Séminaire franco-allemand sur les politiques locales intégrées en matière de drogues

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Séminaire franco-allemand sur les politiques locales intégrées en matière de drogues ······························································ Documentation et recommandations


FORUM EUROPEEN POUR LA SECURITE URBAINE Projet Démocratie, Villes et Drogues Séminaire franco-allemand sur les politiques locales intégrées en matière de drogues. Paris, les 27 et 28 septembre 2007

Rédigé par Susanne Schardt ····································································································

······················································································································· Achevé d’imprimer en février 2008 en Belgique sur les presses de SNEL à Vottem N° ISBN : 2-913181-33-3 N° EAN : 9782913181335

························································································································ FORUM EUROPEEN POUR LA SECURITE URBAINE 38, rue Liancourt 75014 – PARIS – FRANCE

[t] [f]

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Table des matières

Remerciements 06.

1. Contexte

09.

2. L’organisation du séminaire

13.

3. Les cadres nationaux

[·] La Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie

16.

4. Les situations locales des villes participantes

[·] Le Ministère Fédéral allemand de la Santé

24.

5. Comment atteindre les usagers de drogues émergents ou «non visibles» et leur proposer de l’aide ?

29.

6. Comment trouver un équilibre entre politique de sécurité et politique de santé publique ?

34.

7. Comment assurer la participation des citoyens aux décisions liées à la politique en matière de drogues ?

39.

8. Conclusions

Le Forum Européen pour la Sécurité Urbaine et les partenaires du projet Democracy, Cities & Drugs remercient chaleureusement pour leur soutien et leur participation au séminaire :

[·] La Délégation Interministérielle à la Ville [·] L’Office Franco-allemand pour la Jeunesse [·] Le Forum allemand pour la prévention de la criminalité (DPT)

Les villes de Aulnay-sous-Bois, Bordeaux, Cologne, Francfort, Karlsruhe, Leipzig, Paris, Pau, Stuttgart Thonon-les-Bains Susanne Schardt Anne Coppel Béatrice Cœur-Joly Monique Reuze

Pour toute information sur le réseau Démocratie, Villes et Drogues, visitez le site http://www.democitydrug.org


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Dans le cadre du projet Démocratie, Villes et Drogues (DC&D), soutenu par la Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie (MILDT) et la Commission Européenne, le Forum Européen pour la Sécurité Urbaine (FESU) a organisé un séminaire franco-allemand sur le thème des politiques municipales intégrées en matière de drogues. Cette initiative a bénéficié du soutien financier de la MILDT et du Ministère Fédéral de la Santé allemand.

Contexte

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Ce séminaire, qui s’inscrit dans le cadre de la coopération franco-allemande, a examiné les différentes approches suivies dans les villes allemandes et françaises sélectionnées et élaboré des propositions communes portant sur les trois thèmes centraux suivants : [·] Comment atteindre les usagers de drogues émergents ou «non visibles» et leur proposer de l’aide ? [·] Comment trouver un équilibre entre politique de sécurité et politique de santé publique ? [·] Comment assurer la participation des citoyens et des riverains aux décisions liées à la politique en matière de drogues ? Le projet consistait à étudier la manière dont les villes participantes parviennent à associer les citoyens, et notamment les riverains, aux processus décisionnels, comment elles arrivent à équilibrer leurs diverses activités, comment elles réagissent face à de nouveaux phénomènes et rendent leur aide accessible à de nouveaux groupes d’usagers. Les pratiques au niveau local ont tout d’abord été recueillies et traitées par des experts. Lors du séminaire de deux jours à Paris, les représentants des villes participantes ont échangé leurs impressions sur les approches existantes et élaboré ensemble des recommandations qui permettraient de relever les défis auxquels elles sont actuellement confrontées en matière de sécurité et de prévention des drogues. Point de départ

Les politiques locales en matière de drogues sont fonction d’une multitude de facteurs et les problèmes liés aux drogues sont souvent symptomatiques de phénomènes sociaux plus généraux. Il est donc important de répondre de manière cohérente aux aspects de l’usage de drogues qui relèvent de la politique de santé publique ainsi qu’aux besoins de sécurité des citoyens. Toutefois, les élus locaux ne perçoivent pas toujours la nécessité d’une approche intégrée et équilibrée entre santé et sécurité. De la même manière, les contributions significatives provenant de diverses sources et de différents domaines politiques ne semblent pas toujours appréciées, ce qui compromet souvent l’efficacité des solutions proposées dans le cadre des politiques locales en matière de drogues. Malheureusement, les mesures prises au niveau local ne sont parfois pas assez mûrement

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réfléchies ou développées, et sont rarement mises en oeuvre dans une approche interdisciplinaire véritablement efficace. Dans la plupart des cas, ces initiatives souffrent d’un manque de prioritisation, de communication et de coopération. Bien qu’il existe des stratégies de réduction de l’offre et de la demande, elles sont souvent menées de manière isolée ou ne sont pas harmonisées. Un blocage important peut être dû à l’idée que les différents acteurs impliqués se font les uns des autres, ou à des préjugés qui subsistent. Cela est souvent le cas en particulier entre acteurs du secteur médico-social et la police. Dans de nombreux cas, l’application de la loi dans un quartier ne fait que déplacer le problème vers d’autres quartiers et éloigne les usagers de drogues des services d’aides existants. Cela nuit également à l’acceptation de la politique locale en matière de drogues par les citoyens. Les élus locaux se retrouvent ainsi obligés de jongler entre des priorités contradictoires : d’une part il s’agit d’empêcher autant que possible l’usage problématique de drogues, et d’autre part de circonscrire les impacts négatifs, au niveau individuel et social, de l’usage et du trafic de drogues.

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L’organisation du séminaire

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Pour l’Allemagne

Méthodologie

[·] E ntretiens téléphoniques avec les villes participantes servant de base pour dresser un tableau récapitulatif en fonction des points suivants :

[·] Francfort :

>> Comment les activités locales s’inscrivent-elles dans le cadre national ou régional ?

[·] Karlsruhe :

>> Description des pratiques répondant aux questions posées

>> Identification des sujets d’actualité des politiques locales en matière de drogues

[·] Cologne :

[·] S ynthèse des informations obtenues, approfondissement des thématiques avec le groupe de réflexion, puis retour des résultats aux villes participantes afin d’assurer une base de discussion commune.

Jürgen Weimer, coordinateur drogue Rainer Blobel, chargé de mission drogue

Dr. Herbert Berger, coordinateur aide aux usagers de drogues, Gesundheitsamt (Service de santé publique)

[·] Contenus du séminaire, notamment les points d’ordre du jour suivants :

Monika Baars, coordinatrice Prévention de la toxicomanie, Amt für Kinder, Jugend und Familie (Service de l’enfance, de la jeunesse et de la famille)

>> Présentation des informations et pratiques collectées

[·] Leipzig :

>> D iscussion et définition de recommandations et de positions communes sur les trois thèmes centraux

Sylke Lein, chargée de mission toxicomanie, Gesundheitsamt (Service de santé publique)

Villes participantes

Holger Herzog, Directeur SZL Suchtzentrum GmbH (centre de lutte contre la toxicomanie) [·] Stuttgart :

Pour la France

Hans Gros, coordinateur aide aux usagers de drogues

[·] Aulnay sous Bois :

Dr. Hans-Otto Tropp, Directeur Gesundheitsamt (Service de santé publique)

Malika Labadlia, Chargée de mission prévention au sein de la direction jeunesse

[·] Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie (MILDT) :

[·] Bordeaux :

Eléonore Becat, Chargée de mission - Contrat Local de Sécurité et de Prévention de la Délinquance

[·] Pour le Ministère Fédéral de la Santé allemand :

Anne Cécile Rahis, Chargée de mission projet «TREND» au CEID de Bordeaux

[·] Personne ressource :

[·] P aris :

Michel Massacret, Chargé de mission Prof. Wolfgang Heckmann, Université de Magdebourg Anne Coppel, sociologue

Mireille Riou, Conseillère au cabinet de l’adjoint au maire pour la santé Marguerite Arene, Chef de mission prévention des toxicomanies - Direction de l’action sociale de l’enfance et de la santé [·] Pau : Pascal Mercier, Coordinateur contrat local de sécurité et prévention de la délinquance, développement social urbain [·] Thonon les Bains : Christine Luttiau, Directrice du Service Politique de la Ville

