Jeudi 24 Mars 2011
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Monde De notre envoyé spécial à Tokyo Michel Peyrard - Paris Match
Japon, séisme, tsunami, nucléaire
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Le chaos du séisme et du tsunami ont laissé la place au désespoir des survivants endeuillés. En plein désastre nucléaire, le Japon prie pour les «50 de Fukushima». «Ce que nous devons gérer, ce sont des attitudes totalement irrationnelles : on voit des gars solides s’effondrer parce qu’il s’agit de nucléaire, alors que si un char se présentait à la porte, ils seraient les premiers à résister. » Son éternel paquet de gauloises sans filtre glissé dans une poche, Philippe Faure promène sa silhouette débonnaire dans l’atrium de l’ambassade de France à Tokyo, transformé en cellule de crise. Face aux dizaines de paires d’yeux qui le scrutent pour détecter le moindre indice d’aggravation de la situation, l’ambassadeur affiche un humour de chaque instant, qui a la vertu d’apaiser les plus anxieux. « Votre seule garantie, lance-t-il à un groupe de compatriotes inquiets, c’est ma femme. Tant que vous la voyez, c’est que je n’ai pas encore pris la fuite. » Dès les premiers jours, plutôt que de se morfondre à la résidence, Christine Faure a préféré se porter volontaire au standard de l’ambassade. A raison de plus de mille appels quotidiens, les dix volontaires
préposés au téléphone n’ont pas toujours évité la saturation. « Surtout des familles paniquées qui appellent de France, explique Christine Faure. Quand je leur dis que je suis au Japon, cela les rassure : ils imaginent tomber sur un centre d’appels au Maroc ou au Sénégal ! » Des 7 000 Français vivant à Tokyo, près de 4 500 ont quitté la capitale pour le sud de l’archipel ou pour rentrer en France. De son côté, l’ambassadeur a demandé au personnel de rejoindre le consulat général à Kyoto. « Si ça tourne mal, je préfère évacuer les quinze personnes opérationnelles demeurées à Tokyo plutôt que les deux cents que comptait l’ambassade. D’ailleurs, nous sommes trop nombreux : le bâtiment est devenu un véritable bouillon de culture. »
Des braves types se révèlent en salauds sublimes et d’autres en modestes héros L’ambassadeur s’amuse de certains comportements. « Pour quelques-uns, c’est un peu la chute de Saigon. Ils ne voudraient pas rater le dernier hélicoptère qu’ils imaginent décollant du toit de l’ambassade ! » Face à l’invisible ennemi, les hommes se révèlent tels qu’en eux-mêmes : des braves types en salauds sublimes, et d’autres en modestes héros. Philippe Faure éprouve une admiration particulière à l’égard de ce cadre de Veolia volontaire pour conduire un bus transportant les secouristes français vers le nord. « Je lui ai demandé s’il était sûr de vouloir partir, la zone pouvant être contaminée. Il m’a répondu : “Je suis un fils de résistant espagnol. J’ai appris l’entraide. On a besoin de moi, je viens.” » L’ambassadeur avoue avoir eu lui-même « de grands moments de solitude ». « Ce sont ceux qui connaissaient le mieux le sujet qui se sont affolés les premiers », s’étonne-t-il. Les employés d’Areva,
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Japon, séisme, tsunami, nucléaire
le groupe français n° 1 mondial du nucléaire, ont déguerpi dès le lendemain du tsunami. L’adjoint du conseiller nucléaire de l’ambassade s’est lui aussi discrètement éclipsé. Quant à l’officier de la DGSE attaché à l’ambassade, il a préféré aller prendre ses renseignements à Séoul, « par convenance personnelle ». Les appels de Philippe Faure à Paris, le plus souvent en pleine nuit à Tokyo en raison du décalage horaire, n’ont trouvé aucun écho les premiers jours. « La cellule de crise du Quai d’Orsay se contentait de me répéter qu’il fallait faire confiance aux Japonais. » Dans le même temps, en France, des ministres évoquaient une « catastrophe », voire « l’apocalypse »…
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Olivier Isnard, expert nucléaire, est «le Français le plus populaire du Japon» Les premières quarante-huit heures, personne, au plus haut niveau de l’Etat, ne l’a contacté pour s’enquérir des besoins de l’ambassade. « Le premier à me téléphoner a été Bertrand Delanoë, que pourtant je ne connais pas particulièrement. » Et bien sûr Pierre Lellouche, son ami, ancien camarade de Sciences po, qui, dès l’annonce de l’accident de la centrale de Fukushima, le met en garde : « N’exclus aucun scénario, cela peut être très sérieux. » L’ambassadeur joint alors l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et obtient l’envoi d’un expert. Pas une heure sans que Philippe Faure ne se félicite de l’arrivée, lundi 14 mars, de celui qu’il présente comme « le Français le plus populaire du Japon ». « Tous les matins, ma première question est : “Où est M. Isnard ?” J’ai besoin de lui comme d’autres s’angoissent à l’idée de perdre de vue leur cardiologue. » Olivier Isnard, spécialiste de la gestion de crise nucléaire, analyse chaque jour la note de synthèse que lui a fait parvenir l’IRSN durant la nuit, pour conseiller l’ambassadeur sur le risque radioactif. « Je dispose d’informations météo et d’autres sur l’état des réacteurs, fournies par les Japonais, mais
