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POUR UNE VILLE DURABLE Entretien avec Cyria Emelianoff Jean-Paul Gaudillière La Découverte | Mouvements 2005/4 - no 41 pages 57 à 63

ISSN 1291-6412

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Pour citer cet article :

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Gaudillière Jean-Paul , « Pour une ville durable » Entretien avec Cyria Emelianoff, Mouvements, 2005/4 no 41, p. 57-63. DOI : 10.3917/mouv.041.0057

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Pour une ville durable Entretien avec Cyria Emelianoff*

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Mouvements : Comment est apparue cette idée de ville « durable », et qui en est aujourd’hui porteur ?

Cyria Emelianoff : On peut en trouver l’origine dans les conférences préparatoires au sommet de Rio. En 1990, une association de collectivités locales nouvellement créée, le Conseil international des initiatives environnementales locales, s’est donné pour mission de faire passer la problématique du développement-durable de l’échelle globale à l’échelle locale. Elle était pilotée par des environnementalistes, au départ de Freiburg en Allemagne et de Toronto au Canada. Elle se pensait comme un relais, une courroie de transmission et un instrument de lobbying vers les collectivités locales. L’association a aussi participé à la rédaction de l’agenda 21 adopté à Rio, en particulier le chapitre 28 consacré aux collectivités locales. Un des points mis en avant était que les villes avaient un rôle essentiel à jouer dans les stratégies de développement-durable.

Ne serait-ce que parce qu’elles consomment 80 % de l’énergie utilisée dans les pays de l’OCDE. Au début des années quatre-vingt-dix, se sont donc mises en place des courroies de transmission, soit associatives soit institutionnelles, pour sensibiliser les villes et « localiser » les préoccupations de développementdurable. La raison pour laquelle les villes sont intéressées par cette démarche est qu’elles espèrent gagner en décentralisation et en pouvoir local. Le discours sur la ville durable a toujours été lié à un discours sur la décentralisation des décisions et l’accroissement des marges de manœuvre des villes. Certaines villes scandinaves se sont par exemple dotées d’une fiscalité écologique en propre. Cela peut aller assez loin. À l’échelle européenne, il y a ensuite eu des développements assez importants. En 1990, la Commission a produit un livre vert sur l’environnement MOUVEMENTS N°41

* Géographe. Elle a coordonné le numéro d’Écologie et Politique consacré à l’urbanisme durable (n° 29/2004).

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PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-PAUL GAUDILLIÈRE

Dans les années soixante-dix, la critique écologique a pris pour cible la ville elle-même, prônant le retour à un habitat rural. En pratique, la fuite des centres s’est traduite par une extension des banlieues « vertes ». Aller vers une ville durable, économe en transport et en énergie, suppose, à l’inverse, de transformer l’habitat urbain pour revaloriser la densité.

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urbain qui est le résultat d’un travail d’auditions auprès d’architectes et d’urbanistes. Ce livre vert dressait un diagnostic sévère de la situation de l’environnement urbain et a été un cri d’alarme. Il mettait en lumière la faible qualité de l’environnement dans les villes européennes, qui fait fuir les habitants vers le périurbain, vers des campagnes de plus en plus lointaines. Le livre vert s’appuyait sur une critique profonde de l’urbanisme moderne et du fonctionnalisme. À la suite de cette publication, un groupe permanent d’experts rassemblant des responsables issus des ministères mais aussi des associatifs et des chercheurs a été mis en place. Ce groupe a été très actif pour réfléchir à la manière dont on peut transformer l’urbanisme en Europe. Au lieu de donner des directives et d’imposer des réglementations sans effet puisque les politiques urbaines sont du domaine de compétence des États, ses membres se sont lancés à partir de 1994 dans la construction d’un réseau d’échange d’expériences, un réseau de villes appelé la Campagne européenne des villes durables. Et de façon inattendue elle a rencontré un grand succès. Il ne s’agit pas d’une initiative normative, il s’agit d’encourager des expériences de développement-durable définies localement. La campagne est seulement un lieu d’échange pour capitaliser et collectiviser les savoirs-faire qui en résultent. C’est une démarche purement expérimentale, sans beaucoup de moyens financiers ni de solutions éprouvées mais avec des questions clés : l’énergie, les transports, le dépassement de l’urbanisme fonctionnaliste.