Programme du séminaire

Jeudi 27 septembre 2007 Animateurs : Thierry Charlois (FESU/DC&D); Susanne Schardt (Realitäten Bureau/ DC&D) Allocution de bienvenue, introduction et tour de table de présentation Table ronde 1 : Comment atteindre les usagers de drogues émergents ou «non visibles» et leur proposer de l’aide ? + Résumé des réponses obtenues dans les entretiens

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+ Discussion des approches et des pratiques + Définition des grandes lignes de recommandations communes Table ronde 2 : Comment trouver un équilibre entre politique de sécurité et politique de santé publique ? + Résumé des réponses obtenues dans les entretiens + Discussion des approches et des pratiques + Définition des grandes lignes de recommandations communes Vendredi 28 septembre 2007

Les cadres nationaux

03

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Table ronde 3 : Comment assurer la participation des citoyens et des riverains aux décisions liées à la politique de lutte contre les drogues ? + Résumé des réponses obtenues dans les entretiens + Discussion des approches et des pratiques + Définition des grandes lignes de recommandations communes Discussion de clôture pour identifier les liens existant entre les différentes questions et mise en cohérence de l’ensemble des recommandations Evaluation du séminaire

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Pour la France

En France, la politique en matière de drogues relève de la compétence de l’Etat. La cohérence de cette politique est assurée par la MILDT. Des Conseils Locaux de Sécurité et de Prévention de la Délinquance (CLSPD) ont été institués dans les communes dans le cadre d’un décret de 2002 - puis d’une loi de 2007 -, au sein desquels on traite également la thématique des drogues. Le CLSPD est généralement présidé par le maire ou le président d’un EPCI (Etablissement public de coopération intercommunale) dans le cas d’une instance intercommunale; Les autres membres sont recrutés parmi les trois groupes suivants : [·] L e Maire, le Préfet, le Procureur de la République, le Conseil Général et autres représentants politiques [·] Les conseils municipaux, les organismes sociaux, la police, les transports, l’éducation [·] Les associations, les centres sanitaires et les citoyens C’est dans le cadre de ces conseils que sont définies les recommandations stratégiques, avec le concours occasionnel d’autres experts. Les recommandations d’actions concrètes sont consignées dans un Contrat Local de Sécurité signé par le Préfet et l’élu en fonction. Le Préfet informe ensuite le Conseil de l’état d’avancement des activités. La loi prévoit de consacrer un volet à la prévention des drogues et à la toxicomanie. Toutefois, les directives correspondantes concernent presque exclusivement des aspects thérapeutiques. Par l’intermédiaire des “chefs de projets toxicomanies” représentant la MILDT dans les départements, celle-ci joue au niveau local un rôle central dans la planification, la mise en oeuvre et le financement des mesures de la politique en matière de drogues. La thématique des drogues relevant de la compétence du Ministère de la Santé,1 celui-ci est également représenté au niveau local par l’intermédiaire de la Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales (DDASS). Les acteurs qui s’occupent au niveau local de la mise en oeuvre des mesures décidées, à savoir les services d’aide aux usagers de drogues, les travailleurs sociaux etc., sont souvent regroupés dans des Comités d’Etude et d’Information sur les Drogues (CEID) pour mieux coordonner leurs actions.

Pour l’Allemagne

Conformément à la structure fédéraliste en place en Allemagne, la politique en matière de drogues relève de la double compétence du Bund (la Fédération) et des Länder. Tandis que les grandes lignes législatives sont définies et décidées au niveau national, les Länder ont pour mission de les spécifier au niveau régional, à savoir d’édicter les directives correspondantes. Selon leur orientation politique, les Länder mettent l’accent sur des points différents dans l’exécution de la politique de lutte contre les drogues, et s’éloignent parfois sensiblement des axes essentiels de la politique du Bund. Les communes et les collectivités planifient et coordonnent sur le terrain l’aide aux usagers de drogues dans le cadre des dispositions légales et en tenant compte des spécificités des Länder. La coordination entre le Bund et les Länder a lieu à l’occasion de conférences des ministres spécialisés. Le Conseil de lutte contre les drogues et la toxicomanie (Drogen- und Suchtrat) est l’organe déterminant dans la coordination et la coopération entre les différents décideurs au niveau fédéral et régional (Länder) ainsi qu’entre les structures (associations) d’aide aux usagers de drogues et les organismes d’assurance maladie et d’assurance vieillesse. La politique en matière de drogues est représentée et coordonnée par le Délégué du Gouvernement fédéral en exercice (Drogenbeauftragter der Bundesregierung) au Ministère fédéral de la Santé (Bundesministerium für Gesundheit). La politique allemande de lutte contre les drogues et la toxicomanie s’appuie sur les quatre piliers suivants : prévention, traitement (thérapie), aide à la survie (réduction des risques) ainsi que diminution de l’offre et répression. Les axes essentiels tout comme des mesures individuelles sont régulièrement présentés dans un «Plan d’action : drogues et toxicomanie» (Aktionsplan : Drogen und Sucht) qui sert de ligne directrice aux Länder pour la mise en oeuvre des lois et des principales composantes stratégiques. Le financement des mesures liées à la politique de lutte contre les drogues est structuré de façon similaire. En règle générale, le financement est réalisé par le Bund, les Länder, les communes et organismes d’assurance maladie et d’assurance vieillesse ainsi que par quelques organismes privés. Les coûts de traitement et de thérapie, mais également, dans une large mesure, les frais engagés pour l’aide à la survie sont financés par les assurances maladie et assurances vieillesse.

(1) N DLT : La version allemande parle du «Ministère de la Santé et des Affaires sociales». Ceci ne correspondant pas à la dénomination officielle en France, il est renoncé à la mention «affaires sociales» dans la traduction.

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Pour la France

...... Bordeaux (230 000 habitants)

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Les situations locales des villes participantes

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Bordeaux, le chef-lieu de la région Aquitaine, non loin de l’Espagne, est une ville universitaire avec une importante population étudiante. Plusieurs grands festivals ont lieu dans la région (p. e. à Dax, Bayonne etc.). La ville connaît des problèmes dus à la propagation massive de la consommation de cannabis et à l’abus d’alcool qui a connu une hausse dramatique, aussi bien chez les adolescents que chez les jeunes adultes, hommes et femmes confondus. La consommation d’alcool a lieu en partie aussi sur la voie publique. La construction du tramway a donné naissance à quelques niches urbaines dans lesquelles des maisons désormais inoccupées se retrouvent squattées. Une autre population à risques est celle des Rom héroïnomanes qui viennent de Bulgarie pour obtenir le traitement de substitution Subutex (buprénorphine). On a ainsi vu apparaître un marché noir, et à sa suite aussi un marché de la prostitution, surtout masculine avec les usagers de drogue. A côté de ces groupes, des jeunes livrés à euxmêmes troublent aussi l’ordre public en consommant des drogues (de la cocaïne p. e.) sur la voie publique, en se livrant à leur trafic (p. e. les jeunes dealers de cannabis d’origine maghrébine) ou en faisant peur aux passants avec leurs chiens. Des stratégies et des actions locales sont définies par le CLSPD, composé d’élus locaux, de fonctionnaires de police et de justice. Le principal acteur de la mise en oeuvre est le Comité d’Etude et d’Information sur les Drogues (CEID), qui regroupe au niveau local les organismes d’aide aux usagers de drogues et d’action sociale et a créé quelques lieux d’accueil en ville. Il s’agit notamment aussi de deux bus qui proposent une aide itinérante aux usagers de drogues (p. e. échange de seringues) et des places d’hébergement aux usagers sans abri. Par ailleurs, la ville dispose d’un dispositif d’observation «TREND» qui a été mis en place afin d’identifier les nouveaux phénomènes. Financé par l’Etat, ce projet permet d’observer les tendances récentes au niveau de la consommation et même d’analyser les drogues qui apparaissent sur le marché noir. Les résultats observés sont transmis au CLSPD qui, sur cette base, peut ensuite prendre des mesures de prévention primaire et secondaire avec flexibilité et rapidité. Pour les actions itinérantes d’information et de prévention de l’abus de cannabis et d’alcool, un «Cannabus» a été mis à disposition ainsi que des alcotests gratuits dans les lieux publics. ...... Paris (2 millions d’habitants) La capitale de la France est au centre de la vie sociale, culturelle et politique. En plus des habituels phénomènes pour une métropole aussi multiculturelle, il existe également des tensions dans certains quartiers et des rivalités entre quartiers. Des

