regard sur venise et son vĂŠgĂŠtal caroline.guilbert
Mlle Caroline Guilbert Mémoire Master 2 - Encadré par : Mme Brigitte Naviner Séminaire architecture et paysage école Nationale Supérieur d’Architecture de Paris La Villette Numéro étudiant : 05295 Année 2007/2008
regard sur venise et son v ĂŠgĂŠtal
remerciements
Mes remerciements s’adressent à toutes les personnes qui m’ont apporté aide et soutien lors de l’élaboration de ce mémoire : Ma référente mémoire : Brigitte Naviner Mes contacts à Venise : La comtesse Marie Brandolini d’Adda, Tudy Sanmartini Mon amie graphiste Marie-Eglé De Lardemelle Toutes les personnes ayant participé à la relecture de mon mémoire, ainsi que celles qui ont gentiment répondu à mon questionnaire ... Et tout particulièrement ma famille pour son soutien et sa patience. Que tous trouvent ici l’expression de ma profonde reconnaissance.
sommaire
I n t r o d u c tion......................................... p8 Pa rt i e 1 R e n co n t r e avec V enise...........................p10 Les promenades : A. La porte de la mer....................................................................................... p13 B. La porte de l’aventure.................................................................................. p17 C. La porte de l’Or .......................................................................................... p21
Pa rt i e 2 F o r m e s d e présences végétales...............p24 A – Les espaces publics.................................................................................. p26 1. Les jardins publics : ................................................................................... p27 Récit : Premiers ressentis a. Sant’Elena b. Cannaregio c. Giardini 2. Les campi................................................................................................... p33 Récit : Ici même… 3. Les herbes folles......................................................................................... p38 Récit : Une végétation spontanée B – Les espaces semi-privés . ......................................................................... p41 Récit : Instants précieux 1. Les balcons et bords de fenêtres.................................................................. p44 2. Les altane................................................................................................... p45 3. Les cours.................................................................................................... p46 4. Derrière les murs........................................................................................ p47
C – Les espaces privés.................................................................................... p48 Récit : Promenade secrète - Les jardins secrets
Partie 3 Un peu d’histoire .. ........ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p 5 4 A – Historique................................................................................................ p54 1. Représentation de la ville et de ses espaces verts......................................... p56 2. Commerce et botanique............................................................................... p59 3. Les traces d’un passé.................................................................................. p60 4. Structure de la ville..................................................................................... p61 5. Le climat.................................................................................................... p63 B - Questionnaires.......................................................................................... p64 1. Raisons du questionnaire............................................................................. p65 2. Résultats et analyse des questionnaires....................................................... p65
Conclusion.. ................. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p 6 8 ANNEXES....................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p 7 2 1. Lexique 2. Cartes, situation géographique 3. Acqua alta 4. Textes de référence 5. Bibliographie 6. CD (reportage photographique complémentaire)
NB : Les mots en italique sont définis et répertoriés dans le lexique en page 73.
introdu ction
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J’ai choisi d’effectuer ma quatrième année d’école d’architecture à Venise dans le cadre d’un échange ERASMUS. Avant mon départ j’appréhendais de ressentir plusieurs manques : celui de ma famille, de mes amis, un manque de repères, mais aussi et surtout un manque d’espace. En effet j’habite à la campagne depuis mon enfance et j’ai toujours eu facilement accès à de grands espaces où le végétal est fortement présent. A cela s’ajoutait l’image que j’avais de Venise, soit une ville labyrinthique d’eau et de pierre, aux dédalles de ruelles et de canaux, et sans grands espaces ouverts hormis sur la lagune, sans espaces verts. Je suis donc d’abord partie à la recherche de ses jardins, de ses parcs, m’interrogeant sur la place du végétal dans cette domination de l’eau et de la pierre. Imaginez ma surprise lorsque j’ai commencé à me promener dans ces rues tortueuses et que j’ai aperçu un arbre ! Au fil de mes balades, ces rencontres se sont multipliées, se diversifiant, emplissant mon esprit d’une multitude de couleurs et d’odeurs auxquelles je ne m’attendais pas. Mes premières découvertes n’ont fait qu’accroître ma curiosité. Il me fallait partir à la recherche de ses trésors discrets. J’ai alors choisi de parcourir la ville sur les traces de Corto Maltesse (1), grâce à un guide qui reprend ses balades. J’ai ainsi pu parcourir toute la ville en suivant ses différentes promenades. Me voilà donc partie à la découverte de Venise et de son végétal. Tout au long de mes parcours, j’ai établi un répertoire des lieux où l’on trouve le végétal. Il m’a semblé important de conserver leurs images en les photographiant et en les dessinant, afin de me constituer un petit carnet de voyage à l’échelle de la ville. Au fil des jours, je m’adapte au rythme de la vie Vénitienne, et rencontre ses habitants. Je croise le chemin de Madame la comtesse Marie Brandolini d’Adda. Ayant sympathisé avec
elle, elle m’ouvre gentiment les portes de son palais ainsi que celles de son jardin. Cette expérience est assez exceptionnelle à Venise. En effet la ville recèle de nombreux jardins privés, que l’on nomme « jardins secrets », mais il est difficile d’y pénétrer. Ebahie devant un tel paysage, j’ai cherché à en savoir plus sur ces jardins secrets. C’est alors que madame Brandolini m’a mise en contact avec madame Tudy Sammartini, l’auteur de « Giardini segreti a Venezia » (2). A travers mes différentes promenades et rencontres, mon regard sur la ville de Venise a changé et j’ai pu approfondir ces découvertes grâce à ce travail. Par ce mémoire je vous propose de partager mon parcours, mes surprises et mes premières sensations, en vous invitant à m’accompagner durant trois promenades sur les pas de Corto Maltesse. Nous observerons ensuite les multiples formes de présences végétales et la manière dont elles transforment les lieux et espaces qui les accueillent. Ce qui nous amènera à faire un rappel de l’histoire des jardins de la ville, puis à nous interroger sur le regard d’autres voyageurs. « La ville est comme un labyrinthe. Elle circonscrit dans un espace délimité un enchevêtrement de pleins et de vides à l’intérieur duquel chacun retrouve le fil de son pas. Le végétal participe à la lecture de ces itinéraires et des figures de repère qui fixent les orientations. » Caroline Stefulesco, L’urbanisme végétal. Paris, 1993. p 98.
Guido Fuga et lele Vianello, les Ballades de Corto Maltesse, Casterman, 2005 Cristina Moldi - Ravenna et Tudy Sammartini, Giardini Segreti a Venezia, Arsenale, 2005 (1)
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partie
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rencontre avec venise les.promenades
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« Venise était bien la ville de mes rêves, et tout ce que je m’en étais figuré se trouva encore au-dessous de ce qu’elle m’apparut, et le matin et le soir, et par le calme des beaux jours et par le sombre reflet des orages. J’aimais cette ville pour elle-même, et c’est la seule au monde que je puisse aimer ainsi, car une ville m’a toujours fait l’effet d’une prison que je supporte à cause de mes compagnons de captivité. A Venise on vivait longtemps seul, et l’on comprend qu’au temps de sa splendeur et de sa liberté, ses enfants l’aient presque personnifiée dans leur amour et l’aient chérie non pas comme une chose, mais comme un être. » George Sand, Histoire de ma vie.
Turner, Lueurs du matin sur la pointe de Santa Maria della Salute, à l’arrière-plan le Zitelle, 1819
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Visionneuse stĂŠrĂŠoscopique
Vue panoramique des palazzi le long du Grand Canal
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« Peu à peu les couleurs s’obscurcirent, les contours devinrent plus massifs, les profondeurs plus mystérieuses. Venise prit l’aspect d’une flotte immense, puis d’un bois de hauts cyprès où les canaux s’enfonçaient comme de grands chemins de sable argenté. Ce sont là les instants où j’aime à regarder au loin. Quand les formes s’effacent, quand les objets semblent trembler dans la brume, quand mon imagination peut s’élancer dans un champ immense de conjectures et de caprices, quand je peux, en clignant un peu la paupière, renverser et bouleverser une cité, en faire une forêt, un champ ou un cimetière ; quand je peux métamorphoser en fleuves paisibles les grands chemins blancs de poussière, et en torrents rapides les petits sentiers de sable qui descendent en serpentant sur la sombre verdure des collines ; alors je jouis vraiment de la nature, j’en dispose à mon gré, je règne sur elle, je la traverse d’un regard, je la peuple de mes fantaisies. » Georges Sand, Lettres d’un voyageur.
Tout comme Matvejevitch Predrag « Je suis arrivée à Venise de divers horizons : du nord, par la terre ferme, du sud et de l’est, par la mer, avec ou contre le vent. Quelle que fût la saison, qu’il fît jour ou nuit, sous le soleil ou sous la pluie, Venise était toujours la même et pourtant elle était différente ».(3)
A . PORTE DE LA MER Nous sommes au milieu de l’été et je me trouve à l’embarcadère du vaporetto Santa Maria del Giglio. La chaleur de l’été est au rendez-vous ; elle réchauffe déjà depuis plusieurs jours la pierre blanche d’Istrie. Je me mets à l’abri du soleil à l’intérieur de l’embarcadère et me laisse bercer. Le mouvement s’accélère, les touristes affluent, et le vaporetto arrive. Dans un grincement puissant le bateau amarre. Un batelier accroche l’embarcation à la station, pour enfin ouvrir une petite porte permettant la descente des passagers. De notre côté nous attendons notre tour. Chacun piétine dans l’espoir de passer devant son voisin. En effet certaines places à bords sont plus prisées que d’autres. Par chance je me trouve en première ligne. Le batelier s’approche et nous libère à notre tour. J’entre sur le bateau et me dirige avec hâte jusqu’à l’arrière. Je me retrouve alors dans ce coin que beaucoup aiment. Je le compare à un petit observatoire. D’ici il est possible de voir des paysages impressionnants. Cette zone est extérieure, seule une couverture vient nous protéger des rayons du soleil. Il faut au moins faire cette expérience. Celle du vaporetto. Le bateau quitte l’embarcadère. Tout se met en action. Le paysage défile comme dans une visionneuse stéréoscopique. Un à un les palazzi nous saluent. C’est ici que débute l’histoire de Venise. Les traces du passé sont encore là. Je me questionne à leur sujet. Qui sait s’ils sont encore habités ? Pour certains, pourquoi les occupants les ont-ils abandonnés ? A qui les héritiers les ont-ils confiés ?
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Predrag Matvejevitch, L’autre Venise, Fayard, 2004, p 11
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Qu’est ce qui se cache derrière cette grande et vaste farandole de façades ? Les arrêts se succèdent d’une berge à l’autre, accompagnés par le balancement des passagers. Nous arrivons à San Marco. Cette fois le chassé-croisé des passagers est plus important. Pendant que certains sortent, d’autres se dépêchent de prendre leurs places. Avant même que le batelier ait fini de refermer le portillon, le bateau avait repris lourdement sa course en direction du Lido. Mon regard se perd dans les remous de la lagune. Très vite je refais surface, voici mon arrêt : Giardini. Tout juste descendue du vaporetto, je tangue encore. Devant l’embarcadère sur cette place les gens partent, arrivent, parlent fort, se rencontrent et se dispersent. Je me dirige vers l’entrée du jardin public comme appelée par la fraîcheur des arbres. Quel bonheur en ce jour d’été ! Poursuivant mon chemin à travers le jardin je m’amuse de voir comment les sculptures jouent à cache-cache avec les hautes herbes. Emmitouflées et recouvertes de mousse les statues se confondent avec leur environnement, telles des caméléons. Un peu plus loin alors que je me dirige vers la sortie, mon regard se pose sur cette charrette métallique, abandonnée quelques instants. Une montagne de feuilles brunies déborde. Je quitte doucement cet endroit où le chant des oiseaux est porté par une brise jusqu’à chatouiller mes oreilles. C’est alors que je croise le chemin d’une dame âgée, dont j’emboîte le pas. Je la suis. Elle m’emmène vers une porte dérobée d’où j’aperçois le dessin de la ville. Comme Alice aux pays des merveilles, j’ai le sentiment de passer d’un monde à un autre.
Fini ce climat de douceur à l’ombre des arbres, me voici entourée par la pierre. Au sol comme sur les murs elle envahit tout l’espace. J’avance. Je suis seule. Les rues sont désertes. Je n’entends plus que mes pas résonner. Soudain cette sonorité change. Observant alors à mes pieds, je vois que des brins d’herbes sauvages sont venus se nicher dans les interstices des joints du pavement. Sans doute leurs graines ont été portées par les vents jusqu’à cette rencontre improbable. A mon tour, je me laisse transporter par une brise qui sent bon l’été ; celle-ci me porte de ruelle en ruelle. Le paysage défile me laissant pour souvenir le bruit lointain d’une rencontre entre deux Vénitiens, les bords de fenêtres délicatement fleuris où chaque couleur de fleurs est comme une réponse aux crépis colorées des habitations et le doux parfum du linge fraîchement lavé complète cette visite sensorielle.
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« C’est en y vivant jour après jour que vous ressentez la plénitude de son charme, que vous laissez son influence exquise s’emparer de votre esprit. Cette créature a les variations d’une femme nerveuse, qu’on ne connaît que lorsqu’on a fait le tour de tous les aspects de sa beauté. Elle a l’esprit élevé ou bas, elle est pâle ou elle est rouge, grise ou rose, fraîche ou blafarde, suivant le temps et suivant l’heure. Elle est toujours intéressante et presque toujours triste ; mais elle a un millier de grâces incidentes, et elle est toujours sujette à d’heureux accidents. Vous commencez à éprouver une extraordinaire affection pour ces choses ; vous comptez sur elles ; elles font partie
de votre vie. Votre affection devient de la tendresse ; il y a quelque chose d’indéfinissable dans ces rapports personnels et intenses qui s’établissent peu à peu. L’endroit paraît se personnifier, devenir humain, sensible, et conscient à votre affection. Vous avez le désir de l’embrasser, de le caresser, de posséder, et c’est finalement un doux sentiment de possession qui s’élève ; votre séjour devient une perpétuelle affaire amoureuse. » Henry James, Heures Italiennes.