aussi par nos collègues américains ou britanniques avec lesquels nous échangeons renseignements et simulations. Nous disposons, grâce à ces calculs, de soixante-douze heures d’avance. » Il y a quelques jours, il a réceptionné par la valise diplomatique une balise relevant la radioactivité, qu’il a installée sur le toit de l’ambassade pour mesurer, de manière indépendante, les débits de dose. Son inspection du bâtiment, situé dans le quartier de Minami Azabu, l’a convaincu que le local constitue un abri sûr, à l’exception du bureau de l’ambassadeur, exposé par ses immenses baies vitrées en cas de fort rayonnement. « Mais nous estimons qu’il n’y aura pas de conséquence majeure sur Tokyo, même en cas de relâchement radioactif important. Et, dans tous les cas, mieux vaudra alors se trouver à l’ambassade que prisonniers du gigantesque embouteillage que l’affolement de 30 millions d’habitants ne manquera pas de provoquer sur les routes menant au Sud. » Deux fois par jour, l’expert s’adresse à la petite communauté française, réunie dans l’atrium. Pour désamorcer l’inquiétude, il veille à utiliser des éléments de langage rassurants. « Durant les deux derniers jours, explique-t-il, c’est comme si vous étiez allés passer une semaine en Bretagne. » Le granit breton est particulièrement riche en éléments radioactifs, jusqu’à quatre fois la normale. D’autres fois, Olivier Isnard compare la situation à un aller-retour ParisTokyo, les trajets en avion exposant aux radiations. Il faut rassurer, éviter les comportements aberrants, comme celui de ce Français qui exigeait 150 tablettes d’iode stable, et a piqué une crise de fureur lorsqu’on les lui a refusées. Mais la plupart de ses auditeurs ne cèdent pas à la panique et connaissent désormais tout des aléas de tel ou tel réacteur, et des risques inhérents aux piscines en surchauffe. En privé, l’expert nucléaire concède pourtant qu’il ne dispose pas de tous les éléments pour évaluer au mieux la situation. « Ce qui nous manque, ce sont des mesures spécifiques de l’environnement, des mesures de dépôt, qui nous permettraient de nous caler. Les Américains font pression pour les obtenir, car ils vont prendre le nuage dans le nez et veulent savoir ce qu’il y a dedans. »
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Le combat des «50 de Fukushima»
Quand elles ne tuent pas en quelques jours, les doses élevées de radiation sont susceptibles d’induire un cancer, parfois trente ans plus tard. « J’ai fondu en larmes, a raconté une jeune femme, quand j’ai entendu que mon père, qui devait partir à la retraite en septembre, après quarante années passées dans la compagnie, s’était porté volontaire… Il m’a dit : “Je sens que je dois y aller.” Je suis fière de lui. » Parmi les plus jeunes, recrutés pour leur endurance, Tepco a sélectionné en priorité des célibataires sans enfants. Portant des masques dotés de filtres à charbon actif, des lunettes et des combinaisons protectrices, ils ne disposent que de quelques minutes pour effectuer une tâche précise, avant de se retirer du site.
Il y a ceux qui conduisent les véhicules chargés d’asperger les réacteurs pour les refroidir, ceux qui retirent les débris radioactifs pour leur permettre l’accès, ceux qui tirent les câbles électriques grâce auxquels Tepco espère connecter le système de refroidissement. Lorsque leur dosimètre enregistre une exposition aux radiations supérieures à 80 millisieverts, une alarme leur donne le signal de la retraite, et un nouveau groupe prend le relais. Ils reviendront, inlassablement, jusqu’à la limite légale, que le gouvernement a récemment relevée pour les « liquidateurs » de Fukushima. La dose maximale est ainsi passée de 100 à 250 millisieverts. C’est plus de douze fois la dose annuelle autorisée pour les travailleurs du nucléaire, et deux fois et demie celle dont on estime qu’elle induit un risque de cancer. Certains semblent déjà victimes du mal des radiations : gorge sans cesse irritée, soif inextinguible, nausées, maux de ventre. « Nous manquons d’eau potable, écrit un volontaire dans un SMS adressé à sa femme. Je ne me sens pas bien… » La difficulté de les ravitailler dramatise plus encore leur isolement. « Mon père s’est porté volontaire, a expliqué une jeune fille à la télévision japonaise. Les conditions semblent très dures. Ils commencent à être à court de nourriture. Mon père nous a dit qu’il acceptait son sort. Cela ressemble à une sentence de mort. » Si « les 50 de Fukushima » passeront sans doute à l’Histoire, il n’est pas sûr que l’on connaisse un jour leurs noms, leurs visages. Au Japon, le groupe prime souvent l’individu, la discrétion l’emporte sur l’immodestie. Ici, personne ne se réfère à eux comme à des héros. Mais chacun prie pour ces anonymes. Et pour que leur probable sacrifice ne soit pas vain.
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Mais l’inconnue la plus décisive concerne le combat qu’une poignée d’hommes, à 250 kilomètres de là, mène dans l’enceinte de Fukushima. De leurs progrès, de leurs défaites, de leur sens du sacrifice dépend en grande partie le sort de larges catégories de populations. « Car le leur est malheureusement déjà scellé », juge Olivier Isnard. On les a baptisés « les 50 de Fukushima ». C’est le nombre d’hommes que compte chacun des groupes qui se relaient auprès du monstre pour tenter d’en apaiser la furie. Mais au total, ce sont 300 techniciens, pompiers et scientifiques, qui, en dépit des miasmes crachés par la centrale, tentent d’en reprendre le contrôle. Certains sont d’anciens employés de Tepco, que la compagnie a convaincus de reprendre du service. D’autres appartiennent à des sociétés sous-traitantes comme Hitachi, Toshiba, les fabricants de réacteurs, ou Kajima Corporation, une entreprise de construction. Les volontaires ont été recrutés parmi les employés, en privilégiant le critère de l’âge et le statut familial.
Les «liquidateurs» s’exposent à un taux de radiation 12 fois supérieur à celui autorisé
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