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jeunes des banlieues voisines viennent en particulier à Paris pour acheter des drogues et également les consommer sur place. Des jeunes précarisés viennent des banlieues et des quartiers défavorisés profiter des possibilités et des richesses de la ville. C’est dans les quartiers défavorisés que l’usage de drogues est plus fort, motivé par l’absence de perspectives et le déracinement. Tandis que les Parisiens plus aisés sont plutôt passés à la consommation de drogues festives et de «poppers» (surtout les jeunes qui consomment dans les fêtes), les plus pauvres marchent encore beaucoup à l’héroïne. De petites scènes de la drogue subsistent encore à la Gare de l’Est et la Gare du Nord. Dans l’Est parisien, on consomme également du crack. Il existe 22 centres sanitaires qui proposent aussi des cures de désintoxication. Ces centres sont également ouverts aux usagers qui n’habitent pas la ville. Par ailleurs, il existe plusieurs programmes et réseaux de prévention. Un besoin de qualification supplémentaire des personnels et des différents acteurs du secteur de lutte contre les drogues se fait encore sentir; En outre, les structures auraient besoin d’être développées et il faudrait impliquer davantage d’acteurs. La ville de Paris soutient ces mesures de qualification. La politique de la ville en matière de drogues suit trois axes essentiels : l’information, la prévention ainsi que la mise en réseau et formation continue des acteurs. Il serait souhaitable d’avoir des programmes spécifiques, mais ce n’a pas été le cas jusqu’à présent. La thématique des drogues ne joue toutefois plus vraiment un rôle dans la politique urbaine et le développement de mesures de lutte contre les drogues ne fait pas partie des priorités actuelles. La municipalité, la préfecture et la police travaillent en bonne entente. En même temps, la ville de Paris collabore également à titre autonome avec la Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales (DDASS). ...... Pau (82 500 habitants) Pau est une ville universitaire qui compte près de 15 000 étudiants. De nombreux festivals importants ont lieu dans la région (p. e. à Dax, Bayonne etc.). Sa proximité géographique avec le Maroc fait que l’offre de cannabis y est très élevée, mais néanmoins les consommations d’héroïne et de cocaïne ne cessent d’augmenter. Les lieux d’accueil enregistrent entre 4 à 5 nouveaux clients par semaine. A Pau aussi, la consommation d’alcool (sur la voie publique) par des jeunes est un problème qui connaît une augmentation importante. L’alcool et les drogues (le cannabis p. e.) sont souvent consommés sur la voie publique, ce qui génère de nombreux ennuis. La vente d’alcool a ainsi été interdite dans certains quartiers entre 22 heures et 8 heures ainsi que la consommation sur la voie publique. Les jeunes usagers développent pour certains de tels troubles psychiques que les lieux d’accueil et les travailleurs sociaux se voient dépassés.

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La prévention des drogues se fait en coopération avec les écoles. Il existe aussi un stand d’information sur le thème de l’alcool ainsi que des actions d’information et de consultation sur les drogues dans les lieux festifs et festivals. Un centre de consultation a été mis en place spécialement pour les jeunes usagers de drogues. Ces derniers temps, tous les acteurs ont été confrontés au problème d’une demande accrue de services d’aide de la part des usagers, ce qui cause surtout problème au niveau financier. Les décisions liées à la politique de lutte contre les drogues relèvent essentiellement de la responsabilité de la Préfecture et du coordinateur toxicomanie de la MILDT. Des problèmes spécifiques peuvent également être traités et faire l’objet d’une décision par le CLSPD. Les associations d’aide aux usagers de drogues et les hôpitaux sont regroupés dans un autre comité de coordination, mais la collaboration avec le secteur médical s’avère néanmoins quelque peu difficile. ...... Thonon les Bains (environ 50 000 habitants pour 9 communes au total) Thonon est située en région plutôt rurale, à 30 km de la frontière suisse et non loin de la frontière avec l’Italie. Beaucoup d’habitants de Thonon travaillent en Suisse et le département est comparativement plutôt riche. De nombreux d’usagers de drogues profitent de la proximité avec la Suisse pour y consommer sur place, dans les salles de consommation, l’héroïne qu’ils achètent aussi souvent en Suisse (à Genève). Il est ainsi né un genre de tourisme de la drogue qui pose problème. Les jeunes plus aisés achètent de l’héroïne, de la cocaïne, du cannabis et de l’ecstasy à Lausanne, qui sont souvent consommés dans les lieux festifs. On a également vu la prostitution (liée aux drogues) se développer le long de la frontière. La politique de lutte contre les drogues étant essentiellement axée plutôt sur la prévention et la répression du côté français, les usagers de drogues recourent souvent aux services sanitaires en Suisse. Il existe malgré tout aussi un centre d’aide aux usagers de drogues à Thonon, qui propose un traitement de substitution à la méthadone, ainsi qu’un bus pour faire de la consultation itinérante et des échanges de seringues. Les usagers appréhendés en Suisse en possession de drogues s’y voient en général interdits de séjour. S’ils enfreignent cette interdiction, ils risquent une peine de prison. Une fois leur peine purgée, ils sont orientés vers des centres d’accueil en France. Il existe ainsi une coopération transfrontalière entre la police et la justice ainsi qu’entre les prisons suisses et les centres d’accueil de Thonon. A Thonon, des écoles, des centres sanitaires et centres d’aide aux usagers de drogues coopèrent au sein du CLSPD, ainsi que des élus des différents quartiers. Il existe un fort soutien de la part des élus. Depuis un an, un dispositif d’observation a été mis en place, essentiellement axé sur l’usage de cannabis chez les jeunes.

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Pour l’Allemagne

...... Francfort (651 000 habitants) Francfort est une plaque tournante internationale pour le commerce et les transports avec plus de 300 000 personnes qui font chaque jour la navette pour aller travailler, 41 foires et salons chaque année et une importante population étrangère. Depuis des années, la politique en matière de drogues occupe une place très importante dans la politique locale. Il existe un propre département de lutte contre les drogues, qui est directement rattaché à la politique de la santé publique. Le budget annuel de l’aide municipale pour lutter contre les drogues est élevé (environ 8 millions d’euros). Le dispositif de substitution de la municipalité est très bien organisé : près de 650 usagers peuvent obtenir de la méthadone dans 10 établissements de soins ambulatoires et 650 autres usagers environ se la font prescrire par médecins agréés. Il existe quatre salles de consommation et 35 lits d’urgence. Par ailleurs, le dispositif d’aide est bien développé avec un réseau qui fonctionne bien. Francfort a commencé très tôt à travailler avec des structures en réseau et à intégrer les institutions qui s’occupent de la thématique. La coopération même avec la police va de soi aujourd’hui. Il existe des tables rondes interdisciplinaires pour coordonner les actions au niveau stratégique («tables rondes du lundi»), au niveau opérationnel («tables rondes du vendredi») ainsi qu’un «cercle de travail Jeunesse, Drogues et Prévention de la toxicomanie», au sein duquel coopèrent des écoles, des organismes d’aide aux usagers de drogues et des ONG et qui élabore aussi de nouveaux concepts. Il règne depuis des années un consensus pluripartite et une résolution pragmatique en ce qui concerne la poursuite de la politique de la ville basée sur quatre piliers. La coopération entre les structures d’accueil des usagers et la police est mise en oeuvre dans le cadre de projets concrets comme, par exemple, le projet «OSSIP» (Offensive action sociale, sécurité, intervention, prévention) réalisé dans des quartiers particulièrement défavorisés. Depuis 2002, un dispositif d’observation continue a été mis en place afin de pouvoir réagir rapidement face à de nouveaux développements. ...... Karlsruhe (environ 290 000 habitants) La ville compte beaucoup de personnes qui font chaque jour la navette pour venir travailler et est devenue un véritable centre d’activité dans la région avec son vaste réseau de transports publics urbains et suburbains. De très nombreux emplois viennent de PME qui travaillent dans le domaine des techniques de l’information. Une université d’élite forme les futurs employés de ces entreprises. Parmi les thèmes actuellement les plus importants et liés à la problématique de la drogue, on trouve le développement de mesures d’aide aux sans-abris, de lutte