Turner, L’embouchure du Grand Canal au loin, 1840
Pont du Rialto, extrait du guide de Walter Baricchi, Venise, Casterman, 1996
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b.porte.de.l’aventure
Devant moi le pont du Rialto. Comment parler de Venise, sans évoquer le Rialto ? Situé dans le quartier de San Polo, c’est ici que l’on trouve le plus de commerces, et ainsi un maximum de touristes. Tout ce que vous chercherez vous le trouverez au Rialto. Ici tout se mêle : langues étrangères, cultures, et odeurs sur une toile polychrome unique. Pour profiter au mieux de ce lieu il est préférable d’y venir tôt le matin, lorsque les stands des marchands ouvrent tout juste. Il est alors plus facile de prendre le temps de s’arrêter en haut de ce pont et d’admirer les premiers rayons du soleil qui transforment Venise en véritable cité d’or. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai parcouru ce lieu. Une chose est sûre c’est ici qu’il faut être lors de la Vogalonga. Cette course de bateau à la rame finit sa course en parcourant Vogalonga, 2007
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le Grand Canal. Ici l’ambiance est impressionnante. Les cris des participants retentissent lors de leur passage sous le pont qui procure une acoustique unique. Ayant moi-même participé à cette course, c’est ici que j’ai ressenti le plus d’émotions. Les acclamations de la foule dans cet environnement majestueux redonnent le courage de franchir les derniers mètres. Aujourd’hui l’ambiance est plus calme, c’est le début de l’été et déjà les visiteurs sont au rendez-vous. D’ici je les contemple. Lentement je laisse mon regard se perdre dans la foule. Puis finalement mon attention est détournée. Une mouette vient de se poser sur une palina, étrange arbre sans ramure ni racine. Elle engage un dialogue avec ses amies venues profiter de la fin du marché aux poissons puis reprend son envol. A mon tour je quitte mon observatoire, et plonge à la rencontre des vagues de touristes ininterrompues. Je décide d’aller au Palazzo Van Alex. En effet en ce moment c’est la biennale de l’architecture et les participants ont envahi certains palais à travers toute la ville, mais aussi les pavillons de Giardini, l’un des jardins publics. D’où je suis, il me faut traverser le sestieri de San Polo puis le Cannaregio. Au fur et à mesure de ma promenade je suis étonnamment interpellée par la présence en masse du végétal. Je le trouve tout autour de moi, comme pour me guider. Ici ce sont de grandes plantes bien taillées et aux dégradés joyeux de verts qui entourent les tables du restaurant. Là-bas c’est un fleuriste qui a soigneusement disposé sur des gradins toutes les essences de fleurs qu’il possède. Et encore un peu plus loin une impressionnante invasion végétale surplombe la ruelle. Il semblerait qu’une terrasse se cache sous cette masse. 18 Cour du Palazzo Van Alex
1 titre rub rique
Il est clair qu’ici le végétal a pris possession des lieux, obligeant les occupants à se replier dans leur habitation. La terrasse n’est plus d’un grand bac à fleurs. Les surprises ne sont pas finies. Je suis aux portes du Palazzo Van Alex, lorsqu’ inévitablement mes yeux se portent sur ce laurier rose. Il est accompagné d’une composition florale foisonnante et débordante. Ceci n’est qu’un avant goût du spectacle qui m’attend à l’intérieur du palais. A peine entrée, je découvre une étrange sculpture. Sur une margelle de puits un lierre grimpant cherche à atteindre le bleu azur du ciel. A ses côtés un autre lierre grimpant recouvre presque entièrement un des murs de la cour. Je continue mon entrée dans ces lieux magiques et découvre encore de formidables lauriers roses et autres plantes toutes aussi fleuries. Tout ceci éveille à chacun de mes pas un peu plus ma curiosité. Ma visite du pavillon terminée, il me reste peu de temps pour atteindre la Fondamenta Nuove, avant que la nuit n’envahisse les ruelles déjà assombries de Venise. Je me faufile d’un pas rapide, de ruelles en ruelles. J’effleure ces murs de briques rougeâtres. A leur contact, je ressens l’humidité dont elles sont imbibées. L’humidité s’infiltre partout, dans les murs et la pierre, dans le bois, le fer et la brique. C’est sans doute à elle que je dois le plaisir, une fois de plus, d’admirer cet improbable dialogue entre la pierre et le végétal. Face à moi, telle une sculpture peu banale, un pied de vigne émerge des pavés, guidé par un tuteur, elle enjambe la calle ouvrant une porte sur l’imaginaire.
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« Non, je ne m’en irai pas encore ! J’aime cette froide Venise de novembre en sa verrerie toute laiteuse de brume ou toute grésillant de givre. La pluie même ne me chasserait point. Peu m’importe quel ciel reflète le miroir clair ou trouble de la lagune ! Et, quand bien même toutes les feuilles du jardin se seraient envolées, ne savez-vous pas qu’elles se changent en ces voiles d’ocre, de pourpre ou de safran qui prolongent sur les eaux comme le souvenir de l’automne ? Paix donc ! Et que j’attende au moins pour partir que ce croissant courbe, soit devenu une belle lune ronde qui, à travers son masque d’argent vénitien, regardera s’allonger devant vous vos ombres, vos ombres qui auront l’air d’être tombées sur le nez ! » Henri de Régnier, Esquisses vénitiennes.
Turner, Santa Maria della Salute et la Dogana, 1840
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c.l a.porte.de.l’or. Tous les prétextes sont bons pour sortir faire une balade à Venise. Aujourd’hui peut-être plus qu’un autre jour. Le carnaval a commencé, Venise s’est remplie de touristes, de couleurs et de bonne humeur le temps de la fête. Je décide de commencer cette promenade à un endroit particulier, Bacino di San Marco. C’est ici que la place San Marco s’ouvre sur la Lagune. Habituellement l’horizon s’étent du Lido à l’île de San Giorgio Maggiore où se dressent fièrement une église et son campanile. Mais aujourd’hui Venise est emmitouflée dans un épais manteau blanc. La nebbia enveloppe et estompe soigneusement les silhouettes des campaniles et coupoles, ne laissant plus que des contours. On se croirait plongé au cœur d’un tableau de Turner, où vaporeusement les couleurs hivernales viennent se fondre entre l’architecture et la lagune. Face à cette étrange nébulosité, je dois faire appel à tous mes sens, afin de me diriger et me repérer. Longeant le bord de la lagune, je me laisse lentement bercer par les petits remous des vagues. Certaines viennent plus fortement heurter les gondoles en stationnement, accompagnées d’un bruit sourd, celui d’un vaporetto. Un peu plus loin j’entends débarquer et embarquer touristes et Vénitiens dans un joyeux pêle-mêle de langues, jusqu’à ce que le bruit du moteur couvre complètement leurs paroles. Guidée maintenant par l’épée pointée vers le ciel de Victor Emmanuel II dit « l’embrocheur de pigeons », me voici propulsée hors du sentier touristique. Comme par enchantement je change de lieu, et de décor. Je découvre l’église San Zaccaria et son parvis. Celle-ci est revêtue d’un marbre blanc moucheté de-ci de-là 21 Eglise San Zaccaria
d’ocre. En promenant ma main sur cette pierre, un frisson m’envahit soudain. Tout est si lisse, doux, et si froid. Cette dernière répond aux provocations colorées de la végétation qui l’entoure. A droite de l’église de grands arbres protègent un sol moelleux et vert, tandis que tout autour de ce parvis les habitants ont sorti leurs géraniums déjà en fleurs et les exposent presque fièrement à leurs fenêtres. Je quitte ce gentil duel et reprends mon chemin. Me voici lancée dans ce labyrinthe de ruelles toutes Brent Heighton, Venice afternoon
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plus étroites les unes que les autres. Seule différence, leur exposition au soleil. D’ici j’aperçois quelques rayons courageux. Je les prends pour guide et me faufile de rues en rues, essayant d’emprunter seulement les plus ensoleillées. Cet exercice est plutôt difficile à réaliser : en effet les habitations vénitiennes sont très hautes et les rues étroites, ne laissant guère de place à l’entrée de lumière. Heureusement ces mêmes ruelles sont très vite interrompues par des croisements, des ponts, des campi, tout autant de rencontres inattendues que de secrets bien gardés. Mais Venise c’est aussi un rendez-vous avec les paysages de Brent Heighton, un canal, bordé par les hautes habitations, un gondolier qui chantonne pour un couple venu chercher le romantisme si mythique de la ville, et enfin ces touches de végétation : qu’elle soit grimpante ou descendante ou bien même suspendue aux balcons, elle est bien là. En flânant un peu plus on peut facilement se retrouver comme par enchantement au bord du Grand Canal. C’est encore un nouveau décor qui se dresse le temps d’une représentation. Le spectacle est envoûtant. Assise sur un ponton en bois je contemple. La symbiose entre l’eau et l’extraordinaire succession de palais et d’édifices qui bordent le canal constitue une scénographie urbaine incomparable. Leur beauté prend encore plus de relief par la richesse des décorations et par l’effet de variétés chromatiques des jardins débordants et des marbres polychromes. A cela s’ajoutent la pureté du blanc de la pierre d’Istrie, les tons dominants rouge et jaune des badigeons, qui se multiplient dans les reflets de l’eau. C’est sans doute là que naît tout le charme et la beauté de Venise. L’eau, miroir de nos âmes mais aussi des palais, l’eau qui embellit, l’eau source de vie. Tous ces reflets multicolores
et le plus souvent dorés des canaux de Venise apportent incontestablement une dimension visuelle unique à la ville. Ces derniers viennent brouiller la verticalité et la rigueur des palais, apportant la possibilité de rêver à un nouveau monde dans ce miroir magique.
Là, j’étais vraiment à Venise, et non plus dans la représentation que je me faisais d’elle.
Gottfried Salzmann, acquarelle, Venise, reflet, 2000
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partie
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f ormes de présences végétales 24
« Même dans ces conditions, la vue offrait de continuelles distractions. Elle était toute en couleurs froides, et le vent caressait à rebrousse-poil le tapis gris d’acier de la lagune. Puis, il y avait de charmants intervalles de tiédeur, pendant lesquels les églises, les maisons, les bateaux de pêche ancrés, et la ligne entière, doucement incurvée, de la Riva, semblaient être noyés de blanc perlé. Plus tard, tout devint chaud - chaud à l’œil comme aux autres sens. Après la mi-mai, tout fut incandescent. La mer prit un millier de nuances, qui n’étaient que d’infinies variations de bleu, et les murs rosés dont je viens de parler se mirent à s’embraser dans un soleil intense. Chaque plage de couleur, chaque mètre de stuc souillé par les intempéries, chaque pan de jardin blotti, chaque flaque de ciel par-dessus une calle, commencèrent, comme disent les peintres, à « s’agencer ». La lagune fut sillonnée d’étranges courants jouant à la surface comme des traces de doigts, énormes et légères. Les gondoles se multiplièrent et se répartirent ; toutes les gondoles et tous les gondoliers se ressemblent à distance. » Henry James, Heures Italiennes.
Turner, Lever de soleil sur Venise et le campanile de San Marco, 1840
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A . Les espaces publics 26
On imagine généralement Venise comme une ville d’eau et de pierre, une ville de canaux, de ponts et de palais, bâtie sur la mer. On imagine une harmonie de bleu, de gris, d’ocre, d’où le vert serait absent. Certes vous n’y trouverez pas de grands parcs, bien qu’il y en ait aussi mais aux dimensions de la ville. La plupart des palais, la plupart des maisons et des quartiers, ont leur petit jardin privé et souvent bien caché. Si bien qu’à Venise, aux cris des mouettes se mêle facilement le chant des oiseaux habituels de nos jardins continentaux. Cette verdure qui pousse et orne la plupart des quartiers et maisons de Venise ajoute un autre charme auquel il est intéressant de prêter une attention toute particulière.
1. L es jardins publics Récit : P remiers ressentis Je me souviens de mon arrivée à Venise. A peine le temps de poser mes valises et déjà je ressens le besoin de partir à la découverte de ce labyrinthe de ruelles, dans lequel je risque bien de me perdre si je ne me munis pas d’une carte… Après la traversée de quelques campi et fondamente, j’ai l’étrange sentiment qu’il me manque quelque chose. Je regarde inlassablement autour de moi : rien que la pierre de ces hautes maisons et l’eau présente dans ces rii. Soudain portée par les cris des mouettes je lève les yeux jusqu’aux toits. C’est alors que j’aperçois ce détail qui m’échappait tant. Une altana est là, dominant le panorama de la rue en s’exposant fièrement au soleil. Elle protège en son cœur un secret bien gardé jusque là. Je devine un petit jardin discret où chaque plantation est soigneusement disposée dans des pots de toutes tailles et de différentes couleurs. Cela me semble si logique. Mais comment ai-je pu passer à côté ? Où est passé le végétal ? Quand ai-je vu un arbre pour la dernière fois ? Je ne m’en souviens déjà plus ! Revenant sur mes pas j’essaie de me consacrer à la recherche de plantes diverses et variées que j’aurais pu ne pas voir. Tout est là ! Et pourtant je ne l’ai pas vu. Sans doute entraînée par les vagues de touristes j’ai été emportée comme eux par une boulimie de découverte, oubliant alors de profiter tout simplement du paysage énigmatique qui se dérobe sous mes yeux. 27
Dans cette frénésie je me perds et m’enfonce par des chemins inconnus, laissant libre cours à ce sentiment de plénitude qui me guide de balcons- en altana, de ruelles- en campi, de l’ombre vers la lumière. Mon esprit recèle maintenant une multitude d’images, de couleurs, de matières, mélangées aux différentes senteurs des restaurants, pâtisseries, pizzeria, et du linge fraîchement lavé. Reprenant peu à peu conscience, j’observe la carte que j’avais oubliée un instant. C’est là que je remarque une grande surface végétale . Il s’agit du jardin de Sant’Elena. Voici ma nouvelle destination. Dans cette ville très dense, une place est faite toutefois aux jardins publics, même s’ils sont peu nombreux (trois). Leur situation géographique, excentrée du cœur de Venise, leur permet de ne pas être agressés par une trop forte fréquentation de touristes. Chacun d’eux présente une particularité qu’il est intéressant de décrypter. A mes yeux un se détache plus particulièrement, celui de Sant’Elena.
a . - . s a n t ’ e l ena Situé à la pointe de l’île dans le quartier du Castello, le jardin public de Sant’Elena est le plus éloigné de San Marco. Toutefois il est très bien desservi par les vaporetti. En effet il se trouve sur la ligne 1, sans doute la plus fréquentée puisqu’elle relie Venise à l’île du Lido. Le débarcadère de Sant’Elena se trouve donc tantôt premier, tantôt dernier arrêt. C’est ici que je suis venue la première fois à la rencontre 28
du végétal. Je cherchais un espace calme et où la végétation est palpable. Ma curiosité m’a poussée alors jusqu’à cet endroit quelque peu mystérieux. Mon arrivée s’est faite par le vaporetto. J’ai quitté mon embarcation et laissé derrière moi les quelques passagers qui rejoignaient le Lido. Du bateau, le végétal se dévoile. Sa présence, étrangement, efface le reste du décor architectural. Devant nous, seule une grande et haute masse verte. Peu à peu nous apercevons « la berge », puis seul élément architectural du moment, l’embarcadère par lequel nous arrivons. Une fois les pieds sur l’île, le paysage change. Les dimensions ne sont plus les mêmes. Notre rapport au végétal se trouve modifié. Ce dernier semble se démultiplier et s’accumuler tel un voile face à nous comme pour cacher quelque chose. Avant de découvrir ce que renferme cette forêt verte, il faut prendre le temps de se poser sur un des nombreux bancs
rouges qui se situent face à la lagune. La vue est imprenable sur le Lido et sur Venise. Ces villes semblent s’élancer toutes les deux vers l’horizon bleu que forme la rencontre entre l’eau et le ciel. A cela s’ajoute le ballet des mouettes venues pêcher, leur chant couvre le bruit du bateau s’éloignant. Afin de découvrir l’ensemble du site, j’emprunte le chemin pavé d’où s’échappent les bruits sourds des pas des promeneurs. D’un côté de ce parcours, l’eau de la lagune scintille ; de l’autre, une large étendue d’herbe verte semble s’être transformée en plage de sable fin. Nombreuses sont les personnes qui sont venues s’étendre au soleil, se relaxer en écoutant le paisible clapotis de l’eau. Mais très vite je me fais dépasser par des joggers venus fouler le pavé. Ce parc est particulier. En effet, il est beaucoup plus rare de croiser des touristes de ce côté là de l’île car sa situation géographique l’éloigne des sentiers touristiques. Cela lui permet de garder son authenticité. Les jours de fêtes comme le Redentore ou la vogalonga, les touristes ne peuvent plus circuler car chaque famille vénitienne s’installe tôt le matin avec ses chaises et tables au bord de la lagune afin d’être au plus près des spectacles. C’est ici que la vue est la meilleure sur le Bacino di San Marco d’où sont tirés les feux d’artifice. Le soir venu, les tables forment une guirlande lumineuse épousant ainsi les formes de la côte de l’île. En pénétrant dans la forêt de pins nous pouvons y découvrir encore un peu plus la vie locale. Ici les habitants du quartier se retrouvent à différents moments de la journée, autour de diverses activités : un terrain de jeux pour enfants, des équipements de musculation, et des terrains de sport (terrain de basket, de foot et de tennis…).
