycles naturels. Il ne s’agit pas seulement de collecter l’eau, mais aussi de lui redonner une place centrale dans la construction d’un écosystème vivant et productif. Ce premier chapitre pose les bases d’une nouvelle manière de penser l’eau, non plus comme un élément extérieur à maîtriser, mais comme un allié à cultiver. Nous verrons comment les cycles naturels de l’eau fonctionnent, pourquoi ils se sont déréglés et quelles stratégies permettent de recréer des territoires fertiles et résilients, en phase avec les dynamiques du vivant.

D’un extrême à l’autre

Désertification : le mot est lâché. La sécheresse qui s’est abattue sur la France en 2022 a laissé des traces chez nos concitoyens. Selon un sondage réalisé en juin 2023 par l’Institut Montaigne, 80 % des Français se disent « inquiets » quant à la disponibilité de la ressource en eau dans le pays. Pour éviter les restrictions d’eau, plus de 1 Français sur 2 se dit prêt à réduire sa consommation, tandis que 4 sur 10 ont déjà le sentiment de faire le maximum.

Chez nos voisins espagnols, la désertification n’est déjà plus une hypothèse, mais une réalité qui frappe 74 % du pays, selon les chiffres du gouvernement, qui a lancé en 2022 un vaste plan de « lutte nationale contre la désertification ». Des zones entières, sous la pression combinée de l’agriculture intensive et du réchauffement climatique, menacent de devenir des terres arides, sans vie, sur lesquelles il deviendrait impossible de faire pousser la moindre végétation.

L’épisode du manque d’eau est à peine achevé que les inondations s’invitent, notamment dans les Hautsde-France entre novembre 2023 et janvier 2024. La Caisse centrale de réassurance évalue à 640 millions d’euros le coût des événements qui ont frappé plusieurs bassins-versants du nord de la France. L’importante pluviosité de l’année 2024 a entraîné des pertes de rendements en agriculture, et d’autres inondations, notamment en Ardèche en octobre.

Là encore, le parallèle avec l’Espagne est frappant. Les images des inondations meurtrières à Valence à l’automne 2024 ont été abondamment partagées dans les médias. Or, la ville de Valence se situe en aval d’un immense bassin-versant — une zone géographique où toutes les eaux de pluie convergent naturellement vers un point commun, comme une rivière ou la mer. Ce bassin-versant abritait autrefois des zones tampons, des espaces naturels ou aménagés capables d’intercepter les eaux de ruissellement, de réduire leur vitesse et de favoriser leur infiltration dans les sols. Ces zones tampons, comme les vergers traditionnels, les prairies humides ou encore les haies boisées, jouent un rôle crucial dans la régulation des eaux : elles limitent les inondations en

ralentissant l’écoulement vers l’aval, rechargent les nappes phréatiques et améliorent la qualité de l’eau en filtrant les sédiments et polluants.

Cependant, entre 1956 et 2011, 9 000 ha de vergers valenciens ont été détruits, soit deux tiers de leur surface, comme l’a démontré le géographe Victor Soriano. Cette perte équivaut à la superficie de Paris. En leur lieu et place, l’urbanisation a imperméabilisé les sols, empêchant l’eau de s’infiltrer et augmentant le ruissellement direct vers la ville. La destruction de ces zones tampons a considérablement accru la vulnérabilité de Valence face aux inondations, comme en témoignent les tragiques événements de 20241.

L’impact des humains sur la dégradation des cycles de l’eau

Cette multiplication des événements extrêmes, de plus en plus fréquents mais aussi de plus en plus violents, est l’une des manifestations du dérèglement climatique, annoncé par la communauté scientifique il y a déjà plus de cinquante ans, mais qui nous touche désormais directement. Une fois sortis de la sidération face à l’ampleur des changements climatiques en cours, nous sommes de plus en plus nombreux à voir notre regard sur l’eau changer petit à petit. La prise de conscience est bien réelle, et pourtant le niveau d’information sur le sujet de l’eau reste faible auprès du grand public. Des notions comme l’accélération des cycles de l’eau, les concepts d’empreinte eau, d’eau bleue ou verte sont peu connus et diffusés.

Pire encore : pour la plupart, nous avons baigné dès notre plus jeune âge dans la croyance que la présence, ou l’absence, d’eau est une fatalité. Et nous peinons encore à faire le lien entre nos activités et le fonctionnement des cycles de l’eau. Les précipitations, par exemple, sont vécues comme indépendantes de notre volonté (« il n’arrête pas de pleuvoir, c’est comme ça ! »), quelque chose sur lequel nous n’aurions aucune prise.

Pour faire des choix forts, individuels ou collectifs, et avoir un réel impact, nous avons besoin de comprendre le fonctionnement des cycles de l’eau. Partons donc à la rencontre de l’eau mais d’une manière particulière : à travers le prisme des interactions entre le paysage, le climat et les cycles de l’eau.