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contre le chômage des jeunes et la violence des jeunes - également en rapport avec l’alcool. Le problème de l’alcoolisme chez les jeunes s’intensifie. A cela s’ajoutent plusieurs milliers de consommateurs de cannabis - souvent combiné à de l’ecstasy et de l’alcool. Sans oublier le problème de consommation d’alcool en hausse chez les opiomanes (substitués). Le dispositif d’aide aux usagers de drogues de la ville se compose de différents modules individuels mis en réseau. Le concept des quatre piliers est soutenu par toutes les parties impliquées. Les principaux objectifs portent sur l’optimisation de l’aide aux personnes concernées et la minimisation des dommages des groupes de population touchés. Les stratégies entre répression et aide aux usagers de drogues sont coordonnées au sein du comité de coordination «Drogues et toxicomanie» par la municipalité, la préfecture de police, le centre hospitalier, les médecins et la justice. La politique locale en matière de drogues se base sur des décisions du conseil municipal prises à l’unanimité. ...... Cologne (environ 1 million d’habitants) Cologne est la quatrième ville d’Allemagne, elle héberge une université et compte en conséquence une importante population d’étudiants. Par ailleurs, beaucoup de personnes issues de l’immigration habitent en ville (31,4 % de toutes les classes d’âges) - notamment d’origine turque. Le principal problème dans le domaine de l’usage de drogues est actuellement la consommation d’alcool et de cannabis par les jeunes. En ce qui concerne les adultes, il s’agit de l’assistance à apporter aux usagers de drogues de longue date qui souffrent de séquelles importantes avec de moins en moins de possibilités de prise d’influence et d’aide. A l’heure actuelle, les possibilités d’exercer une influence politique sur la vente d’alcool aux jeunes dans des soirées avec boissons à volonté («flatrate parties») p. e. font l’objet d’un débat. Il existe déjà plusieurs projets de prévention dans des discothèques ou en milieu festif. De plus, des stratégies d’intervention précoce sont mises au point ainsi que, entre autres, des programmes d’action destinés aux jeunes usagers. Par ailleurs, il existe aussi une gestion des cas («case management») pour les enfants issus de familles toxicomanes. Les différents services d’aide proposés par la ville travaillent en réseau et sont imbriqués les uns dans les autres. Des entretiens de coordination ont lieu régulièrement en réunissant tous les acteurs impliqués. Depuis deux ans, il existe un dispositif d’observation local, financé par une fondation indépendante, qui publie ses résultats. Le dispositif inclut 30 services. En outre, des étudiants participent avec leurs propres observations du milieu. Toutefois, ce dispositif d’observation ne dispose pas pour l’instant d’un soutien financier régulier.

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...... Leipzig (507 000 habitants) Il existe 50 % de familles monoparentales à Leipzig. Fin 2006, le taux de chômage était de 16,9 %. Les chômeurs de longue durée posent un problème particulier. Cela a contribué à la sensible augmentation de l’abus d’alcool. Après la chute du mur, une petite scène de la drogue - essentiellement autour de l’usage d’héroïne - s’est développée à Leipzig. Mais, entre-temps, de nombreuses autres drogues illégales sont également consommées. Sept centres de consultation et de traitement de la toxicomanie sont répartis dans le territoire de la commune urbaine, à proximité des lieux de résidence. La thérapie des toxicomanes est prise en charge par le système de santé publique et des organismes privés. Par ailleurs, il existe également un projet de traitement de substitution à Leipzig mais dont on déplore toutefois le manque de coopération avec les autres instances. A l’heure actuelle, l’extrême augmentation du nombre de patients substitués qui n’ont aucun accompagnement psychosocial pose problème. A cela vient s’ajouter une forte consommation annexe et d’occasionnels surdosages de méthadone. Le marché noir du flunitrazépam (Rohypnol) a enregistré une hausse dramatique. Les usagers de drogues souffrent d’une paupérisation croissante et accèdent trop tard au dispositif d’aide. Des services particuliers sont prévus pour les immigrés : le projet «IKUSH» se consacre à la prévention interculturelle de la toxicomanie, la consultation et la médiation de l’aide aux immigrés. Il existe aussi un réseau d’assistance, le cercle de travail «Pregnant», qui s’adresse aux femmes toxicomanes enceintes ainsi qu’aux usagers de drogues ayant des enfants.

d’aide pour lutter contre les drogues et la toxicomanie à Stuttgart sont regroupés au sein d’une structure commune pour coordonner leurs activités et avoir des échanges réguliers avec la municipalité et la police. Le thème qui domine le plus l’actualité actuellement est celui de la consommation excessive d’alcool (le «binge drinking» ou cuites d’un soir) et d’autres stupéfiants, notamment par des jeunes sur la voie publique. La deuxième priorité concerne les opiomanes qui doivent bénéficier d’un choix suffisant de programmes de substitution qualifiés avec un accompagnement aussi bien médical, que psychiatrique ou psychosocial. Un projet est actuellement en cours d’étude et de mise en oeuvre pour proposer une aide précoce aux femmes dépendantes, à leurs enfants et leur famille.

Le comité municipal interdisciplinaire de lutte contre les drogues est rattaché au chargé de mission toxicomanie du Service de lutte contre les drogues qui dépend lui-même du Service de santé publique (Gesundheitsamt). Le comité formule des recommandations pour la politique à mener en matière de drogues qui sont ensuite décidées par le parlement municipal. ...... Stuttgart (environ 600 000 habitants) Stuttgart est une ville industrielle (essentiellement tournée vers l’industrie automobile) et l’une des deux principales conurbations du Sud de l’Allemagne, avec une zone de rayonnement de plus de deux millions de personnes. Près d’un quart des habitants est issu de l’immigration. Il existe sept structures d’aide aux usagers de drogues et de lutte contre la toxicomanie à Stuttgart. Les populations visées sont les personnes dépendantes et en danger de dépendance de l’alcool, des drogues et des médicaments, mais ces centres traitent aussi les troubles de l’alimentation et la dépendance aux jeux. Il existe des programmes spécifiques destinés à certains groupes d’immigrés. Tous les services

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Questions de fond

05

Comment atteindre les usagers de drogues émergents ou «non visibles» et leur proposer de l’aide ?

+C omment arriver à atteindre, avec le système d’assistance, les usagers de drogues «non visibles» avec lesquels on n’a aucun contact jusqu’à présent ? Font partie de ce groupe par exemple certaines minorités ethniques ou culturelles, les populations précarisées de banlieues défavorisées, certaines communautés de jeunes, etc. +D ans un premier temps, comment identifier des groupes donnés et leurs risques spécifiques ? +D ans un deuxième temps, comment déterminer les priorités pour des programmes ciblés à l’attention des groupes les plus vulnérables ? + Comment réduire les facteurs de risques dans les familles en soutenant les parents ? +C omment, de manière générale, surmonter la perception négative que ces groupes ont de la police et des institutions publiques, afin de développer pour ces groupes des stratégies intégrées réussies ?

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On a vu apparaître ces dernières années, aussi bien dans les villes françaises qu’allemandes, trois nouveaux défis majeurs par rapport à la politique en matière de drogues : [·] La consommation excessive et l’abus d’alcool chez les jeunes souvent sur la voie publique [·] La consommation excessive de cannabis chez les jeunes - souvent aussi sur la voie publique [·] L’augmentation du nombre de (jeunes) usagers de drogues issus de l’immigration, qui sont difficiles à intégrer dans les dispositifs d’assistance existants Tous ces problèmes s’accompagnent d’une augmentation des troubles de l’ordre public, de la violence et des problèmes psychiques chez les usagers. Cela concerne souvent des jeunes qui commencent de plus en plus tôt à abuser des drogues – et surtout de l’alcool. Il en résulte des tensions et des conflits avec les riverains et la population en général. A cela vient s’ajouter le fait que le cannabis, comme les produits alcoolisés, sont aujourd’hui consommés en bien plus forte concentration qu’autrefois. Dans un premier temps, les nouvelles tendances apparaissent souvent dans des «settings» (environnements) bien précis et fermés. Avant que la politique parvienne à réagir en conséquence, il s’est écoulé du temps et les structures peuvent s’être déjà consolidées. C’est pourquoi tous les participants du séminaire étaient d’avis qu’un bon dispositif d’observation devrait permettre aux responsables de réagir plus rapidement et de manière plus ciblée face à de nouveaux phénomènes. Mais il s’agit, à bien des titres, d’une question d’ordre financier, également liée aux structures