Une fois la traversée sous les pins terminée, une allée de très hauts arbres, tous bien alignés, nous emmène de part et d’autre du jardin (de Giardini à l’école militaire). Cet espace semble faire le lien entre l’ensemble végétal du jardin de pins et les hautes habitations qui constituent un grand et long front bâti venu arrêter pour un moment les regards et les rêveries. Toutefois nous trouvons des failles qui nous conduisent pour la plupart vers de petits campi et leur arbre. Si on observe en coupe l’ensemble de ce site on s’aperçoit que les trois éléments fondateurs de Venise sont en parfaite corrélation. C’est sans doute cette organisation qui procure à ce lieu une harmonie, et une sensation de bien être à tous ses visiteurs. 2
Les touristes courageux qui auront fait le chemin jusqu’ici pourront vivre un instant la vie d’un Vénitien au sein d’un espace arboré. A travers la découverte de Sant’Elena j’ai été agréablement surprise de rencontrer un nouveau paysage de Venise, mais aussi une autre facette de la vie vénitienne qui est à la portée des plus curieux.
b – Ca n n a regio Ce parc, je l’ai découvert au hasard d’une promenade dans le Cannaregio. Je venais de passer le pont des « Tre archi » pour me diriger vers la gare, quand spontanément je me suis arrêtée et j’ai regardé à travers ce porche. Quelle surprise ! Un petit chemin de terre battue recouvert de gravillons m’invitait à entrer. Un instant je me suis demandée « ai-je le droit d’entrer ? » 30
Puis un panneau discrètement accroché sur les grilles de l’entrée indiquait « giardini pubblici ». J’ai alors saisi l’opportunité de m’y aventurer. Je me suis de nouveau interrogée : « C’est étrange, je viens de passer dix mois dans cette magnifique ville, je suis passée ici déjà quelques fois, sans jamais avoir remarqué ce jardin ? » J’ai analysé et observé plus d’une fois les cartes de Venise afin de découvrir ses jardins ; or je ne l’avais jamais remarqué. Ce jardin public est très différent de celui de Sant’Elena. La promenade se fait à travers une forêt d’arbres et d’essences toutes différentes, créant ainsi un agréable jeu de couleurs auquel se mêlent des senteurs parfumées. Le chemin emprunté semble avoir été créé par les différents promeneurs : en effet, il ne mène pas à un endroit précis. Tout au long de cette promenade, j’ai pu me fondre avec les habitants venus se retrouver, observer les enfants qui jouaient dans l’aire de jeux ou tout simplement croiser des gens venus profiter de ce parfum d’été à l’ombre des arbres. Tous ces éléments créent un contraste fort avec les rues qui palpitent au rythme des touristes et où la lumière du soleil réchauffe la pierre. Cette atmosphère particulière est bien gardée. En effet seules deux petites portes dérobées permettent l’entrée à ce jardin. L’une d’elle donnant sur la « rue commerçante » est d’autant plus discrète qu’elle est cachée par un glacier ambulant. La sortie de ce jardin peut être vécue de manière « violente ». En effet, après avoir traversé ce lieu où le temps semble s’arrêter quelques instants et où tous les sens sont en éveil, l’on se retrouve propulsé vers la sortie et aspiré très vite par la foule, les commerces. Même le sol a changé d’aspect, retrouvant sa carapace de pierre.
Plan du jardin « Giardini »
c – Giardini Nous voici à Giardini, le troisième jardin de Venise. Il se trouve lui aussi au bout de l’île près de Sant’Elena. L’arrivée peut se faire par la lagune ou à pied. Quel que soit le moyen de transport chacun des chemins nous mène sur un grand parvis irrégulièrement pavé, aux pieds des arbres. Difficile d’imaginer que la vie végétale puisse prendre racine sur ce sol minéral et omniprésent. Pourtant une fois la petite grille en fer passée, tout est différent. C’est bien de la terre qui se trouve sous nos pieds, ce sont bien des fleurs qui poussent sur un tapis d’herbe verte. Cette première partie du parc est réservée à la promenade. Le parcours se fait à travers des chemins bien dessinés. Malgré tout, je me croirais presque dans le jardin de mon grand-père, là où la nature vit et se développe à son gré sans pour autant
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être envahissante. Elle semble vouloir respecter le plaisir des visiteurs, celui de la contempler, celui de se sentir protégé dans cet environnement si paisible. Au centre de cette promenade se trouve une gloriette. Elle est dédiée à la floraison d’une glycine, mais une plante grimpante profite de cette aubaine pour s’enlacer autour de la structure. Des enfants jouent, courent, leur course résonne au son de leurs pas qui foulent les gravillons. Il n’est pas rare non plus de trouver des sculptures posées sur des pilastres dissimulés dans les haies. Cette fois c’est la pierre qui se confond avec le végétal sous une légère et fine couche de mousse tel un caméléon. Une fois cette première partie du parc traversée,
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une seconde grille se dresse soudain devant nous. En effet le jardin est divisé en deux zones. Cette deuxième partie n’est pas toujours accessible à tous. C’est ici que se déroulent les différentes biennales. Cette partie n’est pas réellement prévue pour la promenade : ici les chemins nous emmènent jusque devant chaque pavillon, où chaque pays du monde investit les lieux le temps d’une exposition. Cependant la présence de ces architectures n’est pas prédominante, nous permettant de profiter encore un instant de la fraîcheur à l’ombre des arbres. Les Giardini Pubblici où, jadis se déroulaient de grandes fêtes, et qui abritaient des fleurs rares et de précieuses plantes médicinales, sont aujourd’hui fréquentés par les enfants du quartier ou par les touristes cherchant le repos.
2.les.campi ré c i t . : . i c i . même…. C’est ici. Ici que tout s’est passé. Ici que j’ai rencontré la vie vénitienne. Sur ces campi… Un grand espace irrégulièrement pavé où se mêlent une multitude de couleurs, de sons, et de sensations. Pour mieux comprendre cette extraordinaire organisation je vais vous parler de l’expérience d’une rencontre avec le campo Santa Margherita. Ce campo se situe dans le quartier du Dorsoduro, un quartier plutôt riche mais où toutes les classes sociales se retrouvent. Et plus particulièrement sur ce campo. Par quoi commencer ? Il y a tant de choses, de couleurs et de bruits, qu’il est difficile de choisir. Pourtant je commencerai par ce premier marchand de fruits et légumes. Impossible de le manquer. On le trouve juste avant le campo Santa Margherita en venant du campo San Barnaba. Situé à la fois sur un bateau (pour les légumes) et dans un commerce (pour les fruits) lui faisant face, toute l’activité commerciale se déroule dans la rue. Le visiteur profite ainsi de cette proximité pour admirer ces fabuleux étalages où le rouge, le jaune et le vert vif des poivrons tentent de voler la vedette au rouge des tomates, au jaune des poires et au vert des courgettes, tous fraîchement cueillis. C’est magique. Les conversations se mêlent d’un côté et de l’autre. Une dame vient de remplir son chariot de ses légumes et se retourne pour prendre ses fruits que le vendeur, averti par avance par son collègue dans la barque, lui a préparés. Nous partageons ainsi la liste de courses de cette dame.
Il est agréable de s’attarder encore un plus peu sur le pont juste à côté pour admirer d’un peu plus haut tout ce beau spectacle. L’arrivée sur le campo peut se faire par de nombreux points. Il est large et étendu, telle une respiration dans la ville. Seuls deux arbres se sont glissés au centre, à leurs pieds des bancs rouge vif. D’ici le campo est visible dans son ensemble. En venant le matin on participe à l’agitation du marché. Les stands des poissonniers se dressent au pied du campanile tandis que le fleuriste, le marchand de légumes, et autres
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vendeurs se disputent le centre du campo. Une fois les étalages remballés, il ne reste plus que le kiosque à journaux ouvert jusqu’au soir. La traversée de cet espace est alors très musicale. Les mouettes se disputent les restes de poisson laissés à l’abandon sur le pavé, dont le parfum venu de la mer embaume les alentours.
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Très vite l’agitation des mouettes est accompagnée par les cris des enfants qui sortent de l’école. Ils viennent se dégourdir les jambes, courant, et sautant partout. On se croirait presque dans la cour de l’école. Même si le sol est irrégulièrement pavé cela n’empêche pas le ballon de se faire balader d’un côté et de l’autre du campo. Exercice plus difficile pour les poussettes dont les roues font part de leur difficulté à travers le bruit sec de la rencontre du plastique avec la pierre. C’est comme cela que la vie vénitienne prend possession des lieux, et qu’elle partage volontiers ces instants du quotidien avec les visiteurs d’un jour. Le soir venu l’activité est toujours foisonnante. Cette fois ce sont les jeunes qui envahissent les terrasses des cafés. Ces dernières débordent largement sur l’ensemble du campo. Plus aucune limite n’est visible. Les groupes se mêlent, se déplacent, dans un brouhaha si caractéristique. La pénombre n’a pas épargné ce lieu. Toutefois des touches de couleurs sont encore visibles. Il s’agit de la boisson locale dont seuls les Vénitiens ont le secret : le spritz. Orange, ou rouge, accompagné de son olive verte, cette boisson anime joyeusement le campo. Ces soirées se suivent et se ressemblent, à l’exception de la période du carnaval. Comme sur la plupart des campi de grandes scènes de concerts investissent à leur tour les lieux, laissant résonner jusque tard dans la nuit la musique et le chant des fêtards.
Bientôt le jour va réapparaître. Tous ont déserté le campo. Quelques voix retentissent encore dans les calli. C’est au tour des éboueurs de faire leur entrée. Ils s’activent avant le lever du jour, venant effacer les traces d’une nuit agitée. Bref moment de plénitude dans la nuit, qui ne dure pas longtemps. Ces voix retentiront à nouveau le lendemain, reprenant au matin là où elles s’étaient tues la veille. Organisation spatiale des campi : Les places vénitiennes portent le nom de « campo » : elles étaient autrefois couvertes d’herbe car généralement installées sur d’anciens prés arborés ; d’où leur nom qui signifie « champs » dans notre langue. Toutefois elles peuvent changer de noms, devenant campiello ou corte, selon le rang qu’elles occupent dans la hiérarchie du quartier. Seule la piazza San Marco porte le nom de « piazza » car elle était la seule à être pavée. De plus ses dimensions lui permettent d’accueillir de nombreuses fêtes et cérémonies, devenant le lieu le plus prestigieux. Souvent installés le long d’un rio, les campi revêtent différentes formes, du rectangle au triangle en passant par le trapèze. Les plus importants rassemblent toutes les fonctions de la vie sociale et paroissiale dont l’église, un ou plusieurs couvents, la Scuola et bon nombre de palais habités par des notables. Ils sont souvent ornés de monuments et ponctués d’un campanile. En leur centre se trouvent le puits et la citerne d’eau potable.
En effet toute la ville s’organise autour de ces campi. Ils constituent de vrais centres de la vie communautaire. La fonction première du campo était de fournir les maisons avoisinantes en eau potable. Venise a beau être la ville la plus « aquatique », elle ne possède pas de sources naturelles. Le campo abritait donc une gigantesque citerne souterraine qui servait à recueillir les eaux de pluie. Ce système perdit son utilité dès la fin du XIXe siècle, avec la mise en place des premières canalisations d’eau potable reliées à la terre ferme. Aujourd’hui les margelles des puits (fermés) constituent un témoignage fidèle de l’art vénitien. Les campi les plus significatifs s’appellent Santa Maria Formosa, SS.mi Giovanni e Paolo, Santa Margherita, Santo Stefano et San Polo. Lorsque le campo précède une église située le long de l’eau, il devient « parvis-embarcadère » ; c’est le cas de San Giorgio et du Redentore.
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A travers ces différents campi, on voit naître tout une palette de formes. On peut les classer en six catégories : 1. Campi rectangulaires avec un canal 2. Campi triangulaires 3. Campi rectangulaires avec deux canaux 4. Campi avec église au centre 5. Campi multiples 6. Les grands campi Autre élément inévitable sur un campo : les cafés, ce qui donne cette atmosphère bourdonnante et sympathique propre aux campi. La place faite au végétal dans ce genre d’espace est particulière. En effet l’organisation des campi répond à une fonctionnalité dont les parterres de fleurs et autres types de floraisons de tiges basses sont apparemment exclus. Seuls des arbres dominent ce vaste espace. S’ils sont souvent présents par deux, il est toutefois possible de les trouver à Venise dans une organisation aujourd’hui transformé : celle de l’arbre unique au milieu d’un campo. Ce type d’organisation est le témoignage d’un passé riche en symboles. En effet l’arbre en lui même représente la vie, l’éternité, il crée le lien entre le ciel et la terre. Pour ces mêmes raisons il devient élément de commémoration ou de culte lorsque qu’il est seul. On trouve ce type de présence Campiello della Canson. Son nom nous indique qu’autrefois les murs qui entourent les lieux, abritaient une prison aujourd’hui transformée en logements. Le souvenir du passé est alors accentué par la présence d’un arbre isolé au centre. Celui-ci a sans doute été planté pour célébrer la fermeture de la prison (symbole de liberté) et la naissance d’une nouvelle 36
fonctionnalité des lieux. L’arbre sur le campo est donc un élément fondateur. Situé au centre, seul ou en groupe, il est à la fois repère et point de rencontre. La majesté et l’ampleur de son feuillage créent de véritables espaces de repos et d’ombre appréciés des touristes et des Vénitiens. En automne ou en hiver, les campi sont aussi l’endroit où le soleil est capable de nous réchauffer le plus longtemps puisqu’il n’a pas besoin de plonger au cœur de calli étroites pour se faire. Ce sont leurs dimensions qui permettent cet ensoleillement et qui créent cette sensation d’espace particulièrement attirant à Venise. On respire un grand coup, la vue peut enfin porter loin et Venise paraît tout d’un coup plus grande ! Tous s’articulent de manières différentes, que se soit par leurs dimensions, leur orientation, leur composition ou leur forme. Toutefois ils répondent tous à la même fonction : celle d’être un lieu de vie et de rencontre.
Vue perspective du Campo Santa Margareta
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3.Les herbes f olles Ré c i t : Un e végét ation spont anée L’extraordinaire architecture, l’histoire, les couleurs, les senteurs des restaurants détournent trop souvent notre attention « des végétaux insignifiants et souvent anonymes qui poussent là où on ne les attend pas et où ils ne semblent pas être nécessaires. » (3) (Predrag Matvejevitch, p 35) Pour les remarquer, il suffit de regarder « sous les balcons, autour des puits, sur les façades et le long de palissades, là où la pierre se fend et se fissure, la brique s’effrite et cède aux assauts de l’humidité, le crépi se craquelle et se désagrège, partout ils sont là, en plein centre de Venise.