M. : Quelles sont les critiques portées à son encontre ?

C. E. : C’est une remise en cause de la charte d’Athènes, en particulier de la séparation des fonctions de la ville : des fonctions d’habitation, de loisir, de travail, de circulation. Leur séparation a créé des zones monofonctionnelles qui induisent une hyper-mobilité, un trafic de plus en plus lourd entre les différentes zones qui constituent la ville. Ce qui est proposé comme alternative est une mixité fonctionnelle. C’est-à-dire le retour à un modèle assez ancien, latin, de la ville où l’habitat, le commerce et la production sont mêlés. Ensuite il y a une critique sociale. On sait que l’habitat moderniste a, dans les conditions où il a évolué, généré de la ségrégation. La critique porte donc aussi sur la nécessité de recréer de la mixité sociale, en particulier de réaliser des opérations d’habitat social disséminées dans le tissu urbain. Mais la question est complexe. Autre critique, celle de l’empreinte qu’a eu l’économie sur la vision des urbanistes. Ils ont pensé la ville pour des producteurs, des consommateurs, au mieux des usagers mais jamais pour des êtres vivants, sensibles, c’est-à-dire des êtres humains dotés de perception, qui doivent pouvoir s’épanouir. En fait, on a oublié que la ville est un milieu de vie, l’horizon de vie quotidien d’une majorité de gens. On a donc créé des structures qui accumulent les nuisances, le bruit, la pollution, la fatigue. Cela disqualifie les tissus urbains et nourrit l’étalement et la périurbanisation. Même si la question des prix fonciers joue un rôle premier. Pour porter cette critique, les villes participant à la campagne européenne ont signé une nouvelle charte, la charte d’Alborg. Celle-ci inclut un dernier élément : le souci des patrimoines, y 58 ●

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M. : N’y avait-il pas aussi l’idée que l’urbanisme moderniste était un rêve d’ingénieur du bâti et d’ingénieur du social, un schéma imposé d’en haut ?

C. E.: C’est le dernier élément de critique, la sortie de l’urbanisme d’expert avec l’abandon de l’idée de modèle reproductible, la mise en avant des expériences permettant d’impliquer les habitants, avec l’idée qu’il vaut mieux susciter une myriade de petites tentatives même si elles manquent de cohérence entre elles. On n’est pas dans des politiques publiques de développement-durable, mais dans des initiatives locales opérant à des échelles très variables et qui ne constituent qu’exceptionnellement le projet d’une ville.

Cette idée est d’autant plus forte qu’il y a de grandes incertitudes sur ce qu’est un développement urbain durable. On sait ce qu’on ne doit pas faire, mais on ne sait pas ce qu’il faudrait faire. Le modèle moderne sert de repoussoir.

Pour le reste, on considère qu’il existe une pluralité d’acteurs qui tous possèdent des savoirs sur la ville et que le moyen de mobiliser ces savoirs est la nature participative des processus. C’est un urbanisme mettant en regard des visions différentes: celles des élus, des associations, des groupes d’habitants.

Il n’est donc pas question d’une décision par des experts urbanistes mais d’une négociation des expériences. Mais c’est très lent et parfois, justement parce qu’il faut négocier, on ne va pas très loin. Paradoxalement, les élus sont souvent moins moteurs que certains de leurs services administratifs. En revanche, les associations de collectivités locales ou de maires ont joué un rôle clé avec en arrière-plan l’idée qu’il y avait du pouvoir local à gagner et aussi de se faire une place sur la scène internationale. Les années quatrevingt-dix ont vu par exemple l’affirmation du G4+, regroupant quatre grandes associations internationales de villes ayant l’ambition de contourner les États pour discuter directement avec l’ONU. D’autres associations, par exemple celle des villes suédoises, ont fait beaucoup pour les expérimentations pilotes de développement-durable. C’est une des différences avec la France où les choses sont beaucoup plus liminaires et isolées.