L’objectif est de vous aider à mieux comprendre ces mécanismes, ce qui nous conduira naturellement à poser les bases de l’hydrologie régénérative, entendue comme la science de la régénération des cycles de l’eau douce par l’aménagement du territoire.

Au cœur de la vie : une ressource limitée

Imaginez qu’un puissant sorcier soit capable d’aspirer toute l’eau présente sur notre planète, jusqu’à la dernière goutte, et d’en faire une sphère qui flotterait dans l’atmosphère. En un instant, notre planète bleue serait devenue brune et nous serions surpris de voir les océans, mers, lacs, calottes polaires, rivières et glaciers, qui recouvrent en temps normal plus de 70 % de la surface de la Terre, être réduits en une sphère de seulement 1 385 km de diamètre, soit à peu près la distance qui sépare Bruxelles de Madrid à vol d’oiseau.

Alors que nous avons le sentiment qu’elle est partout, l’eau sur Terre est un peu comme une sorte de feuille de papier bleue recouvrant une boule de bowling. Depuis l’espace on ne voit presque qu’elle

> L’EAU SUR TERRE : QUELQUES ORDRES DE GRANDEUR

Comme l’eau recouvre 70 % de la surface de la Terre, nous avons le sentiment qu’elle est très abondante. Cette infographie nous permet de prendre conscience qu’elle est plus rare qu’il n’y paraît.

elle donne sa couleur à notre planète — alors qu’elle ne représente qu’une minuscule fraction (0,023 %) de sa masse pour un volume de 1,386 milliard de km3 Voyons maintenant comment elle se répartit sur la planète. On la trouve en premier lieu dans les océans et les mers, l’eau douce ne représente donc que 2,5 % du total : environ 35 millions de km3. C’est la perle à droite du cochonnet sur la carte ci-dessous. Et, dans cette petite portion, près de 70 % de l’eau douce est hors d’atteinte des êtres vivants, soit parce qu’elle est piégée dans les calottes glaciaires, soit parce qu’elle est enfouie dans les entrailles de la Terre. Si l’on ne prend en considération que l’eau facile d’accès, dite « biodisponible », celle que l’on trouve dans les lacs non salés, les marais, les fleuves et les rivières, il ne reste plus que 0,02 % du volume d’eau total. Avez-vous repéré le petit point bleu sur cette deuxième infographie, sous la perle ?

Cette tête d’épingle fait moins de 60 km de diamètre, soit à peu près la distance qui sépare Bruxelles de… Namur, toujours à vol d’oiseau. Elle contient toute l’eau douce aisément disponible pour la vie terrestre. C’est avec cette minuscule réserve d’eau que le vivant dans son intégralité se déploie, y compris les 8 milliards d’êtres humains qui l’utilisent pour boire, irriguer leurs cultures, abreuver leurs animaux d’élevage, faire tourner leurs usines, alimenter leurs centrales électriques, etc. C’est en voyant ce genre d’image que l’on s’aperçoit mieux que quasiment rien ne nous protège de la sécheresse. Que l’eau est plus rare qu’il n’y paraît.

CULTIVER L’EAU POUR FAÇONNER

LES PAYSAGES RÉSILIENTS DE DEMAIN

L’eau est au cœur du vivant. Source de toute vie sur Terre, elle nourrit le sol et les plantes, sculpte le paysage et régule le climat. Mais, en altérant les écosystèmes, nous avons bousculé le cycle naturel de l’eau douce, avec pour conséquence directe l’intensification des inondations et des sécheresses. Comprendre ce cycle et le restaurer deviennent des enjeux majeurs pour le xxie siècle. Les auteurs, spécialistes de la permaculture et de l’hydrologie régénérative, riches de leurs connaissances et de leurs expérimentations sur le terrain, nous proposent ici un guide pour agir. À la clé, des écosystèmes résilients qui nous feront gagner en autonomie.

Du jardin de pluie à l’hydrologie régénérative. Ralentir, infiltrer et réhydrater sont les trois piliers qui permettent de diminuer l’érosion des sols, d’alimenter les nappes phréatiques et de recréer des microclimats. Une approche globale des cycles de l’eau douce.

Des techniques simples inspirées du vivant. Un tour d’horizon des méthodes d’infiltration et de rétention des eaux de pluie qui ont fait leurs preuves : arbre de pluie, haie anti-érosive, noue végétalisée, jardin-forêt ou baissière sont autant de solutions concrètes pour agir à différentes échelles, du jardin individuel à l’aménagement urbain en passant par les pratiques agricoles.

Une alliance avec la nature. Régénérer le cycle de l’eau grâce aux plantes qui transforment les paysages dégradés en oasis fertiles, en réserves naturelles pour une biodiversité durable. Un hommage à l’intelligence du vivant.

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