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Une graine est tombée dans un trou presque invisible, » (3) (Predrag Matvejevitch p 35) venant de je ne sais où, « elle y a germé et s’est transformée en une maigre pousse ou un modeste bouquet. »(3) (Predrag Matvejevitch, p 35) J’ai traversé Venise de part en part, regardant, cherchant à trouver ne serait ce que le plus petit brun d’herbe. Quelle aventure et quelles découvertes ! De petites plantes de toutes sortes sont portées par les vents, la bora et la tramontane qui participent à cette mystérieuse reproduction. En cherchant un peu j’ai découvert quelques-uns de leurs noms. La plus présente est sans doute « la pariétaire ou casse-pierre (que les Vénitiens appellent parietaria ou
muraiola précisément parce qu’elle adhère aux parois et s’accroche aux murs) se rencontre plus souvent que les autres plantes de la même famille, dans des endroits bien différents les uns des autres. […] Elle prospère surtout à proximité des ruines. On ignore comment et de quoi elle se nourrit. Elle n’a pratiquement d’autre support que l’humidité infiltrée dans les interstices d’où elle jaillit. Elle ne dégage aucune odeur, même à l’époque où elle se pare de petites fleurs à peine visibles, en juillet et en août. On donne également à la pariétaire le nom de vertiola ou viriola (de vetro, verre) car on s’en sert, infusée dans l’eau chaude, pour laver les objets de verre, même les plus fragiles. […] On en faisait jadis une tisane pour soigner les maux de gorge. » (3) (Predrag Matvejevitch p 38) D’autres encore comme « la cymbalaire, aux feuilles semblables à des éperons, ce qui lui a donné le nom qu’elle porte (elle est également appelée lierre des murailles ou ruine de Rome), puis la jusquiame, tantôt claire, tantôt sombre, la morelle ou herbe noire, l’arroche sauvage et quelques autres espèces apparentées ont sans doute été apportées en même temps que la pierre blanche d’Istrie : elles s’y sont fixées dans leurs interstices et se sont habituées à ce support stable mais creux. D’anciens botanistes ont répertorié les endroits où ces modestes hôtes, parents pauvres de la flore urbaine, ont réussi à se maintenir. » (3) (Predrag Matvejevitch p 39) Même si aujourd’hui il faut y prêter un peu plus attention pour les découvrir, bon nombre ont résisté aux intempéries et aux agressions du temps passé. Il est donc amusant de se promener au rythme de la vie vénitienne, et d’y découvrir finalement au pied d’un mur des touffes d’absinthe de mer, mais aussi des mauvaises herbes poussant entre les briques, sur les quais, près des bittes d’amarrage rouillées.
La nature, représentée par ces herbes folles, par la mousse et les eaux, n’est donc jamais complètement niée, et instaure un fructueux dialogue avec son amie la pierre.
« Il ne faut pas jardiner, mais laisser faire la nature. Pratiquer la végétation spontanée. Tout laisser pousser sans jamais couper… Il est urgent de dialoguer avec nos jardins, de signer un traité de paix » Hundertwasser (peintre) - Citation extrait de L’Art de Vivre Venise, de Frédéric Vitaux, p 55 Predrag Matvejevitch(3) semble avoir vu ces mêmes herbes ou plantes dans certains tableaux de grands maîtres. Si bien que l’on peut voir une gracile morelle, sur la toile du Tintoret représentant la crucifixion. Ou encore, « au pied de la croix, dressée au moyen de cordages qui soutiennent les bras et les épaules du Christ, une plante aux petites feuilles étranges, semblable à celles de la chélidoine, jaillit de sous une pierre. […] Sur le Calvaire de Tiepolo (4), dans l’église Saint-Alvise, le Christ, détaché de la croix, gît sur un tas de pierres d’où dépassent de chétives petites feuilles de l’herbe murale. Sur un autre tableau de Tiepolo, longtemps exposé dans l’église Sainte-Agathe, […] une longue pousse de pariétaire couleur vert sombre forme une torsade (autour du manteau bleu de la sainte martyre). A la Galerie de l’Académie, on peut voir le Capriccio con colonate e cortile de Canaletto (5) : le long de la colonnade, d’entre les dalles de la cour pénètrent des touffes d’une plante sauvage et anonyme. » p 43-44 Cette nouvelle forme végétale nous rappelle que le végétal dépérit si les conditions ne sont pas satisfaisantes, mais au 39
(3)
Predrag Matvejevitch, L’autre Venise, Fayard, 2004
moindre signe d’abandon ou de relâche, les plantes pionnières posent les premiers jalons d’une lente reconquête végétale qui verra s’installer des arbres. Ainsi semble être perpétuée « l’arboriculture urbaine ».
“ A Jérusalem aussi tiges semblables jaillissent de joints du Mur des Lamentations. Elles forment par endroits des petits bouquets, sans doute arrosés par les larmes de la prière ou du repentir. » (Predrag Matvejevitch, L’autre Venise, Fayard, p44)
Tiepolo, Le Calvaire, Eglise Saint Alvise (4)
Ces formes de présences végétales sont les premières confirmations qu’il existe une Venise verte. Bien que les jardins publics soient excentrés, ils sont accessibles à tous. De plus même s’ils se trouvent loin des sites touristiques, les campi et herbes sauvages viennent compenser leur absence en créant des coins de verdure que Vénitiens et voyageurs apprécient tout au long de l’année.
Canaletto, Capriccio con colonate e cortile, Galerie de l’Académie (5)
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B.Les espaces semi-privĂŠs
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Ré c i t : In st ants précieux En observant le tableau de Sung Kim(6), je me suis retrouvée devant cette représentation que l’on se fait de Venise : un paysage mythique que tous connaissent sans même y avoir mis les pieds. L’on y retrouve de hautes habitations séparées par un canal sur lequel navigue paisiblement un gondolier accompagné d’un couple d’amoureux passant sous d’indénombrables ponts. Cependant, un détail retient mon attention. Une splendide végétation vient orner balcons et fenêtres, les parsemant de couleurs roses et violettes. Elle foisonne, déborde, et habille la pierre. Le végétal n’est pas un élément qui est spontanément mis en avant malgré sa présence à Venise tout comme sur ce tableau ; pourtant, cette végétation parfois sauvage, accompagne chacun de nos pas à travers la ville.
Sung Kim, Afternoon Chat
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Les Vénitiens semblent quant à eux, profiter pleinement du moindre espace qui leur appartient. En effet le manque de place au sol, les a obligés à aller en chercher en hauteur comme à travers les balcons, loggia et altana. Et quand bien même ils n’ont pas le privilège d’en posséder, ils n’hésitent pas à profiter des espaces tels que des cours communes pour y implanter leur jardin. Non loin du Campo Mannin, je me souviens d’avoir été impressionnée par des compositions florales aussi diversifiées. C’est au détour d’une cour que j’ai découvert un somptueux escalier en colimaçon. A ses pieds, un petit jardin renferme quelques éléments architecturaux et quelques margelles de puits. Tous sont délicatement posés sur un léger manteau d’herbe verte surplombée par un arbuste. Je me suis attardée un peu, pour observer les touristes qui au hasard de leurs promenades découvrent eux aussi cet endroit. J’aime regarder l’expression de leurs visages aussi émerveillés que moi. Pourtant, ils s’empressent de prendre des photos mais après quelques clichés, ils repartent sans se retourner. Ils n’ont pas pris le temps de regarder ce qui les entoure, de découvrir le joli tapis de fleurs qui rehausse les pierres qu’elles habillent. Le va-et-vient de leurs pas crée un vacarme qui s’oppose au silence de cet espace si calme. En prenant le temps de me fondre dans ce lieu, j’ai le sentiment de pénétrer chez les habitants, de me trouver dans leur jardin. Apparaît soudainement un puits où une végétation verdoyante a gagné le cœur de celui ci. Elle semble avoir puisé l’eau de ce dernier pour se nourrir. Derrière ce premier décor, les murs de la maison « 4307 » sont devenus les tuteurs d’une autre composition végétale tout aussi foisonnante. Les habitants ont logé de grands pots dans ce recoin protégé des vents trop forts et la nature s’en est
saisie pour se réapproprier les lieux. Les habitants respectent et cohabitent avec cette nouvelle organisation. Ils ont d’ailleurs cessé d’ouvrir leurs volets pour laisser les plantes s’agripper aux murs et ont apporté leurs petites touches personnelles en ajoutant des géraniums sur les rebords de leurs fenêtres. Cet aménagement naturel et artificiel forme une surprenante union. En suivant du regard les fils électriques attachés sur la façade, je découvre dans les interstices de la pierre d’autres plantes. Le défraichissement des façades a permis à ces petites plantes de venir s’y loger. Il est surprenant de voir à quel point la nature a su reprendre ses droits dans un milieu qui pourtant lui est hostile. En effet, il n’est pas rare de trouver de magnifiques fleurs sauvages dans de la terre, mais il est beaucoup plus improbable d’en dénicher dans de la pierre. Je m’abandonne à mes rêveries et laisse la nature continuer son ascension. Toutes ces formes végétales sont autant de vies que de repères. Leurs floraisons et leur transformation au fil des saisons, sont des repères temporels nécessaires à l’homme.
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1.Les balcons et bords de fenêtres Très présents, les balcons sont les premiers éléments qui bénéficient d’une quelconque forme de présence végétale, tout comme les bords de fenêtre. Le plus souvent on y trouve des géraniums, plantes grasses et résistantes qui, une fois fleuris rythment les façades même les plus ombragées. Qu’ils appartiennent aux palais ou aux modestes habitations, ces éléments unifient les façades.
« Le plus souvent, les jardins vénitiens sont aujourd’hui simplement d’étroits couloirs de terre, de minuscules cours, des terrasses ombragées par les pergolas, ou altane installées sur les toits, où les Vénitiennes font blondir leurs cheveux ensoleillés, des balcons protégés par des rambardes de fer forgé, des rebords de fenêtre en pierre d’Istrie. Et dans ces recoins d’une valeur inestimable, les cascades de roses mêlent leur parfum à celui des herbes aromatiques, le jasmin et les clématites enlacent les bacs de géraniums, les passiflores et la glycine rehaussent de couleurs le lierre et la vierge, tandis que des portes anciennes se cachent derrière le feuillage des magnolias. » 44
Mariagrazia Dammicco, Les jardins secrets de Venise, Flammarion, p 12-13
2.Les altane L’altana est une petite terrasse en bois construite sur le toit des maisons. On y accède par une fenêtre mansardée ou par un escalier depuis les combles. Autrefois elle était utilisée par les Vénitiennes, venues s’exposer au soleil et chercher la lumière. Aujourd’hui l’altana remplace le jardin privé. Son exposition généralement au sud permet une culture variée de plantes. Elle est aussi un témoignage de l’ingéniosité des Vénitiens pour trouver où ils peuvent le bonheur des jardins que l’exiguïté de leur ville leur refuse trop souvent.
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3.Les cours Les cours créent des espaces magiques, presque surréalistes, lorsqu’elles sont investies par les habitants. En effet l’incroyable union des habitants au végétal a permis de fleurir ces espaces uniquement composés par la pierre. Véritable lieu d’intimité, le temps semble s’arrêter lorsque l’on y pénètre. La nature prend possession des lieux, elle s’impose parfois. Protégées du vent par les hautes habitations et nourries par l’homme ces plantes grandissent calmement. « Ces espaces réduits se prêtent au développement des jardins de pots, compositions rigoureuses ou fantaisistes de plantes décoratives ou fleuries qui arrivent, à force d’empilement et de juxtaposition, à former de véritables jardins verticaux. Il y a dans ces agencements une dualité d’expression qui dit simultanément l’attention que l’on porte à l’embellissement de sa demeure et le plaisir que l’on attache à le faire partager, invitant alors le passant à admirer et à respecter ce qui lui est offert. »(7) (Caroline Stefulesco) Voguant entre le hasard et le geste volontaire, le végétal trouve sa place, dans une connivence entre l’espace public et l’espace privé.
Caroline Stefulesco, l’urbanisme végétal, Paris, 1999, p 129 (7)
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4.Derrière les murs Qu’elle soit volontaire ou inattendue, la présence de cette nature participe au paysage collectif. Tout comme Caroline Stefulesco en fait le constat « la composition végétale urbaine s’applique principalement à l’espace public. Toutefois, il ne faut pas négliger l’importance des effets empruntés aux plantations effectuées sur le domaine privé. Les ensembles pavillonnaires sont à cet égard, les plus significatifs. Le paysage de la rue y est composé d’un ensemble complexe d’arbustes, d’arbres, de fleurs, de plantes sarmenteuses et grimpantes qui révèlent une part de la personnalité des riverains. Dans les quartiers anciens, plus denses, par dessus les murs élevés émergent un houppier, une branche ; on perçoit parfois, au-delà d’un portail, une cour jardinée » (7) (Caroline Stefulesco) Les murs de Venise cachent bien des secrets. Si on lève un peu les yeux vers le ciel on aura très souvent la joie de découvrir de grands arbres. Ils semblent vouloir nous indiquer que quelque chose se joue derrière et que Venise ce n’est pas seulement de la pierre et de l’eau, c’est aussi un patrimoine végétal bien gardé. Ces mêmes murs servent aussi de tuteur aux plantes grimpantes ou descendantes qui profitent de cette aubaine pour investir l’espace. Elles parent volontiers la pierre d’un doux et moelleux manteau vert. Toute cette mise en scène ajoute une part de mystère. Ici le végétal s’ajoute comme par petites touches de couleurs, sur la toile tissée des jardins publics. Elles constituent une présence végétale immanquable. Caroline Stefulesco, l’urbanisme végétal, Paris, 1999, p 85
(7)
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C.Les espaces privĂŠs 48
Ré c i t : P romenade secrète « Venise recèle plus de cinq cents jardins secrets, émeraudes serties dans un labyrinthe de ruelles, de canaux et de vieilles pierres, dont seules les mouettes, dans le ciel azuré, peuvent contempler l’éclat. Jardins de palais, cloîtres d’anciens monastères, silencieux potagers, vergers, tous ces espaces verts racontent l’histoire secrète de la Sérénissime. Ces jardins sont difficiles à débusquer. Ils resteront d’ailleurs à jamais méconnus de ceux qui, apercevant un portail entrouvert, ne pénètrent pas un bref instant dans la cour. Certains auront peut-être la chance de les admirer d’un balcon ou de les observer d’un bateau à travers la grille de fer forgé d’une porte d’eau donnant sur le canal. » (8) (Predrag Matvejevitch, p 28) Comme certains curieux, j’ai poussé la porte de quelques palazzi et comme le raconte si bien Predrag Matvejevitch(8), voici ce que l’on peut y voir : « Rares sont ceux qui parviennent à pénétrer dans les jardins de Venise, peut-être parce qu’on n’imagine pas, dans un espace aussi exigu, trouver de la place. La plupart sont inaccessibles, surveillés, privés. Ils se trouvent à proximité des palais qui leur ont donné leur nom. […] D’où viennent tous ces arbres, ces plantes, ces fleurs qui les ornent ? Qui a apporté les graines, les greffons, les semences ? J’ai cherché les traces de la passion sans laquelle tout cela n’aurait pu exister. Ces lieux sont à la fois au centre et à la périphérie, à la lumière et à l’ombre. Tantôt ils font partie de la réalité, tantôt ils semblent ne relever que du rêve. Dans les jardins de Venise, de lointains amants ont aimé. Diverses espèces de vigne couvrent les pergolas. Les plantes remontantes et grimpantes se lancent à l’assaut des murs, les unes jaunes, les autres vertes, d’autres encore rouges
(j’entends un guide expliquer qu’il s’agit du rosso di Veronese, on retrouve effectivement cette couleur chez le peintre). Il y a là des cyprès, des palmiers, quelques cèdres du Liban, des jasmins et des tamarins aux branches graciles, des orangers et des citronniers près des statues et des fontaines, des lauriers et des lauriers-roses, des asparagus, des rhododendrons le long des perrons et autour des puits contenant plus de ténèbres que d’eau. J’ai cherché les noms de certaines espèces apportées de pays lointains et acclimatées sous nos horizons : l’iris, la rose de Grèce, le lierre anglais, l’azalée venant de je ne sais quel climat austral, diverses plantes d’origine japonaise - tsubaki, kenisyon, kiku - ou apportées de la Chine telles que mu jin (une sorte d’hibiscus) ou mu lan (semblable au magnolia), la rose thé qu’achetaient ici jadis, contre leurs derniers sequins, les princes russes, amoureux et mal aimés. Est-il meilleure preuve, dans cette ville, du cosmopolitisme méditerranéen ? » (8)(Predrag Matvejevitch, p 29-30) Ces jardins sont magiques et leur secret bien gardé. Je me souviens toutes ces essences différentes dont le parfum se mêle, pour n’en former qu’un dont l’odeur est unique, sucrée et douce.