M. : Quelles expériences sont les plus intéressantes ou les plus discutées ?

C. E. : Il y a une extrême diversité, chacun réinterprète localement, à sa manière, les enjeux du développement-durable. Néanmoins, il y a des registres sur lesquels on peut dire que les villes européennes ont avancé. En particulier l’architecture et l’urbanisme. On voit se construire des « quartiers durables ». Parfois le mot est employé pour désigner des quartiers « écologiques ». C’est-à-dire des quartiers « basse consommation ». Un bon exemple est le Kronsberg à Hanovre où, pour un ensemble de 6 600 habitants, on a réduit les émissions de gaz à effet de serre de 80 %. C’est un quartier neuf, planifié ex nihilo en bordure d’agglomération. Dans ce quartier, il y a des logements à très faible consommation d’énergie et MOUVEMENTS N°41

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compris les patrimoines naturels. Avec cette dernière idée qu’il faut abandonner la politique de la table rase, qu’il faut partir de l’existant, qu’il faut cesser de tout recommencer et de réinventer la ville avec chaque nouvelle opération. Il faut valoriser et « recycler » les tissus urbains.

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d’eau, parfois sans chauffage. Il s’agit donc d’une performance écologique. Au Kronsberg, la qualité environnementale n’a pas été dissociée d’une réflexion sociale et culturelle, avec un souci de mixité sociale. Mais dans d’autres cas, ces quartiers durables oublient totalement la dimension sociale. On a alors seulement de la haute technicité écologique. Tant en termes d’énergie renouvelable, parfois avec des quartiers où 100 % de la consommation provient des énergies renouvelables, qu’en termes de perméabilisation extensive des sols ou de garantie de biodiversité. Parfois cela dérape vers une haute qualité de vie réservée à une élite sociale et culturelle. En Allemagne, il y a des quotas stricts d’attribution des logements sociaux mais ce n’est pas général.

En parallèle à ces expériences de quartiers pilotes, il y a eu beaucoup de plans locaux de lutte contre l’effet de serre, en particulier en Allemagne et en Autriche. On peut encore citer l’exemple de la ville de Hanovre où l’objectif est une réduction globale des émissions de CO2 de 25 % pour toute la ville en travaillant sur les transports et l’habitat, avec une adaptation des standards mis au point dans les quartiers expérimentaux comme le Kronsberg. Cela voulait dire par exemple pour le bâti recours au solaire, triple vitrage, suppression des ponts thermiques, introduction d’une ventilation sophistiquée. Le tout permettant d’avoir des logements qui consomment dix fois moins que notre label écologique français, le label Haute qualité environnementale (HQE).

Mais agir sur les constructions, agir sur les circulations douces, n’empêche pas les contradictions de se manifester. Au Kronsberg vous trouvez des 4/4 sur les parkings rationnés du quartier écologique.

Ces vitrines sont donc intéressantes pour mettre au point de nouvelles techniques ou des procédures éventuellement généralisables. Mais l’empreinte écologique d’une ville va bien au-delà. Agir sur les comportements et les consommations est plus complexe et entre en contradiction avec les circuits de l’économie. Mais là aussi il y a des expériences, certaines villes essaient de promouvoir les circuits courts de distribution avec une priorité aux produits agricoles régionaux. Mais cela reste anecdotique.

Au Kronsberg, la qualité environnementale n’a pas été dissociée d’une réflexion sociale et culturelle, avec un souci de mixité sociale.

M. : Quels objectifs prioritaires devrait-on considérer ? Un changement des modes de transport ? Des constructions ?

C. E. : La priorité en matière de ville durable c’est de rendre de nouveau attractive la ville dense. Il y a eu une stigmatisation très forte de la densité durant la période hygiéniste et moderniste.

M. : Seulement des hygiénistes ? Les mouvements écologistes n’ont pas fait la même chose ?

C. E. : Oui. Les hygiénistes ont commencé en prenant pour cible les centres denses, où se rassemblaient les pauvres avec une absence com60 ●

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plète de réseaux d’adduction, avec des pollutions industrielles massives.