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décisionnelles de la ville concernée. Tandis que certaines villes ont mis en place des observatoires ciblés (Francfort, Cologne, Leipzig, Bordeaux, Thonon les Bains), d’autres utilisent les informations des travailleurs sociaux qui vont sur le terrain, voire des personnes concernées elles-mêmes ou des riverains. Souvent la police détient aussi des informations, mais la communication avec les organismes sociaux varie selon les lieux. A Pau par exemple, près de 80 % de tous les délits traités sont liés à l’abus d’alcool, d’où prochainement la tenue d’une table ronde pluridisciplinaire sur la problématique de l’alcool. Tandis qu’en règle générale la coopération et l’échange d’informations sont bien établis dans les villes allemandes, il subsiste encore bien des réserves vis-à-vis d’une telle pratique en France. Les usagers de drogues issus de l’immigration occupent une place particulière, surtout dans les villes allemandes : bien que les statistiques de la police fassent de plus en plus souvent état des minorités concernées, il reste difficile d’accéder à ces groupes car ils sont souvent particulièrement isolés et ont peu, voire n’ont aucune confiance dans les structures de consultation et d’aide existantes. C’est la raison pour laquelle de plus en plus de centres d’accueil ont recruté des travailleurs sociaux qui peuvent proposer des consultations dans la langue maternelle de ces personnes, mais même ce genre d’aide n’est souvent perçue et acceptée qu’après beaucoup d’hésitation. En France en revanche, ce sont surtout les familles précarisées des banlieues qui représentent un nouveau groupe cible difficilement accessible. Dans les deux cas, il est difficile d’obtenir des informations plus précises et de clarifier les besoins en programmes spécifiques, pour la mise en oeuvre desquels les moyens financiers font aussi souvent défaut. Tous les participants étaient d’accord pour dire qu’il existe ici un risque de voir s’intensifier la marginalisation des groupes à risques émergents et des personnes concernées ainsi que leur exclusion du dispositif d’assistance. En ce qui concerne l’abus d’alcool chez les jeunes, il s’agit d’un public plus facile à atteindre, d’autant plus que, du fait des prix peu élevés de l’alcool dans les supermarchés, l’abus d’alcool a lieu au vu et au su de tout le monde, plutôt que dans les bars ou les discothèques. On voit pourtant se dresser des barrières juridiques au niveau de l’intervention, dont on essaie de venir à bout avec l’interdiction de vente à certaines heures de la journée (comme à Pau) ou par le biais d’une information ciblée. Dans les faits, l’intervention se heurte pourtant vite à ses limites, car l’alcool est légal et les producteurs font une publicité massive précisément destinée à interpeller les jeunes (surtout les jeunes femmes) qui sont leur nouvelle cible et qu’ils veulent convaincre d’essayer les nouvelles boissons, des cocktails fortement alcoolisés, mais «au goût délicieux» (alcopops, boissons mélangées à base de bière). Les groupes ciblés pour les interventions sont de plus en plus - tout au moins dans les villes allemandes - les propriétaires de bars et de discothèques, avec lesquels on tente de s’entendre pour qu’ils n’organisent pas de soirées avec boissons à volonté

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(«flatrate parties»), car - contrairement à ce qui se passe en France - on y assiste à un usage de drogues bien plus important et risqué que dans les soirées techno ou les raves par exemple. Dans toutes les villes participantes, la violence augmente également chez les jeunes. Elle est en partie due aux effets des drogues elles mêmes, qui sont souvent consommées sans discernement et en les mélangeant dans le seul but de «s’envoyer en l’air» le plus vite possible et à moindre coût. Parfois pourtant, l’usage de drogues et la violence naissent de l’absence de perspectives, de situations familiales désespérées ou de tensions sociales. De plus en plus de travailleurs sociaux parlent d’une extrême disposition à la violence et de graves troubles de la personnalité chez les jeunes, face auxquels ils ne se sentent plus à la hauteur. C’est aussi pourquoi dans certaines villes allemandes, les travailleurs sociaux travaillent de concert avec la police dans certains environnements (settings) particulièrement difficiles (à Karlsruhe et Francfort p. e.). Recommandations

[·] Identifier les sources d’informations : Il s’agit ici d’observations dans le milieu concerné, de l’exploitation des données existantes chez la police et dans les centres d’accueil. Il convient aussi de les remettre en question de façon critique. [·] Identifier les principaux problèmes : Ceux-ci devraient être identifiés en coopération avec tous les acteurs concernés (travailleurs sociaux, riverains, usagers etc.). Si les moyens financiers sont limités, il est conseillé de donner la parole directement au plus grand nombre possible de personnes impliquées et/ou concernées au lieu de procéder à une enquête scientifique. [·] Associer les diagnostics et les mesures : Il faut tenir compte des différents points de vue des divers acteurs sur la problématique et de leurs rôles différents aussi bien au niveau du diagnostic que de la planification et de la mise en oeuvre des mesures correspondantes. [·] Peser le pour et le contre des différentes mesures en les comparant : Le choix des moyens pour réagir face à de nouvelles tendances et de nouveaux problèmes devrait faire l’objet d’un équilibre entre répression et assistance. Il convient de vérifier régulièrement leur impact et ces mesures ne doivent en aucun cas faire surgir de nouveaux problèmes en d’autres lieux. [·] Organiser le processus : L’élaboration d’un catalogue de mesures devrait, dans le cas idéal, être une prestation commune et non une initiative unilatérale. A cet égard, il faut s’attendre à des points de vue divergents, mais il y aura moins de confusion et par là même aussi moins de raisons de se méfier.

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[·] C réer des alliances : Il faudrait créer des alliances et des coopérations entre les personnes impliquées aussi bien au niveau du diagnostic que de la mise en oeuvre, afin de pouvoir réagir en faisant preuve de flexibilité et mettre en place à plusieurs niveaux les mesures correspondantes. [·] Attention au «cimetière des données»! On court toujours le risque de ne recueillir des données et des informations qu’à la seule fin de la collecte. Si celles-ci ne sont pas associées à une volonté politique d’intervention, elles coûtent des ressources sans présenter de réelle utilité.

Comment trouver un équilibre entre politique de sécurité et politique de santé publique ?

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Questions de fond +Q uel est le soutien dont ont besoin les élus locaux qui souhaitent coordonner les différentes interventions ? +C omment traiter les problèmes liés à l’usage et au trafic de drogues en tant que devoir social général sans qu’il apparaisse deux stratégies parallèles dans le secteur de la santé publique et celui de la sécurité ? +C omment réunir des approches différentes afin d’élaborer des champs d’action communs sur la base d’un consensus ? + Comment garantir une coopération intégrée qui s’inscrive dans la durée ? +C omment associer les devoirs et priorités de la justice et de la police dans une approche intégrée ? +C omment soutenir aussi des mesures liées à la sécurité dans le cadre d’aides médico-sociales ? Tandis que dans les villes allemandes, une coopération plus ou moins intense s’est entre-temps établie entre l’aide aux usagers de drogues et la police, la collaboration entre ces deux secteurs reste difficile en France, voire s’avère impossible. Il ne s’agit pas seulement d’une question de cultures professionnelles différentes, cela est aussi lié au fait que, dans le conflit qui oppose les autorités de police aux usagers de drogues, de nombreuses structures d’accueil redoutent d’être discréditées auprès de leurs clients en coopérant et communiquant avec la police. Cela vaut notamment pour les doutes concernant le non respect du secret professionnel. De plus, les centres d’accueil craignent de devoir assumer des tâches qui ne seraient pas conformes à leur philosophie générale, leur capacité et leurs compétences. Ainsi il existe certes des stratégies de réduction de l’offre et de la demande, mais elles ne sont souvent pas associées ni coordonnées les unes aux autres, elles sont au contraire mises en oeuvre parallèlement et se font parfois mutuellement obstacle. Les forces de police ont souvent l’impression que les travailleurs sociaux prennent la défense des usagers de drogues - et s’opposent à la police. Cela pèse en même temps sur les centres d’accueil qui croient devoir venir à bout, sans l’aide de la police, des difficultés rencontrées avec les usagers de drogues qui posent problème, et entraînent notamment des tensions entre les travailleurs sociaux et leurs clients (p. e. dans leurs rapports avec les jeunes clients qui présentent une extrême disposition à la violence et de graves troubles de la personnalité). A Francfort, Karlsruhe et Stuttgart, la coopération étroite avec la police est passée dans la pratique. Ce n’est pas toujours facile parce que les autorités de police en