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Predrag Matvejevitch, L’autre Venise, Fayard, 2004
Les jardins secrets Pourquoi jardins secrets ? Parce que les Vénitiens les dorlotent comme de tendres confidents. Parce qu’ils possèdent en eux des biens d’une valeur inestimable et que ces biens-là, mieux vaut en jouir dans la plus parfaite discrétion, surtout ne pas les afficher comme un insupportable signe extérieur de richesse. Les bijoux, on les enferme dans des écrins, on les met à l’abri dans des coffres-forts. Les jardins de Venise, on les calfeutre derrière de hauts murs, on les protège des regards.Ils sont un espace en plus, une autre pièce qui s’ouvre vers le ciel et la mer. L’organisation des palais respecte un plan bien précis. Le rez-de-chaussée n’est qu’un hall d’entrée qui occupe toute la surface du bâtiment. On peut y entrer aussi bien par une calle que par le Grand Canal ou un ponton, signalé par des paline. Ainsi dans son prolongement se dessine une cour. Cette cour arrière reçoit l’escalier médiéval et la citerne. Celle-ci est obligatoire car à Venise il n’y a pas d’eau potable. C’est la raison pour laquelle la cour est pavée et qu’elle comporte des grilles de pierre recueillant l’eau. A la suite de cette cour se dessine un espace plus intime et mystérieux où les langues se délient plus facilement ; il s’agit du jardin. Cet espace est très prisé ; autrefois c’est ici que se déroulaient les discussions entre notables. C’est sans doute de là qu’ils en tirent le nom de jardins secrets. De nombreuses rencontres et discussions ne devaient pas outrepasser ces murs, et la végétation en était la plus sûre des gardiennes. 50
Ces palais appartiennent encore aujourd’hui à de riches familles. C’est un bien qui se transmet de générations en générations. C’est aussi une des raisons pour lesquelles il est difficile de pénétrer dans ces jardins. Toutefois lors d’une exposition d’art moderne plusieurs jardins ont ouvert leurs portes au public. J’ai ainsi pu visiter les jardins secrets du Palazzo Rizzo Patarol, Palazzo Contarini dal Zaffo, et du Palazzo Vendramin Foscarini ai Carmini. De plus une intéressante et très agréable rencontre avec le comte et la comtesse Brandolini d’Adda m’a permis de découvrir leur jardin au fil des saisons.
Jardin secret des Brandolini d’Adda
Le jardin Brandolini sur l’arrière du palais Giustinian fait partie de ceux situés sur le Grand Canal avec des caractéristiques uniques. Une grande porte dans l’étroite rue est surveillée à l’intérieur par deux statues disposées sur un muret recouvert de briques. Dans le fond des lauriers roses et un lierre bigarré occupent tout le mur. L’espace donnant sur la maison est pavé, avec un puits en son centre, l’ensemble de la façade est décoré d’une glycine centenaire. Deux escaliers mènent au jardin ; le premier conduit à un espace ombragé par une vigne américaine qui crée un lieu réservé au repos. L’autre, central, encadré par les deux cariatides représentées à demi-nues, nous conduit vers une zone plantée où une haie de buis bas parcourt le sol, et vient y dessiner l’empreinte d’un cœur. Cet ensemble végétal vit et change de couleurs et de senteurs au fil des saisons. Que c’est bon de s’attarder sur une chaise au milieu du buis, de n’entendre que des soupçons de discussions derrière les murs, très vite couverts par le chant des oiseaux ! 51
Un autre lieu tout aussi secret se trouve sur le toit. Ici « Marie Brandolini s’est aménagé un jardin secret qui domine Venise et offre sans doute l’une des plus belles vues qui soient sur le Grand Canal et la ville… » (9) (Frédéric Vitoux) Il est difficile de quitter ces lieux sans se retourner. Une fois dans la rue, seule la cime des arbres nous rappelle ces instants de calme et de bien-être. « Et soudain le doute survient : était-ce une illusion ou la réalité ? N’était-ce pas le simple rêve d’un pauvre voyageur qui traverse une cité de pierres stériles, entourée d’eau saumâtre, où flotte la nostalgie d’un vert paradis ? » (10) Mariagrazia Dammicco) Ces jardins secrets sont donc de véritables trésors pour leurs propriétaires comme pour Venise. Dépassant des murs, les arbres créent un paysage tout aussi surprenant pour les promeneurs. Ils sont la note finale à toutes les solutions que le végétal a déclinées pour gagner et investir cette ville de pierre sortie des eaux lagunaires. Vue aérienne du pallazo Giustinian Brandolini d’Adda
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(9)
Frédéric Vitoux, L’art de vivre à Venise, p 139 Mariagrazia Dammicco, Jardins secrets de Venise, Flammarion, p 13
(10)
La ville est construite sur une structure répétitive, faite de campi, de ruelles tortueuses et de ponts. C’est en parcourant ces mêmes campi, ces mêmes ruelles tortueuses et ces mêmes ponts que j’ai découvert les richesses secrètes de Venise. Secrètes ? Pas tant que ça ! Venise nous offre un décor magique, changeant au fil des saisons, au rythme de la nebbia, des acque alte, mais sans jamais manquer de quoi que ce soit. Tout est en ordre. Les palazzi se dressent tels une haie d’honneur, le long du Grand Canal, ouvrant le passage au défilé des vaporetti. Derrière ces hautes demeures se développent des jardins dans la plus grande discrétion. Ceux-ci sont si précieux que beaucoup de Vénitiens n’osent en parler, ou essayent de grader ce bien à l’abri des regards indiscrets. Mais les arbres et autres plantes grimpantes les trahissent. Cherchant à s’étendre, ils montent et grimpent toujours plus hauts, passant par-dessus les murs et gagnant la rue. Ce sont dans ces rues que le voyageur peut profiter des premiers instants de la vie Vénitienne. Continuant sa traversée de Venise, il ne manquera pas de rencontrer au bout d’une ruelle la lumière éblouissante d’un campo. De nouveaux les rencontres se multiplient autour de ce lieu, lui même articulé autour de grands feuillus. Ils apportent les espaces ombragés et sont des points de réunions pour tous. Chacun des visiteurs de Venise aura traversé campi, ruelles, et ponts, mais aura-t-il vraiment fait attention à l’élément qui lie aussi bien le ciel à la terre, que les ruelles entre elles ? Et pourtant, comme nous avons pu le constater, le végétal est bien présent à Venise ; et comme pour se faire encore mieux connaître, il se décline de toutes les façons possibles. Espérant un jour occuper une place aussi grande que l’eau et la pierre aux yeux de tous les voyageurs. 53
partie
3
un peu d’Histoire
« Les habitations se pressèrent de plus en plus étroitement, le sable et les marais cédèrent leur place aux pierres, les maisons cherchèrent l’air, comme des arbres dans les endroits clos. Il leur fallut gagner en hauteur ce qui leur manquait en largeur… Aussi le vénitien devint-il une nouvelle espèce de créature… On ne peut comparer Venise qu’à elle-même. » Auteur du Voyage en Italie. Extrait du livre de Predrag Matvejevitch, L’autre Venise, Fayard, 2004
A .historique
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Au-delà de l’aspect romantique et artistique des canaux de Venise, s’ajoute une dimension historique mais également très actuelle. Toute la ville est construite sur l’eau, sur des millions de troncs d’arbres plantés verticalement dans le sol de la lagune depuis plus de mille ans pour certains. Et toute l’architecture de la ville, de ses maisons et palais, découle intimement de cette domestication réussie des flots. L’eau en apparence belle et qui renvoie l’image adoucie des façades, sait aussi être menaçante, envahissant calli et campi lors de nombreuses acque alte que doivent subir les Vénitiens. Cette eau de mer, qui les entoure a également permis de protéger pendant des siècles la ville de Venise des envahisseurs potentiels. Grâce à cette protection naturelle, Venise n’a jamais eu besoin de remparts comme la plupart des villes d’Europe de la même époque. Et ses palais peuvent se permettre la légèreté et la beauté ; ils n’avaient pas besoin de créneaux et tours de guet pour se protéger. C’est aussi cette eau omniprésente qui a donné à Venise l’un de ses plus beaux symboles : la gondole.
1.Représentation de l a ville et de ses espaces verts La mémoire des espaces verts vénitiens utilisés comme jardin reste gravée sur quelques unes des cartes de Venise. La première fidèle représentation de Venise à la fin du Quattrocento, est le plan dessiné et gravé de Jacopo de 56
Barbari ; il fut imprimé en 1500 par l’Allemand Antonio Kolb. Il est aujourd’hui exposé au musée Correr de la place San Marco. Cette vue à vol d’oiseau (nord/sud) représente le panorama des nombreux campaniles, correct et précis. Il respecte les lois mathématiques, montrant le profil de la ville vue de la mer, et qui révèle pour la première fois deux aspects : sa forme unitaire et ses infinis détails iconographiques ainsi que les plus secrets selon l’esprit de la Renaissance. Venise comptait alors tous les types de jardins : des jardins pour les fêtes et les réunions mondaines, bals et jeux de société ; des jardins pour les aventures et le badinage amoureux ; mais aussi des jardins où étaient scellés des pactes infâmes, où l’on tendait des embuscades où l’on commettait des délits ; et quoi qu’il arrive, des jardins dont on cueillait des fleurs, les fruits et les légumes pour fournir et décorer la table et pour fabriquer des remèdes. Cinquante ans après, le plan de Matteo Pagan accentue la délimitation des bords sur l’eau, alors que les rapports entre les constructions et les espaces libres ont peu changés. Les Vénitiens ont toujours tenu très soigneusement la comptabilité de leur richesse, et les jardins sont précieux. Ils savaient par conséquent avec exactitude, en 1603, que le quartier de San Marco possédait trente-neuf jardins, celui de Dorsoduro vingt-neuf ou celui de Cannaregio quarante.
Gravure de Jacopo de Barbari, 1500
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En 1729, Lodovico Ughi réalise à son tour un grand plan de Venise. Il représente la ville selon une conception idéale. C’est un moment d’analyse, de réflexion critique : la ville est représentée selon des concepts systématiques. Les jardins sont dessinés avec beaucoup d’attention : on y trouve une abondance de particularité, et une grande rigueur est donnée au moindre détail. Ils sont nombreux et concentrés à la Giudecca et sur les bords du Cannaregio, créant une continuité des espaces verts. C’est une nouvelle interprétation de l’architecture et du végétal. Dessin perspective de Venise par Jacopo de Barbari
Aujourd’hui on ne réalise plus ce genre de représentation graphique de la ville de Venise. Toutefois il est possible grâce aux moyens technologiques d’obtenir une vision aérienne de Venise, et du monde entier (11). A travers cette nouvelle représentation, on distingue très clairement les traces de l’expansion de la ville. Une partie, située au nord de l’île, se détache par sa teinte plus claire que le reste. Cette coloration semble révéler une zone construite plus tard, les rayons du soleil n’ont sans doute pas encore fait rougir les toits. 58
Evolution de Venise, extrait du guide de Walter Baricchi, Venise, Casterman, 1996
2.Commerce et botanique Si l’on devait approfondir l’histoire de la Sérénissime, l’aventure de ses jardins ne serait pas d’un minime enseignement. On opposerait par exemple ses premiers espaces verts exubérants comme un « microcosme » de la nature aux jardins Renaissance qui témoigneraient de la nouvelle passion du temps pour les sciences et la botanique. En effet les jardins vénitiens constituent un grand patrimoine historico-architecturale et botanique que peu connaissent. Leur conservation s’en trouve menacée car on est en présence d’un manque de connaissance de ces lieux très riche en ressources.
(11)
Vue aérienne de Venise, Google Earth
Venise étant une ville portuaire, la plupart de ses richesses arrivent par la mer, à travers les échanges commerciaux. C’est ainsi que les plantes médicinales font leur apparition sur les marchés vénitiens, car bien souvent elles sont rapportées des voyages. Au fil des années, ce commerce se développe en même temps que l’étude des plantes : la botanique. Il prend une telle importance qu’au Cinquecento, Venise et Vienne deviennent les centres commerciaux pour les nouveautés florales. Les botanistes étudient des plantes ornementales jamais vues auparavant en Europe. Il est alors difficile d’attribuer avec certitude une date ou des noms aux découvertes botaniques les plus lointaines. Nous savons toutefois, grâce à un document de Piovego (organisme officiel vénitien qui s’occupait des controverses sur le territoire lagunaire), que déjà en 1330, le médecin Gualtieri créa une vraie plantation de plantes médicinales. Les jardins botaniques étaient nombreux, mais des plus anciens, il n’en reste que très peu. D’après Visiani, nous savons qu’entre 1600 et 1800 les jardins botaniques étaient si 59
nombreux, qu’il y en avait, à Venise, plus que dans toute l’Italie. L’un des plus importants fut situé à la pointe de l’île à Sant’Elena.
3.Les traces d’un passé La nature qui naît spontanément est incontrôlable, sur les pierres des palais désormais en ruine. Elle fait preuve d’une volonté de vivre, la ville tout entière survit avec peine. La fleur urbaine spontanée de Venise est la mémoire vivante, la mémoire naturelle de la ville et montre pour quelques rues, l’ambiance des sous-bois avec des fougères et plantes montantes vivaces. Des pierres des carrières d’Istrie jusque sur les monuments, la nature est restée dans les fissures d’où elle germe chaque année. Cette nature frivole accompagne d’autres traces du passé. Celles que l’on trouve dans les jardins : colonnes, statues, ou pierres tombales. Chacun de ces éléments portent la marque du temps qui passe. Usés, ils restent beaux bien qu’ils aient perdu la fonction pour laquelle ils ont été créés. C’est dans ces mêmes jardins que l’on retrouve les bases constructives de la ville. Les premiers habitants ont avant tout cherché à se défendre des regards furtifs des étrangers en séparant les espaces selon les situations. Ainsi les jardins sont quasiment tous délimités et subdivisés en trois espaces bien distincts et précis : un, construit et pavé, un autre gagné par la nature, le vrai jardin, et un autre 60
plus secret, caché et mystérieux, pour les confidences et les méditations. Beaucoup des jardins vénitiens sont inaccessibles. Alors si vous pouvez entrer, c’est toujours une belle rencontre qui vous y attend. Accédez à cette partie plus cachée, à part, vous y découvrirez un lieu où l’on peut s’isoler, pas seulement pour être seul, ou méditer, mais pour être loin des regards indiscrets, se cacher des charlatans, mais aussi garder secrètes des actions et pensées qui ne doivent pas être révélées pour ne pas perdre leur magie. Dans certains angles la mémoire se fait plus présente parce qu’elle est liée aux familles, aux âmes perdues, aux hommes et femmes célèbres dans le passé, présent encore dans la pierre. Il ne reste bien souvent plus que les noms qui ont perdu leur signification mais dont les traces sont encrées dans la pierre qui résiste aux annuelles attaques de la terre, de l’herbe et de l’eau.