Beaucoup plus tard, dans les années soixante-dix, l’écologie urbaine a promu l’idée de vie à la campagne, en dénonçant la ville cancer, et du coup en contribuant à l’exode périurbain des couches moyennes, sensibles aux arguments environnementalistes et en même temps très éloignées du retour à une vie rurale. On pense maintenant que le modèle le plus écologique d’habitat urbain est la ville dense, avec bien sûr des variations selon les pays et les cultures. Il ne s’agit pas de transposer partout la densité de Hong Kong. Mais on ne peut promouvoir un modèle de ville dense sans requalifier l’environnement sensible. On est face à une impasse car on ne peut pas demander aux gens de subir un environnement urbain dégradé préjudiciable à tous, mais tout particulièrement aux enfants et aux personnes fragiles. En même temps, le départ vers des zones qui offrent davantage d’aménités, et souvent considérées comme plus saines, contribue à l’étalement des villes et renforce les problèmes.

Seule une ville dont les parties centrales et premières couronnes seraient écologiquement requalifiées pourrait redevenir attractive, avec par exemple des quartiers durables denses mais pourtant très riches en végétaux, parce qu’ils offrent des myriades de micro-jardins, y compris des jardins privés. Souvent, il y a cette crainte que densité signifie des tours et des barres. Or, la densité réelle est très différente de la densité perçue. On peut faire de la densité avec des maisons mitoyennes de un ou deux étages. Il y a des manières très diverses de « re-densifier ». Il existe beaucoup de marges de manœuvre pour gérer la densité de manière douce.

M. : Quel est le principal argument pour la densité ?

C. E. : C’est bien sûr d’abord la question des consommations énergétiques parce que l’étalement est générateur d’hyper-mobilité. Or, dans le périurbain diffus il est impossible de structurer un transport en commun. Même si on peut concevoir des étoiles ferroviaires, les économies d’échelle ne sont pas suffisantes pour que le transport en commun soit rentable. Mais il y a aussi les enjeux de protection des espaces naturels et agricoles. En France, on a des marges. Mais ce n’est pas le cas dans les pays de la dorsale européenne, aux Pays-Bas, dans une partie de l’Allemagne. Là, le manque d’espace impose des modèles de ville plus compacte. Ne seraitce que pour préserver un espace agricole, pour éviter l’urbanisation de vallées inondables, de zones écologiquement sensibles. Un exemple frappant : Angers et Nantes ont triplé de superficie en trente ans. On ne peut pas imaginer continuer sur cette tendance, imaginer avoir des villes qui triplent de superficie tous les trente ans. Matériellement c’est intenable.

La préservation de l’agriculture de proximité est un enjeu fort, notamment si on veut valoriser les circuits de distribution courts. Mais la question des espaces naturels récréatifs est tout aussi importante. Pour éviter que les citadins fassent tous les week-ends des centaines de kilomètres pour trouver des espaces non bâtis et s’aérer. L’enchaînement dégradation urbaine, disqualification de l’urbain et migration vers les périphéries constitue un cercle vicieux qui nourrit aussi le phénoMOUVEMENTS N°41

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M. : Du point de vue des outils d’intervention où en est-on ? Par exemple, les normes HQE. Ont-elles servi à quelque chose ?

C. E. : Il y a eu des avancées en matière de diffusion des normes de qualité environnementale, qui commencent à être appliquées à l’habitat social. C’est par exemple le cas à Dunkerque. C’est attractif parce que cela fait baisser les factures d’eau et d’électricité des habitants. Mais on n’a pas encore atteint des effets de seuil importants.

D’une façon générale, il n’y a rien de contraignant. En France, les lois sont incitatives et peuvent être détournées localement. On a par exemple des Schémas de cohérence territoriale (SCOT) ou les Plans locaux d’urbanisme. En théorie, ils devraient conduire à de la re-densification, mais c’est laissé à l’appréciation des élus. Leur traduction opérationnelle ne va pas souvent dans ce sens, ne serait-ce que parce qu’on ne parvient pas à une entente entre toutes les communes d’une aire urbaine. En l’absence de mesures un peu fortes, le développement-durable devient du « marketing » territorial. En général, engager des politiques de développementdurable coûte à la collectivité. Ce qui incite malgré tout à aller dans cette direction, c’est que c’est bon pour l’image, pour l’attractivité d’une ville où il fait bon vivre. L’action se limite alors à quelques initiatives spectaculaires où on rabat la question du développement-durable sur une vision locale et étroite de la qualité de vie.