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Allemagne ne sont pas liées par des accords pris au niveau local. Donc la coopération ne peut fonctionner que sur une base volontaire. A cela s’ajoute le fait qu’en raison de la forte fluctuation des effectifs au sein de la police, tous les policiers ne s’en tiennent pas toujours à la pratique convenue. Cela ébranle à nouveau la confiance des usagers de drogues et nécessite sans cesse de nouvelles actions d’information et d’explication auprès de la police. Il est toutefois fondamentalement entendu que les forces de police sont surtout responsables du maintien de l’ordre public et que l’usage de drogues sur la voie publique n’est plus toléré. Dans le même temps, les agents de police contribuent néanmoins aussi à informer les usagers des différentes aides existantes et à les inciter à accepter de l’aide. A Francfort, cela est illustré avec un projet commun «OSSIP», dans le cadre duquel des travailleurs sociaux et des policiers se rendent ensemble dans les points chauds de l’usage de drogues sur la voie publique et informent les usagers. Il existe un projet similaire à Karlsruhe pour les grands événements festifs et autres manifestations publiques. Dans d’autres villes allemandes, la coopération est moins intense et moins continue, et les accords divergent sur le fait de savoir si les policiers ont p. e. aussi le droit de se rendre dans des centres d’accueil pour usagers de drogues ou non. Malgré tout, les différents rôles sont, pour l’essentiel, clairement distribués et communément acceptés : la police est surtout chargée de garantir la sécurité de la population et l’ordre public, en même temps elle ne doit pas empêcher les clients d’accéder à l’aide, mais doit au contraire les soutenir le plus activement possible pour qu’ils y accèdent. Même si, selon le principe de légalité, tous les usagers de drogues délinquants doivent être poursuivis, c’est le principe de la «thérapie avant la peine» qui prévaut et les usagers de drogues sont en priorité considérés comme des malades. En France, s’il y a eu jusqu’à présent coopération et entente entre le secteur de la sécurité et celui de la santé publique, cela s’est surtout fait dans le cadre des CLSPD. Malgré tout, on perçoit de plus en plus la nécessité d’échange, de coopération et de coordination et des projets pilotes communs ont également déjà été initiés dans des domaines bien délimités. Ainsi existe-t-il à Paris p. e. des projets communs entre des organisations «Safer Nightlife» (pour une vie nocturne plus sûre) et la police afin d’inciter les propriétaires de discothèques à mettre en oeuvre la réduction des risques selon le mot d’ordre «coopération ou répression» (Des projets similaires ont déjà été et sont encore réalisés dans des villes allemandes - comme à Stuttgart p. e.). Tandis que les organismes d’assistance font un travail d’information auprès des propriétaires de discothèques et de leurs clients, la police veille au respect de certaines conventions de sécurité qui sont fixées dans une charte. Par ailleurs, il existe 20 «conseils de sécurité» dans les différents arrondissements de Paris et des actions communes dans le domaine de la prévention, réalisées dans les écoles avec

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le concours de parents et avec le soutien de la police. Le «Plan Crack» à Paris associe lui aussi tous les acteurs - y compris le service de police administrative. A Bordeaux et à Pau, des accords ont été passés pour adopter une manière de procéder commune face aux jeunes «en errance». Recommandations

[·] C larifier les rôles : Les ententes et les coopérations entre le secteur de la sécurité et celui de la santé publique exigent une clarification des différents points de vue, cadres contractuels, aptitudes, ressources et méthodes. La connaissance réciproque des rôles de chacun et le respect mutuel sont essentiels pour une coopération réussie qui s’inscrive dans la durée.

[·] Attention aux «actions ponctuelles»! Pour que la coopération et l’équilibre entre le secteur de la sécurité et celui de la santé publique s’inscrivent dans la durée et «se normalisent», il est essentiel d’avoir une continuité, une évaluation régulière et une politique d’information. Il faut agir selon le principe «Fais le bien et parles-en», afin de permettre aux alliances de se renforcer, de rester intéressantes pour toutes les personnes impliquées et de recevoir l’adhésion du monde politique et de l’opinion publique.

[·] Fixer et délimiter les domaines de responsabilité : Cela peut soulager les différents acteurs et en même temps reconnaître leurs compétences et responsabilités. Cela facilite également le travail quotidien des organismes concernés parce qu’ils connaissent leurs limites et peuvent se concentrer sur leur activité réelle. Une coopération n’est intéressante et pérenne que si toutes les personnes concernées en profitent. [·] R egrouper les informations : Toutes les parties impliquées peuvent profiter des connaissances techniques respectives des autres, mais là aussi il importe de définir les limites de l’échange d’informations, ne serait-ce que pour ne pas compromettre le secret professionnel. Cela vaut aussi bien pour les travailleurs sociaux et les thérapeutes vis-à-vis de leurs clients que pour les forces de sécurité qui n’ont fondamentalement pas le droit de divulguer des informations sur les enquêtes en cours. Il faut faire la part des choses entre soutien réciproque et éventuelle violation de règles professionnelles. De tels processus sont facilités par des rapports de confiance mutuelle qui, comme l’expérience nous l’a montré, naissent d’une coopération transparente et loyale au fil des ans. [·] C réer le consensus sur une stratégie globale : Sans un consensus fondamental approprié, on sait par expérience que les différents acteurs impliqués continuent de suivre leur propre logique, donnant naissance à des malentendus, voire des structures parallèles. Pour un tel consensus, il importe également de bénéficier d’un clair soutien de la part des décideurs politiques - ou, au niveau de la police, de celui des plus hautes instances de direction. Cette compréhension collective est également importante pour obtenir l’approbation et le soutien de la population pour des actions communes. [·] O rganiser des processus flexibles et pragmatiques : Une politique d’information claire et un consensus sur une stratégie globale permettent différentes formes de coopération : des actions concertées jusqu’au traitement à long terme de thèmes pluridisciplinaires. Toutes les actions communes doivent néanmoins être adaptées au contexte donné et devraient être basées sur une estimation réaliste de la situation en question. Il s’agit d’éclaircir le principe de proportionnalité des moyens (aussi bien financiers que méthodologiques) et de le respecter.

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Questions de fond

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+C omment associer les riverains à l’analyse des problèmes locaux liés aux drogues ? Comment les faire participer à la planification et l’évaluation des mesures de sécurité et de prévention ainsi qu’aux mesures d’aide aux usagers de drogues ?

Comment assurer la participation des citoyens aux décisions liées à la politique en matière de drogues ? ··························································

+C omment, avec la participation des riverains, faciliter l’intégration des centres d’accueil pour usagers de drogues dans leur quartier ? De tels centres doivent-ils p. e. être moins visibles pour être mieux acceptés ? +L ’accompagnement de l’ensemble des actions par les élus locaux étant un élément clé pour remporter l’adhésion et obtenir le soutien des riverains, quelles méthodologies les élus locaux peuvent-ils employer pour conforter ce soutien et valoriser leur propre engagement ?

Les inquiétudes exprimées par la population sont généralement prises très au sérieux par les élus locaux; Néanmoins aucune participation directe à la planification et à la mise en oeuvre de décisions liées à la politique de lutte contre les drogues n’est prévue dans la plupart des villes. Les citoyens et riverains sont certes entendus dès qu’ils protestent – ne sont-ils pas après tout des électeurs potentiels ? – mais ils sont rarement, voire ne sont jamais associés à une analyse du problème ou aux processus décisionnels sur la politique à suivre. Comme en toute chose, il est bien sûr possible de s’adresser au sommet de la hiérarchie administrative aussi pour les questions touchant à la politique en matière de drogues - toutefois ces structures ne sont la plupart du temps institutionnalisées que de manière générale, p. e. avec des heures d’audience des citoyens ou des réunions-débats de citoyens. En règle générale, les plaintes dans ce domaine sont directement adressées à la police. Une autre possibilité de consultation institutionnalisée est celle des «commissions municipales» (Ortsbeiräte) dans les villes allemandes et des «conseils de quartier» (comme à Paris) en France. Mais, la plupart du temps, pour tous ces processus, on constate que c’est celui qui dispose du plus fort groupe de pression ou lobby qui se fait le mieux entendre. Cela vaut notamment pour les commerçants, les propriétaires fonciers et les propriétaires d’établissements commerciaux ou - comme à Francfort - pour les banques. Même si, de manière générale, la problématique des drogues n’est plus considérée partout par la population comme un problème prioritaire, il subsiste encore une attitude selon laquelle on veut bien que de l’aide soit proposée, mais pas dans le voisinage immédiat. Les anglais utilisent l’expression «Not in my backyard» (NIMBY) - à savoir, pas dans ma cour ou pas de ça chez moi. Mais cela concerne aussi les groupes de personnes qui n’ont pas de groupe de pression, mais doivent être entendues et impliquées si l’on veut éviter autant que possible dès le départ des tensions