« Dans un tel jardin, la rêverie est portée à son comble. L’effervescence des plantes et des arbres devient un effet de l’art. Le paysge, au sens le plus romantique du therme, se confond avec un état d’âme. L’eau, les cannaux, les statues, les floraisons, les allées plus ou moins rectilignes, tout s’organise et s’apprivoise selon l’habileté de l’homme et de son jardinier-assitant que l’on peut appeler Dieu ou Nature, qu’importe ! Seuls les sentiments restent indomptés. » Frédéric Vitoux, L’Art de vivre - Venise, p 136
4.Structure de l a ville A Venise le rapport avec la nature est très différent des autres villes. Ici le traumatisme de la séparation de la terre est fort. Ce dernier est fortement induit par la structure de la ville tout entière. Venise, ce sont des îles au large de la terre ferme. C’est ici que naît l’une des particularités les plus extraordinaires de cette ville sortie des eaux : construire une ville sur un ensemble d’îlots. Pour cela il faut avant tout observer « la structure des courbes géologiques des îlots (f) : 1- eau, 2- terre émergée ou assiette de l’îlot, 3- fond boueux de la lagune et terre alluvionnaire, 4- Caranto, sol compact composé d’argile et de sable, 5- nappe phréatique, 6- dépôt de tourbe, 7-poche de gaz méthane. Initialement l’îlot correspondait à l’affleurement d’un marécage. Pour viabiliser un tel lieu, il fallait le rendre accessible aux embarcations, le protéger de l’effet des marées et affermir son assiette pour permettre d’y édifier des constructions. La stabilisation de l’assiette se fait en deux temps. Le premier travail consiste à enfoncer des pilotis de chêne et de mélèze en commençant par la périphérie pour aboutir, en un mouvement spiralé, au centre du plateau
(12)
Guide de Walter Baricchi et Léon de Coster, Venise, Casterman, 1996, p 42-43
(g). Ce travail se fait sous eau pour éviter la putréfaction de l’oxydation du bois. Les canaux sont ensuite creusés et l’assiette rehaussée par les terres de déblais. C’est alors, à marée basse, que les maçons peuvent construire les murs des quais et les fondations des édifices. » (12) (Walter Baricchi et Léon de Coster) Ce système constructif ne permet alors pas la présence de grandes étendues de terre. La ville, bien que soutenue par des forêts de troncs d’arbres, revêt un sol minéral des plus présent. De cette observation est née l’idée que Venise n’est que pierre et eau. Or comme nous avons pu le constater précédemment, à ses origines les espaces verts de Venise et ses richesses florales étaient reconnus « mondialement ». Aujourd’hui ces mêmes espaces ont pour beaucoup disparu, et cela à cause de l’inévitable expansion et conquête de ces îles.
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Les îles sont les cellules de l’organisme urbain qui répond généralement à un projet social d’habitat. Le développement des îlots peut se faire selon différents schémas : (a) pectiné, (b) arborescent, (c) linéaire, (d) rayonnant ou (e) conventuel. Le tracé des rues et des ruelles correspond à une répartition systématique de l’habitat, des lieux de travail ou de commerce et des bâtiments publics. La disposition de ceux-ci obéit à des critères fonctionnels, principalement le transport et l’approvisionnement en eau potable. Toutes ces îles furent au XIIe siècle regroupées et divisées en six sestieri (quartiers administratifs). Ce découpage avait à l’époque pour but de faciliter la levée des impôts nécessaires à la guerre contre Byzance. Mais cette division n’a pas eu de véritables répercussions sur l’urbanisme.
doit se comprendre dans son double sens… »
Frédéric Vitoux, L’Art de vivre – Venise, p136
Ville spectaculaire par excellence Venise est protagoniste et spectatrice des événements qui se déroulent dans toute la ville. Le décor scénographique de chaque lieu habitue à s’attendre à quelque chose de surprenant à chaque coin de rues. Les étroites rues sont de surprenants raccourcis qui nous mènent aux places et campi, pauvres ou prestigieux, qui rendent la ville homogène dans son alternance de palais riches ou modestes, où les marbres, les briques et le porphyre forment une barrière compacte, pour s’opposer à l’eau. La nature qui varie au fil des saisons, contribue à enrichir ou rendre plus mélancolique la scène.
« Venise a été construite contre la nature, contre l’eau, contre la boue, contre toute raison. Les jardins de Venise ne sont pas non plus naturels. J’aime les apercevoir et m’y promener comme en des lieux un peu miraculeux, où le mot de « culture » 62
Proportion d’eau, de pierre et de végétal dans Venise aujourd’hui
5.Le climat L’environnement qui constitue Venise est tout simplement de la terre entourée d’eau. La forme même du plan de la ville témoigne des conditions environnementales complexes dont Venise fait l’objet. Toutes ces difficultés ne semblent pas avoir empêché le végétal dans sa conquête de ce milieu apparemment hostile. Il est possible de voir des plantes qui naissent dans des endroits bien plus chauds ou bien plus froids qu’à Venise. Mais les vents déterminent sensiblement les variétés de fleurs, la bora hivernale qui vient du nord et le sirocco qui vient d’Afrique influencent en quelque sorte le climat vénitien. La mer est un second élément qui conditionne la chaleur. Venise vit dans des conditions bioclimatiques singulières, mais semblables au climat méditerranéen. Chacune des plantes, fleurs et chacun des arbres venus de divers horizons ont finalement trouvé les moyens de s’acclimater aussi bien et aussi rapidement que l’homme. Les clôtures, les murs, les palissades protègent la végétation, créant une transformation climatique, indispensable pour la survie des plantes. Une « mosaïque de microclimats » donne toute son originalité au climat vénitien, passant d’un extrême à un autre. L’humidité fait aussi partie des éléments fondamentaux. Présente toute l’année c’est à elle que l’on doit la présence d’une végétation spontanée qui naît sous les balcons, au coin d’une porte, sur les façades de brique et de marbre. L’humidité s’infiltre dans les murs, leur donnant la porosité nécessaire pour accueillir les moindres petites plantes. Mais c’est aussi à elle que l’on doit les variations d’un paysage énigmatique. La nebbia en est l’une des premières actrices, plongeant Venise dans un épais brouillard.
Il faut alors connaître Venise pour se repérer dans ces dédalles de ruelles plongées dans les nuages. A ce moment là le ciel semble vouloir à son tour enfouir Venise. Le climat est si particulier qu’il tend même à être très menaçant pour la survie de Venise. En effet, c’est ici que l’on trouve d’octobre à avril ce phénomène particulier qu’est l’acqua alta. Ce sont des marées d’une amplitude exceptionnelle qui, en s’engouffrant par les trois passes d’entrée de la lagune, provoquent l’inondation de la ville. Elles sont le résultat de l’action conjuguée de différents phénomènes naturels : les grandes marées, les variations de la pression atmosphérique et la poussée des vents (en particulier le sirocco), qui associés à l’affaissement progressif du niveau de la ville, engendrent des marées exceptionnelles. La hautemarée est un « spectacle » très apprécié des touristes qui font des photos souvenir pour raconter l’anecdote « typique » à leur retour sur « la terre ferme » ; les Vénitiens, quant à eux, cohabitent avec résignation et philosophie avec ce phénomène qui perturbe leur vie quotidienne et les activités économiques. Aujourd’hui certains se préoccupent davantage de ce phénomène qu’ils trouvent dangereux pour la survie de Venise. C’est pourquoi un projet (MOSE)(13) est né. Il a pour but de protéger Venise des acque alte. La création de barrages amovibles à chaque entrée de la lagune a pour but d’arrêter les marrées. Mais ce projet est plus que controversé ; en effet, un tel système pourrait mettre en péril le fonctionnement de tout l’écosystème lagunaire. MOSE, Module Sperimentale Electromeccanico : Module expérimental électromécanique. Ce projet consiste à aménager la Lagune de Venise afin d’empêcher les marées d’inonder la ville et ainsi la sauvegarder. En Italien, le prénom Mose est l’équivalent de « Moïse ». L’ethymologie courante de ce prénom est « sauvé des eaux » ce qui recouvre bien la finalité du projet. (13)
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B.questionnaire
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1. Raisons du questionnaire
2. R ésultats et analyse des questionnaires
Le questionnaire a été élaboré afin de mettre en parallèle mes observations et analyses avec le ressenti des touristes ayant voyagé à Venise. En effet j’ai voulu connaître le point de vue de personnes extérieures sur le sujet du végétal, afin d’affiner certaines de mes sensations. Il a été pour moi une base de recherche à mes questionnements concernant la perception du végétal par le visiteur, mais aussi l’accès et l’intérêt, que l’on porte à cet élément. Il est vrai qu’ayant passé un an dans cette ville, mon regard n’a de cesse évolué et changé. Grâce aux interrogations proposées à ces personnes, j’ai pu moi même me replonger dans les premières idées que j’avais de Venise. Une fois le questionnaire distribué, certaines personnes sont revenues à Venise me permetant ainsi de les emmener avec moi à la poursuite de mes trouvailles. J’ai ainsi pu observer leur réaction face à ce nouveau regard que je leur proposais. Agréablement surpris par cette beauté naturelle, ils ont continué leurs promenades me rapportant à leur tour leurs découvertes. Le contact avec d’autres personnes sur ce sujet m’a confortée dans l’idée que le végétal ne surprend pas forcément de prime abord, puisqu’il évolue en parfaite harmonie avec l’ensemble architectural et lagunaire de la ville. L’échantillon de personnes interrogées n’est toutefois pas représentatif, puisqu’il est a été distribué dans mon entourage et à petite échelle.
Le questionnaire a été distribué à vingt personnes, douze Français et six étudiants de Venise. Deux tiers d’entre eux ont entre quinze et trente ans et le tiers restant entre trente et cinquante ans. La durée des séjours n’excède pas une semaine à l’exception des étudiants, présents toute l’année ; et pour 76%, cela était la première fois qu’ils s’y rendaient. L’intérêt de cette destination tient principalement à l’envie de découvrir l’architecture vénitienne, ses paysages et ses côtés mystérieux « ville secrète, ville de rêves ». Cette étude a permis d’avoir une vision globale au fil des saisons. Il a donc été intéressant de s’interroger sur un éventuel changement de point de vue entre les personnes qui ont voyagé durant la période estivale et ceux de la période hivernale. Curieusement les touristes d’été et d’hiver ont eu la même impression « le végétal est peu présent ». La première explication tient au fait que leur séjour à Venise était de courte durée et que les objectifs principaux était de découvrir l’architecture. Spontanément ils se sont attardés sur les monuments au détriment du végétal. Cependant après réflexion sur ce sujet grâce au questionnaire, 75% d’entre eux notent que le végétal leur a manqué. Et alors 22% se rappellent avoir été marqués par certaines présences du végétal, ils l’ont découvert à travers le fleurissement des balcons, des jardins publics et sur les places. En règle générale, il s’agit d’espaces publics et accessibles à tous. Effectivement aucun d’entre eux n’a eu l’opportunité de découvrir des jardins privés.
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L’ensemble des voyageurs a réussi à faire, en tout ou partie, le tour de l’île. Il en est ressorti que les espaces les moins touristiques ont été les plus appréciés comme les sestieri du Castello et du Cannaregio. Il s’agit en effet des quartiers les plus « populaires » car, dans le passé c’est dans ces lieux que l’on trouvait la plus forte fréquentation des classes ouvrières. Aujourd’hui ces quartiers ont gardé leur authenticité, et restent donc les sites les « moins approchés ». Toutefois cette situationj tend à s’inverser, principalement pour le Cannaregio, où l’on trouve le quartier des juifs, et dont la renommée en fait l’un des lieux à ne pas manquer, pour son ambiance festive. Pour 45% des personnes interrogées Venise leur est apparue comme une ville « labyrinthe » avec beaucoup de ruelles et de recoins. Tout au long de leur parcours, ils ont constaté que l’eau, le minéral et le végétal sont en harmonie. Même si la plupart des personnes interrogées semble être venue à Venise pour découvrir son patrimoine architectural, on notera pourtant que pour 95% le végétal occupe une place importante dans leur environnement de tous les jours et que ce qui leur a donc « manqué » sont les espaces de repos ombragés. A Venise on les attend sous la forme d’un banc à l’ombre d’un arbre. Pour les trouver, il faut se rendre sur les campi. Mais il est vrai qu’ils sont peu nombreux. Les campi sont pleins de vie et d’activités. Pour se reposer si tous les bancs sont occupés certains n’hésitent pas à investir les margelles de puits, ou encore les marches descendant dans un canal. Ces grands espaces sont donc investis de mille et une façons, les rendant toujours plus attrayants. L’interrogation et le ressenti des espaces verts par toutes ces personnes semble être induit à la base par leurs lieux d’habitation. La plupart habitent en milieu rural, ils sont donc habitués aux grands espaces et à la présence du végétal (à leur porte), ce qui n’est pas toujours le cas pour les personnes habitant les grandes villes. Pour ces dernières il leur 66
faut souvent se rendre dans un lieu bien précis pour y trouver la végétation. A travers cette étude j’ai donc pu observer que les voyageurs partent dans l’idée de découvrir un lieu mythique et mystérieux. Ils viennent y découvrir culture, architecture et gastronomie, qui suscitent le dépaysement. Sans vraiment s’intéresser de près au végétal de la ville, ils parcourent les rues, se perdent. Ils reviennent la mémoire remplie de souvenirs, de couleurs et de découvertes. Cependant en se remémorant leurs parcours et détours, ils se rappellent avoir rencontré quelques formes de végétal. Sur le coup celui-ci ne leur est pas apparut surprenant puisqu’il semblait en parfaite harmonie avec le reste de l’environnement. Toutes ces personnes sans exception m’ont confié leur envie de retourner à Venise. Ils ont été séduits et surpris par cette ville. Aujourd’hui après avoir été interrogés sur la question du végétal dans Venise, ils m’ont livré leur désir, lors de leur prochain voyage, de prendre le temps d’observer cette nature si discrète et pourtant si présente. A travers ce mémoire, je me suis replongée dans mes souvenirs. Souvenirs d’une année passée au contact direct avec Venise et ses habitants. Souvenirs de rencontres, de voyages, et de paysages. Et aujourd’hui je rêve de mon prochain voyage, mes prochaines découvertes et rencontres au sein du mystère qu’est Venise.
QUESTIONNAIRE (traduit pour les italiens) 1-Dans quelle ville habitez-vous ? 2-Dans quelle tranche d’âge vous situez-vous ? 0 à 15 ans 15 à 30 ans plus de 70 ans 30 à 50 ans 50 à 70 ans 3-Combien de fois êtes vous allés à Venise ? une fois deux fois trois fois plus de trois fois 4-Pourquoi avez-vous choisi d’aller à Venise ? pour le climat pour le paysage pour la renommée autre 5-Durant quelle période de l’année avez-vous effectué votre dernier séjour à Venise ? Automne Hiver Printemps Eté 6-Combien de temps a duré ce séjour ? un week-end une semaine deux semaines plus de deux semaines 7-Quelle image aviez-vous de Venise ? ville romantique ville labyrinthe ville historique ville touristique architecture, patrimoine autre 8-Aviez-vous des préjugés par rapport : Odeur Pollution Dégradation autre 9-A votre arrivée qu’elle impression avez-vous eue ? espace fermé (recoins, petites rues,..) espace ouvert (grande place, perspective des canaux,…) autre 10-Avez-vous réussi a faire le tour de l’île ? oui non ou avez-vous ciblé votre séjour ? monuments historiques, musées événements autre 11-Quel élément à retenu votre attention lors de votre première visite de la ville ?
12-Avez-vous préféré un quartier ou un lieu en particulier ? Si oui, lequel et pourquoi ? non 13-Comment vous est apparue la place du végétal à Venise ? très présent présent peu présent pas du tout présent 14-Avez-vous eu accès à des espaces végétalisés ? Si oui étaient-ils le plus souvent des espaces privés publics
non
15-Quelle forme du végétal auriez-vous aimé rencontrer plus souvent ? balcons, fenêtres,… jardin public, parc jardin privé sur les places parterre de fleurs arbre seul végétal grimpant ou descendant autre 16-Avez-vous été surpris par le végétal dans Venise ? oui non ° Pourquoi ? 17-Le végétal vous a t-il manqué ? oui non
° Pourquoi ?