Même si les lois françaises ont affiché une priorité, la tendance est inverse, à l’étalement et à des couronnes urbaines de plus en plus larges.

L’opposition entre communes centres et communes périphériques rend difficile les évolutions. C’est parfois une question de composition sociale ou de conflit entre la droite et la gauche, mais il y aussi des enjeux de perception de la ville, de ce que doit être son avenir. Dans la plupart des villes satellites, la culture des élus reste celle de la croissance de la population. C’est une source de revenus, une source de pouvoir et d’influence. Du coup les maires des villes périphériques ne jouent pas le jeu des SCOT. La ville de Nantes par exemple a une politique de re-densification, mais les maires de l’agglomération peuvent suivre des orientations différentes. Pour certains, le gel des terres pour empêcher la construction ou la remise en cause d’une nouvelle desserte routière restent impensables.

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mène des résidences secondaires et une mobilité encore augmentée.

L’environnement urbain est devenu répulsif pour les familles aisées avec enfants. Mais il l’est aussi pour les familles modestes avec cette dimension supplémentaire que le foncier y est de toute façon beaucoup trop cher.

Ce dernier élément est crucial : il faut faciliter l’accès au foncier en centre dense. Or, les politiques suivies jusqu’ici ont fait l’inverse. Le prêt à « taux zéro » a favorisé la dispersion urbaine et l’éloignement des couches populaires. D’une manière générale, l’inégalité écologique, la dimension sociale des nuisances est totalement négligée. Du coup les politiques de développement-durable ont des effets pervers. Parce qu’on affiche des quartiers verts et qu’on ne traite pas l’inégalité sociale devant l’habitat, les risques ou les nuisances, on contribue à la ségrégation urbaine.

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M. : Dernière question, l’urbanisation massive est un phénomène majeur dans les pays du Sud où se sont constituées de vastes mégalopoles qui posent elles aussi de graves problèmes écologiques. Est-ce que cette réflexion sur le développement urbain durable y est transposable ?

C. E. : Je ne suis pas une spécialiste, mais je serais très prudente avec l’idée d’une transposition. Bien sûr les problèmes de l’étalement urbain sont là, mais ils ont une origine très différente. Il s’agit de la prolifération de favelas, des bidonvilles, des zones de construction populaire spontanées. Les problèmes sont donc d’un autre ordre, ils concernent l’accès à l’eau, aux services, aux transports publics. Ces problèmes d’inégalités sociales massives ne sont pas ceux des villes pavillonnaires ou de la mobilité automobile de masse. Plaquer le terme de développement-durable sur des villes où les enjeux sociaux sont si différents me semble très problématique. Non pas parce que la qualité écologique devrait être l’apanage du Nord mais parce que les enjeux du développement ne sont pas les mêmes. Au Sud, l’idée de développement urbain durable est souvent portée par des acteurs internationaux qui veulent accéder aux nouveaux marchés de l’environnement. Les marchés de l’eau ou de l’assainissement sont devenus planétaires. Véolia a par exemple conquis le marché du traitement des déchets pour plusieurs grandes villes chinoises.

Cette mondialisation a des effets très pervers. Le jeu des permis de carbone et la constitution d’un fonds pour les pays en développement dans le cadre du Protocole de Kyoto permet, par exemple, à une entreprise européenne d’acquérir des droits d’émission en aidant à la construction d’incinérateurs plus efficaces ou de dispositifs de recyclage dans les quartiers riches de Rio ou de Mexico. D’une façon générale, les problèmes sociaux des villes du Sud sont d’une ampleur telle que l’aspect localement le plus intéressant de la problématique de développement-durable est sans doute l’idée de démocratie participative. ●

Au Sud, l’idée de développement urbain durable est souvent portée par des acteurs internationaux qui veulent accéder aux nouveaux marchés de l’environnement.

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