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et des protestations face à l’installation de nouveaux centres. Cela permet d’éviter d’autres tensions sociales, la poursuite de la marginalisation et de la «ghettoïsation», notamment dans des quartiers déjà défavorisés, dans lesquels l’usage de drogues se manifeste souvent de manière particulièrement claire et pose problème. En outre, cela comprend aussi les usagers de drogues eux-mêmes, qui peuvent être associés à de telles initiatives pour développer ensemble des solutions pacifiques. Cette approche est suivie de manière particulièrement conséquente à Francfort, où au début de l’introduction de la nouvelle politique locale en matière de drogues, dans les années 90, deux grands débats publics ont eu lieu avec la participation de riverains, de commerçants, de banques, de personnes travaillant à Francfort sans y habiter, d’usagers de drogues et de la municipalité. Contrairement aux attentes initiales, on a assisté à un fort soutien pour des «aides à bas seuil» pour les usagers de drogues et cela a permis de dissiper certains malentendus quant aux différents besoins. Les banques et la Chambre de Commerce et d’Industrie ont lancé une action de collecte de dons pour des structures d’accueil des usagers de drogues, qui a permis de recueillir près d’un million d’euros auprès des banques et d’autres entreprises. En outre, depuis des années à Francfort, les riverains, les associations et les usagers de drogues sont informés dès la phase de planification de centres d’accueil dans certains quartiers et y sont associés. Des nombreuses récriminations ont ainsi pu être évitées, par exemple en obligeant les clients des centres d’accueil à assurer eux-mêmes l’ordre et la propreté aux alentours des centres. La «flotte de balayeurs» de Francfort a ainsi entre-temps été récompensée en tant que projet modèle et d’autres projets de travail ont vu le jour dans le cadre desquels, par exemple, des usagers de drogues substitués entretiennent des espaces publics ou lavent le linge de certaines administrations. Toutes les villes participantes réagissent fondamentalement face aux tensions, protestations et conflits croissants dans certains quartiers, toutefois elles le font de manière différente. A Bordeaux par exemple, on réalise selon les besoins des enquêtes dans les quartiers concernés (auprès de 100 à 150 personnes environ) afin de recueillir des informations, de rassembler les plaintes et les solutions proposées et de les transmettre aux responsables. Des stratégies élaborées dans les comités concernés font l’objet d’une nouvelle consultation auprès des riverains au bout de quelques mois. A Paris, de telles consultations ont lieu par le biais des conseils de quartiers et des réunions-débats de citoyens. A Pau par contre, elles sont organisées par le biais de forums locaux sur des thèmes donnés. Toutes les villes participantes ont souligné l’importance d’une bonne politique d’information menée de manière conséquente vis-à-vis de l’opinion publique. Cette politique aussi est organisée de manière différente selon les villes mais considérable-

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ment facilitée par une stratégie locale interdisciplinaire et coordonnée, dans le cadre de laquelle tous les acteurs peuvent pareillement répondre de la stratégie (comme à Stuttgart, Karlsruhe et Francfort par exemple). Il existe également des pratiques différentes quant à la participation des populations visées concernées. Dans de nombreuses villes allemandes et françaises, il existe des réseaux au sein desquels les jeunes interviennent eux-mêmes activement dans la prévention - p. e. lors de fêtes, de raves et dans les discothèques - et proposent des informations et des conseils. Ils se servent aussi de leurs propres forums, p. e. sur Internet, pour faire de la prévention et de l’information d’égal à égal. Dans d’autres villes, certaines communautés ou réseaux - p. e. les réseaux gays - sont aussi associés pour accompagner et diffuser les actions de prévention dans leur environnement. A Leipzig, des immigrés ont suivi une formation pour devenir médiateurs d’égal à égal et interviennent avec succès dans la médiation de conflits. Les clients des centres d’accueil, usagers de drogues, sont parfois également associés au processus pour résoudre des situations de conflit avec les riverains (p. e. la «flotte de balayeurs» à Francfort). Recommandations

[·] Mobiliser les réseaux existants : Les réseaux existants peuvent permettre d’obtenir de précieuses informations et propositions de solutions, qui ne sont guère accessibles aux personnes venant de l’extérieur. Aussi bien les groupes de quartiers, les groupes de pression que les organisations de type autosupport existants peuvent apporter leur contribution aux processus décisionnels locaux et à la mise en oeuvre des décisions, s’ils sont informés en toute franchise et pris au sérieux avec leurs éventuelles contributions. [·] Associer les citoyens aux processus de planification et aux processus décisionnels : L’expérience montre que l’on a tout à gagner d’associer les citoyens concernés aux processus de planification et aux processus décisionnels, d’autant plus lorsque ceux-ci concernent leur environnement immédiat. Ceci ne doit pas forcément avoir lieu de manière continue, mais il faudrait créer des forums et comités fiables, par le biais desquels on pourrait regrouper et canaliser leurs contributions. Cela ne permet pas seulement de mieux faire comprendre à l’opinion publique les décisions prises dans le cadre de la politique en matière de drogues, mais peut également aider à gagner le soutien concret du voisinage. [·] Une politique d’information conséquente : Les villes dans lesquelles une politique commune est communiquée et évaluée dans un esprit d’ouverture, ont fait des expériences tout à fait positives en la matière. Là où les plaintes et les conflits sont traités par les autorités concernées avec pragmatisme et de manière participative, il a, en règle générale, été possible de les régler d’un commun accord. Quand on mène une bonne politique, il faut aussi communiquer sur celle-ci.

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[·] Associer les populations visées aux stratégies de solutions : Les jeunes, les usagers de drogues, les fêtards etc. ne sont pas obligatoirement toujours seulement synonymes de problèmes, ils peuvent aussi devenir une partie d’une solution. Ils ont une autre manière, souvent meilleure, d’aborder la problématique et d’atteindre la population visée et peuvent jouer un rôle déterminant et actif dans leur propre environnement en matière de prévention des risques et des conflits. Souvent on ne les croit tout simplement pas capables d’assumer eux-mêmes une part de responsabilité. [·] Attention aux «réunions d’habitués»! Il convient de prendre au sérieux et d’écouter les doutes et des plaintes exprimés par la population. Mais il importe aussi de les remettre régulièrement en question de façon critique et de les vérifier en toute objectivité. Si cela n’est pas fait, on court le risque de n’échanger que des préjugés et de les cimenter, ou d’être instrumentalisé par des groupes de pression unilatéraux.

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Conclusions

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La politique en matière de drogues concerne des secteurs différents, notamment la santé publique, l’enseignement, l’aide sociale et l’aide à l’enfance, l’aide à l’emploi, mais aussi les forces de police et de sécurité. Il faudrait dédramatiser le phénomène de l’usage problématique de drogues et que celui-ci fasse à long terme l’objet d’une approche commune du système de la sécurité publique et de celui de la santé publique. Pourtant, nombre d’organismes travaillent souvent de manière isolée. Les informations, le savoir-faire et l’expérience accumulée ne circulent pas, on assiste à un doublement des offres, voire souvent aussi à une répétition des erreurs. Dans le même temps, la méfiance à l’égard des autres institutions fait que les expériences faites à la base ne sont pas répercutées de manière suffisante sur les décisions politiques. C’est pourquoi il est intéressant, aussi bien au niveau stratégique qu’au niveau opérationnel, de créer des alliances et des coopérations entre l’aide aux usagers de drogues et contre la toxicomanie et les différents organes de l’ordre public. Les échanges entre les différents acteurs devraient également être formalisés - par exemple par le biais de tables rondes, de forums réguliers ou d’autres formes de groupes de travail. Une telle forme de coopération ne peut réussir sans un soutien venu «d’en haut» comme «d’en bas», à savoir aussi bien de la part des décideurs politiques que des citoyens et des personnes concernées elles-mêmes. Les partenaires au sein de ce processus seront peut-être obligés de renoncer à certaines de leurs convictions fondamentales pour créer l’espace nécessaire à un nouveau processus de définition commune de mesures s’orientant sur les réalités locales. Ce processus inclut aussi les institutions publiques qui sont d’ordinaire peu enclines aux changements, surtout de leurs propres fonctions et positions dans la communauté. Mais si les nouvelles approches en partenariat n’agissent pas en s’orientant sur la réalité et ne l’affrontent pas de manière rationnelle, aucune vie ne leur sera insufflée et elles resteront inefficaces. L’approche pluridisciplinaire n’est pas basée sur des théories, mais sur les réalités dans l’environnement immédiat des personnes concernées. Il s’agit d’un instrument participatif de la politique, toutefois la politique est la plupart du temps en retard sur la réalité. Si l’on arrivait au moins à réduire l’écart, on aurait déjà bien avancé. Il est ressorti de la discussion sur la comparaison des moyens permettant de traiter la problématique que la répression est tout à fait justifiée dans la mesure où l’on peut aussi proposer d’autres alternatives - p. e. des possibilités d’hébergement, des traitements de substitution, des emplois etc. Mais dans le même temps, des mesures répressives devraient éviter toute marginalisation supplémentaire et par là même tout renforcement de la vulnérabilité des usagers de drogues sur le plan sanitaire. Dans une société ouverte, le débat public a une fonction importante : il permet aux citoyens d’exprimer leur insatisfaction et leurs demandes auprès des responsables politiques. Dans le même temps, les mesures politiques qui sont réalisées avec la