18-D’une manière générale, pensez-vous que l’eau, le minéral et le végétal soient : en harmonie en conflit en déséquilibre de proportion égale autre 19-Pour vous la présence de végétal est-elle importante dans votre environnement ? oui non 20-Qu’est ce qui vous a manqué dans Venise ? verdure jardins publics espace de repos ombragé autre 21-Si vous aviez des aprioris avant d’y aller, ont-ils évolués pendant votre séjour ? Si oui par rapport à quoi ? Non 22-Retourneriez-vous à Venise ? oui non ° Pourquoi ? 23-Comment pourriez-vous définir en quelques mots Venise ? 24-Quelle particularité de la ville vous semble la plus représentative ?
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conclusion
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Venise est surprenante. Elle est connue pour ses gondoles, son architecture, son cadre romantique. Moi même j’avais des idées préconçues, j’imaginais une ville où les hautes habitations se bataillent pour chercher la lumière, et où les eaux lagunaires serpentent sans fin, croisant ruelles et ponts. Mais la connaissons nous vraiment ? Car en réalité, elle est sans doute l’une des villes les plus mystérieuses qui a su garder ses secrets. Une fois plongé au cœur de cette ville, tout s’efface. Levez les yeux au ciel, il ne vous reste plus que cette surprenante envie de découverte. Les plus curieux feront le tour de l’île jusque dans ces plus petits recoins, et pour leur plus grande joie, découvriront ce que Venise recèle de plus secret : son végétal. Pour construire leur ville les Vénitiens ont dû vaincre la lagune, enfoncer leurs pilotis et dresser leurs logis. L’espace, voilà leur luxe suprême, voilà pourquoi on circule à Venise le long de calli à l’étroitesse invraisemblable, voilà pourquoi palazzi, églises ou maisons plus modestes ne cessent de s’élever pour trouver de la place. Que fait alors le végétal de Venise ? Il monte, lui aussi. Il n’a pas les moyens de s’étaler, il grimpe bravement vers le ciel. Les arbres de Venise ressemblent à des campaniles, plus hauts, toujours plus hauts tandis que les vignes vierges et les lierres escaladent les palais. Pour deviner les jardins de Venise, le promeneur n’a souvent d’autre ressource que de lever la tête et de deviner des feuillages ou des herbes folles qui plongent leurs racines dans les jointures de la pierre et de la brique. Et que font les Vénitiens ? Ils montent encore plus vite que leurs jardins et ils gagnent les altane, ces terrasses de bois, qu’ils ont installées sur les toits de leurs demeures. Le ciel enfin leur appartient, le soleil, la lumière.
Finalement Venise est apaisante. Chacun des éléments qui constituent la ville se trouve en harmonie avec son environnement. Il règne un certain équilibre, et c’est sans nul doute qu’il est créé par l’alliance de la pierre, de l’eau et du végétal. Toutefois pouvons nous garantir qu’une telle connivence perdure ? Puisque Venise semble dangereusement menacée par ses eaux lagunaires.
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« L’air était calme et rempli d’odeurs, le soleil dardait ses rayons brûlants à travers la brume qui donnait au ciel une couleur ardoise. L’eau se brisait en clapotant contre le bois et la pierre. L’appel du gondolier, mi-avertissement, mi-salut, recevait, par une étrange convention, une réponse du fond du labyrinthe silencieux. Depuis de petits jardins suspendus, par-dessus des murailles qui s’effritaient, pendaient des ombelles blanches et pourpres exhalant un parfum d’amandes. Des embrasures de fenêtres mauresques se reflétaient dans l’eau trouble. Les marches en marbre d’une église descendaient dans les flots ; un mendiant, accroupi dessus, proclamant sa misère, tendait son chapeau en montrant le blanc de l’œil comme s’il était aveugle ; avec des mimiques flagorneuses, un marchand d’antiquités devant son repaire invitait le passant à s’arrêter, dans l’espoir de le tromper. C’était Venise, beauté enjôleuse et suspecte - cette ville, à la fois conte de fées et piège à étrangers, dont l’air putride baigna jadis la luxuriante efflorescence de l’art, et qui inspira aux musiciens les accents qui bercent et invitent à la volupté. » Thomas Mann, Mort à Venise.
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annexes
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1.LE XIQUE ° Acqua alta : marées hautes, ce phénomène est un pic de marée particulièrement prononcé. Il est fréquent durant l’automne jusqu’au printemps. La rencontre des marées, du sirocco et la lune créer des inondations à répétition. ° Altana, e : Toit-terrasse en bois, desservi par un escalier partant du dernier étage. ° Bora : C’est un vent du nord-est qui souffle sur la mer Adriatique, la mer Noire, la Grèce et la Turquie. En hiver il est souvent violent, avec une vitesse moyenne de 50 à 80 km/h avec des rafales qui ont été mesurées à 180 km/h sur le golfe de Trieste. Le nom bora provient de Borée, dieu de la mythologie grecque, personnification du vent du nord. ° Calle, i : Mot usuel désignant une rue à Venise et dans les lagunes. ° Campanile : Clocher (généralement séparé de l’église). ° Campo, i : en Italien, désigne littéralement un champ. Ces places portent ce nom car autrefois elles étaient couvertes d’herbes. Aujourd’hui elles sont entièrement pavées. ° Corte : Terme généralment donné à un espace autrefois vert entouré de maisons. ° Fondamenta, e : Quai public longeant un canal. ° Giardini pubblici : jardins publics. ° Istrie : L’Istrie est une péninsule du nord de l’Adriatique, entre les golfs de Trieste (Italie) et Rijeka (Croatie). ° Lagune : Etendu d’eau de mer, comprise entre la terre ferme et un coron littoral (lido) généralement percée de passes. ° Lido : L’une des longues îles étroites qui séparent les lagunes du littoral vénitien de la mer Adriatique ; désigne souvent le Lido di Venezia. Par extension, après la transformation en est venu à signifier tout littoral sablonneux de ce genre. ° La scuola : Elle était l’une des principales institutions sociales de la ville, au services des habitants. Dès le XVIe siècle, les quelque 300 scuole, dont certaines étaient appelées « Scuola Grande », se répartissaient dans les sestieri, et
selon leur spécification, en fraternités religieuses, en écoles d’arts et métiers ou encore en communautés réservées aux étrangers de la République (Juifs, Dalmates, Grecs, Albanais,…) ° Nebbia : Brouillard épais. ° Palina, e : Jalon coloré et frappé du blason familial. Elle permet d’amarrer les embarcations. ° Palazzo, i : Palais ; à Venise, désigne souvent les maisons de la noblesse. ° Redentore : Fête célébrant la fin de la peste de 1576, elle est l’une des plus spectaculaires d’Europe. Un pont de bateaux est établi de l’église du Redentore à la Giudecca et aux Zattere. Venise, illuminée par des lanternes, est le théâtre de feux d’artifices, d’illuminations et de concerts. ° Rio, i : L’un des petit canaux de la ville. ° Sestieri : La ville a été divisée en six parties administratives. Ce découpage a été effectué en 1171. San Marco est au centre de la ville, San Polo et Santa Croce sont à l’ouest, le Dorsoduro est au sud, le Cannaregio longe le rivage nord et le Castello à l’est, à la pointe de l’île. ° Sotto portego : Colonnade couverte, surmontée d’un logement. ° Traghetto, i : Gondole qui assure le passage d’un coté à l’autre du Grand Canal. ° Vaporetto, i : Bateau-bus, qui assure le transport de voyageurs sur la Grand Canal et la lagune. ° Vogalonga : Course de bateau à la rame. ° Visionneuse stéréoscopique : Appareil photographique équipé de deux objectifs écartés de 6,5cm, permettant d’effectuer simultanément deux photographies d’un même sujet. Observées à l’aide d’un stéréoscope, ces vues restituent une image tridimensionnelle de la réalité (effet de relief). Le premier appareil stéréoscopique fut construit en 1855 par J.B.Dancer (chambre stéréo au collodion humide).
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2.CARTE ET SITUATION
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3.Acqua a lta
Un article de Wikipédia, l’encyclopédie libre. Acqua alta est la période d’inondation de Venise pour cause des marées entre l’automne et le début du printemps. Le terme acqua alta dans la lagune de Venise désigne un phénomène de pic de marée particulièrement prononcé, tel à provoquer l’inondation de la zone urbaine insulaire. Ce phénomène est surtout fréquent en période automne-printemps, quand la marée haute arrive à recouvrir une bonne partie de la cité rendant difficile les déplacements par les rues de Venise (calle) et espaces ouverts autour des édifices de Venise (campi).
a.Cause
Acqua alta sur la place San Marco Le terme acqua alta dans l’usage commun, indique en réalité un phénomène générique. D’un point de vue technique, il existe des définitions plus rigoureuse, basées sur le niveau des marées réunies : • marée soutenue (marea sostenuta) quand le niveau de marée est compris entre +80 cm et +109 cm sur le zéro marégraphique (niveau moyen de la mer mesuré en 1897) ; • marée très soutenue (marea molto sostenuta) quand la valeur est comprise entre +110 cm et +139 cm ; • acqua alta exceptionnelle (acqua alta eccezionale) quand la valeur rejoint ou dépasse les +140 cm. Le niveau de marée est déterminé par deux éléments : • La marée astronomique, dépendante du mouvement des astres, principalement de la Lune et en proportion mineure du Soleil, ainsi que de tous les autres, et de la géométrie du bassin. La contribution de tous ces facteurs est très connue et est régulée par les lois de mécanique physique, et peut être calculée ou prévue avec une grande précision, sur plusieurs années. • La contribution météorologique, qui dépend de nombreux facteurs variables ; direction et intensité des vents, pression atmosphérique, précipitations, etc., tous liés par des relations complexes et régulés par des lois physiques de probabilité, pour cela les prévisions ne peuvent être élaborées qu’au travers de modèles statistiques, peu de jours à l’avance et avec une approximation qui est fonction de la date de la prévision. De par sa configuration géographique particulière « en cuvette » (a catino), la mer Adriatique présente des incursions de marée plus prononcées par rapport au reste de la Méditerranée, la raison est à rechercher dans le fait que sa Seiche à une période d’oscillations maximale comparable avec celle de la marée astronomique, rendant possible, de cette manière, la superposition des deux phé-
nomènes. La marée astronomique résulte plus des phases lunaires et solaires, accentuées en période de nouvelle lune et pleine lune et durant les équinoxes. À celles-ci peu être ajoutée l’action locale des forts vents du sirocco, qui tirant dans l’Adriatique méridionale peu freiner le flux des eaux du bassin entier, ou de la bora, qui soufflant à travers de l’embouchure du port de Venise de la lagune peu empêcher la mer d’en ressortir. La réalisation de la zone industrielle du port Marghera à ultérieurement aggravé le phénomène de l’acqua alta pour divers motifs : avant tout, la majeure partie de la zone industrielle à été créée en bonifiant une vaste étendue de lagune, servant précédemment de « barene » c’est à dire de petites îles à fleure d’eau qui, submergées en cas de hautes marées, servaient de « vase d’expansion » en limitant son incursion. En second lieu, pour permettre aux pétroliers de rejoindre les quais de déchargement, a été creusé le profond « Canal des Pétrolier » qui part de l’embouchure du port de Malamocco et rejoint la terre ferme. Cette uvre a considérablement augmenté la section de l’embouchure du port, augmentant par conséquence la quantité d’eau entrant dans la lagune. Toutefois le Port Marghera ne fut pas l’intervention humaine qui a contribué à varier l’amplitude moyenne de la marée. Entre les plus significatifs il faut citer1 : la construction de Pont Ferroviaire (1841/46) ; l’exclusion de bassin de Chioggia du fleuve Brenta et la conséquente bonification de 2363 hectares de zone de « barene » ; la construction de digues (Port de Malamocco, 1820/72 ; Port de S. Nicolò, 1884/97 ; Port de Chioggia, 1911/33) ; la construction du Pont de la Liberté (Ponte della Libertà) (1931/33) ; la création de la Riva dei Sette Martiri (1936/41) ; la réalisation de l’île artificielle du Tronchetto (superficie 17 hectares, 1957/61) et le doublement du pont ferroviaire (1977). Il y a enfin d’autres causes naturelles : la subsidence, ou plutôt l’affaissement naturel du terrain, significativement accentué par l’intense utilisation des eaux de la nappe phréatique utilisées dans le passé pour alimenter le pool industriel du Port Marghera, et l’eustatisme, c’est à dire de relèvement du niveau de la mer, lui-même accentué ces dernières années par le réchauffement global de la planète. L’ensemble de ces phénomènes ont rejoint le point maxi de vulnérabilité de la marée. Le centre de prévisions et d’alerte des marées de Venise détermine2 à 23 cm la perte totale de la cote altimétrique de la cité depuis 1897 (année de définition du zéro altimétrique), décomposés ainsi : causes naturelles, +12 cm (9 d’eustatisme et 3 de subsidence) ; causes anthropiques, +13 cm (subsidence) ; récupération élastique, -2 cm.
b .Po u rc e n t a ge s d ’ i n o n d ation
L’inondation causée par l’acqua alta n’est pas homogène dans toute la cité de Venise et dépend de divers facteurs : les différences altimétriques des zones particulières par rapport au zéro marégrafique ; la distance des ruisseaux et ca-
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naux ; la hauteur des rives et des fondations de Venise ; la présence ou non de parapets pleins le long des fondations ; le rattachement des égouts d’écoulement aux canaux, agissent comme facteurs aggravant d’inondations. Selon le niveau de marée il est possible d’évaluer le pourcentage d’inondation de la cité2 : • +90 cm : 0,29 % • +100 cm : 3,56 % • +110 cm : 11,74 % • +120 cm : 35,18 % • +130 cm : 68,75 % • +140 cm : 90,19 % • +150 cm : 96,33 % • +160 cm : 99,27 % • +170 cm : 99,74 % • +180 cm : 99,86 % • oltre +180cm : 100 %
c. Méthode s d e re l ève m e n t , s i g na l i s a t i o n et contrôl e
La mesure de référence de l’acqua alta se base sur la hauteur de marée relevée à la station située Punta della Salute, à laquelle est aussi référé le zéro marégrafique. La cité est dotée d’un système de contrôle des niveaux de marée avec des stations relayées en divers points de la lagune et même en plaine mer (plate-forme CNR). Sur la base des niveaux observés et des analyses des prévisions météomarines, le Centre « Prévisions et Signalisations Marée de la Commune de Venise » effectue la prévision de marée, en général pour les 48 heures suivantes. Ces prévisions sont retransmises par internet, presse locale, affichages en différents points de la cité, les système d’affichage lumineux et un central téléphonique avec messages pré-enregistrés. En cas de danger d’imminent d’acqua alta, la plupart des habitants des zones les plus basses et les secteurs économiques situés de plein pied, reçoivent un avis téléphonique, pour leur permettre de prendre toutes les dispositions nécessaires. En outre, un service d’alerte gratuit transmis par SMS est mis à la disposition de tous les citadins inscrits. Au moment où le niveau d’eau prévu arrive ou dépasse les 110 cm, avec environ trois heures d’avance sur le pic de marée, le système d’alarme par sirènes, positionné en différents points stratégiques de la cité, entre en fonction pour alerter la population entière. Depuis le 7 décembre 2007, dans le centre historique et dans l’île de la Giudecca, un nouveau système d’alarme est entré en fonction et qui émet des sons distincts : le premier pour avertir la population de l’arrivée de l’acqua alta, le second pour indiquer la hauteur de marée prévue,
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selon le nombre de sonneries émises (>110 cm, >120 cm, >130 cm e >140 cm). Précédemment, la sirène, de type électronique, signalait une marée supérieure à 110 cm ; l’éventuelle répétition avisait d’une prévision supérieurs à +140 cm. Une troisième répétition était associée une prévision de dépassement de la cote +160 cm. Ce type de sirène est encore utilisé dans les îles de la lagune, en attente de substitution par le nouveau système. La nouvelle sirène a été utilisée pour la première fois dans la nuit du 23 au 24 mars 2008, pour une prévision de marée de +110 cm. En période de grande fréquence du phénomène, un système de passerelles est installé, par le biais de trottoirs en bois posés sur supports métalliques qui assurent des trajets au sec pour les principales ruelles de la cité, garantis jusqu’à un niveau de marée de +120 cm, au-delà les passerelles pourraient commencer à flotter. Depuis plusieurs années le projet Mose est en cours3 qui devrait permettre la réduction des eaux exceptionnelles par le moyen de barrages mobiles par gravité placés au fond des embouchures des ports de la lagune et actionnés par un système pneumatique, de telle manière à isoler la lagune de la mer durant le passage des pics de marée.
d .S t a t i st i q u e s
L’observation systématique des eaux, selon des méthodes scientifiques, a commencée en 1872, pourtant certaines études 4 anticipe celle-ci à la date de 1867, quand furent relevée une acqua alta exceptionnelle de +153cm. Ce fut en fait seulement en 1871 que fut réalisé le premier marégraphe pour le contrôle des marées à Venise. L’institution chargée de ces observations était l’« Institut Vénitien de Science, Lettres et Arts », affecté au « Magistrat aux eaux » supprimé par le gouvernement italien en 18662. Le marégraphe fut installé près du Palazzo Loredan au Campo Santo Stefano, siège de l’Institut aujourd’hui. Après l’inondation de 1966, la commune de Venise institua un premier service d’observation des hautes marées2, avec la tâche principale d’établir des prévisions et des les diffuser aux habitants. Depuis 1980, ce service prit le nom de « Centre Prévisions et Signalisation Marée », qui a la responsabilité de recueillir et d’élaborer les données à des fins de statistique, c’est à dire la prévision des marées, la diffusion et la signalisation des événements extraordinaires (hautes ou basses marées exceptionnelles) à la population et aux autorités compétentes.
e .É vé n e m e n t s h i st o r i q u es
Le premier témoignage certain5 du phénomène de l’acqua alta est de 782 (même si une chronique antique attribue en 589 la description d’une notable et durable inondation durant le VIe siècle). Des événements successifs se vérifièrent en 840, 885, 1102, 1240 (« l’eau envahît les rues sur plus que la hauteur d’un homme »), 1268, 1280, 1282, le 20 décembre 1283, 18 janvier 1286, en
1297, 1314, le 15 février 1340, le 25 février 1341, el 18 janvier 1386, le 31 mai 1410, le 10 août 1410, en 1419, 1423, le 11 mai 1428, le 10 octobre 1430, le 10 novembre 1442, en 1444, 1445, le 29 mai 1511, en 1517, le 16 octobre 1521, le 3 octobre 1535, le 20 décembre 1535, en 1543, le 21 novembre 1550, le 12 octobre 1559, en 1599, le 8 décembre 1600, les 18-19 décembre 1600, le 21 décembre 1727, le 31 décembre 1738, le 7 octobre 1729, le 5 novembre 1742, le 28 novembre 1742, le 31 octobre 1746, le 4 novembre 1748, le 31 octobre 1749, le 9 octobre 1750, le 24 décembre 1702, le 25 décembre 1794, le 5 décembre 1839. Enfin les événements de 1848 (140 cm) et 1867 (153 cm). Des descriptions des bulletins on note qu’aucun de ces événements ne furent autant catastrophique que celui du 4 novembre 1966. Au commentaire de l’événement du 20 décembre 1283 on retient de Venise « sauvée par miracle ». Aussi graves, furent les événements de 1442 (« l’eau arriva à 4 pieds au dessus de la normale ») et des 18-19 décembre 1600, ce dernier étant probablement similaire à celui de 1966, en plus d’une eau très haute à Venise, il y eut une violente tempête qui « rompit en plusieurs endroits les lido, entra dans les villas du Lido Maggiore, Tre Porti, Malamocco, Chioggia etc. ». Il faut tenir compte que les chroniques rappellent, presque toujours, les événements les plus importants en se référant plus sur quelques détails marquants, que sur la hauteur effective de la marée, entre autre, indiquée avec des mesures qui apparaissent approximatives et souvent peu crédibles5, alors que les phénomène mineurs, au dessous des +120cm, ne furent probablement pas considérés dignes d’être mentionnés.
g.Valeurs extrêmes de marée dans la période de 1923 à aujourd’hui
En conditions normales la marée, dans la lagune de Venise, présente des variations de 60-70 cm sur une période d’environ 12 heures. Les valeurs maxi relevées à partir de 1923 sont les suivantes : • hauteur maxi : +1,94 m (4 novembre 1966) • hauteur mini : -1,21 m (14 févier 1934) • variation entre mini et maxi absolu : 3,15 m • Amplitude maxi de marée de la haute à la basse : 1,63 m (28 janvier 1948 et 28 décembre 1970) • Amplitude maxi de marée de la basse a la haute : 1,46 m (23 et 24 février 1928 et 25 janvier 1966)
f.Eaux exceptionnelles dans la période 1923-2007
Toutes les dates ont été données par le Centre Marée2 de la commune de Venise. Par ordre décroissant de niveau : • +194 cm (4 novembre 1966) • +166 cm (22 décembre 1979) • +158 cm (1 février 1986) • +151 cm (12 novembre 1951) • +147 cm (16 avril 1936) • +147 cm (16 novembre 2002) • +145 cm (15 octobre 1960) • +144 cm (3 novembre 1968) • +144 cm (6 novembre 2000) • +142 cm (8 décembre 1992) • +140 cm (17 février 1979) Toutes ces valeurs on été enregistrées par la station de Punta della Salute (Venise) et font référence au zéro hydrographique de 1897.
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4. T e xtes d e r é fé r e n c e Le jardin botanique. Palais Rizzo Patarol, Cannaregio « Dans le quartier de Cannaregio, au centre d’un labyrinthe de canaux et de fondamente parallèles qui laissent le touriste désorienté, se trouve l’un des plus anciens et des plus charmants jardins de Venise. Le palais Rizzo Patarol fut à une époque le siège de l’ambassade de Savoie, puis de l’ambassade de France. Il fut ensuite transformé en couvent, avant de devenir le luxueux Grand Hôtel dei Dogi. Son entrée se situe le long de la discrète fondamenta della Madonna dell’Orto, à côté de l’église homonyme où l’on peut admirer quelques chefs-d’œuvre du Tintoret. De l’extérieur, nul indice du jardin. Il apparaît au bout d’une entrée ornée de marbre, de miroirs et d’un somptueux lustre de Murano.et c’est seulement lorsque s’ouvrent les portes du palais, incrustées d’éclats de verre multicolores, que le chant de la fontaine, résonnant dans l’ancienne cour pavée, fait irruption dans l’entrée. Les hôtes prennent leur petit déjeuner ou leurs repas dans la cour située à l’ombre du palais du xve siècle, profitant ainsi de la paix et du raffinement d’un lieu protégé de l’agitation extérieure. Tout autour du bassin, un entremêlement de feuillages verts et de petites fleurs colorées annonce les précieuses collections du jardin botanique, et souligne le jet gracieux de la fontaine. Ce jardin, référence incontournable des historiens, des botaniques et des spécialistes, qui le citent comme « une des singularités de Venise à recommander aux promeneurs » a toujours eu pour vocation de rassembler des plantes rares et insolites. Lorenzo Patarol fut le premier, au début du XVIIIe siècle, à prendre la décision d’établir un jardin botanique dans ce lieu reculé, alors planté de potagers. Homme de grande culture et collectionneur notoire, auteur d’un Herbier conservé au musée Correr, il divisa l’espace en parcelles en se référant à la classification du botaniste français Tournefort. Le lieu est chargé de symboles ; les plantes halophiles, vivant en milieu salin et typiques de la lagune vénitienne, se mêlent aux buissons de roses blanches et à quelques lys « aux fleurs d’une blancheur immaculée et aux feuilles striées » d’après les propres mots de Lorenzo Patarol. Francesco Rizzo Patarol, neveu de celui-ci, eut à cœur de poursuivre cette mission scientifique. Il organisa le jardin selon le système de Linné, l’enrichissant à tel point qu’il y avait « environ six cents espèces d’arbres et d’arbustes poussant à l’air libre, presque toutes exotiques, récentes et rares, et environ cent quatrevingts variétés de roses des plus exquises, parmi lesquelles certaines inconnues des jardiniers italiens, et même européens ».(G.B. Paganuzzi, auteur d’un livre sur Venise en 1821). On y trouvait également une « collection très bizarre et très importante de fleurs et de feuilles bigarrées, de nombreuses plantes du Cap
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et de la Nouvelle Hollande, sans compter les plantes vivaces et les bulbeux en terre ou en vase ». Le lys martagon originaire d’Asie du Nord, était l’une des curiosités de ce jardin, avec ses fleurs de couleur pourpre tachetées et lustrées en forme de turban ture. Le lieu était tellement prisé et original qu’il reçut en 1815 la visite de l’empereur François Ie d’Autriche, qui put admirer sa composition dix huitièmiste avec, en toile de fond, une jolie loggia tournée vers la lagune. Au début du XIXe siècle, le nouveau propriétaire, Giovanni Correr, transforma radicalement le jardin en s’inspirant de la mode romantique répandue en Vénétie. Il conserva seulement une petite partie de la collection botanique du côté de la loggia, où se trouvaient d’anciennes serres protégeant les célèbres orangers et le jasmin. Certains éléments sont encore présents , comme le bosquet central de micocouliers (Celtis australis), de pagodes japonaises (Sophora japonica) et d’ifs (Taxus baccata), aujourd’hui démesurément grand. Détroits et sinueux sentiers furent dessinés entre les plantes, des rochers et de petits terre-pleins furent reliés entre aux par de fines passerelles, qui donnaient l’illusion d’un espace plus vaste. A l’abri d’un mur d’enceinte crénelé, on construit un monticule, où furent placés quelques vestiges archéologiques, et à l’intérieur duquel on creusa une grotte fraîche où les vins fins sont aujourd’hui encore conservés. Ces éléments d’architecture étaient fréquents dans les jardins des villas de la Vénétie, mais assez rares à Venise. Pendant l’hiver, on y entreposait la glace produite dans les pê-
cheries, ou la neige rapportée des montagnes par chariot puis par bateau. L’été, on y conservait plus facilement les aliments périssables. Une vraie trouvaille pour les tables raffinées de l’époque, où l’on aimait offrir à ses hôtes des sorbets et des boissons fraîches. La propriétaire actuelle Mariagrazia Boscolo, a recueilli avec une grande sensibilité l’héritage des précédents propriétaires, en lançant en 2002, un projet de réhabilitation du jardin. Ce projet d’envergure nous a permis de remplacer certaines plantes incongrues par celles présentes dans l’ancien jardin du comte Patarol. Tout à commencé par une étude attentive de son histoire, à travers les documents d’archives et l’Herbier réalisé par Patarol avec les plantes qu’il avait lui-même cultivées. J’ai été conseillée dans ce travail par une amie spécialiste des jardins vénitiens, Lutizia Querenghi, du Wigwan Club des Jardins historiques de Venise. Grâce à une analyse rigoureuse, on a pu repérer les plantes autrefois présentes en ce lieu : un travail passionnant qui a permis de faire revivre le souvenir de ce jardin secret de Venise en enrichissant sa collection de roses, de clématites, d’hortensias et de tubéreuses. Trois cents ans d’histoire refont surface quand on se promène aujourd’hui le long des sentiers du jardin Rizzo Patarol. » Mariagrazia Dammicco, Jardins secrets de Venise, Flammarion, p25-26
Extrait de L’autre Venise « Les jardins de Venise, on l’a compris, ont été conquis de haute lutte par leurs propriétaires. Il a fallu parfois démolir des maisons pour cela. Imagine-t-on une telle politique dans aucune autre capitale du monde ? l’aventure du beau jardin Albrizzi est à cet égard exemplaire. A son origine, il n’y a rien. Rien de naturel en tout cas. A son emplacement se dressait un théâtre, San Cassiano, qui fut peut-être la première salle d’opéra de l’histoire ouverte au public avec billets payants. On y joua du Monteverdi, plus tard du CAVALI… Et le théâtre brûla, fut reconstruit, tomba de nouveau en ruines avant d’être acheté en 1820 par la famille Albrizzi dont le palais se dresse de l’autre côté du rio San Cassiano. Désormais n’allaient se jouer à son emplacement, littéralement, que d’uniques représentations florales pour le seul et jaloux bénéfice des Albrizzi qui firent construire à sa base une sorte de tout-escalier néo-gothique puis une passerelle pour le relier au piano nobile de leur palais. Autrement dit, sans jeu de mot (ou à peine), ne resta du théâtre San Cassiano que le côté jardin. Mais quel jardin, délicieux, exotique, enfoui sous les feuillages, avec des yuccas d’origine américaine, des magnolias exotiques, des fougères disséminées entre des rochers, des bassins où frétillent des poissons rouges, une pergola enfouie sous les glycines… A propos, qui donc a dit qu’il fallait laisser faire la nature ? Et je pourrais multiplier ainsi les exemples, les flâneries. Ce petit sur les Zattere, non loin du consulat de France, il s’est épanoui sur une terrasse. La hauteur toujours. Cet autre jardin entr’aperçu depuis la porte d’eau du beau palais Balbi-Valier où demeurent, dans un élégant appartement aux stucs tendrement pastel, les maîtres du lieu, Giovanni et Charlotte Sammartini, il ne trouve précisément sa grâce devinée par sa proximité avec le grand Canal. L’éclat d’émeraude de ses palmiers a besoin des reflets bronze de l’eau et de la blancheur de la pierre d’Istrie, comme un écho ou un contraste. Il me plaît encore de voir des lions de pierre circuler avec prudence à l’ombre du jardin insoupçonné derrière l’ancienne chapelle désaffectée devenue la résidence du décorateur Pierro Pinto, sur le campo San Vio… Tous ces jardins sont modestes et méritoires, échevelés et sages, Miraculeux aussi, je l’ai dit, et je ne crois pas qu’il existe des « petits » miracles. Rien ne facilitait l’éclosion de ces jardins. Leur bonheur est apaisant. Ils ont conquis de haute lutte leur droit d’exister. Le repos , le bien-être relèvent toujours d’un apprentissage et d’un combat. La paresse est une victoire. Un traité de paix longtemps attendu. Dans les jardins de Venise – ces jardins si cachés qu’ils semblent même parfois inconcevables – s’exprime idéalement le génie obstiné, travailleur et hédoniste d’une des plus hautes civilisations. » Predrag Matvejevitch, L’autre Venise, Fayard, Paris 2004, p136-137
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5.BIBLIOGRAPHIE Ouvrages : Predrag Matvejevitch, L’autre Venise, Fayard, Paris 2004 Frédéric Vitoux, L’Art de vivre - Venise, Flammarion, Paris 1990 Caroline Stefulesco, L’urbanisme végétal, Institut pour le Développement Forestier, 1993 Cristiana Moldi-Ravenna et Tudy Sammartini, Giardini Segreti a Venezia, Arsenale, 2005 Mariagrazia Dammicco et Marianne Majerus, Jardins secrets de Venise, Flammarion, 2006 Andew Wilton, Venise, acquarelle de Turner, Bibliothèque de l’Image, 1995 Walter Baricchi et Léon de Coster, Venise, Casterman – le guide, 1996 Puppi Lionello, Pierres de Venise, Hazan, 2001 Le guide du routard, Venise, Hachette, 2006 Adrianne Rollet, Sauver Venise, R. Laffont, 1971 Guido Fuga et Lele Vianello, Les balades de Corto Maltese, Casterman, 2005 Dictionnaire : Le Robert & Collins, dictionnaire français/italien Internet : http://fr.wikipedia.org/ http://www.venise1.com/ http://www.googleearth.com/
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