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participation de la population, s’inscrivent plus la durée et bénéficient du soutien public. L’approche par une mise en réseau pluridisciplinaire et multisectorielle, associant le plus grand nombre possible de groupes concernés, d’institutions étatiques et d’acteurs, permet ainsi de procéder de manière participative et par là même de s’orienter sur la collectivité, ce qui lui garantit flexibilité et pérennité. Néanmoins, un autre élément important de cette approche consiste aussi à s’avouer que solutionner les problèmes n’est pas seulement un processus de longue haleine, mais aussi toujours dans le meilleur des cas une réussite partielle. Les «solutions» au sens de cette approche ne peuvent ainsi toujours qu’être des solutions pour la population concernée qu’il s’agit de protéger des effets négatifs du problème des drogues – aussi bien au niveau individuel qu’en tant que communauté. Une meilleure intégration de la population, notamment des riverains, est l’une des revendications centrales de ce séminaire. En ce qui concerne les populations visées, il n’est désormais plus réaliste de séparer, comme cela a été le cas jusqu’à présent, l’alcool et les drogues illégales. De nombreux jeunes consomment aussi bien des drogues légales qu’illégales et il existe des interférences avec d’autres sujets sociaux, l’attitude des jeunes face aux risques et l’orientation sur l’expérience vécue. Ces aspects devraient être traités dans une même approche et la consommation d’alcool et l’usage de drogues ne devraient plus être considérés en premier lieu sous l’aspect de troubles de l’ordre public et de la sécurité. Les thèmes qui se recoupent avec la problématique des drogues sont aussi des thèmes tels que l’intégration, la cohésion sociale, la paix sociale et la prévention de la violence. Ainsi l’usage problématique de drogues devient un problème social, et plus seulement un sujet marginal relevant de la politique de l’ordre public ou de la santé publique. Pour mieux réagir face à de nouveaux développements, il est donc important de travailler de manière interdisciplinaire et également d’intégrer les personnes qui défendent des intérêts sociaux - y compris les riverains et les personnes concernées elles-mêmes. Pour la mise en oeuvre, les acteurs auront certainement besoin de mesures de formation allant au-delà de leur domaine d’activité jusqu’à présent, p. e. sur la médiation des conflits et la prévention de la violence. Les jeunes issus de l’immigration constituent une cible particulière : les particularités socioculturelles et leur empreinte individuelle dans la vie quotidienne représentent un obstacle sensible à la prise de contact avec cette population pour leur proposer de l’aide. A cet égard, les connaissances linguistiques souvent insuffisantes sont seulement un obstacle majeur pour prendre contact avec elle. A cela viennent s’ajouter les discriminations vécues auprès des institutions ou d’individus, qui rendent difficile la prise de contact avec cette population visée (ou ces différentes populations visées!). Par ailleurs, les jeunes issus de l’immigration portent souvent un double fardeau,

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celui de l’immigration et celui de la puberté. Ils vivent souvent entre deux mondes et passent à travers les mailles des réseaux sociaux aussi bien de leur société d’origine que de la société d’accueil. Les solutions possibles ne consistent pas seulement à recruter dans les centres d’accueil des travailleurs sociaux qui parlent les langues étrangères nécessaires. Afin de s’assurer que l’on puisse bien dans les faits atteindre les personnes issues de l’immigration avec des programmes d’ampleur adéquats, il est indispensable qu’il y ait une participation de la population visée lors de l’organisation de tels programmes. A cet égard, il faudrait aussi par exemple des échanges sur des expériences pratiques positives qui puissent être reprises. Les immigrés ayant vécu diverses sortes d’expériences stigmatisantes, des structures en réseau sont absolument indispensables, en plus d’une politique d’intégration conséquente, pour que ces personnes soient disposées à accepter de l’aide. Il sera plus facile d’aborder des phénomènes complexes tels que la consommation excessive d’alcool ou de drogues dans des settings (environnements) clairement définis, en coopérant avec les groupes sociaux concernés. Ils les prennent aux sérieux avec leurs problèmes, risques éventuels, mais aussi leurs compétences et potentiels et «vont les chercher là où ils sont». Cela pourra être plus facilement assuré si les jeunes et leur environnement social (p. e. leurs amis, des personnes qui partagent les mêmes idées, leur famille) participent à la planification du projet et à sa mise en oeuvre. Les jeunes sont des promoteurs importants lorsqu’il s’agit de transmettre des informations de prévention et de santé à des personnes du même âge. Car les jeunes ne sont pas seulement un groupe à risques potentiel, mais aussi en même temps une importante ressource pour la prévention. On le voit déjà dans les nombreux projets «Safer Nightlife». Pour mieux réagir face à de nouveaux phénomènes et à de nouveaux groupes cibles potentiels, il est conseillé de mettre en place un «dispositif d’alerte» ou un système d’observation continue. Il s’agit de ne recueillir des informations que dans leur seul intérêt et d’utiliser les ressources de manière réfléchie. Il n’est pas partout possible de financer dans la durée un coûteux dispositif d’observation externe, mais les initiatives «Safer Nightlife» montrent qu’en intégrant la population visée elle-même, il est aussi possible de recueillir et de transmettre des informations en économisant des ressources.

tout dédramatiser et faire mieux accepter les mesures communes, afin que toutes les personnes impliquées profitent de la coopération. Cela commence en expliquant la stratégie globale et ses conséquences et en répondant en toute honnêteté aux questions sur la réussite (ou l’échec) des stratégies et de leur mise en oeuvre. Une bonne politique coordonnée en matière de drogues n’a pas peur d’être révisée - et l’on peut sans crainte communiquer sur les réussites. Même si quelques unes des stratégies les plus réussies de politiques locales en matière de drogues ont été réalisées avec d’importants moyens financiers, une politique de lutte contre les drogues ne doit pas nécessairement échouer au vu de moyens limités. Des solutions non conventionnelles peuvent même être plus facilement trouvées et mises en oeuvre lorsque tous les acteurs coopèrent. On peut dire en principe qu’il vaut mieux faire des plans plus modestes, mais les mettre en oeuvre de manière fiable. Une politique intégrée en matière de drogues et orientée sur la collectivité est une tâche dans laquelle interviennent de nombreuses variables individuelles et sociales. Cela exige, outre des moyens financiers, surtout de la patience, un esprit d’ouverture, une grande dose de flexibilité et du courage. Le séminaire a montré que, malgré des systèmes très différents en Allemagne et en France quant au domaine de compétence dont relève la politique en matière de drogues, les villes se voient attribuer un rôle particulier : elles doivent directement affronter les phénomènes sociaux et les tensions sociales. D’un autre côté, c’est précisément dans les villes que peut naître un vrai dialogue social ayant ensuite des répercussions sur la vie de tous les habitants de la ville. Les approches locales sont importantes, notamment en raison de la proximité des villes et des communes avec le problème et parce qu’elles peuvent trouver des solutions flexibles et conformes aux besoins. C’est d’ailleurs à ce niveau que l’Etat est le plus proche de ses citoyens. C’est la raison pour laquelle les participants du séminaire se sont accordés pour dire que l’échange d’expériences entre villes allemandes et françaises a été fructueux malgré les différences structurelles et administratives, et devrait être renouvelé dans la mesure du possible.

La politique de lutte contre les drogues orientée sur la collectivité tient compte de thèmes sociaux fondamentaux tels que l’intégration, les rapports entre générations, l’emploi, le comportement pendant son temps libre, le traitement des conflits. Elle commence aussi dans différents environnements : dans les écoles, les centres de loisirs, les discothèques, les groupes de quartier, les associations ou les quartiers et renoue avec le monde dans lequel vivent les populations visées. Les mesures de la politique en matière de drogues devraient être mieux évaluées et les résultats communiqués au public. Une bonne politique d’information doit avant

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